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19/09/2010

Pierre Bidart n'est plus!

L'anthropologue basque a été découvert mort à Sofia, où il venait de débuter une mission culturelle auprès de l'ambassade de France en Bulgarie.

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Cet été j'étais parmi les invités de Pierre Bidart à l'Université Européenne d'Anthropologie, organisée cette année sous le thème "Islam et modernité". Il a veillé personnellement sur mes problèmes de déplacement et de séjour en France. Et une fois sur place il a tenu à ce que je prenne la parole à son colloque et est venu se mettre au premier rang pour m'écouter avec sympathie. Depuis lors j'ai pris l'habitude de prendre de ses nouvelles sur Iernet. Ce dimanche 19 septembre 2010, tôt le matin j'apprends avec affliction sa brutale disparition alors qu'il venait à peine de prendre ses nouvelles fonctions d'attaché culturel à SOFIA.  Il disparait ainsi prématuremment à l'âge de 63 ans.Spécialiste des questions régionales, je m'attendais à reprendre contacte avec lui sur cette problématique . Et  juste après mon retour du colloque international d'Irrissary en pays Basque, je lui avais adressé la lettre de remerciements suivantes:

Au

                                                       Professeur Pierre BIDART
                                                       Université de Bordeaux 2
                                                      Département d'anthropologie                      


Cher  professeur,

   Il y a des remerciements qui ne peuvent attendre : je suis encore tout ébloui par cette semaine exceptionnelle que j’ai vécu parmi vous à Irissary au cœur du pays Basque et qui m’a permis grâce à vous d’entrevoir les lumières. Une semaine qui m’a transformé en me faisant comprendre clairement que quelque soit le sujet d’étude on peut et on doit toujours pousser plus loin les limites de notre connaissance. Mais pour se faire, il me manquait le contact essentiel avec les chercheurs qu’aucune bibliothèque ne peut remplacer. C’est une chance inouïe que je vous dois à tous, d’aller au-delà de mes ignorances ignorées. Et je me disais en allant au devant de vous, qui m’avez accordé l’insigne honneur de prendre la parole d’un si éclairé aréopage ; comment pourrais-tu faire accepter l’irrationnel de tes sacrifices, de tes rituels, de ce que tu appelles « l’ethnopoésie », en ce haut lieu du savoir ? Depuis des années, de très nombreuses années que je suis littéralement embourbé dans mes terrains anthropologiques au Maroc, n’ayant pour seul interface que mon maître et ami Georges Lapassade . Mais depuis son départ définitif du Maroc en 1996 ; je n’avais plus que les poussières de Casablanca : aucun cadre institutionnel pour canaliser mes recherche, leur donner forme, les publier pour prendre date. Or cette semaine Irissary me fait enfin entrevoir cette possibilité de donner une colonne vertébrale à mes travaux de terrain, de les mettre enfin sur les rails et les normes de la publication universitaire et internationale. Sortir enfin du singulier vers l’universel.

    Or de mes contacts au cours de votre université au cœur du pays Basque trois projets saillants ont pu voir le jour :

  1.     La possibilité de transformer mes publications sur le pèlerinage circulaire des Rgraga en une thèse en s’appuyant sur une démarche comparative incluant aussi bien les travaux de B. Malinowski sur la kula Trobriandaise dans son célèbre ouvrage sur « Les Argonautes du pacifique Occidental », l’Essai sur le don de Marcel Mauss, « Les sept Dormants d’Ephèse » de Louis Massignons et tout la littérature afférente aux pèlerinages en Méditerranée et autres Potlatch. Le professeur Pierre Bidart, dont je considère les travaux sur le pays Basque comme modèle à suivre , s’agissant de nos singularités régionales marocaines, a promis à cet effet de me transmettre le modèle à suivre pour la rédaction d’une thèse.

2.     J’ai également mené depuis de nombreuses année, sous la direction de mon regretté maître le professeur émérite Georges Lapassade, des enquêtes de terrain   sur la diaspora noire au Sud du Maroc : auprès des Ganga de l’ oued Noun à Goulimin (la porte du Sahara), ceux de la Maison d’Illigh dans le Sous, ceux d’Anza aux environ d’Agadir et ceux du pays Haha au Sud d’Essaouira. J’ai également enqueté sur les Gnaouia d’Essaouira, ceux de Marrakech et ceux de Casablanca. Plus récemment et sur le sillage de Georges Lapassade j’ai mené des enquêtes auprès des voyantes médiumniques qui sont au coeur  de la musicothérapie des Gnaoua. J’ai même publié un fascicule sur les fêtes du mouloud au Maroc qui célèbrent la nativité du Prophète travaux où je montre qu’il s’agit en fait d’une religion des femmes. J’ai produis également sur le même sujet plusieurs documentaires : fêtes du mouloud chez les Seksawa du Haut Atlas, à Tamsloht et à Moulay Brahim au sud de Marrakech, à Marrakech même , à Fès et dans l’oriental marocain. Le Professeur Abel Kouvouama,  nous a fait entrevoir son  possible intérêt pour nos travaux sur la diaspora africaine au Maroc en tant que directeur de collection chez l’Harmathon.

  3.     Grâce à Mr. Philippe de Laborde pédelahore, neveu de mon regretté maître Georges Lapassade, je peux espérer redonner une nouvelle vie en pays francophone à la série documentaire que j’ai supervisé pour le compte de 2M au Maroc. Mais nous avons surtout deux projets importants :

  Ø     L’organisation de journées Georges Lapassade alternativement à Biarritz (dans la très belle médiatique post moderne de ce beau port Français) et à Essaouira. A cet effet, nous avons contacté depuis Biarritz, Monsieur André Azoulay le conseillez du Roi du Maroc, qui a donné son entière aval à l’organisation de ces journées dés le mois d’octobre prochain à Essaouira si possible.

Ø     La coproduction d’une série documentaire entre le Maroc et la France.

      En assistant au colloque d’Irissary au cœur enchanteur du pays Basque je suis convaincu que la contribution de vos recherches et de vos chercheurs est et sera essentiel à l’insertion de l’Islam dans la modernité et au mariage de l’Islam avec les lumières.

    Merci encore infiniment de m’avoir permis de prendre la parole juste après la fille de Raymond Aron !  Membre du conseil constitutionnel qui nous appris qu’il n’est pas si simple d’interdire la bourca dans un pays qui tient si bien au respect des libertés individuelles.                             

Abdelkader Mana                                            Casablanca, le lundi 12 juillet 2010
Pierre Bidart était notamment l'auteur d'un travail d'envergure, « La Singularité basque, généalogie et usages », publié en 2001, PUF, 367 p.
« Défendre la société, une posture anthropologique », par Pierre Bidart, éd. Atlantica, 2008, 236 p.L'anthropologue devait publier prochainement un ouvrage intitulé "Le sanglier de feu. Les formes sensibles en politique", à partir de l'étude du nationalisme Basque.

10:23 Écrit par elhajthami dans hommage | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

13/09/2010

Lettre ouverte aux plus hautes autorité du Royaume

"LA MUSIQUE DANS LA VIE"

  (série documentaire 2M)

 La situation intenable qui m'est faite en tant qu'écrivain marocain vivant sans ressource depuis deux ans est inadmessible et indigne du Maroc: quand cet été pour me rendre au colloque sur l'Islam et modernité auquel j'étais invité par l'Université Européenne, au pays Basque Français, au consulat de France  on était éffrayé de découvrir qu'au Maroc, un intellectuel a un compte bancaire gelé depuis deux ans  parce que 2M l'avait privé de sa principale ressource depuis cette date. En effet, depuis le mois de mars 2008, la série documentaire "la musique dans la vie" que je supervise depuis 1997,est suspendue sans préavis alors que je suis toujours lié par un contrat pour la réalisation de huit documentaires sur l'Oriental marocain. Pendant deux longue année 2M s'est murée dans le silence concernant les 37 500 Dhs qu'elle ne m'a pas payé sur les six derniers documentaires prêt à diffuser et sur les indemnités concernant la série de huit documentaires sur l'Oriental marocain qu'elle n'a pas honoré. il a fallu que maître Khalid Naciri, ministre de la communication et porte parole du gouvernement intervienne en personne pour que la chaîne accepte de régler mon problème à l'amiable: me donner copie DVD, au titre de droit d'auteur de chacun de 81 documentaires produits durant 11 ans entre 1997 et 2008 et me donner au titre d'imnité 50% de ma rémunération sur les huit documentaires de l'Oriental marocain pour lesquels la chaîne s'est engagée par contrat. Avant le début du Ramadan la chaîne m'a remi 43 DVD de mes documentaires et devait me régler mon indeminité toujours avant le Ramadan. Or cela  n'a pas été fait comme convenu : la chaîne s'est à nouveau murée dans le silence sous pretexte que ses services administratifs et financiers sont aux abonnées abscents pour cause du Ramadan. Nous allons à nouveau reprendre contact avec 2M en espérant cette fois ci que mes droits seront pris en considération. Durant ces longs mois d'attente l'ex-journaliste du Monde avait attiré l'attention par l'article ci-après sur la situation intenable qui m'est faite, m'exposant gravement à l'insécurité juridique, jetant aux oubliettes les documentaires déjà réalisées , sans égard ni pour le patrimoine culturel et historiques des populations du Rif et du Moyen Atlas. Ce qui est en passant un non respect du cahier de charge de la chaine conceranant les différentes régions du pays.Maintenant que Monsieur Perocel - Hugoz vient d'être honoré par une lettre de félicitation de Sa Majesté le Roi Mohamed VI pour son livre "le Maroc au bout de la lorgnette", dont il est rendu compte dans ce blog, nous republions l'artcle qu'il consacré à cette émission en espérant que 2M entendra cette fois-ci sa voix en m'accordant tous mes droits. Car nous sommes bien dans une situation de non droit incompatible avec la nouvelle ère. Quand j'avais parlé de cette affaire à mon regretté Abdelkébir Khatibi, juste avant de mourir,il s'est contenté de s'exclamer: "Mais est ce qu'il n'y a pas de justice dans ce pays!". Il faut espérer que cette lettre parvienne à Sa Majesté Mohamed VI, pour que cette affaire qui n'a que trop durée soit enfin dénouée

Abdelkader Mana et le Maroc profond
Un travail télévisuel occulté pour cause d’ « indigénat »[1]

Par JP Péroncel-Hugoz

Paradoxal Maroc ! D’un côté, la plupart de ses habitants se vexent si vous n’adhérez pas inconditionnellement à leur conviction selon laquelle le Royaume chérifien est « le plus beau pays du monde » ; d’un autre côté, nombre de choses de qualité made in Morocco - citons en vrac le cinéma, les livres édités ici, la médecine, les vins locaux, les vêtements de style occidental, etc. – sont méprisées par ces mêmes Marocains, alors que la production nationale peut en maints domaines aujourd’hui rivaliser avec les produits importés.

Cet autodénigrement, ce complexe d’infériorité expliquent que nombre de créateurs marocains soient obligés de s’expatrier s’ils veulent voir leurs talents reconnus sur leur propre terre – étant entendu qu’il se trouvera toujours une foule de leurs compatriotes pour leur reprocher ensuite d’avoir « déserté »... Pas étonnant que ce fin analyste de son peuple que fut Hassan II ait dit, à la fin de son règne, au journaliste britannique Stephen Hughues qui venait prendre congé au Palais, après cinquante ans passés au Maroc : « Oui, je sais, plus on vit parmi les Marocains, et moins on les comprend... »

Par exemple, il est incompréhensible, alors que des gestionnaires culturels marocains se plaignent sans cesse de la « rareté » de la production télévisuelle locale « de qualité », que des téléastes auteurs d’une œuvre de tout premier choix, déjà abondante, soient condamnés à végéter, à faire antichambre, à envoyer courriers et courriels auxquels aucun décideur ne répond, à voir programmer leurs films quand tout le monde dort... Je pense ici en particulier aux documentaires pour la télévision du sociologue rural et ethnosociologue ( pourtant formé à l’étranger chez les meilleurs maîtres du genre, notamment le professeur émérite Georges Lapassade !...) qui attendent dans les placards de 2M, et qui passent, si jamais ils passent, aux plus « mauvaises heures » ; documentaires qui n’ont même pas suscité la curiosité d’une chaîne comme Médi-1 Sat, pourtant grosse importatrice de reportages socio-culturels...

Soyons précis : je ne suis pas un ami ou un parent d’Abdelkader Mana. Je l’ai rencontré certes plusieurs fois lors de mes séjours nord-africains pour le Monde ou La Nouvelle Revue d’Histoire ou encore dans le cadre de la Bibliothèque arabo-berbère, collection de littérature orientaliste que j’anime depuis dix ans à Casablanca, chez l’éditeur Abdelkader Retnani. Cependant, ce n’est pas moi qui ai eu la chance d’éditer les ouvrages de Mana – car il écrit aussi, et bellement – sur les Regragas, Mogador, ou les Gnaouas.

Fruit d’une longue observation sur le terrain, de la réflexion née d’une authentique double culture arabo-européenne, l’apport écrit ou filmé de Mana à la création marocaine fait mon admiration et je m’en nourris chaque fois que je peux. Ainsi, afin de visionner chez 2M des œuvres inédites ou archivées de Mana, je suis allé jusqu’à affronter les diverses démarches bureaucratiques nécessaires pour obtenir une telle « faveur »...

Je ne l’ai pas regretté, ayant de cette façon pu enfin regarder quelques-uns de ceux des quatre vingt et un films de Mana que je n’avais jamais vus, sur la musique, la danse, les traditions, les pèlerinages, les terroirs, la cuisine, l’artisanat, l’architecture, la poésie, etc., etc.

Bref, le Maroc entier, depuis la Maison d’Illigh (déjà connue grâce aux recherches du regretté Pascon) jusqu’aux feux de l’Achoura, de la Grande Mosquée méconnue de Taza, au Rif non touristique, des Glaoua du Haut- Atlas, à la plaine atlantique et jusqu’au Sahara récupéré. Une œuvre chatoyante à plaisir, à la portée de tout public un tant soit peu captivé par le Maroc populaire réel, un espace resté vivant, loin des conurbations modernes où tout se délue et se corrode. S’ils sont bien conservés, ces films, tous guidés par la même idée de découverte et d’explication, feront sans nul doute partie un jour de la mémoire civilisationnelle du Royaume alaouite.

Dans tout autre Etat que le Maroc, les documentaires de Mana seraient déjà considérés comme appartenant de plein droit au patrimoine national, et on les vendrait au public dans des coffrets avec des textes du concepteur sur les sujets traités. C’est pitié de constater qu’il n’en n’est rien, qu’il faut veiller jusqu’aux petites heures si on veut attraper de temps en temps quelques images de Mana à la télévision. C’est archipitié de continuer pendant ce temps à entendre un tel ou une telle se plaindre étourdiment de l’ « indigence » de la création audiovisuelle marocaine...

Bon sang de bon sang, sortez donc de votre auto-dénigrement, donnez-vous la peine de vous pencher sur les productions « indigènes » ! Saperlipopette, elles en valent la peine. J’ai mis en exergue le seul cas Mana, car il m’a paru emblématique d’une situation particulièrement absurde – mais, bien sûr, ce cas est malheureusement loin d’être unique dans « le plus beau pays du monde »....

JP Péroncel-Hugoz[1] Article paru dans LIBERATION du Mardi 5 août 2008

Nous versons également  à ce dossier le témoignage de l'écrivain Mogadorien Bouganim Ami:

Cher Abdelkader,

C'est désolant que le Maroc ne croit en ses artistes que lorsqu'ils sont reconnus à l'étranger, c'est désolant de le voir négliger des talents intellectuels et artistiques locaux qui surpassent, en qualité, ceux de nombreux artistes devant lesquels toutes les portes s'ouvrent sous prétexte qu'en Europe ou aux USA, ils connaissent une gloire éphémère. Rien ne serait plus contre-patriotique que cette attitude somme toute provinciale de croire la poésie, la musique, la recherche, la peinture, etc. plus méritante et méritoire parce qu'elles ont grandi sous des serres étrangères et non sur leur terreau vital. Je ne connais pas plus grand sculpteur marocain que Hussein Miloudi, je n'ai pas rencontré poète marocain plus attachant et sensible que Mobarak Erraji. Je ne connais pas anthropologue plus patriote que toi, alliant volontiers la distance de rigueur à l'empathie requise pour ravaler les monuments séculaires de culture et création dont le Maroc est un musée de plein air. Essaouira-Mogador, pour ne parler que d'elle, est un berceau des arts dont l'esthétique marque un riche chapitre dans l'esthétique arabo-berbère du Maroc. Je ne peux qu'espérer que l'Id El-Fitr marque pour toi et pour l'ensemble des artistes qui s'accrochent aux décors du Maroc un tournant duquel ce pays sortira enrichi, misant sur l'étoile de ses artistes pour mieux briller dans le monde.

Mes meilleures Ami-tiés,

Mes vœux de succès,

http://www.angelusnovus.co.il

21:34 Écrit par elhajthami | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

09/09/2010

Noces Berbères

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Noces Berbères au Haut Atlas

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Par Abdelkader Mana               

  En 1998, j’ai entrepris de consacrer un documentaire au mariage chez les Ghojdama, sur recommandation de l’anthropologue Ali Amahan qui leur  avait consacré une thèse et dont il est lui-même  originaire. Je l’avais connu dix ans plus tôt à « Signes du Présent » la revue que dirigeait Abdelkébir khatibi. Ce dernier me déclarait alors que notre mémoire est une richesse et que nous devons la prendre en charge, notamment par des recherches de terrain sur la vie musicale des plaines, des côtes et des montagnes de notre pays. Piste de recherche qui  mène à ce Maroc profond et méconnue dont je n’arrive plus à me départir.   

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    Comme il arrive souvent, le planning de la télévision coïncide rarement avec le calendrier des fêtes saisonnières. Les festivités villageoises  furent reportées  à plusieurs reprises. Les habitants d’Agni devaient descendre de leur nid d’aigle jusqu’au au souk hebdomadaire de Damnate pour s’enquérir auprès d’un épicier disposant du téléphone fixe, de l’arrivée de la télévision ! On imagine l’impatience des mariés à chaque report et la mobilisation – démobilisation des tribus …Mais en ce lieu si isolé depuis toujours à qui « cent ans de solitude » sied comme un gan, l’attente valait la chandelle : la télévision allait rompre l’isolement et accroître, en quelque sorte,le prestige du mariage et celui de la tribu qui l’organise…

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Le tournage n’a pu finalement avoir lieu qu’au bout de plusieurs semaines. La fête de mariage qui devait avoir lieu vers la fin des moissons n’a pu finalement se tenir qu’au début de l’automne, puisque la première scène que nous avons filmée, une fois sur place, fut celle du laboureur ! Le temps des labours, des semailles et la récolte des olives. Les paysans du haut Atlas disent : 

Vois la montagne ! Vois le pigeon !

Vois l’associé ! Vois le fumier ! 

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Car le pigeon annonciateur de l’hiver est de retour. C’est le moment de songer aux travaux agricoles, de rechercher son associé et de transporter le fumier sur les terres.  Ici plus qu’ailleurs, la solidarité humaine est essentielle à la survie aussi bien pour les individus que pour les groupes. C’est grâce à cette solidarité communautaire dans le maniement de la pelle et de la pioche que la piste est aujourd’hui carrossable et que l’organisation des mariages est possible. 

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 L’immense forêt est entrecoupée ici et là de minuscules vallées habitées. Pour relier Agni à Damnate, à environ trente cinq kilomètres de là, le mulet reste le principal moyen de locomotion. Par ce moyen, la distance est parcourue en deux jours : on passant la nuit à mi – chemin en pleine forêt. Difficile est la piste muletière qui mène à Agni, le hameau du bout du monde,, même pour un véhicule tout terrain. C’est dire combien cette montagne est enclavée.

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Dans cette montagne où la voie lactée paraît si proche, l’homme est à la fois mystique et austère. L’endurance et la frugalité sont une seconde nature. Pour mieux s’adapter à une nature qui semble l’écraser, l’homme prie pour que le ciel soit plus clément. En attendant, la vallée est irriguée non  par l’oued Tassaout qui serpente trop bas et dont on n’a pas les moyens de pomper l’eau vers le haut, mais par l’eau des sources qu’on achemine par séguia jusqu’aux parcelles clairsemées le long des flancs de montagnes.

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     Quand l’année est bonne, on peut se permettre de donne le surplus aux nécessiteux et aux démunis. Mais quand elle est mauvaise, on compenser le manque à gagner par des achats au marché de Demnate, voir en cherchant  ailleurs les moyens de la survie comme c’est le cas d’el Haj thami , originaire de la tribu voisine des Aït M’gun que j’ai retrouvé plus tard en plein centre de Casablanca en tant que gardien de parking automobiles ! 

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L’érosion des sols est ainsi freinée par cette pratique des cultures en terrasses qu’on appelle ici les taghanim. Il s’agit en fait d’une agriculture autosuffisante, mi-bour, mi –irriguée, fortement soumise aux aléas climatique

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   Bien au-delà des individus et des deux lignages concernés, le mariage symbolise l’alliances entre deux tribus : celle des Fatouaka d’où est issue la fiancée, et celle des Ghojdama pou le fiancé. En fait, on a célébré deux mariages : celui du fils d’Abboubi notre hôte avec sa cousine du côté paternel. Un mariage endogame puisque  l’isli et la tislit sont tous deux d’Agni. Le second mariage est exogame : le fils du frère d’Abboubi notre hôte, se marie avec sa cousine du côté maternel qui vient de la tribu voisine des Fatouaka. C’est ce dernier mariage qui va être mis en avant pour sa portée symbolique parce qu’il renforce les alliances et les échanges matrimoniaux qui se perpétuent d’une génération à l’autre entre Ghojdama et Fatouaka.

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Sur les toitures des maisons, on remarque ici et là, des paraboles juste au dessus de la tazribt, l’enclos qui sert d’étable aux bovins, ovins et surtout caprins.. La région enclavée par son difficile relief s’ouvre maintenant sur le monde par satellites. En raison de l’exiguïté de l’espace disponible, les maisons se développent aussi bien en hauteur qu’en sous sol !

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    Après notre accord en haut Ghojdama pour le tournage du documentaire sur la fête de mariage d’Agni , Fatih Miloud est allé chez les voisins Fatouaka leur demander la main d’une fiancée pour son fils:  « Nous avons rejoint à dos de mulets les Fetouaka, avec en guise de cadeaux un bélier châtré et des pains de sucre. Une fois obtenu l’accord sur le mariage et sur le jour de la fête, nous reprîmes le chemin du retour»

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Fathi Miloud

    C’est le père qui prend la décision de marier son fils sans que ce dernier en ait manifesté le désir. Quand de son côté Monsieur Abboubi a su que la télévision allait venir, il est monté lui aussi sur son mulet chargé d’un sac de blé et d’un mouton,pour aller demander la main de leur fille aux parents de la jeune future. Dans ces conditions la demande ne peut être refusée. Là aussi les parents tiennent peu compte de l’avis de leur fille. Avant d’être une histoire d’amour entre deux individus, le mariage est d’abord un pacte communautaire, une alliance entre deux lignages, deux douars, deux tribus. L’individu s’efface devant le groupe d’appartenance y compris dans le domaine politique : souvent au Maroc, toute la tribu vote pour le parti politique choisi par son chef et si ce dernier change de couleur politique ; sa clientèle fait de même…L’individu reste à naître.

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Abboubi

Dés lors au village les préparatifs allèrent bon train et les invitations  lancées bien au – delà de la vallée d’en face. Les femmes se mirent alors  à tisser les tapis qui devraient servir de dote pour la mariée mais aussi pour accueillir somptueusement les invité sous l’immense tente caïdale plantée au beau milieu du village.

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     Une semaine avant le départ pour sa nouvelle demeure, la fiancée se teint chaque jour au henné, assistée par des jeunes filles choisies parmi ses amies et qui se teignent en même temps qu’elle :  

C’est du bon henné qu’a pilé Mimoune

Que ceux qui se marient se teignent le corps

O sœur du fiancé, apporte le mortier et le pilon

L’ardeur du soleil me consume

Deux roseaux s’entrelacent

Ce sont les rigoles qui jettent les racines

C’est le long de la rivière qu’il vient la nuit en rougissant

Ne crains – tu pas que la fiancée ne te frappe de ses bracelets ?

Roseau ! Qui t’a fait ces blessures ?

Ce sont les rigoles qui font naître les racines.

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La tislit est dans une chambre entourée d’ami et de femmes qui procèdent à sa toilette. Elles la vêtent d’une mansouria , une sorte de chemise, d’une farajia, et d’un haïk très fin et la parent de ses bijoux. Une femme experte dans le maquillage lui allonge les sourcils avec un fard de couleur noire, lui met du khôl aux yeux et du rouge sur les joues, lui avive les lèvres et lui accuse l’éclat de ses dents avec le taswik, l’écorce de noix. On la part d’un diadème fait de piécettes d’argent.

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Même pour l’ultime exposition de la mariée sur la place d’assaïs, ici l’ahouach n’est jamais mixte. C’est par devers elles que les femmes chantent en rythmant des mains : 

 

Que Dieu vaille que toujours tu sois belle

Comme la source qui fait croître l’herbe autour d’elle

Comme un tapis doux où chaque nuit repose l’époux

Belle comme la lune dans un ciel étoilé

Les tresses de ta chevelure reflètent tes baisés de lumière

Tes dents ont la blancheur des pierres au fond des torrents

Qui contemplera tes yeux, si ce n’est le promis ?

Qu’il te soit fidèle et t’aime jusqu’à la mort

Que Dieu le préserve de la misère et du chagrin

Qu’il lui donne des fils braves et beaux

Et le comble de ses bienfaits 

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Ils ont quitté Agni à dos de mulets pour  aller chercher  tislit. Chez les Fatouaka . Les femmes s’empressent autour d’elle, la couvrent d’un burnous dont elle rabat le capuchon sur ses yeux. Elles lui donnent une grenade. Elle pleure. C’est le moment de se séparer des siens. Sa mère la console : 

Sèche tes larmes ma fille

C’est à la maison de ton mari qu’on t’emmène

 On porte la fiancée sur une jument derrière un garçon d’honneur et les voici en route vers la maison du future. C’est l’oncle maternel de la fiancée qui conduit la procession accompagné des gens de sa famille. Tout le long du trajet qui dure une heure, ils n’ont cessé de chanter pour réconforter la fiancée qui quitte définitivement la maison paternelle pour celle de son mari. Les filles qui l’accompagnent chantent des vœux pour son bonheur : 

Le chemin est long qui mène à la grande tente du fiancé

O taslit, que Dieu fasse ton destin pareil à la prairie

Où abondent avec les fleurs les brebis et les bœufs

Soit pour ton mari une campagne douce

Comme le mélange du sucre et de thé dans le verre de cristal

Ton matin, qu’il soit bon ô reine !

Toi pareille au palmier qui surplombe la source

O dame, tu es l’étendard doré dont l’eau est acheminée par des séguia

Jusqu’aux parcelles clairsemées le long des flancs de montagnes

O dame ! Tu es l’étendard doré

Que le cavalier porte sur son cheval blanc… 

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A Agni, la procession est accueillie par la détonation  du baroud, qui ouvre au Maroc toute réjouissance importante. Elle marque ici cette frontière invisible entre le passé et le future en même temps qu’une reconnaissance sociale du couple qui vient de naître. Une femme de la famille du fiancé tire la jument par la bride. Ce dernier qui vit reclus depuis sept jours et qui n’a ^pas le droit de rencontrer les gens doit entendre tous ces clameurs et ces chants : 

Accourez ô gens de notre village !

Nous déposons la princesse !

Apportez l’agneau marqué de blanc et de noir

Nous déposons la princesse

Vas doucement ô pied, ne soulève point de poussières ! 

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Les processions  féminines se dirigent vers le sous - sol de la maison du futur. C’est dans cette ruche où s’engouffrent toutes femmes qu’est accueillie la fiancée à son arrivée sur dos de mulet. Ce rite de passage par excellence est souligné ici par le franchissement du seuil de la nouvelle demeure. Le franchissement de cette porte souligne d’une manière tangible le passage de la vie de célibat à la nouvelle vie conjugale. Cette séparation avec la vie familiale passée pour l’agrégation dans un nouveau groupe social est rendue tangible ici sur le plan sonore par la détonation du baroud.De partout, les femmes affluent en procession, à des kilomètres à la ronde. De tous les lignages, de tous les douars, de toutes les fractions : caftans bariolés, couffins d’osier sur la tête, elles portent à la mariée, en guise d’offrandes, pains de seigle, pains de sucre, huile d’olive qui vient à peine de sortir du pressoir. Toute la tribu participe ainsi aux dépenses nuptiales et somptuaires. Les gens d’Agni bien sûr mais aussi les fractions Aït R’baâAït H’ssen, Aït H’kim ainsi que les douars Ghighan, Amchgat, ImouggarTaourirt, Assaka et  Tarrast. Sans oublier, bien sûre, la belle famille venue des FatouakaTandis que les  femmes s’engouffrent au sous sol, les hommes sont accueillis juste au dessus, sous la tente caïdale plantée au beau milieu d’Agni. On sert aux  invités, du  harr – barr, une bouillie d’orge arrosée de miel et de beurre ronce. Pour préparer cette bouillie ; on mouille des grains d’orge, puis on la décortique au pilon. Après les avoir sécher au soleil, vanner et nettoyer on les fait cuire à l’eau. Puis on les sert avec du beurre, de l’huile et du miel. C’est une bouillie épaisse qui se mange avec les doigts. Elle se prépare en hiver, au moment du grand froid. A une personne qui se porte bien, on dit généralement :  

-         J’imagine que tu ne te nourris que de herr – berr ! 

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Mais c’est la viande qui prend une part prépondérante des repas. Le couscous est préparé par les femmes et les tagines par les hommes du village. Pour accueillir tout ce beau monde, on a sacrifié une vache, une vachette, sept béliers, quarante poulets en plus de trente kilos de viande achetée au souk hebdomadaire de Demnate.  Toutes ces dépenses ont été compensées par les dons de la tribu qui a offert des agneaux, une dizaine en tout, de sorte qu’ils ont  largement compensé les sept béliers sacrifiés par les organisateurs du mariage. On est ici dans une économie du don. Mais ce don, n’est jamais gratuit puisqu’il est compensé plus tard par un contre don : lorsque l’une des familles donatrices organisera à son tour son mariage, tout le monde participera au festin mais aussi aux dépenses. Il y a à la fois circulation des femmes et circulation des dons. 

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    La place centrale où se déroule l’ahouach, qu’on appelle assaïs, est investie chaque fois qu’un évènement concerne toute la communauté villageoise comme c’est le cas avec cette fête de mariage..   En début de soirée on chauffe les tambourins aux feux de joie : un énorme bûcher fait de troncs d’arbres. La danse peut alors commencer  sur  la grande place d’assaïs. Le bendir  chleuh n’est pas très grand : un cercle de bois percé d’un trou pour passer le pouce de la main gauche et une peau tendue aux sonorités vibrantes. Ici, la musique ne vient pas d’ailleurs. Elle est le produit du village. On pratique la danse collective de l’ahouach, partout semblable à elle – même qui varie pourtant d’une tribu à l’autre voir d’une vallée à l’autre à l’intérieur d’une même tribu. 

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     La soirée des hommes commence d’abord par ahrach, rythme à l’état pur. On accorde les instruments de sorte que les percussionnistes qui produisent de fausses notes se retirent des rangs. L’ improvisation d’ ahrach  consiste en une synchronisation la plus parfaite possible entre les nombreux percussionnistes en éliminant chemin faisant ceux d’entre eux qui cassent le rythme, D’ailleurs le terme  d’ahrach dérive du mot iharch  qui  signifie en parler tachelhit « le maladroit ». Par conséquent cette phase préliminaire vise autant la synchronisation du jeu collectif que l’élimination des mauvais joueurs... 

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  Les joueurs de tambourins scandent le jeu. Le tambourin bat le rythme chleuh habituel : 2/4, mais il y a aussi des partitions plus complexes de 2/8 et de 6/8. Il se trouve dans l’assistance un homme connu pour sa belle voix. C’est un excellent chanteur qui entame un distique, isli reprit en chœur par l’assistance.Il dit : 

 

Cavaliers ! Rangez – vous !

Je vais vous dire le chant aux stances

Se déroulant comme le ronron du moulin !

Figuier qui domine sur les rochers

Mon ami est en ton ombre

Dites nous ô père, ô mère

Où étiez vous pour veiller sur les invités ?

J’ai gravi la montagne et d’en haut

J’ai contemplé cette réunion 

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     Dans cette nuit magique et colorée, l’arrivée des hommes à la place d’assaïs est scandée par ce qu’on appelle ici, lamsaq, c'est-à-dire le chant à l’unisson. Un soliste chante un seul vers que le chœur reprend : les hommes placent leur voix dans un registre grave. Vient ensuite, azegz, le fait de frapper les tambourins en baissant leur face vers le bas. 

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N’dam , c’est cette compétition poétique improvisée à tour de rôle entre les deux moitiés de l’orchestre. Tour à tour les poètes des villages et des villages invités prennent la parole. Ils donnent des informations sur le monde et amènent les gens à se remettre en question. C’est par ces ahouach que se terminent ces noces berbères en haut atlas, sous le double signe de la poésie et du rythme à l’état pur. L’ahouach des hommes dure jusqu’à l’aube. Il faut être patient, tant cette musique nécessite tout ce temps pour aboutir enfin à des moment de bonheur et d’harmonie musicale. On ne cessera toute la nuit de rechercher cette harmonie perdue comme une nostalgie musicale. Parfois on y parvient d’autres fois on déplore quelques fausses notes. 

Taslit, tu étais belle comme la lune dans un ciel étoilé

Les tresses de ta chevelure reflètent tes baisés de lumière

Tes dents ont la blancheur des pierres au fond des torrents

Qui contemplera tes grands yeux, si ce n’est le premier amour ?

Qu’il te soit fidèle et t’aime jusqu’à la moert

Que Dieu le préserve de la misère et des chagrins

Qu’il lui donne des fils braves et beaux et le comble de ses bienfaits. 

On persiste ainsi, sous la voie lactée, à interpeller la voûte céleste jusqu’à ce qu’ahouach qui n’est jamais écris d’avance devient enfin lui-même. C'est-à-dire, pure enthousiasme. Jusqu’à ce que le jour se lève enfin sur la vallée heureuse d’Agni.Abdelkader Mana

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11:48 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : musique, haut-atlas | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook