28/09/2010
La porte du Sahara
Tariq Lamtouna : la voie des Almoravides
Au milieu de paysages dénudés qui annoncent déjà le désert, des oasis sporadiques émergent ça et là, comme dernier refuge d’une culture qu’irriguent de multiples courts d’eau descendant des derniers contreforts de l’anti – atlas pour former le fameux oued Noun qui donne son nom à tout ce Maroc présaharien. Au-delà de l’anti-atlas , s’étend une vaste zone semi – désertique où voisinent les montagnes et les oasis . C’est le Maroc saharien. Quelques greniers collectifs comme ceux d’Imtdi , fraction des Aït Harbile, reflètent la vieille tradition villageoise du Sous extrême. Ce sont des greniers à caractère de citadelles imprenables construites souvent sur un éperon rocheux. Ces Agadirs inaccessibles servent de magasins pour des tribus semi – pastorales. Ils se dressent encore émouvants à chaque piton rocheux du Bani dont la chaîne étroite et vive comme un arrêt, veille le long du désert.
Grenier collectif d'IMTDI, fraction de la tribu des Aït Harbile
C’était un rempart naturel , au lieu même où deux mondes se rencontrent ; celui des nomades avec les sédentaires. Les oasis du Noun et du Bani , constituent la limite et la frontière du pays des sédentaires et des nomades.Mais aussi le lieu de rencontres et d'échanges, comme en témoigne Brahim Assaka chez les Aït Harbile:
Mahfoud Amangar et Brahim Assaka chez les Aït Harbile
"Nos aïeuls allaient à Tindouf. Ils y vendaient sel et dromadaires. Ceux de là bas venaient pour acheter nos céréales et nos ovins. Mes parents que Dieu ait leur âme allaient au moussem de Tindouf. Le trajet nécessitait une dizaine de jours environ. Moi-même je me suis rendu à Tindouf, en 1968, 1969, 1970. On amenait nos légumes à ce moussem d'où on ramenait dromadaires, tissus et quincailleries. On y vendait, on y achetait. Tout allait bien. Le moussem de Tindouf avait lieu le mois de mai. Les gens s'y rendaient pour en ramener des marchandises. Il passaient par Assa, Zag et puis Tindouf.".
Amhirich au sud de Goulimine, le principal souk régional de l'oued Noun
Amhirich au sud de Goulimine, est le principal souk régional nous assure Mahfoud Amangar de cette même tribu des Aït Harbil :« Les gens du Sahara s’y rendent ainsi que ceux de Mauritanie et du Mali. On y vient de Dakhla, de Smara et de Laâyoune. Ceux de l’intérieur s’y rendent aussi , d’Agadir et des Doukkala ».
Vestiges de Noul Lamta, l'Almoravide au Sud de Guelimine
Lorsque la ville de Noul Lamta l’Almoravide s’effondra au 12ème siècle sous les coups des Almohades, c’est Tagaost, qui existe encore sous le nom de Ksabi qui allait jouer un rôle important dans le commerce transsaharien . Léon l’ Africain qui séjourna treize jours dans cette ville en 1513 pour y acheter des femmes esclaves la décrit en ces termes :
La danse de la Gadra, ou "Rguiss" est spécifique à l’oued Noun. La gadra , en tant que marmite est aussi un instrument de percussion. C’est à l’origine un simple ustensile de cuisson qu’on a métamorphosé en instrument de percussion. La Gadra est donc en rapport, avec le feu sacré en tant qu'élément fondamental de la vie célébré ici par un rite : ces chanteuses qui « réchauffent » qu’on appelle hammayâtes, et ces chanteurs qu’on assimile au feu, appelé « Nar ». La danse elle- même est circulaire et donc solaire.
En allant de Sijilmassa à Wallata , Ibn Battouta s’y est arrêté au mois de mars 1352. Selon le célèbre globe trotter tangérois :
«Les dalles de sel gemme extraites par les esclaves du Massoufite tributaires de l’Empire du Mali sont transportées au Soudan. La nourriture des mineurs vient à la fois du sud Marocain, les dattes et du Soudan, le mile. »
Ibn Battouta nous montre les Massoufite ancêtres des hommes bleus associés à la vie du Mali. Il n’est donc pas étonnant que certaines musiques soudanaises soient à la fois appréciées au Soudan et au Sahara. Si bien qu’aujourd’hui, la musique au Sahara semble composée d’un ensemble d’éléments négro-berbères tardivement arabisés.
Géographie humaine! Dans cette région cohabite l'ahouach Berbère des Aït Harbil
le Tarab Hassani des Aït Oussa et les Ganga de l'oued Noun!
"Azawane", L'orchestre des Aït Oussa en pays Tekna
La guitare électrique a remplacé la tidinit des griots de jadis
Ce paysage austère et pluvieux revêt des allures poétiques pour l'épilogue d'un chant nomade :
Nos gîtes de campagne,
Sont dressés là - même où sont nos racines Sur cette étendue désertique frappée d'éclaires. Doux rêve d'hiver, sous la fine pluie et sous la tente Parfum d'herbes sèches, s'évaporant du milieu des oueds. Lointaines rumeur des bêtes sauvages. Cérémonial de thé, entre complices de l'aube. Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées Et avec le jour d'hiver qui point Chaque amant rejoint la tente des siens. Vision du désert comme centre de rayonnement mystique et comme source d'inspiration Les Ganga de l’Oued Noun
Les ganga de l'oued Noun, rappellent le temps où la kasbah du cheikh Bayrouk, était l'aboutissement des caravanes, en provenance d'Afrique. Lieu d'échange, l'oued Noun est aussi un carrefour culturel où on retrouve l'ahouach berbère de l'anti - Atlas, celui des Aït Harbile et des Aït Baâmrane, les rythmes africains Ganga, ainsi que la Gadra de l'oued Noun mêlée au tbal et au chant Hassani..
Les gangas de Guelmim (la porte du Sahara)se distinguent par un répertoire à forte influence bédouine notamment à travers le dhikr et le madih à forte connotation mystique. Dans leur chant on invoque la beauté de l’esclave m’birika (sobriquet qu’on lui donnait par référence à son maître le cheikh Bayrouk de l’Oued Noun) femmes que ramenaient les caravanes du Soudan :
Comme les filles du Soudan sont belles !
M’birika ô ma belle, on t’a amené du Soudan
On n’était pas fatigués et tu n’étais pas épuisée
M’birika ô ma belle,quand on t’a amené du Soudan
En reliant St Louis au Sénégal à Mogador vers 1850, Léopold Panet, le premier explorateur du Sahara, décrit sa rencontre avec le cheïkh Bayrouk pendant son séjour à Noun, où il avait assiste à une fête d'accueil d'une caravane en provenance de Tombouctou :
« Pendant mon séjour à Noun, j'y fut témoins d'une fête magnifique. C'était le 12 mai ; la veille, on savait qu'une grande caravane revenant de Tombouctou devait arriver le lendemain, parce qu'elle avait envoyé faire louer des tam-tams pour fêter sa rentrée. Dés sept heure du matin, les femmes des marchands arabes, qui composaient cette caravane, étaient parées de tout ce qu'elles avaient de beau en habis et en bijoux, et le tam-tam, dont le bruit assourdissant se répétait au loin, avait attiré autour d'elles une foule des deux sexes...Ceux au-devant de qui elles allaient, paraissaient à l'autre extrêmité de la plaine, laissant derrière eux leurs chameaux chargés et deux cent esclaves appartenant aux deux sexes. Le tam-tam résonna avec fracas, les drapeaux voltigèrent en l'air, les chevaux se cabrèrent de part et d'autre...La troupe forme deux haies qui reçoivent entre elles les chameaux chargés et les esclaves déguenillés, souvent nus. Les hommes continuent leur évolution guerrière avec le même enthousiasme, mais il y a moins de charme, moins de mélodie dans les chants naguère si harmonieux des femmes : elles ont tourné leur attention vers les esclaves et déjà chacune d'elles y a fait son choix. »Les maîtres de ces lieux de rassemblement de convois caravaniers, disposaient dans leurs citadelles de nombreux esclaves issus du commerce transsaharien. Les Noirs qui vivent aujourd'hui autour de ces vestiges du passé y célèbrent encore leur fête annuelle.
Le moussem annuel de ces ganga de l’oued Noun a lieu au mois de juillet à Guelmim : à la rahba (marché au grains) de Sidi H’sein où on vendait jadis les esclaves. Participaient à ce moussem annuel les gangas d’Asrir, de Tighmert, de la kasbah des Aït Baâmrane et du ksabi, lieu dit qui se trouve à l’emplacement de l’antique Tagaost.
Lieu de rencontre entre sédentaires et nomades, Guelmim, la porte du Sahara est la parfaite illustration de ce métissage culturel permanent à l’œuvre depuis des siècles dans tout le Sahara. Cela est clairement visible chez les ganga de l’oued Noun où l’on joue à la fois du tambour africain, le tambourin berbère tout en chantant en langue hassani. Ces ganga de l’oued Noun se différencient de ceux qui vivent en milieux berbère, par le fait qu’ils adoptent l’idiome et le mode de vie nomade. Certains de ces ganga travaillent comme bergers chez les chameliers et portent tous la tunique bleue typique aux nomades. La plupart des ganga du borj Bayrouk font partie de la troupe de la guedra de Guelimim qui pratique la danse du rguiss sur des airs de musique et de poésie hassani se disent originaires de Tombouctou. Ce qui prouve que le Sahara n’a jamais été une frontière infranchissable, mais bien au contraire, le lieu où s’est opéré le métissage biologique et culturel entre la négritude et la civilisation arabo – berbère.
Au Sahara existe deux types de flûtes : la flûte oblique du pays Tekna qu’on appelle zozaya et la flûte traversière de la seguiet el hamra , qu’on appelle nifara. La longue flûte oblique du berger saharien qu’on appelle zozaya est confectionnée à partir de la racine d’acacias dont on ne garde que l’écorce. Elle est ensuite recouverte de la trachée artère du bélier puis peinte de couleur écarlate. Cela permet d’un côté de donner des sons graves et mélancoliques à la flûte et d’un autre de consolider l’instrument. A Guelmim, la flûte porte deux noms : zozaya mais également tihihite pour souligner sa parenté avec la flûte enchantée du pays Haha. La nifara est la flûte du berger saharien par excellence. Cette flûte traversière est typique au chant Hassan de la seguiet el hamra.
Il est à remarquer que contrairement à la danse de la Guedra de l’oued Noun où la danseuse est tout le temps agenouillée balançant le buste et la chevelure, à la seguiet el hamra, les danseurs sont debout : le seul point commun entre les deux danses est la gestuelle des mains et des doigts. Cette danse dénommée r’guiss fait tellement partie de l’art de vivre saharien qu’il existe même une localité perdue dans le désert qui s’appelle tout simplement r’guiss, mot qui désigne la danse en dialecte Hassan.
Le Tbal (grosse timbale) est l’autre point commun entre le pays Tekna au nord et la seguiet el hamra au sud. Le tbal était d’abord voué au madih , louanges, dus au chef de la tribu. Il est aussi présent à toutes les fêtes. Au point que le mot tbal a fini par désigner non seulement l’instrument lui-même mais aussi les festivités qui se déroulent tout autour.Instrument de percussion fondamental auquel on recourt partout au Sahara. Cette grosse timbale , dont jouent essentiellement les femmes est un instrument semi sphérique pouvant atteindre un mètre de diamètre. Jadis, cet instrument appartenait au chef de fraction et de tribu comme symbole de commandement. Les hommes aussi bien que les femmes dansent au rythme du tbal. On y chante les guifân , pluriel de guef qui signifie quatrain à l’honneur de la générosité des hommes et des femmes des grandes tentes.
Tout le long de son histoire le Sahara s’est constitué à partir d’élément Sanhaja (les premiers habitants Berbères du Sahara) Soudanais, et Arabes Hassan venus s’y établir à partir du 11ème siècle. Le dialecte arabe Hassan qu’on parle au Sahara comprend à côté de quelques mots soudanais, un grand nombre de mots et de toponymes Berbères, tel le lieu dit tagant(qui signifie forêt en berbère) berceau de la musique savante des griots sahariens en Mauritanie.
Abdelkader Mana
12:55 Écrit par elhajthami dans Histoire, Musique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sahara | | del.icio.us | | Digg | Facebook
18/08/2010
Musique et plaisir au Sahara
Les poètes errants
Au Sahara on raconte l’histoire d’un vieil homme dont le goût pour la musique était resté si vif qu’il se glissait en cachette vers la tente où les jeunes gens se divertissaient avec les griots, tente où il ne pouvait apparaître publiquement en raison de son âge. Ne pouvant répondre directement aux moqueries de la jeunesse, il le fit par l’intermédiaire d’un quatrain qu’il donna à chanter aux musiciens :
Il m’a fallu aller vers la musique
Certes, ce n’est plus de mon âge
Je suis trop vieux, mais l’épée de pur acier
Le vent l’aiguise, la rajeunit
La poésie Hassani est d’abord un chant produit et chanté par ces « Iggaoun » dont l’art s’apparente à la fois aux griots africains, aux bardes Berbères et aux poètes arabes de la période anté-islamique.Le Cheikh Ma El Aïnine (mort en 1910 à Tiznit, après avoir édifier une zaouia à Smara) était né en 1830 dans le Hod, un des principaux émirats du désert avec celui d’Adrar, de Trarza, de Tagant ; berceau de la musique savante des griots sahariens, ces poètes errants. La Mauritanie est le pays de ces « Iggaoun », ces griots, poètes - musiciens qui de tout temps remontaient en grand nombre vers la mythique seguiet el hamra , jusqu’aux portes du Sahara au marché des chameaux de Guelmim où ils sont fêtés avec faste par l’hospitalité, et par l’offrande. Ces poètes errants allaient de campement en campement, pour chanter les louanges des chefs des grandes tentes du Sahara. Pour accueillir les invités, pour les mettre à l’aise, on leur sert le thé et le lait de la chamelle engraissée, aux rythmes et aux parfums qui enivrent. Ainsi parlait le poète Hassani de ce signe distinctif d’hospitalité et de convivialité qui revêt une place particulièrement importante dans l’art de vivre saharien. :
De la tente dressée s’élèvent
La fumée des festins, les chants,
Et les troublantes beautés de Satan !
Voici qu’arrivent les bardes avec leur luth
Ils sont comblés de bijoux et de soyeux tissus
On leur offre méharis et chevaux racés !
Filles pudiques et belles,
Vous êtes la parure de nos tentes!
Comme ce fut le cas chez les anciens arabes, dans la société Hassani, chaque familles d’artistes dépend d’une tribu particulière,. Elle est dite « la famille de telle tribu ». Chaque tribu dispose ainsi de ses propres musiciens et poètes qui sont pour ainsi dire ses portes parole au niveau de la société toute entière. Ces artistes dont l’art est codifié par des règles, sont les « Iggaoun », qui jouent ainsi un rôle particulier au sein de leur tribu. Ces familles d’artistes ont un degré de compétence variable d’une tribu l’autre, ce qui est somme toute normal pour des musiciens. Il y a en effet des musiciens qui ont atteint des sommets et qui font l’objet d’admiration aussi bien chez les gens de leur tribu que chez les gens en dehors d’elle. Ces artistes accomplis sont reconnus aussi bien au Sahara qu’en Mauritanie. C’est le cas de ces familles qu’on appelle « Ahl Aïdda » et « Ahl Abba » qui sont au sommet au niveau de la poésie. On donne l’exemple de la tribu T’kenta : les poètes de cette tribu, leur chant harmonieux, et leur maîtrise musicale sont tels qu’il sont reconnus unanimement comme les meilleurs dans toute la société nomade Hassani.
Je suis venu sans prévenir
Et j’ai trouvé le thé déjà servi par mon hôte
Que Dieu bénisse le chef de tente qui le sert
De même que le caravanier venu de loin qui en boit
L’ensemble instrumental Hassani se dénomme « Azaouan », et le chant « haoul » par référence à l’empreinte profonde qu’il laisse chez l’auditoire comparable à la notion de tarab chez les anciens d’Arabie avec comme soubassement, les valeurs nomades d’honneur et d’hospitalité…Dans ces attachantes étendues solitaires, été comme hiver, s’est développé un art musical complexe en particulier à l’ombre des émirs des Trarza et des Brakna dont l’influence englobe l’antique Lamtouna, le pays de ces hommes voilés du désert où l’art musical est indissociable de l’art poétique. A poésie raffinée, musique savante.
Voici le puissant mâle
Se pavanant au milieu des chamelles !
Ô miracle du progrès !
Des véhicules tous terrains gardent maintenant le troupeau :
Cahotant sur les dunes !
Sur leurs sveltes montures, les guerriers paradent
Protégeant l’immense troupeau, de la rapine,
De la peur et des coupeurs de routes.
Quel beau pays où de tout temps
Les poètes surgissent de nulle part !
La zaouia du cheikh Ma el Aïnin à Smara
La seguiet el hamra se jette dans la mer. C’est« Foum el Oued », le delta de la seguiet el hamra, avec ses méandres d’eaux dormantes aux reflets d’acier serpentant vers la mer. Voilà tout ce qui existait avant que ne surgisse non loin de là, la ville de Laâyoun et avec elle la sédentarisation des nomades. Ce paysage austère et pluvieux revêt des allures poétiques pour l’épilogue d’un chant nomade :
Nos gîtes de campagne,
Sont dressés là - même où sont nos racines
Sur cette étendue désertique frappée d’éclaires.
Doux rêve d’hiver, sous la fine pluie et sous la tente
Parfum d’herbes sèches, s’évaporant du milieu des oueds.
Lointaines rumeur des bêtes sauvages.
Cérémonial de thé, entre complices de l’aube.
Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées
Et avec le jour d’hiver qui point
Chaque amant rejoint la tente des siens.
Le « tbal » est l’instrument de percussion le plus emblématique du Sahara. Il est composé d’une peau tendue et tendre. Toute la troupe de musique dépend, de la percussion du « Tbal ». Mais nous avons aussi des instruments de musique qui sont venus de Mauritanie, telle que la harpe appelée «Ardine »dont joue la femme et le luth appelé « Tidinite » dont joue l’homme. « Ardine » est très répondue en Afrique subsaharienne .Le recours à cette harpe Africaine est un effet du métissage culturel avec l’Afrique Noire. C’est le résultat d’ un métissage culturel qui est issu historiquement des rapports anciens existants entre le Sahara et le reste de l’Afrique .
La zaouia du cheikh Ma el Aïnin à Smara
C’est à la seguiet el hamra , que nous avons rencontré Abba Ould Baddou, l’un des meilleurs musiciens de Tidinit, puisque son oncle est le grand poète de la tribu Kanta, mort en 1958. Tous deux issus de la grande lignée de griots dont l’origine remonte à Saddoum Wal N’dartou , célèbre musicien et poète errant du 18ème siècle.Il nous a joué des morceaux de la Tidinit, ce luth à quatre cordes dont joue exclusivement les hommes par opposition à la harpe dénommée Ardine dont joue les femmes.La caisse de Tidinit est creusée dans une pièce de bois unique de forme allongée mesurant 40 à 50 centimètres de long, rappelle étrangement le gunbri des Gnaoua. La table d’harmonie est en peau de bœuf, non tannée. Le manche s’appuie d’un côté sur le bord de la caisse et de l’autre, il est retenu par la peau elle-même dont il est étroitement solidaire. On distingue les deux cordes médianes qui sont les plus longues sur lesquelles le musicien joue la mélodie et les deux cordes les plus courtes qui sont situées de part et d’autre des premières. Les cordes sont plus pressées dans la noirceur et sont plus souvent à vide dans la blancheur. Dans la noirceur, l’échelle modale est plus complexe : elle comprend plus de degrés mobiles. Les griots disent que la noirceur est plus touffue, plus confuse. La blancheur plus clair et plus simple.
Sur le plan des formes musicales, la musique au Sahara présente deux aspects :
Un aspect blanc, Janba Lbayda considéré comme plus doux et plus agréable. Et un aspect noir, Janba Lkahla, qui cherche moins à plaire qu’à exciter. Le premier correspond à la fonction de divertissement de la musique, plus adapté au Ghazal , aux chansons d’amour. Le second est plus adapté à la guerre et aux honneurs. Ici, le nom des partitions musicales vient souvent des lieux et des circonstances qui l’ont vu naître. Raison pour laquelle ces noms nous semblent à la fois étranges et indéchiffrables. C’est le cas du sous mode musical de la « voie blanche » (Janba Lbayda), qui porte le nom du pâturage où ce morceau de musique est né. Comme il y a un autre sous mode musical appelé la foudre en raison de son enthousiasme guerrier.
- La voie blanche : de l’aube à la mi - journée.
- La voie noire : du crépuscule au milieu de la nuit.
- Et Labteit, du milieu de la nuit au levé du soleil. Le Ghazal, poème lyrique et le madh, les louanges, sont des états de grâce à qui le mode musical labteit convient le mieux. Ce mode musical est généralement associé à la tristesse et à la nostalgie.
Chaque mode musical fait entrer l’auditeur dans un univers sonore et affectif particulier. Les modes se subdivisent à leur tour en sous modes, qui les « colorent » d’une manière particulière en renforçant les sentiments qui leur sont associés. Cette « coloration » varie du noir au blanc. Est senti comme « blanc », ce qui donne une impression de douceur, comme le timbre des voix féminines et comme « noir » ce qui donne une impression de force tel le cri du chameau. L’épilogue de ces modes musicaux est dénommé « labteït ». Dés que le luthiste de Tidinite, ou maintenant l’orgue électrique , entame tel ou tel mode musical, l’oreille éduquée du chanteur sait exactement quels types de chants convient le mieux : il comprend . Dés les premières notes, qu’on est passé d’un mode musical à un autre. L’exécution musicale change et la versification qui l’accompagne aussi. Du début à la fin, les modes musicaux sont déclinés selon un ordre précis : au cours d’un concert les modes doivent toujours être joué dans l’ordre. Chaque mode est associé à un sentiment. Il prend une coloration affective qui va du noir au blanc. On passe ainsi par gradation du sous mode Noir dit « Lakhal » au sous mode Blanc dit « Labyad ».Prenons l’exemple du prélude dit « Ibnou Wahib », il correspond à un état affectif très différent de celui qui caractérise l’épilogue dit « Labteït » .De sorte que ce qui se chante en l’un ne peut se chanter en l’autre, au risque de provoquer une dissonance. Il faut que le contenu du poème ait la même coloration affective que le mode musical où il est chanté.
Les cantatrices du désert
La cantatrice accomplie se reconnaît à la parfaite homogénéité qui existe entre sa technique vocale et instrumentale. Non seulement son luth parle clairement, mais aussi elle imite parfaitement le luth avec sa voix. Le chant est dénommé « haoul » par référence à l’empreinte profonde qu’il laisse chez l’auditoire comparable à la notion de tarab chez les orientaux.
Originaire de la tribu des Oulad Tidrarine, dont il est l’un des principaux poètes, Abba Mohamed Rouijel, a dédié cette qasida à Sektou la fameuse cantatrice de Mauritanie:
Sektou, la plus belle des voix !
Celle qui ne cesse d’embellir chaque jour davantage !
Nul ne peut égaler ton jeu de harpe
Le bon Dieu qui t’a distingué par une belle apparence
Eloignera de toi les mauvais oeils et les regards jaloux !
Tout en toi est grâce et beauté ;
Si tu es belle pour ce que tu révèles,
Tu es encore plus belle pour ce que tu dissimules !
Tes mains enduites de henné, tes doigts fins et effilés
Sont faits pour caresser la harpe,
Tressant musique et poésie !
C’est ta belle voix qui ouvre les veillées musicales du désert
Parcourant avec une aisance incomparable
Versifications nomades et modes musicaux sahariens :
J’ai nommé Baygui, Âddal et Fâqû
J’ai nommé Sayni, Karr, et N’tamass
J’ai nommé Lakhal, Mraïmida et Nyama
Le cliquetis de ta chevillière accompagne ta harpe
C’est à toi, digne héritière du grand Saddoun Wal N’dartou
Que je dédie mes poèmes !
Et à ceux qui me le reprocheraient, je réponds :
De tes immenses mérites, je n’ai encore rien révélé…
C’est au 18ème siècle que Saddûm Wall N’dartou allia la forme poétique de la qasida à un nouveau style musical divisé en deux voies, l’une blanche et l’autre noire :Le premier style musical est de caractère arabe, et le second est inspiré de la musique des noirs. D’ailleurs plusieurs sous-modes portent des noms soudanais comme celui de « Sayni Bambara ».Le griot, autrefois, était attaché au service d’une famille noble dont il partageait étroitement la vie. Maintenant il appartient à tout le monde, c'est-à-dire à ceux qui le payent et non à ceux qui le faisaient vivre. Autrefois, considérés comme mémoire collective de leur tribu, maintenant, ces griots qu’on appelle « Iggaouen », ici comme en Mauritanie, sont devenus plus perméables aux influences poétiques et aux modes instrumentales venus d’ailleurs. L’émergence d’une parole poétique féminine, auparavant tenue pour secrète, et de nos jours articulée à haute voix, transmise sur les ondes de la station régionale de Laâyoun, constitue une rupture dans le statut de la femme Sahraouie. La divulgation des textes poétiques féminins, est corrélative des mouvements de sédentarisation et d’urbanisation.
Les griots et les cantatrices quittent ainsi les campements du désert pour une vie plus urbaine où ils ont plus l’occasion de se reproduire, en tant que groupe folk saharien, mêlant les instruments de musique traditionnels aux instruments électriques modernes.
Abdelkader Mana
03:21 Écrit par elhajthami dans Documentaire, Musique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sahara | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le chant des chameliers
Le chant des chameliers
Par Abdelkader Mana
En souvenir de ma mère et de mon père qui étaient encore de ce monde lors de la rédaction de ce texte pour les documentaires "le chant des chameliers" et "les poètes errants"
Les anciens égyptiens appelaient le pays berbère maghrébin Tahennou , c'est-à-dire le pays des hommes libres qui s’enduisent le corps au henné. Dans le dessin au henné saharien ce qui est significatif, ce n’est pas le plein mais le vide. Le henné ne vient pas souligner le motif lui – même mais ses marges tout autour. De sorte que le sens s’inscrit dans le vide et non dans le plein. Mais c’est dans cette dialectique entre le vide et le plein que s’inscrit le symbole de la pensée nomade. De la même manière, le Sahara, en tant que pays nomade ne peut être compris que dans un permanent échange avec le monde sédentaire.
O belle fille, remets – moi ma tunique bleue
Car moi aussi je vais me rendre à la grande fête de walata !
Le R'guiss, la danse de feu et de flamme de la Guedra de Guelimim
La fête autour de la grosse timbale est l’occasion de réjouissances et de danses, de R’guiss. Pour les femmes cette danse met particulièrement en valeur la gestuelle de la main et les envolées de la chevelure. Elle est généralement précédée par un rituel de henné et de tresse de chevelure en vue du r’guiss, la danse des bouts du corps, des doigts et des tresses : on prend particulièrement soins de la chevelure de la future mariée qu’on tresse à la manière africaine. Seuls peuvent prendre part à la danse les vierges, les jeunes veuves et les divorcées. Jamais une femme mariée. C’est une magnifique occasion pour les jeunes gens de choisir leur fiancée. C’est aussi l’occasion pour les hommes de parader devant les femmes et de montrer leurs talents de chanteurs et de poètes :
Désert, comme tu es vaste !
Et comme pénible la traversée de tes immenses espaces.
Désert traversé par un jeune chamelier monté sur un méhari
Qui a vaincu la famine et la soif.
Quelle peine se donne ce jeune chamelier
Pour se rapprocher de celle qui m’a percé de ses cils
Elle a une chevelure abondante qui retombe sur sa poitrine
Avec des tresses comme des épis et des mèches qui s’éparpillent
Une chevelure tombant sur un sein qu’on devine sous une robe échancrée
Un désert où manque la fille de ma génération
Un désert aux immensités sans fin qui nous sépare
Des demeures de celle au double bracelet
Sa taille est celle d’un palmier femelle aux longues palmes retombantes
Nourri dans un terrain plat et bien travaillé
Où coule l’eau qui n’est pas gêné par le sable.
Un désert traversé seulement par un jeune homme
Qui se dit prêt à tout affronter pour rejoindre celle à la robe écarlate.
Le collier au cou comme un vaisseau dont on déploie les voiles
Sa monture va courir vers celle qui a les doigts teints de henné.
Un désert où nulle part aucun son ne se fait entendre
Aucune voix ne vient d’aucune dune
C’est cette étendue vide qui me sépare de ma bien aimée
Pour traverser ce désert, il faut un jeune homme
Monté sur un méhari bien dressé
Et l’étape est si longue qu’il doit la commencer la nuit.
Cette monture est un étalon dont la généalogie est connue pour dix générations
Et sa mère est une chamelle d’une race aussi noble
Que celle du père d’entre les plus belles chamelles
Ce méhari a été élevé dans une plaine
Où l’herbe a poussé dés les premières pluies
C’est un chameau qui allait paître parmi les gazelles
Ces maîtres l’ont amené à l’apogée de la canicule
Il court avec ardeur attiré par une flamme qui le brûle
Comme elle a brûlé son maître.
Son maître et lui ont partagé le même secret
Mon Dieu ! Raccourci la distance qui me sépare de l’ami !
Si tu avais la chance, la confiance et l’audace
Tu te jetterais dans les profondeurs de la mer !
Au Sahara, le chant des chameliers, al-haoul, est désigné ainsi non pas par sa vertu intrinsèque, mais par l’émotion esthétique, par la terreur sacrée qu’il provoque chez l’auditeur. Al-haoul est également synonyme de cette nostalgie qu’éprouve le chamelier en découvrant avec désolation que du campement de la bien aimée, il ne reste plus que des ruines. C’est ce qui a d’ailleurs donné naissance à un genre poétique typiquement nomade, celui des pleureuses des ruines qu’on appelle Atlal. A ces chants de chameliers, nous dit Ghazali, même les chameaux sont sensibles, au point qu’en les entendant, ils en oublient le poids de leur charge et qu’ainsi excités, ils tendent leurs cous et n’ont plus d’oreilles que pour le chanteur, ils sont capable de se tuer à force de courir. Or nous dit Ghazali, ces chants de chameliers ne sont rien d’autre que des poèmes pourvus de sons agréables et de mélodies mesurées.
La troupe de la Guedra de Guelmim: la porte du Sahara
La pourpre Gétule
Presse le pas vers la bien aimée
O troupeau de chameaux en quête de pâturages !
Suit le zéphire qui souffle d’Ouest en Est
C’est au bord de l’Océan que les herbes sont abondantes
Le Tbal instrument de guerre, instrument sacré
C’est en effet, le long de la côte que les brouillards fréquents et les influences marines rendent les pâturages relativement abondants. Sur toute la côte marocaine, les auteurs anciens évoquent « la pourpre Gétule ». A hauteur de l’île fortunée, la plus importante des îles Canaries, certains archéologues identifient la mythique île de Cernée entre Cap Tarfaya et Cap Bojador. D’autres la situe au niveau de l’île de Mogador. Sur ces rivages, la présence de monceaux de coquillages purpura haemastoma et de murex , nous apportent la preuve d’une industrie très active, sur toute la côte marocaine, évoquée par les auteurs anciens lorsqu’ils citent « la pourpre Gétule ». On sait combien les Romains du temps de Juba II, ont recherché ce précieux coquillage qui secrète la pourpre et quelle teinture renommée on fabriquait avec ce produit de la mer. Des textes de l’époque romaine mentionnent des pêcheries et des ateliers sur divers points du littorale marocain vraisemblablement sur l’île de Mogador et à l’embouchure de la Seguiet el Hamra( la source couleur pourpre). Horace et Ovide, vantaient les vêtements somptueux teints de pourpre Gétule. On appelait Gétule, les populations Berbères nomades qui vivaient au Sud des provinces romaines d’Afrique. On peut donc admettre que la pourpre Gétule provenait de la côte Atlantique du Maroc. Cette teinture dont les nuances allaient du rouge au violet et au bleu verdâtre, dont on imprégnait les étoffes de laine et de soie était si estimée. Pomponius Mêla, nous dit à ce propos :
« Les rivages que parcourent les Négrites et les Gétules ne sont pas complètement stériles : ils produisent le purpura et le murex qui donnent une teinte d’excellente qualité, célèbre partout où on pratique l’industrie de teinturerie. »
Le trafic transsaharien entre Gétules, les Berbères du Maroc, dont nous parlent les auteurs antiques et les éthiopiens du Bilad Soudan, le pays des Noirs, remonte certes à l’antiquité, mais il n’a pris véritablement son essor qu’avec l’avènement de la conquête arabe du Maghreb au huitième siècle. Il connaîtra une poussée considérable sous les Almoravides et les Almohades. Il ne fait pas de doute que c’est la quête de l’or qui fait traverser aux marocains le Sahara pour rejoindre le pays des Noirs. Cette route qui menait au Sénégal et au royaume de Shanghai passait à travers les Regraga, les Gzoula et les Sanhaja.
La voie blanche et la voie noire
La zaouia du Cheikh Ma El Aïnin à Smara
Oued Eddahab tira son nom de l’or que transportaient depuis l’antiquité les caravanes arabes en provenance de « Bilad Soudan » (le pays des noirs). Pour la même raison le territoire fut surnommé « Rio de Oro » par les portugais, en raison de l’or que les habitants du Sahara atlantique y donnèrent aux portugais pour racheter quelques captifs. « Dans tout ce pays , écrivais le chroniqueur portugais Gomès, il n’y a pas d’autres chemins sûrs que ceux du bord de la mer. Les Maures ne se dirigeaient que par les vents, comme on fait sur mer. »
Le métissage Soudano – Berbère, chez les poètes – musiciens du Sahara, du nom d’Iggaoun a produit la répartition de leur chant en « voie blanche » (Janba Lbayda), et « voie noire » (Janba Lkahla). La « voie noire » serait d’origine africaine, elle est marquée par des rythmes chauds. Et « la voie blanche » serait d’origine arabe et se distingue par des rythmes apaisés. Le mode musical africain – dit pentatonique – reste cependant dominant. On cite ce poète qui se trouvait en dehors du Sahara, dans les terres de Foullan au Soudan et qui avait ressenti de la nostalgie pour sa terre d’origine. Dans sa poésie il prie le seigneur de le transporter de l’Afrique Noir où il se trouvait, et de le ramener à cette terre, sa terre.
Ibn Battouta a pu témoigner de ce métissage culturel entre les Baydan le nomades blancs du Sahara et Noirs du Mali :
« Le jour des deux fêtes, écrivait – il, on prépare pour Dougha un fauteuil élevé, sur lequel il s’assied, il touche un instrument de musique fait avec des roseaux et pourvu de grelots à sa partie inférieure. Il chante une poésie à l’éloge du Souverain, où il est question de ses entreprises guerrières, de ses exploits, de ses hauts faits. Ses épouses et ses femmes esclaves chantent avec lui et jouent avec des arcs. Ensuite viennent les enfants ou jeunes gens, les disciples de Dougha, ils jouent, sautent en l’air. Le Souverain ordonne de lui faire un beau présent. On apporte une bourse renfermant deux cent Mithqâls(pièce de monnaie en or). Le lendemain, chacun suivant ses moyens fait à Dougha un cadeau. On m’a assuré que c’est là une habitude très ancienne, antérieure à l’introduction de l’islamisme parmi ces peuples »
La zaouia du Cheikh Ma El Aïnin à Smara
Pour la société nomade, le chant Hassani se divise en deux parties :La première composante concerne ces familles spécialisées dans le chant Hassani et que nous appelons « Iggaoun ». Ils héritent de cet art de père en fils. Ils chantent en suivant un ordre précis de versification et de modes musicaux sahariens. Ces modes musicaux se composent des cinq parties suivantes : Karr, Fâqû , Lakhâl, Labyad, et enfin Labteït. Chacun de ces modes musicaux sahariens se décompose à son tour en deux sous – modes qui sont soit « blanchi » soit « noirci ».
La description de leur système modal par les Sahraouis sent un peu la construction intellectuelle mais elle ne manque pas de poésie : Le premier mode karr , est associé aux premiers âges de la vie, à la joie, au plaisir, c’est là qu’on chante les louanges du Prophète. Puis vient avec Fâqû la vigueur associée à des idées de fierté.. Sénima correspond à l’âge mûr et à des sentiments variés allant de l’amour à la tristesse. Enfin labteït , avec la vieillesse, apporte la nostalgie, la poésie du souvenir.
Abdelkader Mana
03:16 Écrit par elhajthami dans Documentaire, Musique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sahara | | del.icio.us | | Digg | Facebook