06/10/2010
La deuxieme guerre du Rif
Immouzar - des - Marmoucha
Dimanche 2 octobre 1955
Il y a trois ans de cela, au mois d'octobre 2007, nous avons rencontré Ilyas Mimoun Ou Aqqa alors âgé de 97 ans. Il nous a reçu chez lui, sur chaise roulante, non loin de la cascade d'Imouzzar des Marmoucha pour nous entretenir de ses souvenirs du soulèvement armé du 2 octobre 1955 dont il était l'instigateur à l'âge de 45 ans. Né à Marmoucha en 1910, il est aujourd'hui centenaire en 2010. Le documentaire que nous lui avons consacré alors n'est toujours pas diffusé par la deuxieme chaine marocaine. Pourquoi?
Au lendemain de l'attaque - surprise , le dimanche 2 octobre 1955, d'Immouzar des Marmoucha au Sud du couloir de Taza et de Boured au Nord de ce même couloir, « la Vigie Marocaine », annonce en première page les graves incidents qui se sont produits au cours de la nuit de samedi à dimanche dans la région située au Nord et au Sud de Taza sous le titre : « 2000 rebelles des tribus tenus en échec à Immouzer - des - Marmoucha et à Berkine ».L'attaque d'Imouzzer des Marmoucha fut l'épisode le plus sanglant de l'insurrection du 2octobre 1955 : Les rebelles tuèrent dix européens et cinq goumiers. Ils purent emporter une grande quantité d'armes.
Le contexte Maghrébin était favorable à la revendication d'indépendance. C'était l'impasse en Tunisie avec la répression contre le néo-déstour, l'assassinat en 1953 du dirigeant syndicaliste Farhat Hachad, et au Maroc avec la déposition du Sultan Mohamed V et les émeutes sanglantes de Casablanca. L'option en faveur de la lutte armée se faisait sous le signe de la coopération Maghrébine. Plusieurs réunions, en 1953 et 1954, aboutirent à la reconstitution d'un Comité de la libération du Maghreb arabe siégeant au Caire.
Abd-el-krim et Mohamed V au Caire
Abbas Messaâdi
De Nador, la voiture allouée à Abbas Messaâdi servait à déplacer les armes jusqu'à une distance hors de la ville. L'armement était caché par la suite à Drius(45 kms au sud-ouest de Nador). Une quantité fut transportée à Immouzar Marmoucha par Mimoun Ou Aqqa, Ahmed Dkhissi et Lhoucine Marmouchi. Tout acheminement se faisait de nuit, soit à dos de mulet, soit à dos d'hommes.Dans la foulée de ces dramatiques évènement, la presse de l'époque annonce le départ du Roi fantoche Ben Arafa vers Tanger, ainsi que la constitution d'un conseil du trône composé du Grand - Vizir Mohamed El Moqri, de Si Bekkaï, ancien Pacha de Sefrou, de Si Sbihi pacha de Salé, et de Si Tahar Ou Assou caïd des Alaham ,(ce dernier est le fils de Ali Ou Assou le caïd des Alaham, qui était venu avec sa harka dans le sillage du colonisateur pour mater la rébellion Marmoucha en 1926). C'est son fils qui est nommé par le résident général, le 16 octobre 1955, comme membre du Conseil du Trône. Juste après l'indépendance, on retrouvera ce même Tahar Ou Assou, gouverneur de « Marrakech-Safi-Essaouira » : allez comprendre quelque chose à l'histoire politique du Maroc...Ceux qui ont véritablement contribué par leur lutte à l'avènement de l'indépendance sont restés à l'ombre jusqu'à la mort. C'est le cas d'Ilyas Mimoun Ou Aqqa que nous avons rencontré presque centenaire près de la cascade d'Imouzzar des Marmoucha, là même où ,un demi siècle plutôt, il avait dirigé le commando qui mena l'attaque contre le poste des goums , le 2 octobre 1955 à 0 heure. Mission dont l'avait chargé personnellement Abbas Messaâdi, membre fondateur de l'Armée de Libération du Maghreb.
Ce dernier qui était alors chargé avec Sanhaji, de la résistance de la zone Nord et du Maroc Oriental, avait alors adressé aux hauts responsables de l'A.LM., une lettre en date du 11 août 1955, où il affirmait qu'il était en train de former 15 personnes au maniement des armes, au bord de la Moulouya, et dans les parages de Nador.Il était écrivait-il obligé de « porter la djellaba, de s'enrouler la tête d'un turban et de voyager dans un autocar « dégoûtant » roulant sur une piste épouvantable, ne pouvant dépasser vingt kilomètre à l'heure, pour contacter des personnes ressources et former des paysans ! » .
Larbi Ben Mhidi le 23 janvier 1957
Abbas Messaâdi était chargé avec l'algérien Larbi Ben M'hidi d'entraîner et de former militairement ces frustes montagnards, au bord de la Moulouya, d'en faire les premiers éléments de l'Armée de Libération du Maghreb naissante. C'est d'ailleurs ce noyau primitif de la résistance Maghrébine qui formera à son tour les commandos qui seront éparpillés dans les montagnes rifaines et du Moyen-Atlas . Lesquels entrainements servaient aussi à preparer la fameuse Bataille d'Alger : Ben M'hidi finira par y laisser la vie....
Le témoignage d'Ilyas Mimoun Ou Aqqa
Ce simple Mokhazni du protectorat à Tagnift de 1937 à 1955, soit 18 ans de bons et loyaux services,Ilyas Mimoun Ou Aqqa va progressivement se convertir au nationalisme par ceux-là mêmes dont il était le géolier du temps du protectorat. C'est une « apparition surnaturelle » de Moulay Idriss qui était à l'origine de sa conversion au nationalisme en le convaincant de choisir définitivement son camp ; celui des damnés de la terre :
« Le début de mon engagement dans la résistance a commencé du temps où j'étais Mokhazni du côté de Béni Mellal. J'ai vécu 16 à 18 ans là-bas. Des gens de Wawizeght venaient d'être emprisonnés. Ils étaient six condamnés aux travaux forcés à Tagnift. Le Makhzen d'alors nous a chargé de les surveiller de près et de les mater sévèrement au besoin pour qu'ils reprennent le droit chemin. J'ai dit : « D'accord ». Au moment de toucher ma paie, un de mes amis qui était au bureau, m'invita à déjeuner :« J'ai des secrets à te confier... » Me glissa-t-il.
Et au cours du repas, il m'a demandé si j'étais au courant, que des nationalistes parcouraient ces contrées en allant au devant des tribus ? « Mais qui va m'en informé, lui- répondis-je, puisque je suis considéré du mauvais côté , celui des colonisateurs français. De quoi s'agit - il ?»
« Nous autres les nationalistes, me rétorqua-t-il, on te considéré comme des nôtres. Même si tu n'avais pas assisté à la réunion clandestine, on t'a compté parmi les nôtres. Il va bientôt arriver par ici un chérif à qui tu dois prêter serment. ». Le soir le dit chérif est arrivé et je lui ai prêté serment. Il m'a recommandé bouche cousue, après quoi je suis parti au bureau. En s'en approchant, je l'ai trouvé entouré de tentes. J'ai alors demandé au gardien :
« Pourquoi tant de surveillances ? »
Il m'a répondu :
« Nous avons reçu l'ordre de nous rendre aux Skhounate.
« Où se trouve cette localité ? »
« Chez les Marmoucha. » Me répondit - t -il.
« Ma maison se trouve à 2 ou 3 kilomètres de ce lieu - dit. Je vais donc vous accompagner ! » lui dis-je.
Le lendemain, je me suis retrouvé dans cette montagne. J'étais accompagné de quelqu'un. Nous étions en conciliabule à la lisière de la forêt, quand des gens surgirent de nulle part. Certains portaient des turbans, d'autres non.
A leur approche, nous nous sommes enfuis vers le plat pays, là où partout des fleures surgissent du sol : des rouges, des mauves, des jaunes. Je demande à mon compagnon : « D'où vient tant de fleurs ? »,« De Moulay Idriss. »Me répondit -t-il.J'ai alors commencé à errer. Les échos du nationalisme tournoyant dans ma tête. J'ai dis à un ami :« Nous autres qui travaillons pour le Makhzen, les Français nous considèrent comme leurs enfants, pourtant l'appel du nationalisme m'interpelle. » Il me rétorqua : « Tais-toi ! N'évoque pas cela ! Les Français parviennent à dénicher ce qui est souterrain, alors n'en parlons pas de ce qui est visible sur la surface de la terre ! »
Un peu plus tard, j'ai eu la visite de l'un des prisonniers que j'ai connu à Beni Mellal. Dés sa descente du bus, il m'a dit :« On m'a envoyé de Casablanca. »
« Pourquoi vous continuez à me poursuivre ?! Lui dis je. C'est à cause de vous que j'ai perdu mon emploi au Makhzen !
« Nous avons déjà travaillé avec toi en prison, me rétorqua -t- il.. On a vu comment tu nous traitais, en nous disant :« Si vous voyez le capitaine ; au travail ! Mais si vous ne le voyez pas, dodo ! » Il faut que tu nous dise, quant es ce que tu vas nous rejoindre à Beni Mellal ?
« Nous avons ici une boutique et les Français veillent au grain... » Leur -dis-je.
« À telle date, on se reverra à Moulay Yaâkoub, me dit le mystérieux visiteur. Tu porteras une écharpe jaune et notre émissaire des lunettes rouges. C'est par ces signes que vous allez vous reconnaître mutuellement. »
En quittant Immouzar-des Marmoucha, j'ai dis à mon frère :
« Si quelqu'un demande après moi, dit lui que tu ne sais pas si je suis mort ou vivant ! »
C'est à Safsafat que nous avons rencontré notre contact. On l'appelait Haj Ben Qaddour. Il état accompagné d'un résistant des Doukkala dont j'ai oublié le nom. Ils ont téléphoné à Abbas en lui disant :
« Le Monsieur est avec nous. » Abbas nous rejoignit par la suite à Tétouan :
« Maintenant que tu es arrivé saint et sauf, me dit - il, rendant grâce au Seigneur, car tu étais menacé d'arrestation à tout moment ! »
Abbas Messaâdi est arrivé avec l' un de ses amis qui poursuit ses études à Bab el Khoukha à Fès :« On t'a dénoncé à la police, lui dit ce dernier. Ils viendront te chercher ce soir. »Un mouchard est allé nous dénoncer à la police.
L'inconnu venu d'Egypte se lève alors en disant à Abbas :
« Je m'en vais, les armes qui arrivent au Maroc passeront par tes mains. Tu auras une somme d'argent, et je t'indiquerais les centres de l'armée de libération. Vous pouvez constituer les premiers noyaux de cette armée. »
L'égyptien était un émissaire de Nasser qui soutenait les mouvements de libération nationale maghrébin. C'est au Caire, en effet que naquit le 9 décembre 1947 le comité de libération du Maghreb Arabe. C'est là, que l'émir Abd-el-krim, publia le 5 janvier 1948,un manifeste signé par les représentants des principaux partis nord-africains, où tous s'engagent à lutter pour l'indépendance et rien que pour elle et à n'accepter aucune négociation préalable.
Les armes expédiées d'Egypte par Nasser et Abd el Krim étaient destinés aux armées de libération du Maghreb. Une fois réceptionnées à Nador, ils ont étaient répartis entre Algériens et Marocains. La plus grosse partie des armes servira à la bataille d'Alger, le reste a été destiné principalement à Boured, Tizi Ousli et Aknoul chez les Gzenaya, à Berkine chez les Bni Waraïn, et à Immouzar - des - Marmoucha.
« Avez-vous des résistants ? », Me demande Abbas Messaâdi.
« Nous en avons. » Lui dis je.
« Combien ? »
« 400. Essentiellement des déserteurs de l'armée Française. »
Nous sommes resté à Nador jusqu'à la livraison des armes en provenance d'Egypte. Nous étions cinq personnes à réceptionner le yacht pour récupérer les armes. Voyant que je suis taciturne, Abbas me dit :
« Pourquoi ce silence ? »
« Devons nous, nous attaquer aux colons ou aux Cheikhs ? Lui dis-je. Car tuer les Cheikhs serait une erreur qui risque de nous mettre à dos leurs tribus d'origine, avant même que ne commence la bataille contre les colons.On risque de réveiller les vieux démonts du tribalisme!. »
« Donnes - moi ta photo, me dit-il finalement. C'est toi qui es désigné pour l'attaque d' Immouzer des Marmoucha, Ben Qaddour s'occupera de celle de Berkine. »
Vue de Berkine
Les armes furent transportées jusqu'à Aïn Zorah. Mais une fois arrivés à Tlat Boubker, des gardes espagnols ont arrêté les convoyeurs d'armes et les ont conduits au commandant pour vérification d'identité. Ils ont prétendu qu'ils se rendaient en visite à leurs familles. Le commandant espagnol leur a répondu qu'il n'était pas dupe, qu'il comprenait leur lutte, et les laissa continuer leur chemin. Ils ont parcouru de grandes distances jusqu'à ce que le soleil se lève sur la kasbah de Msoun. De là ils ont continué vers Safsafat, où à la tombée de la nuit, on les a muni de mulets pour transporter les armes vers Berkine d'une part, et vers Imouzar des Marmoucha d'autre part. A l'approche de celle ci, en passant devant un hameau où des gens étaient en palabre, Ilyas a pu entendre l'un d'eux dire :
« Je soupçonne ces mulets d'être des convoyeurs d'armes, car je peux d'ici sentir la poudre! »Tout le monde se mit à rire de sa remarque sans trop lui accorder l'importance qu'elle mérite !
Les armes à la manière dont les bergers transportent à dos de mulets les tentes de la transhumance. Je suis arrivé à Immouzar - des - Marmoucha, en longeant l'oued. Une fois à la maison mon frère qui y recevait des gens me dit : « Où as-tu disparu ? Les Français te cherchent partout ! ». Avec l'aide de mes trois frères, nous avons caché les armes dans la montagne.
Une fois chez lui, Ilyas Mimoun Ou Aqqa organise une réunion clandestine pour la répartition des tâches. Il y avait là des membres originaires de différentes fractions Marmoucha : Aït Mama, Aït Messad, Aït Bazza, Aït Samh, Aït Lahcen, Aït Youb, et Aït Benaïssa. Tous les fractions Marmoucha étaient là. C'est au cours de cette réunion qu' Ilyas fait part de la décision d'Abbas Messaâdi de mener des attaques simultanées contre tous les postes ennemis, le 2 octobre 1955 à zéro heures. Le plan d'attaque d'Immouzar - des -Marmoucha, visait les points névralgiques suivants :
§ La résidence du commandant « Baud »
§ La caserne militaire, située au centre d'Immouzer- des -Marmoucha.
§ La caserne des Forces Auxiliaires, aux environs de la cascade.
§ Le domicile du garde forestier.
Immouzer-des -Marmoucha allait connaitre l'attaque la plus violente au Moyen Atlas. Le plan consistait à attaquer simultanément tous les points névralgiques, puis de se retirer au mont Bou Iblane, où la résistance peut se réorganiser avant d'attaquer à nouveau les forces coloniales, à la manière de la guérilla rifaine. Ils étaient 120 résistants.
Une fois qu' Ilyas les a informé que le moment d'en découdre est arrivé, les participants à la réunion clandestine se dispersèrent Chacun pris la direction du lieu d'attaque qui lui est assigné. Ilyas se dirigea avec un groupe armé vers les cascades, objet d'une surveillance sévère:
" Un détachement militaire se dirigeait vers la forêt. Ceux qui s'y cachaient s'enfuirent. C'est à ce moment là que nous avons attaqué le bureau des affaires indigènes. Dkhissi Ahmed était le chef de la cellule qui s'est attaquée à la caserne des forces auxiliaires. Cinq résistants parmi lesquels Maghis Mohamed Ou Aqqa - qui a défoncé la porte du dépôt d'arme - ont attaqué l'armurerie, qui était sous la garde de quelques soldats, qui se sont enfuis par la fenêtre et se mirent à tirer sur les résistants, tuant sur le coup mon frère Maghis Mohamed Ou Aqqa."
Les assaillants s'emparèrent du poste d'Immouzar-des-Marmoucha : le magasin d'armes permit aux résistants de récupérer 300 fusils mortiers 60, plusieurs fusils mitrailleurs et plusieurs dizaines de pistolets mitrailleurs. Cependant la plupart de ces armes étaient inutilisables parce qu'on avait pris la précaution de leur retirer les culasses.
"Dés le début de l'attaque, le gardien a tiré en direction des Moujahidines. Mais une des balles de ces derniers le tua sur le coup. Les Moujahidines ont occupé la caserne jusqu'au matin. Quant à l'attaque du garde forestier, elle a aboutit à la mort de ce dernier ainsi qu'à celle de sa femme. Chevauchant leurs bêtes de somme, deux indicateurs - il s'agit du suppléant du Cheikh et du directeur de la coopérative agricole - quittèrent la localité et se dirigèrent vers le village de Serghina, de là ils se rendirent à Boulman où ils informèrent le commandant de l'attaque infligée au bureau des Affaires Indigènes d'Immouzar. Informée, l'état major de Fès envoya immédiatement un avion de reconnaissance, suivi de bataillons de tanks et d'artillerie."
"Notre occupation du bureau des Affaires Indigènes dura jusqu'au matin du 2 octobre 1955. C'est alors qu'au ciel les avions firent leur apparition. Nous nous sommes empressés de libérer les prisonniers,leur disant :
« Aujourd'hui, il y aura un soulèvement général dans tout le Maroc ! »
Nous leur avons ordonné de rejoindre leurs hameaux, pour y inciter leurs familles à rallier la résistance. Dés le levé du soleil, des dizaines d'individus, hommes et femmes, affluèrent de partout vers le centre d'Immouzer."
Il était 8 heures du matin, le 2 octobre 1955, quand apparut au ciel un avion français en provenance du Sud-Ouest. La fumée s'élevait encore au dessus du village. L'avion a tournoyé plusieurs fois au dessus des villageois avant de repartir vers sa base arrière. Quinze minutes plus tard, cinq avions se mirent à bombarder les positions où se sont regrouper les habitants. La résistance a combattu avec courage jusqu'à 14 heures, où sont apparu les forces terrestres avec tanks et colonnes en provenance des bases militaires de Fès et de Meknès.
« La Vigie Marocaine » du mardi 4 octobre 1955, titre ainsi « le calme est revenu à Immouzer-des- Marmoucha, où de nouveaux morts ont été identifiés » et l'auteur de l'article de poursuivre :« Le calme est revenu ce matin entièrement à Immouzer-des- Marmoucha après la tragédie de la nuit de samedi à dimanche. Quelques rares journalistes ont pu atteindre la petite cité martyre grâce à des convois militaires qui assurent les liaisons entre Boulmane et Immouzer d'où aujourd'hui tous les blessés et tous les morts ont été évacués. D'après les témoins qui ont pu être interrogés, c'est à la faveur d'une nuit claire que les assaillants ont rampé lentement vers les maisons dans lesquelles en toute confiance, reposaient les familles. Ce fut alors brusquement en plein sommeil, un épouvantable cauchemar pour les victimes de scènes atroces dont certaines ont tenté d'échapper en se dissimulant dans les pièces retirées des appartements, où finalement, elles succombèrent.Des meubles ont été éventrés, calcinés, les fils téléphoniques ont été coupés et les machines à écrire du bureau des affaires indigènes, lui-même incendié, ont été brisé contre les rochers. Décor de tragédie également dans la villa du capitaine Chaussier dont la femme et les deux enfants ont été massacré.Il semble que les assaillants dont certains se trouvent encore dissimulés non loin d'Immouzer et tiraillent parfois, aient été armés minutieusement par les soins d'approvisionneurs auxquels s'intéressent particulièrement les enquêteurs. Interrogé à Fès par un journaliste américain, le général Bertron a déclaré que vendredi dernier, lui avait été signalé la présence d'un commando venant de la zone espagnole qui se trouvait au sud de Mezguiten, mais dont la trace a été perdue. Le général Bertron a précisé que le commandos était armé de carabines espagnoles. Le général Bertron a encore déclaré qu'à la suite des évènements qui se sont produit en tribu le 2 octobre, une certaine nervosité s'est manifestée au sein de la population européenne de la ville de Fès. »
Chez lui, le commandant d'Imouzzar fit face à trois maquisards Marmoucha . L'un était de la fraction Benaïssa, les deux autres étaient des Aït Makhlouf, la fraction d'où est issu Mimoune Ou Aqa. Le commandant en faucha deux à la mitrailleuse. Ils moururent sur le coup. Les combats se poursuivirent ainsi, jusqu'à la fin de l'après midi. Les tanks arrivaient. Les militaires arrivaient. Ils étaient accompagnés des tribus qui encerclent les maquisards. Ceux-ci prennent le maquis en escaladant les montagnes environnantes et en suivant leurs crêtes jusqu'à Nador. En première page,« La Vigie Marocaine » du mardi 4 octobre 1955, sous le titre « Nos troupes traquent les groupes rebelles », écrivait :
« Chassés des postes qu'ils avaient occupés et incendiés les hors - la - loi se sont engagés dans la montagne où sont maintenant engagés des opérations de nettoyage. La révélation que fit hier, à sa conférence de presse le général Bertron, frappa tout le monde de stupeur. Ce furent trois commandos de la zone espagnole qui, à 400 kilomètres du sud du Rif, menèrent la première attaque surprise de nuit sur le poste d'Immouzer-des-Marmoucha et massacrèrent les européens de ce centre. Qu'une telle infiltration soit possible, c'est certain, mais on juge par là même de l'audace d'un plan qui fit infiltrer si loin de son centre de départ une telle troupe et son armement, vraisemblablement par Mezguiten, Guercif et Berkine. »
Un autre article de ce même journal en date du lundi 10 octobre 1955, écrit sous le titre « des bandes rebelles des Marmoucha tenteraient de rejoindre les groupes du Nord » : « Dans le secteur sud en pays Marmoucha et Berkine, on signale de ce dernier centre, la soumission d'une fraction des Aït Makbel, comportant un millier d'habitants. Cette reddition a eu lieu hier, vers treize heures trente.
Un fusil - mitrailleur et deux fusils anglais ont été rendu par les Aït Smint à Berkine hier après midi »
En réalité les Aït Makbel et les Aït Smint sont des transhumants montagnards Bni Waraïn. Ce qui veut dire que de son côté Ben Qaddour chargé par l'Armée de Libération de l'attaque de Berkine, a finalement réussi à rallier à sa cause, ces tribus Bni Waraïn.
« La Vigie Marocaine » du vendredi 7 octobre 1955 annonce que « les rebelles Marmoucha rendent leurs armes ». Selon cette publication :
« Le bilan des armes rendues par la fraction Marmoucha ayant fait leur soumission est la suivante : armement français( qui avait été volé pendant l'attaque du poste) 110 fusils et mousquetons ; 6 fusils mitrailleurs ; 7 pistolets mitrailleurs ; 7 pistolets automatiques ; une mitrailleuse ; 2 bazooka ; un pistolet signaleur et un mortier.Armement étranger : 4 fusils anglais ; 2 fusils mitrailleurs anglais ; 4 pistolets automatique Allemand. »
Les fuyards prirent la direction de l'oued Melellou, dans une région entièrement couverte d'alfa, où ne pousse aucun arbre. De peur d'être repérés par les avions , Ilyas Mimoune Ou Aqqa ordonne à ses camarades de se terrer, en creusant des trous et en se recouvrant d'alfa de manière à demeurer invisibles aux militaires Français qui les poursuivaient. Vers 8 heures, Saïd Ou Qasso, qui était chargé de la surveillance, vint les avertir, que les Tanks ennemis arrivaient du côté de Taza, de là même où ils comptaient traverser en direction de Nador dans le Rif. Ils comprirent alors qu'ils étaient dénoncé par un certain Mzroud ,qui avait déserté leurs rangs. Après l'éloignement des tanks ennemis et à la faveur de la nuit et du brouillard accompagné d'averses ; une galette de seigle est remise à chaque groupe de cinq combattants. Ils passèrent ainsi la nuit dans la forêt et au levé du jour, ils poursuivirent leur marche vers Nador où un commandant espagnol les convoqua pour leur dire :
- Maintenant vous pouvez rentrer chez vous. Vous avez notre garantie. »
- Nous ne reviendrons chez nous, qu'après le retour du Roi, lui répondit Mimoune Ou Aqqa. Car nous avons un grave litige avec les Français. Si vous, espagnols vous respectez vos engagements, nous devons rester ici jusqu'à ce que notre retour soit assuré.
- D'accord. » Leur répondit le militaire Espagnol.
" La déposition de Mohamed V était à l'origine de l'insurection
« Si je savais que vous alliez faire tout cela, je serais venu avec vous. Maintenant, soyez en paix par la grâce de Dieu, vous qui n'avez pas trahi. »
« Il n'y a pas de traîtres parmi nous, lui rétorqua Mimoune Ou Aqqa. Les Marmoucha sont tous fidèles au Roi. Ils sont tous des nationalistes. A l'indépendance du Maroc, on m'a désigné caïd à Beni Mellal, et mon ami caïd à Missour. Les autres ont rejoint soit les Forces Armées royales, soit les Forces Auxiliaires. Depuis lors, nous sommes restés là, sans que plus personne ne demande de nos nouvelles." Des cocus de l'histoire? Is ont risqué leurs vies et celle de leurs familles, Ilyas y avait laissé celle de son frère Maghis qui aurait pu vivre centenaire comme lui, pourtant "depuis lors" plus personne n'a demandé de leur nouvelle, plus personne ne sait où se trouve Immouzer des Marmoucha qui continue à ronronner au milieu des ruines des vieilles bâtisses de la colonisation....
En 1956, Abbas Messaâdi et Sanhaji s'occupaient des commandos comme avant. Bien que certains éléments abandonnèrent le front pour rejoindre les villes les plus proches, le gros de l'Armée de Libération demeurait à ses postes et obéissait à leurs anciens chefs de Nador. Sanhaji fut convoqué au Cabinet Royal à Rabat le 9 juin 1956 à 9 heures. Avant de quitter Nador, il fixa un rendez-vous à Abbas à Taza pour le 8 juin 1956. Sanhaji l'attendit au domicile du gouverneur comme prévu jusqu'à 11 heures. Les deux responsables se rencontreront non loin de Taza où Sanhaji fit savoir à Abbas Messaâdi son départ pour Rabat. Mohamed V lui proposa alors d'aller en pèlerinage à la Mecque. Sanhaji fit savoir au Souverain que : « les circonstances actuelles ne me permettent pas d'effectuer le pèlerinage. L'armée de libération est convoitée par les partis politiques qui cherchent à l'exploiter à des fins personnelles. »
Pendant que Sanhaji se trouvait à Rabat, Abbas Messaâdi souffrant, se rendit à Fès pour consulter un médecin. Il se dirigea chez Belcadi à Bab El Khokha. A peine installé, il fut invité par Hajjaj qui était un ancien résistant à Casablanca et avait rejoint Tétouan comme réfugié politique. Après la déclaration de l'indépendance, il devint chef d'un commando qui opérait dans la région de Fès et obéissait au parti de l'Istiqlal. Abbas fut donc invité par Hajjaj au domicile de El Haj Ben Allal, membre très influent du parti à Fès. C'est dans cette maison qu'il fut arrêté par un groupe de personnes qui le transportèrent à Aïn Aïcha. Abbas Messaâdi dut succomber en cours de route : sa dépouille fut retrouvée inhumée dans un champs à Aïn Aïcha, dans la région de Taounate au Nord de Fès. Selon Mellal Qaddi, qui fut envoyé par Abbas Messaâdi à Casablanca, le 25 juin 1956 pour faire des achats au profit de l'Armée de Libération Nationale :
« Abbas fut enlevé à Fès et les kidnappeurs prirent la direction de Taounate. Aussitôt j'ai téléphoné à Nador à Sanhaji que j'ai trouvé dans une colère extrême. Il me fixa un rendez vous à Taza le lendemain matin., soit le 28 juin, chez M'hamed khyari, gouverneur de Taza, qui était leur ami. »
A Taza, Sanhaji pria le gouverneur de contacter le gouvernement ou directement le Roi, pour que l'affaire Abbas Messaâdi soit considérée dans les quarante huit heures. Autrement, ce serait à l'Armée de Libération de régler le problème à sa façon. Surprise ! L'arrivée du Prince Moulay Hassan fut annoncée. Il fallait se dépêcher pour l'accueillir à la base de Taza. Effectivement, SAR débarqua en secret et sans escorte de l'avion, accompagné de Driss M'hamdi ministre de l'intérieur. Il portait la tenue kaki et la casquette de Général. Le gouverneur lui présenta alors Sanhaji et Mellal. Tous les cinq prirent la direction de la préfecture de Taza. Dans une salle de la préfecture, le Prince s'adressa aux quatre hommes en ces termes : « Messieurs, Sa Majesté le Roi Mohamed V désire que le calme et la paix règnent dans la région et que l'Armée de Libération intègre les fonctions publiques et les rangs des Forces Armées Royales du Maroc indépendant. Quant à l'affaire Abbas, elle sera réglée par moi-même. »
Selon le témoignage de Mellal Qaddi :
« Au cours de l'interrogatoire des suspects arrêtés du commandos de Mohamed Hajjaj, deux éléments qui avaient participé au meurtre, passèrent aux aveux.. Il s'agissait d'un certain M'barek Marzouki et d'Ahmed Mounir qui indiquèrent l'endroit où feu Abbas Messaâdi était enseveli. C'était à Aïn Aïcha, neuf kilomètres au Sud de Taounate, dans un champ fraîchement labouré où on trouva le corps de la victime couvert de mottes de terre. On le déterra, déjà en décomposition avancée, et on le mit dans une couverture. On trouva la voiture du martyre au fond d'un ravin, elle était balancée certainement du haut d'une pente raide. Abbas Messaâdi sera finalement enterré à Fès. En signe de reconnaissance, le Prince attribua au martyre Abbas Messaâdi, le grade de commandant à titre posthume. »
Compagnon de route à Nador et au bord de la Moulouya, le chef de la zone Oranaise, l'Algérien Larbi Ben M'hidi fut lui aussi capturé et assassiné le 23 janvier 1957, dans « la bataille d'Alger » confiée à la dixième division parachutiste du général Massu. Avec la disparition de Abbas Messaâdi et de Larbi Ben M'hidi, ce sont deux des plus hautes figures historiques de la résistance Maghrébine qui disparaissent ainsi mystérieusement à l'aube de l'indépendance, en pleine lutte des clans pour la prise du pouvoir.
Abdelkader MANA
11:27 Écrit par elhajthami dans Histoire, Le couloir de Taza, Témoignage | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : le couloir de taza, la guerre du rif, marmoucha | | del.icio.us | | Digg | Facebook
03/10/2010
La Tache de Taza
La réduction de la « Tache de Taza »
1923 - 1926
Fait exceptionnel au Moyen Atlas : la chaîne de Bou Iblan forme, dans sa partie centrale, une véritable séparation, isolant nettement de la région de Taza, le pays des Marmoucha: un pays montagneux, imposant par ses dimensions, son altitude, et par le nombre et la valeur des ses farouches guerriers Marmoucha, décidés à se défendre à outrance. « Tribu obstinée entre toutes de la montagne berbère, n'entendront pour finir, que la seule voix qui répond au bouillonnement de leur cœur ; l'appel au combat, souligne le chef des opérations militaires. L'attachement à leur indépendance l'emporte toujours. Et lorsque nos colonnes s'apprêtent à lever le camp, pour pénétrer dans le pays insoumis, c'est chaque fois l'âme guerrière de ces tribus qui a le dernier mot. »
Bou Iblan
Dans la région de Marrakech, le développement de la politique coloniale s'appuyant sur les « Grands Caïds » - Glaoui, Goundafi, Mtouggui - a permis de limiter les opérations militaires au strict minimum. Dans le Nord, à la limite des trois régions de Taza, Fès et Meknès, la zone montagneuse insoumise du Moyen Atlas appelée « tache de Taza » a nécessité la mise en œuvre de la majorité des moyens militaires dont a disposé la France au Maroc en 1923.
Ahmed Mezred
« Je suis né au mois de mars de 1926, nous dit Ahmed Mezred, notre hôte.L'année où la France a attaqué Tamghilt et Talzemt. Ils avaient déjà attaqué en 1925, mais on les a repoussé. Ils sont revenus à la montagne. L'occupation eut lieu en 1926. Sept bataillons s'étaient retrouvés à Meskeddal. Un bataillon est arrivé d'Ahermoummou, un autre par Meghraoua, un troisième par Berkine, un quatrième par Oulad Ali, un cinquième par Immouzer des Marmoucha , et un autre par Aderj. Ils eurent des accrochages avec la population et brûlèrent Talzemt. Ils ont brûlé toutes les maisons. Les gens se sont enfuis dans la montagne. Certains sont morts, d'autres ont pu revenir. Ils sont passés par Tamghilt pour rentrer à Talzemt. C'est là qu'avaient converger tous les bataillons. Après quoi, tout le pays était occupé. »
Garouaou
Le Moyen Atlas et l'Atlas central préoccupaient particulièrement le résident général Lyautey et ses collaborateurs. Les opérations des années 1920 à 1923 leur furent entièrement consacrées, sans que toutefois la dissidence s'effondrât. Jusqu'en 1926, la région montagneuse située au sud de Taza et s'étendant jusqu'à la haute plaine du Guigou restait dissidente, sous le nom de Tache de Taza.Le programme des opérations militaires de 1923, ne consistait pas à occuper intégralement toute la Tache de Taza. Mais à n'y laisser, comme bled inviolé que des îlots où les conditions d'existence pour les familles et les troupeaux, et les besoins de relations entre tribus, rendus impossibles par le réseau d'ouvrages militaires, devront fatalement, amener la soumission de ces irréductibles Marmoucha.
La Tache de Taza
Dans son ouvrage sur « la pacification de l'Atlas central », le général Guillaume, note que « les communications avec l'Algérie ne peuvent être garanties, tant que le Moyen Atlas, au sud de Taza, n'est pas maîtrisé. »Il s'agissait pour Lyautey, d'empêcher à tout prix, la jonction entre les groupes insoumis les plus importants de la Tache de Taza, en particulier les Bni Waraïn et les Marmoucha, et la dissidence rifaine d'Abd El Krim. En 1925 Abd el-krim activait sa propagande auprès des Beni Waraïn au Sud de Taza, auquel il envoyait même des subsides en argent pour les encourager à monter une attaque sur le front Beni Waraïn en liaison avec l'offensive déclenchée par les Rifains sur le Haut Leben. Des essais de harka sont tentés par Sidi Raho, Sidi Ali Seghrouchni, et Sidi Mohamed Belgacem Azeroual, mais s'ils trouvent quelques échos dans le Nord, les efforts échouent dans le Sud où le Tichoukt(10 juillet 1925), le Tagrout N'Aït Saïd(20 août) sont occupés.
Boukamouj
La valée de Tamghilt, attaquée à deux reprises par les troupes coloniales: en 1923 et en 1926.Cette valée porte le nom de loued Tamghilt qui la traverse après avoir passé par la cuvette de Talzemt
Au loin le djebel Ayad où eurent lieu d'importants cambats en 1925
Les combats de mont Bou Kamouj qui finirent en 1923 en une confrontation brutale avec les Marmoucha dans la vallée de Tamghilt
L'agitation suit les rythmes des mouvements rifains Un ancien spahi Bou Nouala, qui a déserté chez les Beni Waraïn insoumis se fait reconnaître comme chef par eux, leur désigne des caïds sans que son autorité semble dépasser l'arrêt de Bou Iblane au Sud tandis que vers le Nord de nombreux émissaires assurent la liaison avec le Rif.A la mort de Bou Nouala tué en mars 1925, on distingue dans la Tache de Taza :
a) Le front des Beni Wuaraïn de l'Est(Beni Jellidassen) qui suscita sous l'intense propagande d'Abd el krim, la formation de Harkas chez les Ahl Taïda et dans les Hautes vallées des oueds Beni Bou Nçor et Beni Mansour.
b) Le front de Tichoukt devant lequel, les dissidents Aït Seghrouchen, enserrés par un système de postes qui entourent complètement la montagne tendent à se désagréger.
c) Le front des Mamoucha ou groupe dissident des Oulad Ali et des Beni Hassan reste intact. Après la disparition du chérif Moulay M'hamed Seghrouchni mort le 23 janvier 1925, son deuxième fils, Sidi Akka, hérita de sa « baraka », mais non de son influence et n'a pu empêcher Moulay Abdellah, dernier fils de Moulay M'hamed, de faire sa soumission le 15 février.
Juste après la reddition d'Abd El Krim, le 20 mai 1926, l'aviation française a effectué plusieurs bombardements dans la région de Tichoukt : la reddition d'Abd el Krim, a permis d'envisager, dés la fin de mai, d'achever les opérations commencées depuis 1923 dans la Tache de Taza, qui représente un pays montagneux, imposant par ses dimensions, son altitude et par le nombre et la valeur de ses guerriers : 3000 Bni Waraïn et Marmoucha, guerriers farouches, sont décidés à se défendre à outrance.
C'est seulement en 1926, après l'écroulement d'Abd-el-krim que la France se trouve en mesure de réduire la « Tache de Taza » avec de gros effectifs. Mais le plus dur restait à faire. La chaîne de Bou - Iblane a, en effet, une longueur d'environ soixante-dix kilomètres sur soixante de largeur, avec des altitudes dépassant 2000 mètres ; elle est défendue par 3000 guerriers bien déterminés. L'opération principale doit être réalisée par deux colonnes , qui partiront de Berkine et d'Imouzzer pour se rejoindre sur le plateau de Meskedal.
Non loin de la cuvette de Talzemt se trouve la très belle forêt de Taffert peuplée de cèdres presque purs. On ne peut douter que ce Moyen Atlas oriental a été couvert d'admirables forêts que les pasteurs ont incendié. On a le cœur serré devant cette dévastation insensée qui, se traduit rapidement par un dessèchement du sol et la ruine du tapis végétal. Ainsi dépouillée de sa parure de forêt, la haute montagne apparaît de loin, très désolée.
Cédraie de Tafferte
Aux abords de Meskeddal, Ahmed Mezred nous décrit en vieux pâtre la transhumance dans la tache de Taza :
« Nous autres, fraction Aït Ben Aïssa des Marmoucha, nous transhumons l'été à Meskeddal, au mont Guerrouaou et à Talzemt. Et l'hiver, on s'en va vers les pâturages d'Ahermemmou, du Manzal, et des Bni Yazgha. On va aussi à Tahla, chez les Bni Waraïn et à Matmata. On transhume dans tous ces endroits. A l'époque il n'y avait pas de camions, les transhumants se déplaçaient à pieds durant huit à dix jours avec leurs troupeaux, leurs bêtes de somme et leurs tentes. Ils transportaient leur blé et leur fourrage. Les uns se dirigeaient vers l'Ouest, les autres vers l'Est. D'autres vont vers la Moulouya. C'est ainsi que se déroulait la transhumance. Maintenant le transport se fait par camions. Dés que le climat se réchauffe, on monte là haut et chacun rejoint son pâquis : les pâturages des Aït Abdellah s'étendent de tel endroit à tel autre. Ceux des Aït Ben Aïssa, de tel autre borne à telle autre. Voici les pâturages des Aït Lahcen et voilà ceux des Bni Smint. Ou encore ceux des Aït Bou Illoul, des Aït Lahcen et d'Almis. Chacun dispose de son propre pâturage, d'une superficie clairement délimitée. Et quand quelqu'un manque de quoi que ce soit, nous l'accueillons s'il vient chez nous. »
Meskeddal, haut lieu de la transhumance d'été des Marmoucha et des Bni Waraïn
Meskedal est un immense plateau sur les pentes Ouest de Bou Iblane, qui jouit d'un climat tempéré en toutes saisons ; herbeux et bien arrosé, il est le lieu d'élection des transhumants montagnards, leur capital.
Comme partout ailleurs en haute montagne , en occupant Meskeddal par deux colonnes qui s'y sont retrouvées en 1926, l'une en provenance de Berkine à l'Est et l'autre en provenance d'Immouzer des Marmoucha à l'Oust; la stratégie de l'état major établi à Meknès que dirigeait alors le général Poymerau,visait à interrompre le mouvement saisonnier pleine - montagne si vital pour la survie des transhumants Marmoucha - Bni Waraïne.
Habitat de pasteurs-nomade sur les platureux paquis de Mekeddal
Ainsi donc tout le monde se retrouve pour la transhumance d’été à Meskeddal et à Guerrouaou et quand l’hiver arrive, les uns descendent vers les bord de la Moulouya à l’Est de Bou Iblan et les autre se dirigent vers les bords de l’Innaouen et de l’oued Sebou, à l'Ouest de cette même montagne.
A cette altitude, on s'imagine que des massifs de plus de trois mille mètres devaient déterminer d'abondantes précipitations. Cette illusion est fortifiée par la vue de la neige qui couvre les cimes pendant plusieurs mois. Il semble en réalité que les conditions soient plus favorables à la conservation de la neige tombée, qu'à la fréquence des chutes. Ainsi s'explique la dure situation des Marmoucha dont les troupeaux doivent quitter le pays en hiver, parce qu'il fait trop froid, et en été parce qu'il fait trop sec.
En 1926, la cuvette de Talzemt fut l'objet d'attaques convergentes de sept bataillons français, à travers les cols de Tizi Ouidal, de Tizi N'tmalout, de Tizi N'Taïda et de Tizi N'trial. A la lisière des Bni Waraïn et des Marmoucha, Talzemt occupe en effet un verrou stratégique, par où transite obligatoirement toute transhumance. C'est une brèche transversale où confluent trois oueds pour former la rivière principale de Tamghilt. Ces troupes qui visaient ainsi à réduire cette ultime poche de résistance de la Tache de Taza, provenaient principalement de Meknès, mais aussi de Taza et de Guercif. Trois colonnes combinées, ayant pour objectif les trois points vitaux de la dissidence, sont organisées et entrent en action dés le 7 juillet 1926. Vingt jours de luttes acharnées et d'efforts opiniâtres rendent les français maîtres de la grande Tache dissidente de Taza.
Quand la France avait occupé ce pays, elle y tait arrivé avec le caïd Âmar. Ils étaient arrivés ici par Meskeddal et par Guerouaou. C'est eux qui avaient brûlé toutes les maisons de Talzemt. Comment ?
A cause des luttes intertribales qui remontent à avant l'arrivée de la France : les nôtres avaient alors attaqué la tribu du caïd Âmar, en brûlant ses maisons. Ils étaient revenus de cette expédition punitive avec du miel, du beurre ronce, des sacrifices, des troupeaux, et avaient tué des gens là bas. Et quand ceux-ci étaient arrivés ici dans le sillage de l'armée française, ils s'étaient dits : nous aussi on va ruiner leurs demeures. C'est ainsi qu'ils avaient brûlé tous nos maisons. Puis est venu à Tizi Ouidal, le caïd Ali Ou Assou des Alaham. C'est là qu'eut lieu la bataille. Le colonel était à la montagne de Tamghilt, avec ses tanks et son arsenal .Un déserteur marocain nous a rejoint ici, en venant de je ne sais où ; d'Ifran, de Meknès, ou de Fès ? Il avait déserté l'armée française, pour venir combattre du côté de la dissidence avec son fusil mitrailleuse. C'est lui qui a fait tomber l'avion. Il s'est attaqué au colonel et à l'armée française. Il tirait sur eux au mont Tamghilt. Il tuait 15 à 20 soldats ennemis d'un coup. Une centaine. Jusqu'à ce que périrent 3000 soldats.
Tous ceux qui étaient venus d'Ahermoummou, de Maghraoua, d'Oulad Ali, d'Immouzer des Marmoucha, d'Aderj et de Berkin, se sont retrouvés ici, d'où les nôtres s'étaient enfuis vers la montagne. Ils avaient tout emporter avec eux dans cette montagne : leurs moissons, leurs tentes, leurs réserves de beurre ronce. Ils sont parti là bas sur ce piton qu'on appelle le rocher roux. Ils s'étaient réfugiés là bas jusqu'à ce qu'à l'occupation de tout le pays par la France.
Ce qui est mort est mort, et ce qui est blessé est blessé. Mon grand père figurait parmi les blessés. A l'époque, ils ont voulu le nommer caïd. Les Français étaient bien renseignés sur la situation à Marmoucha. Dés leur arrive, ils ont dit : qui devrons nous nommer caïd à Talzemt ? On leur a répondu : un tel, parce qu'il est le plus connu de sa communauté. On amena alors grand père qui était blessé, dans la seule pièce qui n'a pas été brûlée. C'est là que le médecin venait le soigner sur ordre du colonel.. En attendant son rétablissement l'intérim fut assuré par un dénommé Moulay Lahcen. Dés son rétablissement, il était devenu Cheikh. Voilà tout ce que je peux vous dire sur la bataille.
Il existe encore dans la cuvette de Talzemt, une bombe vestige des combats de 1926. Mais la décision de réduire la Tache de Taza, remonte à 1923. En effet, au mois de juillet de 1923, le général Poeymirau passe à l'attaque dans le sud de la Tache de Taza. Jusqu'alors le poids de la lutte a principalement pesé sur les Aït Seghrouchen. Les Marmoucha, moins éprouvés, paraissent hésitants, néanmoins, ils ne cèderont pas.L'offensive est déclenchée le 17 juillet 1923. Les bataillons de légion occupent les crêtes, mais les escarmouches avec les Marmoucha dégénèrent peu à peu en un violent corps à corps. La légion avance avec peine sous un feu nourri. Au piton d'Issouka, les légionnaires eurent 31 tués et 101 blessés dont 6 officiers.
Cuvette de Talzemt, assise territoriale des Aït Benaïssa, fraction Marmoucha
Quand la France est arrive, les tribus s'entredéchiraient entre elles. Quand les Marmoucha transhumaient, ils étaient attaqués par les autres tribus. En plus tous ceux qui fuyaient l'avancée de l'armée Française convergeaient ici, en venant de toutes les directions : de l'ouest, de l'est, du nord, du sud, parce que cette montagne était le dernier réduit de la dissidence en 1926. Ils s'étaient retrouver ici à Tizi Ouidal, où se déroulèrent les plus violents combats. Il y avait les Aït Seghrouchen, les Marmoucha, les Oulad Ali, les gens de Berkine qui fuyaient l'avancée des troupes Françaises. Il y avait ceux d'Ahermoummou, des Maghraoua et des Beni Waraïn. Et il y avait les Bni Âllaham. Tous se sont retrouvés ici. Alors, ceux qui étaient alliés à la France attaquaient ceux qui étaient avec la dissidence. Les Bni Âllaham avec à leur tête le caïd Ali Ou Assou s'étaient alliés à la France. Les combats eurent lieu à Tizi Ouidal. La soldatesque des Bni Âllaham alliés aux troupes Françaises, ont réquisitionné les troupeaux de mon père et de mon grand père : quelques quatre cent têtes d'ovins. Ils ont arrêté mon père au col de Tamghilt, et ont emporté avec eux son élevage. Ce n'est qu'une fois le pays occupé par la France qu'on lui a rendu trois cent à quatre cent ovins à titre de compensation, de ce que les militaires lui avaient dérobé. L'encerclement d'Abadie et de ses troupes On peut lire sur la stèle commémorative : « Le 10 septembre 1925, au combat du Djebel Ayad, cerné dans un ksar avec un groupe de partisans et Mokhaznis, le lieutenant ABADIE, a sacrifié sa vie pour sauver celle des hommes de son groupe. Officier d'une bravoure légendaire, maintes fois manifestée depuis trois ans, dans tous les combats du sud de la Tache de Taza. » C'est dans ce village que le lieutenant Abadie et ses hommes, s'étaient retranchés, tandis que les Marmoucha les encerclaient. On voit encore les traces des combats sur les murs du hameau. Les Aït Benaïssa sont arrivés en brandissant un drapeau. En arrivant ici ils sommèrent Lieutenant Abadie en lui disant de quitter la maison des gens. Mais il ne voulait pas sortir. Les goums lui dirent que ces gens ne vont pas tirer, on va se diriger vers Dar Bouâzza, en emportant avec nous le bois et tout le reste. Ils n'ont plus de quoi tirer sur nous. Ils vont même nous immoler un taureau en guise de soumission. Mais eux ont refusé la réconciliation. Une fois passée la nuit, ils ont lâché les eaux le lendemain matin. Les goums dirent à leur lieutenant Abadie : essaie de sortir pour vérifier s'ils sont toujours là. Mais eux se cachaient. Il est effectivement sorti sans qu'ils lui tirent dessus. Une fois qu'il a traversé de l'autre côté, il tira une détonation comme signale pour que les autres sortent aussi. Dés que les goums ont quitté leur cachette, on se mit alors à leur tirer dessus. Rares sont ceux qui ont pu s'échapper. Ils ont tué Abadie et ont brûlé sa dépouille ici, comme c'est indiqué dans la stèle commémorative qu'on vient de voir. Le vieux Ben Aïssa se souvient : « Que Dieu bénisse cette femme qui a allumé le bûcher et jeté dans la marmite, les grenades et les munitions, qui ont explosés au milieu de la soldatesque les obligeant à sortir dehors. Il y en a qui ont été blessés ou touchés. Ce n'est qu'après l'explosion qu'ils ont tué cette femme courageuse. En sortant dehors, ils se sont embourbés dans la boue et l'eau lâchée par la dissidence. Ne pouvant plus fuir, ils ont été massacré : peu d'entre eux ont pu rejoindre là haut, leur caserne. Le lieutenant Abadie était fait prisonnier. C'est quelqu'un de chez nous à Talzemt qui l'avait tué. Il s'agit d'un certain Âssou. C'est lui qui avait emporté avec lui son fusil au manche couvert d'argent. Quand la France est arrivée, il l'ont amené jusqu'ici et l'ont fusillé. Il est originaire de chez nous à Talzemt, du hameau des Aït Mahraz. »
Au soir , devant l'étable en bois de cèdre de notre hôte Ahmed Mezred, l'Amdyaz (chansonnier) des Marmoucha improvisa une chanson qui raconte l'encerclement et la mise à mort d'Abadie par ce fusil a la crosse d'argent ainsi que cette femme Marmoucha qui a jeté dans la marmite, les grenades et les munitions, qui ont explosés au milieu de la soldatesque les obligeant à déguérpir de son village...
L'oued Tamghilt qui prolonge celui de Meskeddal, traverse la fraction Marmoucha des Aït Mama, et se déverse dans l'oued Sebou. C'est là qu'avait eu lieu la bataille avec la France : il y eu des morts et des prisonniers. Les nationalistes ont lutté. Les français sont revenus et ont établi trois ouvrages militaires : l'un à Talzemt, un autre à Immouzer des Marmoucha et un troisième à Almis Marmoucha. Trois ouvrages. Ils nous ont colonisé jusqu'en 1955, l'année où ils ont té attaqué par l'Armée de Libération, et enfin la France est partie.Les Français qui avaient réussi en 1926, d'empêcher la jonction entre dissidence rifaine et celle de la Tache de Taza, ont échoué à le faire à la veille de l'indépendance du Maroc. En effet, le soulèvement simultané du 2 octobre 1955, chez les Gzenaya du Rif et les Marmoucha, avait précipité l'indépendance du Maroc. Abdelkader MANA
09:39 Écrit par elhajthami dans Le couloir de Taza | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : le couloir de taza, histoire, moyen atlas oriental, marmoucha | | del.icio.us | | Digg | Facebook
28/09/2010
La porte du Sahara
Tariq Lamtouna : la voie des Almoravides
Au milieu de paysages dénudés qui annoncent déjà le désert, des oasis sporadiques émergent ça et là, comme dernier refuge d’une culture qu’irriguent de multiples courts d’eau descendant des derniers contreforts de l’anti – atlas pour former le fameux oued Noun qui donne son nom à tout ce Maroc présaharien. Au-delà de l’anti-atlas , s’étend une vaste zone semi – désertique où voisinent les montagnes et les oasis . C’est le Maroc saharien. Quelques greniers collectifs comme ceux d’Imtdi , fraction des Aït Harbile, reflètent la vieille tradition villageoise du Sous extrême. Ce sont des greniers à caractère de citadelles imprenables construites souvent sur un éperon rocheux. Ces Agadirs inaccessibles servent de magasins pour des tribus semi – pastorales. Ils se dressent encore émouvants à chaque piton rocheux du Bani dont la chaîne étroite et vive comme un arrêt, veille le long du désert.
Grenier collectif d'IMTDI, fraction de la tribu des Aït Harbile
C’était un rempart naturel , au lieu même où deux mondes se rencontrent ; celui des nomades avec les sédentaires. Les oasis du Noun et du Bani , constituent la limite et la frontière du pays des sédentaires et des nomades.Mais aussi le lieu de rencontres et d'échanges, comme en témoigne Brahim Assaka chez les Aït Harbile:
Mahfoud Amangar et Brahim Assaka chez les Aït Harbile
"Nos aïeuls allaient à Tindouf. Ils y vendaient sel et dromadaires. Ceux de là bas venaient pour acheter nos céréales et nos ovins. Mes parents que Dieu ait leur âme allaient au moussem de Tindouf. Le trajet nécessitait une dizaine de jours environ. Moi-même je me suis rendu à Tindouf, en 1968, 1969, 1970. On amenait nos légumes à ce moussem d'où on ramenait dromadaires, tissus et quincailleries. On y vendait, on y achetait. Tout allait bien. Le moussem de Tindouf avait lieu le mois de mai. Les gens s'y rendaient pour en ramener des marchandises. Il passaient par Assa, Zag et puis Tindouf.".
Amhirich au sud de Goulimine, le principal souk régional de l'oued Noun
Amhirich au sud de Goulimine, est le principal souk régional nous assure Mahfoud Amangar de cette même tribu des Aït Harbil :« Les gens du Sahara s’y rendent ainsi que ceux de Mauritanie et du Mali. On y vient de Dakhla, de Smara et de Laâyoune. Ceux de l’intérieur s’y rendent aussi , d’Agadir et des Doukkala ».
Vestiges de Noul Lamta, l'Almoravide au Sud de Guelimine
Lorsque la ville de Noul Lamta l’Almoravide s’effondra au 12ème siècle sous les coups des Almohades, c’est Tagaost, qui existe encore sous le nom de Ksabi qui allait jouer un rôle important dans le commerce transsaharien . Léon l’ Africain qui séjourna treize jours dans cette ville en 1513 pour y acheter des femmes esclaves la décrit en ces termes :
La danse de la Gadra, ou "Rguiss" est spécifique à l’oued Noun. La gadra , en tant que marmite est aussi un instrument de percussion. C’est à l’origine un simple ustensile de cuisson qu’on a métamorphosé en instrument de percussion. La Gadra est donc en rapport, avec le feu sacré en tant qu'élément fondamental de la vie célébré ici par un rite : ces chanteuses qui « réchauffent » qu’on appelle hammayâtes, et ces chanteurs qu’on assimile au feu, appelé « Nar ». La danse elle- même est circulaire et donc solaire.
En allant de Sijilmassa à Wallata , Ibn Battouta s’y est arrêté au mois de mars 1352. Selon le célèbre globe trotter tangérois :
«Les dalles de sel gemme extraites par les esclaves du Massoufite tributaires de l’Empire du Mali sont transportées au Soudan. La nourriture des mineurs vient à la fois du sud Marocain, les dattes et du Soudan, le mile. »
Ibn Battouta nous montre les Massoufite ancêtres des hommes bleus associés à la vie du Mali. Il n’est donc pas étonnant que certaines musiques soudanaises soient à la fois appréciées au Soudan et au Sahara. Si bien qu’aujourd’hui, la musique au Sahara semble composée d’un ensemble d’éléments négro-berbères tardivement arabisés.
Géographie humaine! Dans cette région cohabite l'ahouach Berbère des Aït Harbil
le Tarab Hassani des Aït Oussa et les Ganga de l'oued Noun!
"Azawane", L'orchestre des Aït Oussa en pays Tekna
La guitare électrique a remplacé la tidinit des griots de jadis
Ce paysage austère et pluvieux revêt des allures poétiques pour l'épilogue d'un chant nomade :
Nos gîtes de campagne,
Sont dressés là - même où sont nos racines Sur cette étendue désertique frappée d'éclaires. Doux rêve d'hiver, sous la fine pluie et sous la tente Parfum d'herbes sèches, s'évaporant du milieu des oueds. Lointaines rumeur des bêtes sauvages. Cérémonial de thé, entre complices de l'aube. Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées Et avec le jour d'hiver qui point Chaque amant rejoint la tente des siens. Vision du désert comme centre de rayonnement mystique et comme source d'inspiration Les Ganga de l’Oued Noun
Les ganga de l'oued Noun, rappellent le temps où la kasbah du cheikh Bayrouk, était l'aboutissement des caravanes, en provenance d'Afrique. Lieu d'échange, l'oued Noun est aussi un carrefour culturel où on retrouve l'ahouach berbère de l'anti - Atlas, celui des Aït Harbile et des Aït Baâmrane, les rythmes africains Ganga, ainsi que la Gadra de l'oued Noun mêlée au tbal et au chant Hassani..
Les gangas de Guelmim (la porte du Sahara)se distinguent par un répertoire à forte influence bédouine notamment à travers le dhikr et le madih à forte connotation mystique. Dans leur chant on invoque la beauté de l’esclave m’birika (sobriquet qu’on lui donnait par référence à son maître le cheikh Bayrouk de l’Oued Noun) femmes que ramenaient les caravanes du Soudan :
Comme les filles du Soudan sont belles !
M’birika ô ma belle, on t’a amené du Soudan
On n’était pas fatigués et tu n’étais pas épuisée
M’birika ô ma belle,quand on t’a amené du Soudan
En reliant St Louis au Sénégal à Mogador vers 1850, Léopold Panet, le premier explorateur du Sahara, décrit sa rencontre avec le cheïkh Bayrouk pendant son séjour à Noun, où il avait assiste à une fête d'accueil d'une caravane en provenance de Tombouctou :
« Pendant mon séjour à Noun, j'y fut témoins d'une fête magnifique. C'était le 12 mai ; la veille, on savait qu'une grande caravane revenant de Tombouctou devait arriver le lendemain, parce qu'elle avait envoyé faire louer des tam-tams pour fêter sa rentrée. Dés sept heure du matin, les femmes des marchands arabes, qui composaient cette caravane, étaient parées de tout ce qu'elles avaient de beau en habis et en bijoux, et le tam-tam, dont le bruit assourdissant se répétait au loin, avait attiré autour d'elles une foule des deux sexes...Ceux au-devant de qui elles allaient, paraissaient à l'autre extrêmité de la plaine, laissant derrière eux leurs chameaux chargés et deux cent esclaves appartenant aux deux sexes. Le tam-tam résonna avec fracas, les drapeaux voltigèrent en l'air, les chevaux se cabrèrent de part et d'autre...La troupe forme deux haies qui reçoivent entre elles les chameaux chargés et les esclaves déguenillés, souvent nus. Les hommes continuent leur évolution guerrière avec le même enthousiasme, mais il y a moins de charme, moins de mélodie dans les chants naguère si harmonieux des femmes : elles ont tourné leur attention vers les esclaves et déjà chacune d'elles y a fait son choix. »Les maîtres de ces lieux de rassemblement de convois caravaniers, disposaient dans leurs citadelles de nombreux esclaves issus du commerce transsaharien. Les Noirs qui vivent aujourd'hui autour de ces vestiges du passé y célèbrent encore leur fête annuelle.
Le moussem annuel de ces ganga de l’oued Noun a lieu au mois de juillet à Guelmim : à la rahba (marché au grains) de Sidi H’sein où on vendait jadis les esclaves. Participaient à ce moussem annuel les gangas d’Asrir, de Tighmert, de la kasbah des Aït Baâmrane et du ksabi, lieu dit qui se trouve à l’emplacement de l’antique Tagaost.
Lieu de rencontre entre sédentaires et nomades, Guelmim, la porte du Sahara est la parfaite illustration de ce métissage culturel permanent à l’œuvre depuis des siècles dans tout le Sahara. Cela est clairement visible chez les ganga de l’oued Noun où l’on joue à la fois du tambour africain, le tambourin berbère tout en chantant en langue hassani. Ces ganga de l’oued Noun se différencient de ceux qui vivent en milieux berbère, par le fait qu’ils adoptent l’idiome et le mode de vie nomade. Certains de ces ganga travaillent comme bergers chez les chameliers et portent tous la tunique bleue typique aux nomades. La plupart des ganga du borj Bayrouk font partie de la troupe de la guedra de Guelimim qui pratique la danse du rguiss sur des airs de musique et de poésie hassani se disent originaires de Tombouctou. Ce qui prouve que le Sahara n’a jamais été une frontière infranchissable, mais bien au contraire, le lieu où s’est opéré le métissage biologique et culturel entre la négritude et la civilisation arabo – berbère.
Au Sahara existe deux types de flûtes : la flûte oblique du pays Tekna qu’on appelle zozaya et la flûte traversière de la seguiet el hamra , qu’on appelle nifara. La longue flûte oblique du berger saharien qu’on appelle zozaya est confectionnée à partir de la racine d’acacias dont on ne garde que l’écorce. Elle est ensuite recouverte de la trachée artère du bélier puis peinte de couleur écarlate. Cela permet d’un côté de donner des sons graves et mélancoliques à la flûte et d’un autre de consolider l’instrument. A Guelmim, la flûte porte deux noms : zozaya mais également tihihite pour souligner sa parenté avec la flûte enchantée du pays Haha. La nifara est la flûte du berger saharien par excellence. Cette flûte traversière est typique au chant Hassan de la seguiet el hamra.
Il est à remarquer que contrairement à la danse de la Guedra de l’oued Noun où la danseuse est tout le temps agenouillée balançant le buste et la chevelure, à la seguiet el hamra, les danseurs sont debout : le seul point commun entre les deux danses est la gestuelle des mains et des doigts. Cette danse dénommée r’guiss fait tellement partie de l’art de vivre saharien qu’il existe même une localité perdue dans le désert qui s’appelle tout simplement r’guiss, mot qui désigne la danse en dialecte Hassan.
Le Tbal (grosse timbale) est l’autre point commun entre le pays Tekna au nord et la seguiet el hamra au sud. Le tbal était d’abord voué au madih , louanges, dus au chef de la tribu. Il est aussi présent à toutes les fêtes. Au point que le mot tbal a fini par désigner non seulement l’instrument lui-même mais aussi les festivités qui se déroulent tout autour.Instrument de percussion fondamental auquel on recourt partout au Sahara. Cette grosse timbale , dont jouent essentiellement les femmes est un instrument semi sphérique pouvant atteindre un mètre de diamètre. Jadis, cet instrument appartenait au chef de fraction et de tribu comme symbole de commandement. Les hommes aussi bien que les femmes dansent au rythme du tbal. On y chante les guifân , pluriel de guef qui signifie quatrain à l’honneur de la générosité des hommes et des femmes des grandes tentes.
Tout le long de son histoire le Sahara s’est constitué à partir d’élément Sanhaja (les premiers habitants Berbères du Sahara) Soudanais, et Arabes Hassan venus s’y établir à partir du 11ème siècle. Le dialecte arabe Hassan qu’on parle au Sahara comprend à côté de quelques mots soudanais, un grand nombre de mots et de toponymes Berbères, tel le lieu dit tagant(qui signifie forêt en berbère) berceau de la musique savante des griots sahariens en Mauritanie.
Abdelkader Mana
12:55 Écrit par elhajthami dans Histoire, Musique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sahara | | del.icio.us | | Digg | Facebook