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28/04/2010

Les Regraga revisités (3ème partie)

Les Regraga revisités

Troisième partie

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Abdelkader Mana

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La coupole de Lalla Beit Allah est un temple à douze piliers, sans tombeau ni catafalque, bâti au sommet de la montagne par l’invisible. Sa coupole rappelle étrangement le sein fécond de la jeune mère.
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La montagne se constelle de tentes qui semblent sortir du néant ; les barbiers se mettent avec les barbiers et les vendeurs de fruits secs avec les vendeurs de fruits sec. Des flots d’hommes envahissent la nouvelle étape. Et voilà qu’en peu de temps  ô prodige !  le  pays des hauteurs prend sous nos yeux l’aspect et l’ordonnance d’un souk
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J’écrivais dans mon journal de route de 1984 : Le porteur d’eau à l’allure massive et imposante et à la barbe noire (elle a blanchi maintenant), fait fonction de bénisseur ; son discours est intarissable, dans un arabe classique bâclé, mais il impressionne.
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Chez les qashasha (marchands de fruits secs), je croise Ahmed, le porteur d'eau des Regraga, qui fut mon campagnon au daour de 1984 où il me disait:

« Dieu a crée les Prophètes en Orient et les marabouts au Maghreb. Les Regraga étaient des combattants de la foi : après avoir soumis les tribus berbères, ils désignèrent un marabout à la tête de chacune d’elles. »

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Du fond de la tente en toile du marchand de fruits secs, le nouveau moqadem de la khaïma est en train de m'observer le photographiant: l'obsevation participante, suppose que l'observateur est lui-même observé par ceux qu'il observe!

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Le jeundi 29 mars 1984, je notais dans mon journal de route:

En face les barbiers. Une tente sommaire, un grossier tabouret, une table chancelante, un miroir cassé, des couteaux rouillés. Je rentre :

- Paix sur vous, je veux me raser le visage.

Le jeune barbier encore mal réveillé :

- Commençons par le vôtre et que la journée soit bénie !

Après le barbier, voilà le conteur. La barbe blanche, le visage avenant : il explique aux paysans impressionnés les principes de base des ablutions funéraires et « la prière de l’absent ». Parmi le public, un fellah fruste et poussiéreux complète ses propos et cite Asraël qui accueille les morts au seuil de l’au – delà. Le conteur lui recommande le silence pour ne pas nuire à l’attroupement et le disperser.

Il étale son turban :

- Vous savez sans aucun doute que dans le vieux temps le turban blanc servait de linceul aux cavaliers de la guerre sainte. Maintenant, ce n’est pas vous cher public qui êtes morts ; c’est votre conteur, voilà comment il faut prier pour lui...(après la démonstration il poursuit). A notre mort l’ange Djebraïl (Gabriel) nous ordonne de raconter notre vie passée ; les moindres gestes et paroles...Même les analphabètes d’ici bas trouveront là- haut la faculté d’écrire. La plume sera notre index, l’encrier sera notre bouche et la page blanche notre linceul...

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Une foule bigarrée se promène parmi les travées commerçantes, en quête du barouk et de baraka. Bijoutier, marchands de fruits secs, cafetiers, bêtes de somme.
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Des hameaux environnants arrivent les paysannes aux caftans bariolés. Elles marchandent les bracelets d’aluminium et les plantes cosmétiques. Leurs enfants ont le regard rêveur devant les jouets en plastique et les ménages en bois. Les adolescents sont particulièrement attirés par la halka de « l’âne intelligent ».

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Baraka et barouk ! Crient les marchands ambulants. La baraka est l’énergie bénéfique qui réside dans l’éther ou tout ce qui transcende les limites de l’expérience. Le barouk , c’est l’objet qu’on achète autour du sanctuaire – dattes, figues, sel, etc. – et qui représente plus que la réalité déjà connue, puisqu’en lui s’incorpore l’énergie mystique de la baraka.

La baraka, c’est l’esprit, le barouk en est la lettre matérialisée dans la chose.

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Dans mon journal de route du dimanche 16 avril 1984, je notais entre autre:

Lalla Beit Allah est probablement une ancienne déesse berbère devant laquelle se déroulaient les fiançailles collectives qui étaient sensées féconder le maïs. Nous avons retroué au sommet du Djebel Hadid une fiancée mégalithique (laâroussa makchoufa) à la forme phallique et qui a pour fonction de féconder la terre nourricière.

Le moqadem de la khaïma me demande de rédiger une plainte qu’il porte à la « fiancée » qui préside aux destinées des homme à Lalla Beit Allah.

- Il s’agit, m’explique la fiancée, d’une bagarre autour des jeux de hasard.

- Non, rétorque le jeune plaignant ensanglanté ; l’agresseur a voulu me violer…

Le moqadem l’arrête immédiatement :

- Ne parle pas de « ça » !...

A chaque étape les jeunes dépensent leur gain à corser les soirées dansantes d’adjuvants rituels. Véritables tavernes mobiles, les chameaux clandestins se déhanchent derrière les pèlerins -tourneurs. Ils sont en cela comme les habitants de Formose dont Montesquieu nous dit qu’ils ne regardent point comme péché l’ivrognerie et le dérèglement avec les femmes ; ils croient même que la débauche de leurs enfants est agréable à leurs Dieux.

L’incarnation du Majdoub nous parle des temps modernes :

- Maintenant la lumière est à l’intérieur et à l’extérieur des foyers, tu dors en sécurité même en pleine forêt.

On allume les bougies et on s’endort, hommes et femmes confondus à l’intérieur de Lalla Beit Allah. Certaines femmes sont venues de loin. Le mari n’est jamais présent : « A Rome, écrit Montesquieu, il était permis au mari de prêter sa femme à un autre.... Cette loi est visiblement une institution Lacédémonienne, établie pour donner à la République des enfants d’une bonne espèce, si j’ose me servir de ce terme. »

Cette promiscuité entre hommes et femmes, c’est le tmarsit symbolique, vestige d’une antique nuit de l’erreur.

Une femme enceinte donne sa ceinture à bénir, une autre son bébé. Deux Regraguis discutent au fond avec une belle femme, on dirait Lalla Beit Allah en personne. On est probablement ici en présence d’une vieille tradition de communisme sexuel dans laquelle les Regraga caprifiaient réellement les femmes des tribus servantes pour faciliter magiquement la même opération chez les plantes et le cheptel.

Les femmes retrouvent dans le rêve rituel, la liberté qu’elles n’ont pas dans le réel : le droit d’avoir plusieurs maris  comme celui-ci a le droit d’avoir plusieurs femmes. Les vieilles institutions berbères étaient probablement matriarcales et c’est l’Islam qui a instauré le patriarcat. On m’apprend qu’au lendemain de notre départ, des pèlerines restent pour une journée de lama, où la transe efface la culpabilité et favorise le repentir.


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. Un porteur d’eau vend aux pèlerins de petits bouts de khaïma de l’année précédente : chaque année, on doit tresser une nouvelle khaïma et acheter un nouveau chameau. Un dellâl (crieur public) est là pour vendre au prix de la baraka le bétail reçu en offrande.
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Je croise korati Lahbib qui me dit que je suis invité ce soir chez le Askri qui a l’habitude d’offrir à cette étape dîner et hébergement aux Moqadem de la khaïma dont il fait lui-même partie : il nous a servi trois tagines, et beaucoup de thé et de prières.
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Outre les treize moqadem ,la khaïma est suivie par les tolba qui y lisent le Coran au crépuscule, les tiach (novices s’initiant à la parole des ancêtres) qui ratissent au large, comme les ouvrières de la ruche, pour collecter les offrandes des hameaux qui se trouvent en dehors du parcours, un Raoui (conteur) béni à cause de son talent d’orateur, un homme –médecine aux traits étranges, qui offre ses services à ceux qui tombent malades et un porteur d’eau qui vend les bouts de la khaïma de l’année passée.

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le Askri qui a l’habitude d’offrir à cette étape dîner et hébergement aux Moqadem de la khaïma dont il fait lui-même partie
L’Askri qui nous accueille fait partie des Sakyat du haut , alors que mon ami le fiqih Si Hamid Sakyati , aujourd’hui décédé, fait partie des Sakyat du bas :  C’est au sanctuaire de leur ancêtre Sidi Abdellah Sakyati, situé en contre bas de cette  montagne sacrée, qu’iront passer la nuit, la taïfa et sa suite. Plus loin, aux Mtafi l’Haouf, c’est la tribu des Njoum qui offrira provisions et hébergement aux gens de la khaïma.Une ambigüité plane sur l’identité de la zaouïa de Sakyat qui  se compose de quatre fractions : est – elle  une tribu ou une zaouïa ? Une tribu devenue zaouïa par attribution ? Quel est son réel patron : Lalla Beit Allah au sommet de la montagne ou  Abdellah Sakyati au pied de cette même montagne ?  Ici, il s’agit d’échange de dons et de contre dons entre la zaouïa de Sakyat et les autres zaouïas Regraga, et aux Mtafi L’haouf, il s’agira plutôt de rapports sociaux de protection entre les zaouïas Regraga d’une part et la tribu servante Njoum d’autre part.
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Entre autres anecdotes racontées à cette soirée , le cas ces hommes immunisés contre le venin : lorsqu’ils sont piqués par un scorpion, c’est plutôt lui qui en meurt L’Askri qui nous accueille fait partie des Sakyat du haut , alors que mon ami le fiqih Si Hamid Sakyati , aujourd’hui décédé, fait partie des Sakyat du bas :  C’est au sanctuaire de leur ancêtre Sidi Abdellah Sakyati, situé en contre bas de cette  montagne sacrée, qu’iront passer la nuit, la taïfa et sa suite. Plus loin, aux Mtafi l’Haouf, c’est la tribu des Njoum qui offrira provisions et hébergement aux gens de la khaïma.
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Sur le chemin des sept saints, que le rituel mime, on ne peut passer qu’une seule fois par le même endroit et au moment prescrit par la tradition : un jour avant, les offrandes ne sont pas prêtes, un jour après, les zaouïas ne sont plus accompagnées par les esprits de la baraka. Chaque année, à la même heure, au même jour et à la même étape, les Regraga bénéficient de la même hospitalité et ce, depuis des siècles !

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Abdelkader Mana

 



11:25 Écrit par elhajthami dans Regraga | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : regraga | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Je vous approuve pour votre paragraphe. c'est un vrai travail d'écriture. Continuez .

Écrit par : MichelB | 13/08/2014

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