21/04/2012
Un symbole de la tolérance
Notre ami bien aimé, Mustapha Anouar, l'Imam et le muezzin de la grande mosquée Ben Youssef d'Essaouira, n'est plus!De son vivant il s'arretait avec son éternelle bicyclette pour me saluer à chaque fois que j'étais de passage dans ma ville: il ne culpabilisait jamais au sujet de la religion, il comprenait parfaitement nos désirs et nos faiblesses humaines.Il était d'une tolérance et d'une ouverture d'esprit qui m'ont toujours étonné.Il était tout simplement comme la plupart des vieux mogadoriens tolérant parce qu'il a vécu dans une ville multiconfessionnelle où on avait pour voisins aussi bien des juifs que des chrétiens; auxquels on devait respect en tant que gens du livre ...
Si Mustapha Anouar était le digne successeur de l'Imam de cette grande mosquée comme me le relatait mon père à propos de cette anecdote sur la cohabitation des religions à Mogador: « Le prêtre de l’église locale avait l’habitude de se rendre tôt à la plage de Safi, au nord d’Essaouira. Un jour il perdit un gousset plein de louis d’or, non loin de Bab Doukkala. Le grand- père de Ben Miloud, qui était imam à la Grande Mosquée, et qui avait lui aussi l’habitude de faire sa promenade matinale au bord de la mer, découvrit le gousset de louis d’or. Le jour même, il fit appel au crieur public pour annoncer au travers les artères de la ville, que « quiconque avait perdu un gousset ; doit se présenter devant l’imam de la Grande Mosquée pour donner son signalement et son contenu, afin qu’elle lui soit restituée. Le prêtre se présenta devant l’imam et retrouva effectivement son gousset de Louis d’or intact ».
L'Islam tradionnel au Maroc était tolérant
Au sortir de la prière du crépuscule, un vieux Mogadorien me tend un jeton dont se servaient les barcassiers pour charger et décharger les marchandises entre la porte de la marine et les paquebots qui attendaient au large : côté face « Essaouira » en arabe, côté pile, l’étoile de David. Comme le soulignait si bien le peintre Adrien Matham, qui accompagnait en 1641, un navire hollandais :« Il est à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir celui des Maures : le vendredi ; celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche ».
Dans une ville, les cadres sociaux de la mémoire, ce sont aussi des êtres - aussi discrets que sont les Berbères d'Essaouira face au Makhzen- mais dont nous devons veiller à ce que leur souvenir ne soit pas effacé...Il en va de notre humanité - même en tant que vivants ,de veiller à la mémoire des morts, de nos morts...Dans la mesure où ils constituent les témoins silencieux de ce que nous sommes et de ce que nous serons...dans la mesure où leur disparition nous rappel à la part du divin qui git en chacun d'entre nous : cette part d'amour qui nous relie pour ainsi dire au ciel de la métaphysique et de la transcendance...Et certainement au caractère éphèmère de notre pèlerinage en ce monde et parmi nos semblables..
Si Hamid Bouhad qu'on voit ici en arrière plan des femmes en haik de la ville,que Dieu lui fasse miséricorde.En apprenant son décès ces jours-ci,j'avais tout d'abord pensé à son homonyme un commerçant de la ville .Mais progressivement les souvenirs remontèrent lentement en surface: il s'agit en fait de mon propre enseignant de mathématique au lycée Akensous au tout début des années 1970! Il n'a jamais quitté Essaouira depuis lors:on pouvait le voir quotidiennement déambuler dans ses ruelles avec son ami Ahmed Othmani le propriétaire du bain Papes: les enfants des Papes étaient nos amis de la plages dans les années 1960.On pourrait ainsi, partant de la figure emblématique de Si Hamid Bouhad retrouver tous nos souvenirs d'enfance et d'adolescence à Essaouira.C'est en fait une part de nous mêmes qui part ainsi avec ces souiris qui n'ont jamais vraiment vieillis malgré le temps qui passe: leur souvenirs rugira longtemps avec l’éternel vent qui balaye ses rivages...
La grande mosquée Ben Youssef dominait l'espace urbain: on la voyait de partout
Quand la forte houle venait à les surprendre, me dit ma mère, les barcassiers se réfugiaient en haute mer. Loin des récifs côtiers où se fracassent les vagues. Ils restaient là, le temps que la tempête s’apaise. En attendant, la ville retenait son souffle.
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Les vides de son hémorragie
Sont cousus par la montée écumante du sel.
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Ce qui te fait gronder ô mer
N’est pas la mer
Ce sont les blessures du martyr Hallaj
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Mille et un clapotis de rames l’apaisent.
Tristesse, joie, tourments:en perdant ma mère, que Dieu lui fasse miséricorde, j'en perdis l’étoile du nord, j'en perdis l’axe du monde !J' en perdis la maîtrise de l’être...
Le temps qui passe que symbolisent aussi ces arbres disparus
La ville, ce n'est pas seulement des murs, mais aussi cet espace de sentiments et de souvenirs que nous avons partagé avec ses hommes et ses femmes par delà le bien et le mal...Parce qu'elle est d'abord constitué de suc humain, la ville part ainsi pierre après pierre comme si la voûte céleste elle-même allait s'effondrer sur nos têtes puisque selon une vieille légende berbère en cours dans ces parages : chaque fois que l'ame d'un être humain monte au ciel, une étoile en déscent.En tout cas c'est l'explication qu'on nous donnait enfant, du phénomène des météorites...
Les prières augmentent les lumières des étoiles, et jettent un pont par-dessus la mort.L’étoile polaire scintille à l’horizon. Violent mugissement, plainte pathétique de la houle qui gémit et qui pleure.Une étoile polaire scintille au dessus du rayon vert. Des ombres, tous les soirs, viennent sur les remparts contempler les îles. Frêle humanité qui semble surgir des temps antiques, accentuant l’aspect fontomatique de la ville. Lors de ma dérive au Haut - Atlas, j’ai laissé la porte grande ouverte sur les étoiles; Dehors, pleine lune, chiens errants, coassement de grenouilles, flûte enchantée du pays Haha : Au fond de la plaine qui s’assombrit, des hameaux s’allument ici et là, tandis qu’au firmament scintillent les étoiles. Spectacle sublime qui inspire au vieil Ijioui ces mots énigmatiques :
« Seuls les astronomes connaissent les étoiles, mais la poésie en parle à sa manière :
Celui qui a des frères, peut arroser les étoiles dans le ciel
Celui qui a des frères, peut semer le maïs parmi les étoiles.
Sur ce, le vieux poète détacha son âne de l’olivier sauvage et s’en fut par les sentiers fleuris au plus profond des montagnes. Du bord de la rivière d’Assif El Mal, on entend monter le côassement des grenouilles. Mystérieux, le potier-poète chuchote :
« La colonie d’abeilles a quitté sa ruche. Peut-être a-t-elle trouvé un verger fleuri ailleurs ? »
Ce à quoi son interlocuteur répond énigmatiquement :
« Qui peut l’attraper ? C’est dans le ciel que les abeilles se frayent leur chemin ».
Les poètes également.
Au Maroc, le calendrier agricol est fondé sur 28 mansions lunaires.Ce sont les vingt-huit manâzil . Plus complètement les manâzil al-kamar, sont les mansions lunaires, ou stations de la lune. Elles constituent un système de 28 étoiles, astérisme ou d’endroits dans le ciel près duquel la lune se trouve dans chacune des 28 nuits de sa révolution mensuelle. Le système des mansions lunaires a été adopté par les berbères, à travers des canaux encore inconnus, puisque le mot manâzil figure déjà dans le Coran (X, 5, XXXVI,39) Voici l’identification astronomique de quelques mansions lunaires citées à travers les dictons du calendrier agricol :
1. al-nateh, Arietis
2. al-boulda, région vide d’étoiles.
3. Saâd Dabeh, capricorni
4. Saâd al-Boulaâ, Aquarii
5. Saâd saoud, capricorni
6. Saâd Lakhbia, aquarii.
7. Batnou al-hout, andromedae...
Quand, en 1960, le tremblement de terre frappa Agadir, pendant plusieurs nuits de suite les gens ont dormi dehors : nous passions la nuit à la belle étoile,avec nos voisins, au marché aux grains ! De surcroit le desastre est survenu le jour de l’Aïd El Kébir,si ma mémoire est bonne : c’est cela « le déluge un jour de fête » dont parlait le Mejdoub !
La ville frémit comme un être vivant sous les fracas des houles. La prière des minarets se répand dans la lumière froide du crépuscule, en échos à la prière cosmique du firmament.
« Allons voir la mer
Restons face aux vagues jusqu’au vertige ».
Abdelkader Mana
07:03 Écrit par elhajthami dans religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : religion | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Je vous complimente pour votre recherche. c'est un vrai charge d'écriture. Poursuivez .
Écrit par : MichelB | 13/08/2014
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