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04/05/2010

Télévision

LA MUSIQUE DANS LA VIE

 

Abdelkader Mana et le Maroc profond

Un travail télévisuel occulté

pour cause d’ « indigénat »[1]

Par JP Péroncel-Hugoz

Paradoxal Maroc ! D’un côté, la plupart de ses habitants se vexent si vous n’adhérez pas inconditionnellement à leur conviction selon laquelle le Royaume chérifien est « le plus beau pays du monde » ; d’un autre côté, nombre de choses de qualité made in Morocco - citons en vrac le cinéma, les livres édités ici, la médecine, les vins locaux, les vêtements de style occidental, etc. – sont méprisées par ces mêmes Marocains, alors que la production nationale peut en maints domaines aujourd’hui rivaliser avec les produits importés.

Cet autodénigrement, ce complexe d’infériorité expliquent que nombre de créateurs marocains soient obligés de s’expatrier s’ils veulent voir leurs talents reconnus sur leur propre terre – étant entendu qu’il se trouvera toujours une foule de leurs compatriotes pour leur reprocher ensuite d’avoir « déserté »... Pas étonnant que ce fin analyste de son peuple que fut Hassan II ait dit, à la fin de son règne, au journaliste britannique Stephen Hughues qui venait prendre congé au Palais, après cinquante ans passés au Maroc : « Oui, je sais, plus on vit parmi les Marocains, et moins on les comprend... »

Par exemple, il est incompréhensible, alors que des gestionnaires culturels marocains se plaignent sans cesse de la « rareté » de la production télévisuelle locale « de qualité », que des téléastes auteurs d’une œuvre de tout premier choix, déjà abondante, soient condamnés à végéter, à faire antichambre, à envoyer courriers et courriels auxquels aucun décideur ne répond, à voir programmer leurs films quand tout le monde dort... Je pense ici en particulier aux documentaires pour la télévision du sociologue rural et ethnosociologue ( pourtant formé à l’étranger chez les meilleurs maîtres du genre, notamment le professeur émérite Georges Lapassade !...) qui attendent dans les placards de 2M, et qui passent, si jamais ils passent, aux plus « mauvaises heures » ; documentaires qui n’ont même pas suscité la curiosité d’une chaîne comme Médi-1 Sat, pourtant grosse importatrice de reportages socio-culturels...

Soyons précis : je ne suis pas un ami ou un parent d’Abdelkader Mana. Je l’ai rencontré certes plusieurs fois lors de mes séjours nord-africains pour le Monde ou La Nouvelle Revue d’Histoire ou encore dans le cadre de la Bibliothèque arabo-berbère, collection de littérature orientaliste que j’anime depuis dix ans à Casablanca, chez l’éditeur Abdelkader Retnani. Cependant, ce n’est pas moi qui ai eu la chance d’éditer les ouvrages de Mana – car il écrit aussi, et bellement – sur les Regragas, Mogador, ou les Gnaouas.

Fruit d’une longue observation sur le terrain, de la réflexion née d’une authentique double culture arabo-européenne, l’apport écrit ou filmé de Mana à la création marocaine fait mon admiration et je m’en nourris chaque fois que je peux. Ainsi, afin de visionner chez 2M des œuvres inédites ou archivées de Mana, je suis allé jusqu’à affronter les diverses démarches bureaucratiques nécessaires pour obtenir une telle « faveur »...

Je ne l’ai pas regretté, ayant de cette façon pu enfin regarder quelques-uns de ceux des quatre vingt et un films de Mana que je n’avais jamais vus, sur la musique, la danse, les traditions, les pèlerinages, les terroirs, la cuisine, l’artisanat, l’architecture, la poésie, etc., etc.

Bref, le Maroc entier, depuis la Maison d’Illigh (déjà connue grâce aux recherches du regretté Pascon) jusqu’aux feux de l’Achoura, de la Grande Mosquée méconnue de Taza, au Rif non touristique, des Glaoua du Haut- Atlas, à la plaine atlantique et jusqu’au Sahara récupéré. Une œuvre chatoyante à plaisir, à la portée de tout public un tant soit peu captivé par le Maroc populaire réel, un espace resté vivant, loin des conurbations modernes où tout se délue et se corrode. S’ils sont bien conservés, ces films, tous guidés par la même idée de découverte et d’explication, feront sans nul doute partie un jour de la mémoire civilisationnelle du Royaume alaouite.

Dans tout autre Etat que le Maroc, les documentaires de Mana seraient déjà considérés comme appartenant de plein droit au patrimoine national, et on les vendrait au public dans des coffrets avec des textes du concepteur sur les sujets traités. C’est pitié de constater qu’il n’en n’est rien, qu’il faut veiller jusqu’aux petites heures si on veut attraper de temps en temps quelques images de Mana à la télévision. C’est archipitié de continuer pendant ce temps à entendre un tel ou une telle se plaindre étourdiment de l’ « indigence » de la création audiovisuelle marocaine...

Bon sang de bon sang, sortez donc de votre auto-dénigrement, donnez-vous la peine de vous pencher sur les productions « indigènes » ! Saperlipopette, elles en valent la peine. J’ai mis en exergue le seul cas Mana, car il m’a paru emblématique d’une situation particulièrement absurde – mais, bien sûr, ce cas est malheureusement loin d’être unique dans « le plus beau pays du monde »....

JP Péroncel-Hugoz[1] Article paru dans LIBERATION du Mardi 5 août 2008

La musique dans la vie”,

une émission en voie de disparition sur 2M
Les failles de la programmation

 

Depuis 1998, et jusqu’à aujourd’hui, 2M diffuse et rediffuse, par intermittence, une série de documentaires ethnographiques sur les musiques du Maroc profond et inconnu. Cette émission intitulée “la musique dans la vie”, vise à restituer au Maroc musical, du Rif au Sahara, sa portée esthétique et identitaire en replaçant chaque genre musical, dans son contexte social, culturel et historique.
Une démarche qui va à l’encontre de la “folklorisation” à laquelle donne généralement lieu le patrimoine musical - aussi bien rural qu’urbain- quand il est présenté en dehors de son contexte.

Réduction

Aujourd’hui, le constat amer est que feuilletons et autres sagas semblent avoir plus le droit de cité que les documentaires sur le patrimoine marocain. En effet, le nombre de documentaires planifiés en 2001 fut réduit de moitié -passant de 8 à 4 documentaires par an- et la rémunération par documentaire de l’ethnomusicologue qui en supervise la production fut également réduite de moitié.
Malgré cette réduction drastique quatre documentaires ont pu être réalisés mais non diffusés à ce jour. Ces documentaires portent sur les rythmes et les danses des houara, les feux de joie de Marrakech, les Seksawa du haut Atlas -sur les traces de Jacques Berque- et enfin la flûte enchantée du pays Haha, avec les rythmes étranges et beaux des “Almaghost”, tribu visitée aux contreforts d’Imin Tanoute, par le géographe arabe Al Bakri lorsqu’il se lançait au 11ème siècle à la découverte de Tombouctou.
La production de six autres documentaires était prévue et devait porter cette fois-ci sur le moussem des Hamadcha à Essaouira, ainsi que sur les musiques du Gharb et du Rif.
Mais cette fois ici la rémunération de l’ethnologue qui en supervise la production fut réduite de 2/3 par rapport au contrat initial de 1998 : mission impossible à réaliser. En fait, c’est une manière comme une autre de mettre fin à l’émission, pour des raisons de forme, sans avoir à s’expliquer sur le fond, -puisqu’au Maroc tout le monde est censé défendre le patrimoine culturel national- le droit de cité des cultures régionales, en particulier rurales, à la télévision publique.
Faute de produire de nouvelles émissions de qualité sur le patrimoine, 2M se rabat sur des rediffusions -y compris d’anciens épisodes de “la musique dans la vie” produites sous l’ancienne direction et rediffusées à satiété ces jours-ci sans le moindre droit d’auteur- pour donner l’illusion d’une production nationale, réduite de facto à l’état d’“appendice”.

Illusion

Le patrimoine marocain a droit à notre respect, et les téléspectateurs ont droit à un produit de qualité. La chaîne n’aurait pu maintenant rediffuser les anciens documentaires s’ils n’étaient pas de qualité. Or si jadis, on a pu produire des documentaires de qualité, c’est parce que la ressource humaine “pouvait s’épanouire localement sans avoir à chercher ailleurs”. Un documentaire a un coût, un temps nécessaire à sa production et une qualification requise de ses producteurs. En deça de quoi, on peut tout produire, sauf un documentaire.
Abdelkader Mana
Ecrivain-ethnomusicologue


Article paru à "Maroc-Hebdo"


Le magazine de la deuxième chaîne ne signe pas les articles que je lui confie

et qui sont des extraits de mes commentaires à cette série documentaires

Documentaires diffusés par la 2M

La musique dans la vie: les cantatrices du désert

Sektou, la plus belle des voix !
Nul ne peut égaler son jeu de harpe
C’est sa belle voix qui ouvre les veillées musicales du désert
C’est à la digne héritière du grand Saddûm Wall N’dartou
Que je dédie mes poèmes !


Le modèle des cantatrices du Sahara est incontestablement la célèbre Sektou qu’évoque le poète. C’est au 18ème siècle que Saddûm Wall N’dartou allia la forme poétique de la qasida à un nouveau style musical divisé en deux voies, l’une blanche et l’autre noire.

Le premier style musical est de caractère arabe et le second est inspiré de la musique des noirs. La cantatrice accomplie se reconnaît à la parfaite homogénéité qui existe entre sa technique vocale et instrumentale. Non seulement sa harpe parle clairement, mais aussi elle imite parfaitement la harpe avec sa voix.

Au Sahara, la harpe, dénommée "Ardine" est du domaine féminin, et le luth dénommé "Tidinite" est du domaine des hommes.

le grand retour de l'émission "La musique dans la vie", à 2M

LE CHANT DES DUNES

Par Taieb CHADI

"La musique dans la vie" est de retour sur 2M. Lors de sa diffusion en ramadan dernier sur l'antenne de la deuxième chaîne, l'émission de l'écrivain Abdelkader Mana n'est pas passée inaperçue. Ce mois de mai, " La musique dans la vie" revient avec deux documentaires sur les musiques du Sahara marocain

.

Le premier intitulé " Le chant des chameliers", consacré aux musiques de Oued Noun a été diffusé le 7 mai ; le deuxième, "Les poètes errants" qui rend hommage à la poésie nomade de Sakiet al Hamra, sera diffusé le14 mai prochain.
Abdelkader Mana et son équipe ont essayé de remonter la légende des chants des chameliers. Celle qui prétend que Oued Nouq ( La rivière des chameliers) était la porte du Sahara.

Au Sahara marocain, " Le chant des chameliers" est appelé "Al Hoaul". Ce vocable hassani désigne doublement le forte émotion et la terreur sacrée que provoque le sentiment d'esseulement et de solitude face au grand néant peuplé de dunes de sables et de silence éloquent. "Al Haoul", c'est donc cette poésie qui raconte et décrit, l'amour du chamelier pour sa bien aimée, nomade. Le "pauvre" chamelier se recueille religieusement devant ses vestiges. Il se rappelle, se lamente devant des ruines. Celles de sa bien aimée. ça nous rappelle " Al Atlal" , prologue classique des grands poètes de l'ère de Jahilia ( avant l'avènement de l'Islam). À ces chants, assure Ghazali, même les chameaux ne restent pas insensibles. En les entendant, ils oublient le poids de leurs charges et la langueur du voyage, "ils étendent leur cou et n'ayant plus d'oreilles que pour le chanteur (...). Ils sont capables de se tuer à force de courir".

À travers cette émission, Abdelakader Mana a sommairement retracé l'histoire des caravanes et des caravaniers. Il y a des années, hommes et troupeaux étaient obligés de parcourir jusqu'à mille kilomètres. Leur carrefour étaient Souk Mhirich qui se tient toujours chaque Samedi à Guelmime. Jadis, marché de dromadaires où les commerçants de la Mauritanie comme ceux de Mali troquaient leurs marchandises. Ce souk était aussi un lieu d'échange culturel ce qui a donné lieu à un métissage. Ce métissage est encore observable chez les Ganga de "Borj Bayrouk" ou l'on joue à la fois du tambour africain que de la flûte et du "bandir" berbère. Quant aux chants, ils sont scandés en dialecte hassani.
Sur le plan des instruments de musique, On distingue à Oued Noun la flûte oblique, appelée "Zozaya et la Gadra pour la percussion, tandis que à Sakiet al Hamra, on recourt à la flûte traversière, dite "Nifara" et la "Tidnite", instrument à corde typique aux griots de mauritaniens.
Donc entre la musique d'Oued Noun et Sakiet al Hamra, il y a au moins deux points en commun : la poésie hassani qui jouit d'un grand prestige, et le "Tbal", grosse timbale-instrument semi-sphérique qui peut atteindre un mètre de diamètre.
£"La musique dans la vie" offre aux téléspectateurs l'occasion d'aller à la rencontre de la poésie et la musique du désert.

MAROC-HEBDO

Numéro 322 du 9 au 15 mai 1998


 


La musique dans la vie: le Haut Atlas central


Lundi 9 janvier à 15h20. Mardi 10 janvier à 01h55.

Aux premières approches du printemps, lorsque la température se fait plus douce, que les cols de l’Atlas sont débarrassés de leurs neiges et que les troupeaux, bien nourris, donnent un lait abondant, des troupes ambulantes de poètes berbères descendent des montagnes vers la plaine. La troupe se compose d’un boughanim (l’homme à la flûte), joueur de flûte, musicien, bouffon, baladin qui représente dans la troupe l’élément comique, et de deux Imdyaezn ou poètes ambulants sachant se servir habilement du tambourin à peau unique, allun.

Le répertoire des aèdes (Imdyaz) est intiment lié par son contenu à la vie agricole et pastorale :
L’amour m’habite comme une corvée des moissonneurs
Qui manient les grandes faucilles du Tadla
L’amour m’habite comme un attelage de chameaux
Laboureurs ou pâtres dressent leurs tentes
Mais restera sans foyer le tambourinaire

La vie pastorale scande ainsi les saisons et les jours depuis le Dir (Pièmont) à la charnière da la plaine du Tadla jusqu’aux cimes enneigées du Haut Atlas central. Souvent une même faction occupe plusieurs étages écologiques avec un territoire en montagne et un territoire en plaine. La maison en plaine pour la période des activités agricoles (semences, labours, moissons), et la maison en montagne pour le pastoralisme. Il a fallu aux français vingt ans d’opérations militaires pour assurer la pacification de la région la plus difficile, l’Atlas central, qui a constitué le foyer permanent de la dissidence anti-coloniale.

Partout où il neige, la vie devient impossible en hiver. Les montagnards descendent alors dans la zone plus basse de l’Azarar. La stratégie militaire de la colonisation française consistait à bloquer ce mouvement de va et vient séculaire entre la montagne et la plaine en empêchant les pasteurs nomades de descendre en hiver des zones d’alpage vers l’Azarar. Tandis que l’armée française occupait l’Azarar, les pasteurs nomades se réfugiaient avec leurs troupeaux dans le Haut-Atlas. Les moutons moururent ainsi par centaines pendant le rigoureux hiver 1922-23. Et c’est une population très appauvrie qui dut alors faire acte de soumission pour recouvrer ses terres de labour. Ces déplacements saisonniers, qui amenèrent les tribus à plus de 100 kilomètres de leur habitat, n’ont pas seulement un simple intérêt géographique puisqu’ils éclairent d’une vive lumière toute l’histoire du Maroc.

Pendant la phase initiale de la conquête militaire, les cavaliers marocains avaient constaté l’effet désastreux qu’avaient fait les obus d’artillerie sur la cavalerie lorsqu’elle chargeait en masse compacte, notamment dans le Tadla.
Quand explose la bombe en plaine
Les cavaliers s’enfuient au galop
Comme lorsque fond le chacal sur le troupeau
C’est la montagne qui t’informe, ô col du genévrier
Voilà le Roumi qui se dresse devant vous
Est venu le temps de le combattre
Deviens rebelle montagnard
Monte au delà, préférable est la gelée blanche
A la domination du chrétien !...
S’il ne sait mettre baïonnette au canon
Affectons-le donc à la garde des moutons !

Les deux principales danses de l’Atlas sont l’Ahouach et l’Ahidûs. A l’est et au nord de l’Atlas, c’est le pays de l’Ahidûs, à l’ouest et au sud, c’est celui de l’Ahouach. La frontière précise entre les deux types de danse passe par les sommets de Rat et de l’Ighil M’Gin, à l’est du pays des Aït M’Gun.

Ahidûs et Ahouach ne sont que deux des nombreuses formes musicales connues par les berbères de la montagne. Ahidûs et Ahouach ont en commun d’être de la musique du village, chantée par des chœurs, accompagnés par une batterie de tambours sur cadre et de claquements de mains.

Le boughanim (homme au roseau) des Aït Bouguemmaz qui nous a servi de fil conducteur, joue d’une clarinette double en roseau (aghanim) qu’il utilise pour la danse mais aussi comme instrument d’appel. En se rendant sur la place du village, il signale sa présence, ainsi que celle de ses compagnons aux gens du village et les invite à se rassembler. Les Imdyazen qui l’accompagnent sont à la fois poètes et musiciens. Ils sont issus pour l’un de la tribu des Aït Abbas et pour l’autre de la tribu des Aït Bouwali.

Chaque année, ils empruntent un des itinéraires traditionnels qui leur fait visiter les principales tribus de la montagne. Lorsque la troupe est arrivée au pied de l’Ighrem – qui sert à la fois d’abri aux habitants, et de grenier fortifié pour les grains et les provisions car les transhumants n’emportent dans leur déplacement hivernal que la plus faible partie de leur récolte, Boughanim vante les qualités et la générosité du maître des lieux. C’est que leur mémoire garde précieusement le souvenir de ceux qui, dans leurs précédentes tournées, auront eu la main large.


La musique dans la vie : Le printemps des Régraga



Mardi 02 mai à 23h20.

"Allez aux pèlerinages, vous brillez comme des fleurs, restez chez vous, vous serez comme terre en friche"

Les Régraga sont vraisemblablement le mouvement maraboutique le plus ancien du Maroc puisque leur tradition remonterait à l’époque pré-islamique. Ils sont disséminés dans tous les Chiadma qui reconnaissent leur suprématie religieuse. Sur le territoire de ces derniers, ils organisent tous les ans, au printemps, une tournée aumônière au cours de laquelle ils visitent tous les marabouts du pays. A chaque étape, les Régraga sont accueillis par les sacrifices et les offrandes des Chiadma. Ce rite agraire accompli en vue d’obtenir une grande abondance des récoltes, est aussi accompagné de vastes échanges intertribaux.

Les pèlerins viennent de fort loin à ce circuit ("Daour") qui se déroule en 44 étapes et qui est considéré comme "le plus long moussem" puisqu’il dure 38 jours. Plus qu’un moussem, le pèlerinage des Régraga est en fait une succession de moussems printaniers. La plaine se constelle de tentes et voilà qu’en peu de temps – ش prodige ! – le plat pays des Chiadma prend sous nos yeux l’aspect et l’ordonnance d’un souk.

A la veille de la fête religieuse animée par les Régraga, on institue, pour préparer cette fête, les offrandes et l’accueil des invités, la "Safia", un marché de bétails et autres produits nécessaires. Il y a complémentarité de la Safia et du Daour, chacun étant nécessaire à l’autre comme chez les Argonautes du Pacifique occidental décrits par Malinowski qui, eux aussi, "tournent" entre leurs îles pour échanger des colliers et des coquillages et qui, dans le même mouvement de Kula, intensifient les échanges commerciaux.

La vitalité du Daour est incontestable. C’est l’événement majeur dans tout le pays Chiadma. A chaque printemps, les pèlerins affluent en grand nombre. Le mythe fondateur des Régraga raconte que sept saints berbères sont allés à la rencontre du Prophète, lequel les chargea d’islamiser le Maroc, et en particulier le pays Chiadma. Leur tournée annuelle se veut une commémoration de cette mission primordiale. Le "Daour", ou circuit de pèlerinage, est un phénomène cyclique dont le nom (tour) traduit explicitement l’idée de circularité.

Au début du mois d’avril, les Régraga passent par l’étape d’Essaouira, et c’est là que nous les avons rejoints pour ce documentaire, juste avant qu’ils n’entament la montée de leur montagne sacrée (Jbel Hadid). Nous les avons suivis entre deux étapes mythiques : Essaouira au bord de l’eau et le jbel Hadid qui sépare le pays Chiadma en deux parties : le "Sahel", ce territoire côtier de l’Ouest et la "Kabla", le continent à l’Est. En marchant dans le sillage des chameaux, nous apprenons ce que signifie aller au delà des limites assignées par la vie sédentaire. Cette sédentarité qui engourdit les os et sclérose l’esprit. Les nomades que nous suivons ont l’âge de la vieillesse et l’agilité des chèvres. Les Régraga nous apprennent ainsi qu’il n’y a pas que le temps qui génère la vieillesse, il y a aussi la vie urbaine. La vitesse des villes engendre le stress mais ici, le déhanchement des chameaux nomme chaque arbre et chaque pierre. Tout contribue à rafraîchir la montagne et à nous mettre à la portée de cet enchantement sans nom qu’est la poésie. N’est-il pas vrai que la poésie est la source de toute quête sacrée ? Sans la flamme de la poésie, tout rituel est une coquille vide, une quête sans objet. "Les onze mois du pêché sont purifiés par le mois du Daour" affirme un vieux fellah théologien. Le feu du soleil nous communique son ardeur. L’espace mythique est intensément vécu, arpent par arpent, jusqu’à l’épuisement du corps et la purification de l’âme.

Dans les cycles des éternels retours, le pèlerinage circulaire des Régraga est l’une des fêtes de printemps les plus originales et les plus attachantes du Maroc profond et inconnu. A Essaouira, les Régraga sont accueillis par les musiciens de la transe et de l’extase et, depuis Cap Cantin, les oulad Bouchta Regragui effectuent un long périple sur bêtes de somme et carrioles pour venir animer une fête champêtre au pied du jbel Hadid, du crépuscule jusqu’à l’aube.
A suivre jeudi 5 août à 21h55.

La musique dans la vie: Idernan, la fête de l'Anti-Atlas


Samedi 13 mai à 14h10.

"A l’herbe des prés, l’amandier en fleur a dit : A quoi bon désirer l’eau ? ش fleur, voici l’abeille !"

Lorsque les amandiers en fleurs donnent aux vallées de l’Anti-Atlas leur aspect presque riant, et au moment où commence le gaulage des olives, la fête des Idernan a lieu juste après le jour de l’an du calendrier julien. C’est "Rass El âm", cette "porte de l’année agricole" qui s’ouvre au premier jour du calendrier julien –correspondant au 13 janvier – et donne le coup d’envoi des fêtes saisonnières qui permettent aux vallées de l’Anti-Atlas de passer progressivement de la léthargie hivernale à la renaissance printanière. Comme les petites pousses en cette période ont besoin de pluie, ces rituels sont en fait autant de prières de rogations.

Pour assister à la fête des Idernan, nous nous sommes rendus au village de Tagdicht, au sommet de Jbel El Kest qui surplombe Tafraouat et la célèbre vallée d’Ammeln. Le village escarpé de Tagdicht fait partie de la tribu des Aït Smayoun qui fêtent les Idernan après Igourdan et Taguenza. Et voici, selon le chef du village, pourquoi cette fête commence à Igourdan : "Il y avait la famine, et on guerroyait entre villages, entre tribus. Les Ouléma du Souss se sont alors réunis à Igourdan.

Ils ont cherché à établir une trêve pour que les gens puissent faire leur marché en paix. Ils ont appelé cette trêve, la trêve d’Idernan. Deux représentants de chaque douar avaient signé ce pacte qui stipule que quiconque veut aller à un douar ne doit pas être porteur d’une arme. Cette fête mettait aussi fin à l’opposition entre le "leff" des Tahougalt et celui des Tagouzoult.

Ces deux "leff" ont toujours été en opposition dans le Souss. Idernan est donc venu comme une fête qui marque la fin des hostilités entre les deux "leff". On fête Idernan en offrant des crêpes aux invités. Les femmes arrivent le jeudi, les hommes le vendredi. On commence à danser l’Ahouach l’après-midi et on termine tard le soir."

Au jbel El Kest, les Aït Smayoun célèbrent la fête des beignets, une fête que célèbrent aussi, à tour de rôle, la plupart des tribus de l’Anti-Atlas ; les Ammeln, les Aît Souab, les Ida Ougnidif, les Ida Ou Samlal, les Ida Ou Baâkil... La fête des Idernan (beignets faits de pâte molle que l’on cuit dans un plat à pain enduit au préalable d’huile d’Argan) commence chez la tribu des Ida Ou Samlal le 15 janvier.

Les autres tribus la célèbrent à leur tour et cela dure jusqu’à la mi-mars. Chez les Aït Souab, on fête les Idernan le 12 février. C’est une fête qui dure trois jours : le jeudi, le vendredi et le samedi. Au second jour de la fête, la fraction se réunit en un lieu choisi et y fait Ahwach.

Après avoir mangé ses Idernan, la tribu se rend à la grande place d’Assaïs pour y chanter, danser et faire ses vœux. On dit alors : "S’il pleut au moment d’Idernan, l’année agricole sera bonne, parce qu’à cette époque, l’orge a soif".

Autre coutume de ces tribus de l’Anti-Atlas : la fête annuelle des R’ma, confrérie de tireurs. Les membres de chaque faction se réunissent chez leur chef et exercent leur adresse après avoir festoyé et psalmodié la prière d’usage. Cette tradition des R’ma est en voie de disparition parce que dans ce creuset de l’émigration, dans beaucoup de villages, il ne reste plus au pays que les femmes et les enfants.

Les hommes qui vivent du commerce dans le villes côtières et à l’étranger reviennent pour cette fête saisonnière pour marquer leur attachement à leurs racines culturelles, mais ils ne sont plus les dépositaires des traditions culturelles locales : Ils font appel pour l’Ahouach à des hommes venus de tribus qui sont restées plus attachés à la terre nourricière. Les femmes particpent à la fête en se couvrant du "Chach", ce voile collectif qui semble être une tradition inspirée par les zaouias et les vieilles écoles coraniques de la région. Ce voile collectif imposé par les hommes limite l’expression chorégraphique des femmes.

Le Souss se répartit ainsi en deux sortes de tribus : celles dont l’Ahwach des femmes se déroule sans voile et qui excellent dans la danse et le chant tel "Ighrem". Et celles dont l’Ahouach des femmes est recouvert d’un voile collectif comme on a pu le constater à Aït Smayoun. Ici le corps des femmes est marqué d’interdits. On nous a même empêché de filmer les femmes spectatrices ainsi que l’espace intérieur réservé aux femmes. De manière symbolique, le seuil (Atba) marque encore la limite à ne pas franchir.

Grâce à ce fabuleux voyage dans l’Anti-Atlas, pays des Agadirs et des Ighrems, greniers collectifs séculaires, nous rendons hommage à l’enfant prodige du pays : le poète Mohammed Khaïr-Eddine et au grand Mokhtar Soussi.

La Musique dans la vie: Au bord de la Moulouya

En ce mois d’août, une série de documentaires ethnographiques nous convie à découvrir le patrimoine musical de quatre régions du Maroc rural. En replaçant chaque fois ces musiques dans leur contexte historique et culturel, on découvre un Maroc à la fois mystérieux et attachant et, en fonction du mode de vie, les cadres sociaux de la mémoire changent d’un contexte à l’autre. Au bord de la Moulouya, dimanche 24 août à 00h10.



Echappée aux plis orientaux du Moyen Atlas où elle a sa source, la Moulouya irrigue de riches oasis, qui interrompent la monotonie désolée de ces steppes de l’Est, ce pays de l’armoise et du vent. C’est par ces paysages steppiques aux environs de Guércif, que commence véritablement, l’Oriental marocain, qui s’oppose par son aridité aux plaines verdoyantes et humides du Maroc atlantique. Ici, on ressent davantage, les vents d’Est de la steppe que les vents d’Ouest du Gharb.

C’est le territoire des Hawwâra Oulad Rahou, ces pasteurs nomades, attestés à l’Est de Taza, bien avant l’avènement des Idrissides. Ils firent partie des premiers berbères Zénètes qui accompagnèrent Tariq Ibn Ziad dans sa campagne de L’Espagne. Guercif n’est que le centre d’échange entre le Tell et les Hauts Plateaux. Son intérêt de lieu d’échange entre Maroc occidental et Maroc oriental prendra davantage d’ampleur avec la construction maghrébine.

Ce passage de l’Algérie au Maroc occidental, a été suivi par toutes les migrations en provenance de l’Est, y compris celle des Hawwâra Oulad Rahou, cet ilot arabophone d’origine Zénète. Gercif est un toponyme berbère qui signifie «Lieu de rencontre entre deux oueds»; celui de la Moulouya et celui du Melloulou, qui irriguent oliveraies et jardins potagers alentour.

La Musique dans la vie: TAZA SENTINELLE DU MAROC ORIENTAL

(1ère partie) Dimanche 6 juillet 2008, à 00h00

(2ème partie) Dimanche 13 juillet 2008, à 23h25

Taza est l'un des rares sitesoù l'on peut témoigner de la continuité de la présence humaine

depuis la préhistoire.Les grottes de Taza étaient habitées dés le néolithique, comme l'attestent

les fouilles de la caverne de Kifane el Ghomari.On peut parler ici, d'un véritable complexe

archéologique, comprenant des cavernes qui étaient habitées par l'homme ancien et que nous

appelons les troglodytes de Taza. Lorsque l'Islam s'implante au Maroc, Taza avait déjà un long

passé: elle était à tout le moins, l'Agadir et la nécropole d'une tribu ou d'un groupe de tribus berbères. La seule chose sûre est que Taza est antérieure à l'islamisation du pays, soit à l'an 800.

Taza existait déjà lorsqu'Idriss 1er s'installa dans le Maroc du Nord: il passera à Taza, peu avant sa mort, en 790.

Les traditions locales attribuent la construction de Taza aux Miknassa. Tous les historiens musulmans s'accordentà dire qu'à l'emplacement de Taza, il y a eut d'abord un Ribât. D'après Ibn Khaldûn, ce Ribât, sorte de forteresse aux frontières occupée par les volantaires de la foi, a été fondée par les Meknassa du Nord, sous le règne d'Idriss 1er(788-803) qui islamisa les Ghiata et autres tribus berbères de la région de Taza.Le Ribât de Taza qui a servit de fondement à la ville du moyen-âge ne devait comprendr, en fait de constructions, que l'enceinte en pierres et une mosquée,  dont le minaret de Jamaâ el Kébir serait le seul vestige. Les pieux guerriers, chargés de défendre les frontières de la terre d'Islam, vivaient sans doute à l'intérieur des murs.Après la prise de possession par l'Almohad Abdelmoumen, le Ribât devient une ville qui porte le nom de Ribât de Taza.Les travaux auraient été ordonnés par Abdelmoumen, en 1135. du point de vue archéologique, le passage des Almohades est marqué à travers deux monuments historiques essentielles: la grande mosquée de Taza et le grand rempart qui l'entoure. L'enceinte enveloppante était selon les chroniqueurs, tel le halo encerclant la lune.

En berbère, le toponyme de Taza signifie: l'Agadir, le magasin collectif perché sur un éperon facile à défendre. Cet éperon rocheux, tout creusé de grottes, domine des plaines et des vallons riches en eau courante, a de très bonne heure retenu les hommes. Le seul passage étroit entre le Rif et le Moyen Atlas était le lit de la rivière Innaouen qui passe au pied du piton rocheux sur lequel on avait construit Taza. D'où l'intérêt stratégique de cette dernière qui conbtrôlait ainsi le passage entre le Maroc oriental et le Maroc occidental. Elle pouvait obsruer le passage à l'ennemi héréditaire venat de l'Est. C'est dans la région de Taza que se trouvent les premières tribus berbères arabisées et islamisées du Maroc, que sont les Tsoul, les Ghiata et les Branès.Ces derniers sont cités par Ibn khaldoun comme faisant partie des premiers berbères que sont les Botr et les Branès. Les Ghiata et les Béni Waraïn représentent les vieilles populations stables de ces montagnes.

LES BRANES AU TEMPS DES MOISSONNEURS

Dimanche 27 juillet 2008, à 23h35

L’oued Lahdar traverse tout le pays Branès, depuis l vallée de l’Innaouen jusqu’au mont de Taïnest. C’est l’un des principaux affluents qui se déversent depuis les contreforts rifains sur l’oued Innaouen au fond de la trouée de Taza. De même que le drainage rattache le couloir de Taza au Sebou du côté Ouest, il le rattache au Moulouya  du côté Est. La vallée de l’oued Innaouen recueille ainsi toutes les eaux du pays au niveau du barrage Idriss 1er. Cette brèche est une ligne de partage des eaux.

La route et le chemin de fer de Fès à Oujda via Taza, passent par la voie de l’Innaouen. En 1914, pour obtenir, cette jonction entre Maroc Oriental et Maroc Occidental, il a fallu à la France, non seulement vaincre les obstacles naturels, mais briser par la force la résistance des nombreuses tribus environnantes dont celle des Branès.

Au moment de la conquête Arabe les plus importantes confédérations de tribus Branès sont, selon Ibn Khaldoun, celles des Awraba, des Houara et des Sanhaja, qu’on retrouve encore aujourd’hui au voisinage de Taza.

La tribu actuelle des Branès est un résidu de l’une des deux grandes familles qui ont constitué la nationalité berbère :  Les Botr et les Branès. Ibn Khaldoune revient soouvent sur cette dichotomie, qui lui sert à la fois à classer les tribus et à ordonner l’histoire du Maghreb, lorsqu’il évoque les évènements de la conquête arabe à la fin du 7ème siècle. C’est à ce moment là qu’entre en scène le chef berbère Koceila qui appartient au groupe ethnique des Branès et à la tribu des Awraba. Koceila est l’un des trois héros de l’histoire de la conquête, avec Oqba et la Kahéna. Grisé par sa victoire, Koceila s’empara de Kairouan en 683. L’armée arabe le pousuivit jusqu’au Moulouya, et ses soldats Awraba ne s’arrêtèrent qu’à Volubilis. Beaucoup d’entre eux, iront par la suite s’établir dans la reégion de Taza où on les trouve toujours, dans cette contrée verdoyante du pré – Rif, où poussent drus l’herbe et le bois épais.

Ici, chanter, c’est semer la parole sage. Le poète, tel le journaliste de la tribu, traite de toutes les préoccupations de la vie quotidienne : cherté des prix « qui brûlent au souk », pénurie d’eau, sécheresse, ou encore conflit du Moyen-Orient.

ABDELKADER MANA

Article paru dans la page "Temps forts" du magazine de la deuxième chaîne.


Découverte
Le couloir de Taza, «route des Mérinides»
Une région stratégique et historique où s'est joué le destin du pouvoir suprême
Publié le : 15.08.2008 | 16h45

 


Par Abdelkader Mana* | LE MATIN

*Ethnomusicologue

Toute une série documentaire de «La musique dans la vie» est diffusée cet été sur 2M. Elle est consacrée au fameux « couloir de Taza » et à son arrière-pays ; une région stratégique et historique où s'est toujours joué le destin du pouvoir suprême des différentes dynasties qu'a connues le Maroc. C'est aussi le premier lieu de l'arabisation et de l'islamisation du Maghrib El Aqça. Le couloir de Taza, comme lieu de passage obligé entre l'Est et l'Ouest du Maghreb, en faisait aussi une étape où s'arrêtaient des personnages de renommée comme le poète Lissan Eddin Ibn El Khatib, qui y est venu d'Andalousie avec ses coutumes, ses traditions et sa culture. Ainsi que le célèbre séjour du grand voyageur Ibn Battouta, lors de son retour de Chine.

Les premiers Almohades semblent s'être intéressés à la surveillance du couloir de Taza, séparant le Gharb de l'Oriental, en fondant et entretenant régulièrement le ribât de Taza, considéré alors comme véritable plaque tournante séparant le Maghreb central du Maghreb extrême. C'est là que le pouvoir Béni Mérine fut instauré. Les troupes Almohades furent attaquées et poursuivies à Guercif. Après une telle déroute, la prise de Taza «verrou du Gharb et maintenant sa clé », devenait une simple formalité ouvrant la voie à la prise de Fès par les Mérinides au mois d'août 1248 C'est au 12ème siècle que s'amorce l'invasion zénètienne, s'avançant des Hauts Plateaux et de Figuig vers la Moulouya : c'est ainsi que sont arrivés à l'Est de Taza et dans la basse Moulouya, les Maghraoua, les Bni Waraïn, ainsi que les autres tribus Zénètes, dans le sillage des pasteurs – nomades Béni Mérines.

C'est à partir du 16e siècle, qu'on retrouve enfin les Bni Waraïn fixés dans ce Moyen Atlas Oriental, à l'Ouest de Bou – Iblâne, sur l'emplacement précis où vivent encore aujourd'hui leurs descendants. Au déclin des Almohades, leurs successeurs mérinides occupent Taza dés 1216, considérée alors comme « la clé et le verrou du Gharb », comme le souligne l'auteur du Bayân : «Une fois installé à Taza, Abû Yahya, prince mérinide, fit battre les tambours et hisser les bannières. De toutes parts, les chefs de tribus accompagnés de délégations vinrent lui présenter leur hommage. Car il avait auparavant occupé le rang d'émir au sein des tribus Banû Marîn, mais sans tambours ni étendards». C'est au méchouar que se situe la medersa mérinide, dont Abou El Hassan Ali dota la ville. Le linteau de la porte atteste de la splendeur de ce petit collège, qui recevait ses subsides des biens de la Qaraouiyne de Fès. Si la piété des princes mérinides se manifeste par ces collèges beaux comme des palais, c'est qu'ils en attendent une pépinière de gens efficaces pour leur gouvernement.

D'après le Musnad d'Ibn Marzouq, Abû Al Hassan, le Sultan mérinide qui régna de1331 à 1351, et qui construisit la belle médersa de Taza, «créa un nombre d'enceintes et de Vigies telles que si l'on allume un feu au sommet de l'une d'elles, le signal est répété sur toutes, dans une seule nuit, sur une distance que les caravanes mettent deux mois à parcourir de la ville d'Assafi au pays d'Alger...» Selon Ibn Khaldoun : «Les Beni-Merine, peuple dont la généalogie se rattache à celle des Zenata, avaient leurs lieux de parcours dans la région qui s'étend depuis Figuig à Sijilmassa et, de là, au Moulouya...Les Beni-Merine parcouraient en nomades le désert qui sépare Figuig du Moulouya.

Lors de l'établissement de l'empire Almohade, et même auparavant, ils avaient l'habitude de monter dans le Tell afin de visiter les localités qui s'étendent depuis Guercif jusqu'à Outat. Ces voyages leur permirent de faire connaissance avec les débris de l'ancienne race zénatienne qui habitait la région du Moulouya et de se lier d'amitié avec les Miknassa des montagnes de Taza et les Bni Waraïn tribu Maghraouienne qui occupait les bourgades d'outat, dans le haut Moulouya. Tous les ans, pendant le printemps et l'été, ils parcouraient ces contrées ; ensuite ils descendaient dans leur quartier d'hiver, emportant avec eux une provision de grains pour la subsistance de leurs familles.»
C'est en effet, au sud du couloir de Taza, que passait jadis « la route des mérinides » : la fameuse « Triq Sultan » qui unit Fès au Maroc Oriental via Sefrou, Rchida et Debdou. Le mausolée de Si El Haj Ali Ben Bari est le plus considérable de la plaine des tombeaux de Taza. L'édifice d'époque Mérinide, se situe au dessus de « Triq Sultan» qui sortait de la ville. Vers 1227, les mérinides étaient devenus les maîtres incontestés de « toutes les tribus et campagnes situées entre le Moulouya et le Bou Regreg ». Cette époque est restée liée à des souvenirs de magnificence et presque de légende. On connaît le vieux dicton : «Après les Banû Marîn et les Baû Wattas, il ne reste personne!»
Taza était une ville – caserne. Elle était toujours pleine des armées conquérantes et de visiteurs parce qu'elle était une étape essentielle : étape commerciale, étape militaire stratégique pour la défense de la patrie et pour contrecarrer les attaques venues de l'Est. A l'avènement d'Ahmed El Mansour, son premier acte fut de se poser, dès le début, en adversaire des Turcs.

Or la place forte dont la situation nécessitait le impérativement un armement défensif puissant était Taza. C'est à elle qu'El Mansour devait songer tout d'abord, puisqu'il voulait fermer la porte aux Turcs. C'est donc à ce moment qu'eut lieu semble – t – il la restauration des remparts de Taza, et leur adaptation aux nouvelles conditions de la guerre de siège, auxquelles répondait le Bastioun. Ce qui faisait de Taza une sentinelle du Maroc Oriental. En haute montagne, aux environs de Bou – Iblân, en arrière-pays de Taza, le paysage respire l'agréable fraîcheur de petits sites alpestres. Le montagnard ne parle jamais sans émotion des opulentes prairies de Meskeddâl, qu'embaume le parfum subtil et puissant d'innombrables fleurs champêtres. En langue berbère de haute montagne, « Meskeddâl» signifie «répartir les pâturages », il s'applique à l'ensemble des prairies ainsi réparties entre diverses fractions de tribus Bni Waraïn. La montagne, c'est le domaine de la transhumance d'été, qui commence au mois de mai et s'achève avec la tombée des premières neiges, qui oblige les transhumants à descendre vers la plaine.

C'est au mois de mai que les bergers avaient commencé de s'installer sur ses plantureux pâturages au vert sombre encore frangé de neige éblouissante. Dés les premières chutes de neige au début d'octobre, on commence à voir les transhumants se répandre dans les steppes de Taïzirt, dans la plaine de Tafrata et sur les plateaux de la Gada , que les pluies d'automne ont fait timidement verdoyer. Le transhumant doit fuir la neige et s'abriter du froid de l'hiver, se rapprocher des ses terres, les fumer les ensemencer de maïs, procéder aux emblavures d'automne. Les hommes achèvent à la hâte les labours d'automne, tandis que par petites étapes les Iâzzaben se sont rapprochés des grandes tentes ramenant du Jbel les moutons ayant brouté l'herbe fine et recherchée de la montagne.

Dans cette migration périodique dont la distance n'excède jamais soixante-quinze kilomètres, ils sont suivis peu de temps après par la tribu presque tout entière, qui vient hiverner sur ces pâturages de plaine. Déjà, au 12e siècle, Al Idrissi signale la qualité des laines produites en ce Moyen Atlas Oriental. Sous le règne du Sultan mérinide Abû Inan, les chroniqueurs vantent la beauté du tapis marocain, comparé aux parterres fleuris. La similitude est frappante entre les belles mosaïques romaines de Volubilis et les tapis Bni Waraïn. En ce Maroc des hauteurs enneigées, le tapis qui constitue le principal élément du trousseau de la mariée, permet une meilleure isolation du sol. Tout un cycle de légende est lié au massif de Bou-Iblâne, enneigé et inhabitable en hiver. Ainsi que de «Moussa Ou Saleh», son plus haut sommet, qui culmine à 3215 mètres d'altitude. Historiquement le nom de «Moussa Ou Saleh » évoque la vieille rivalité entre le roi fatimide de Tlemcen et les Baou Saleh du royaume de Nokour, qui fleurissait sur la basse Moulouya au 10e siècle. Le cèdre de l'Atlas, espèce essentiellement montagnarde, garnit le sommet de Bou – Iblâne à plus de 2000 mètres d'altitude. Arbre millénaire sur montagne légendaire, le cèdre est le symbole de l'éternelle jeunesse, puisqu'on en trouve des spécimens qui datent de 1200 ans.

La danse du baroud

Chez les Ghiata, le printemps revêt une exubérance certaine. Avec cette végétation luxuriante, ces chants d'oiseaux au creux des bocages et aux cimes des arbres, on comprend
l'enthousiasme des anciens voyageurs andalous qui sont passés par là.
C'est une fraîche oasis qui fait un agréable contraste avec les paysages dénudés de l'Est, donnant à la campagne de Taza une dimension méditerranéenne particulièrement riante.

C'est le domaine de «la danse du baroud» : c'est une danse rythmique qui a des prolongements dans l'Oriental marocain, à Guercif, Oujda, Berkane, jusqu'en Algérie, où on retrouve une danse similaire. Echappée aux plis orientaux du Moyen Atlas où elle a sa source, la Moulouya irrigue de riches oasis, qui interrompent la monotonie désolée de ces steppes de l'Est, ce pays de l'armoise et du vent. C'est par ces paysages steppiques aux environs de Guercif, que commence véritablement, l'Oriental Marocain, qui s'oppose par son aridité aux plaines verdoyantes et humides du Maroc atlantique. Ici, on ressent davantage, les vents d'Est de la steppe, que les vents d'Ouest du Gharb.

C'est le territoire des Hawwâra Oulad Rahou, ces pasteurs nomades, attestés à l'Est de Taza, bien avant l'avènement des Idrissides. Ils firent partie des premiers berbères Zénètes, qui accompagnèrent Tariq Ibn Ziad(qui légua son nom à Gibraltar), dans sa campagne de l'Espagne. Le nom – même de Melilia, signalé dès le 10e siècle, provient d'une fraction Hawwâra.

Musicalement, ce qui prédomine à Guercif, ce sont plutôt des airs venus de l'Est. D'abord, la danse populaire – dite «Ras El Oued » - issue des hauts plateaux oranais, milieu steppique et semi – nomade. Ensuite le genre «Sseff», chant des femmes de l'Oriental, appelé par ailleurs « laâroubi» (le campagnard).
C'est de lui qu'est issu le raï oranais, qui a également ses émules à Guercif. L'oued Lahdar traverse tout le pays Branès depuis la vallée de l'Innaouen jusqu'au sommet du mont Taïneste .

Par Abdelkader Mana* | LE MATIN

*Ethnomusicologue

Publié le : 15.08.2008 | 16h45









12:39 Écrit par elhajthami dans Télévision | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook