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29/04/2010

Spiritualité Vécue

Spiritualité Vécue

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Des hommes ivres de Dieu, telle est la quête d'amour divin chez les soufis, selon Ibn al-Farid ,  ermite qui  vécu toute sa vie sur les falaises cairotes jusqu'à sa mort en 1235. Sa tombe est bien connue, près de l'Imam Shâfiî. Amour divin, qu'il exprime ainsi dans sa très célèbre khamriya :

« Nous avons bu à la mémoire du bien aimé

Un vin qui nous a enivré

Avant la création de la vigne.

Notre verre était la plaine lune ;

Lui, il est un soleil ;

Un croissant le fait circuler.

Que d'étoiles resplendissent quand il est mélangé.

Sans son parfum, je n'aurai pas trouvé le chemin de ses tavernes.

Sans son éclat, l'imagination ne le pourrait concevoir.

Son verbe a préexisté éternellement à toute chose existante ;

Mais elle le voile avec sagesse à qui ne comprend pas.

En Lui, mon esprit s'est éperdu ....

Avant ma puberté, j'ai connu son ivresse ; elle sera encore en moi

Quand mes os seront poussière.

Prends - le pur ce vin : ne le mêle qu'à la salive du Bien-aimé ;

Tout autre mélange serait coupable ».

Cet éloge d'Ibn al-Fârid, est en fait une invitation au voyage mystique, à l'initiation spirituelle, et à la contemplation. Le soufisme désigne avant tout une attitude spirituelle de l'homme, que ne limite aucune frontière ni de temps ni d'espace. Il est aussi actuel aujourd'hui qu'à sa naissance. Il exprimerait cette force mystique qui soulève toute religion. Il libère la méditation, l'amour, l'extase. Il fraye une voie à l'irruption du divin. C'est la foi vécue comme le souligne Massignon à propos de Hallaj :« Quand Dieu prend un cœur, il le vide de ce qui n'est pas Lui ; quand il aime un serviteur il incite les autres à le persécuter pour que ce serviteur vienne se serrer contre Lui. ».

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Jalal Eddin Rumi

Comme l'eau donne naissance à des fleurs différentes selon la terre qui la reçoit, les disciples d'une voie pourront paraître différents selon les pays, mais ils s'abreuvent tous à une source unique, et parcourent le même chemin, chacun à sa façon. C'est cela qui fait d'eux des frères spirituels, au - delà des différences extérieures. Shoshtari n'a cessé de traduire pour ces disciples cette idée, d'un avertissement divin heurtant l'âme comme un choc impérieux. Dieu nous attire à Lui, par une sorte d'aimantation magnétique qui finit par « briser le talisman » corporel où l'âme est prisonnière ici - bas. Dieu frappa sans relâche à la porte de l'âme, à quoi elle ne peut que répondre par un cri bref, un tressaillement « comme la voix qui réveille celui qui dort ».

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"O Nuit, que tu te prolonges ou que tu t'abrèges, ce m'est un devoir que te veiller. » S'exclama ainsi Ali Shoshtari le maître du samaâ , poète mystique andalou, né à Cadix vers 1203, ayant d'abord vécu au Maroc, avant de voyager en Orient :

« Un cheikh du pays de Meknès

A travers les souks va chantant

En quoi les hommes ont-ils à faire avec moi

En quoi ai-je à faire avec eux ?... »

Ce qui reste de Shoshtari, comme des maîtres spirituels qui lui ont succéder depuis, c'est cette actualisation poignante de l'instant, où ils veulent nous faire rejoindre l'éternel. « L'instant est une coquille de nacre close ; quand les vagues l'auront jetée sur la grève de l'éternité, ses valves s'ouvriront ». Il n'en disait pas davantage pour laisser comprendre qu'alors on verra dans quelles coquilles les instants passés avec Dieu ont engendré la Perle de l'Union.Ce à quoi fait échos NIYAZI MISRI, poète mystique turc du 17ème siècle :

« Après avoir voguer sur la mer de l'esprit dans la barque matérielle de mon corps, J'ai habité le palais de ce corps, qu'il soit renversé et détruit ; »

OUI, l'instant est une coquille de nacre  close ; quand les vagues l'auront jeté sur la grève  de l'éternité, ses valves s'ouvriront.

Abdelkader Mana

03:58 Écrit par elhajthami dans soufisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : religion | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Nuit Soufie

Nuit soufie

Le soufi doit passer par une initiation progressive, sous la direction d'un maître vivant. L'ascension des soufis se fait donc à travers les demeures ou stations, chacune est marquée par un « état spirituel »(hal) particulier. Aux progrès dans la voie spirituelle, correspondent des niveaux d'initiation : des novices, aux initiés, jusqu'aux agrées et aux parfaits. Cette quête de purification du cœur  requiert de relier les étapes à chacun des horizons. Le but ultime de ce voyage à la fois réel et symbolique est de préparer l'âme à l'union divine..

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Les soufis ont insisté sur cet aspect : la purification des cœurs et des âmes, pour consolider les vertus morales : les valeurs de tolérance , les valeurs d'amour, les valeurs de miséricorde.

A chaque fête du Mouloud, des milliers d'adeptes venus de toutes les régions du Maroc, mais aussi de Thaïlande, d'Europe, d'Amérique et d'Afrique  se retrouvent à la zaouia - mère de Madagh, pour commémorer en présence  de Sidi Hamza, leur maître spirituel vivant, la naissance du Prophète. La fête a lieu  au 1er Rabiâ Al Awal 1426, qui correspond cette année au mardi 11 avril 2006, où elle coïncide avec un printemps particulièrement florissant. Deux nuits soufies auront lieu simultanément : d'un côté celle des femmes, de l'autre celle des hommes, en présence de Sidi Hamza le guide spirituel.

En ce printemps de l'aube hégirienne, le ressac de la Méditerranée nous invite à la méditation. L'être est en quête naturel d'absolu comme le pêcheur à la ligne va à la rencontre des insondables abysses bleus. Nous sommes ici aux confluences de l'embouchure de la Moulouya , à la plage de Saïdia qui confine à la frontière algéro - marocaine où la plaine de Triffa s'étend au pied  du massif des Bni Snassen qui atteint 1665 mètres au Jbel Afoughal. La plaine de Triffa, qu'irrigue le Moulouya comprend des douars d'origine algériens. Ils s'y sont établis vers 1830, sur les traces de l'émir Abdelkader. C'est dans cette grande plaine de Triffa, doucement ondulée aux terres si fertiles  que la mise en valeur des fermes coloniales avait commencé au Maroc. La plupart des tribus de la frontière, surtout les Béni Snassen, étaient dévoués à l'émir Abdelkader, lui-même éminent soufi - sa dépouille repose à Damas près du tombeau d'Ibn Arabi. Cette résistance de la montagne des Bni Snassen à la pénétration française se poursuivit jusqu'à la capture le 31 décembre 1907, de Sidi Mokhtar Boutchich. C'est après sa reddition que ce dernier quitte la montagne des Bni Snassen pour venir s'établir dans la plaine de Triffa plus précisément au village de Madagh qui va devenir la zaouia - mère de la Tariqa Boutchichia , avec le Cheykh Abou Mediane,  mort à Madagh en 1955.Lui succédera alors jusqu'au début des années soixante dix, le Chaykh Sid El Abbas, le père de Sidi Hamza, le Chaykh actuel de la Tariqa. Cette Voie se nomme «  Qadiriya » par référence à Moulay Abdelkader Al Jilani, maître soufi qui vécu à Baghdad au 12ème siècle.

Une Voie spirituelle se présente  comme un chemin de retour à soi et à Dieu.Au cours de ce voyage initiatique sur la  « voie » de la perfection soufie, les «faqirate » et les «  foqara » - ces femmes et ces hommes ivres de Dieu-  doivent passer par plusieurs étapes appelées « ahwâl »pour atteindre les stations spirituelles appelées « maqâmât »,  Ces diverses étapes de la voie soufie, sont sensées conduire au dévoilement progressif et à la purification des coeurs.

 

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Faouzi Skally en campagnie de Sidi Hamza

La tariqa Boutchichia auquelle est affilié Monsieur Ahmed Tawfiq, l'actuel ministre des Affaires religieuses, est une pepinière d'intellectuels de haut niveau tel Faouzi Skally, auteur de nombreux ouvrages sur le soufisme et ex- directeur du festival des musiques sacrees de Fès.

La Tariqa, ou « voie soufie » s'inscrit dans une chaîne ininterrompue de maîtres spirituels, héritier chacun de ce secret, jusqu'au Prophète de l'Islam et, à travers lui, toute la chaîne des Saints et des Prophètes antérieurs. Le Shaykh Sidi Hamza est actuellement considéré par ses disciples, comme un « Maître vivant », le représentant authentique d'une tradition vivante du soufisme, voie de la réalisation intérieure en Islam. Le soufisme plonge ses racines dans le Coran, riche en allégories qui nourrissent la méditation silencieuse des soufis. Parmi les sourates qui jouèrent un rôle privilégié dans la méditation soufie, la « sourate de la lumière » est l'une des plus importantes et des plus belles :

Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un verre pareil à un astre étincelant qui s'allume grâce à un arbre béni : un olivier qui n'est ni de l'Orient ni de l'Occident et dont l'huile brillerait sans qu'un feu la touche, ou peu s'en faut.Lumière sur lumière.

Le thème de la lumière est une des constantes de l'enseignement soufi, comme du Coran : « Dieu dirige vers la lumière qui il veut. »

C'est elle qui pénètre dans les cœurs qui s'ouvrent à Dieu. Elle se présente chaque fois comme une force spirituelle, un appel à la vie intérieur.

Sidi Mounir, fils du maître spirituel de la tariqa Boudchichia nous déclare à ce propos : « Le Tassaouf tel qu'il a été défini par les soufis, depuis l'envoyé d'Allah - que la bénédiction soit sur Lui - est d'être d'une vertu noble, laissant de côté toute bassesse. Le Tassaouf , c'est comment le musulman peut-il s'accomplir à travers les relais de l'Islam. C'est-à-dire se réaliser par le perfectionnement religieux et soufi. Travailler à l'éducation spirituelle du musulman pour l'élever aux hautes sphères mystiques. Depuis l'adhésion à l'Islam qui s'accomplit par la langue, en passant par la foi et l'adhésion du cœur, jusqu'à la station du bienfait qui est la sphère de l'adoration sincère d'Allah : que tu prie Allah comme si tu le vois, car si tu ne le vois pas, Lui, il te voit.Le Tassaouf, n'est pas un intrus en Islam, comme le sous entendent les orientalistes, qui ont écrit dans nombre de leurs livres et recherches, que «  le Tassaouf est une simple rose dans un désert stérile ». Ils voulaient ainsi dépouiller l'Islam de cette dimension spirituelle essentielle qui est au fondement des vertus morales. C'est l'envoyé d'Allah - que la bénédiction soit sur Lui - qui est considéré comme le modèle parfait et la miséricorde accordée. Il est l'exemple même dont les soufis suivent la trace dans leur méthode. La définition du Tassaouf dérive également de cette citation coranique :« Et tu es certes d'une  moralité imminente  », comme se plait à la citer le guide spirituelle de la Tariqa Qadiriya Boutchichia Sidi El Haj Hamza, qu'Allah lui accorde longue vie. La vérité du Tassaouf réside dans la sincérité de l'adoration d'Allah le plus haut . A en croire Shaïkh Zerrouq, le soufi marocain, on compte plus de deux mille définitions du Tassaouf , qu'on peut subsumer en une seule : le fait d'être sincère dans l'adoration d' Allah. »

L'une des obligations de l'adepte est d'accomplir jour et nuit le  wird de la tariqae . Cela consiste à égrener au chapelet continuellement les beaux noms  d'Allah. Le Wird est le premier type de Dhikr que reçoit le disciple lorsqu'il s'engage dans la Voie. Celui-ci est constitué d'un ensemble d'invocations, que le Guide communique à son disciple.C'est la mention incessante de Dieu, l'oubli de tout ce qui n'est pas Dieu : « Remémores (udhkur) ton Seigneur quand tu auras oublié. ». Selon Ibn Âta' Allah « le Dhikr est un feu. S'il entre dans une demeure, il dit : c'est moi, non un autre ! S'il y trouve du bois, il le brûle, s'il y trouve des ténèbres, il les change en lumière ; s'il y trouve de la lumière, il y met lumière sur lumière ».

Encore lui , Sidi Mounir le lumineux :

« On peut éclairer la question relative au maître spirituel - considéré comme signe d'Allah le très haut - en le comparant au  miroir pur qui  reflète la vérité du musulman. Dans le sens où le Prophète, dit : « le croyant est le miroir du croyant ». De nombreux autres dits du Prophète confirment cette fraternité en Allah. La question qui se pose est la suivante : Pouvons nous atteindre la station de l'adoration par la science positive ? Une question que chacun de nous peut se poser, étant donné que la crainte de Dieu est une question d'intériorité, qui nécessite la foi, laquelle réside dans les cœurs.« La foi, elle est ici, elle est ici, elle est ici » disait l'envoyé de Dieu en désignant son cœur. Et ce cœur, il faut le purifier. Et je le répète, cette crainte de Dieu n'atteint que les esprits qui se sont intéressés à cette dimension spirituelle, qui est à la source de toute dévotion et de tout amour Divin. La science positive est acquise - chacun peut l'acquérir, qu'il soit musulman ou athée. Au point qu'à l'Université de la Sorbonne, il y a des professeurs qui maîtrisent la langue arabe ainsi que les sciences islamiques. Mais peuvent-ils  pour autant atteindre la station de la crainte Divine grâce à leur savoir ? La réponse est non ! La science dont il s'agit  ici est la science du cœur auquel l'envoyé de Dieu avait fait allusion par ce dit :

« Il y a deux sortes de sciences : une science dans le cœur, et c'est la science utile. Et une science dans la langue et c'est la preuve que donne Allah aux fils d'Adam. »  Le compagnon ici est celui qui conduit à Dieu. Celui dont le Prophète a dit :« Il y a parmi les hommes des clés pour se remémorer Allah. Quand on les voit on se rappelle Allah ». Par conséquent le but du compagnonnage du guide spirituel est de  t'indiquer et te faire connaître Allah, l'ineffable et le très haut. Ce compagnonnage spirituel est un devoir en Islam. Dis-moi qui accompagnes - tu, je te dirai qui tu es. »

La personnalité du soufi est comme possédée et volatilisée par Dieu. Le « choc mental » devient expérience d'une présence de Dieu nous dit Ghazali :« Les états d'extase divine, c'est Dieu qui les provoque tout entiers. L'extase, c'est une incitation, puis un regard qui croît et flambe dans les consciences. Lorsque Dieu vient l'habiter ainsi, la conscience double d'acuité. C'est un état modifié de conscience. Une transe. La conscience se tourne alors vers une Face dont le regard la ravit à tout autre spectacle.De bonne heure, ces séances évoluèrent vers le type du « concert spirituel » ou « oratorio »(samâ') : développant la partie « affections » de la méditation collective.Sidi Mounir, encore lui, toujours lui :« La Tariqa Qadiriya Boutchichia suit la Voie des congrégations mystiques dont la méthode est fondée  sur le Livre et la Sunna . Ainsi que sur  la conduite des compagnons du Prophète. Elle inculque l'amour du Prophète à ses disciples.Les soufis ont insisté sur cet aspect : la purification des cœurs et des âmes, pour consolider les vertus morales : les valeurs de tolérance , les valeurs d'amour, les valeurs de miséricorde. Les compagnons du Prophète suivaient en cela le modèle de leurs vertueux devanciers. Le Prophète, prière et bénédiction sur Lui, disait :

« Je suis la Cité des justes, et Omar est sa porte. »

Et concernant  Othmane, il disait :

« Je suis la Cité de vie, et Othmane est sa porte ».

Et de la sincérité, il disait :

« Je suis la Cité des sincères, et Abou Bakr est sa porte ».

Les compagnons  voyaient leurs états modifiés, chaque fois qu'ils quittaient les séances du Prophète. Ils vivaient alors dans une sorte d'égarement, quelque chose s'introduisait dans leur cœur les empêchant de ressentir la suave saveur de la foi, telle qu'ils la ressentaient en présence du Prophète, ou lors des séances du Dhikr. »

L'extase est un effet de la présence de Dieu. Mais l'âme au terme de son ascension mystique, peut ne plus avoir besoin de ces effets extérieurs de ravissement. Sa capacité d'amour s'est suffisamment agrandie, et maintenant

« la ferveur tout entière n'est plus que paix et amour suave. »

En Islam, le thème servant à exposer l'expérience mystique, c'est le cadre de l'ascension Nocturne :

« On sait, écrit Massignon, le rôle central de cette « extase » où Mohammed crut être transporté de la Mekke, d'abord sur l'emplacement du Temple(détruit)de Jérusalem, puis, de là, jusqu'au seuil de l'inaccessible Cité Sainte, où la gloire de Dieu réside. Cette visite, en esprit, de Mohammed à Jérusalem, est mentionnée en ces termes par la passion du Hallaj :« Celui qui cherche Dieu à la lumière de la foi est comme celui qui guette le soleil à la lumière des étoiles »

"O Nuit, que tu te prolonges ou que tu t'abrèges, ce m'est un devoir que te veiller. » s'est écrié un jour Shoshtarî, le maître des chantres du Samaâ.« La descente de Dieu ici - bas, chaque Nuit, pour réconforter les âmes ferventes », ce hadith est pour les mystiques, un symbole de la grâce. Dans son « Diwan », Hallaj écrit :

« L'aurore que j'aime se lève la nuit, resplendissante, et n'aura pas de couchant ». La « Laylat el Hajr » de Hallaj paraissant viser la nuit de l'esprit, sous d'autres symboles : l'oiseau aux ailes coupées, le papillon qui se brûle, le cœur enivré de douleur, qui reçoit.

Abdelkader Mana

03:57 Écrit par elhajthami dans religion | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : religion, soufisme, spiritualite, tariqa boudchichia | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

28/04/2010

Les Regraga revisités(1ère partie)

Les Regraga revisités

Première partie

 

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Abdelkader Mana

Essaouira, Jeudi 9 avril 2009.


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Au levé du jour je quitte la ville encore endormie: non loin de l'horloge je croise mon frère Majid , puis une mouette sur le parapet de la baie...Deux pêcheurs à la ligne se rendent sur l'île aux pigeons, tandis que je m'en vais à la chasse aux images du printemps....

je décide en catastrophe de rejoindre les Regraga coûte que coûte à la 22ème étape, celle de Sidi Aïssa, patron du serment et du poteau central: je compte les accompagner le plus longtemps possible pour prendre des photos, enregistrer des interviews, prendre des notes. Le daour n’attend pas : il tourne comme l’horloge inexorable du printemps. En attendant, je rate la vie....Je ne sais pas si j’ai toujours la forme pour suivre le daour, mais je ne peux plus reculer maintenant...

Départ de l'étape de Sidi Aïssa, le samedi 11 avril 2009

Tôt le matin, je quitte Essaouira pour rejoindre les Regraga. Une fois à l’étape de Sidi Aïssa, je loue les services d’une carriole pour rejoindre le daour car ils sont déjà partis loin en direction de l’Est. Le dédoublement d’Aïssa souligne les deux épicentres du daour : à l’Est, Aïssa Moul l’Outed, étai de la khaïma, est aussi le symbole de la charrue qui sarcle le printemps tandis qu’à l’Ouest, au bord de l’oued Tensift, Aïssa Bou Khabia porte la gargoulette débordante pour étancher la soif des champs. Je prends mes premières images.

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Le propriétaire de la cariole prépare mon départ vers la zaouia de Merzoug où a lieu le Daour

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Nous quittons Sidi Aïssa en direction de Merzoug

Pour désenclaver le pays rural, une nouvelle route est en construction. Nous y croisons une cariole en provenance du daour : l’accès sera désormais bien plus aisé au pèlerins mais j’ai comme un regrêt pour les sentiers muletiers de jadis qui me semblent bien plus lumineux et poètiques.L’espace mythique parcouru à pied et à dos-d’âne était intensément vécu, arpent par arpent, jusqu’à l’épuisement du corps. La vitesse des villes engendre le stress, le déhanchement des chameaux nomme chaque arbre et chaque pierre.

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Sur notre chemin nous croisons d'autres carioles

On voit que les Regraga sont déjà loin, car on ne moissonne qu’après le passage, de ces « transporteurs de baraka ».On crois que là où ils passent est fécond, et que là où ils ne passent pas, reste stérile.

Cette lumière offerte au saint devrait illuminer l’obscurité de la tombe :

Vieillard comme le blé déjà mûr,

Voilà le temps des moissons qui arrive !

Dieu ! Que faire la dernière nuit de la solitude ?

Lorsque toute lumière s’éteint sauf la tienne !

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Sur notre chemin nous croisons des moissoneurs: les moissons commencent toujours après le départ du daour

On traverse la vallée dorée, parsemée de coquelicots. Les chants d’oiseaux contribuent à faire pousser le maïs. La tige du blé, les oiseaux et l’hyène sont souvent utilisés comme métaphores poétiques dans le chant berbère :

« Le jour de la moisson, la tige était sans graine

Et la jeune fille sans hymen

Les oiseaux n’ont laissé que la paille

Et au grand jour la jeune fille était proie à l’hyène. »

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Nous nous approchons de l'étape de Merzoug au milieu des champs dorés

Après avoir traversé des champs dorés, nous sommes accueillis en prière par le nouveau jeune moqadem à l’étape de Sidi Mohamed Marzoug où est arrivé le daour. Dés mon arrivée en carriole à cette étape ,le nouveau Moqadem de la khaïma m’apprend la mort de mon ami Driss Retnani en 2007 : juste avant de mourir, celui-ci aurait vu un chameau le poursuivant en rêve. Rêve prémonitoire, mauvais présage: ne dit-on pas qu’il faut toujours se méfier du makhzen, du chameau et du temps ?« La vie est ainsi faite : il y a ceux qui partent et ceux qui leur succèdent. » Me dit le jeune nouveau moqadem de la khaïma.

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Comme à toutes les étapes, un parc forain nous accueille avec ses norias tournoyantes et autres manèges. Dans l’enceinte sacrée où se déroulent les rituels, s’oppose l’espace forain de la fête qu’animent les chikhates et les zaffana. Mais en même temps, cette enceinte sacrée est aussi une enceinte de souk – le souk du barouk.: chikhates et zaffana , qui sont les porteurs ambulants de l’Eros, sont aussi dispensateurs de baraka. Ils occupent les espaces forains et hantent les nuits des hameaux.


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Le terme daour est ambivalent. Tantôt, on l’utilise pour désigner l’ensemble du pèlerinage circulaire ; il a alors la même connotation eb français que l’exxpression « faire un tour » avec l’idée de revenir au point de départ. Tantôt on l’utilise pour désigner chacune des étapes (à tour de rôle) qui se déroule autour du patron de chacune des tribus Chiadma. C’est une succession de moussems printaniers. Il faut distinguer le jour de la Safia qui se déroule la veille de l’arrivée des Regraga : les fellahs y font des achats pour préparer les offrandes, alors que le jour du daour est sacralisé par la présence des Regraga.

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Le souk du barouk, avec ses tentes, ses bouchers et autres marchands de fruits secs, ses immenses roues et autres jeux forains, ses musiciens ambulants et autres dresseurs de singes.
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Un fellah me dit :

-Le daour des Regraga est le pèlerinage du pauvre, haj el maskine.

Les tentes et les jeux forains campent dans un lieu en friche au sommet d’un plateau couvert de palmiers nains et de genêts, qu’on appelle « la hutte des esclaves », kharbate laâbid.
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Je monte par un escalier étroit au premier étage d’un édifice où se trouve un café plein de rusticité et de charme ; des fenêtres s’ouvrent au niveau des nattes et donnent sur le parc forain d’où viennent les rumeurs de la foule et les sollicitations du haut parleur :

- Dites aux parents des filles qui n’ont pas encore l’oreille trouée que le perceur d’oreilles est arrivé de Casablanca !

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Comme dans tous les souks, on voit les fellahs enturbannés s’affairer  au milieu des barbiers, des bêtes, des sacs de légumes, de menthe ou achetant la viande encore toute chaude, tant le chemin entre l’abattoir et le boucher est court.
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Dattes, sel, figues, rameaux de genêt ou d’olivier, etc…Le barouk est un objet qu’on achète autour du sanctuaire le jour du daour et qui représente plus que sa réalité déjà connue, parcequ’il incorpore l’énergie mystique de la baraka. Le daour est aussi pour les femmes l'occasion de renouveler leurs ustensils de cuisine, en particulier le couscoussier qui fume le tendre céréal du printemps.


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La khaïma semble décimée par la vieillesse et la mort !

À hauteur de la khaïma, le sympathique Moqadem de Talmest, l’un des derniers survivants de l’ancienne génération, m’annonce que l’exubérant personnage a remplacé son frère en tant que grand Moqadem :

-. Les Moqadem ont changé, les temps ont changé, me dit-il. Si Mohammadane, a remplacé cette année son frère aîné Si Mahmoud en tant que grand Moqadem.

La khaïma, est complètement décimée : la plupart des moqadem que j’ai connu au début des années 1980 sont soit morts ou se sont retirés en raison de la vieillesse ou de la maladie. Le corpulent et loufoque « mythologue » que j’ai connu avec Georges Lapassade dans les années 1980, a complètement disparu du daour , probablement pour raison d’âge. Mon ami, le fquih Si Hamid Sakyati est mort et son homonyme, l’ancien Moqadem de la khaïma, aurait, quant à lui, accompagner le daour juste pendant quelques étapes avant d’abandonner la partie définitivement cette année en raison de la fatigue et de l’âge. Il, serait parti à l’étape d’Akermoud, après avoir parcouru tout le premier cercle qui se déroule au Sahel mais pas celui qui est maintenant en cours dans la kabla.

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Aux abords de la khaïma le sympathique moqadem de Talmest m'accueille. Talmest, une des principales zaouia des Regraga. La racine de ce nom est le mot Talmas qui veut dire « touché », « frôlé » par un djinn. Les descendants de cette zaouia ont le don de guérir les possédés.

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Le chamelier de la khaïma a lui aussi succédé à son père décédé depuis peu :

-Que Dieu ait en sa sainte miséricorde Si Abdellah votre père, lui dis-je..

-Il est mort en 2005.Me précise-t-il.

-L’année où a décédé ma mère.

-Le 12 janvier 2005.

-L’hiver donc.

-Au tout début du mois lunaire du pèlerinage et du sacrifice.

-Etait-il malade ?

-Pas du tout. A notre retour du souk, après avoir bu un verre de lait, il s’est éteint tout simplement.

-C’est toi maintenant qui le remplace en tant que chamelier de la khaïma ?

-Oui.

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-Qui vous a accordé le chameau cette année ?

-Un bienfaiteur de la zaouïa des Aït Baâzzi. Cela fait quatorze années qu’il nous accorde le chameau.

-Ce n’est pas plutôt quelqu’un des Oulad El Haj ?

-Chez ces derniers, c’était le fils d’El Mouârrid qui nous accordait le chameau. Il y avait aussi notre voisin le fils du caïd Rha. Ainsi qu’un marchand de poteries des Oulad Aïssa.

-Combien d’années les Oulad El Haj vous accordaient-ils le chameau ?

-De 1974 à 1984.

 

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-Lors de ma première visite aux Regraga en 1984, c’était encore les Oulad El Haj qui accordaient le chameau et depuis 1985 ?

-Le fils du caïd Rha et ce pendant trois bonnes années successives. Puis vint le tour du marchand de poterie des Oulad Aïssa pendant deux années . Et à partir de 1996, c’était le tour de quelqu’un des Aït Baâzzi de nous faire grâce du chameau qui transporte la khaïma..

-Un grand propriétaire terrien ?

-Pas du tout. Seulement la baraka. Une grande baraka.

Désignant le chamelier, Korati Lahbib me dit :

- Son père était chamelier de la khaïma, son grand père l’était aussi, et quand il mourra, son fils prendra le relais : une chaîne ininterrompue jusqu’à ce que Dieu hérite de la terre et de ce qu’elle contient !...

-Que Dieu vous bénisse Sidi Abdelkader ! S’exclame le chamelier pour clore l’entretien.



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Tout en faisant partie du clan de la khaïma ,le moqadem de Talmest et sa suite font bande à part, sous une autre tente en toile.

Le soir du jeudi 13 avril 1984, je notais à propos de ce brave moqadem de Talmest: le moqadem de Talmest, brave homme corpulent et rougaud, fait preuve d’une érudition surprenante, me compare à Mokhtar Soussi, ce théologien ethnologue du Sous qui décrivit en plusieurs volumes le miel des choses. Le moqadem de Talmest m’encourage à poursuivre dans la voie de l’exploration. Ces gens ne savent peut-être pas que je suis moi-même mû par le désir d’échapper à la toile d’araignée qui se tisse sur l’histoire immobile des villes.

 

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Les pèlerins tourneurs du printemps en état de repos.

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Après avoir commandé un tagine de bouc à l’huile d’argan au cafetier, on passé la nuit sur une natte.

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Jusqu'aux abords immédiats du daour, les champs dorés attendent le départ des Regraga pour être moissonés.

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Quelques membres de la Khaïma en conciliabule.

Les Moqadem de la khaïma sont réunis sous la tente de Talmest autour d’un verre de thé. Trop sucré pour moi. On m’y apprend que mon compagnon de route au daour de 1984 , le sympathique Moqadem de la zaouïa d’Aghissi, aux allures de paysan berbère qui se frottait le dos à de lisses roches pour « alléger ses os », n’est plus.:

- Il est mort chez nous à Talmest, me dit maintenant le noiraud muletier. Les anciens sont tous morts. Seul Bellarbi le Moqadem de Talmest continue à tourner avec nous. Telle est la volonté de Dieu. De plus jeunes Moqadem prennent le relais comme de nouvelles pousses qui arrivent avec ce printemps...

- On s’entraide pour que tout se passe bien dans le daour. Ajoute Korati Lahbib qui faisait partie des novices et qui fait maintenant partie des dignitaires de la khaïma. Et d’ajouter : Lapassade voulait que je lui donne 10% de mes connaissances sur les Regraga, mais par la grâce de Dieu, je ne lui ai pas vidé mon sac !

 

 

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On prie pour la réussite de mon entreprise. Suite des prières:

Il me parle ensuite du Chérif Regragui qui veut rééditer mon livre et qui reste injoignable en raison de l’effet « hors zone » :

- Une fois que nous aurons atteint le réseau à l’étape de Mrameur, je lui ferai des prières par téléphone portable ! Depuis Sidi Boulmane jusqu’ici à Merzoug, il n’y a pas de réseau. Nous allons bientôt monter à Lalla Beit Allah : si j’y trouve le réseau, je lui enverrai mes prières...Il serait bien pour le chérif d’amener ses sacrifices et de planter sa tente à l’ombre des grenadiers et des oliveraies de Moul  Ghirane (le patron des grottes) qui se situe au lit d’un oued . Sidi Saïd Sabeq est également une bonne étape, de surcroit les Regraga y restent deux jours.

- J’aurai préféré pour ma part que ce cérémoniel ait lieu à Sidi Hmar Chantouf, rien que pour rendre hommage à Si Hamid Lachgar le Moqadem de Tikten, mort en 2007 le jour même où le roi s’était rendu à cette localité pour y inaugurer la nouvelle route ainsi que l’électrification rurale de nombreux villages.

- Je prie pour que tout ce que tu écrives ait du succès et que toutes les portes te s’ouvrent ! Tu ne connaîtras pas d’obstructions incha Allah !

- J’en connais pourtant : depuis plus d’un an maintenant que mes émissions sont suspendues à 2 M ! On m’y a coupé eau et nourriture !


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Korati Lahbib met alors ses mains sur ma tête et se met à égrener les noms des  44 étapes, à en appeler à leurs bénédictions pour que les nœuds qui bloquent ma vie soient dénoués. J’ai alors brusquement compris que la suspension des documentaires ethnographiques que j’anime à la deuxième chaîne marocaine vient d’une élite moderniste qui refuse de se voir au miroir d’un Maroc qui continue à porter ses vielles babouches. J’en paye maintenant le prix. Exorbitant !  Mon compte  est  aussi sec que la famine du Sahel !

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Les pèlerins présentent leurs offrandes à la khaïma.

La khaïma figure la caverne des sept saints mais aussi la voûte céleste et son étai figure l’axe du monde. On dit des sept saints qu’ils sont les aoutades (étais) de la foi musulmane ; leurs âmes se libèrent avec la mue du printemps ; c’est pourquoi ils doivent être apaisés par des sacrifices et des offrandes. La fiancée s’oppose à la khaïma comme le féminin au masculin, le blanc au rouge, la nuit au jour.  On tresse chaque année une nouvelle khaïma pour contribuer magiquement au renouvellement de la nature. Elle est tressée de racines de doum (palmier nain) qui participent à d’autres rites de renouvellement du foyer, rapporte Laoust :« Dans certaines régions, on fait aux bestiaux une litière de plantes vertes, on offre du lait et des tiges de palmier-nain dont on mange le cœur : l’année serait ainsi douce comme le lait ou verte comme le palmier-nain, et cela en particulier durant la fête d’Ennaïr qui semble surtout se rattacher aux rites de renouvellement du foyer, bien connus dans un certain nombre de religions où ils ont toujours lieu au commencement de l’année. »

 

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En attendant le départ vers la nouvelle étape, l'écuyer de la taïfa lave son turban à la citerne de la mosquée de Merzoug

Se tenant debout à la margelle de la citerne de la rustique mosquée de Merzoug  l’écuyer de la taïfa est en train de laver  son turban des poussières et des sueurs accumulées lors des précédentes étapes. Il a lui aussi succédé au vieil écuyer, que je surnommais « Sancho pansa » toujours sur son âne derrière la fiancée de l’eau sur sa jument blanche : la quête de la baraka fait ici office de moulins à vent ou de moulins à prière. C’est selon. Je  lui demande de me rappeler l’étape où on s’est rencontré la dernière fois :

 

- A la zaouïa d’El Qotbi.

- Elle se trouve où ?

- Chez les Oulad El Haj.

- Et c’était en quelle année ?

- 2005.

 

C’est là que j’avais effectivement rejoins le jeune Manoel  Penicaud qui suivait le daour pour les besoins de son livre qui paraitra plus tard aux éditions de la renaissance sous le titre « dans la peau d’un autre ». Je l’avais introduit auprès des Regraga lorsqu’il était venu me voir avec Falk Van Gaver en 2002 à Casablanca :  tous deux m’avaient accompagné aux fêtes du Mouloud chez les Aïssaoua de Meknès et les Hamadcha de Zerhoune, avant de rejoindre les Regraga  à l’orée du printemps.

 

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La mosquée de Merzoug où bientôt se déroulera la distribution des offrand

A la mosquée, la prière et la paix. On entend les rumeurs du printemps. Puis brusquement des you-you : dehors les offrandes arrivent en file indienne à la petite place lumineuse de la mosquée.

 

 

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On peut se demander si ces énormes plats de couscous garni ne préfigurent pas la table servie, et si les treize moqadem ne préfigurent pas les douze apôtres de la table ronde plus Aïssa (Jésus) puisqu’ils disent justement être les haouariyounes (apôtres) dont parle le Coran :Les apôtres dirent :

Ô Jésus fils de Marie !

Ton Seigneur peut-il du ciel faire descendre sur nous

Une table servie ?

Jésus fils de Marie dit :

Ô Dieu notre Seigneur !

Du ciel fait descendre sur nous une table servie !

Ce sera pour nous une fête et un signe venu de toi

Dieu dit : Moi en vérité, je la fait descendre sur vous,

Et moi en vérité, je châtierai d’un châtiment dont

Je n’ai encore châtié personne dans l’Univers,

Celui d’entre vous qui restera incrédule après cela.


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1. Un Fellah me dit :

« La gasâa revient cher, les pauvres serviteursse cotisent entre eux pour la préparer ». Mais le chef de la puissante tribu des Oulad-el-Hâjj, offre le chameau qui porte la tente sacrée et prépare à lui seul « 40 Gasâa pour nos seigneurs les Regraga ».

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Selon une vieille légende : « Les Regraga pratiquaient la pêche en mer avec des olives piquées à des hameçons. Apparut Sidna Aïssa, il demanda à ces hommes de le suivre. Ils partirent et en route ils eurent faim. Sidna Aïssa se mit en prière et, à deux reprises, une table descendit du ciel ; une première fois avec du raisin et du pain, la seconde fois avec du poisson du sel et du pain. Ces miracles convainquirent les Regraga et ils se firent chrétiens. Ils se vêtirent désormais de blanc, se chaussèrent avec du doum tressé et prirent comme chef un apôtre : Chamoun (Simon). Une basilique fut édifiée au bord de l’oued Tensift. Les Regraga vécurent quelque temps en paix, faisant sans doute du commerce avec les Romains de la côte comme les Zegrenzen plus à l’Est le faisaient avec ceux de Volubilis – un descendant de Chamoun Ouadah (Judas) fut le dernier souverain chrétien qui régna sur toute la région du Tensift. »

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Prière pour que les vœux soient exhaussés. Puis distribution des offrandes aux différentes zaouïas. D’ordinaire ces distributions symbolisent les rapports sociaux de protection entre les tribus-servantes Chiadma et les tribus- zaouïa Regraga mais ici il s’agit plutôt d’échanges de dons et de contre dons entre les zaouïas elles-mêmes : aujourd’hui, c’est la zaouïa de Marzoug qui offre la mouna aux autres zaouïas . Donc à chaque fois qu’on arrive à une étape – zaouïa, c’est celle-ci qui assure la provision des autres zaouïas : comme elle a été reçue par les autres zaouias dans les étapes précédentes et comme elle sera reçue par elles au cours des étapes suivantes, la zaouïa de Merzoug ;  doit à son tour les recevoir à cette étape.

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La mouna, ces énormes plats de couscous garnis qu’on offre aux Regraga se compose d’un plat de noyer gasâa qui peut mesurer jusqu’à deux mètres de diamètre contenant plusieurs quintaux de semoule et qui est tellement lourd qu’on le porte à plusieurs grâce à un filet de corde.Tous les plats de couscous se ressemblent, sauf que la gasâa des Regraga se distingue par sa nouara (fleur) : c’est l’agneau fumé. Les étoiles et arc-en-ciel qu’on dessine grâce aux fruits secs et aux mottes de beurre frais. Le cœur de la « fleur » est formé par des galettes de sucre multicolores.
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Les Regraga revisités (2ème partie)

Les Regraga revisités

Deuxième partie

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Abdelkader Mana

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Après la distribution des offrandes, départ de l'étape de Merzoug ver Lalla Beit Allah

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J'aperçois l'ecuyer de la taïfa et je cours après lui pour le rattraper.

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Le départ de la « fiancée » précède toujours celui de la khaïma. J’ai entraperçu furtivement à la sortie de Merzoug  la jument blanche guidée par l’écuyer de la taïfa. C’est le signale du départ vers une nouvelle étape.

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Abdelhaq, le jeune Moqadem de la taïfa  qui a remplacé son père m’a très bien accueilli. Je vais l’accompagner jusqu’à la prochaine étape de lalla Beit Allah. Quant à mes affaires, je les ai laissées aux gens de la khaïma.

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Je cours après la taïfa et son moqadem sur sa jument blanche

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Le moqadem de la taïfa en prince d'andalousie....Abdelhaq, le jeune moqadem de la taïfa, qui a remplacé son père Ahmed, m'a trés bien accueilli.Je vais continuer sur ce pas jusqu'à Lalla Beit Allah.

En avant toutes vers la nouvelle étape

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Bénit soit le printemps traversé par la fiancée de l'eau!

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Le jeune Moqadem demande à la taïfa de continuer sans lui et attends en contrebas du puits qu’on lui apporte à boire.
Je demande à boire à mon tour :

- L’eau est-elle bonne ?

- Bien sûre, me dit-on, c’est une eau bénie par les chorfa et leur barouk.

Je montre les images prises à celui qui me donne à boire :

- Ceci est l’ombre de la jument blanche.

- Les images sont belles me dit-il.

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Longue est la route du daour

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Bénis sont les champs traversés par les Regraga. La taïfa estr déjà loin et je peine à la rattrapper.Derrière, il n'y a plus rien.Ils laissent derrière eux le vide absolu.Et le printemps. Et devant eux Lalla Beit Allah.La prochaine étape. Ils disent que juste après leur passage, considéré comme une bénédiction des champs, on commence les moissons.Et effectivement, onb voit que les champs sont déjà mûrs avec de lourds épis.

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Tandis que je visionne au bord du puits mon journal de route en images ; ils sont déjà très loin. Derrière, c’est le vide : il n’y a plus rien. Ils laissent derrière eux, le vide absolu. Et le printemps. Et devant eux ; lalla Beit Allah ; la prochaine étape. Il faut que j’aie le courage de les rattraper pour prendre quelques belles images. Ils sont déjà si loin et moi, loin derrière en train de courir au milieu des champs de blé. Ils disent que juste après le passage de la fiancée de l’eau et des gens de la caverne, on commence à moissonner. Et effectivement, je vois que les champs de blé sont déjà mûrs avec de lourds épis.

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Une jeune fille est arrivée au travers champs, avec d’autres femmes de sa famille et a remis à la fiancée de l’eau une bougie et s’est faufilée en dessous du ventre de la jument blanche : on pense que c’est un rite de passage pour pouvoir se marier l’année en cours.C’est une jeune nubile qui a besoin d’un mari.
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Un peu plus loin un autre groupe de femmes attendent l’arrivée de la fiancée de l’eau sous un arganier verdissant.

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Une jeune maman présente son bébé à bénir par la fiancée de l’eau. On a l’impression d’une scène biblique : la bénédiction de la naissance d’un bébé, comme ce fut le cas pour Jésus fils de Marie.
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Alors que je cours derrière la taïfa, j’ai raté son passage sous un gigantesque figuier sacré. Et brusquement, derrière moi, j’entends :

- Ah, Si Abdelkader !

En me retournant, je reconnais sur son mulet, le sympathique Moqadem de Talmest qui vient de nous rattraper. Il fait partie des survivants de l’ancienne génération des Moqadem de la Khaïma. Je lui prends une photo même à contre jour. C’est un ami, un très ancien ami. Je viens de recevoir un message, mais je suis hors zone, hors du monde, hors d’atteinte : lors de ma première visite aux Regraga en 1984, il n’y avait ni portable, ni appareil photo numérique. On est en train de construire une route pour désenclaver cette région. Mais nous marchons si heureux maintenant par les sentiers muletiers. J’ai du mal à suivre, puisque même un vieillard me concurrence sur cette voie.Avec son mulet le Moqadem de Talmest n’est pas resté derrière la taïfa ; il les a devancé, pour partir plus loin, ailleurs. En tous les cas ne pas aller derrière eux, ne pas être avec eux, parce qu’il fait partie du clan adverse de la khaïma.

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Sur le sillage de leur trajectoire ; les Regraga dessinent sur l’espace géographique des Chiadma deux énormes roues qui semblent reproduire une constellation cosmique sur la terre. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’une des tribus s’appelle justement  Njoum : les étoiles.La première roue se fait dans le Sahel (côte) et suit le mouvement apparent du soleil (Est-Ouest). La seconde roue se fait dans la Kabla (continent) et suit le mouvement inverse. Elle est placée sous le patronage de Lalla Beit Allah pour laquelle l’invisible aurait bâti un temple à douze piliers au sommet du mont Sakyat et dont la coupole rappelle étrangement le sein fécond de la nouvelle mère. La nuit de la pleine lune  vestige d’une antique « nuit de l’erreur » ? , les femmes y passent une nuit d’incubation permettant par sa baraka nocturne la fécondation du maïs et des êtres stériles. Après le départ des pèlerins, les pèlerines restent le lendemain pour une journée de « Lama » où la transe efface la culpabilité et favorise le repentir
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le jeune moqadem de la taïfa marque une pose et je m'empresse de lui prendre un portrait
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L'ecuyer fauche du blé tendre pour la jument blanche

Le dicton chinois : « Troupe et chevaux sont là, mais vivres et fourrages ne sont pas prêts », n’a pas de raison d’être ici : pour le chameau de la tante sacrée comme pour les 13 mulets des moqadems, on fauche le blé sur les chemins de parcours avec parfois l’encouragement du propriétaire du champ : Dieu récompensera, ce qui a été perdu !

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A grandes enjambées la procession se remet en marche vers Lalla Beit Allah. Il est cinq heures trente, l’étape est très courte et nous laisse encore assez de temps avant le coucher du soleil. A mi-chemin du sommet de la montagne, je rejoins le moqadem de la taïfa. Turban immaculé, barbe noire, mots rares, la silhouette imposante de ce fellah rusé contraste avec la petitesse de l’âne qui le porte. Superbe, le dialogue dans cette brise du soir qui envahit ces hauteurs, alors que tout en bas, à califourchon sur leurs bêtes de somme, les gens de la khaïma entament à peine leur ascension.

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Brusquement lalla Beit Allah, avec sa coupole blanche reconnaissable de loin, de l’autre côté, sur l’autre sommet de la montagne. Apparition lointaine dans l’immensité où tout se perd dans l’infini que surplombe un brouillard lumineux. L’appareil n’a plus de charge ; je ne peux plus prendre de photos, mais le plaisir est pour moi. Le fait d’être ici dans le sillage de mes amis. Plus de vingt ans après, je reviens à lalla Beit Allah. La première fois que j’y suis venu remonte à 1985, c’est si loin, c’est trop loin. La marche au pas pressé dans la nature est en soi une bénédiction.On contourne le flanc de la montagne : on voit déjà de l’autre côté le pick-up pris par les gens de la khaïma, en train de rejoindre lalla beit Allah.Je suis venu avec les moyens du pauvre : magnétophone, appareil photographique numérique avec une seule charge, mais l’essentiel est de participer, d’être là, d’avoir un peu de baraka.

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Nous nous approchons de Lalla Beit Allah

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L'arrivée de la taïfa à Lalla Beit Allah

Au seuil du temple, la « fiancée » est accueillie exclusivement par les femmes. Certaines d’entre elles arrachent les poils cendrés de la jument sacrée au risque de recevoir quelques coups de sabots alors que certaines passent trois fois sous son ventre. Lalla Beit Allah est probablement une ancienne déesse berbère devant laquelle se déroulaient les fiançailles collectives qui étaient sensées féconder le maïs. Nous avons retroué au sommet du Djebel Hadid une fiancée mégalithique (laâroussa makchoufa) à la forme phallique et qui a pour fonction de féconder la terre nourricière.

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Les femmes s'empressent pour recueillir les bénédiction de la fiancée de l'eau à Lalla Beit Allah.

Arrivée de la « fiancée de l’eau »  à Lalla Beit Allah.Les femmes l’accueillent par des you-you strident, tandis que   les membre de la taïfa l’accompagne à l’intérieur du temple en appelant la pluie bénéfique sur la terre assoiffée et la miséricorde divine sur les hommes leur cheptel et leur verger. Dehors, sur fond de chants d’Oum Kaltoum, le haut parleur annonce l’arrivée de celui qui troue les oreilles  des jeunes filles.

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Pèlerin-tourneur du printemps faisant ma bénidiction à Lalla Beit Allah

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L'arrivée de la Khaïma à Lalla Beit Allah

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En 1984, à mon retour du daour , je faisais état de ma découverte de « fiancées  pétrifiées »  laâroussa makchoufa, à lalla Beit Allah au mont Sakyat et au sommet du djebel Hadid, ce qui permettait à Géorges Lappassade de faire le lien avec le bétyle phénicien découvert sur l’île . Il écrivait alors dans un article parut au mois de décembre 1985 :« Beaucoup d’objets qui témoignent d’une haute antiquité ont quitté l’île pour rejoindre le Musée d’Archéologie de Rabat. Mais un de ces objets est resté dans l’île. C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. On trouve partout des bétyles datant d’une époque précédant les grandes religions monothéistes : il y en avait dans l’Arabie d’avant l’Islam. Le mythe de lalla Beit Allah chez les Regraga n’est pas sans rapport avec ces anciens cultes : on sait qu’il correspond, à des pierres dressées, qui furent ensuite recouvertes d’une toiture. C’est aussi le cas de « la fiancée pétrifiée », sur le djebel Hadid sur la route d’Essaouira à Safi. On ne doit pas, par conséquent suivre la tradition orale qui traduit « Beit Allah », par « Maison de Dieu », pour interpréter ce mythe hagiographique, il faut au contraire faire l’hypothèse d’un lieu de culte « mégalithique » lequel, sans remonter nécessairement à la préhistoire, ni d’ailleurs, pour ce lieu là, aux Phéniciens, a certainement précédé l’islamisation de la région des Chiadma. Pour le moment le Musée ne possède  comme signe des Phéniciens que le fameux symbole de tanit que représente la fébule berbère en forme de triangle et qui figure comme armoirie de Tiznit ».

Abdelkader Mana






 

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Les Regraga revisités (3ème partie)

Les Regraga revisités

Troisième partie

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Abdelkader Mana

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La coupole de Lalla Beit Allah est un temple à douze piliers, sans tombeau ni catafalque, bâti au sommet de la montagne par l’invisible. Sa coupole rappelle étrangement le sein fécond de la jeune mère.
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La montagne se constelle de tentes qui semblent sortir du néant ; les barbiers se mettent avec les barbiers et les vendeurs de fruits secs avec les vendeurs de fruits sec. Des flots d’hommes envahissent la nouvelle étape. Et voilà qu’en peu de temps  ô prodige !  le  pays des hauteurs prend sous nos yeux l’aspect et l’ordonnance d’un souk
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J’écrivais dans mon journal de route de 1984 : Le porteur d’eau à l’allure massive et imposante et à la barbe noire (elle a blanchi maintenant), fait fonction de bénisseur ; son discours est intarissable, dans un arabe classique bâclé, mais il impressionne.
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Chez les qashasha (marchands de fruits secs), je croise Ahmed, le porteur d'eau des Regraga, qui fut mon campagnon au daour de 1984 où il me disait:

« Dieu a crée les Prophètes en Orient et les marabouts au Maghreb. Les Regraga étaient des combattants de la foi : après avoir soumis les tribus berbères, ils désignèrent un marabout à la tête de chacune d’elles. »

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Du fond de la tente en toile du marchand de fruits secs, le nouveau moqadem de la khaïma est en train de m'observer le photographiant: l'obsevation participante, suppose que l'observateur est lui-même observé par ceux qu'il observe!

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Le jeundi 29 mars 1984, je notais dans mon journal de route:

En face les barbiers. Une tente sommaire, un grossier tabouret, une table chancelante, un miroir cassé, des couteaux rouillés. Je rentre :

- Paix sur vous, je veux me raser le visage.

Le jeune barbier encore mal réveillé :

- Commençons par le vôtre et que la journée soit bénie !

Après le barbier, voilà le conteur. La barbe blanche, le visage avenant : il explique aux paysans impressionnés les principes de base des ablutions funéraires et « la prière de l’absent ». Parmi le public, un fellah fruste et poussiéreux complète ses propos et cite Asraël qui accueille les morts au seuil de l’au – delà. Le conteur lui recommande le silence pour ne pas nuire à l’attroupement et le disperser.

Il étale son turban :

- Vous savez sans aucun doute que dans le vieux temps le turban blanc servait de linceul aux cavaliers de la guerre sainte. Maintenant, ce n’est pas vous cher public qui êtes morts ; c’est votre conteur, voilà comment il faut prier pour lui...(après la démonstration il poursuit). A notre mort l’ange Djebraïl (Gabriel) nous ordonne de raconter notre vie passée ; les moindres gestes et paroles...Même les analphabètes d’ici bas trouveront là- haut la faculté d’écrire. La plume sera notre index, l’encrier sera notre bouche et la page blanche notre linceul...

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Une foule bigarrée se promène parmi les travées commerçantes, en quête du barouk et de baraka. Bijoutier, marchands de fruits secs, cafetiers, bêtes de somme.
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Des hameaux environnants arrivent les paysannes aux caftans bariolés. Elles marchandent les bracelets d’aluminium et les plantes cosmétiques. Leurs enfants ont le regard rêveur devant les jouets en plastique et les ménages en bois. Les adolescents sont particulièrement attirés par la halka de « l’âne intelligent ».

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Baraka et barouk ! Crient les marchands ambulants. La baraka est l’énergie bénéfique qui réside dans l’éther ou tout ce qui transcende les limites de l’expérience. Le barouk , c’est l’objet qu’on achète autour du sanctuaire – dattes, figues, sel, etc. – et qui représente plus que la réalité déjà connue, puisqu’en lui s’incorpore l’énergie mystique de la baraka.

La baraka, c’est l’esprit, le barouk en est la lettre matérialisée dans la chose.

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Dans mon journal de route du dimanche 16 avril 1984, je notais entre autre:

Lalla Beit Allah est probablement une ancienne déesse berbère devant laquelle se déroulaient les fiançailles collectives qui étaient sensées féconder le maïs. Nous avons retroué au sommet du Djebel Hadid une fiancée mégalithique (laâroussa makchoufa) à la forme phallique et qui a pour fonction de féconder la terre nourricière.

Le moqadem de la khaïma me demande de rédiger une plainte qu’il porte à la « fiancée » qui préside aux destinées des homme à Lalla Beit Allah.

- Il s’agit, m’explique la fiancée, d’une bagarre autour des jeux de hasard.

- Non, rétorque le jeune plaignant ensanglanté ; l’agresseur a voulu me violer…

Le moqadem l’arrête immédiatement :

- Ne parle pas de « ça » !...

A chaque étape les jeunes dépensent leur gain à corser les soirées dansantes d’adjuvants rituels. Véritables tavernes mobiles, les chameaux clandestins se déhanchent derrière les pèlerins -tourneurs. Ils sont en cela comme les habitants de Formose dont Montesquieu nous dit qu’ils ne regardent point comme péché l’ivrognerie et le dérèglement avec les femmes ; ils croient même que la débauche de leurs enfants est agréable à leurs Dieux.

L’incarnation du Majdoub nous parle des temps modernes :

- Maintenant la lumière est à l’intérieur et à l’extérieur des foyers, tu dors en sécurité même en pleine forêt.

On allume les bougies et on s’endort, hommes et femmes confondus à l’intérieur de Lalla Beit Allah. Certaines femmes sont venues de loin. Le mari n’est jamais présent : « A Rome, écrit Montesquieu, il était permis au mari de prêter sa femme à un autre.... Cette loi est visiblement une institution Lacédémonienne, établie pour donner à la République des enfants d’une bonne espèce, si j’ose me servir de ce terme. »

Cette promiscuité entre hommes et femmes, c’est le tmarsit symbolique, vestige d’une antique nuit de l’erreur.

Une femme enceinte donne sa ceinture à bénir, une autre son bébé. Deux Regraguis discutent au fond avec une belle femme, on dirait Lalla Beit Allah en personne. On est probablement ici en présence d’une vieille tradition de communisme sexuel dans laquelle les Regraga caprifiaient réellement les femmes des tribus servantes pour faciliter magiquement la même opération chez les plantes et le cheptel.

Les femmes retrouvent dans le rêve rituel, la liberté qu’elles n’ont pas dans le réel : le droit d’avoir plusieurs maris  comme celui-ci a le droit d’avoir plusieurs femmes. Les vieilles institutions berbères étaient probablement matriarcales et c’est l’Islam qui a instauré le patriarcat. On m’apprend qu’au lendemain de notre départ, des pèlerines restent pour une journée de lama, où la transe efface la culpabilité et favorise le repentir.


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. Un porteur d’eau vend aux pèlerins de petits bouts de khaïma de l’année précédente : chaque année, on doit tresser une nouvelle khaïma et acheter un nouveau chameau. Un dellâl (crieur public) est là pour vendre au prix de la baraka le bétail reçu en offrande.
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Je croise korati Lahbib qui me dit que je suis invité ce soir chez le Askri qui a l’habitude d’offrir à cette étape dîner et hébergement aux Moqadem de la khaïma dont il fait lui-même partie : il nous a servi trois tagines, et beaucoup de thé et de prières.
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Outre les treize moqadem ,la khaïma est suivie par les tolba qui y lisent le Coran au crépuscule, les tiach (novices s’initiant à la parole des ancêtres) qui ratissent au large, comme les ouvrières de la ruche, pour collecter les offrandes des hameaux qui se trouvent en dehors du parcours, un Raoui (conteur) béni à cause de son talent d’orateur, un homme –médecine aux traits étranges, qui offre ses services à ceux qui tombent malades et un porteur d’eau qui vend les bouts de la khaïma de l’année passée.

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le Askri qui a l’habitude d’offrir à cette étape dîner et hébergement aux Moqadem de la khaïma dont il fait lui-même partie
L’Askri qui nous accueille fait partie des Sakyat du haut , alors que mon ami le fiqih Si Hamid Sakyati , aujourd’hui décédé, fait partie des Sakyat du bas :  C’est au sanctuaire de leur ancêtre Sidi Abdellah Sakyati, situé en contre bas de cette  montagne sacrée, qu’iront passer la nuit, la taïfa et sa suite. Plus loin, aux Mtafi l’Haouf, c’est la tribu des Njoum qui offrira provisions et hébergement aux gens de la khaïma.Une ambigüité plane sur l’identité de la zaouïa de Sakyat qui  se compose de quatre fractions : est – elle  une tribu ou une zaouïa ? Une tribu devenue zaouïa par attribution ? Quel est son réel patron : Lalla Beit Allah au sommet de la montagne ou  Abdellah Sakyati au pied de cette même montagne ?  Ici, il s’agit d’échange de dons et de contre dons entre la zaouïa de Sakyat et les autres zaouïas Regraga, et aux Mtafi L’haouf, il s’agira plutôt de rapports sociaux de protection entre les zaouïas Regraga d’une part et la tribu servante Njoum d’autre part.
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Entre autres anecdotes racontées à cette soirée , le cas ces hommes immunisés contre le venin : lorsqu’ils sont piqués par un scorpion, c’est plutôt lui qui en meurt L’Askri qui nous accueille fait partie des Sakyat du haut , alors que mon ami le fiqih Si Hamid Sakyati , aujourd’hui décédé, fait partie des Sakyat du bas :  C’est au sanctuaire de leur ancêtre Sidi Abdellah Sakyati, situé en contre bas de cette  montagne sacrée, qu’iront passer la nuit, la taïfa et sa suite. Plus loin, aux Mtafi l’Haouf, c’est la tribu des Njoum qui offrira provisions et hébergement aux gens de la khaïma.
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Sur le chemin des sept saints, que le rituel mime, on ne peut passer qu’une seule fois par le même endroit et au moment prescrit par la tradition : un jour avant, les offrandes ne sont pas prêtes, un jour après, les zaouïas ne sont plus accompagnées par les esprits de la baraka. Chaque année, à la même heure, au même jour et à la même étape, les Regraga bénéficient de la même hospitalité et ce, depuis des siècles !

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Abdelkader Mana

 



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Les Regraga revisités (4ème partie)

Les Regraga revisités

Quatrième partie

 

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Abdelkader Mana

 

6 heures. Dimanche 2 Avril 1984

La lueur du jour est à peine perceptible. Le ciel bas, lourd de nuages, prélude à une journée pluvieuse. Elle sera accueillie comme la preuve de la puissance revivifiante des Regraga. Le cafetier réveille les dormeurs. Un jeune marchand ambulant m’interpelle :

- Journaliste ! Bonjour journaliste !

Le moqadem de la khaïma me fait signe de rejoindre les Regraga à la tente du tribunal où on m’offre le thé et une galette d’orge à l’huile d’olive. Je rompe le silence qui règne dans le groupe :

- Une journée pluvieuse nous attend grâce à la baraka des Regraga...

On ne répond pas à cet éloge moqueur. On se méfie. On m’observe à la dérobée. Pour détendre l’atmosphère le moqadem de Talmest raconte :

- L’autre jour, une chèvre a donné naissance à un sanglier !

Puis il mime son grommellement. Tout le monde éclate de rire. Enfin, on en vient au vif du sujet : ils veulent connaître ma véritable identité et ce que je viens faire parmi eux. Je leur explique que j’ai déjà publié des articles sur la culture d’Essaouira et des Haha et que tout le monde, le fils de leur moqadem en tête, m’a reproché de n’avoir rien publier sur les Regraga. Or, on ne peut pas comprendre les Chiadma si on reconnaît pas leurs patrons les Regraga. Ils écoutent mon discours d’auto – justification sans dire un mot. En guise de conclusion Si Hamid, le moqadem de la khaïma, me dit de sa voix profonde :

- Soyez le bienvenu, Monsieur le fqih.

Désormais, je suis officiellement l’hôte et le protégé de la khaïma, je fais partie de son cortège de moqadem, je suis une nouvelle zaouia qui s’ajoute à leurs zaouia !

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Nous sommes ici au pays du fquih Si Hamid Sakyat, mon campagnon de route en 1984 aujourd'hui décédé.
Le Lundi 17 Avril 1984 , il était bien présent comme on peut le constater dans ce passage de mon journal de route:
Un brouillard épais m’empêche de percevoir la plaine qui s’étend à l’infini ; on distingue vaguement l’oued Tensift serpentant en bas et on a l’impression de survoler l’espace à vol d’oiseau. Je rejoins les dignitaires de la khaïma. Le Retnani me dit :

-Le sang se mêle au sang ; on commence à te faire confiance. Alors qu’au début, il n’y avait que les couteaux de la méfiance entre nous.

Le chamelier raconte :

-Le sanglier s’est disputé avec le bélier qui l’empêchait de dormir. Le sanglier lui dit : « Regarde combien de marcassins j’ai enfantés et pourtant je ne grommelle point. ». En effet, il ne fait que forniquer ; chaque laie traine dix marcassins  derrière elle. Lorsqu’il tonne et il pleut, le sanglier se met à jeûner et passe son temps à forniquer. Ceci, je le dis à propos de Hnaïna qui, comme le bélier, passe son temps à crier dans la khaïma, alors qu’il n’a aucun enfant.

L’éclat de rire du chamelier découvre ses dents jaunes comme les épis de maïs et grandes comme celles d’un âne. Il dis en guise de conclusion :

-Ta corde et ton dlow (l’ustensile en caoutchouc pour puiser l’eau), te dispensent d’implorer quiconque d’étancher ta soif ou de bénir l’âme de tes ancêtres.

Une façon comme une autre de dire qu’il ne faut compter que sur soi. Le serveur de thé remarque :

-L’eau des citernes est saumâtre, je lui préfère celle des puits : elle est délicieuse comme l’eau de vie.

Le chamelier :

-Qu’Allah nous préserve, l’eau de vie est illicite.

Je réplique :

-Tu en boiras pourtant des rivières au paradis, tu forniqueras avec les houris, et tu garderas là-haut tes vingt ans perpétuellement. Le guérisseur du vitiligo sera en chômage parce que les gens ne tomberont plus malades. La « fiancée » sur sa jument d’émeraude te donnera des grappes de raisins qui n’auront pas été caprifiées par le papillon ni touché par le paysan. Là-haut, le sultan des Regraga t’offrira une table ronde garnie de pierres précieuses !

Le chamelier :

-Tu te moques de moi Abdelkader ? Mais qui sait incha Allah... Aux temps révolus, les gens adoraient un arganier. Un chevalier de la table ronde prit une hache pour décapiter l’idole. Ibliss, qui contribua à la chute d’Adam et d’Eve  l’en empêcha : « Si tu ne coupes pas l’arbre, je t’offrirais trois louis d’or » Lui dit-il. Le chevalier renonça à son entreprise et la population berbère lui offrit chaque année les trois pièces d’or. Le jour où elle ne put plus payer, il reprit sa hache et se dirigea vers l’arganier. Ibliss lui dit : « ça ne sert plus à rien de le couper puisque tu ne le fais pas pour défendre la foi monothéiste, mais pour obtenir les trois pièces d’or !

Le fquih Sakyati ajoute :

-Les Regraga font leur tournée pour voir qui est resté attaché à l’Islam et qui a apostasié : celui qui offre ziara et mouna est considéré comme un fidèle et celui qui refuse comme un infidèle. Au départ, leur pèlerinage se faisait pour Dieu, maintenant il se fait pour les biens matériels. La plupart d’entre eux ne font pas de prière et sont illettrés. On a vu dés lors fleurir des hérésies telle que la flagellation au genêt ou la vente de bouts de khaïma comme barouk.

Un fellah proteste :

-En combattant par l’épée, les Regraga avaient tué beaucoup de gens.

Le fquih Sakyati rétorque :

-Oqba Ibn Nafiî avait contraint les gens à épouser l’Islam par la force. Alors que les Regraga ont plutôt recouru à la ruse. Certains nient leur rencontre avec le Prophète puisqu’on ne possède aucun document datant du 14ème siècle. Beaucoup de légendes et de croyances se sont mêlées depuis à l’histoire.

Du sommet de la montagne le cortège s’ébranle à nouveau vers la plaine. La pente est trop abrupte, ce qui oblige les bêtes de somme à zigzaguer lentement le long du flanc. C’est une véritable fourmilière humaine qui descend du sommet de Lalla Beit Allah que d’aucuns compare au mont Arafat. Plus bas, en direction de la plaine, le cortège se scinde en deux : La taïfa va vers Sidi Abdellah Sakyati au pied de la montagne, la khaïma continue son bonhomme de chemin plus loin à l’Ouest vers les « Mtafilhaouf », où l’on doit se laver de ses poussières et de ses pêchés.

Tout près de là, un portique à ciel ouvert donne par des escaliers sur un lac sacré qui fait penser à l’Inde. De fines tiges de joncs flottent sur ces eaux stagnantes, du bord s’envolent des colombes. Un enfant abreuve une vache rouge et une ânesse blanche. Une femme accroche un fichu à un olivier sauvage qu’elle appelle « sainte jeunesse » (Sid Chabab)  C’est un arbre qui a poussé sans le concourt des humains. Qui l’a planté ? Mystère. Le fquih Sakyati qui demeure au pied même de la montagne nous offre son hospitalité : pièce au sol couvert de tapis, chapelet accroché au muer, petite bibliothèque de vieux livres jaunis. L’un d’eux est intitulé « l’âme de la religion islamique » écrit par Afif A Tabbar. Au chapitre traitant « du polythéisme et de ses aspects », on peut lire :

«  Le polythéisme, c’est de vénérer les arbres, les animaux, les tombes, les astres, les forces naturelles. C’est aussi le fait de croire que Dieu est un homme. Né de l’ignorance et de l’imagination, le polythéisme est en contradiction avec la raison et la logique. Il rend l’esprit prisonnier de l’imagination, des contes et des légendes. Le culte de la personnalité, qui se sert des médias fait partie aussi des pratiques polythéistes... »

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Lalla Beit Allah, dimanche 12 avril 2009

Tôt le matin, je photographie les scènes du réveil, dans les immenses tentes – café ouvertes sur les étables. Brusquement, un vieil homme me prend violemment à partie :

- Vous n’avez pas à nous photographier en train de prendre notre petit déjeuner !

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Après altercation, hausse de voix et intervention du Moqadem de Tikten en ma faveur, je repars préparer moi-même mon thé sous une autre tente – café, où un jeune homme estropié d’une jambe vient partager le petit déjeuner avec moi. Juste à côté, d’autres jeunes fument du kif. Je demande de s’approcher à un marchand ambulant qui vend du barouk aux gens assis à même les nattes de jonc sous la tente. Il a d’abord cru que je vais lui acheter quelque chose. Je dis : non. Je sors mon appareil et hop, il s’en va : il refuse lui aussi de se laisser photographier. Et dans la travée des Qashasha (marchands de fruits secs) j’ai du faire intervenir korati Lahbib pour convaincre un marchand de  se laisser photographier.

L’image pose beaucoup de problèmes ici : la civilisation du signe  refuse l’image. La représentation d’une manière générale fait l’objet de prohibitions importantes. C’est comme si on volait l’âme de la personne photographiée. Surtout quand on ne restitue pas l’image. Les gens me disent souvent : « Vous nous avez photographié, mais allez vous nous restituer ces images au prochain daour ? »  Certaines images, les offrandes en particulier, sont tabous, me dit chérif Regragui et je me demande si à 2M, on a mis fin à mes documentaires sur ce Maroc profond et méconnu, parce que justement il y a « un problème d’image » : question importante qui reste à élucider. Il y a des images de soi à montrer et d’autres pas... Par contre, en Europe, la civilisation de l’image par excellence, aucune image n’est tabou, surtout pas le corps de la femme mis à nu, alors que chez nous il doit être voilé...Après cette altercation avec ce vieillard, je ne peux plus photographier quoique ce soit maintenant.

 

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Le jeudi 29 mars 1984, je notais dans mon jour:
Fiqou ya rijal ! (hommes, réveillez – vous). L’eau est bouillante, réveillez-vous pour boire le thé !

C’est ainsi que nous interpelle le cafetier à la lueur du jour. Ici, il n’y a de vie que collective ; on partage tout et on accepte tacitement les règles du jeu. Quelqu’un conseille au cafetier : « Rabats – les comme un troupeau de sangliers ! Épouvante – les comme une nuée de moineaux ! »

Devant la tente collective deux chameaux ruminent dans le brouillard, énormes carcasses broyant l’herbe tendre dans leurs puissantes mâchoires. Le regard de la chamelle fait curieusement penser à Madame Thatcher ; sous les apparences de douceur une puissance redoutable. Je lui offre une gerbe de blé. Par inconscience et par excès de confiance, je lui caresse le museau. Brusquement elle ouvre la gueule et me mord le tibia au risque de le casser. Heureusement, je m’en tire avec une simple égratignure parce qu’elle semblait seulement me dire « Va me chercher une autre gerbe ». J’ai eu froid au dos ; décidemment la chamelle mérite bien son surnom de « dame de fer » ; j’aurai dû invoquer le patron de la montagne de fer, le djebel Hadid avant de l’approcher. Constatant ma naïveté de citadin, toute la tente part d’un bruyant éclat de rire. En guise de commentaire un vieux fellah me dit : »Dans la vie il faut se méfier de trois choses : l’Exil, le Chameau et le Temps. »

Et moi de penser : « Et aussi de Madame Thatcher ! Mais le plus fort, c’est effectivement le temps... »

Je me dis que c’est peut – être là un mauvais présage et qu’il ne faut pas trop s’éloigner de la « civilisation ». Pourtant, il me répugne de revenir en ville. Ici, je suis en dehors du monde. C’est ici que meurt le Tensift qui vient des montagnes enneigées surplombant la ville rouge.

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Le soir du samedi 1er Avril 1984

Sous la tente, Ben Zahra « le cheval », avec sa longue pipe de kif fait montre de ses prouesses oratoires. S’adressant au cafetier, il demande à boire en ces termes :

- Donne-moi une bouteille de « bichy » ou de la limonade fraîche !

Le cafetier remplit d’eau une boîte de conserve dans un baril et tout le monde éclate de rire. On est nombreux à dormir sous la même tente, mais celle-ci est grande ouverte sur la nature. J’ai du mal à dormir, tantôt à cause du froid et de la dureté des nattes jetées sur une pente, tantôt  cause du voisin qui tousse, qui parle, qui vous pousse. On a laissé la lampe allumée toute la nuit ; probablement sur ordre du moqadem pour empêcher d’éventuels voleurs de commettre leurs forfaits. Tard dans la nuit, nous entendons la complainte du violon langoureux de l’orchestre de l’aïta. Le sol tremble sous les pieds des danseurs. Je me recroqueville dans ma djellabah, j’enfonce le bonnet sur mes yeux et je finis par m’assoupir à cause de la fatigue, malgré le bruit ambiant.

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Au sommet de la montagne on continue à planter les tentes. Je contemple l’architecture des piquets de bois pas encore couverts de  toile, la silhouette des mulets, la plaine lune au firmament dans le silence eternel. On allume des bougies et des lampes, on murmure des sourates qui se diluent dans l’air immobile et calme du crépuscule. Je demande au marchand de fruits secs :

-Comment se fait-il que sur une terre plate et déserte, il y a à peine une heure, vous avez planté toute une ville ?

- C’est qu’on se regroupe par profession.

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Maintenant en regardant au loin la khaïma , il me revient le souvenir où tout jeune encore je courrais derrière son son sillage. Il me revient aussi le souvenir de cette nuit du Mercredi 19 Avril 1984, que j'ai dormi dans la Khaïma et j'ai vu à l'oeuvre son moqadem Si Hamid Sakyati, qui a abondonné le daour ce printemps 2009 en raison de l'âge. Je notais alors:

Je tombe de fatigue malgré le froid et la plaine lune. Au milieu de la nuit des cris me réveillent. On frappe, sans doute un voleur. Quelqu’un vient réveiller le moqadem de la khaïma. Celui-ci se lève, met ses babouches ; « Dites leur de cesser de le frapper », lui dis-je avant qu’il ne disparaisse dans la nuit. J’ai peur qu’ils ne le tuent à force de le frapper comme le veut la coutume berbère qui traite le voleur comme un chien enragé. De mon gîte, je peux tout écouter. Le voleur implore le pardon. Il demande à boire et à ce qu’on desserre ses mains ligotées. Je ne les vois pas, je les devine. Il dit qu’il est le fils d’un marchand de laine connu. Le moqadem revient à la khaïma. Le voleur continue d’implorer. De la khaïma on lui crie :

-Laissez nous dormir, le moqadem n’est pas là !

-C’est lui qui vient de tousser, je reconnaît sa voix ! Leur rétorque le coupable.

J’appréhende qu’on le livre aux gendarmes, car c’est la prison à coup sûr. Le lendemain, on m’apprend qu’il a semé le désordre dans le hameau tout proche où on a invité les chikhates. Le moqadem explique :

- Nous l’avons arrêté jusqu’à l’aube pour qu’il ne puisse pas frapper quelqu’un et fuir dans l’obscurité. Nous l’avons relâché à la lumière du jour pour que tout le monde puisse témoigner. Nous l’avons relâché parce que nous ne voulons pas que son chemin croise le nôtre.

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Tout le monde reprend son chemin. Je cours derrière le porteur d’eau qui dévale les pentes comme une gazelle malgré ses quarante années bien sonnées. Dans le sens inverse, un cortège d’ânes et de mulets vient à notre rencontre :

- Ce sont les Grâan qui viennent des Abda (la confédération au Nord de l’oued Tensift). Ils se dirigent vers Sidi Aïssa que nous venons de quitter, m’explique le porteur d’eau.

 

On les appelle Grâan : on peut se demander s’il ne s’agit pas en fait du cycle du Graâl, cette quête pour le vase contenant le sang du Christ, puisque leur étape est justement Aïssa (Jésus). En ce début de printemps la campagne est traversée en tout sens par les fractions de tribus qui parcourent des dizaines de kilomètres parfois pendant plusieurs jours pour offrir ziara et dbiha à leur saint protecteur. Notre pèlerinage croise d’autres pèlerinages. Après un cheminement d’environ deux heures, nous voilà accueillis par le chant du coq : nous arrivons chez le porte-étendard dont la koubba se trouve au fond d’un col.

Dans ce rituel géographique, la distance entre deux étapes ne dépasse jamais la demi-journée. Elle se fait entre le zénith et le crépuscule ; la règle est de suivre le mouvement du soleil au dessus de l’horizon. La traversée est à la fois agraire, saisonnière et cosmique.


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L’esprit de mon ami Georges Lapassade m’encourage à continuer. Le terrain, toujours le terrain. Malinowski le disait à propos du circuit Trobriandais : une fois dans la Kula, toujours dans la Kula ; une fois dans le daour, toujours dans le daour, jusqu’au vertige. J’ai une autre raison pour ne pas abandonner la partie : le désir de découvrir l’étape excentrique de Sidi Mohamed Marzouq que je n’ai jamais visité auparavant. Enfin de compte, il faut que je tienne le coup comme prévu au moins jusqu’à Tafetacht avant de rentrer à Essaouira. Donc, dans une semaine, huit jours, ce qui n’est pas énorme. D’autant plus que j’ai pris maintenant plus de couleurs et que j’ai plus d’aisance à me mouvoir. J’ai aussi décidé, une fois pour toute d’arrêter de fumer. Il faut s’attendre, aux effets bénéfiques du daour dans les jours qui viennent.

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Les Regraga revisités (5ème partie)

Les Regraga revisités

Cinquième partie

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Abdelkader Mana

Mon ami Ahmed, le porteur d’eau, a passé la nuit dernière dans une fête de chikhates en bas de la montagne. Lalla Beit Allah est une étape antique, une étape très ancienne et enracinée dans le  daour. En haut de la montagne on a aménagé un espace circulaire où seront déposés les énormes plats de noyer de couscous  multicolores et féeriques de la zaouïa de Sakyat qui se compose de quatre fractions. Une espèce de karkour (enclos de pierres sacrées), y entourent l’espace où est plantée la kHaima. Juste à côté, d’autres enclos où sont plantées des tentes. La taïfa, réside pour sa part dans l’enceinte même du temple que surmonte une coupole blanche à la forme d’un sein fécond.

 

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Je vois qu’on a déjà harnaché la jument devant le sanctuaire : bientôt, il y aura la distribution des offrandes et le départ vers la prochaine étape dans le plat pays des Mtafi l’haouf, où je compte quitter le daour. En même temps, j’ai rencontré mon ami le Moqadem de Mzilat qui me dit :

- Pourquoi quitter le daour alors que tu es mon invité à l’étape de Mzilat et que Belachgar t’invite à l’étape suivante de Tikten ? La taïfa passera cette nuit en bas de la montagne à Sidi Abdellah Sakyati et la khaïma, au plat pays des M’tafi l’haouf. ».

L’esprit de Georges m’encourage à continuer. Le terrain, toujours le terrain. Malinowski le disait à propos du circuit Trobriandais : une fois dans la Kula, toujours dans la Kula ; une fois dans le daour, toujours dans le daour, jusqu’au vertige. J’ai une autre raison pour ne pas abandonner la partie : le désir de découvrir l’étape excentrique de Sidi Mohamed Marzouq que je n’ai jamais visité auparavant. Enfin de compte, il faut que je tienne le coup comme prévu au moins jusqu’à Tafetacht avant de rentrer à Essaouira. Donc, dans une semaine, huit jours, ce qui n’est pas énorme. D’autant plus que j’ai pris maintenant plus de couleurs et que j’ai plus d’aisance à me mouvoir. J’ai aussi décidé, une fois pour toute d’arrêter de fumer. Il faut s’attendre, aux effets bénéfiques du daour dans les jours qui viennent.

A côté de l’enclos de la khaïma, dispute entre membres d’une même zaouïa, celle des Mrameur,  pour le partage  de la ziara monétaire qu’on leur accordé la veille au hameau où ils étaient invités à dîner et à passer la nuit. L’enquête redémarre : maintenant que je n’ai plus d’appareil photos, je m’intéresse davantage au sens profond des choses, à l’esprit même qui anime l’institution du daour : le circuit monétaire, les dons , les contre dons sans lesquelles l’institution cesserait d’exister. Je reprends l’enquête là où elle a été laissée en suspend il y a plus de vingt ans de cela. Le complément d’enquête, c’est ne plus s’occuper de photos, ce qui n’est pas mon domaine, mais observer, interpréter ce qui se dit, ce qui se fait. Le sens des évènements et des jours ou comme dirait Georges Lapassade, le plus important est d’être là, de participer au déroulement du daour en prenant soin de tout noter in vivo.

 

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Sur le plateau circulaire de lalla Beit Allah, au milieu d’une indescriptible bousculade, on procède finalement à la distribution des offrandes. C’est un moment essentiel du daour, du cercle temporel et spatial et de sa circulation. On demande aux membres de la zaouïa de Sakyat qui ont déposé leurs offrandes au plateau circulaire d’en descendre, pour permettre leur répartition aux zaouïas récipiendaires. Telle gasaâ est accordée à la zaouïa des Retnana. Telle autre à la  zaouïa de Talmest. Offrandes magnifiques, de vrais cadeaux. Puis vient le tour de  Krate et de toutes les autres zaouïas bénéficières.

En cours de route, vers la nouvelle étape, l’écuyer de la taïfa m’a conseiller de ne pas  suivre la fiancée de l’eau à la zaouïa de Sakyat où elle va passer la nuit et d’aller plutôt avec les gens de la khaïma : toujours cette opposition entre le clan de l’Est et le clan de l’Ouest qui avait si vivement frappé et amusé jadis Georges Lapassade !

En arrivant à Mtafi l’haouf j’avais envie de partir immédiatement à Essaouira, heureusement que mes affaires sont restés avec la khaïma qui n’est pas encore arrivée ; ce qui fait que je suis obligé de les attendre. On plante les tentes. J’ai participé avec d’autres à l’érection de la khaïma . C’est le Moqadem de Tikten qui m’a convié à y participer. Signe de mon acceptation comme membre à part entière des membres de la khaïma.

Le muézin appel au maghrib : la prière du crépuscule à Mtafi l’haouf. On continue ici et là à planter les tentes, mais le campement est déjà bien structuré et bien dressé. Altercation entre deux campeurs à propos d’une même place : répétition à l’identique du même conflit observé il y a déjà plus de vingt ans. Les jeunes qui suivent le daour sont tous de Safi. Culturellement Safi fait partie des Regraga autant qu’Essaouira, voir davantage. Or ce qui anime le daour, c’est l’aïta, ce genre musical propre aux plaines atlantique qui constitue le cerveau musical de Safi et qui reste marginal dans le système culturel souiri où les derniers vestiges de l’aïta étaient relégués au vieux Mellah délabré...

A  Mtafi L’haouf, la mouna sera présentée par les joidra qui sont une fraction des Njoum la tribu-servante de cette étape. Alors qu’à Lalla Beit Allah, c’est une zaouïa qui accueille les autres, en leur accordant le gîte et le couvert ; chez les Njoum, c’est plutôt une tribu-servante qui reçoit leur baraka : entre zaouïas, c’est don  contre don. Un échange différé dans le temps : ce qu’on vous offre à cette étape vous le rendrez plus tard lorsqu’on arrivera chez vous. Par contre l’échange entre biens matériels des tribus servantes, et  bien symbolique des zaouïas -leur baraka, leur madad- est immédiat.

 

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Le pèlerinage circulaire tel qu'imaginé par Hamza Fakir

A Mtafi l’haouf, les joidra offrent dîner et petit déjeuner. Et c’est une autre fraction Njoum, les Ahl l’oued (les gens de l’oued) qui offrira la gasaâ demain .Korati lahbib  m’explique , que le daour se scindera désormais en deux  : la khaïma ira à Mzilat et la taïfa à Sidi M’hamed Marzouq et ce n’est qu’à l’étape de M’rameur qu’ils seront à nouveau réunis:

- A partir d’ici, le daour se répartira en deux moitiés : la khaïma ira à Mzilat puis à Tikten et la taïfa partira de Tikten vers Sidi M’hamed Marzouq. C’est là que de la région de Marrakech, les Oulad Sid Zouine , ainsi qu’une fraction de Hmar, leur apportent monnaie et beurre rance. Le sanctuaire de Sid Zouine et sa vieille medersa où étudient quelques 400 taleb(étudiant en théologie) se trouve à l’Oudaya aux environs de Marrakech.. Jadis en guise d’offrandes les Oulad Sid Zouine apportaient une grande amphore remplie de beurre ronce, car de son vivant leur ancêtre rendait visite aux Regraga à cette étape de Sidi Mohamed Marzouq. Après quoi, la taïfa et la khaïma se retrouvent  à nouveau à Mrameur, étape à partir de laquelle ils continuent ensemble le même chemin jusqu’à la fin du périple.

Malgré cette exception, la mouna est offerte à cette étape excentrique par la tribu HART qui  est une tribu Chiadma.

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Tikten à l'aube
Pour accompagner la taïfa à Sidi Mohamed Marzouq , le départ est prévu à 7 heure du matin à la zaouïa de Tikten. Autrement dit, nous allons passé la journée de demain aux Mtafi l’haouf, et la nuit du lundi au mardi à Tikten d’où on partira de bonheur avec les gens de la taïfa à Sidi Mohamed Zerouq.Au crépuscule la fiancée de l’eau avec la taïfa font leur rentrée à la mosquée de Tikten.

Ce soir la khaïma sera à Mzilate. Je continuerai pour ma part vers Tikten. Je pars finalement en carriole seule à Tikten au milieu des champs fleuris. A mon arrivée à Sidi Hmar Chantouf, j’ai trouvé sous les oliviers des gouraân venus des Abda. Les enfants de mon ami Si Hamid Lachgar qui n’est plus de ce monde, m’accueillent bien. On me dit que Tikten sera animée par les chikhates trois nuits de suite : le lundi, le mardi et le mercredi.

 

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Si Hamid Lachgar, le moqadem de la zaouia de Tikten, mort en 2007 le jour même où le roi s’était rendu à cette localité pour y inaugurer la nouvelle route ainsi que l’électrification rurale de nombreux villages..

En suivant le daour au début des années 1980, je suis passé par Sidi Hmar Chantouf en ayant comme compagnon et ami Si Hamid Lachgar l’ancien Moqadem de Tikten qui est décédé en 2007 qui me prenait sous son aile protectrice : je marchais derrière son mulet et c’était un homme extraordinaire, un homme généreux, un homme foncièrement bon. Il m’avait toujours accueilli avec le sourire sans contrepartie, comme un membre de sa propre famille. Alors que j’ai promis offrandes et sacrifices sans que Dieu fasse que la promesse soit tenue ; ils m’accueillent invariéto avec la même chaleur humaine, la même hospitalité, la même gentillesse. A son propos je notais le Dimanche 2 Avril 1984 :

En  traversant le col qui sépare le Sahel (la côte à l’Ouest) de la kabla (le continent à l’Est). Le moqadem de Tikten jette un regard derrière lui : « Ici, nous vous disons adieu, ô généreux gens du Sahel ! »

Si Hamid Lachgar, moqadem de la zauia de Tikten m’offre sa jument :

- Sois le bienvenu parmi nous. Les Regraga sont des fokra, des alliés du Prophète alors que nous sommes des chorfa qui ont des liens de sang avec lui. Nous sommes devenus Regraga par simple attribution.

La baraka est transmissible génétiquement mais aussi par hiba (attribution magique). Le moqadem de Tikten poursuit :

- Le daour des Regraga dure depuis des siècles. Il est hors de portée de toute virtualité de dénigrement. Tous les sultans du Maroc nous ont accordé des dahirs et ont reconnu notre baraka, notre droit au tribut ; ils nous ont protégés contre quiconque a mis en doute , notre pouvoir. Nous traversons maintenant le territoire de nos « serviteurs » de Taoubalt, tribu venue du Sahara.

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La veuve du défunt porte encore le voile blanc en signe de deuil

Ce soir lundi 13 avril 2009, la taïfa passe la nuit dans la mosquée. Elle est accueillie par la zaouïa de Tikten tandis que la khaïma passe la nuit à Mzilate. Et demain matin la khaïma arrive ici à la zaouïa de Tikten et la taïfa ira à Sidi Mohamed Marzouq.Le milliardaire Chaâbi a donné cette année une somptueuse réception à l'étape de Mzilat.
Le gendre de notre hote, hamid Lachgar ,fait l’appel à la prière de la nuit à la manière orientale : l’islamisme égyptien est arrivé jusqu’à ce bout du monde . De ce fait,Tikten est relieé spirituellement à la Haute Egypte. Même si le maraboutisme reste prédominant, il est pour ainsi dire teinté d’islamisme.Notre Egyptien qui travaille et vit en France est en train d’accueillir aujourd’hui les Regraga : on est des citoyens du monde maintenant. On est joignable partout –sauf à certaines étapes du daour . On est certes marocains, égyptiens, français etc. mais on est avant tout citoyens du monde , parce que le monde est devenu un petit village.Le muezzin oriental m’apprend qu’il existe en haute Egypte un pèlerinage semblable à celui des Regraga, qu’il y a beaucoup de marocains établis en Egypte, au cours des siècles et des siècles, puis que la route du pèlerinage passe obligatoirement par le pays des Pharaons. Ainsi, le sanctuaire de l’un des plus éminents soufis marocains se trouve non loin d’Egypte : il s’agit de celui d’Ahmed Zerrouq que la mort avait surpris à Mestara en Lybie . Il était né en 1442 dans la tribu des Branès au nord de Taza où est enterré son fils.Dans sa quête du savoir théologique et mystique, son itinéraire est celui des maîtres spirituels de son temps. Après s’être imprégner de l’ordre mystique de la Chadiliya et du savoir théologique de la Qaraouiyne de Fès, il se rendit en pèlerinage au Moyen Atlas auprès du maître Soufi Sidi Yaâla, puis Sidi Bou Medienne de Tlemcen, delà à Bougie où il aura ses premiers disciples. A son retour de la Mecque, il s’établit dans l’ancienne oasis libyenne de Mestara, où il mourut dans sa retraite en 1494. Pour les amis de la légende, c’est plutôt le fils qui serait enterré en bordure de la Méditerranée en Libye, et c’est le père qui serait enterré chez les Branès, où sa dépouille aurait été amenée de Fès sur le dos d’une jument : « Vous m’enterrerez là où s’arrêtera ma jument. » Celle-ci s’est arrêtée là où il y a maintenant la zaouïa de Sidi Ahmed Zerrouq – un ordre mystique jadis florissant, aujourd’hui éteint -qui jouait un rôle d’étape de caravane entre Fès et Melilla : la route Fès – Taza allait autrefois jusqu’à Melilla. Florissante au Moyen âge cette voie est citée par Ibn Battouta qui l’a suivi. C’est par elle que s’introduisit à Fès le velours vénitien que l’on y retrouve encore. Si à partir de l’occupation française en 1914,la Zaouïa a perdu son rôle d’étape de caravane, entre Fès et Melilla,  elle continue d’être un lieu de pèlerinage fréquenté au mois d’août par la communauté émigrée originaire des Branès et des Tsoul .Moussem qui a lieu au mois d’août , après la période des moissons,et qui dure trois jours, : toutes les tribus y affluent. Les cavaliers Branès, Tsoul et Ghiata, l'animent.
Beaucoup de pèlerins notamment le maître du samaâ qui est enterré en Egypte, passaient par Meknès, le couloir de Taza :  parce que c’était la route du pèlerinage.Comme tout le monde sait, la position de la médina de Taza, comme couloir de passage entre l’Est et l’Ouest du Maghreb, en faisait une étape où s’arrêtaient des personnages de renommée en provenance de l’Andalousie comme Lissan Eddin Ibn El Khatib, qui est un poète arabe connu. Il y est venu d’Andalousie avec ses coutumes, ses traditions et sa culture.Il y a également le célèbre séjour du grand voyageur Ibn Battouta, lors de son retour de Chine. Il est notoire qu’il  existe ici une ruelle qui porte métaphoriquement son nom : c’est « Derb Cinî »(la ruelle du Chinois) C’est qu’Ibn Batouta était arrivé à la médina à la suite de son voyage en Chine, c’est pourquoi les gens l’appelaient le chinois..Et la ruelle fut baptisée « ruelle du Chinois » parce qu’Ibn Batouta y avait résidé. ».Taza, était en liaison directe avec l’Andalousie via Sebta.: les poètes et mystiques andalous du 14ème siècle passaient par Taza pour se rendre à Tlemcen, à Bougie ou à Oran.  C’est lors d’un séjour à Taza que le célèbre vizir Grenadin Lissân Eddin Ibn El Khatib avait appris le décès de sa mère en Andalousie.Lissân Eddin Ibn El Khatib la chantait aini :

Taza le célèbre pays où les jardins  reverdissent

Pays où l’air est bon, où  l’eau est abondante

Pays où la beauté est  resplendissante…

 

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Le cadet du défunt que j'ai connu encore enfant en 1984 est maintenant père de deux enfants

Le Maroc et l’Andalousie musulmane ont des relations très anciennes avec l’Orient et en particulier avec l’Egypte..D'après leur légende dorée, les Regraga seraient passé par l'Alexandire après leur visite au Prophète et c'est à partir de l'Andalousie que les sept saint fondateurs auraient pris une nef grâce à laquelle ils acostèrent à Agoz à l'embouchure de l'oued Tensift...

C’est à la tête de quatre cent pèlerins que de retour de la Mecque est mort en Egypte ,le 6 octobre 1269, Al Shushtouri le grand mystique andalou qui marqua de son passage le Ribât de Taza. .Maître du samaâ , poète mystique andalou, né à Cadix vers 1203, ayant d’abord vécu au Maroc, avant de voyager en Orient. Ce fut un des grands Washâh mystiques, qui parcourait les marchés et les foires en s’accompagnant d’un instrument en chantant ses Mouwashahâtes andalouses:

« Un cheikh du pays de Meknès

A travers les souks va chantant

En quoi les hommes ont-ils à faire avec moi

En quoi ai-je à faire avec eux ?... »

Au milieu du sixième siècle de l’hégire,Ibn El Hassan Shoushtouri, ce grand poète soufi, ce maître du Samaâ’ ,  est passé par Taza , en tant que lieu de transit reliant l’Orient à l’Occident musulman. .Lors de ce voyages qui le conduisait d’Andalousie au pays d’Algérie, où il se rendait alors à Bougie où résidait le grand mystique Ibn Sabaâïn, il a composé des poèmes dont il me souvient de celui – ci où il dit :

J’ai  porté la coupe

A l’ombre apaisante des jardins

Ce fut dans une citadelle à l’Est de Fès

Douce était ma joie, vifs mes souvenirs

Au point que j’en oublie les miens

J’ai quitté la patrie pour la demeure des biens aimés

Où on m’a  servi la coupe divine.

Shoshtari n’a cessé de traduire pour ces disciples cette idée, d’un avertissement divin heurtant l’âme comme un choc impérieux. Dieu nous attire à Lui, par une sorte d’aimantation magnétique qui finit par « briser le talisman » corporel où l’âme est prisonnière ici – bas. Dieu frappa sans relâche à la porte de l’âme, à quoi elle ne peut que répondre par un cri bref, un tressaillement « comme la voix qui réveille celui qui dort ».Ce qui reste de Shoshtari, comme des maîtres spirituels qui lui ont succéder depuis, c’est cette actualisation poignante de l’instant, où ils veulent nous faire rejoindre l’éternel. « L’instant est une coquille de nacre close ; quand les vagues l’auront jetée sur la grève de l’éternité, ses valves s’ouvriront ». Il n’en disait pas davantage pour laisser comprendre qu’alors on verra dans quelles coquilles les instants passés avec Dieu ont engendré la Perle de l’Union.Ce à quoi fait échos NIYAZI MISRI, poète mystique turc du 17ème siècle :« Après avoir voguer sur la mer de l’esprit dans la barque matérielle de mon corps, J’ai habité le palais de ce corps, qu’il soit renversé et détruit ; ».OUI, l’instant est une coquille de nacre  close ; quand les vagues l’auront jeté sur la grève  de l’éternité, ses valves s’ouvriront.
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hospitalité légendaire
La présence de l'esprit du défunt n'est jamais aussi forte que lors du passages des pèlerins -tourneurs qu'il avait l'habitude de recevoir avec faste

Située au nord de Taza, la tribu actuelle des Branès  d’où est issu Ahmed Zerrouq est un résidu de l’une des deux grandes familles qui ont constitué jadis la nationalité berbère : les Botr et les Branès. Ibn Khaldoun, revient souvent sur cette dichotomie, qui lui sert à la fois à classer les tribus et à ordonner l’histoire du Maghreb, lorsqu’il évoque les évènements de la conquête arabe à la fin du 7ème siècle. C’est à ce moment là qu’entre en scène le chef berbère Koceila qui appartient au groupe ethnique des Branès et à la tribu des Âwraba.

Koceila est l’un des trois héros de l’histoire de la conquête, avec Uqba et la Kahéna. C’est sous son règne que les Âwraba ont résisté à la conquête arabe : Kceila El Âwrabi est à l’origine de la mort d’Oqba Ibn Nafiî. Grisé par sa victoire Koceila s’empara de Kairouan en 683. L’armée arabe le poursuivit jusqu’à Moulouya, et ses soldats Âwraba ne s’arrêtèrent qu’à Volubilis. Beaucoup d’entre eux iront par la suite s’établir dans la région de Taza où on les trouve toujours, dans cette contrée verdoyante du pré rif, où poussent drus l’herbe et le bois épais et où après que les fellahs aient entré leur moisson, des fêtes saisonnières ont lieu  à « Barria »(l’oléastre géant sous lequel les berbères Awraba auraient prêté allégeance à Idriss 1er en lui accordant l’une de leur fille). Ceux-ci commémorent encore de nos jours, pendant une semaine, chaque 12  août, le passage  d’Idriss 1er par leur territoire. A son arrivée d’Orient Idriss 1er aurait, en effet, rencontré le chef des Awraba sous cet oléastre dénommé « Barria », où se tient chaque année, au mois d’août, une fête patronale :

« Ce moussem qui dure une semaine, me confie maître Abdelkader Zeroual qui en est le maître de cérémonie, est le lieu de rassemblement des récitants du saint Coran. On y fait des prières rogatoires, des appels à la miséricorde divine chaque fois que la pluie fait défaut.  Toutes les sourates sont psalmodiées en ce moussem qui dure une semaine entière. Les gens de tribus qui y affluent de partout, y sont gracieusement approvisionnés en nourritures. Les offrandes sont accordées pour plaire à Dieu seul. C’est peut-être la seule région du Maroc, où on t’accorde encore l’hospitalité au nom de Dieu. L’état de grâce, a toujours caractérisé le pardon de « Barria » de sa naissance à nos jours. Le surplus d’offrandes est confié au garant du parvis sacré, pour approvisionner le moussem de l’année suivante, en nourritures et en  sacrifices. La tribu se charge de compléter cet approvisionnement. C’est dans cette région qu’était arrivé Moulay Idris, et c’est ici même qu’Abdelhamid, le chef des Awraba lui avait accordé sa fille Kenza. Enfin, c’est de là, que Moulay Idris avait commencé sa conquête du Maroc, jusqu’à son arrivée dans la région de Zerhoun, Volubilis actuellement. »

 

L’arbre géant sous lequel, Moulay Idris aurait reçu la main de Kenza, la mère du fondateur de Fès, est à associer à l’arbre cosmique symbole de régénérescence printanière et d’éternelle jeunesse.

C’est sous cet arbre sacré dit-on, que le chef des Awraba aurait accordé sa fille Kenza à Idris 1er. Pour cette raison les Awraba se considèrent encore de nos jours, comme les gendres de Moulay Idris et en tirent une certaine fierté. C’est de là qu’il serait allé fonder la dynastie Idrisside à Volubilis.C’est une coalition de tribus berbères, dont les Awraba constituaient le noyau qui appuya la cause d’Idris 1er. En tout cas, celui qui est connu comme le fondateur de la dynastie  Idrisside au Maroc fut proclamé Imam par les Awraba en l’an 789. Voici ce que nous dit « Rawd Al-Qirtâs »à ce sujet :

« L’Imam Idriss, premier imam souverain du Maghreb, se montra en public dans la ville d’Oualily (Volubilis), le vendredi quatrième jour du mois du ramadan de l’année 172. La tribu des Aouraba fut la première à le saluer souverain ; elle lui donna le commandement et la direction du culte, de la guerre et des biens. Aouraba était à cette époque la plus grande des tribus du Maghreb ; puissante et nombreuse, elle était terrible dans les combats. De toute part on venait en foule lui rendre hommage. Bientôt devenu puissant, il se mit à la tête d’une immense armée composée des principaux d’entre les Zénèta, Awraba, Sanhaja et Houara. »

C’est cet évènement initial que ce moussem de Barria (l’olivier sauvage) est sensé commémorer au temps des raisins et des figues. Les Branès possèdent encore la hampe et la soie du premier étendard que Moulay Idris avait confié à ses alliés berbères Awraba à Volubilis. Les berbères accueillirent Moulay Idris avec enthousiasme, car la croyance populaire en la baraka des descendants du Prophète était déjà bien enracinée au Maroc.Lorsque Idriss 1ER , fuyant les Omméiades, s’est réfugié au Maroc pour se fixer à Volubilis, parmi les tribus berbères gagnées à sa cause à la fin de l’année 788, on cite les Ghiata et les Miknassa. C’est probablement sous le règne d’Idriss 1er que les Miknassa commencèrent la construction de Taza. A la mort d’Idriss II survenue en 827 ou 828, ses douze fils se partagèrent le Royaume, l’aîné Mohamed garda pour lui le territoire de Fès et donna à son frère Daoud le pays des Tsoul, des Houara, des Riata, des Meknassa avec Taza.

 

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Le fils aîné du défunt qui lui a succédé  en tant que moqadem de la zaouia de Tikten

Il est à remarqué qu’aucun saint Regragui n’est mentionné dans ce nord-est marocain : ce qui conforte mon hypothèse que leurs sept saints ont rencontré plutôt le Prophète berbère Salih Ibn Tarif des Barghouata au bord de l’oued Bou Regraga d’où dérive leur nom qui signifie « les clapotis ».De ce fait leur prétendu visite au Prophète Mohammed s’inscrit dans la lignée de ce qu’on peut appeler leur légende doré : on trouve des tombeaux de saints Regraga chez les Seksawa du Haut Atlas, dans le Sous et même au Sahara, mais aucune mention n’est faite de leur saint à l’Est sur la route du pèlerinage à la Mecque.J’écris ainsi le soir du vendredi 10 avril 2009 :

Et pour ce qui est du nom des Regraga(les clapotis), il est probable qu’il dérive de celui de Bou-reg-reg, le fleuve qui coule entre les villes de Salé et de Rabat. C’est au bord de ce fleuve, que les sept saints berbères Regraga, auraient probablement rencontré le Prophète des Berghwatas, qui enseignait alors un Coran en berbère. Leur légende dorée dit d’ailleurs que ce « Prophète s’est adressé à eux en berbère... » Dans cette hypothèse ils auraient rencontré au bord de Bou Reg-reg, le Prophète berbère des Berghwata, dont le territoire s’étendait entre l’Oued Tensift au sud et l’Oued Sebou au nord. . Le Prophète dont il s’agit est Salih Ibn Tarif qui aurait prêché le Coran en berbère et créer un embryon d’Etat en l’an 127 (744).

Contre ce royaume hérétiques des Barghwata, les Regraga se rallièrent aux almoravides sous la conduite d’Abdellah Ibn Yacine, comme nous le racontait leur corpulent et loufoque « mythologue » que j’ai connu avec Georges Lapassade dans les années 1980, et qui a complètement disparu du daour depuis lors, probablement pour raison d’âge. C’est sur la rive Sud du Bou-Reg-reg  que les almoravides ont fondé Rabat au XIè siècle. Ce ribât était alors occupé d’une façon permanente par de pieux volontaires mobilisés par le djihad contre les incursions des hérétiques Berghwatas. Selon le géographe et historien El-Bekri, Ben Yacine ne périt qu’après avoir conquis Sijilmassa, Aghmat, le Sous entier, l’Oued Noun et le désert. Sous la conduite de son successeur Youssef ben Tachfine, les Almoravides allaient faire la conquête du Maghreb et soumettre ensuite toute l’Espagne musulmane : leur empire s’étendra de la Mauritanie et du Maroc actuels à l’Andalousie, au Nord, et à la région de Tlemcen, à l’Est.

Que reste –t-il de ces péripéties historiques, auxquelles les Regraga auraient participé jadis ? Des légendes rapportées dans leur fameuse Ifriqiya. Elles remontent à ce qu’on a convenu d’appeler « les siècles obscures du Maghreb » et comporte donc beaucoup d’énigmes. Une des méthodes de recherche initiée par Georges Lapassade, était justement de dénicher de telles énigmes et de s’en servir comme fil conducteur à la recherche historiographique de terrain.

 

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Tikten à l'aube


Lors de mon séjour chez les Ghiata pour les besoins d’un documentaire que j’ai intitulé « la danse du baroud », Ba Cheïkh  me dit:

« Qu’Allah nous préserve des écarts du langage ! Amis ! Ce carnaval  légué  par nos ancêtres et  parents, continuons à le fêter ! Nous l’avions fêté avec feu Ali Zeroual, avec Mohamed Bougrine, que Dieu ait son âme, et avec Ba Chiboub qui a soixante dix ou quatre vingt ans. J’ai joué avec Mestari Driss qui était presque centenaire, et je continue à apprendre aux jeunes. Ce carnaval a lieu chez nous à la fête du sacrifice. Au dixième jour après le sacrifice. Je dormais – seul Dieu ne dort jamais – et je me voyais en rêve masqué dans une mascarade comme celle-ci. Quand l’Aïd el Kébir arrive, on sacrifie une victime, et après avoir consommé méchoui et grillades, je m’accoutre de cette manière, je rassemble autour de moi les badauds, et je m’en vais de hameau en hameau où les villageois nous accueillent avec des offrandes : si quelqu’un souffre de rhumatisme par exemple, nous ne le soignons pas de notre propre volonté, mais par celle du Seigneur. Par la grâce d’Allah. Nous ne faisons que prier pour le malade. S’il guérit par la grâce divine, il offrira bouc et bélier.On lui demande :

- l’amèneras tu avec ses cornes ?

- Oncle Ba Cheïkh, il sera avec ses cornes !

Et Dieu accorde sa guérison. Ce n’est pas à moi que cette grâce appartient. Parmi cette assistance, chacun qu’il soit jeune ou vieux, possède sa propre baraka auprès de son Seigneur. Chacun sa part de grâce divine, qu’il mobilise en prières pour ce malade. On nous offre des céréales, on nous offre de l’orge, on nous offre des béliers. On va au devant des bienfaiteurs et ils nous accueillent avec joie. »

A la fin de la tournée aumônière, « Ba Cheïkh » et ses acolytes de la mascarade organisent à leurs tour un énorme potlatch, où tous les villageois sont conviés à festoyer : aux dons des villageois succède le contre – don des acteurs de la mascarade, mais cette fois démasqué. A la fête du sacrifice succède le pic -nique rituel et printanier de la « Nzaha ».  Ces offrandes sont recueillis par ces personnages burlesques et masquées au cours des tournées aumônières qu’ils effectuent en allant se produire devant chacun des hameaux qui composent la fraction de tribu Ghiata, comme c’est le cas ici à Ibachiyn, douar appartenant à la fraction de tribu dite « Ahl Dawla ». Ces Ahl Dawla, sont des berbères au langage très métissé du fait de leur voisinage immédiat avec les Béni Warayen. Ils sont la preuve que les berbères du Nord-Est, tel les Ghiata et les Branès, ont été plus précocement touchés par l’arabisation que ceux du sud marocain. Les Ghiata [1], les Branès et les Bni Ouarayen représentent les vieilles populations stables de ces montagnes.

Au cours de sa promenade villageoise Ba Cheïkh fait mine d’effrayer les femmes et les enfants. La promenade de Boujloud commence le deuxième jour de l’Aïd El Kébir. On lui donne souvent le sobriquet de Herrema le « décrépit ».Ba Cheïkh(littéralement le vieillard des vieillards), simule un individu  parvenu à l’extrême limite de la vieillesse, courbé sous le poids des ans, portant en guise de masque une petite toison percée de trous pour les yeux, la bouche et plaquée sur la  figure. Il porte un sac renfermant une provision de cendres aux lieux des sonnantes et trébuchantes. Escortés de musiciens, les deux vieux, s’arrêtent devant les maisons se livrent à toutes sortes de facéties tandis que l’orchestre emplit le village de ses notes discordantes. [2]

Dans l’usage du djebel, il est un usage curieux : celui qui consiste à saupoudrer de cendre la barbe des gens. Le sens du rite est assez énigmatique. Peut-on le considérer comme un charme de pluie ; la cendre symbolisant la terre calcinée par la chaleur solaire ?

Chez les Branès de la région de Taza du côté Jbala, les acteurs sont au nombre d’une dizaine : Ba Cheïkh, le chef, Souna et Abida, deux personnages féminin, esclaves du maître, Ba Abbou et des juifs colporteurs suivis de leurs enfants. Chez les Tsoul, ce sont également Ba Cheïkh et sa femme Souna , sa captive Dada et son mari Azi, deux jeunes esclaves, Ba Abbou, le colporteur, Bghila , la mule, et Hallouf, le sanglier.Le vieux des mascarades est parfois accompagné d’une vieille aussi chargée d’ans que lui, qui passe pour son épouse :Ba Cheïkh et sa Souna. Dans ce pays la fraja se réduit même la plupart du temps à l’exhibition de ce couple, sans doute parce qu’il possède dans l’âme populaire des racines plus fortes et plus anciennes que les autre figures. Ce vieux couple mime des scènes partout les mêmes : la vieille d’humeur acariâtre se refuse aux amours séniles de son époux qui, devant un public amusé, tente de lui donner des preuves d’une ardeur depuis longtemps éteinte.

Voici donc un personnage féminin d’identification peu commode. Les Ghiata l’appellent Souna.. C’est un jeune homme imberbe, à la figure pouponne que l’on choisi pour le représenter. On le vêt de beaux vêtements de femmes : on le promène à travers les douars au son des tambourins ; on l’arrête au seuil de chaque maison devant laquelle la belle Souna danse en se trémoussant des épaules et des hanches. Elle recueille à ce jeu beaucoup d’argent. Finalement, elle s’exhibe dans le cercle de danseurs qui prennent part à ce carnaval par lequel se terminent les fêtes de l’Aïd El Kébir. Souna personnifie-t-elle, quelque déesse de fécondité ? Certaines légendes berbères parlent d’une « fiancée du tombeau », qui pourrait être la Souna du carnaval. C’était au temps de sa vie humaine une femme de grande beauté, mais ses mœurs abominables  lui firent encourir la colère divine. Condamnée à courir, la nuit, à travers le vaste cimetière, elle trébuche à chaque pas sur les tombes dont le nombre va en s’augmentant à l’infini. Chaque matin à l’aurore, épuisée par sa course nocturne, elle redescend dans son froid suaire où elle repose tout le jour au milieu des morts. Et ainsi se poursuivra sa course macabre jusqu’au jour du Jugement, où l’attend un châtiment pire encore.

.Un personnage identique existe chez les Bni Warayene voisins qui célèbrent également leur carnaval à l’Aïd El Kébir. En effet, parmi les types carnavalesques figure la soi-disant « fiancée de Bou jloud », Taslit ou Bou Jloud représentée par un homme déguisée en femme vêtue d’une magnifique handira. Cette Taslit fait son apparition dans le douar dés l’égorgement du premier mouton. A sa vue, hommes et femmes sortent des tentes et l’accueillent de leurs quolibets. La fiancée se jette sur les spectateurs, et frappe brutalement celui qu’elle parvient à saisir et qu’elle ne relâche  que sur l’intervention des parents et des tolbas venus se prosterner devant elle, les mains liées derrière le dos.[3]



[1] Sauf la fraction montagnarde des Ahel Doula, les Ghiata ne parlent plus la langue berbère. Ils sont en réalité bilingues.

[2] Pour Laoust, la cérémonie dont Ba Cheïkh évoque le souvenir d’une époque antérieure à l’invention du labourage où les berbères menaient la vie pastorale et où ils pratiquaient le culte du bélier, comme personnification du Dieu protecteur du troupeau. La victime sacralisée par son sacrifice, possède une baraka, sa peau en particulier jouit de la faculté  de guérir toutes sortes d’affections cutanée. On suspend les cornes aux arbres fruitiers, plus particulièrement aux grenadiers, dans le but d’augmenter la récolte de fruits.

[3] A la fin du 19ème siècle Frazer vit dans cette succession de sacrifice suivit de mascarade, dans cette juxtaposition de la douleur et de la liesse accompagnant la mort et la résurrection d’un Dieu de la végétation. Ainsi la nature fut régulièrement renouvelée, par cette célébration saisonnière. Dans « la victime et ses masques » Abdellah Hammoudi , nous dit à propos de la mascarade de l’Aïd El Kébir, que les travestissements des règles  ordinaires qui s’y jouent répondent à l’inversion du temps dans un rite de passage par quoi se marquent les deux orientations contradictoires de la durée : le temps qui part et celui qui arrive. Le théâtre des masques inverse les rôles et les faits et gestes de la vie quotidienne.. Dans la mascarade, l’autre prend successivement visage d’esclave, de juif et de femme.

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Ce soir comme il y a vingt cinq ans, je vais assister aux chikhates qui vont se produire. En attendant le début de la soirée, j’assiste à une ksara de jeune safiots avec leur outar, en notant qu’ à Essaouira le cerveau musical de la ville est le guenbri des  Gnaoua, alors qu’à Safi, c’est plutôt loutar de l’aïta. La soirée se déroulera chez les voisins de Hamid Lachgar, où les jeunes Safiots viennent de sacrifier deux moutons. A l’entrée un pressoir à huile. Le propriétaire de la maison, qui est le muezzin du village est un cousin de Hamid Lachgar.

L’animateur de la soirée venu spécialement de Safi avec sa troupe, c’est le cheikh Sopa aux yeux bleus claires. Il est venu me dire qu’on s’est vu en ce même endroit, il y a plus de dix ans de cela, du temps où le Moqadem Hamid Lachgar était encore en vie. J’ai déjà une longue histoire avec les Regraga avec toutes ces rencontres et ce retour du même : je croyais que la troupe animatrice, ce sont ces jeunes improvisateurs venus de Safi, mais finalement la troupe de chikhates, c’est toujours la même sous la direction du même violoniste, Monsieur Sopa : il était dans une pièce à côté en train de préparer force pipes de kif avec sa troupe : c’est le point commun avec les Gnaoua ; eux aussi passent l’après midi qui précèdent la lila à s’enivrer d’adjuvent rituels, le kif en particulier.

 

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Un violoniste doit connaître aussi bien l’ancien que le nouveau répertoire. En cela sa mémoire ressemble à la charge du colporteur (attar), chez qui les femmes des hameaux éloignés trouvent tout ce qu’elles désirent. Dans sa version traditionnelle, l’aïta des ports exaltait les expéditions et le courage des chevaliers et de leurs chefs, les grands caïds. Rahal, le vieux chansonnier de la grande source, a ouvert les yeux sur une aïta qu’on appelait  la gazelle des chasseurs :

En éperonnant le fauve (al Bargui),

Elle m’a piqué au cœur.

Combien de porteurs d’étendards

Ont accompagné les chevaliers errants ?

Par les temps d’anarchie (siba), les porteurs d’étendards ouvraient la marche aux escouades de chevaliers intraitables qui allaient d’une expédition punitive à l’autre (les fameuses harka) apporter la victoire et la notoriété à leur tribu et à leur Caïd. L’une des aïta les plus célèbres ne porte-t-elle pas comme titre, « le déferlement des chevaux sur les chevaux » ? Elle relate par le menu une expédition punitive :

Dans la tourmente et la poussière

À Ben Guerir, tout s’envole.

Des charrettes pour les blessés !

Les aveugles sont délaissés.

Où sont passés les gros moutons ?

Où sont passés les beaux chevaux ?

Au souk de Larbaâ, le moussem devient Harka

Tentes et mâts sont foulés aux pieds.

Bataille du jeudi s’achève le vendredi.

Nous en voulons à la déchéance des jours

Qui font des Chorfa de simples hommes du commun.


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C’est surtout lors des moussems-fêtes foraines à la fois commerciales et religieuses, réunissant plusieurs tribus autour d’un sanctuaire, généralement après la période des moissons - qu’ont lieu les manifestations collectives les plus éclatantes :

Moi aussi, El Hâjj Bouchaïb

J’irai au moussem le cœur en fête

D’une tente immense, je planterai les piquets

Et de tapis multicolores, je couvrirai l’intérieur.

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Autant que la chevalerie, la thématique agraire est importante ici, comme le souligne Ali, le violoniste du Mzab :

- La première fois, que j’ai pris le violon, j’ai chanté les graines de grenade, qui débutent ainsi :

Au ciel, ils ont suspendu la vigne

Sa propriétaire est en transe

Et son propriétaire un musicien.

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En connaisseur, l’un des invités me dit :

- Si tu veux savourer la vraie aïta, il te faut l’écouter sous la tente des moussems, assis sur une natte, avec une pierre pour seul oreiller, et pour toute lumière, une lampe à pétrole. C’est là que l’aïta se manifeste, et pas à travers l’écran du téléviseur. Pour écouter l’aïta dans sa vérité, aucun artifice ne doit s’interposer entre toi et les musiciens : ni ampli, ni microphone, ni lumière électrique.

La participation, voilà le mot-clé. Il n’y a pas de frontières entre orchestre et spectateur, car ils sont dans une certaine mesure interchangeables. On participe aussi aux frais de la fête collective, par le biais des loghrama, ces billets de monnaie qui permettent de gratifier la beauté de la danse et du chant. Et s’il y a un trait commun à toutes ces tribus arabophones, malgré les nuances existant entre leur personnalité de base, leur territoire, et leur répertoire marsaoui,haouzi,ou zaâri- c’est bien l’esprit de la fête, qu’on appelle ici nachate, et pour lequel, certains sont prêts à consentir des sacrifices qui leur font frôler la ruine :

 

Ô Baba Driss vends ton jardin

Et viens t’amuser !

 

On signale que beaucoup de fils d’anciens caïds ont dilapidé leur héritage dans les fêtes des chikhate.chikhate, afin d’affirmer leur puissance et leur prestige. Ce comportement ostentatoire est également un héritage : l’une des attributions des caïds des plaines céréalières était d’organiser pour leur tribu de grands cérémonials de cavaliers et de préstige.

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L’aïta était à l’origine un appel au secours de Dieu contre les forces incontrôlées de la nature et contre l’injustice des hommes. Aujourd’hui l’aïta est d’abord et avant tout un appel à reconnaître le droit de cité à la chair contre les froides exigences de la norme. L’amerg, chant poétique berbère, procède ici par allusion. L’aïta au contraire, désigne sans pudeur l’objet du désir :

 

Ma part de l’interdit,

Je ne l’ai pas encore vendue.

 

À première vue cette libre expression du désir paraît récente. Elle serait due à la modernité. Cependant, elle nous semble en réalité aussi vieille que l’aïta elle-même.
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Progressivement les langues se délient, les barrières sociales sautent. On passe du vouvoiement au tutoiement. Les invités se mettent à danser à tour de rôle avec la chikhate de leur choix :

 

Ton œil, mon œil

Enlace-la pour qu’elle t’enlace

L’aurore me fait signe

Le bien-aimé craint la séparation.

 

Un admirateur se lève. Il pose un billet sur le front de sa danseuse préférée. Et ainsi commence ce qu’on appelle  Loghrama. Un rival fait de même en misant davantage. Le processus fait ainsi boule-de-neige. Il devient difficile pour les participants mâles, de se soustraire à cette obligation, sans se déconsidérer aux yeux des femmes : la richesse consumée est l’un des attributs de la virilité. Si le groupe est homogène ; quelques billets suffisent. Mais si dans la séance, il existe deux personnalités rivales c’est la surenchère des billets de banque, non seulement pour conquérir la plus belle danseuse mais pour avoir le leadership dans le groupe. C’est à qui ruinera l’autre en se ruinant lui-même. C’est la dépense gratuite, festive, et pour le prestige. L’écrivain Georges Bataille met en relation, sur un autre sujet ; l’érotisme, la mort, et ce qu’il appelle la « consumation ».

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Chez les Romains, des prostituées sacrées vendaient leurs charmes au bénéfice de la divinité, dans son temple. Il est possible que les chikhate soient les héritières de cette antique tradition méditerranéenne.

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Au coeur de la nuit, on entame le répertoire sacré du Saken et un descendant de Sidi Rahal de s'emparer d'un bouillard pour boire du feu en état de transe:
La captation de ces effluves bienveillants a besoin d’une théâtralisation rituelle accompagnée de musique pour faire « monter » le « saken » (l’habitant surnaturel).
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6h.30. Mardi 14 avril 2009

 

Réveil avec les chants des oiseaux. Je suis d’abord attiré par la lune blafarde au firmament au dessus du village. Elle représente pour moi la sérénité et un peu plus loin, je remarque un oiseau qui nettoie ses ailes sur un fil électrique : l’électrification rurale est arrivée ici avec la visite royale en 2007, le moment même où Hamid Lachgar décède.

 

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Je pars tout à l’heure avec la taïfa à Sidi Mohamed Marzouq et ce n’est que demain, qu’il y aura ici la présence des cavaliers de la tribu Hart.

 

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Je rejoins les membres de la taïfa en train de prendre leur petit déjeuner sous un muret. L’écuyer me dit à propos de celui qui leur offre le petit déjeuner :

 

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- Si Mustapha est notre ami. Cela fait deux ans qu’il nous offre le petit déjeuner mais cette tradition perdurera de génération en génération ! Après le petit déjeuner nous allons prendre cette piste longue d’une vingtaine de kilomètres.

 

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Ils sont partis plus vite et plus loin que moi, alors que je peine à courir après eux alourdi par mon sac sur le lit de l’oued desséché et rocailleux. A un certain moment le jeune Moqadem a ordonné à l’écuyer de m’attendre avec son âne pour m’alléger de mon sac pour que je puisse les rattraper plus vite. Le lit de l’oued est trop rocailleux pour accélérer le pas. La plus adéquate métaphore pour décrire le daour est le passage d’un train : il y en a ceux qui conduisent le train et qui l’accompagnent du début à la fin, mais tous les autres ne font que prendre le train en cours de route pour l’accompagner quelques stations avant de redescendre plus loin. Il y a les accompagnateurs permanents que sont les petits groupes de la khaïma et de la taïfa qui sont toujours là, mais tous les autres ne sont que des accompagnateurs et des participants provisoires, qui cèdent leur place à de nouveaux arrivants qui reprennent le relais en accompagnant le daour. Le parcours du temps, le train du printemps.

 

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Nous quittons le lit rocailleux de l’oued pour rejoindre enfin la route qui mène à Sidi Mohamed Zerrouq. La taïfa continue son chemin à pas cadencé : ça roule comme une horloge ; ils doivent être à l’heure où les gens les attendent à chaque étape. Ils ne peuvent pas donc retarder la marche pour m’attendre. Mine de rien, le parcours est pour ainsi chronométré : chaque minute voir chaque seconde compte, l’aiguille du daour ne doit surtout pas s’arrêter pour arriver à temps à l’heure zénithale où aura lieu la distribution des offrandes. Ce n’est pas comme en ville où les rendez vous sont des bluff, reportés continuellement à plus tard, où les temps morts ne cesses de s’accumuler dans notre vie. Ici tout est réglé par l’horloge du printemps.

 

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Une camionnette s’arrête et me prend avec des pèlerines qui vont aussi au daour de Sidi Mohamed Marzouq, les mains enduites de henné en espérant y rencontrer l’élu de leur vie. Encore une fois le fameux tmarsit, la fameuse caprification !
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Nous arrivons enfin à l'étape de Sidi Mohamed Marzouq!
C'est ici que se fait la jonction entre les sept saints berbère Regraga
et les sept saints de Marrakech.
C’est Moulay Ismaïl qui institua la ziara aux Sebatou Rijal de Marrakech pour faire pièce aux sept saint Regraga.

Le porteur d’eau au visage tacheté de vitiligo m’apprend , qu’à cette étape , les serviteurs viennent du Haouz de Marrakech : il s’agit de la tribu Hmar et de la zaouïa  de Sid Zouin . Curieusement, ces pèlerins en provenance de Sid Zouine opèrent la jonction entre les sept saints berbères Regraga et les Sabâtou Rijal de Marrakech. Ces derniers prirent à Marrakech une telle notoriété que cette expression devint comme un second nom de la ville. On dit par exemple : « je vais aux Sebatou Rijal » pour indiquer que l’on se rend à Marrakech. Les sept saints de Marrakech n’ont de commun que le lieu de leur sépulture. ;  ils sont venus de pays parfois éloignés, et ont été séparé dans le temps et dans l’espace, puisque la date de leur mort s’échelonne entre l’année 1148, date de la mort du Cadi Âyad, et celle de 1528, date de la mort de Sidi Abdellah El Ghazouâni, dit « Moul Laqsour » ou encore « Moul Tabaâ », le titulaire du sceau. C’est de ce sanctuaire de Moul Laqsour que part au cinquième jour du Mouloud, la chamelle qu’offrent les tanneurs de Marrakech à Moulay Brahim, « l’oiseau des cimes ».

La visite aux Sebatou Rijal se faisait suivant un parcours circulaire, qui commence au Sud – Est de la médina, s’achève au Sud – Ouest. Le Cheïkh el Kamel, le maître des Aïssaoua, au moment d’atteindre sa plénitude spirituelle, Bou Rouaïn qui l’accompagnait lui dit :

- Il faut que tu te rendes au pèlerinage des Sabatou Rijal pour mériter le sceau de la sainteté.

Au moment de rendre l’âme, Sidi Ben Sliman  a légué son pouvoir à Sidi Abdelaziz, en lui disant : un jour viendra un saint homme que tu reconnaîtras, et à qui tu remettras ce legs. En arrivant à Moul Laqsour, le Cheïkh el Kamel s’installa parmi eux : on su alors que c’était Lui qui devait venir récupérer son legs spirituel.

Une qasida énumère ainsi les sept saints de Marrakech :

L’hôte de Dieu, réclame le secours des sept saints, nos Seigneurs.

Je commence par le vertueux Sidi Youssef Ben Ali qui ne nous abandonne jamaist.

Au Cadi Âyad, nous demandons intercession pour notre délivrance.

Ô Sebti, ô Ben Abbas, sauves nous, aux heures sombres !

El Jazouli l’élu,  rend heureux quiconque sei rend auprès de lui.

Tabaâ, l’envoyé,  guérira de son remède nos foyers

Le titulaire du sceau a dit : « Banni soit tout porte malheur ! »

Ô assemblée des braves ! Exhaussez nos vœux ! Guérissez nos maux !

Pour clore ces suppliques, il est bon d’évoquer l’Imam Souhaïli.

Tels sont, les sept saints de Marrakech.

Cette qasida cite entre autre, l’Imam El Jazouli, l’auteur de Dalili El Khayrate, qui réveilla la ferveur religieuse des marocains contre l’incursion portugaise sur les côtes. La coalition groupée autour de lui contre l’envahisseur, fut pour beaucoup dans l’abolition de la dynastie mérinide, laissant ainsi toute latitude aux chorfa Saâdien pour instaurer une nouvelle dynastie sur les débris de l’ancienne. Il mourut en 1465 à Afoughhal près de Had Dra en pays Chiadma. Une fois devenu Souverain , le Saâdien Moulay Ahmed El Aâraj, ordonna le transfert de sa dépouilles ainsi que celle de son père , du lieu dit d’Afoughal à Marrakech, où il figure parmi les sept saints.

Autre patron de Marrakech :El ghazouani, « le titulaire du sceau ». Il était devenu si célèbre que le Souverain Wattasside, Abou Abdellah Mohamed dit Al Bourtoughali, le fit arrêter au Habt dans des conditions mystérieuses. Libéré, il s’établira par la suite à Marrakech, à la fois pour fuir les Portugais qui débarquent à Azemmour en 1513 et pour y soutenir la fortune naissante des Saâdiens. Son maître spirituel était le Cheikh Sidi Abdelaziz Tabaâ qui naquit à Marrakech où il était marchand de soie. Appelé à Fès pour y enseigner dans la capitale Mérinide, il alla loger à la médersa Attarine. Les habitants y accourir de toute part pour recevoir sa bénédiction. Mais ayant reconnu dans la foule le Cheikh Abou Al Hassan Al Andalûssi, il vint à Lui, le prit par la main et l’installa à sa place ; puis il demanda qu’on lui amena son cheval pour retourner à Marrakech. Il y mourut en 1508 et fut enterré près de la mosquée de Ben Youssef.

Sidi Bel Abbas Sabti, est considéré comme le saint patron de Marrakech. Averroès qui avait envoyé à Marrakech un docteur de Cordoue pour s’informer de sa doctrine , jugea que celle –ci était basée sur le principe que  « la vie de l’homme se fait par la charité ».Il est considéré comme le protecteur des aveugles qui se maintiennent en vie beaucoup plus par leurs prières que par la charité. La vie de Sidi Bel Abbès , fut dominée par la confiance en Dieu, Attawakkûl. Il quitta Ceuta où il était né en 1130 et vint s’établir à Marrakech sous le règne de Yaâqoub El Mansour l’Almohade. Ce dernier fut surnommé « Al Mansour »(le victorieux) après avoir défit les chrétiens d’Andalousie dans la bataille d’Alarcos le 18 juillet 1195.

À la fin de sa vie le sultan Almohad fut saisi d’une crise mystique et fit mander Abou Médian, le pôle spirituel de son temps. Le cheikh vivait alors à Bougie. Malgré son grand âge il se mit en route pour rejoindre le Sultan à Marrakech. Arrivé à El Ubbad près de Tlemcen, il sentait que sa fin est prochaine. Il dit alors aux hommes de Yaâqûb El Mansour :

- Allez dire au Sultan que son salut est entre les mains de Sidi Bel Abbès.

Ces paroles furent rapportées à Yaâqûb El Mansour, qui fit rechercher Sidi Bel Abbès et en fit son directeur spirituel.

De tout temps, la ville de Marrakech était renommée pour le grand nombre de Ouali qui reposaient dans son enceinte et qui justifiait le dicton « Marrakech, terre des saints »

 

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Nous sommes ici dans la tribu Hart, limitrophe de Hmar et des Oulad Jerrar( Hart fait partie du pays Chiadma, et les deux autres du Haouz de Marrakech). C’est la zaouïa de Sidi Mohamed Marzouq qui offre la provision à cette étape sans recevoir de contre don puisqu’elle ne fait pas partie des zaouïas Regraga qui accompagnent le daour. C’est donc un cas de figure singulier que cette zaouïa excentrique de Sidi Mohamed Marzouq : une zaouïa servante au service des Regraga, puisqu’elle leur accorde la mouna pour recevoir leur bénédiction. Il s’agit de rapports sociaux de protection entre une zaouïa servante et les Regraga. Quant à la tribu Hart, elle anime plutôt l’étape de Mrameur par ses cavaliers .Quelqu’un me dit d’aller vers l’oliveraie pour y rencontrer Oulad Sid Zouine, en y arrivant je tombe plutôt sur Ahmed l’ancien Moqadem de la taïfa, avec son fils Abdelhaq - Tous deux étaient habillés de djellabas immaculées- il me dit :

- Comment va le tmarsit (la caprification) ?

C’est à la fois un hommage et un reproche. Un hommage ambiguë donc et un reproche ambiguë aussi.

Un peu plus loin quelqu’un de la tribu Hart me demande d’où je suis et comme je répond d’Essaouira, il m’interroge à nouveau :

- Essaouira de la mer ?

 

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Maintenant que j’ai récupéré mon sac auprès des gens de la taïfa, et donc ma liberté. Je peux partir à tout moment vers Essaouira : Souirt Labhar comme ils disent : Essaouira de la mer. Parce qu’il y a d’autres Essaouira plus enclavées dans la terre : la sucrerie saâdienne au bord de l’oued ksob au cœur de l’arganeraie et l’Essaouira des Mrameur où se retrouvent les cavaliers Hart avec leurs chevaux à l’ombre de l’oliveraie, qu’on appelle souirt Mrameur.

 

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Cette étape de Sidi Mohamed Marzouq est surtout marquée par la forte présence des fantassins qu’on appelle rma. En générale, ils se rendent aux étapes les plus importantes telle Sidi Hsein Moul Bab de la province de Safi,e d’Essaouira ou encore l’étape de clôture.

 

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Les fantassins se composent de deux fractions : ceux de Sidi Bou Laâlam et ceux d’Akermoud.

 

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Sur le circuit de pèlerinage des sept saints berbères Regraga Korati Lahbib m’apporte ces précisions :

- Aujourd’hui, mardi 14 la  khaïma arrive à Tikten au moment où la taïfa  quitte cette étape pour se rendre à Sidi Mohamed Marzouq. Le mardi est donc animé simultanément par deux daour : celui de Sidi Mohamed Marzouq et celui de Sidi Hmar Chantouf(« poile de carotte », le saint patron de la zaouïa de Tikten). A son retour de Sidi Mohamed Marzouq la taïfa passe par Sidi Bou M’âïza (le saint patron protecteur du cheptel de  caprins), traverse à nouveau la zaouïa de Tikten avant de rejoindre Souirt Mrameur. Le mercredi 15 avril, la taïfa et la Khaïma se retrouvent ainsi à l’ombre des oliveraies de Mrameur où ils sont accueillis par les cavalier Hart. Et le jeudi le daour sera  a Moul’Ghiran (le patron des grottes).

 

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Au retour, dans une Peck- up , la jeune fille au main enduises de henné prend mon téléphone portable et me remet le sien. Elle me dit qu’elle est de Mzilat où elle devient parfois difficilement joignable en raison de l’absence du réseau. Elle pense que les Regraga viennent de lui accorder le prince charmant tant attendu : le fameux tmarsit, encore et toujours, cette caprification qui rend possible la renaissance du printemps.

Chérif Regragui m’informe de son désir de rejoindre les Regraga à une étape où ceux-ci passeraient deux jours successivement, afin qu’il puisse planter une tente caïdale où il les recevrait  somptueusement avec sacrifice de deux béliers (cette occasion ne se présentera finalement qu’à l’étape de Sidi Saïd Sabek, le premier à rencontrer le Prophète, selon leur légende dorée ).

« D’ici vendredi, les Regraga eux-mêmes  nous indiqueront l’endroit le plus approprié, lui répondis-je. Mais on a beau téléphoné  à korati Lahbib (qui l’a couvert à Sidi Kacem du turban de la baraka, avec ses poussières et ses sueurs accumulées lors des précédentes étapes), il demeure injoignable parce que le daour traverse des « hors-zones ».Cependant je me permets de vous signaler les étapes suivantes où les Regraga passent deux jours de suite :

 

1. Sidi Abdellah Ben Saïd : mardi 21 et mercredi 22 avril 2009.

2. Sidi Abdellah Ben Wasmine : samedi 25 et dimanche 26 avril.

3. Et la clôture  : samedi 25 et dimanche 26 avril 2009.

 

Cependant, si vous trouvez ces étapes trop éloignées dans le temps, on pourra choisir celle de Tikten (mardi 14 avril 2009).où j’ai des amis. » Il s’agit, des descendants de Sidi Hmar Chantouf, le marabout à la chevelure « poiles de carottes » qui aurait vécu sous les Saadiens.

Finalement, les objectifs que nous poursuivons s’avèrent complètement divergents, dans la mesure où je suis d’abord préoccupé par les images à prendre pour le beau livre, alors que ce descendant de Sidi Wasmine,  semble plutôt  répondre à un impérieux appel de ses racines, escomptant, à terme, créer une espèce de « fondation  Regraga », qui aurait un centre de documentation, au sanctuaire même de Sidi Wasmine au sommet de la montagne de fer !

 

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Chérif Regragui en jaune entouré du moqadem de la khaïma en blanc et du porteur d'eau avec le coq du sacrifice devant le sanctuaire de Sidi Saïd Sabek qui a devancé les septs berbères chez le Prophète

Au cours de ma première entrevue à Marrakech avec Chérif Regragui, un beau jour de l’hiver 2009, il m’a appris trois choses intéressantes que lui racontait son père :

 

1. Que les Regraga partageaient leurs offrandes et leurs sacrifices mais pas les ziara que les pèlerins introduisent au tronc de la khaïma : à la fin du daour ce tronc était transporté au sommet du djebel Hadid, au sanctuaire de Sidi Wasmine où on procédait au partage de la ziara monétaire.

2. Que, les sultans du Maroc avaient l’habitude d’offrir le taureau noir le plus puissant du Royaume aux Regraga,

3. Que, simultanément au déroulement du daour au pays Chiadma, un autre a lieu à kénitra . Car les descendants des Regraga sont établis depuis fort longtemps entre Salé et Kénitra, c'est-à-dire en bordure du Bou-Regreg (le clapotis).

 

 

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Ahmed, le porteur d'eau des Regraga à Sidi Saïd Sabek

Dimanche 19 avril 2009.

Une fois à Sidi Saïd Sabek, notre mécène se met à distribuer force aumônes et à en mettre autant au tronc de la khaïma. En guise de bénédiction les Moqadem présents lui offrent un coq blanc qu’il confie provisoirement au porteur d’eau. Celui-ci, déduisant aux signes extérieurs de richesse de notre protecteur, de possibles accointances avec le makhzen, lui demande aussitôt d’intercéder à son profit : étrange échange entre pouvoir temporel et pouvoir magico-sacral Le soir même, au cours d’un repas communiel, le coq de la baraka, fut consommé au couscous  aux sept légumes,.

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Abdelkader Mana

11:18 Écrit par elhajthami dans Regraga | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : regraga | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

26/04/2010

Coup de coeur

L'épave d'une patera

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Je publie en cette note de « coup de cœur » ces  images d'une épave échouée au Cap Sim que vient de m'envoyer mon ami Herve Decker que j'ai connu a Essaouira dans les années quatre vingt lorsque je rédigeais mon livre d'histoire sur la ville. Il s'agit en fait d'une patera marocaine - elle porte le nom de Sidi Mogdoul en arabe!- echouée sur les rivages Andalouses de Tarifa comme vient de me le preciser Herve par un nouveau message:

Salut  mon cher   
Je t'ai fait parvenir la photo de cette barque de pèche devenue "patera " du cote espagnol, c'est un témoignage .Cette épave est a Tarifa en face de Tanger  sur la cote espagnol, ce en quoi elle est d un intérêt certain.  Je suis a l'aéroport de bristol UK   et  j'attends un avion pour Malaga pour rentrer ce soir sur l'Espagne   je devrais  faire un tour  a Essaouira très bientôt bon courage

Precedemment il nous avait ecrit:

Salut à toi Mana,

Bloqué en terre Anglaise, je consulte ton journal toujours avec grand plaisir. Je te signale que le chercheur Desanges rapporte  une observation d'Elien qui peut être rapprochée de celle de Pline selon laquelle « les lions comprennent la langue des Maures » (Desanges : "Le témoignage masqué sur Juba   II et les troubles de Gétulie" ) .Peut - on rapprocher ce texte de la tradition qui accorderait à Sidi Mogdoul  la  vertu d'avoir  parlé a un  lion et sauvé  la ville ?

j'ai récupéré les bancs de cette épave pour les mettre dans le jardin de ma maison de compagne en faisant un rapprochement avec ton texte déjà ancien sur Cap Sim .... Tes photos sur les mouettes et les figures d'Essaouira m'ont incite à commencer la constitution d'une liste que j'intitule «  Ceux de Mogador » . Elle trouve son origine dans la documentation que j'ai consultée à ce sujet depuis fort longtemps. A l époque il n'y avait pas encore Internet ni de portable comme tu t'en souviens ....elle reste a compléter .Continue,  nous comptons sur toi cher Mana. Ton ami de Mogador. De :herve decker <canal16marine@hotmail.com

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C'est vraiment curieux que cette patera echouee sur les rivages Espagnols porte lisiblement en arabe le nom de "Sidi Mogdoul"!

C'est mon ami Hervé qui  le premier m'avait signalé et fourni  la correspondance de Louis Chénier, consul de France auprès de Mohamed III et père du grand poète du même nom . En prologue a mon livre d'histoire de la ville j'avais alors mis en exergue sa citation suivante en date du 15 décembre 1769 :

«  L'Empereur est arrive a Mogador au commencement du mois passe. Il a vu avec toute la tendresse d'un auteur la ville dont il a pose lui-même les fondements. Il a fait établir une batterie respectable a l'entrée du port et fait réparer tant bien que mal quelques fortifications, que le temps avait déjà dégradées. Sa Majesté doit partir a la fin de ce mois pour retourner a Maroc. » Comme le soulignait Louis Chénier, la ville n'a pas émergée lentement des méandres du Moyen Age : elle est née de la volanté du Prince. On appelait alors Marrakech « Maroc » et Essaouira devait être son avant - port. En effet, pour marquer son désire de faire d'Essaouira le principal port sur l'Océan, Sidi Mohamed Ben Abdellah  commença par bâtir un mur sur les rochers au bord de l'eau. Il fit inscrire la bénédiction du Prophète en lettres coufiques  sur la pierre de taille arrachée au flanc de cette ile qui n'est rattachée au continent que par une lagune.

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Suite a la remarque d'un internaute sur l'emploi du mot "coufique' nous publions cette transcrition en lettre coufique (ou koufique) qui figure sur la tour Est de la Scala du port d'Essaouira. Ce type d'écriture géometrique est appelé "koufique" par référence a la ville Syrienne de Koufa d'ou est originaire ce type de calligraphie . La trascription de "barakat Mohamed" symbolisait la bénediction du Prophete sur la cite des alisées.

Herve Decker est un authentique amoureux de Mogador, un oiseau migrateur qui revient périodiquement a cette ile exactement comme les faucons d'Éléonore qui traversent tout l'espace océane qui sépare les iles Britanniques des iles pupuraires de Mogador pour venir y nicher a chaque mois d'avril.  C'est le marin dans l'âme, qui s'occupait alors de la restauration de l'actuelle 'Villa Maroc' que l'Anglais James venait d'acquérir auprès de Jrayfia avant son départ définitif pour Agadir ou celle-ci allait mourir de chagrin : dans les années cinquante sa maison close abritait les plus belles filles du Maroc au bons plaisirs des Pachas de l'époque et dis -it-on , Orson Welles en personne y venait se délasser de ses fastidieuses journées de tournage d'Othello. Herve Decker a toujours été convaincu que si on effectuait des plongées sous marines dans la baie de Sidi Mogdoul, on y découvrirait quelques antiques épaves. Une ile aux trésors donc ! Il ne croyait pas si bien dire le bon Decker : tout récemment au parages du rocher dit « taffa ou Gharrabou » (l'abris de la pirogue, en berbère) , des marins ont pris dans leurs filets deux magnifiques amphores antiques intactes recouvertes seulement de coquillages et d'algues !

Abdelkader Mana

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16:06 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : poèsie, photographie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

23/04/2010

Abd-el-krim le mystérieux

Abd -el-Krim le mystérieux

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Mohamed - Si Mohand dans le Rif- Ben Abd-el-krim El Khattabi était né en 1882. De ses années d'enfance et de jeunesse, on sait sans plus, qu'il les passa dans la maison d'Ajdir, à l'ombre de son père. Le grand tournant pour lui, fut à n'en pas douter, le séjour  effectué à Fès. Après trois ans d'étude dans la mosquée Qaraxiyine, il était devenu en 1915, le na'ib du qadi qudat du Presidio espagnol de Melilla. Quand il quitta Melilla à la fin de la 1ère guerre mondiale, pour n'y jamais retourner, et rentra chez lui, à Ajdir, il était déjà un protonationaliste marocain.

Mohamed Ben Abd el-Krim venait chaque année fêter la fin du Ramadan et profiter de son congé pour épauler son père. Un officier turc, émissaire clandestin, vint voir Abd el-Krim à Ajdir, en novembre 1914. Le visiteur voulait savoir si l'on pouvait au Maroc même, espérer un appui pour une action contre la France, à partir des régions que l'Espagne, dans sa zone n'occupait pas encore. Il lui fut répondu, qu'avec l'aide matérielle fournie par la Turquie de Mustafa  Ata Turk , il serait très facile de soulever le Rif.

Sous le titre « Abd el Krim, le mystérieux », le correspondant du Bulletin de l'Afrique Française à Madrid, écrit le 5 septembre 1921 : « Le personnage devient de plus en plus énigmatique et on a bien du mal à comprendre comment le commandement de Melilla ne se préoccupe pas plus de le surveiller ou de s'en faire un auxiliaire.Des faits très caractéristiques permettent de se rendre compte qu'on ne se trouve pas en face d'un fanatique vulgaire, préoccupé surtout de rapines faciles, aidé de son frère, qui étudia durant trois ans, à Madrid, pour préparer son entrée à l'Ecole des Ingénieurs de Mines, il donne l'impression de s'efforcer de donner aux hordes rifaines une organisation inusité dans ces régions. Il tient à donner à ses adversaires l'impression qu'il est  au courant des usages de la guerre entre pays civilisés : les prisonniers sont bien traités et ont toute la liberté pour donner des nouvelles à leurs familles ; lorsqu'il rend le cadavre du colonel Morales ; avant de faire déposer son cercueil sur la petite plage de Sidi Idris, il le fait envelopper d'un drapeau espagnol et ordonne de saluer la dépouille mortelle du malheureux chef de la police indigène par des salves et les marins de la canonnière espagnole le voient s'incliner dans un dernier salut à celui qui fut son ami avant de devenir son adversaire. C'est à Abd-el-Krim et grâce à l'escorte qu'il envoya à Mont Arruit, que le général Navarro doit d'être encore vivant.»

C'est le 27 février 1920 que le Cadi Abd el - Krim avait franchi le rubican comme l'annonce en quelques mots un télégramme de Nokour[1] : « Si Mohand el Khattabi et son oncle Abdessalam avaient quitté Ajdir et faisaient route vers la « Harka », mot qui désignait les formations de Marocains en armes. Autrement dit Si Mohand et son oncle étaient montés au front[2]. Désormais le Cadi Abd el-krim commandait au front. « Plutôt la mort, répétait Abd el-krim, que de se rendre aux espanols ». Ces derniers envisageaient de relier Melilla à la baie d'Al Huceima par voie de terre[3]. Pour leur barrer la route, fin janvier 1921, quelques centaines de combattants Beni Ouariyaghel vinrent s'établir sur la hauteur du Jebel El Qama. Ils faisaient face aux nouvelles positions  espagnols, dont Anoual, la principale et la plus proche. C'est au Jbel El Qama , de février à mai 1921, que s'affermit le pouvoir de Mohamed Ben Abd el krim sur les tribus du Rif. Il imposa tant chez les siens, les Beni Ouariyaghel, que chez les Temsamane, une justice sociale qu'il exerça lui-même selon le « Chraa », loi de l'Islam.

Quasiment prisonnière dans sa ceinture de fortifications, Melilla, jadis, ne respirait que par la mer, d'où tout le nécessaire de la vie quotidienne devait lui parvenir. Mais en dix ans, grâce aux progrès de la conquête, elle était devenue capitale d'une région représentant, de l'oued Kert à la basse Moulouya, et du Guerrouaou à la pointe des trois fourches, plusieurs milliers de kilomètres carrés. Manquant de tout naguère, y compris l'eau courante, elle trouvait maintenant, dans cet arrière pays, les conditions lui permettant de se peupler et de s'étendre en vue de recevoir une forte armée d'occupation. Durant sept ans, entre 1912 et 1919, sous Jordana et sous le général Aizpuru, commandant de Melilla à la veille de la guerre du Rif, deux progressions eurent lieu vers le Sud : sur les étendues plates des Beni Bou Yahi et de leurs voisins Metalsa. Le territoire conquis est maintenant parsemé de positions, de garnisons, de points de colonisation que reliaient, des routes, des pistes et même une voie ferrée, offrait pour la manœuvre toutes les ressources dont peut user la stratégie. Beranguer avait dès 1919, dressé un plan pour une occupation de la région de Tafersit ou la localité de Dar Drius servirait de pivot pour la manœuvre au Nord, tandis qu'à  Ben Taieb, Tafersit et Azib Midar, des positions colmateraient sur son flanc gauche toutes les issues de la montagne qui menaçaient la progression. Ce fut le plan qu'en arrivant, eut à exécuter le général Silvestre. Le premier band prévu devait conduire à Sidi Driss, sur l'embouchure de l'Amekrane, à une dizaine de kilomètres vers le Nord d'Anoual. Situé sur la côte, la position à établir là bas formerait une base rapprochée, où lui viendrait ensuite, par la voie maritime, le gros de son ravitaillement.

Dans le numéro du Liberal du 23 septembre 1921, on peut lire :

« On ne s'expliquera pas en Europe comment une armée d 24 000 hommes avec son artillerie, ses aéroplanes et ses mitrailleuses ait pu être maltraitée par une horde de montagnards. Ceux qui comparent avec une légèreté inconcevable, pour nous consoler,l'évènement de Melilla à d'autres qui se déroulèrent dans la zone française, nous couvrent de ridicule. Précisément, en ce moment, a eu lieu un fait qui contraste rudement avec ce que les Espagnols lamentent : l'inauguration du chemin de fer de Taza à Fès qui traverse une vaste région peuplée par les tribus les plus guerrières de tout le Maroc. »

Ajdir est aujourd'hui la résidence d'Abd - el - Krim , l'organisateur du soulèvement de juillet dernier. Que se passe - t - il exactement entre Abd - el - krim et le général Silvestre ? Le général, beau sabreur, n'avait que du mépris pour ses adversaires et on peut supposer que des prétentions à une autonomie plus ou moins étendue du Rif central, ne devait pas trouver auprès de lui un accueil très favorable ; Abd - el - krim l'apprit à ses dépends, on a même raconté que le général le malmena rudement. Le cadet fut rappelé précipitamment à Madrid et revint à la maison paternelle d'Ajdir.

C'est peut - être à ce moment là que germa, dans l'esprit d'Abd - el - krim, l'idée de s'opposer à la marche en avant du Général Silvestre d'abord, pour se venger des mauvais traitements qu'il avait reçu et aussi pour essayer de conquérir par la force ce qu'on lui avait refusé : l'indépendances des Bén Ouaryaghel et la libre disposition des richesses du sous sol, dont les Allemands lui avaient appris à apprécier la valeur.

Si les Espagnols veulent rechercher quelles sont les origines du soulèvement qui débuta par la défaite de  Dhar Ouberran et eu son couronnement un mois plus tard, à Anoual, à Nador, à Selouane, à Mont Arruit, ils devront se donner la peine de remonter à une dizaine d'années, alors qu'ils marquaient le pas sur les rives du Kert et que les frères Manesmann, plus heureux prospectaient la région d'Al Huceima sous la protection du père d'Abd - el - krim.

Mémoires d'Abde el-krim[1]

Recueillies par Roger - Mathieu, sur le « Abda » qui le menait en exil :

« Mon père mourut à Ajdir. Son corps repose actuellement dans le sanctuaire de Sidi Mohamed Ben Ali...Les espagnols venaient d'occuper Dhar Ouberran, en pays Tamsamane, point stratégique et politique de toute première importance. Je me proposais sur le champ, de leur disputer cette position. La partie était risquée. Je disposais à cette heure, de 300 guerriers. Je revins me mettre à leur tête. Et malgré ma pauvreté en munitions, je déclenchais la contre attaque. Après un combat des plus durs, ma troupe réoccupa Dhar Ouberran.

Dans cette première grande bataille, les Espagnols avaient perdu 400 hommes dont 2 capitaines et 4 lieutenants. Quant au butin, il fut précieux pour nous : une batterie de 65 de montagne, des fusils Mauser tout neufs, environ 60 000 cartouches, des obus, des médicaments et des vivres de campagne ! Et vraiment tout cela n'était rien encore en comparaison de l'effet moral de cette victoire. Notre succès était si imprévu, si peu vraisemblable, que les Espagnols ne s'étaient même pas fortifiés à Dhar Ouberran. Et notre action avait été si rapidement menée que les troupes Rifaines ne comptaient pas plus de huit ou neuf morts, alors qu'ils en déploraient eux quatre cents. Encouragées par la victoire, nos troupes, maintenant voulaient attaquer. Et si bien, que de leur propre initiative, elles dessinaient déjà une offensive en direction d'Anoual et de Sidi Driss.

L'effet avait été considérable. Tandis que la population située dans la zone en retrait des troupes espagnoles, ayant vu la débandade de celle - ci s'apprêtait à la rébellion, toutes les autres fractions du pays Tamsaman se joignaient spontanément à nous. A cette heure commençait à se constituer le bloc rifain. Ne voulant pas succomber à l'erreur qui avait été funeste à nos ennemis, nous fortifions les positions conquises dont la ligne passe par Sidi Driss et devant Anoual et Tizi Azza.

Les Espagnols avaient massé à Igherriben, au Sud d'Anoual, une colonne extrêmement forte qui constituait en quelque sorte les avant postes de l'armée Sylvestre, dont le quartier général était à Anoual. J'étais informé que le ravitaillement des troupes espagnoles était défectueux, que peut - être même il ne s'opérait déjà plus, et que celles -ci n'avaient que pour quatre jours de vivres. Je savais aussi à quelle inquiétude elle était en proie, s'attendant d'une minute à l'autre, à voir  se soulever contre elle la population du pays qu'elle occupait. Pour accroître leur angoisse et rendre leu situation plus critique, je décide de couper leur communication avec Tizi Azza, leur base de ravitaillement. Et brusquement j'occupe la côte entre Anoual et Igherriben.

Effrayé des conséquences de cette manœuvre, le général Sylvestre ordonne immédiatement d'engager une opération désespérée, à gros effectifs. Il met en ligne environ 10 000 hommes, avec cavalerie et artillerie. Je ne dispose, moi, que de 1000 guerriers, mais, en seconde ligne, j'ai maintenant des réserves et l'appoint de tout le pays.

La bataille d'Anoual  va durer du 21 au 26 juillet 1921, menée par le seul courage et le bon sens. La bataille est acharnée. Chaque jour le général Sylvestre attaque, et de jour en jour avec plus de violence. Mais nos guerriers se sont fortifiés. Et ils ont un avantage capital : ils n'offrent pas de prises à l'ennemi, tandis que les Espagnols qui manoeuvrent en formations massives, éprouvent de lourdes pertes. Et tous les jours nous réalisons un riche butin.

Le 25 juillet 1921, manquant de tout, nos ennemis doivent évacuer Igherriben qu'ils avaient réussi à réoccuper un instant. La reprise de cette position nous procure des stocks imports d'armes et de munitions. Nous faisons là nos premiers prisonniers dans cette affaire, dix ou quinze, et nous ramenons des canons.

Chacun des combats livrés au cours de ces journées est cruel pour les Espagnols. Car afin de sauver le plus possible de matériel, ils contre - attaquent en se repliant et, chaque fois leurs pertes sont sévères.

Dans la matinée du 26, leur défaite apparaît inévitable. Le général Sylvestre donne l'ordre d'évacuer, non seulement Anoual, mais tous les postes de la région. Au fur et à mesure de notre avance, je me suis rendu compte qu'il avait dû y être condamné, sans doute moins par notre pression que par le soulèvement des tribus qui le prenaient à revers.

En effet, durant cette évacuation, il n'y eut pour ainsi dire point de baroud. L'armée Espagnole battait en retraite, littéralement affolée, dans un désarroi si complet que nos guerriers eux - mêmes avaient de la peine, en progressant si rapidement, à croire à la réalité de leur victoire, à la catastrophe où sombrait l'ennemi. Plus de cents postes tombent ainsi entre les mains de nos soldats !

Partout la campagne est jonchée de cadavres et de blessés qui se lamentent et qui rient grâce.

Les Espagnols se replient en désordre dans la direction de Melilla. L'enthousiasme de mes guerriers est à son comble, mais leur désir de vengeance est tel qu'il me faut les menacer de mort pour les empêcher de massacrer les blessés.

Le désastre d' Anoual nous rapportait 200 canons, 20 000 fusils, d'incalculables stocks d'obus et des millions de cartouches, des automobiles, des camions ; des approvisionnements en vivre à ne savoir qu'en faire ; des médicaments, du matériel de campement ; en somme l'Espagne nous fournissait, du jour au lendemain, tout ce qui nous manquait pour équiper une armée et organiser une guerre de grande envergure !

Nous avions fait 700 prisonniers. Les Espagnols avaient à déplorer 15 000 tués et blessés. Parmi les tués se trouvait un Espagnol que j'avais beaucoup aimé, le seul d'ailleurs qui m'eût compris : le colonel Moralès. Respectueusement, je fis transporter son corps à Melilla. On n'a pas manqué de dire par la suite, que c'était de ma part une habilité pour me rapprocher des Espagnols. Il ne s'agit là que du suprême hommage à un ennemi intelligent et loyal. Tout autre commentaire serait indigne de lui et de moi.

Quant aux conditions de la mort du général Sylvestre, qui succomba au cours de la bataille avec son état - major, je ne les connais point. C'est un petit Rifain qui vint nous informé qu'il avait découvert le corps d'un général tombé au milieu de ses officiers, et il me remit son ceinturon et ses étoiles. Quand je parcouru le terrain, à la fin du combat, il me fut impossible sur ses indications, de retrouver le corps et d'identifier les restes du général.

Nous dirigeâmes les prisonniers, partie sur Anoual, partie sur Ajdir. Et durant les premiers temps de leur captivité, c'est grâce à l'énorme ravitaillement pris à l'ennemi que nous avons pu les nourrir et leur éviter des privations.

A l'issue de la bataille de Mont -Aruit , j'étais parvenu sous les murs de Melilla[2]. Je m'y arrêtai. La prudence s'imposait. Avec la dernière énergie, je recommandais à mes troupes et aux contingents nouveaux venus de ne point massacrer ni maltraité les prisonniers. Mais je leur recommandais, aussi énergiquement, de ne pas occuper Melilla, pour ne pas créer des complications internationales. De cela je me repends amèrement. Ce fut ma grosse erreur. Oui, nous avons commis la plus lourde faute en n'occupant pas Melilla ! Nous pouvions le faire sans difficulté. J'ai manqué ce jour là, de clairvoyance politique nécessaire. Et à plus ou moins longue échéance, tout ce qui a suivi a été la conséquence de cette erreur.»

Au sommet du Jbal Qama,les rifains firent le grand serment de demeurer unis et de se battre jusqu'au bout. Les auteurs du serment d'El Qama, « frappaient » ainsi la première effigie du chef de guerre, qui deviendrait Abd el krim de l'histoire.

Abdelkader Mana

[1] Bien au-delà de l'oued Kert, dans la tribu des Metalsa, où s'est replié le Chérif Mohamed Amezian, en novembre 1909, l'Espagne disposait de deux bases insulaires qui lui servaient d'observatoires : le rocher de Badis et celui de Nokour. De celui-ci surtout, au territoire des Beqqioua et des Beni Ouaryaghel tout proche, avait fini par s'établir ouvertement un va et vient de marchandises et de personnes qui, en plus des nouvelles qu'il permettait de recueillir, faisait,en soi, par ses fluctuation, office de baromètre de l'attitude Rifaine vis-à-vis de l'Espagne. La fraction Aït Khattab des Beni Ouariaghel se situe précisément, autour de la bourgade d'Ajdir, exactement en face de l'îlot de Nokour.

[2] Un fait nouveau, que ni les chefs militaires en poste au Maroc, ni les autorités péninsulaires n'ont estimé à sa juste valeur, change les données de l'affrontement : la capacité de résistance des Rifains s'est décuplée avec l'entrée en jeu, après la mort de son père d'un nouveau chef de grande envergure, Abd el krim. Et bientôt se produit le desastre.

[3] Pendant que le général Beranguer progressait sur la côte Ouest, le général Fernandez Silvestre avait pour mission d'avancer depuis Melilla vers Al Huceima.

11:17 Écrit par elhajthami dans Le couloir de Taza | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le couloir de taza, histoire, guerre du rif | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

22/04/2010

La Bataille d'Anoual

La bataile d'Anoual

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La victoire éclatante d'Abd-el-krim à la bataille d'Anoual, fut partout interprétée comme une revanche non seulement du Rif sur l'Espagne, mais de tout le monde musulman opprimé sous le joug colonial. Jusqu'en Perse on applaudit à la ténacité de ses montagnards contre les troupes européennes.

La bataille d'Anoual a suscité l'intérêt des historiens du monde entier. C'est la bataille où une des plus puissantes armées de l'époque fut écrasée. Il faut savoir qu'au début du vingtième siècle le colonialisme espagnol était une puissance au niveau mondial. Malgré cela, les combattants d'Abd El Krim et de la région toute entière, ont réussi lors de cette bataille a apporter la preuve qu'on peut vaincre le colonialisme, en luttant  pour l'indépendance de son pays. Ce fut naturellement le cas aussi dans les autres villes et régions marocaines.

Pour les milieux coloniaux, le désastre d'Anoual reste inexplicable. Le Libéral, du 23 septembre 1921 écrit :

« On ne s'explique pas en Europe comment une armée de 24 000 hommes, avec son artillerie, ses aéroplanes, et ses mitrailleuses ait pu être maltraitée par une horde de montagnards. Le désastre d'Anoual a eu de telles conséquences, qu'on peut sans exagération aucune, le considérer comme un des évènements les plus importants de l'histoire de l'Espagne de ces cinquante dernières années. »

Pour le général Luque, il n'y a pas d'exemple dans toute l'histoire Espagnole, d'un désastre comme celui d'Anoual.

Après ce désastre, Primo de Rivera parvint à la conclusion qu'Abd el krim est un danger pour la présence coloniale européenne dans tout le Maghreb.

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Le Rif se caractérise par des vallées compartimentées et surpeuplées, où les cultures ne suffisent pas aux besoins et contraignaient une grande partie des montagnards à l'émigration. On n'a pas ici de villages au sens habituel du mot, mais seulement des maisons dispersée « comme des étoiles dans le ciel ». Cette forme de la vie humaine matérialise sur le terrain, l'esprit d'indépendance et la fierté des Rifains.

Dans le dialecte marocain, Rif signifie rive, côte ou bordure ; on dit par exemple, « le rif d'un campement pour indiquer les tentes qui forment la bordure extérieure de ce campement, celles qui sont le plus près de l'ennemi et protègent le camp. Si l'on ajoute à cela que le mot Rif n'a été employé, pour désigner une partie de la côte de la Méditerranée, qu' à partir du règne des Mérinides, on peut se demander si ce mot, n'était pas compris comme l'équivalent de ligne de défense, de boulevard de l'islam contre la chrétienté.

Pour Léon l'Africain, le Rif « est une région du Royaume de Fès, qui s'étend en longueur des colonnes d'Hercule au Fleuve Nekour et en profondeur de la Méditerranée aux montagnes voisines de l'Ouergha. ».

Depuis les Mérinides le terme « Rif » désigne, toute la côte Nord du Maroc faisant face à l'Andalousie reconquise par les chrétiens. Il semble que c'est à partir des Mérinides que la confédération rifaine s'est formée et que, devant les attaques des chrétiens par mer, a été constitué un Rif ; c'est-à-dire une ligne extérieure de défense pour couvrir Fès.

Comme ailleurs au Maroc, les paysans sédentaires rifains ont conservé l'usage de l'antique calendrier julien, le long duquel s'égrènent les actes et les rites de la vie agricole : l'époque magiquement propice aux labours, les périodes néfastes où il faut se garder de travailler le sol, le moment des bénéfiques pluies de Nisân , l'instant heureux des moissons , et enfin le jour de la « mort de la terre », après lequel tout est brûlé ;  mort jusqu'à la résurrection aux  premières gouttes de la pluie automnale.

Le cheikh Moussa est actuellement le plus célèbre à Nador. Il est accompagné de l'Azemmar, une sorte de biniou, munit de deux cornes d'antilopes. On appelle le chant rifain «  izri « (pluriel ; « izran »). En voici un qui fut composé, en 1911, à l'occasion de la mort du Chérif Mohamed Ameziane, le chef de la résistance rifaine contre l'Espagne, au début du 20ème siècle :

Sidi Mohamed Ameziane est mort !

Nous ne pouvons honorer son tombeau

L'ennemi ayant  emporté sa dépouille

Dans les villes pour la photographier !

Par Dieu ! Ô Mouh fils de Messaoud !

Rends nous son corps afin que nous le vénérions !

Sidi Mohamed Ameziane qui avait levé l'étendard de la guerre sainte contre les espagnols, tomba dans une embuscade avec trente de ses compagnons. Son corps n'ayant pas été retrouvé, le bruit couru dans le Rif que les chrétiens avaient emporter sa dépouille pour l'exposer dans leur pays et la photographier.

La bataille d'Anoual,  eut lieu en 1921. La stratégie utilisée par Abd El Krim durant cette bataille est un secret bien gardé. Encore aujourd'hui, l'armée espagnole mène des recherches sur les causes du désastre qu'elle avait subi à cette bataille . Ce désastre suscita une grande colère contre l'armée espagnole, de la part du gouvernement de Madrid, et du roi Alphanso. La stratégie qui avait conduit à la victoire d'Abd el Krim est considérée à juste titre comme un fait historique marquant du 20ème siècle.

Dans une interview paru dans le « Telegrama » du 7 avril 1921, le général Silvestre déclare :

« Nous allons ce printemps franchir la ligne qui sépare les bassins de l'oued Nokour et l'oued Amekrane. Certaines fractions Beni Wariyaghel voudront probablement nous barrer le passage, et il faudra alors livrer bataille. Mais dés que nous aurons atteint l'autre versant, nous gagnerons très vite la baie d'Al Huceima qu'on peut considérer comme un fruit mûr. »

Les espagnoles avaient pénétré à partir du rocher de Nokour. A travers les Béni Wariyaghel. Ils ont aussi pénétré à partir de Melilla. C'est ce qu'on nous racontait. Lors de leur avancée, ils furent combattus par les Metalsa, les Temsaman, et les Béni Waryaghel. Tous combattaient les espagnols, d'après ce qu'on nous racontait. Ils les combattaient à chaque étape de leur avancée. Les envahisseurs s'approchaient de Aïn Zorah, et c'est là que leur avancée était brisée. Ce fut le cas aussi à Aruit. D'après ce qu'on nous raconte, Aruit fut un désastre pour les espagnoles. Un dicton dit : « Oued Aruit ruisselle de sang. »

Durant sept ans, entre 1912 et 1919, deux progressions eurent lieu vers le sud : sur les étendues plates des Bni Bou Yahi et de leurs voisins Metalsa. Le territoire conquis est maintenant parsemé de positions, de garnisons, de points de colonisation que reliaient, des routes, des pistes et même une voie ferrée, offrait pour la manœuvre toutes les ressources dont peut user la stratégie. Beranger avait, dés 1919, dressé un plan pour une occupation de la région. On le voit ici, en compagnie de ses collaborateurs dont le future Maréchal Franco.

Un vieux rifain originaire de la tribu des Metalsa, partie prenante de la bataille d'Anoual se souvient:

- Les Metalsa est une grande tente du Maroc. Ils sont connus pour leur courage, leur Jihad, leur dignité. Ils sont agriculteurs et éleveurs. Abd el Krim était un homme de foi. Les espagnoles étaient venus occuper « Dhar Ouberran » avec une grande armée. Abd el Krim s'adressa alors à la communauté : « levez vous, le temps de la guerre sainte est arrivé ! ». Tout le monde l'avait suivi, personne n'était resté sourd à son appel.

A la veille de la bataille d'Anoual, on assiste au défilé d'une colonne Beranger, à Dar Driouch. A partir de cette position, les espagnols avaient le contrôle de l'oued Kert , où s'était replié le chérif Mohamed  Ameziane, en 1919. Les Espagnols envisageaient de relier Melilla à la baie d'Al Huceima par voie de terre.. Pour leur barrer la route, fin janvier 1921, des combattants Beni Ouariyaghel vinrent s'établir sur la hauteur du Jebel El Qama. Un poème rifain de l'époque relate ces manœuvres espagnoles :

Le roumi fait souga, il a pris Tizi Azza.

Il veut faire le thé, avec de l'eau d'Oulma,

Moujahidines au combat !  À quoi bon la vie.

Le plan Beranger que devait exécuter en arrivant le général Silvestre, consiste en un premier bond qui devait conduire à Sidi Driss, sur l'embouchure de l'Amekrane, à une dizaine de kilomètres vers le nord d'Anoual. La position formerait une base rapprochée, où lui viendrait ensuite, par voie maritime, le gros de son ravitaillement.

C'est ici, à Sidi Driss que certains notables avaient accueilli, les généraux Silvestre et Navarro, ainsi que le colonel Moralès.

Les premiers débarquements de l'artillerie eurent lieu à la plage d'Afraou à l'Est de Sidi Driss. A partir de cette position, les espagnoles prirent d'assaut, le piton de « Dhar Oubarran », qui surplombe à la fois les rivages et l'intérieur du pays.

Sur le « Abda », le navire qui le menait vers l'exile, Abd el krim, raconte en ces termes, l'épisode de « Dhar Ouberran », la première grande victoire des rifains :

« Les espagnols venaient d'occuper Dhar Ouberran, en pays Tamsamane, point stratégique et politique de toute première importance. Je me proposais sur le champ, de leur disputer cette position. La partie était risquée. Je disposais à cette heure, de 300 guerriers. Je revins me mettre à leur tête. Et malgré ma pauvreté en munitions, je déclenchais la contre attaque. Après un combat des plus durs, ma troupe réoccupa Dhar Ouberran. »

C'est le général Silvestre qui dirigeait les opérations, côté espagnol.

« Dans cette première grande bataille, relate Abd el krim,  les Espagnols avaient perdu 400 hommes dont 2 capitaines et 4 lieutenants. Quant au butin, il fut précieux pour nous : une batterie de 65 de montagne, des fusils Mauser tout neufs, environ 60 000 cartouches, des obus, des médicaments et des vivres de campagne ! Et vraiment tout cela n'était rien encore en comparaison de l'effet moral de cette victoire. Notre succès était si imprévu, si peu vraisemblable, que les Espagnols ne s'étaient même pas fortifiés à Dhar Ouberran. Encouragées par la victoire, nos troupes, maintenant voulaient attaquer. Et si bien, que de leur propre initiative, elles dessinaient déjà une offensive en direction d'Anoual et de Sidi Driss. »

En ce qui concerne « Dhar Ouberran », qui se situe dans la commune de Bou Dinar ;le nom de cette montagne signifie « la huppe du perdreau », parce que seul son sommet est couvert d'arbres faisant penser à la tête huppée de cet oiseau..

Pourquoi le nom de cette montagne est souvent cité par l'histoire ? C'est parce qu'il était la première position occupée par le colonialisme espagnol dans le Rif. Cette montagne surplombe la Méditerranée d'un côté et le Rif de l'autre, du fait qu'elle est assez haute. A l'époque les espagnoles avaient cru qu'en occupant cette position, ils allaient dominer la région entière.

« Ayant vu la débandade espagnole, poursuit Abd El Krim, les autres fractions Tamsamane, se joignirent à nous : le bloc rifain se constituait. »

Quiconque occupe cette position, domine toute la région : c'est un balcon sur la Méditerranée d'un côté, et sur toute la province de Nador de l'autre. Une position stratégique très importante. C'est là que les rifains avaient récupérer les armes sur l'ennemi : les armes pris aux espagnols à « Dhar Ouberran » ont permis par la suite de mener la bataille d'Anoual.

Au sommet du Jbal Qama,les rifains firent le grand serment de demeurer unis et de se battre jusqu'au bout. Les auteurs du serment d'El Qama, « frappaient » ainsi la première effigie du chef de guerre, qui deviendrait Abd el krim de l'histoire.

Deux rivières délimitent le Rif proprement dit : oued Kert, du côté de Driuch et de Bni Saïd , qui se déverse en Méditerranée, juste à côté d'El Huceima. L'autre oued est celui de  Nokour. Juste à côté de ce dernier coule une petite rivière du nom de oued « Bou Kidane », qui signifie « rivière de bois ». Selon un habitant du cru "Cette rivière a connue l'un des stratagèmes d'Abd el krim : des soldats espagnols qui tentaient de la traverser  s'y noyèrent avec leurs chevaux et mulets. On lâcha un barrage d'eau et de troncs d'arbres qui les renversèrent et les noyèrent avec leurs montures : depuis lors on appela ce oued « la rivière de bois ».

Le lendemain de leur premier combat, les vainqueurs d'Ouberrane, s'étaient portés sur Sidi Driss, position avancée de Silvestre. Inaugurant une tactique qui deviendra la règle : tirailler le jour durant, puis monter à l'assaut la nuit. Mais soudain, vers trois heures du matin, ils cessèrent le combat. C'est qu'ils étaient pressés de s'en aller passer en famille, la nuit du destin, sacrée entre toutes.

La suite des évènements est racontée en ces termes par Mohamed Ben Abd el krim :

« Les Espagnols avaient massé à Igherriben, au Sud d'Anoual, une colonne extrêmement forte qui constituait en quelque sorte les avants postes de l'armée Sylvestre, dont le quartier général était à Anoual. J'étais informé que le ravitaillement des troupes espagnoles était défectueux, que peut - être même il ne s'opérait déjà plus, et que celles -ci n'avaient que pour quatre jours de vivres. Je savais aussi à quelle inquiétude elle était en proie, s'attendant d'une minute à l'autre, à voir  se soulever contre elle la population du pays qu'elle occupait. Pour accroître leur angoisse et rendre leu situation plus critique, je décide de couper leur communication avec Tizi Azza, leur base de ravitaillement. Et brusquement j'occupe la côte entre Anoual et Igherriben. »

« Effrayé des conséquences de cette manœuvre, le général Sylvestre ordonne immédiatement d'engager une opération désespérée, à gros effectifs. Il met en ligne environ 10 000 hommes, avec cavalerie et artillerie. Je ne dispose, moi, que de 1000 guerriers, mais, en seconde ligne, j'ai maintenant des réserves et l'appoint de tout le pays. »

Le 22 juillet 1921, le général Sylvestre décide de se replier de la base d'Anoual, vers la base arrière de Ben Taieb. A la sortie du camp d'Anoual, les « Régularès », formés de mercenaires rifains, ouvrent le feu en tirant dans le tas. Un tirailleur espagnol raconte :

« à l'entrée du défilé, l'afflux des unités auxquels étaient mêlés des cavaliers perdus, des attelages et des camions autos, ainsi que des mulets chargés de leurs blessés, créa dans cet étranglement, un tel embouteillage, qu'il ne fut plus possible d'organiser la marche ou de refaire les rangs. Epuisées et privées de ressort, nombre de bêtes tombaient dans les ravins. Des véhicules tombaient en panne. D'autres s'étaient brisés sur les tranchées creusées par l'ennemi à travers la route. Autant d'obstacles qui entravaient la marche. Or plus  avant la route s'enfonça dans le creux d'un ravin sablonneux où les pas soulevèrent une mer de poussière. C'est là que fut atteint le comble du désordre. Les indigènes du voisinage avec certains de nos soldats rifains, venaient tirer hors du chemin, des mulets et des hommes, puis ils les emmenaient raflant aussi des armes dont  bien des nôtres, exténués, se défaisaient d'ailleurs d'eux - mêmes. Jusqu'aux femmes mauresques qui prenaient part à ces pillages et à ces rapts. » Défection de tous les mercenaires, soit un bon tiers de l'effectif, passé à l'ennemi, et devenu son fer de lance. Ben Abd el krim dira qu'il retrouva parmi les morts, le corps de « son ami », le Colonel Gabriel Morales, mais non celui du Général sylvestre, dont plus personne n'a jamais retrouver la trace. Le régiment de cavalier fraîchement arrivé, fut lui-même entraîné par le flot qui déferle sur Ben Taieb. Delà il ne restait qu'une dizaine de kilomètres pour aboutir à Dar Driouch, position bien fortifiée, dotée d'une suffisante garnison, avec des munitions et de l'eau du Kert qui coulait à portée. Les fuyards n'étaient pas encore parvenus à Dar Driouch, que la rumeur de leur mésaventure avait déjà atteint chaque recoin du Rif et y sonnait comme un tocsin. La ligne défensive qui assurait la maîtrise de la tribu Beni Saïd  et de la partie Nord de celle des Metalsa, se disloqua. Les autres positions jalonnant cette ligne, de Tleta Boubker, à l'extrémité sud , à Kendousi au nord, puis à Dar Kebdani, connurent également une fin tragique."

Au sortir de Driouch, la traversée de l'oued Kert ne pu se faire le 23 juillet 1921 que sous un feu nourri, au prix de grosses pertes. A Tiztoutine, à l'instar d'Anoual, les hommes de la Policia, embusqués maintenant sur les hauteurs environnantes, ils opérèrent contre les arrivants un mitraillage en règle. Pour tout le reste, ce ne fut plus qu'un sauve - qui - peut, avec pour seul but les murs de Melilla. Mais seuls y parviendraient, miraculeusement, de rares survivants. Les autres auraient fini ou massacrés, ou morts d'épuisement.

Dés le 23 juillet, la plus grosse position, celle de Dar Kebdani, chez les Beni Saïd, fut cernée de si près qu'elle demeura privées d'accès à ses points d'eau. Une fois sa reddition acquise, et les armes livrées contre la vie sauve, la garnison fut massacrée hormis les officiers. De même au sud dans la tribu des Metalsa, la garnison de Tleta Bou Beker fut attaquée dés le 23, par la population locale. Elle chercha son salut dans la fuite, vers la zone française toute proche. Elle parvint à y trouver refuge, même si durant son court trajet, elle dût abandonner des morts, des blessés et ses armes. Des dizaines d'autres positions connurent le même sort. En trois ou quatre jours la rébellion gagna Selouan et Nador, puis les faubourgs de Melilla.

Le 9 août 1921, l'accord conclu entre Navaro d'une part et les Metalasa et Beni Bou Yahi d'autre part, stipule, que la garnison devait livrer ses armes, Moyennant quoi elle pourrait librement évacuer la position, et sa retraite s'effectuera sous bonne escorte jusqu' à Melilla. Toujours est - t - il qu'à l'heure où l'on se mit à désarmer la troupe, tout un groupe d'officiers se forma autour du général, à la sortie du camp. Des notables rifains s'approchèrent et nouèrent avec eux le contact. Puis, en causant, et sans en avoir l'air, ils les menèrent en quête d'un peu d'ombre, vers une petite gare, seul lieu couvert des environs. Pourtant le vrai mérite des murs de ce refuge, fut de leurs épargner le spectacle fâcheux qu'aurait été pour eux la mise à mort de leurs soldats, tous leurs soldats, jusqu'au dernier. Quand à eux, officiers, avec leur général, pris en croupe par des cavaliers « maures », ils chevauchèrent, captifs, mais saints et saufs, vers un meilleurs destin.

Franco fait partie des troupes appelées en renfort, pour défendre Melilla.De là, il assistera impuissant à la chute de Mont Aruit, le 9 août 1921. Le général Navarro assiégé à mont Aruit finit par se rendre. Les rifains pénètrent dans la place et font 3000 morts.

Notre vieux temoins -cle Metalsa raconte : "Au Maroc, les Metalsa étaient des meilleurs. C'était des éleveurs et des cavaliers. C'était des gens hospitaliers. Ce sont des combattants fidèles. Tous les Metalsa étaient ainsi. Ils font de l'agriculture et de l'élevage.Quand les Espagnole sont arrivées à Aruit, ils y sont entrés grâce aux Guelaya et un frère des Aït Bou Yahi. C'est d'ici, de Aïn Zorah que les Metalsa étaient partis . Les avaient rejoint à Aruit, les Aït Bou Yahi, en particulier leurs combattants d'Afsou. Ils avaient décidé d'interdire l'établissement des espagnols à Aruit, disant au Guelaya : établissez les espagnols chez vous, pas chez nous ! Celui qui s'était rallié aux espagnoles leur dit : laissez moi d'abord terminer mon déjeuner. Mais les Moujahidînes de Aïn Zorah lui coupèrent la tête( pour punir sa trahison ). Ils l'ont amputé d'une main qu'ils accrochèrent au bout d'un piquet aux tentes des combattants d'Afsou. Ils l'avaient piégé, ne lui laissant aucune chance (d'en réchapper). Les espagnols s'enfuyaient en se réfugiant au dessus des meules de paille, qu'on incendia. La rivière de Selouan ruisselait de sang.Lors de la bataille d'Aruit, y pénétrèrent les Guelaya et un frère des Aït Bou Yahi. Les combattants l'ont décapité. Les combattants Metalsa et Aît Bou Yahi, lui dire : ne reste pas ici, retourne d'où tu est venu(avec les espagnols). Il leur avait dit : laissez moi déjeuner avant de repartir.Ils lui dirent : d'accord, on te fera pas de mal. Dés qu'il avait déposé ses armes pour déjeuner, ils se jetèrent sur lui. Alors, la rivière de Selouan se mit à ruisseler de sang."

Dés le début du siège, le 1er août 1921, Abd el krim a recommandé de capturer les armes, mais de laisser les hommes en vie. La réponse des Métalsa et des Bni Bou Yahi fut un « non » catégorique.

" Le colonialisme espagnol est arrivé chez nous le long du chemin qui relie Anoual à Driuch, et ils s'étaient établis dans l'actuelle commune de Bou Bker, où existe encore les vestiges de leur caserne, raconte le vieux temoinsMetalsa . Là se trouvait effectivement un bataillon composé de 1200 soldats. Ordre leur a été donné de rejoindre la zone occupée par la France. Ils devaient quitter Bou Bker en longeant les montagnes, à l'ombre desquelles ils devaient se dissimuler pour fuir. Mais nos aïeuls et ancêtre étaient prêts à les affronter. Mon grand père est mort, ainsi que mes oncles, lors de cette confrontation. Nous eumes beaucoup de blessés dans notre famille.Lorsque le bataillon espagnol s'est approché de la frontière qui séparait la zone espagnole de la zone française, la fraction des combattants de Tizrout Ouzak, s'est mise au travers de leur chemin. Aidées des nôtres, ils ont repoussé les espagnols dans un retranchement dénommé « Aqrab » (musette). Une grande étendue vide. De tout le bataillon espagnol, avec ses armements, rares sont ceux qui ont pu s'échapper : 50 à 60 soldats espagnols. Quant aux autres, tous les autres ont été massacrés. Du bataillon espagnol, environ 900 ont péris, et n'ont pu s'enfuir en zone française qu'une soixantaine. Depuis lors cette parcelle a été délaissée durant une quinzaine d'année : on n'y laboure pas, on n'y pâture pas. On n'est jamais plus repasser par là."

Sous le titre « Abd el Krim, le mystérieux », le correspondant du Bulletin de l'Afrique Française à Madrid, écrit le 5 septembre 1921 :

« Le personnage devient de plus en plus énigmatique et on a bien du mal à comprendre comment le commandement de Melilla ne se préoccupe pas plus de le surveiller ou de s'en faire un auxiliaire.Des faits très caractéristiques permettent de se rendre compte qu'on ne se trouve pas en face d'un fanatique vulgaire, préoccupé surtout de rapines faciles, aidé de son frère, qui étudia durant trois ans, à Madrid, pour préparer son entrée à l'Ecole des Ingénieurs de Mines, il donne l'impression de s'efforcer de donner aux hordes rifaines une organisation inusité dans ces régions. Il tient à donner à ses adversaires l'impression qu'il est  au courant des usages de la guerre entre pays civilisés : les prisonniers sont bien traités et ont toute la liberté pour donner des nouvelles à leurs familles ; lorsqu'il rend le cadavre du colonel Morales ; avant de faire déposer son cercueil sur la petite plage de Sidi Idris, il le fait envelopper d'un drapeau espagnol et ordonne de saluer la dépouille mortelle du malheureux chef de la police indigène par des salves et les marins de la canonnière espagnole le voient s'incliner dans un dernier salut à celui qui fut son ami avant de devenir son adversaire. C'est à Abd-el-Krim et grâce à l'escorte qu'il envoya à Mont Arruit, que le général Navarro doit d'être encore vivant.»

Un télégramme publié par le Temps de Paris du 22 août 1921, souligne que « les réfugiés espagnols continuent à franchir journellement la frontière par petits groupes. Beaucoup parmi eux sont blessés, et ceux qui ne peuvent pas être dirigés immédiatement sur Oran pour être rapatriés sont soignés dans les hôpitaux de Taourirt, de Guercif et d'Oujda. »

Un article publié le 17 août 1921 dans El Liberal, écrit sous le titre « le présent et l'avenir » :

« Nous sommes dans le Rif depuis le 24 juillet, dans une plus mauvaise situation que lorsque nous signâmes le traité de 1912. Nous avions comme gage de notre capacité de l'œuvre à accomplir, conjointement avec la France, tous ces territoires conquis durant les campagnes de 1909 et 1911, Guelaya, Kebdana,Bni Sicar. Aujourd'hui ces territoires nous sont complètement hostiles.

Les contingents espagnols qui se trouvaient à proximité de la Moulouya durent se réfugier à l'abri des postes français installés sur la rive droite. Et ces contingents nous ont été rendu, venant d'Oran, en un exode qui nous fait rougir. Les contingents de l'intérieur furent anéantis. Sur le cours moyen de la Moulouya et dans la région de Taza, une menace s'élève contre la tranquillité - relative si l'on veut- des Français. Pourrons nous, oui ou non faire honneur à nos engagements ? Aujourd'hui, notre idéal doit se limiter à doter Melilla d'un hinterland qui ne peut être que celui marqué sur les cartes par la ligne du Kert.»

Un communiqué de l'armée espagnol annonce qu' « on se trouve dans notre zone comme dans la zone française, devant un soulèvement général des tribus. »

L'attaque d'Igherriben précéda la débâcle d'Anoual.

Voici ce qu'on peut lire, entre autres, sur un document affiché, par les soins des Rifains, au nom de l'assemblée musulmane du Rif, dans la mosquée de Tanger, le 21 juillet 1921 :

« Si vous pouviez voir vos frères sur les champs de bataille, les uns morts, les autres blessés, vous verseriez des larmes de sang, vous n'hésiteriez pas à venir à leur aide. Nous voyons les Espagnols s'aider les uns les autres et ce sont des infidèles et des gens injustes, et nous ne voyons personne nous venir en aide, nous qui avons la vraie foi. Ne faisons nous pas la guerre dans la voie de Dieu ? Notre conduite n'est - elle pas conforme aux préceptes de l'Islam ? Notre dignité et la vôtre ne sont - elles pas une seule dignité, comme notre honte et la vôtre une même honte ? Où sont vos Oulémas ? Ô Oulémas, n'êtes vous pas les héritiers des Prophètes ? A quoi pensez vous ? Y - t - il quelques doutes au sujet de Dieu ? Comment vous excuserez vous demain devant Dieu, si vous êtes de ceux qui par crainte, négligent la guerre dans la voie de Dieu ...S'il vous est difficile de venir à notre aide, ô musulmans, adressez vous à l'émir des croyants, Notre Maître Youssef, pour qu'il nous fournisse les approvisionnements nécessaires à l'accomplissement de notre œuvre ; qu'il nous applique les lois qu'il voudra et par l'intermédiaire de quelle nation il voudra, sauf l'Espagne.. »

« A l'issue de la bataille de mont Arouit, raconte Abd el Krim, j'étais parvenu sous les murs de Melillia. La prudence s'imposait.

Avec la dernière énergie, je recommandais à mes troupes de ne point massacrer ni maltraiter les prisonniers. Mais je leur recommandais aussi énergiquement, de ne pas occuper Melilla, pour ne pas créer des complications internationales. De cela, je me repends amèrement. Ce fut ma grosse erreur. Oui, nous avons commis la plus lourde faute en n'occupant pas Melilla ! Nous pouvions le faire sans difficulté. J'ai manqué ce jour là de clairvoyance politique nécessaire. Et à plus ou moins longue échéance, tout ce qui a suivi, a été la conséquence de cette erreur.

Abdelkader Mana

13:57 Écrit par elhajthami dans Le couloir de Taza | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le couloir de taza, histoire, documentaire, la guerre du rif | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook