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30/04/2012

AGADIR

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Les greniers collectifs de l'Anti - Atlas

Dans le Sous les régions  montagneuses  sont connues par leurs greniers collectifs (Igoudar , en berbère, pluriel d’ Agadir) . Le rôle que jouent ces greniers collectifs de l’Anti-Atlas s’explique aisément par les conditions de vie d’un pays où les hommes ne peuvent subsister qu’en amassant les provisions dans les années d’abondance en prévision des années de sécheresse et de famine. Jadis, on avait édifié également ces Agadirs pour que les femmes et les enfants s’y réfugient en temps de siba , d’anarchie et de guerres intertribales. Ces Agadir qui servent toujours de banque d’épargne, retiennent aujourd’hui notre intérêt pour leur architecture exceptionnelle : vieux de mille ans, leur beauté rustique en fait l’un des principaux patrimoine historique de la région de Sous.

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Au loin se profile le mont adrar qui surplombe à plus de 2000 mètres d’altitude l’assise territoriale de la tribu Touska aux environ de Tafraout. Entouré de trois villages telle une forteresse, voici le grenier collectif Tasguint où les villageois de la tribu mettent leurs moissons de blé et leurs récoltes d’amandiers. Maintenant la plupart des villageois sont épiciers à travers les villes du Maroc. Cette tribu de Touska comprend sept greniers collectifs : Dougadir, Tasguint, Agdil, Touliline, Tidza et Issil. Nous avons visité celui de Tasguint , l’Agadir millénaire qui a servi de modèle à tous les autres .
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Chaque tribu ou grande fraction a sa forteresse - grenier, souvent située sur des hauteurs imprenables. Elles est disposée à l’intérieur en forme de rue étroite sur laquelle s’ouvre sur trois ou quatre étages deux rangées de chambrées dénommées ahanou, où l’on met en abris récoltes et objets précieux de la famille. Une réglementation juridique  compliquée  qu’on appelle luh(table de la loi  parce qu’ elle était inscrite sur des planchettes au départ), fixait minutieusement les droits et les charges des usagers. De l’administration de ce makhzen (magasin) dépend chaque jour la vie matérielle des villageois.
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Comme tout autre Agadir de la région, celui de Tasguint ne peut être ouvert qu’en présence de deux clés se trouvant dans deux douars en contrebas. Sans le consentement des villageois concernés, ce grenier collectif ne peut être ouvert. Pour assurer le contrôle chaque douar dont les habitants disposent de chambre dans l’Agadir délègue des membres qui se relaient pour la surveillance de nuit : ils arrivent à six heures du soir et repartent à six heur du matin. Si quelqu’un enfreint la réglementation de l’Agadir on recourt aux notables qu’on appelle inflas en berbère : c’est eux qui ont rédigé les lois coutumières en vigueur et qui veillent à leur application jusqu’à nos jours. En cas d’infraction, les douze membres qui veillent sur l’Agadir se réunissent et prononcent leur sentence à l’encontre du contrevenant pour qu’il paie l’amende sans quoi l’accès lui est formellement interdit même s’il dispose d’objet précieux dans l’une des chambrée du grenier collectif. Les notables, en présence de l’amine et des gardiens assistent à l’acquittement de la dette par l’individu condamné, sous la forme d’une vache, d’une chèvre ou d’un bélier. Tout le monde reconnaît ainsi qu’un tel s’est excusé en sacrifiant.Au grenier collectif, on dépose les bijoux en argent, en or ou encore du miel; des objets dont on ne se sert qu’une à deux fois par an. Ce sont les objets les plus précieux qu’on dépose à Agadir.

Abdelkader MANA

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14:55 Écrit par elhajthami dans Arts, Histoire, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : agadir | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Légendaire Massa

Massa Terre de Légendes

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Lazarev
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TABAL

Le poisson ne se lave pas le visage dans la mer

La mer est son visage lavé

Depuis le blanc- sel, depuis ce bleu- éternel

Moubarak Erraji

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Le toponyme de Massa est déjà indiqué sur la plus ancienne carte, celle de Ptolémée. Si on admet que les Phéniciens possédèrent cinq comptoirs commerciaux sur les côtes marocaines au sud du Cap Ghir, il est probable que le port de Massa fut choisi par ces navigateurs de la première heure. Sur ces côtes marocaines, les marins berbères s’accrochent au moindre abri pour y fonder de petits ports de pêche. Massa est traversée par l’oued sur environ 150 kms. Les villages avoisinants en profitent énormément. Ils se succèdent tout le long de la rive sud-ouest et de la rive nord-ouest. Sur les bords de l’oued se pressent une quinzaine de villages construits à mi-pente sur la falaise escarpée de la rive gauche. Le jonc prolifère dans le lit même de l’oued et fournit la matière première à l’artisanat du nattage qui fait de Massa le premier fournisseur en nattes des mosquées du  Royaume. C’est une activité ancienne qui se transmet de génération en génération. L’eau qui fait vivre la plaine provient soit de l’oued lui-même, soit des puits et des sources. L’eau de l’oued est très légèrement salée. Celle des puis et des sources est douces. Les champs irrigués prennent l’aspect de véritables fourrés où les sangliers de la montagne viennent se réfugier. Les livres d’histoire signalent que Massa produisait de la canne à sucre du temps des Saadiens. Au temps des disettes les gens venaient directement à Massa en raison de l’abondance de l’eau, celle de l’oued Massa et aussi en raison de nombreuses sources.

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Chaque vague est un ancien pêcheur

Mort de noyade

La vague peut-elle se noyer en elle – même ?

La mer est plus langue qu’une canne de pêcheur

Ce n’est pas moi qui le dis

Ce sont les fuites d’eau au travers les mailles du filet

Moubarak Erraji

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L’embouchure est très belle : la mer pénètre à des kilomètres en profondeur en amont de l’oued Massa. Il reste encore des vestiges et des traces de l’ancien port que se soit en amont ou en aval du fleuve. Les origines de ce port remontent aux Phéniciens, aux Carthaginois et aux Portugais. Il fut fréquenté jusqu’à l’époque Saâdienne et au début de la principauté de Tazerwalt. On accédait au port qu’on appelle al-Forda en arabe,par l’embouchure avant son ensablement, pour transporter soit les marchandises, soit les armes.

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Des sacrifices sont également offerts à cet oued surtout au niveau d’Oggoug, c'est-à-dire le barrage situé au niveau d’ Agdal-Massa. Chaque année on sacrifie à cet endroit , pour obtenir la baraka de la sainte lalla Riqya ,fille d’Ahmed Sawabi. On accorde ainsi leurs part aux saints patrons de Massa. Les anciens pêcheurs se souviennent encore des chants qu’ils clamaient lors de la pêche à la pirogue berbère du nom d’agherrabou . Le mot était connu sous cette forme de Cap Juby à Safi. Le mot a pu être rapporté au grec et au latin carabus . Les saints enterrés en bord de mer ont leur part de capture des agherrabou. Les pêcheurs ne peuvent ni vendre, ni partager les poissons, sans accorder leur part de poissons aux saints. Ils disent : « Voici le poisson de Sidi wassay ! » En le rejetant au loin sur le sable. « Cet autre poisson est pour lalla RahmaYoussef ! » pour qu’elle les aide face aux tempêtes maritimes. Ce n’est que par la suite que les pêcheurs peuvent vendre leurs captures.

Abdelhadi, le parolier des Izenzaren qui vient souvent en marin chercher l’inspiration à Sidi wassay chante :

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Me voici mettant ma pirogue face aux vagues

L’écume des vagues couvre ma pirogue

On ne sait ce qu’on va trouver

Derrière les vagues et derrière les îles

Le rouget, c’est en haute mer qu’on le capture

Au bout d’un filet qui vibre comme un rebab

 

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Dans les douars côtiers, c’est la pêche qui prime sur l’agriculture. La plupart des marins cultivent la terre pendant la mauvaise saison. C’est surtout la crainte de la houle qui paralyse la pêche pendant l’hiver. La vie maritime semble s’être retirée de Massa en raison de l’ensablement. Tifnit est maintenant le port où arrivent les pirogues chargées de poissons. C’est là qu’Oqba Ibn Nafiî s’est arrêté face à la mer. Le grand conquérant arabe avait prié son Dieu en ce lieu. Les princes s’y rendaient pour renforcer leur pouvoir. Ibn Khaldoun rapporte des légendes qu’on n’a cessé de répandre depuis qui représentent cette région comme le lieu d’où viendront l’imam el Mahdi et le Doujjal (l’antéchrist) :

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« Les gens disent que le Mehdi surgira au fond de quelques lointaines provinces au bout du monde civilisé, par exemple au Zab en Ifriqiya ou dans le Sous marocain. Des gens simples vont en pèlerinage au ribât de Massa dans le Sous. Ils espèrent le rencontrer là, persuadés que c’est là qu’il va apparaître et qu’ils lui prêteront serrement d’allégeance. Au début du 13ème siècle,  et sous le règne du sultan mérinide Youssef Ibn Yaâkoub, un soufi pratiquant vint au ribât de Massa. Il prétendait être le fatimide qu’on attendait. Beaucoup de Znaga et de Gzoula de Sous le suivirent. Il était sur le point de réussir lorsque les chefs des Masmoda craignirent qu’il ne vint à menacer leur autorité. L’un d’entre eux, de la tribu des Seksawa lui dépêcha un tueur à gage et l’assassinat. Ceci fit échouer toute l’affaire. »

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La sanctuaire de Sidi Wassay situé sur la rive sud de l’oued Massa, de son vrai nom Abderrahman Rondi par référence à la ville Andalouse de Ronda . Il aurait vécu au 13ème siècle. Il avait quitté l’Andalousie pour Fès et de là à la tribu berbère d’Issafen N’Aït Haroun. Il y laissa un enfant et vint s’établir à Massa où il fut enterré au bord de la mer pour que sa baraka produise des pêches miraculeuses et protège les rivages  des ennemis qui viennent de la mer. Le surnom de Wassay signifie d’ailleurs en berbère « celui qui protège des dangers de la mer ».

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Le rocher de Jonas est également l’objet d’un culte jusqu’à nos jours sur les rivages de Massa. Entre sable et eau le rocher est parfois recouvert par le flux des marées. Pour le professeur Bassir, originaire de Massa : « Ce n’est peut-être qu’une simple légende, mais il n’est guère hors de portée pour le Seigneur de faire advenir Jonas des rives orientales de la Méditerranée à ce ribât de l’Atlantique. Jonas fut avalé par une baleine pour une action blâmable envers Dieu. Et c’est sur ces rivages que la baleine l’engloutit d’une manière ou d’une autre . Un plant de courge poussa alors sur lui comme il est dit dans le Coran :

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« Et nous le jetâmes sur la terre, si maigre qu’il était et nous fûmes pousser sur lui un plant de courge. ». Le yaqtin , ce plant de courge qu’on appelle aussi « légume du Prophète », c'est-à-dire la plante qui a poussé au-dessus de Jonas.

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Selon Léon l’Africain, la mer rejetait ici des cétacés, en particuliers les baleines que les marocains appellent Gaga, comme le prouve leurs carcasses dont on s’est servi pour consolider les arcades et les toitures de la vieille mosquée de Massa. Il y avait un os de baleine à Sidi Wassay qui faisait l’objet de culte et auquel on se frottait pour se débarrasser de certaines maladies. La baleine que rejetait la mer , Léon l’Africain l’avait vu de ses propres yeux. Il raconte comment il a pu franchir sur dos de chameau une arcade faite d’os de baleine. Les baleines échouaient spécialement sur ces rivages, parce qu’à un ou deux kilomètres au large de Massa se trouvent des écueils acérés, à fleur d’eau : la baleine s’y blessait et finissait par échouer sur la plage.

Abdelkader MANA

14:37 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

La Rihla et le Ribab

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La Rihla et le Ribab

Par Abdelkader Mana

Dites, honnête homme
Quel sol mes pieds n’ont pas encore foulé ?
Tindouf, Tata, Tiznit, Agadir
Ou le grand marché des chevaux
Des plumes d’autruches
Et des chameaux à Goulimine ?
Raïs el-Haj Belaïd

Le voyage comme pré - texte, Hâjj Belaïd, le vieux troubadour du Souss, qui errait dans tout le Sud avec son ribab, le savait aussi indispensable pour la poésie : il est la figure emblématique de Tiznit et du Souss. Pour rencontrer son fils, qui tient chaque soir Halqa aux pieds des remparts, nous avons quitté Taroudant et ses oliveraies pour rejoindre l’autre étoile du Sud, Tiznit, cette ville à dimension humaine où tout semble avoir été dessiné en miniature par un orfèvre de fibules berbères plutôt que par un architecte

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Haj Belaid avec son Ribab

Si mes pas me mènent encor de çà de là...[i]

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Allons ! Reprenons la charrue ! Au nom de Dieu !

Attelons la paire de bœufs. La terre familière

Du patrimoine, c'est elle que je cultiverai.

L'ami qui fut mon associé, peut-être

Me laissera-t-il une part de sa prospérité.

Fasse qui veut les jeux du diable,

Agissant sans tête ni cœur !

Amour, Dieu a fixé les liens par le destin.

O soleil de ma vie, ô fleur de juin,

O mon aimée, selon mon cœur et ta semblance.

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Ce poème fut composé par le raïs l'haj Belaïd, dont la renommée est grande. Originaire des Ida Ou Baâquil, tribu à l'E-S-E. de Tiznit, dans le Sous, il avait une soixantaine d'années en 1933. Sa mort semble être survenue après 1945. A son prestige de poète chleuh, maître d'un grand nombre de trouveurs qui firent leur apprentissage dans sa troupe et qui formèrent par la suite leur propre troupe, il ajoutait le prestige du lettré, qui avait étudié à la zaouïa de Sidi Ahmed Ou Moussa (grand marabout de Tazerwalt).

[i] Paulettes Galand-Pernet : Recueil de poèmes chleuhs. Chant de trouveurs Publié par le concours du CNRS aux éditions Klincksieck, Paris, 1972.

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Mokhtar Soussi l'auteur le plus prestigieux de Sous (1900 - 1963).Ses ouvrages disponibles uniquement en Arabe constituent une véritable mine d'informations ethnographiques sur le Sous,(Voir à la fin de cette note la présentation de sa vie et de son oeuvre)

À l’aube de l’indépendance, Mokhtar Soussi publie les quatre tomes d’À travers les Jazoula. Ce récit de voyage dans son pays natal, le Souss, s’inscrit dans la longue tradition littéraire de la Rihla, genre très prisé par les écrivains nomades arabes depuis le Voyage en Turquie d’Ibn Fadlane, en l’an 921, Ibn Joubaïr, le savant andalou (1114-1217) et surtout Ibn Battouta, type même du globe-trotter passé maître dans l’art de tenir un journal de route. Parti de Tanger un 13 juin 1325, Ibn Battouta alla jusqu’à la vallée de l’Indus et aux confins de la Russie et de la Chine.

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Au cours de sa Rihla du Souss, Mokhtar Soussi consigne dans son carnet de voyage tout ce qu’il voyait :

"J’ai ouvert mes yeux sur les lieux, et mes oreilles sur ce qui se dit. J’ai décidé de visiter Tiznit, Agadir, puis Taroudant et les environs de ces trois villes du Souss."

Trois villes qu’il traversa souvent à dos de mulet, en quête d’anciens manuscrits.


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Le defunt Hassan AGLAW et Raissa Kelly

À l’intérieur des remparts de Tiznit, la musique berbère scande, dans les échoppes, la vie quotidienne des cordonniers, des menuisiers, des coiffeurs, des commerçants, de tout un peuple de petites gens et de femmes voilées. Tableau insolite chez les photographes et les disquaires de la ville : l’affiche d’une jeune Française de dix-sept ans qui pose en chanteuse berbère et proclame, en prélude à l’un de ses « tubes » :
« Moi, Kelly, de père et de mère français, je suis tombée amoureuse de la chanson berbère ».

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Raissa Kelly

Au mois de mars, son passage fut une curiosité et son spectacle (elle était accompagnée du ribab du Raïs Aglaou) un franc succès. Une émigration en sens inverse, à la rencontre de l’autre rive et de l’autre vent.

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Par un heureux hasard, le poète même de Tiznit, Ouakhzan Ben Mohamed Sahili, est venu vers nous. Au milieu des palmiers et des chants de coq, non loin de la fameuse source bleue, il nous tint tout un discours de ferveur dans la kasbah du soleil et nous traduisit séance tenante de longs poèmes sur l’émigration du Souss.
L’un des plus anciens poèmes sur l’émigration est la Qasida de Paris, composée en 1936 par Raïs Belaïd le sublime (décédé en 1945, il avait prévu dit-on le séisme d’Agadir). Parti en bateau pour la France, le Raïs fut accueilli à Paris par les Marocains de là-bas :

Certains sont partis en Tunisie,
D’autres à Saint-Étienne,
Et d’autres encore à Paris.
Celui qui émigre pour sauver les siens,
La loi religieuse ne le condamne point.

Il loue l’aide qu’ils apportent à leurs familles restées au pays et les sacrifices qu’ils consentent pour les leurs, allant même jusqu’à s’endetter :

J’ai erré dans le Souss, au pays hahî,
Et dans les hameaux les plus reculés,
Je peux en témoigner :
Même les cimetières,
Ce sont les émigrés de France,
Qui les ont aménagés.
Par leur argent,
Ils ont réparé les coupoles des marabouts.
Par leur argent,
Ils ont entretenu les mosquées.
Beaucoup d’endroits n’ont été sauvés,
Que grâce aux mandats qui viennent de Paris.

Les chants des troubadours du Souss conservent la mémoire de l’émigration. Le travailleur émigré, voyageur professionnel par excellence, est hanté par la nostalgie ; sa poésie est le cri de l’arbre sans racines. En quête de cette mémoire, nous avons suivi l’itinéraire de Mokhtar Soussi qui, jadis, sillonnait sa région natale à la recherche de vieux manuscrits. Surtout nous avons marché dans les pas du Raïs el Hâjj Belaïd, le poète sublime des vallées et des montagnes, l’Andam Adrar qui composa en 1936 l’un des plus vieux poèmes de tradition orale sur la migration vers le Nord.

Ces hommes qui partent travailler dans les mines et les usines laissent derrière eux, femmes, enfants, et tribu. C’est pourquoi le thème de la séparation revient comme une lancinante litanie chez la plupart des Raïs du Souss qui chantent l’émigration.
Dans le poème Je ne te pardonne pas Paris, feu le Raïs Mohamed Damsiri (décédé en novembre 1989) s’identifie aux femmes du Souss qui voit leur mari partir à l’étranger et compare l’avion qui l’emporte à un cercueil :

Je ne te pardonne pas, Paris
Je ne te pardonne pas, Nord
Je ne te pardonne pas, Belgique
Vous nous avez pris les nôtres.
Ô téléphone, réponds-moi !
Je n’ai pas besoin de cadeaux,
La présence du bien-aimé est plus précieuse.
Je ne te pardonne pas, avion
Semblable au cercueil,
Tu emportes sans retour.
Que Dieu bénisse les Chleuhs
Qui travaillent dans les mines et les usines.
J’implore Dieu de nous les faire revenir.
Car les blessures de la séparation,
Rendent notre langue muette.

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Rais Bihti

Dans les campagnes du Souss il n’y a plus que des femmes, des vieillards et des enfants ; le Raïs Bihti, qui lui-même travaille chez Citroën (il est à trois années de retraite), vient pendant les vacances animer les soirées musicales dans le Souss. Militant du regroupement familial, il a bouleversé la communauté des immigrés, surtout à Aglou et aux environs de Tiznit, à telle enseigne que la plupart d’entre eux ont décidé d’emmener leurs épouses avec eux à l’étranger.
Il a, nous dit-on, ému jusqu’aux larmes la moitié des femmes d’Aglou, lors d’une soirée mémorable. Le Raïs Bihti les chante, les comparant métaphoriquement tantôt à une plante fragile qui réclame des soins, tantôt à la terre assoiffée ; il plaint les émigrés d’avoir failli à leur devoir conjugal :

Les biens de ce bas-monde,
M’ont perdu moi-même
Quand je joue du Ribab,
Mon esprit erre autour de la banque,
Et se demande combien d’argent, elle contient ?
Que peuvent pour nous qui partons, les poèmes ?
Nous avons laissé la terre couverte de fleurs,
Mais personne n’est resté pour les arroser.

Depuis lors, certains à Aglou ont choisi de faire venir leur famille en France, d’autres ont rejoint la leur au Maroc. En Occident « la figue de barbarie pourrit au bord des routes » chante Mohamed Damciri, pour qui l’exil est le symbole même de l’impureté :

Ô vent d’Est, ô vent d’Ouest,
Portez le salut à mes frères de l’étranger,
Ils vivent au pays perdu par les hyènes.
J’ai oublié Barbès et Pigalle.
Celui qui les visite restera impur,
Même s’il fait sa prière sur l’eau.


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Rais Amerrakchi

Dans un autre poème le Raïs Bihti évoque une voiture qui vient le chercher :

Quand le chauffeur m’a dit :
« Viens ô Raïs, ton mois de congé est terminé ».
Ma gorge s’est nouée,
C’est souvent ce qui nous arrive, ô mes chers immigrés !

Lui en parle, parce que sa poésie s’impatiente, mais les autres préfèrent s’enfermer dans le silence à force d’absence.

PICT0014.JPGNote sur Mohamed El Mokhtar Soussi

Il est né en 1900 au coeur du Sous. Plus précisement à Dougadir, village de la vallée d’Igli de l’Anti-Atlas, au sud de Tafraout. A partir de l’âge de 11 ans, iI a d’abord poursuivi ses études dans les medersas traditionnelles de Sous :

1911-1918 : Il étudie successivement dans les medersa suivantes de Sous : Illigh à Tazerwalt ; Ighchan au sud de Tafraout ; Bounaâman dans la tribu Aït Jerrar ; Tankourt, dans l’Ifran de l’Anti-Atlas .

1919 : Il rejoint l’université Ben Youssef de Marrakech.

1925 : Il rencontre le salifia Abi Chouâïb Doukkali.

1925-1928 : Etudes à l’université Karaouiyine de Fès.

1928 : Séjourne à Rabat durant un an.

1929 : Il repart vers Marrakech.

1929-1935 : Enseigne dans la zaouïa de son père à Bab Doukkala.

1937 : Enseigne à l’Université Ben Youssef de Marrakech.

1937-1945 : Assigné à résidence à Dougadir, par le Protectorat.

1946-1951 :   Enseigne à la medersa-université Ben Youssef et dans la zaouïa de son père à Bab Doukkala.

1952-1954 : Il est emprisonné dans les lointaines montagnes arides d’Aghbalou N’ kardous (province de Rachidia) en compagnie, entre autres, de Mehdi Ben Berka et de Mohamed El Fassi.

1956 : Il est nommé ministre des Affaires religieuses du Maroc indépendant.

1960-1963 : Il commence à publier ses ouvrages.

1963 : Il décède dans un accident de la circulation.

Mohamed Mokhtar Soussi nous a laissé une abondante littérature sur le Sous, qui est publiée en partie mais qui reste à l’état de manuscrits en une autre. C’est une véritable mine de connaissances ethnographiques sur le Sous , la Maison d’Illigh, les anciennes medersa et bibliothèques ainsi que leur trésor de manuscrits. Mais ses ouvrages n’ont jamais été traduits en Français. Les richissimes commerçants  de Sous sont très fiers d’El Mokhtar Soussi, mais ils sont incapables d’investir un centime dans la culture et encore moins dans la production d’ouvrages sur leur région. Parmi les ouvrages les plus connu d’El Mokhtar Sousi (ils sont disponibles uniquement en Arabe), on peut citer :

« Al maâsoul », paru en 20 tomes, entre 1960 et 1963.

« Sous Al – Âlima », publié en 1960 puis réédité.

« Min Afouah Rijal », en 10 tomes, Tétouan 1962.

Illigh qadiman wa haditan. Rabat, 1966.

Mouâtaqal Asahra. (Première partie), Rabat 1982.La deuxième partie est encore à l’état de manuscrit.

Madaris Sous Al Âtiqa, nidamouha wa Asatidatouha, Tanger, 1987.

Rijalat al îlm al ârabi fi Sous, Tanger, 1989.






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