26/04/2012
Le conteur de Marrakech
Le conteur de la Koutoubia
Le comédien Mustapha Khalili
Loin des bruits de Jamaâ Lafna, sous la paix et le silence de la Koutoubia, le conteur. Son public l’entour, comme les cils entourent les yeux. Au loin, les palmiers , les montagnes enneigées, le ciel bleu. La plaine lune scintille au milieu du jour. Ba-Miloud peut commencer :
- Quand le Calife du temps embrassa la terre pour la remercier des bienfaits qu’elle prodigue aux hommes, les maudits se taisent ! …Vous vous souvenez de ce passage ?
- Recommence depuis le début lui crie-t-on dans le public.
- Si le mensonge était une preuve, la vérité est plus salutaire…
Une meute de chiens aboie, un âne braie interrompant la narration.
- Voici l’âne, voici les chiens, il ne manque plus que le coq !...
Il y a constamment un va et vient entre le récit du conte et le commentaire de ce qui se passe tout autour.Ici, c’est le muezzin qui interrompt le conte par sa prière.Le conteur, c’est celui qui parcourt une géographie imaginaire, qui relate l’histoire des royaumes disparus, ou qui n’ont jamais existé. Le livre jaune reste un mort parmi les morts, s’il ne trouve pas de conteur professionnel qui peut le ranimer en donnant aux chevaux en cavalcade des sabots d’or :
- Je ne lis pas, j’improvise avec mon propre style.Je dialectise l’arabe classique pour me aire comprendre des illettrés. Ce sont pour la plupart des artisans qui ont laissé leurs ouvrages au marché de la crié avant de me rejoindre. Je n’apprends pas par cœur :la parole est infinie, il n’est pas facile de la parcourir. Jamais huit tomes ne peuvent être racontés par une seule bouche. A moins d’être un Ibn Khaldoun. Chaque soir, je rapporte un épisode d’une légende qui peut durer plusieurs mois :j’exerce comme conteur depuis 1958 . Lorsque tu dis : « Ce conteur est mort », c’est la fin du conte :il en surgit un autre du milieu de la place…
Une autre mémoire se substitue au néant. Cette durée de l’imaginaire n’existe que par la voix du conteur. Le conte est constamment recréé par la communauté de l’espace imaginaire, qui est d’ici et de nul part. La « Sira », c’est le temps à la fois figé et éternel du conte. C’est un voyage suspendu au souffle du conteur, qui transporte les auditeurs en dehors d’ici et d’eux-mêmes. Le conte se situe dans une durée rituelle entre deux prières : La « Sira » de l’étoile polaire et celle de Saladin. Abdelkader Mana
Article paru à Téléplus, n°13, Mars 1991
Repris in Cahiers d’études Maghrébines N° 15, 2001, p143-145, Cologne.
Sur scène le comédien Mustapha Khalili donnant la réplique au dramathurge TAYEB SADDIKI
13:25 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèsie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Carnaval de achoura
Le prestigitateur de Roman Lazareve
Par Abdelkader Mana
Baqchich :
Ô M'sayeh ! le poux est originaire d'où ?
M'sayeh :
Frère baqchich, le poux, sveltesse et délices (par ses morsures !) est originaire d'Essaouira !
Doutté nous invite a faire avec lui le tour du Maghreb et de la Méditerranée et nous amène finalement à Karbala. C'est un beau voyage de l'imaginaire carnavalesque et tragique à la fois. Ainsi, le jour de l'achoura, on se déguise à Ouargla , les gens se répondent dans les rues les visages couverts de masques. Ce général de carnaval et ses acolytes, qui jouent les pères blancs fait penser irrésistiblement au fameux film que Rouch tourna en 1950 en Côte d'Ivoire. Avec les « Maîtres fous » dans ce film, on voit des immigrés africains jouer les rôles des autorités coloniales Anglaises : ils cassent un œuf sur leur crâne et le blanc d'œuf qui s'écoule sur leur visage évoque la perruque des soldats de la reine etc.... Un possédé en transe mime le mouvement d'une locomotive. Tout le décor du modernisme, s'installe dans le théâtre carnavalesque de la possession.
Puis Doutté tente d'expliquer ces « curieuses pratiques ». Il y voit « les derniers débris » d'un meurtre rituel d'un dieu de la végétation. Il parle alors des sacrifices agraires, où l'on mettait à mort l'année écoulée pour faire place à la venue d'un « dieu végétant ». Ce rite de mort et de résurrection ; c'est le rite de passage de l'hiver au printemps. Cependant l'achoura tourne avec le calendrier lunaire musulman. Ce qui complique l'analyse : « Lorsque achoura devient une fête du calendrier lunaire, écrit Doutté, elle ne concorde plus avec les époques agricole ; elle faisait le tour du calendrier solaire. Soit qu'elle eût jadis, réellement été une fête de renouveau, soit que son manque de consistance et son indétermination dans l'orthodoxie musulmane eussent contribué à la faire captation, des rites de l'année solaire qui ne coïncident primitivement avec elle qu'à des intervalles éloignés. Il était naturel d'ailleurs pour des populations qui s'islamisaient, de rattacher au début de l'année musulmane lunaire des cérémonies célébrées depuis un temps immémorial au début de l'année solaire ».
Doutté propose ainsi , sous le nom de Carnaval, une théorie de la fraja . Mais il y a un manque important dans le beau travail de Doutté. C'est la dakka par toutes les villes et les campagnes. A peine fait-il allusion aux taârija de Marrakech. Il manque aussi la tradition du chant rituel de l'achoura ; celui de Taroudant comme celui de Marrakech et Essaouira. La nuit de l'achoura sera ainsi le nécessaire complément au dossier ethnologique que Doutté consacre au début de ce siècle à cette fête. Voici donc, quelques extraits du travail de Doutté sur l'achoura. Nous reviendrons demain sur la mise en scène des villes la nuit de l'achoura.
Florilège de l'achoura
- L'achoura à Ouargla
A Ouargla, comme dans le restant de l'Afrique du Nord, à l'occasion de la fête musulmane de l'achoura, c'est-à-dire le 10 du mois de moharram, qui est le premier mois de l'année musulmane. Le soir venu, les habitants se répondent dans les rues, déguisés et le visage recouvert de masques. Ils imitent des types populaires, des animaux, le lion, le chameau ; on voit encore « un général à la poitrine garnie de décorations en fer blanc, aux rubans de couleurs variées, accompagné de son état - major ; il va faire sa visite à son collègue le commandant de la place : après un salut militaire réciproque, les deux officiers font mine de conférer gravement ». Un groupe d'indigènes affublés d'une immense barbe, revêtus d'une longue gandoura, coiffés d'une chéchia ou calotte rouge.
- Chez les Haha et les Chiadma
Dans les Haha , au Sud de Mogador, pour prendre un exemple, a lieu à l'achoura, un carnaval très analogue à ceux que nous venons de décrire : le chameau et le chamelier, le juif, le cadi, sont toujours es thèmes habituels. Mais le personnage caractéristique de la fête est un indigène revêtu d'une peau de bouc[ii], ayant souvent la tête dans une courge percée de deux trous et hérissée de piquants de porc - épic ; à son cou est un collier d'escargots ; il se promène et il danse sous les huées de la foule : on l'appelle « herma guerga'a »,( le deuxième mot veut dire « noix sèche »), herma bou jloud, comme celui des Benis Snoûs. En même temps, on allume des feux de joie. Dans les Chiadma, au Nord de Mogador, la fête est très semblable, mais on appelle plutôt herma du nom d'Ech Chouikh, c'est-à-dire « le petit vieux » ; de plus le carnaval a lieu tantôt à l'Aïd El Kébir, tantôt à achoura et le plus souvent aux deux à la fois.
- La fraja
La fraja , tel est le nom que l'on donne au carnaval marocain, au moins à Fès et dans le Sud du Maroc, n'est pas la seule réjouissance qui marque la fête de l'achoura à Marrakech : il y a encore pour la plus grande joie des gamins, entre autres distractions, les noua'âr, (pluriel de na'oûra « roue hydraulique », espagnole (noria) , sont de grandes roues en bois montées sur un axe horizontal et dont la circonférence supporte des compartiments suspendus où peuvent s'asseoir une ou plusieurs grandes personnes : o met la roue en mouvement et les amateurs s'élèvent et s'abaissent alternativement. A Safi par exemple on traîne une carriole, un cheval en bois, sur lesquels on monte pour quelques flous.
- Au Nord du Maroc
Dans le nord du Maroc, le carnaval paraît également très répondu : nous savons qu'il existe à Tanger ; on l'a signalé à Fès, enfin il a été décrit en détail pour le Rif, pour les Djbala et pour une tribu voisine de la frontière marocaine, les Zkâra. Dans le Rif on représente le Ba Cheïkh (mot qui veut dire, un chef et en même temps vieillard) : c'est un personnage âgé, avec une citrouille sur la tête, une peau de hérisson, en guise de barbe, deux défenses de sanglier de chaque côté de la bouche etc. à côté de lui sa femme est figurée par un individu déguisé, avec des fers à cheval en guise de pendants d'oreilles, un collier d'escargots au cou, un autre indigène représente l'âne, monture de Ba Cheïkh , derrière marche le juif, sordide caricature d'un fils d'Israël.
- A touggourt
A Touggourt, les hommes se tracent avec du henné une ligne qui va de la naissance du nez jusqu'au cou en passant par le sommet du crâne ; ils prononcent en même temps l'invocation suivante : « S'il plaît à Dieu, l'année prochaine je ferai achoura comme cette année ». Sur la question du koh'eul, il semble qu'il y ait quelques divergences d'opinions mais l'usage spécial du parfums. Pourtant, on croit que celui qui se purifie ce jour-là par le koh'eul ou le henné est purifié pour toute l'année ; celui qui se baigne est exempt de maladie aussi pour toute l'année ; ce jour-là, on se rassasie en une sorte de repas rituel où dominent les fèves et les légumes, car si on ne se rassasiait pas à cette occasion on ne serait pas rassasié de l'année. A Touggourt, on prétend que celui qui ne serait pas rassasié ce jour-là serait obligé, dans l'autre monde, de manger les pavés de l'enfer pour remplir son estomac.
- Au Caire
Au Caire, les femmes se réunissent dans une mosquée spéciale le jour de l'achoura, la mosquée de Hassan et Hussein et s'y livrent à diverses pratiques condamnées par l'orthodoxie ; or nous connaissons quelques rites carnavalesques où les femmes jouent le rôle prépondérant : dans le rite susmentionné, ce sont les femmes qui expulsent la mort ; dans le mythe d'Orphée qui représente probablement un souvenir de meurtre rituel, ce sont des femmes qui mettent en pièces le héros : dans beaucoup des mystères antiques les femmes avaient des cérémonies spéciales. On avait voulu donner de ces faits une explication totémique,, fondée sur ce que dans les sociétés exogamiques primitives, les femmes étant d'une autre classe que les hommes ont un totem différent et doivent sacrifier à part. Il ne semble pas resté des traces de ce rôle des femmes dans le folklore maghrébin : nous avons du reste déjà eu l'occasion d'observer que les traces du totémisme dans l'Afrique du Nord sont extrêmement frustes.
- Visite aux tombes
A Mazouna, il est d'usage de porter à cette occasion des rameaux de myrtes sur les tombes (rayhân, usage que nous avons aussi observé à Marrakech lors du tournage de « feux de joie » pour la série documentaire « la musique dans la vie », à la fin des années 1990). A Marrakech, à Mogador, dans le sud du Maroc, on arrose les sépultures à grand eau. A khanga Sidi Nadji, on s'aborde le jour de l'achoura en se jetant de la terre ou de l'eau sur le visage. A Marrakech et dans certaines tribus des environs on allume ce jour-là des feux de joie, analogues à ceux de la ancera . Il en est de même à Tunis : l'orthodoxie réprouve aussi cette pratique. Ces rites du feu, comme les rites de l'eau, ne paraissent pas nécessairement spéciaux à achoura, mais ce sont pour ainsi dire « accrochés » à cette fête qui semble, comme nous le disons, un centre de cristallisation. Au contraire les rites suivants se rapportent tous aux cérémonies carnavalesques.
- Soltan Tolba
Passion des Dionysos, chacun sait comment le théâtre est sorti chez nous des mystères de la Passion qui se sont peu à peu mondanisés ; or nous savons pareillement que les carnavals du Maghreb ont engendré, nous l'avons vu, une sorte de théâtre rudimentaire, qui ne se borne plus au thème primitif, mais comporte, au Maroc par exemple, des représentations burlesques très variées. De semblables petites représentations sont rares en dehors de la fête de l'achoura et de la fête que nous avons seulement mentionné, du Roi des tolba, très analogue au carnaval et vraisemblablement d'origine semblable. Même la fête de l'achoura n'a pas , chez nos indigènes produit de véritable art dramatique : c'est à peine si on signale en dialecte zénatie les dialogues récités lors de la fête de l'achoura, du Ramadan etc. , par les membres du chaïb achoura, sorte de confrérie théâtrale et satirique qui a beaucoup de ressemblance avec les frères de la Passion et les Enfants sans soucis de la littérature française à la fin du Moyen - Âge.
Driss Oumami
- Karbala
On sait qu'Ali, H'oseïn et Ha'san devinrent « le déversoir des besoins mystiques de la Perse. Chaque année les chiites Perses célèbrent la mort de H 'oseïn à Karbala par une série de cérémonies extrêmement curieuses et que nous ne pouvons décrire en détail ici. Les fêtes durent les dix premiers jours de Moharram : des descriptions que nous ont laissé les voyageurs, il faut retenir d'abord de nombreux rites de deuil privé et public ; puis le service funèbre qui se célèbre plusieurs fois en grande pompe, au milieu d'une désolation générale : la présence de membres des confréries religieuses qui se tailladent le crâne, se donnent des coups de poings avec un fanatisme sauvage, au cours de processions conduites par un mollah monté sur un âne et surtout les représentations théâtrales qui ont lieu durant toute cette période et qui ont donné lieu à une littérature dramatique spéciale. Les drames ont toujours pour sujet H'oséïn à Karbala et des épisodes accessoires. Il est remarquable qu'au milieu de ces fêtes on célèbre une cérémonie nuptiale, en souvenir, dit-on, du mariage de la fille de H'océïn avec Qâcim qui, suivant la légende, se maria le jour - même où il mourut à Karbala au côté de H'oséïn, en sorte que des cérémonies de réjouissances se mêlent aux lamentations.
Karbala
Des rites analogues ont lieu chez les chiites de l'Inde , où des rites du feu se joignent aux autres cérémonies ; les rites de l'eau ne sont pas non plus absents, tant en Perse que dans l'Inde. Enfin, il parait qu'à Karbala même, un condamné à mort, destiné à jouer le rôle de Chemr, assassin de H'oséïn, est tellement malmené par la multitude qu'il est presque toujours lynché. Il n'est pas difficile de reconnaître dans ces cérémonies non seulement les principaux traits des carnavals, mais aussi les caractères d'une véritable Passion dont Ali est le Dieu. H'oséïn est le Christ et le khalife le Judas. Il semble également évident que les téaziés se sont développées des cérémonies religieuses et ont abouti comme en Grèce, comme chez nous, à la production d'une littérature qui se laïcisera peut-être un jour. Une étude scientifique de la fête de achoura en Perse achèverait sans doute de démontrer ce que nous avons suggérer dans tout ce chapitre, à savoir que les cérémonies célébrées à cette occasion sont les débris d'un antique meurtre rituel, à l'occasion du renouveau : que ces cérémonies ont dégénéré en carnaval dans le folklore du Maghreb comme dans celui de l'Europe, mais qu'en Perse, elles ont failli se développer en rite de rédemption comme dans le christianisme.
·Tayeb Saddiki, le Molière marocain
Tayeb Saddiki, né le 17 décembre 1938 à Essaouira
Dialectique du clair et de l'obscure, du vide et du plein, où vient s'inscrire la parole du jour et le silence de la nuit. Lettres grandioses au sens énigmatique, descendant du ciel comme une manne ou une foudre, texte illisible où on déchiffre "il n'y a de vainqueur que Dieu". Ecriture fine sur un fond de rigueure géométrique, l'agencement harmonieux de la miniaturisation et de la géométrie en tant que traits fondamentaux de l'art islamique, prend ici une forme inédite, une création qui ne ressemble à nulle autre. Forme voluptueuse, parole infinie; une mémoire se substitue au néant. Théâtralité de la gestuelle, ambiguïté du signe: une alphabet arabe dansant sur une mélodie japonaise. Comme par une espèce de magnétisme invisible, les hommes qui "suivent" la parole divine, les signes aimantés par le nom d'Allah, tout se précipite vers ce foyer de lumière. Les hommes ett leur mémoire s'engouffrent dans le vide. Un vide qui n'est pas un néant, mais l'énergie d'où est né l'univers. De la parole divine est né lemonde, et après sa disparition, son "fana"; restera encore la parole de Dieu. Car elle est supérieure à la parole des hommes; c'est pourquoi elle émerge du tableau comme ces deux initiales "T.H" qui désignent le Prophète: "T.H.Nous ne t'avons pas envoyé le Coran pour te rendre malheureux". Tout commence et tout finit par Dieu; voilà le sens profond de cette calligraphie d'une exécution magistrale où Tayeb saddiki s'affirme, encore une fois, comme un pionnier au Maroc, de la réhabilitation du patrimoine ancien sous une forme nouvelle. Ces dernières années, par amour immodéré pour l'art dramatique, il s'est ingénié à construire le théâtre Mogador à Casablanca.Un théâtre privé ou plutôt "privé de moyens" comme il le dit avec humour.
Abdelkader Mana
[i] Article paru à Maroc-Soir du lundi 15 septembre 1986.
[ii] Boulebtaïn, en arabe et ilmen en berbère dont le pluriel est Bilmawn. Les deux termes signifient « homme vêtu de peaux ». Boujloud ou Bilmawn, ce sont successivement les noms des personnages masqués du carnaval de l'Achoura et de la fête du sacrifice : personnage central de la procession masquée répondant selon les lieux aux noms de Boulebtaïn, Boujloud,Herma, en ville arabophone ou encore de Bilmawn et Bou-Islikhen au Haut-Atlas berbérophone. Ces processions et mascarades s'intercalent entre le sacrifice et le Nouvel An. Ils sont liés à la fête du sacrifice dans la campagne et à celle de l'Achoura dans les villes. Pour Emile Laoust ces mascarades masquées constituent les débris de fêtes antiques célébrant le renouveau de la nature, capturée par le calendrier musulman :« Au Maroc, des fêtes carnavalesques d'un genre spécial s'observent partout à l'Aïd el Kébir ; le personnage essentiel s'y montre revêtu de peaux de moutons ou de chèvres. Le Berbère n'aurait - il pas établi un rapport si étroit entre le sacrifice du mouton, ordonné par l'Islam, et la procession carnavalesque d'un personnage vêtu de peaux qu'il aurait vu en ces deux rites, deux épisodes d'une même cérémonie...L'Aïd El Kébir s'est substitué, en Berbérie à une fête similaire qui existait déjà et au cours de laquelle les indigènes sacrifiaient un bélier et se revêtaient de sa dépouille. Si l'on y rappelle que le bélier fut autrefois l'objet d'un culte dont le souvenir s'est conservé tard dans le pays, on voudra peut - être voir dans les mascarades actuellement célébrées à l'Aïd El Kébir, la survivance de pratiques zoolâtriques dont l'origine se perd dans les âges obscures de la préhistoire. »
Masques et mascarades
Chez les Aït Mizan du Haut Atla, ces peaux sont plaquées à même sur le corps nu du personnage masqué. Celle qui lui couvre les bras est disposée de manière à laisser les sabots pendant au bout des mains. Sa figure noircie à la suie ou avec de la poudre disparaît sous une vieille outre à battre le beurre qui lui sert de masque. Sa tête est agrémentée de cornes de vache ou coiffée d'une tête de mouton dont les mâchoires écartées par un bout de roseau lui font faire la plus horrible grimace. Une orange garnie d'un bouquet de plumes est souvent piquée à l'extrémité de chaque corne ; des branches de verdure lui couvrent parfois la tête ou les épaules. Enfin deux ou trois colliers, un immense chapelet aux grains fait de coquilles d'escargots, et de puissants attributs de mâle complète l'accoutrement du personnage hideux. Chez les Jbala on parle plutôt de Ba Cheikh, un vieillard lubrique à la barbe blanche, habillé de « haillons sordides », portant « une peau de bouc en guise de bonnet » et égrenant un chapelet de coquilles d'escargots. Ses organes génitaux sont bien mis en évidence : « une lanière de peau de mouton avec sa laine et deux aubergines entre les jambes, simulant les organes de reproduction ». Telles était les observations qu'avait noté Mouliéras au début du 20ème siècle, à propos de ce qu'il appelle le carnaval djebalien. Il décrit en ces termes les scènes burlesques des masques telles qu'elles se déroulaient devant chaque maison :
« Une fois par an seulement a lieu ce carnaval. Il dure trois jours et coïncide avec la grande Fête des Sacrifices. Le premier jour, les masques se répondent dans les villages, vers midi, et ils commencent leur tournée aumônière, s'arrêtant devant chaque habitation, rééditant invariablement leurs farces après laquelle ils reçoivent ce qu'on veut bien leur donner : du pain, de la viande, des œufs, des poulets, des grains. Inutile d'ajouter que tout le village est à leur trousse, les entourant, les admirant, hurlant de bonheur quand se produit une grivoiserie plus épicée que les autres. »
13:18 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
21/04/2012
Un symbole de la tolérance
Notre ami bien aimé, Mustapha Anouar, l'Imam et le muezzin de la grande mosquée Ben Youssef d'Essaouira, n'est plus!De son vivant il s'arretait avec son éternelle bicyclette pour me saluer à chaque fois que j'étais de passage dans ma ville: il ne culpabilisait jamais au sujet de la religion, il comprenait parfaitement nos désirs et nos faiblesses humaines.Il était d'une tolérance et d'une ouverture d'esprit qui m'ont toujours étonné.Il était tout simplement comme la plupart des vieux mogadoriens tolérant parce qu'il a vécu dans une ville multiconfessionnelle où on avait pour voisins aussi bien des juifs que des chrétiens; auxquels on devait respect en tant que gens du livre ...
Si Mustapha Anouar était le digne successeur de l'Imam de cette grande mosquée comme me le relatait mon père à propos de cette anecdote sur la cohabitation des religions à Mogador: « Le prêtre de l’église locale avait l’habitude de se rendre tôt à la plage de Safi, au nord d’Essaouira. Un jour il perdit un gousset plein de louis d’or, non loin de Bab Doukkala. Le grand- père de Ben Miloud, qui était imam à la Grande Mosquée, et qui avait lui aussi l’habitude de faire sa promenade matinale au bord de la mer, découvrit le gousset de louis d’or. Le jour même, il fit appel au crieur public pour annoncer au travers les artères de la ville, que « quiconque avait perdu un gousset ; doit se présenter devant l’imam de la Grande Mosquée pour donner son signalement et son contenu, afin qu’elle lui soit restituée. Le prêtre se présenta devant l’imam et retrouva effectivement son gousset de Louis d’or intact ».
L'Islam tradionnel au Maroc était tolérant
Au sortir de la prière du crépuscule, un vieux Mogadorien me tend un jeton dont se servaient les barcassiers pour charger et décharger les marchandises entre la porte de la marine et les paquebots qui attendaient au large : côté face « Essaouira » en arabe, côté pile, l’étoile de David. Comme le soulignait si bien le peintre Adrien Matham, qui accompagnait en 1641, un navire hollandais :« Il est à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir celui des Maures : le vendredi ; celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche ».
Dans une ville, les cadres sociaux de la mémoire, ce sont aussi des êtres - aussi discrets que sont les Berbères d'Essaouira face au Makhzen- mais dont nous devons veiller à ce que leur souvenir ne soit pas effacé...Il en va de notre humanité - même en tant que vivants ,de veiller à la mémoire des morts, de nos morts...Dans la mesure où ils constituent les témoins silencieux de ce que nous sommes et de ce que nous serons...dans la mesure où leur disparition nous rappel à la part du divin qui git en chacun d'entre nous : cette part d'amour qui nous relie pour ainsi dire au ciel de la métaphysique et de la transcendance...Et certainement au caractère éphèmère de notre pèlerinage en ce monde et parmi nos semblables..
Si Hamid Bouhad qu'on voit ici en arrière plan des femmes en haik de la ville,que Dieu lui fasse miséricorde.En apprenant son décès ces jours-ci,j'avais tout d'abord pensé à son homonyme un commerçant de la ville .Mais progressivement les souvenirs remontèrent lentement en surface: il s'agit en fait de mon propre enseignant de mathématique au lycée Akensous au tout début des années 1970! Il n'a jamais quitté Essaouira depuis lors:on pouvait le voir quotidiennement déambuler dans ses ruelles avec son ami Ahmed Othmani le propriétaire du bain Papes: les enfants des Papes étaient nos amis de la plages dans les années 1960.On pourrait ainsi, partant de la figure emblématique de Si Hamid Bouhad retrouver tous nos souvenirs d'enfance et d'adolescence à Essaouira.C'est en fait une part de nous mêmes qui part ainsi avec ces souiris qui n'ont jamais vraiment vieillis malgré le temps qui passe: leur souvenirs rugira longtemps avec l’éternel vent qui balaye ses rivages...
La grande mosquée Ben Youssef dominait l'espace urbain: on la voyait de partout
Quand la forte houle venait à les surprendre, me dit ma mère, les barcassiers se réfugiaient en haute mer. Loin des récifs côtiers où se fracassent les vagues. Ils restaient là, le temps que la tempête s’apaise. En attendant, la ville retenait son souffle.
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Les vides de son hémorragie
Sont cousus par la montée écumante du sel.
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Ce qui te fait gronder ô mer
N’est pas la mer
Ce sont les blessures du martyr Hallaj
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Mille et un clapotis de rames l’apaisent.
Tristesse, joie, tourments:en perdant ma mère, que Dieu lui fasse miséricorde, j'en perdis l’étoile du nord, j'en perdis l’axe du monde !J' en perdis la maîtrise de l’être...
Le temps qui passe que symbolisent aussi ces arbres disparus
La ville, ce n'est pas seulement des murs, mais aussi cet espace de sentiments et de souvenirs que nous avons partagé avec ses hommes et ses femmes par delà le bien et le mal...Parce qu'elle est d'abord constitué de suc humain, la ville part ainsi pierre après pierre comme si la voûte céleste elle-même allait s'effondrer sur nos têtes puisque selon une vieille légende berbère en cours dans ces parages : chaque fois que l'ame d'un être humain monte au ciel, une étoile en déscent.En tout cas c'est l'explication qu'on nous donnait enfant, du phénomène des météorites...
Les prières augmentent les lumières des étoiles, et jettent un pont par-dessus la mort.L’étoile polaire scintille à l’horizon. Violent mugissement, plainte pathétique de la houle qui gémit et qui pleure.Une étoile polaire scintille au dessus du rayon vert. Des ombres, tous les soirs, viennent sur les remparts contempler les îles. Frêle humanité qui semble surgir des temps antiques, accentuant l’aspect fontomatique de la ville. Lors de ma dérive au Haut - Atlas, j’ai laissé la porte grande ouverte sur les étoiles; Dehors, pleine lune, chiens errants, coassement de grenouilles, flûte enchantée du pays Haha : Au fond de la plaine qui s’assombrit, des hameaux s’allument ici et là, tandis qu’au firmament scintillent les étoiles. Spectacle sublime qui inspire au vieil Ijioui ces mots énigmatiques :
« Seuls les astronomes connaissent les étoiles, mais la poésie en parle à sa manière :
Celui qui a des frères, peut arroser les étoiles dans le ciel
Celui qui a des frères, peut semer le maïs parmi les étoiles.
Sur ce, le vieux poète détacha son âne de l’olivier sauvage et s’en fut par les sentiers fleuris au plus profond des montagnes. Du bord de la rivière d’Assif El Mal, on entend monter le côassement des grenouilles. Mystérieux, le potier-poète chuchote :
« La colonie d’abeilles a quitté sa ruche. Peut-être a-t-elle trouvé un verger fleuri ailleurs ? »
Ce à quoi son interlocuteur répond énigmatiquement :
« Qui peut l’attraper ? C’est dans le ciel que les abeilles se frayent leur chemin ».
Les poètes également.
Au Maroc, le calendrier agricol est fondé sur 28 mansions lunaires.Ce sont les vingt-huit manâzil . Plus complètement les manâzil al-kamar, sont les mansions lunaires, ou stations de la lune. Elles constituent un système de 28 étoiles, astérisme ou d’endroits dans le ciel près duquel la lune se trouve dans chacune des 28 nuits de sa révolution mensuelle. Le système des mansions lunaires a été adopté par les berbères, à travers des canaux encore inconnus, puisque le mot manâzil figure déjà dans le Coran (X, 5, XXXVI,39) Voici l’identification astronomique de quelques mansions lunaires citées à travers les dictons du calendrier agricol :
1. al-nateh, Arietis
2. al-boulda, région vide d’étoiles.
3. Saâd Dabeh, capricorni
4. Saâd al-Boulaâ, Aquarii
5. Saâd saoud, capricorni
6. Saâd Lakhbia, aquarii.
7. Batnou al-hout, andromedae...
Quand, en 1960, le tremblement de terre frappa Agadir, pendant plusieurs nuits de suite les gens ont dormi dehors : nous passions la nuit à la belle étoile,avec nos voisins, au marché aux grains ! De surcroit le desastre est survenu le jour de l’Aïd El Kébir,si ma mémoire est bonne : c’est cela « le déluge un jour de fête » dont parlait le Mejdoub !
La ville frémit comme un être vivant sous les fracas des houles. La prière des minarets se répand dans la lumière froide du crépuscule, en échos à la prière cosmique du firmament.
« Allons voir la mer
Restons face aux vagues jusqu’au vertige ».
Abdelkader Mana
07:03 Écrit par elhajthami dans religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : religion | | del.icio.us | | Digg | Facebook