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Georges Lapassade

Les nuits bleues de Sidi Boudhab

        Conférence sur la Halka, colloque sur l’Aïta, le mouvement folk et le théâtre Ihtfaliste, nuit bleue à Sidi Boudhab. Telles sont quelques constantes qui font l’originalité et la richesse du festival de Safi. Pour en savoir plus sur la naissance de ce festival qui en est à sa quatrième édition, Maroc Soir, a rencontré le professeur Georges Lapassade, qui participa à la naissance du 1er festival de Safi. Actuellement professeur d’anthropologie à l’Université de Paris-VII, Georges Lapassade est connu pour ses recherches sur les « gens de l’ombre » : Hamadcha, Aïssaoua, Gnaoua. Il fit aussi connaître Nass El Ghiouan et est le théoricien du mouvement folk et de la folklorisation. En plus de ses ouvrages d’analyse institutionnelle, son classique paru dans 10/18 sur « L’entrée dans la vie », « La transe », l’auteur est aussi romancier comme en témoigne son « Heureux tropique » et d’autres ouvrages. Il figure dés 1952 au côté de Bertrand Russel dans la revue Métaphysique avec un brillant article sur l’Emile de J.J.Rousseau. Depuis 1968, il passe régulièrement ses vacances à Essaouira où nous l’avons rencontré.

       Maroc soir. – Il semble que vous avez joué un rôle imporant de conseiller dans la définition du 1er festival de Safi. Comment l’avez-vous envisagé ?

      Georges Lapassade. – J’avais en tête, plusieurs modèles de festivals déjà existants comme ceux d’Asilah-Safir en 1978, d’Essaouira en 1980. L’idée générale était la mise en scène de la ville comme on l’a tenté en son temps à Essaouira. Cela suppose un dispositif permanent d’animation éclatée, de manière à faire bénéficier du festival, tous les quartiers de la cité. On est même allé plus loin en organisant une annexe du festival quasi-autonaume, pour le village de vacances à Souira Kdima et une autre à Youssoufia. Un autre principe était de mettre en valeur la culture populaire locale et régionale, ce qui nous a conduit à enquêter sur cette culture, à rencontrer beaucoup de Halaki sur les places de la ville, ainsi que les acrobates de Sidi Hmad Ou Moussa, dont certains habitent à l’entrée de Safi. Ainsi que les Jilala, les Ouled Bouchta Regragui, les Hmadcha, les Aïssaoua de Safi, qui sont d’une grande qualité musicale dans le Dikr et tous les groupes des Gnaoua. Le modèle souiri du festival, implique plusieurs activités complémentaires : la musique,la danse, le théâtre, le colloque, le cinéma et le journal du festival.

     Maroc soir. – Mais ce modèle souiri, pouvait-il s’appliquer à Safi ?

       Georges Lapassade. – Oui et non. Formellement oui. Car il est assez facile d’installer des lieux de spectacle un peu partout, d’organiser un colloque, ou même de tirer un journal du festival. Mais Safi n’est pas Essaouira. Par exemple, il fallait à Safi, une organisation assez complexe de transport pour déplacer continuellement les troupes d’un quartier à l’autre et jusqu’à la plage lointaine de Souira Kdima. L’essence de la culture de Safi n’est pas celle d’Essaouira. Chaque ville a ses pratiques culturelles localisées.Ainsi celle d’Essaouira est plutôt mystique avec un rôle dominant de la musique des confréries. A Safi par contre, c’est l’Aïta qui domine dans la culture populaire et la Halka y est plus forte. On s’en est bien rendu compte, quand on a voulu installer à Sidi Boudhab (le seigneur de l’or) des nuits de musiques confrériques avec Gnaoua, Hmadcha et Aïssaoua sur le modèle de ce qui avait fait la partie belle du festival d’Essaouira.

      Maroc soir. – Qu’est-ce qui s’est passé à Sidi Boudhab ?

      Georges Lapassade. – Une expérience assez étonnante et qui vaut la peine d’être racontée. Nous avons obtenu, non sans peine de la Direction du Festival, qu’on organise chaque soir à Sidi Boudhab, à l’entrée de la vieille médina, après le spectacle donné dans le château de la mer, une nuit confrérique. Et très vite les difficultés se sont accumulées : on devait chaque soir, avec Abdelkader Mana, qui était invité au colloque, mais qui était avant tout militant de la culture populaire, on devait dis-je chaque soir balayer les poissons pourris qui jonchent la place que protège le marabout. Ensuite, nous devions transporter des nattes avec l’espoir que les gens viendraient s’asseoir selon la tradition de la lila. Hélas, le premier soir, la place était envahie dans une énorme confusion par les curieux. Mais nous n’avions pas à les faire asseoir. Nous avions oublié que Sidi Boudhab à Safi, est avant tout un haut lieu de la Halka, y compris celle des Gnaoua. Et les gens de Safi ne pouvaient pas comprendre immédiatement que les mêmes Gnaoua venaient maintenant à minuit pour tenter d’y instituer le rituel de la Derdeba avec ses transes et ses danses de possession. C’est seulement à la fin du festival, comme par miracle que les jeunes de la médina ont compris le projet et l’ont soutenu. Une immense Jedba animée par les Hmadcha s’est installée vers minuit sur la place de Sidi Boudhab.

     Maroc soir. – Quelles conclusions avez-vous tirées de cette expérience ?

     Georges Lapassade. – J’ai appris beaucoup dans cette affaire de Sidi Boudhab. Il m’a semblé que cette animation était comme un dispositif de visibilité selon l’expression des ethno-méthodologues ou encore un analyseur culturel. Cette expérience rendait visible la permanence à Safi comme probablement ailleurs, d’une vieille culture de médina, dans laquelle la transe et le Soufisme populaire ont une part de choix. C’est ce qui explique d’ailleurs l’immense succès qu’ont connu dans le Maghreb, les « Jil » par exemple Nass El Ghiouan. J’ai retrouvé cela à Tunis, à Constantine où pourtant la vieille culture maghrébine semble moins vivante qu’au Maroc. Je l’ai aussi constaté à Casablanca après Safi. Là, à Casablanca, dans une vieille médina rétrécie, cette culture reste vivante et enracinée. Peut-être, faudrait-il décrire un jour cette culture de médina à Casablanca dans le contexte offensif de la modernité comme une contre-culture. Pour toutes ces raisons, je me réjouis de constater d’une année à l’autre, que le Festival de Safi continue. Mais ce qui me fait plaisir par-dessus tout, c’est de savoir qu’on a gardé dans le programme du festival, les nuits de Sidi Boudhab.   (Entrtien réalisé par Abdelkader Mana)

Entretien publié à Maroc - Soir de 1986

 

Écrit par elhajthami Lien permanent | Commentaires (0)

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