14/04/2012
L’ Ifriqiya de Sidi Ifni
Le sanctuaire de Sidi Mogdoul
On retrouve des santons Regragui surtout en pays Chiadma mais aussi chez les Seksawa du Haut Atlas, à Massa dans le Sous, jusqu’ à la Seguia al hamra au Sahara, où dans un vieux cimetière voisin du Rio de Oro, sont enterré sept fœtus Ouled Bou Sebaâ, à côté d’un saint d’origine Regragui : selon la légende en cours chez les nomades, il serait parti des rivages d’Amougdoul, en jetant au loin une pierre et en la rejoignant ensuite à chaque horizon. D’horizon en horizon, il était parvenu ainsi, , jusqu’à la Seguia al hamra. On peut se demander d’ailleurs s’il ne s’agissait pas là de Sidi Mogdoul en personne. En effet, d’après une Ifriquiya : « Sidi Mogdoul razzia les terres soudanaises jusqu’à une ville appelée Tombouctou, puis revint au djebel Hadid en pays Chiadma. ».Tirant argument de la présence de leurs saints au Sahara, les Regraga participèrent, avec leur khaïma rouge, à la fameuse « marche verte ».
Mogador - 1860
Le manuscrit que je traduis ici, m’a été transmis par mon ami le chercheur Jean François Clément. Découvert à Sidi Ifni, il est écrit en l’an 1104 de l’hégire (1694), par un certain Moulay Ali Mohamed Regragui. Le manuscrit date donc de seulement deux ans après la mort d’al-Youssi en l’an 1102/1692.Hassan Abû Ali H’san al-Youssi, né en 1040 et décédé en 1102 (soit 1630-1692) est originaire du Fazaz, sur le revers sud du Moyen-Atlas. Il vécu au 16èmesiècle sous les règnes de Moulay Rachid et de Moulay Ismaïl, et serait selon la tradition à l’origine de l’organisation du culte des sept patrons de Marrakech.
Mogador-Vue prise de la plage
L’ Ifriqiya est le recueil des légendes dorées des Regraga transcrites par des fqihs .Voici donc la traduction de l'Ifriqiya de Sidi Ifni qui débute ainsi:
" Hassan al-Youss, que Dieu lui vienne en aide et nous accorde ses grâce (Amen), rapporte un dit authentique et bénéfique à propos de la rencontre de nos seigneurs les Regraga, les Béni Dghough et les Sanhaja, avec le Prophète, (sur lui prières et paix) : Ils ont cru en Jésus fils de Marie, et faisaient partie de ses ressuscités et de ses fidèles, jusqu’à l’avènement du meilleur des hommes, notre seigneur Mohammed (sur lui prières et paix).Preuve en est ces paroles du plus haut :« Il a dit : qui sont les alliés de Dieu ? Les apôtres répondirent : nous sommes les alliés de Dieu, en lui nous croyons, témoignes que nous sommes soumis. »
A l’avènement du Prophète, l’ange Gabriel se révéla a lui :
- Ô Mohammed ! Envois ces trois taïfa, Regraga, Sanhaje et Béni Dghough, au Maroc pour qu’ils le conquièrent et pour qu’ils fassent bénéficier ses habitants de l’islam. Lui ordonna-t-il.
Le Prophète (sur lui prières et paix), s’adressa alors aux trois taïfa en ces termes :
- Allah, le plus haut, m’a ordonné de vous envoyer au pays du soleil couchant (almaghrib=Maroc).
Les saints hommes lui dirent :
- Ô envoyé de Dieu ! Pourquoi veux-tu nous éloigner de toi, alors que nous sommes tes compagnons et tes frères ?
Arrivée d'une caravane à Mogador
L’’ange Gabriel descendit à nouveau du ciel pour révéler au Prophète cette parole divine :
- Si nous envoyons d’autres gens, ils s’éloignerons de toi et apostasieront leur Islam. Quant à ces trois taïfa,elles ont cru en toi quarante ans avant ton avènement. Leur sang et leur chair s’étaient déjà mêlés à l’Islam, comme le sel à l’eau de mer.
Le Prophète, prières et paix sur lui, leur ordonna alors de se diriger vers le pays du soleil couchant et nos saints bénits lui répondirent :
- Nous sommes à tes ordres, ô envoyé d’Allah !
- Celui qui vous aime, m’aime, et celui qui vous hait, me hait. Vous demeurerez mes représentants, au pays du soleil couchant, jusqu’à la résurrection.
Le Prophète, prières et paix sur lui, prit alors la main de Sidi Wasmine le Regragui et lui dit :
- Si Dieu le veut, tu seras leur chef
-Mais nous ignorons le chemin à prendre, Ô envoyé de Dieu !.
Le Prophète étendit alors trois doigts de sa main droite. De chacun , par la grâce de Dieu et de son généreux Prophète , une rivière de lumière jaillit. Les Regraga suivirent un oued, les Béni Dghough un autre, et les Sanhaja le troisième. Puis, ils pressèrent le pas jusqu’à la ville d’Alexandrie, où les fleuves de lumières pénétrèrent dans la mer. Les saints hommes crièrent à leur chef Sidi Wasmine :
- La lumière s’est enfoncée dans la mer !
- Suivez-la à la trace, si vous croyez vraiment en Allah, son Prophète et au jugement dernier ! Leur répondit-il.
- Mais vas-y Toi-même qui est notre chef !
Et le vénérable Wasmine d’ordonner à la Méditerranée:
- Mer, immobilises-toi!
Aussitot, elle s'immobilisa par la grace d'Allah et de son Prophète, alors les armées la foulèrent comme si c'était la terre ferme, jusqu'à ce qu'ils parviennent ainsi à ribat el fath.Delà ils se dirigèrent vers Safi, puis ribat Massa dans le Sous extreme et enfin la seguiet el hamra (Rio de Oro). Ils sont même allés, jusqu’au pays des maghafra(le Soudan ?).
L’émir Wasmine leur dit alors :
- Avant de revenir à notre pays incha Allah, il faut maintenant rendre compte de notre mission au Prophète. Je me chargerais de cette mission, avec Sidi Abdellah Adennas, Sidi Saïd Bou khabiya (le patron de la gargoulette), Sidi Saleh, Sidi Boubker, Sidi Allal korati, et Sidi Saïd Sabeq (le « devancier »).
Tous désiraient revenir au Hidjaz (le pays du grand pèlerinage). En cours de route, l’un de ces sept hommes, Sidi Saïd tomba malade. Il se couvrit lui-même d’un linceul, et se dissimula à leurs regards en s’enterrant lui-même dans le sable. Troublés de ne plus le voir à leur côté, ces compagnons se mirent à crier dans le désert. Comme aucun écho ne répondait à leur appel, ils prièrent pour la guérison du disparu :
- Nous te confions aux mains d’Allah et de son généreux Prophète.
Puis, ils repartirent en pressant le pas. Une fois à Médine, les sept hommes entamèrent leur procession, leur Dikr, et leur prière de la pluie :
On est venu vers vous, ô gens de vertu
Implorons à vos portes,
La générosité du Seigneur
Pour que de la baraka de vos bassins,
Nos vergers soient arrosés
Arrivée de la procession des Regraga à Mogador
C’est par cette prière de la pluie, que les Regraga ouvrent chaque nouvelle étape du Daour. Il y est fait allusion à la notion du Faïd, qui symbolise le débordement de l’eau des rigoles de la baraka. Pour cette vieille paysannerie berbère des rivages atlantiques, toute vie dépend de la pluie, et toute pluie dépend de la bénédiction divine et des étincelles de la baraka en tant que lumière prophétique.
Les voix étaient si belles, qu’arbres et montagnes en tressaillirent. Saisi d’effroi, les oiseaux se mirent à pleurer .Cette ferveur divine, s’empara aussi, des fils d’Adam et de tous les êtres de la création qui l’entendirent.
Une fois auprès du Prophète (sur lui prières et paix), ils le trouvèrent entouré de ses compagnons et le saluèrent. Celui-ci leur demande en berbère :
- Manza (où es) Saïd ?
- Il est resté (Ybqa) en cours de route.
Et le Prophète de le sortir dessous sa tenture :
- Il n’est pas, celui qui « reste » Ybqa ; il est, celui qui « devance » Sabeq.
Le Prophète, leur dévoila ainsi l’éclipse mystérieuse de leur compagnon de route, en leur apprenant qu’il les a « devancé » sabaqahûm . D’où son surnom de Sabeq (celui qui devance).
Ils prirent quelques jours de repos auprès de l’envoyé de Dieu, qui les chargea par la suite d’islamiser le Maroc, leur pays d’origine, en leur prodiguant ses conseil et en leur confiant une missive contenant la révélation. Ils revinrent alors par la grâce de Dieu, en pressant le pas jusqu’au riblât El Fath(l’actuel Rabat) où les trois taïfa les accueillirent avec joie.
Cette rencontre eut lieu donc au bord du Bou Reg reg : le fleuve dont le nom dérive de celui des « Reg-Reg », c'est-à-dire des Regraga. Dans cette hypothèse ils auraient rencontré au bord de Bou Reg-reg, le Prophète berbère des hérétiques Berghwata, dont le territoire s’étendait entre l’oued Tensift au sud et l’oued Sebou au nord. . Le Prophète dont il s’agit est probablement Salih Ibn Tarif des Barghwata qui aurait prêché le Coran en berbère et créer un embryon d’Etat en l’an 127 (744) .Rabat, fondé au XIè siècle, par les almoravides sur la rive Sud du Bou-Regreg. Ce ribâtétait alors occupé d’une façon permanente par de pieux volontaires mobilisés par le djihad contre les incursions des hérétiques Berghwatas.
Le cheikh Wasmine, voulu d’abord accorder l’oracle prophétique aux Béni Dghough, mais avait peur de mécontenter les Regraga. Il avait aussi peur de mécontenter ces deux derniers en l’accordant aux Sanhaja. Finalement il décida de l’enterrer à la saline de Zima, où les saints hommes le recherchèrent vainement. Ne rencontrant qu’une mer de sel, ils revinrent auprès de Wasmine, s’en quérir d’un tel miracle. Celui-ci leur dit :
- Pour le bien de la communauté musulmane, que cet océan de sel se métamorphose en huile d’olive !
Ils revinrent aussitôt à Zima , qu’ils crurent transformée sous leurs propres yeux en océan de miel, de beurre rance, et d’ huile d’olive. Mais ils durent vite déchanter, car ils n’avaient en face d’eux qu’un océan de sel. Le cheikh avait pourtant promis un océan de baraka pour le pays du soleil couchant !
Wasmine procéda alors, à la répartition du Maroc entre les trois taïfa : de l’oued sabra (l’euphorbe) du côté de la mer à oued chichaoua et au Qihra, en pays Seksawa, jusqu’à Massa, le Sous extrême et le maghafra (le pays des nomades et des noirs) ; c’est le pays des Regraga. Et de l’oued sabra, au djebel mékka, en passant par la verte montagne et le djebel Fazaz, au Moulouya, puis de là à Tamesna, Fechtala, Bzou, Demnate, jusqu’au oued El Qihra : tout ceci est le pays des Béni Dghough.... Trois séguias(aqueducs) et dans chacune d’elles coulent quatre sources...
Les Regraga sur les rivages de Mogador(à l'étape de Diabet)
On trouve des tombeaux Regraga, chez les Chiadma, mais aussi chez les Haha, les Mentaga, les Mjat, les Oulad Mtaâ, les Hmar,dans le Haouz, au Tadla, dans le Sous jusqu’au Sahara. On les trouve aussi en haute montagne et au pied mont. Leur miséricorde et leur baraka englobe tous, dans le mouvement comme au repos. » Ces seigneurs des ports, ces saints protecteurs des rivages et des marins dont les coupoles, telle des vigies de mer, jalonnent les rivages, les marins leur rendent hommage à l’ouverture de chaque saison de pêche. C’est le cas de Sidi Mogdoul, où jusqu’à une époque récente, procession, étendards et taureau noir en tête, les marins s’y rendaient pour qu’il facilite leur entreprise, comme en témoigne cette vieille légende berbères : « Sidi Mogdoul fixe les limites de l’océan et en chasse les chrétiens. Il secourt quiconque l’invoque. Fût-il dans une chambre de fer aux fermetures d’acier, le saint peut le délivrer. Il délivre le prisoner entre les mains des chrétiens et le pêcheur qui l’appelle au milieu des flots ; il secourt le voilier si on l’invoque, ô saint va au secours de celui qui t’appelle (fût-il) chrétien ou musulman. Sidi Mogdoul se tient debout près de celui qui l’appelle. Il chevauche un cheval blanc et voile son visage de rouge. Il secourt l’ami dans le danger, le prend et, sur son cheval, traverse les océans jusqu’à l’île. »
Sidi Bouzerktoun, le protecteur des marins
Les pêcheurs berbères de ces rivages invoquent aussi Sidi Ishaq, perché sur une falaise rocheuse abrupte qui surplombe une plage déserte où les reqqas échangeaient jadis le courrier d’Essaouira d’avec celui de Safi : « Lorsque les pêcheurs passent à travers les vagues, il leur arrive de l’appeler à leur secours, ils lui promettent d’immoler une victime et de visiter son sanctuaire. Sidi Ishâq avait un cheval blanc que son frère Sidi Bouzergtoun lui avait donné. Lorsque les Regraga se réunissent, ils vont à cheval visiter ce saint ; les marabouts – hommes et femmes assemblés – prient Dieu de délivrer le monde de ses maux. Lorsque les pêcheurs vont vers Sidi Ishâq, ils entrent dans son sanctuaire et après avoir fait leurs dévotions, il te prenne, ô huile de la lampe, et te la verse au milieu des flots pour les calmer. »
Et sur ces mêmes rivages, au Sud de cap Sim, les pêcheurs se rendaient en pèlerinage à Sidi Kawki où les berbères Haha procèdent à la première coupe de cheveux de leurs enfants : « s’ils sont surpris par la tempête, ou si le vent se lève alors qu’ils sont en mer, les marins se recommandent à lui. Avant de s’embarquer pour la pêche, ils fixent la part de Sidi Kawki, dont les vertus sont très renommées. On raconte qu’un individu y avait volé la nuit une bête de somme et bien qu’il eut marché tout le temps, quand le matin se leva, il se retrouva là où il l’avait prise. »
L'entrée des Regraga à Mogador(par Bab Doukkala) par Roman Lazarev
Retrouvés à Aglou dans le Sous, on peut lire dans les carnets d’un lieutenant d’El Mansour, qui portent la date de 988-1580 :"Nos seigneurs les Regraga appelés Hawâriyyûn,sont des marabouts dont le plus grand nombre est chez les Haha. Nos seigneurs les Regraga – que Dieu les favorise- sont les descendants des apôtres mentionnés, dans le livre de Dieu. Ils sont venus du pays des Andalous. Ils étaient quatre hommes, et c’était au temps du paganisme. Ils s’établirent au lieu dit Kouz, au bord de l’oued Tensift. Les gens leur firent bon accueil. Ils habitèrent là longtemps et y bâtirent une mosquée qu’on appela la mosquée des apôtres (Masdjid al- Hawâriyyûn). De là ils se dispersèrent. Les quatre firent souche et c’était : Amejji, Alqama, Ardoun et Artoun. Ils habitèrent : Amijji, à Kouz. Alqama, à Tafetacht. Ardoun, à Sekiat et Mrameur. Artoun à Aïn Lahjar. Puis ils apprirent la nouvelle de la venue du Prophète – sur lui la prière et le salut –et de son message. Ils allèrent à lui et ils étaient sept hommes. Ils reçurent du Prophète une grande baraka. Et on raconte qu’il y aura toujours parmi eux sept saints jusqu’au jour du jugement... »
Manuscrit traduit et annoté par Abdelkader Mana
11:45 Écrit par elhajthami | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : regraga | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Je vous vante pour votre critique. c'est un vrai œuvre d'écriture. Continuez .
Écrit par : MichelB | 13/08/2014
Vraiment passionnante, l'histoire la légende des regragas. Merci pour cette lecture enrichissante.
Écrit par : Annick | 25/02/2015
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