Les Regraga revisités
Deuxième partie
Abdelkader Mana
Après la distribution des offrandes, départ de l'étape de Merzoug ver Lalla Beit Allah
J'aperçois l'ecuyer de la taïfa et je cours après lui pour le rattraper.
Le départ de la « fiancée » précède toujours celui de la khaïma. J’ai entraperçu furtivement à la sortie de Merzoug la jument blanche guidée par l’écuyer de la taïfa. C’est le signale du départ vers une nouvelle étape.
Abdelhaq, le jeune Moqadem de la taïfa qui a remplacé son père m’a très bien accueilli. Je vais l’accompagner jusqu’à la prochaine étape de lalla Beit Allah. Quant à mes affaires, je les ai laissées aux gens de la khaïma.
Je cours après la taïfa et son moqadem sur sa jument blanche
Le moqadem de la taïfa en prince d'andalousie....Abdelhaq, le jeune moqadem de la taïfa, qui a remplacé son père Ahmed, m'a trés bien accueilli.Je vais continuer sur ce pas jusqu'à Lalla Beit Allah.
En avant toutes vers la nouvelle étape
Bénit soit le printemps traversé par la fiancée de l'eau!
Le jeune Moqadem demande à la taïfa de continuer sans lui et attends en contrebas du puits qu’on lui apporte à boire.
Je demande à boire à mon tour :
- L’eau est-elle bonne ?
- Bien sûre, me dit-on, c’est une eau bénie par les chorfa et leur barouk.
Je montre les images prises à celui qui me donne à boire :
- Ceci est l’ombre de la jument blanche.
- Les images sont belles me dit-il.
Longue est la route du daour
Bénis sont les champs traversés par les Regraga. La taïfa estr déjà loin et je peine à la rattrapper.Derrière, il n'y a plus rien.Ils laissent derrière eux le vide absolu.Et le printemps. Et devant eux Lalla Beit Allah.La prochaine étape. Ils disent que juste après leur passage, considéré comme une bénédiction des champs, on commence les moissons.Et effectivement, onb voit que les champs sont déjà mûrs avec de lourds épis.
Tandis que je visionne au bord du puits mon journal de route en images ; ils sont déjà très loin. Derrière, c’est le vide : il n’y a plus rien. Ils laissent derrière eux, le vide absolu. Et le printemps. Et devant eux ; lalla Beit Allah ; la prochaine étape. Il faut que j’aie le courage de les rattraper pour prendre quelques belles images. Ils sont déjà si loin et moi, loin derrière en train de courir au milieu des champs de blé. Ils disent que juste après le passage de la fiancée de l’eau et des gens de la caverne, on commence à moissonner. Et effectivement, je vois que les champs de blé sont déjà mûrs avec de lourds épis. Une jeune fille est arrivée au travers champs, avec d’autres femmes de sa famille et a remis à la fiancée de l’eau une bougie et s’est faufilée en dessous du ventre de la jument blanche : on pense que c’est un rite de passage pour pouvoir se marier l’année en cours.C’est une jeune nubile qui a besoin d’un mari.
Un peu plus loin un autre groupe de femmes attendent l’arrivée de la fiancée de l’eau sous un arganier verdissant. Une jeune maman présente son bébé à bénir par la fiancée de l’eau. On a l’impression d’une scène biblique : la bénédiction de la naissance d’un bébé, comme ce fut le cas pour Jésus fils de Marie.
Alors que je cours derrière la taïfa, j’ai raté son passage sous un gigantesque figuier sacré. Et brusquement, derrière moi, j’entends : - Ah, Si Abdelkader !
En me retournant, je reconnais sur son mulet, le sympathique Moqadem de Talmest qui vient de nous rattraper. Il fait partie des survivants de l’ancienne génération des Moqadem de la Khaïma. Je lui prends une photo même à contre jour. C’est un ami, un très ancien ami. Je viens de recevoir un message, mais je suis hors zone, hors du monde, hors d’atteinte : lors de ma première visite aux Regraga en 1984, il n’y avait ni portable, ni appareil photo numérique. On est en train de construire une route pour désenclaver cette région. Mais nous marchons si heureux maintenant par les sentiers muletiers. J’ai du mal à suivre, puisque même un vieillard me concurrence sur cette voie.Avec son mulet le Moqadem de Talmest n’est pas resté derrière la taïfa ; il les a devancé, pour partir plus loin, ailleurs. En tous les cas ne pas aller derrière eux, ne pas être avec eux, parce qu’il fait partie du clan adverse de la khaïma.
Sur le sillage de leur trajectoire ; les Regraga dessinent sur l’espace géographique des Chiadma deux énormes roues qui semblent reproduire une constellation cosmique sur la terre. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’une des tribus s’appelle justement Njoum : les étoiles.La première roue se fait dans le Sahel (côte) et suit le mouvement apparent du soleil (Est-Ouest). La seconde roue se fait dans la Kabla (continent) et suit le mouvement inverse. Elle est placée sous le patronage de Lalla Beit Allah pour laquelle l’invisible aurait bâti un temple à douze piliers au sommet du mont Sakyat et dont la coupole rappelle étrangement le sein fécond de la nouvelle mère. La nuit de la pleine lune vestige d’une antique « nuit de l’erreur » ? , les femmes y passent une nuit d’incubation permettant par sa baraka nocturne la fécondation du maïs et des êtres stériles. Après le départ des pèlerins, les pèlerines restent le lendemain pour une journée de « Lama » où la transe efface la culpabilité et favorise le repentir
le jeune moqadem de la taïfa marque une pose et je m'empresse de lui prendre un portrait
L'ecuyer fauche du blé tendre pour la jument blanche
Le dicton chinois : « Troupe et chevaux sont là, mais vivres et fourrages ne sont pas prêts », n’a pas de raison d’être ici : pour le chameau de la tante sacrée comme pour les 13 mulets des moqadems, on fauche le blé sur les chemins de parcours avec parfois l’encouragement du propriétaire du champ : Dieu récompensera, ce qui a été perdu !
A grandes enjambées la procession se remet en marche vers Lalla Beit Allah. Il est cinq heures trente, l’étape est très courte et nous laisse encore assez de temps avant le coucher du soleil. A mi-chemin du sommet de la montagne, je rejoins le moqadem de la taïfa. Turban immaculé, barbe noire, mots rares, la silhouette imposante de ce fellah rusé contraste avec la petitesse de l’âne qui le porte. Superbe, le dialogue dans cette brise du soir qui envahit ces hauteurs, alors que tout en bas, à califourchon sur leurs bêtes de somme, les gens de la khaïma entament à peine leur ascension.
Brusquement lalla Beit Allah, avec sa coupole blanche reconnaissable de loin, de l’autre côté, sur l’autre sommet de la montagne. Apparition lointaine dans l’immensité où tout se perd dans l’infini que surplombe un brouillard lumineux. L’appareil n’a plus de charge ; je ne peux plus prendre de photos, mais le plaisir est pour moi. Le fait d’être ici dans le sillage de mes amis. Plus de vingt ans après, je reviens à lalla Beit Allah. La première fois que j’y suis venu remonte à 1985, c’est si loin, c’est trop loin. La marche au pas pressé dans la nature est en soi une bénédiction.On contourne le flanc de la montagne : on voit déjà de l’autre côté le pick-up pris par les gens de la khaïma, en train de rejoindre lalla beit Allah.Je suis venu avec les moyens du pauvre : magnétophone, appareil photographique numérique avec une seule charge, mais l’essentiel est de participer, d’être là, d’avoir un peu de baraka.
Nous nous approchons de Lalla Beit Allah
L'arrivée de la taïfa à Lalla Beit Allah
Au seuil du temple, la « fiancée » est accueillie exclusivement par les femmes. Certaines d’entre elles arrachent les poils cendrés de la jument sacrée au risque de recevoir quelques coups de sabots alors que certaines passent trois fois sous son ventre. Lalla Beit Allah est probablement une ancienne déesse berbère devant laquelle se déroulaient les fiançailles collectives qui étaient sensées féconder le maïs. Nous avons retroué au sommet du Djebel Hadid une fiancée mégalithique (laâroussa makchoufa) à la forme phallique et qui a pour fonction de féconder la terre nourricière.
Les femmes s'empressent pour recueillir les bénédiction de la fiancée de l'eau à Lalla Beit Allah.
Arrivée de la « fiancée de l’eau » à Lalla Beit Allah.Les femmes l’accueillent par des you-you strident, tandis que les membre de la taïfa l’accompagne à l’intérieur du temple en appelant la pluie bénéfique sur la terre assoiffée et la miséricorde divine sur les hommes leur cheptel et leur verger. Dehors, sur fond de chants d’Oum Kaltoum, le haut parleur annonce l’arrivée de celui qui troue les oreilles des jeunes filles.
Pèlerin-tourneur du printemps faisant ma bénidiction à Lalla Beit Allah
L'arrivée de la Khaïma à Lalla Beit Allah
En 1984, à mon retour du daour , je faisais état de ma découverte de « fiancées pétrifiées » laâroussa makchoufa, à lalla Beit Allah au mont Sakyat et au sommet du djebel Hadid, ce qui permettait à Géorges Lappassade de faire le lien avec le bétyle phénicien découvert sur l’île . Il écrivait alors dans un article parut au mois de décembre 1985 :« Beaucoup d’objets qui témoignent d’une haute antiquité ont quitté l’île pour rejoindre le Musée d’Archéologie de Rabat. Mais un de ces objets est resté dans l’île. C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. On trouve partout des bétyles datant d’une époque précédant les grandes religions monothéistes : il y en avait dans l’Arabie d’avant l’Islam. Le mythe de lalla Beit Allah chez les Regraga n’est pas sans rapport avec ces anciens cultes : on sait qu’il correspond, à des pierres dressées, qui furent ensuite recouvertes d’une toiture. C’est aussi le cas de « la fiancée pétrifiée », sur le djebel Hadid sur la route d’Essaouira à Safi. On ne doit pas, par conséquent suivre la tradition orale qui traduit « Beit Allah », par « Maison de Dieu », pour interpréter ce mythe hagiographique, il faut au contraire faire l’hypothèse d’un lieu de culte « mégalithique » lequel, sans remonter nécessairement à la préhistoire, ni d’ailleurs, pour ce lieu là, aux Phéniciens, a certainement précédé l’islamisation de la région des Chiadma. Pour le moment le Musée ne possède comme signe des Phéniciens que le fameux symbole de tanit que représente la fébule berbère en forme de triangle et qui figure comme armoirie de Tiznit ».
Abdelkader Mana
Les commentaires sont fermés.