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14/04/2012

L’ Ifriqiya de Sidi Ifni

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Le sanctuaire de Sidi Mogdoul

On retrouve des santons  Regragui surtout en pays Chiadma mais aussi chez les Seksawa du Haut Atlas, à Massa dans le Sous, jusqu’ à la Seguia al hamra au Sahara, où dans un vieux cimetière voisin du Rio de Oro, sont enterré sept fœtus Ouled Bou Sebaâ, à côté d’un saint d’origine Regragui : selon la légende en cours chez les nomades, il serait parti des rivages d’Amougdoul, en jetant au loin une pierre et en la rejoignant ensuite à chaque horizon. D’horizon en horizon, il était parvenu ainsi, , jusqu’à la Seguia al hamra. On peut se demander d’ailleurs s’il ne s’agissait pas là de Sidi Mogdoul en personne. En effet, d’après une Ifriquiya : « Sidi Mogdoul razzia les terres soudanaises jusqu’à une ville appelée Tombouctou, puis revint au djebel Hadid en pays Chiadma. ».Tirant argument de la présence de leurs saints au Sahara, les Regraga participèrent, avec leur khaïma rouge, à la fameuse « marche verte ».

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Mogador - 1860

Le manuscrit que je traduis ici, m’a été transmis par mon ami le chercheur Jean François Clément. Découvert à Sidi Ifni, il est écrit en l’an 1104 de l’hégire (1694), par un certain  Moulay Ali Mohamed Regragui. Le manuscrit date donc de seulement deux ans après la mort d’al-Youssi en l’an 1102/1692.Hassan Abû Ali H’san al-Youssi, né en 1040 et décédé en 1102 (soit 1630-1692) est  originaire du Fazaz, sur le revers sud du Moyen-Atlas.  Il vécu au 16èmesiècle sous les règnes de Moulay Rachid et de Moulay Ismaïl, et  serait selon la tradition à l’origine de l’organisation du culte des sept patrons de Marrakech.

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Mogador-Vue prise de la plage

      L’ Ifriqiya est le recueil des légendes dorées des Regraga transcrites par des fqihs .Voici donc la traduction de l'Ifriqiya de Sidi Ifni qui débute ainsi:

" Hassan al-Youss, que Dieu lui vienne en aide et nous accorde ses grâce (Amen), rapporte un dit authentique et bénéfique à propos de la rencontre de nos seigneurs les Regraga, les Béni Dghough et les Sanhaja, avec le Prophète, (sur lui prières et paix) : Ils ont cru en Jésus fils de Marie, et faisaient partie de ses ressuscités et de ses fidèles, jusqu’à l’avènement du meilleur des hommes, notre seigneur Mohammed (sur lui prières et paix).Preuve en est ces paroles du plus haut :« Il a dit : qui sont les alliés de Dieu ? Les apôtres répondirent : nous sommes les alliés de Dieu, en lui nous croyons, témoignes que nous sommes soumis. »

      A l’avènement du Prophète, l’ange Gabriel se révéla a lui :

- Ô Mohammed ! Envois ces trois taïfa, Regraga, Sanhaje et Béni Dghough, au Maroc pour qu’ils le conquièrent et  pour qu’ils fassent bénéficier ses habitants de l’islam. Lui ordonna-t-il.

Le Prophète (sur lui prières et paix), s’adressa alors aux trois taïfa en ces termes :

-  Allah, le plus haut, m’a ordonné de vous envoyer au pays du soleil couchant (almaghrib=Maroc).

Les saints hommes lui dirent :

-  Ô envoyé de Dieu ! Pourquoi veux-tu nous éloigner de toi, alors que nous sommes tes compagnons et tes frères ?

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Arrivée d'une caravane à Mogador

        L’’ange Gabriel descendit à nouveau du ciel pour révéler au Prophète cette parole divine :

-   Si nous envoyons d’autres gens, ils s’éloignerons de toi et apostasieront leur Islam. Quant à ces trois taïfa,elles ont cru en toi quarante ans avant ton avènement. Leur sang et leur chair s’étaient déjà mêlés à l’Islam, comme le sel à l’eau de mer.

 Le Prophète, prières et paix sur lui, leur ordonna alors de se diriger vers le pays du soleil couchant et nos saints bénits lui répondirent :

- Nous sommes à tes ordres, ô envoyé d’Allah !

-   Celui qui vous aime, m’aime, et celui qui vous hait, me hait. Vous demeurerez mes représentants, au pays du soleil couchant, jusqu’à la résurrection.

       Le Prophète, prières et paix sur lui, prit alors la main de Sidi Wasmine le Regragui et lui dit :

-  Si Dieu le veut, tu seras leur chef

-Mais nous ignorons le chemin à prendre, Ô envoyé de Dieu !.

       Le Prophète étendit alors trois doigts de sa main droite. De chacun , par la grâce de Dieu et de son généreux Prophète , une rivière de lumière jaillit. Les Regraga  suivirent un oued, les Béni Dghough un autre, et les Sanhaja le troisième. Puis, ils pressèrent le pas jusqu’à la ville d’Alexandrie, où les fleuves de lumières pénétrèrent dans la mer. Les saints hommes crièrent à leur chef Sidi Wasmine :

- La lumière s’est enfoncée dans la mer !

-   Suivez-la à la trace, si vous croyez vraiment en Allah, son Prophète et au jugement dernier ! Leur répondit-il.

-   Mais vas-y Toi-même qui est notre chef !

Et le vénérable  Wasmine d’ordonner à la Méditerranée:

- Mer, immobilises-toi!

Aussitot, elle s'immobilisa par la grace d'Allah et de son Prophète, alors les armées la foulèrent comme si c'était la terre ferme, jusqu'à ce qu'ils parviennent ainsi à ribat el fath.Delà ils se dirigèrent vers Safi, puis ribat Massa dans le Sous extreme et enfin la seguiet el hamra (Rio de Oro). Ils sont même allés, jusqu’au pays des maghafra(le Soudan ?).

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L’émir Wasmine leur dit alors :

-  Avant de revenir à notre pays incha Allah, il faut maintenant rendre compte de notre mission au Prophète.  Je me chargerais de cette mission,  avec Sidi Abdellah Adennas, Sidi Saïd Bou khabiya (le patron de la gargoulette), Sidi Saleh, Sidi Boubker, Sidi Allal korati, et Sidi Saïd Sabeq (le « devancier »).

    Tous désiraient revenir au  Hidjaz (le pays du grand pèlerinage). En cours de route, l’un de ces sept hommes, Sidi Saïd tomba malade. Il se couvrit lui-même d’un linceul, et se dissimula à leurs regards en s’enterrant lui-même dans le sable. Troublés de ne plus le voir à leur côté, ces compagnons se mirent à crier dans le désert. Comme aucun écho ne répondait à leur appel, ils prièrent pour la guérison du disparu :

-  Nous te confions aux mains d’Allah et de son généreux Prophète.

Puis, ils repartirent en pressant le pas. Une fois à Médine, les sept hommes  entamèrent leur procession, leur Dikr, et leur prière de la pluie  :

On est venu vers vous, ô gens de vertu

Implorons à vos portes,

La générosité du Seigneur

Pour que de la baraka de vos bassins,

Nos vergers soient arrosés

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Arrivée de la procession des Regraga à Mogador

C’est par cette prière de la pluie, que les Regraga ouvrent chaque nouvelle étape du Daour. Il y est fait allusion à la notion du Faïd, qui symbolise le débordement de l’eau des rigoles de la baraka. Pour cette vieille paysannerie berbère des rivages atlantiques, toute vie dépend de la pluie, et toute pluie dépend de la bénédiction divine et des étincelles de la baraka en tant que lumière prophétique.

Les voix étaient si belles, qu’arbres et montagnes en tressaillirent. Saisi d’effroi, les oiseaux se mirent à pleurer .Cette ferveur divine, s’empara  aussi, des fils d’Adam et de tous les êtres de la création qui l’entendirent.     

  Une fois auprès du Prophète (sur lui prières et paix), ils le trouvèrent entouré de ses compagnons et le  saluèrent. Celui-ci leur demande en berbère :

Manza (où es) Saïd ? 

- Il est resté (Ybqa) en cours de route.

       Et le Prophète de le sortir dessous sa tenture :

- Il n’est pas, celui qui « reste » Ybqa ; il est, celui qui « devance » Sabeq.

      Le Prophète, leur dévoila ainsi  l’éclipse mystérieuse de leur compagnon de route, en  leur apprenant qu’il les  a « devancé » sabaqahûm . D’où son surnom de  Sabeq (celui qui devance).

  Ils prirent quelques jours de repos auprès de l’envoyé de Dieu, qui les chargea par la suite d’islamiser le Maroc, leur pays d’origine, en leur prodiguant ses conseil et en leur confiant une missive contenant la révélation. Ils revinrent alors par la grâce de Dieu, en pressant le pas jusqu’au riblât El Fath(l’actuel Rabat) où les trois taïfa les accueillirent avec joie.

Cette rencontre eut lieu donc au bord du Bou Reg reg : le fleuve dont le nom dérive de celui des « Reg-Reg », c'est-à-dire des Regraga. Dans cette hypothèse ils auraient rencontré au bord de Bou Reg-reg,  le Prophète berbère des hérétiques Berghwata, dont le territoire s’étendait entre l’oued Tensift au sud et l’oued Sebou au nord. . Le Prophète dont il s’agit est probablement Salih Ibn Tarif des Barghwata qui aurait prêché le Coran en berbère et créer un embryon d’Etat en l’an 127 (744) .Rabat, fondé au XIè siècle, par les almoravides sur la rive Sud du Bou-Regreg. Ce ribâtétait alors occupé d’une façon permanente par de pieux volontaires mobilisés par le djihad contre les incursions des hérétiques Berghwatas.

    Le cheikh  Wasmine, voulu d’abord accorder l’oracle prophétique aux Béni Dghough, mais avait peur de mécontenter les Regraga. Il avait aussi peur de mécontenter ces deux derniers en l’accordant aux Sanhaja. Finalement il décida de l’enterrer  à la saline de Zima, où les saints hommes le recherchèrent vainement. Ne rencontrant qu’une mer de sel, ils revinrent auprès de  Wasmine, s’en quérir d’un tel miracle. Celui-ci leur dit :

-  Pour le bien de la communauté musulmane, que cet océan de sel se métamorphose en huile d’olive !

      Ils revinrent aussitôt  à Zima , qu’ils  crurent transformée sous leurs propres yeux  en océan de miel, de beurre rance, et d’ huile d’olive. Mais ils durent vite déchanter, car ils n’avaient en face d’eux qu’un océan de sel. Le cheikh avait pourtant promis un océan de baraka pour le pays du soleil couchant !

        Wasmine procéda alors, à la répartition du Maroc entre les trois taïfa : de l’oued sabra (l’euphorbe) du côté de la mer à oued chichaoua et au Qihra, en pays Seksawa, jusqu’à Massa, le Sous extrême et le maghafra (le pays des nomades et des noirs) ; c’est le pays des Regraga. Et de l’oued sabra, au djebel mékka, en passant par la verte montagne et le djebel Fazaz, au Moulouya, puis de là à Tamesna, Fechtala, Bzou, Demnate, jusqu’au oued El Qihra : tout ceci est le pays des Béni Dghough.... Trois séguias(aqueducs) et dans chacune d’elles coulent quatre sources...

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Les Regraga sur les rivages de Mogador(à l'étape de Diabet)

        On trouve des tombeaux Regraga, chez les Chiadma, mais aussi chez les Haha, les Mentaga, les Mjat, les Oulad Mtaâ, les Hmar,dans le Haouz, au  Tadla,  dans le Sous jusqu’au Sahara. On les trouve aussi en haute montagne et au pied mont. Leur miséricorde et leur baraka englobe tous, dans le mouvement comme au repos. » Ces seigneurs des ports, ces saints protecteurs des rivages et des marins dont les coupoles, telle des vigies de mer, jalonnent les rivages, les marins leur rendent hommage à l’ouverture de chaque saison de pêche. C’est le cas de Sidi Mogdoul, où jusqu’à une époque récente, procession, étendards et taureau noir en tête, les  marins s’y rendaient pour qu’il facilite leur entreprise, comme en témoigne cette vieille légende berbères : « Sidi Mogdoul fixe les limites de l’océan et en chasse les chrétiens. Il secourt quiconque l’invoque. Fût-il dans une chambre de fer aux fermetures d’acier, le saint peut le délivrer. Il délivre le prisoner entre les mains des chrétiens et le pêcheur qui l’appelle au milieu des flots ; il secourt le voilier si on l’invoque, ô saint va au secours de celui qui t’appelle (fût-il) chrétien ou musulman. Sidi Mogdoul se tient debout près de celui qui l’appelle. Il chevauche un cheval blanc et voile son visage de rouge. Il secourt l’ami dans le danger, le prend et, sur son cheval, traverse les océans jusqu’à l’île. »

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Sidi Bouzerktoun, le protecteur des marins

Les pêcheurs berbères de ces rivages invoquent aussi Sidi Ishaq, perché sur une falaise rocheuse abrupte qui surplombe une plage déserte où les reqqas échangeaient jadis le courrier d’Essaouira d’avec celui de Safi : « Lorsque les pêcheurs passent à travers les vagues, il leur arrive de l’appeler à leur secours, ils lui promettent d’immoler une victime et de visiter son sanctuaire. Sidi Ishâq avait un cheval blanc que son frère Sidi Bouzergtoun lui avait donné. Lorsque les Regraga se réunissent, ils vont à cheval visiter ce saint ; les marabouts – hommes et femmes assemblés – prient Dieu de délivrer le monde de ses maux. Lorsque les pêcheurs vont vers Sidi Ishâq, ils entrent dans son sanctuaire et après avoir fait leurs dévotions, il te prenne, ô huile de la lampe, et te la verse au milieu des flots pour les calmer. »

 Et sur ces mêmes rivages, au Sud de cap Sim, les pêcheurs se rendaient en pèlerinage à Sidi Kawki où les berbères Haha procèdent à la première coupe de cheveux de leurs enfants : « s’ils sont surpris par la tempête, ou si le vent se lève alors qu’ils sont en mer, les marins se recommandent à lui. Avant de s’embarquer pour la pêche, ils fixent la part de Sidi Kawki, dont les vertus sont très renommées. On raconte qu’un individu y avait volé la nuit une bête de somme et bien qu’il eut marché tout le temps, quand le matin se leva, il se retrouva là où il l’avait prise. »

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L'entrée des Regraga à Mogador(par Bab Doukkala) par Roman Lazarev

Retrouvés à Aglou dans le Sous, on peut lire dans les carnets d’un lieutenant d’El Mansour, qui portent la date de 988-1580 :"Nos seigneurs les Regraga appelés Hawâriyyûn,sont des marabouts dont le plus grand nombre est chez les Haha. Nos seigneurs les Regraga – que Dieu les favorise- sont les descendants des apôtres mentionnés, dans le livre de Dieu. Ils sont venus du pays des Andalous. Ils étaient quatre hommes, et c’était au temps du paganisme. Ils s’établirent au lieu dit Kouz, au bord de l’oued Tensift. Les gens leur firent bon accueil. Ils habitèrent là longtemps et y bâtirent une mosquée qu’on appela la mosquée des apôtres (Masdjid al- Hawâriyyûn). De là ils se dispersèrent. Les quatre firent souche et c’était : Amejji, Alqama, Ardoun et Artoun. Ils habitèrent : Amijji, à Kouz. Alqama, à Tafetacht. Ardoun, à Sekiat et Mrameur. Artoun à Aïn Lahjar. Puis ils apprirent la nouvelle de la venue du Prophète – sur lui la prière et le salut –et de son message. Ils allèrent à lui et ils étaient sept hommes. Ils reçurent du Prophète une grande baraka. Et on raconte qu’il y aura toujours parmi eux sept saints jusqu’au jour du jugement... »

 

Manuscrit traduit et annoté par Abdelkader Mana

11:45 Écrit par elhajthami | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : regraga | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

28/04/2010

Les Regraga revisités(1ère partie)

Les Regraga revisités

Première partie

 

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Abdelkader Mana

Essaouira, Jeudi 9 avril 2009.


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Au levé du jour je quitte la ville encore endormie: non loin de l'horloge je croise mon frère Majid , puis une mouette sur le parapet de la baie...Deux pêcheurs à la ligne se rendent sur l'île aux pigeons, tandis que je m'en vais à la chasse aux images du printemps....

je décide en catastrophe de rejoindre les Regraga coûte que coûte à la 22ème étape, celle de Sidi Aïssa, patron du serment et du poteau central: je compte les accompagner le plus longtemps possible pour prendre des photos, enregistrer des interviews, prendre des notes. Le daour n’attend pas : il tourne comme l’horloge inexorable du printemps. En attendant, je rate la vie....Je ne sais pas si j’ai toujours la forme pour suivre le daour, mais je ne peux plus reculer maintenant...

Départ de l'étape de Sidi Aïssa, le samedi 11 avril 2009

Tôt le matin, je quitte Essaouira pour rejoindre les Regraga. Une fois à l’étape de Sidi Aïssa, je loue les services d’une carriole pour rejoindre le daour car ils sont déjà partis loin en direction de l’Est. Le dédoublement d’Aïssa souligne les deux épicentres du daour : à l’Est, Aïssa Moul l’Outed, étai de la khaïma, est aussi le symbole de la charrue qui sarcle le printemps tandis qu’à l’Ouest, au bord de l’oued Tensift, Aïssa Bou Khabia porte la gargoulette débordante pour étancher la soif des champs. Je prends mes premières images.

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Le propriétaire de la cariole prépare mon départ vers la zaouia de Merzoug où a lieu le Daour

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Nous quittons Sidi Aïssa en direction de Merzoug

Pour désenclaver le pays rural, une nouvelle route est en construction. Nous y croisons une cariole en provenance du daour : l’accès sera désormais bien plus aisé au pèlerins mais j’ai comme un regrêt pour les sentiers muletiers de jadis qui me semblent bien plus lumineux et poètiques.L’espace mythique parcouru à pied et à dos-d’âne était intensément vécu, arpent par arpent, jusqu’à l’épuisement du corps. La vitesse des villes engendre le stress, le déhanchement des chameaux nomme chaque arbre et chaque pierre.

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Sur notre chemin nous croisons d'autres carioles

On voit que les Regraga sont déjà loin, car on ne moissonne qu’après le passage, de ces « transporteurs de baraka ».On crois que là où ils passent est fécond, et que là où ils ne passent pas, reste stérile.

Cette lumière offerte au saint devrait illuminer l’obscurité de la tombe :

Vieillard comme le blé déjà mûr,

Voilà le temps des moissons qui arrive !

Dieu ! Que faire la dernière nuit de la solitude ?

Lorsque toute lumière s’éteint sauf la tienne !

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Sur notre chemin nous croisons des moissoneurs: les moissons commencent toujours après le départ du daour

On traverse la vallée dorée, parsemée de coquelicots. Les chants d’oiseaux contribuent à faire pousser le maïs. La tige du blé, les oiseaux et l’hyène sont souvent utilisés comme métaphores poétiques dans le chant berbère :

« Le jour de la moisson, la tige était sans graine

Et la jeune fille sans hymen

Les oiseaux n’ont laissé que la paille

Et au grand jour la jeune fille était proie à l’hyène. »

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Nous nous approchons de l'étape de Merzoug au milieu des champs dorés

Après avoir traversé des champs dorés, nous sommes accueillis en prière par le nouveau jeune moqadem à l’étape de Sidi Mohamed Marzoug où est arrivé le daour. Dés mon arrivée en carriole à cette étape ,le nouveau Moqadem de la khaïma m’apprend la mort de mon ami Driss Retnani en 2007 : juste avant de mourir, celui-ci aurait vu un chameau le poursuivant en rêve. Rêve prémonitoire, mauvais présage: ne dit-on pas qu’il faut toujours se méfier du makhzen, du chameau et du temps ?« La vie est ainsi faite : il y a ceux qui partent et ceux qui leur succèdent. » Me dit le jeune nouveau moqadem de la khaïma.

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Comme à toutes les étapes, un parc forain nous accueille avec ses norias tournoyantes et autres manèges. Dans l’enceinte sacrée où se déroulent les rituels, s’oppose l’espace forain de la fête qu’animent les chikhates et les zaffana. Mais en même temps, cette enceinte sacrée est aussi une enceinte de souk – le souk du barouk.: chikhates et zaffana , qui sont les porteurs ambulants de l’Eros, sont aussi dispensateurs de baraka. Ils occupent les espaces forains et hantent les nuits des hameaux.


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Le terme daour est ambivalent. Tantôt, on l’utilise pour désigner l’ensemble du pèlerinage circulaire ; il a alors la même connotation eb français que l’exxpression « faire un tour » avec l’idée de revenir au point de départ. Tantôt on l’utilise pour désigner chacune des étapes (à tour de rôle) qui se déroule autour du patron de chacune des tribus Chiadma. C’est une succession de moussems printaniers. Il faut distinguer le jour de la Safia qui se déroule la veille de l’arrivée des Regraga : les fellahs y font des achats pour préparer les offrandes, alors que le jour du daour est sacralisé par la présence des Regraga.

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Le souk du barouk, avec ses tentes, ses bouchers et autres marchands de fruits secs, ses immenses roues et autres jeux forains, ses musiciens ambulants et autres dresseurs de singes.
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Un fellah me dit :

-Le daour des Regraga est le pèlerinage du pauvre, haj el maskine.

Les tentes et les jeux forains campent dans un lieu en friche au sommet d’un plateau couvert de palmiers nains et de genêts, qu’on appelle « la hutte des esclaves », kharbate laâbid.
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Je monte par un escalier étroit au premier étage d’un édifice où se trouve un café plein de rusticité et de charme ; des fenêtres s’ouvrent au niveau des nattes et donnent sur le parc forain d’où viennent les rumeurs de la foule et les sollicitations du haut parleur :

- Dites aux parents des filles qui n’ont pas encore l’oreille trouée que le perceur d’oreilles est arrivé de Casablanca !

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Comme dans tous les souks, on voit les fellahs enturbannés s’affairer  au milieu des barbiers, des bêtes, des sacs de légumes, de menthe ou achetant la viande encore toute chaude, tant le chemin entre l’abattoir et le boucher est court.
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Dattes, sel, figues, rameaux de genêt ou d’olivier, etc…Le barouk est un objet qu’on achète autour du sanctuaire le jour du daour et qui représente plus que sa réalité déjà connue, parcequ’il incorpore l’énergie mystique de la baraka. Le daour est aussi pour les femmes l'occasion de renouveler leurs ustensils de cuisine, en particulier le couscoussier qui fume le tendre céréal du printemps.


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La khaïma semble décimée par la vieillesse et la mort !

À hauteur de la khaïma, le sympathique Moqadem de Talmest, l’un des derniers survivants de l’ancienne génération, m’annonce que l’exubérant personnage a remplacé son frère en tant que grand Moqadem :

-. Les Moqadem ont changé, les temps ont changé, me dit-il. Si Mohammadane, a remplacé cette année son frère aîné Si Mahmoud en tant que grand Moqadem.

La khaïma, est complètement décimée : la plupart des moqadem que j’ai connu au début des années 1980 sont soit morts ou se sont retirés en raison de la vieillesse ou de la maladie. Le corpulent et loufoque « mythologue » que j’ai connu avec Georges Lapassade dans les années 1980, a complètement disparu du daour , probablement pour raison d’âge. Mon ami, le fquih Si Hamid Sakyati est mort et son homonyme, l’ancien Moqadem de la khaïma, aurait, quant à lui, accompagner le daour juste pendant quelques étapes avant d’abandonner la partie définitivement cette année en raison de la fatigue et de l’âge. Il, serait parti à l’étape d’Akermoud, après avoir parcouru tout le premier cercle qui se déroule au Sahel mais pas celui qui est maintenant en cours dans la kabla.

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Aux abords de la khaïma le sympathique moqadem de Talmest m'accueille. Talmest, une des principales zaouia des Regraga. La racine de ce nom est le mot Talmas qui veut dire « touché », « frôlé » par un djinn. Les descendants de cette zaouia ont le don de guérir les possédés.

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Le chamelier de la khaïma a lui aussi succédé à son père décédé depuis peu :

-Que Dieu ait en sa sainte miséricorde Si Abdellah votre père, lui dis-je..

-Il est mort en 2005.Me précise-t-il.

-L’année où a décédé ma mère.

-Le 12 janvier 2005.

-L’hiver donc.

-Au tout début du mois lunaire du pèlerinage et du sacrifice.

-Etait-il malade ?

-Pas du tout. A notre retour du souk, après avoir bu un verre de lait, il s’est éteint tout simplement.

-C’est toi maintenant qui le remplace en tant que chamelier de la khaïma ?

-Oui.

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-Qui vous a accordé le chameau cette année ?

-Un bienfaiteur de la zaouïa des Aït Baâzzi. Cela fait quatorze années qu’il nous accorde le chameau.

-Ce n’est pas plutôt quelqu’un des Oulad El Haj ?

-Chez ces derniers, c’était le fils d’El Mouârrid qui nous accordait le chameau. Il y avait aussi notre voisin le fils du caïd Rha. Ainsi qu’un marchand de poteries des Oulad Aïssa.

-Combien d’années les Oulad El Haj vous accordaient-ils le chameau ?

-De 1974 à 1984.

 

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-Lors de ma première visite aux Regraga en 1984, c’était encore les Oulad El Haj qui accordaient le chameau et depuis 1985 ?

-Le fils du caïd Rha et ce pendant trois bonnes années successives. Puis vint le tour du marchand de poterie des Oulad Aïssa pendant deux années . Et à partir de 1996, c’était le tour de quelqu’un des Aït Baâzzi de nous faire grâce du chameau qui transporte la khaïma..

-Un grand propriétaire terrien ?

-Pas du tout. Seulement la baraka. Une grande baraka.

Désignant le chamelier, Korati Lahbib me dit :

- Son père était chamelier de la khaïma, son grand père l’était aussi, et quand il mourra, son fils prendra le relais : une chaîne ininterrompue jusqu’à ce que Dieu hérite de la terre et de ce qu’elle contient !...

-Que Dieu vous bénisse Sidi Abdelkader ! S’exclame le chamelier pour clore l’entretien.



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Tout en faisant partie du clan de la khaïma ,le moqadem de Talmest et sa suite font bande à part, sous une autre tente en toile.

Le soir du jeudi 13 avril 1984, je notais à propos de ce brave moqadem de Talmest: le moqadem de Talmest, brave homme corpulent et rougaud, fait preuve d’une érudition surprenante, me compare à Mokhtar Soussi, ce théologien ethnologue du Sous qui décrivit en plusieurs volumes le miel des choses. Le moqadem de Talmest m’encourage à poursuivre dans la voie de l’exploration. Ces gens ne savent peut-être pas que je suis moi-même mû par le désir d’échapper à la toile d’araignée qui se tisse sur l’histoire immobile des villes.

 

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Les pèlerins tourneurs du printemps en état de repos.

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Après avoir commandé un tagine de bouc à l’huile d’argan au cafetier, on passé la nuit sur une natte.

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Jusqu'aux abords immédiats du daour, les champs dorés attendent le départ des Regraga pour être moissonés.

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Quelques membres de la Khaïma en conciliabule.

Les Moqadem de la khaïma sont réunis sous la tente de Talmest autour d’un verre de thé. Trop sucré pour moi. On m’y apprend que mon compagnon de route au daour de 1984 , le sympathique Moqadem de la zaouïa d’Aghissi, aux allures de paysan berbère qui se frottait le dos à de lisses roches pour « alléger ses os », n’est plus.:

- Il est mort chez nous à Talmest, me dit maintenant le noiraud muletier. Les anciens sont tous morts. Seul Bellarbi le Moqadem de Talmest continue à tourner avec nous. Telle est la volonté de Dieu. De plus jeunes Moqadem prennent le relais comme de nouvelles pousses qui arrivent avec ce printemps...

- On s’entraide pour que tout se passe bien dans le daour. Ajoute Korati Lahbib qui faisait partie des novices et qui fait maintenant partie des dignitaires de la khaïma. Et d’ajouter : Lapassade voulait que je lui donne 10% de mes connaissances sur les Regraga, mais par la grâce de Dieu, je ne lui ai pas vidé mon sac !

 

 

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On prie pour la réussite de mon entreprise. Suite des prières:

Il me parle ensuite du Chérif Regragui qui veut rééditer mon livre et qui reste injoignable en raison de l’effet « hors zone » :

- Une fois que nous aurons atteint le réseau à l’étape de Mrameur, je lui ferai des prières par téléphone portable ! Depuis Sidi Boulmane jusqu’ici à Merzoug, il n’y a pas de réseau. Nous allons bientôt monter à Lalla Beit Allah : si j’y trouve le réseau, je lui enverrai mes prières...Il serait bien pour le chérif d’amener ses sacrifices et de planter sa tente à l’ombre des grenadiers et des oliveraies de Moul  Ghirane (le patron des grottes) qui se situe au lit d’un oued . Sidi Saïd Sabeq est également une bonne étape, de surcroit les Regraga y restent deux jours.

- J’aurai préféré pour ma part que ce cérémoniel ait lieu à Sidi Hmar Chantouf, rien que pour rendre hommage à Si Hamid Lachgar le Moqadem de Tikten, mort en 2007 le jour même où le roi s’était rendu à cette localité pour y inaugurer la nouvelle route ainsi que l’électrification rurale de nombreux villages.

- Je prie pour que tout ce que tu écrives ait du succès et que toutes les portes te s’ouvrent ! Tu ne connaîtras pas d’obstructions incha Allah !

- J’en connais pourtant : depuis plus d’un an maintenant que mes émissions sont suspendues à 2 M ! On m’y a coupé eau et nourriture !


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Korati Lahbib met alors ses mains sur ma tête et se met à égrener les noms des  44 étapes, à en appeler à leurs bénédictions pour que les nœuds qui bloquent ma vie soient dénoués. J’ai alors brusquement compris que la suspension des documentaires ethnographiques que j’anime à la deuxième chaîne marocaine vient d’une élite moderniste qui refuse de se voir au miroir d’un Maroc qui continue à porter ses vielles babouches. J’en paye maintenant le prix. Exorbitant !  Mon compte  est  aussi sec que la famine du Sahel !

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Les pèlerins présentent leurs offrandes à la khaïma.

La khaïma figure la caverne des sept saints mais aussi la voûte céleste et son étai figure l’axe du monde. On dit des sept saints qu’ils sont les aoutades (étais) de la foi musulmane ; leurs âmes se libèrent avec la mue du printemps ; c’est pourquoi ils doivent être apaisés par des sacrifices et des offrandes. La fiancée s’oppose à la khaïma comme le féminin au masculin, le blanc au rouge, la nuit au jour.  On tresse chaque année une nouvelle khaïma pour contribuer magiquement au renouvellement de la nature. Elle est tressée de racines de doum (palmier nain) qui participent à d’autres rites de renouvellement du foyer, rapporte Laoust :« Dans certaines régions, on fait aux bestiaux une litière de plantes vertes, on offre du lait et des tiges de palmier-nain dont on mange le cœur : l’année serait ainsi douce comme le lait ou verte comme le palmier-nain, et cela en particulier durant la fête d’Ennaïr qui semble surtout se rattacher aux rites de renouvellement du foyer, bien connus dans un certain nombre de religions où ils ont toujours lieu au commencement de l’année. »

 

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En attendant le départ vers la nouvelle étape, l'écuyer de la taïfa lave son turban à la citerne de la mosquée de Merzoug

Se tenant debout à la margelle de la citerne de la rustique mosquée de Merzoug  l’écuyer de la taïfa est en train de laver  son turban des poussières et des sueurs accumulées lors des précédentes étapes. Il a lui aussi succédé au vieil écuyer, que je surnommais « Sancho pansa » toujours sur son âne derrière la fiancée de l’eau sur sa jument blanche : la quête de la baraka fait ici office de moulins à vent ou de moulins à prière. C’est selon. Je  lui demande de me rappeler l’étape où on s’est rencontré la dernière fois :

 

- A la zaouïa d’El Qotbi.

- Elle se trouve où ?

- Chez les Oulad El Haj.

- Et c’était en quelle année ?

- 2005.

 

C’est là que j’avais effectivement rejoins le jeune Manoel  Penicaud qui suivait le daour pour les besoins de son livre qui paraitra plus tard aux éditions de la renaissance sous le titre « dans la peau d’un autre ». Je l’avais introduit auprès des Regraga lorsqu’il était venu me voir avec Falk Van Gaver en 2002 à Casablanca :  tous deux m’avaient accompagné aux fêtes du Mouloud chez les Aïssaoua de Meknès et les Hamadcha de Zerhoune, avant de rejoindre les Regraga  à l’orée du printemps.

 

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La mosquée de Merzoug où bientôt se déroulera la distribution des offrand

A la mosquée, la prière et la paix. On entend les rumeurs du printemps. Puis brusquement des you-you : dehors les offrandes arrivent en file indienne à la petite place lumineuse de la mosquée.

 

 

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On peut se demander si ces énormes plats de couscous garni ne préfigurent pas la table servie, et si les treize moqadem ne préfigurent pas les douze apôtres de la table ronde plus Aïssa (Jésus) puisqu’ils disent justement être les haouariyounes (apôtres) dont parle le Coran :Les apôtres dirent :

Ô Jésus fils de Marie !

Ton Seigneur peut-il du ciel faire descendre sur nous

Une table servie ?

Jésus fils de Marie dit :

Ô Dieu notre Seigneur !

Du ciel fait descendre sur nous une table servie !

Ce sera pour nous une fête et un signe venu de toi

Dieu dit : Moi en vérité, je la fait descendre sur vous,

Et moi en vérité, je châtierai d’un châtiment dont

Je n’ai encore châtié personne dans l’Univers,

Celui d’entre vous qui restera incrédule après cela.


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1. Un Fellah me dit :

« La gasâa revient cher, les pauvres serviteursse cotisent entre eux pour la préparer ». Mais le chef de la puissante tribu des Oulad-el-Hâjj, offre le chameau qui porte la tente sacrée et prépare à lui seul « 40 Gasâa pour nos seigneurs les Regraga ».

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Selon une vieille légende : « Les Regraga pratiquaient la pêche en mer avec des olives piquées à des hameçons. Apparut Sidna Aïssa, il demanda à ces hommes de le suivre. Ils partirent et en route ils eurent faim. Sidna Aïssa se mit en prière et, à deux reprises, une table descendit du ciel ; une première fois avec du raisin et du pain, la seconde fois avec du poisson du sel et du pain. Ces miracles convainquirent les Regraga et ils se firent chrétiens. Ils se vêtirent désormais de blanc, se chaussèrent avec du doum tressé et prirent comme chef un apôtre : Chamoun (Simon). Une basilique fut édifiée au bord de l’oued Tensift. Les Regraga vécurent quelque temps en paix, faisant sans doute du commerce avec les Romains de la côte comme les Zegrenzen plus à l’Est le faisaient avec ceux de Volubilis – un descendant de Chamoun Ouadah (Judas) fut le dernier souverain chrétien qui régna sur toute la région du Tensift. »

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Prière pour que les vœux soient exhaussés. Puis distribution des offrandes aux différentes zaouïas. D’ordinaire ces distributions symbolisent les rapports sociaux de protection entre les tribus-servantes Chiadma et les tribus- zaouïa Regraga mais ici il s’agit plutôt d’échanges de dons et de contre dons entre les zaouïas elles-mêmes : aujourd’hui, c’est la zaouïa de Marzoug qui offre la mouna aux autres zaouïas . Donc à chaque fois qu’on arrive à une étape – zaouïa, c’est celle-ci qui assure la provision des autres zaouïas : comme elle a été reçue par les autres zaouias dans les étapes précédentes et comme elle sera reçue par elles au cours des étapes suivantes, la zaouïa de Merzoug ;  doit à son tour les recevoir à cette étape.

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La mouna, ces énormes plats de couscous garnis qu’on offre aux Regraga se compose d’un plat de noyer gasâa qui peut mesurer jusqu’à deux mètres de diamètre contenant plusieurs quintaux de semoule et qui est tellement lourd qu’on le porte à plusieurs grâce à un filet de corde.Tous les plats de couscous se ressemblent, sauf que la gasâa des Regraga se distingue par sa nouara (fleur) : c’est l’agneau fumé. Les étoiles et arc-en-ciel qu’on dessine grâce aux fruits secs et aux mottes de beurre frais. Le cœur de la « fleur » est formé par des galettes de sucre multicolores.
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11:30 Écrit par elhajthami dans Regraga | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : regraga | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les Regraga revisités (2ème partie)

Les Regraga revisités

Deuxième partie

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Abdelkader Mana

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Après la distribution des offrandes, départ de l'étape de Merzoug ver Lalla Beit Allah

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J'aperçois l'ecuyer de la taïfa et je cours après lui pour le rattraper.

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Le départ de la « fiancée » précède toujours celui de la khaïma. J’ai entraperçu furtivement à la sortie de Merzoug  la jument blanche guidée par l’écuyer de la taïfa. C’est le signale du départ vers une nouvelle étape.

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Abdelhaq, le jeune Moqadem de la taïfa  qui a remplacé son père m’a très bien accueilli. Je vais l’accompagner jusqu’à la prochaine étape de lalla Beit Allah. Quant à mes affaires, je les ai laissées aux gens de la khaïma.

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Je cours après la taïfa et son moqadem sur sa jument blanche

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Le moqadem de la taïfa en prince d'andalousie....Abdelhaq, le jeune moqadem de la taïfa, qui a remplacé son père Ahmed, m'a trés bien accueilli.Je vais continuer sur ce pas jusqu'à Lalla Beit Allah.

En avant toutes vers la nouvelle étape

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Bénit soit le printemps traversé par la fiancée de l'eau!

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Le jeune Moqadem demande à la taïfa de continuer sans lui et attends en contrebas du puits qu’on lui apporte à boire.
Je demande à boire à mon tour :

- L’eau est-elle bonne ?

- Bien sûre, me dit-on, c’est une eau bénie par les chorfa et leur barouk.

Je montre les images prises à celui qui me donne à boire :

- Ceci est l’ombre de la jument blanche.

- Les images sont belles me dit-il.

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Longue est la route du daour

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Bénis sont les champs traversés par les Regraga. La taïfa estr déjà loin et je peine à la rattrapper.Derrière, il n'y a plus rien.Ils laissent derrière eux le vide absolu.Et le printemps. Et devant eux Lalla Beit Allah.La prochaine étape. Ils disent que juste après leur passage, considéré comme une bénédiction des champs, on commence les moissons.Et effectivement, onb voit que les champs sont déjà mûrs avec de lourds épis.

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Tandis que je visionne au bord du puits mon journal de route en images ; ils sont déjà très loin. Derrière, c’est le vide : il n’y a plus rien. Ils laissent derrière eux, le vide absolu. Et le printemps. Et devant eux ; lalla Beit Allah ; la prochaine étape. Il faut que j’aie le courage de les rattraper pour prendre quelques belles images. Ils sont déjà si loin et moi, loin derrière en train de courir au milieu des champs de blé. Ils disent que juste après le passage de la fiancée de l’eau et des gens de la caverne, on commence à moissonner. Et effectivement, je vois que les champs de blé sont déjà mûrs avec de lourds épis.

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Une jeune fille est arrivée au travers champs, avec d’autres femmes de sa famille et a remis à la fiancée de l’eau une bougie et s’est faufilée en dessous du ventre de la jument blanche : on pense que c’est un rite de passage pour pouvoir se marier l’année en cours.C’est une jeune nubile qui a besoin d’un mari.
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Un peu plus loin un autre groupe de femmes attendent l’arrivée de la fiancée de l’eau sous un arganier verdissant.

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Une jeune maman présente son bébé à bénir par la fiancée de l’eau. On a l’impression d’une scène biblique : la bénédiction de la naissance d’un bébé, comme ce fut le cas pour Jésus fils de Marie.
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Alors que je cours derrière la taïfa, j’ai raté son passage sous un gigantesque figuier sacré. Et brusquement, derrière moi, j’entends :

- Ah, Si Abdelkader !

En me retournant, je reconnais sur son mulet, le sympathique Moqadem de Talmest qui vient de nous rattraper. Il fait partie des survivants de l’ancienne génération des Moqadem de la Khaïma. Je lui prends une photo même à contre jour. C’est un ami, un très ancien ami. Je viens de recevoir un message, mais je suis hors zone, hors du monde, hors d’atteinte : lors de ma première visite aux Regraga en 1984, il n’y avait ni portable, ni appareil photo numérique. On est en train de construire une route pour désenclaver cette région. Mais nous marchons si heureux maintenant par les sentiers muletiers. J’ai du mal à suivre, puisque même un vieillard me concurrence sur cette voie.Avec son mulet le Moqadem de Talmest n’est pas resté derrière la taïfa ; il les a devancé, pour partir plus loin, ailleurs. En tous les cas ne pas aller derrière eux, ne pas être avec eux, parce qu’il fait partie du clan adverse de la khaïma.

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Sur le sillage de leur trajectoire ; les Regraga dessinent sur l’espace géographique des Chiadma deux énormes roues qui semblent reproduire une constellation cosmique sur la terre. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’une des tribus s’appelle justement  Njoum : les étoiles.La première roue se fait dans le Sahel (côte) et suit le mouvement apparent du soleil (Est-Ouest). La seconde roue se fait dans la Kabla (continent) et suit le mouvement inverse. Elle est placée sous le patronage de Lalla Beit Allah pour laquelle l’invisible aurait bâti un temple à douze piliers au sommet du mont Sakyat et dont la coupole rappelle étrangement le sein fécond de la nouvelle mère. La nuit de la pleine lune  vestige d’une antique « nuit de l’erreur » ? , les femmes y passent une nuit d’incubation permettant par sa baraka nocturne la fécondation du maïs et des êtres stériles. Après le départ des pèlerins, les pèlerines restent le lendemain pour une journée de « Lama » où la transe efface la culpabilité et favorise le repentir
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le jeune moqadem de la taïfa marque une pose et je m'empresse de lui prendre un portrait
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L'ecuyer fauche du blé tendre pour la jument blanche

Le dicton chinois : « Troupe et chevaux sont là, mais vivres et fourrages ne sont pas prêts », n’a pas de raison d’être ici : pour le chameau de la tante sacrée comme pour les 13 mulets des moqadems, on fauche le blé sur les chemins de parcours avec parfois l’encouragement du propriétaire du champ : Dieu récompensera, ce qui a été perdu !

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A grandes enjambées la procession se remet en marche vers Lalla Beit Allah. Il est cinq heures trente, l’étape est très courte et nous laisse encore assez de temps avant le coucher du soleil. A mi-chemin du sommet de la montagne, je rejoins le moqadem de la taïfa. Turban immaculé, barbe noire, mots rares, la silhouette imposante de ce fellah rusé contraste avec la petitesse de l’âne qui le porte. Superbe, le dialogue dans cette brise du soir qui envahit ces hauteurs, alors que tout en bas, à califourchon sur leurs bêtes de somme, les gens de la khaïma entament à peine leur ascension.

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Brusquement lalla Beit Allah, avec sa coupole blanche reconnaissable de loin, de l’autre côté, sur l’autre sommet de la montagne. Apparition lointaine dans l’immensité où tout se perd dans l’infini que surplombe un brouillard lumineux. L’appareil n’a plus de charge ; je ne peux plus prendre de photos, mais le plaisir est pour moi. Le fait d’être ici dans le sillage de mes amis. Plus de vingt ans après, je reviens à lalla Beit Allah. La première fois que j’y suis venu remonte à 1985, c’est si loin, c’est trop loin. La marche au pas pressé dans la nature est en soi une bénédiction.On contourne le flanc de la montagne : on voit déjà de l’autre côté le pick-up pris par les gens de la khaïma, en train de rejoindre lalla beit Allah.Je suis venu avec les moyens du pauvre : magnétophone, appareil photographique numérique avec une seule charge, mais l’essentiel est de participer, d’être là, d’avoir un peu de baraka.

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Nous nous approchons de Lalla Beit Allah

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L'arrivée de la taïfa à Lalla Beit Allah

Au seuil du temple, la « fiancée » est accueillie exclusivement par les femmes. Certaines d’entre elles arrachent les poils cendrés de la jument sacrée au risque de recevoir quelques coups de sabots alors que certaines passent trois fois sous son ventre. Lalla Beit Allah est probablement une ancienne déesse berbère devant laquelle se déroulaient les fiançailles collectives qui étaient sensées féconder le maïs. Nous avons retroué au sommet du Djebel Hadid une fiancée mégalithique (laâroussa makchoufa) à la forme phallique et qui a pour fonction de féconder la terre nourricière.

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Les femmes s'empressent pour recueillir les bénédiction de la fiancée de l'eau à Lalla Beit Allah.

Arrivée de la « fiancée de l’eau »  à Lalla Beit Allah.Les femmes l’accueillent par des you-you strident, tandis que   les membre de la taïfa l’accompagne à l’intérieur du temple en appelant la pluie bénéfique sur la terre assoiffée et la miséricorde divine sur les hommes leur cheptel et leur verger. Dehors, sur fond de chants d’Oum Kaltoum, le haut parleur annonce l’arrivée de celui qui troue les oreilles  des jeunes filles.

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Pèlerin-tourneur du printemps faisant ma bénidiction à Lalla Beit Allah

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L'arrivée de la Khaïma à Lalla Beit Allah

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En 1984, à mon retour du daour , je faisais état de ma découverte de « fiancées  pétrifiées »  laâroussa makchoufa, à lalla Beit Allah au mont Sakyat et au sommet du djebel Hadid, ce qui permettait à Géorges Lappassade de faire le lien avec le bétyle phénicien découvert sur l’île . Il écrivait alors dans un article parut au mois de décembre 1985 :« Beaucoup d’objets qui témoignent d’une haute antiquité ont quitté l’île pour rejoindre le Musée d’Archéologie de Rabat. Mais un de ces objets est resté dans l’île. C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. On trouve partout des bétyles datant d’une époque précédant les grandes religions monothéistes : il y en avait dans l’Arabie d’avant l’Islam. Le mythe de lalla Beit Allah chez les Regraga n’est pas sans rapport avec ces anciens cultes : on sait qu’il correspond, à des pierres dressées, qui furent ensuite recouvertes d’une toiture. C’est aussi le cas de « la fiancée pétrifiée », sur le djebel Hadid sur la route d’Essaouira à Safi. On ne doit pas, par conséquent suivre la tradition orale qui traduit « Beit Allah », par « Maison de Dieu », pour interpréter ce mythe hagiographique, il faut au contraire faire l’hypothèse d’un lieu de culte « mégalithique » lequel, sans remonter nécessairement à la préhistoire, ni d’ailleurs, pour ce lieu là, aux Phéniciens, a certainement précédé l’islamisation de la région des Chiadma. Pour le moment le Musée ne possède  comme signe des Phéniciens que le fameux symbole de tanit que représente la fébule berbère en forme de triangle et qui figure comme armoirie de Tiznit ».

Abdelkader Mana






 

11:27 Écrit par elhajthami dans Regraga | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : regraga | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook