15/02/2012
Le peintre et le poète
Peintures de Hamza Fakir et poème de Moubarak Erraji
Plus qu’un pinceau (aktar min fourchât)
Premier pinceau
Il tombe de la main de l’artiste
Et refuse la théorie classique de l’art
Deuxième pinceau
Brûle son blaireau, aime la couleur du feu
Et n’obéit à son artiste, que lorsqu’il s’assoit au cratère du volcan
Dont l’imaginaire, tel un panache, s’élève très haut
Et qui n’allume sa pipe qu’aux allumettes
Prises aux étagères du soleil…
Troisième pinceau
Douteux, il ne cesse d’évoquer
Les dix preuves de celui qui doute de tout
Il est à la recherche du magma primordial
Et non de son simple reflet
Quatrième pinceau
Aime peindre les femmes nues
Et se fond dans la toile
Comme la brûlure d’amour dans le corps
Cinquième pinceau
C’est celui déposé au fond d’un verre d’eau
Se lavant des futures peintures
Qui ne sont pas encore posé sur la toile
Sixième pinceau
C’est la main de l’artiste sans pinceau
Septième pinceau
C’est l’âme de l’artiste sans pinceau
Alors que l’artiste s’endort,
Le pinceau recueille ses rêves
Sur le point de tomber sur une rose
Du haut de sa fenêtre
Il recueille ses rêves
Qui virevoltent dans l’atmosphère de sa chambre
Pour les raconter le lendemain
Aux frissons de sa main…
Moubarak Erraji
13:34 Écrit par elhajthami dans Arts, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts, poèsie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
12/02/2012
J’ai choisi l’errance
Raja Mohamed aux premiers escarpements du Haut - Atlas Occidental
Comme on disait jadis « Pline l’ancien », elle s’appelle Tihihite taqdimt(l’ancienne) . Elle réside en ce haut lieu du pays Haha qu’est Aït Daoud. Raja Mohamed, en parfait berbérophone m’a aidé à traduire son poème sur l’errance où elle répond à l’injonction de ce clerc qui lui interdit la musique et le chant, comme au temps des Almohades ! Elle y exprime sa révolte contre des traditions pesantes qui acculent la femme rurale aux travaux pénibles des champs et à la seule fonction de reproduction. Elle s’insurge contre l’asservissement dépourvu de tendresse et surtout contre l’humiliation faite à la femme de vivre sous le même toit que les autres co-épouse d’un mari polygame:
J’implore les miens de ne pas trop m’en vouloir
Les affres d’amour ont brisé mes os
J’implore l’indulgence des miens
Pour qu’ils ne pensent pas à mal ce que j’ai à vous dire..
Il y a maintenant des fous de Dieu qui vous disent :
« Il ne t’est pas permis de diffuser tes chants parmi les hommes ! »
J’ai choisi l’errance et la liberté
Puisque je n’ai pas trouvé le mari
Qui me couvrirait du voile de sa tendresse et de son foyer
Pour y trouver enfin repos et réconfort
Peu m’importe si je serai amener à y moudre les enclos d’épines !
Quand je m’endors, mon cœur s’embrase
Et quand je me réveille, je deviens folle
J’allume alors la lampe à l’huile
Et je me remets à pleurer en me disant :
« Il ne te convient pas de pleurer,
Mais si tu restes là où tu es, tu en deviendrais malade ! »
Dieu m’est témoins, que mes intentions sont pures en revenant au pays !
Je laboure, je moissonne, je colmate les brèches sur les terrasses
Je participe au ramassage du bois, au rinçage du linge au bord de l’oued
Je sue de tous mes pores, sans jamais me plaindre de mes peines.
Si un jour je me marie pour devenir une mère porteuse
Je serais incapable de supporter les contrariétés des co-épouses
Il m’est préférable d’errer avec joie, sur cette terre
Loin des soucis qui oppressent...
J’ai maintenant autre chose à faire
Rien ne peut plus me retenir :
Ni temps, ni argent, ni maison, ni terre
J’ai choisi l'errance et la liberté, puisque tôt ou tard la terre finira par nous avaler
Sur la route d'Aït Daoud, le célèbre souk du miel de thym et de romarin
Raja a proposé de me conduire tôt ce vendredi 10 février 2012 au souk hebdomadaire d’Aït Daoud, pour tenter de rencontrer quelqu'un qui puisse nous introduire auprès de Tihihite taqdimt. Mais une fois sur place on nous a appris qu’elle vit actuellement à Aït Melloul dans la banlieue d’Agadir : comme la plupart des chansonniers du pays Haha elle est ainsi attiré par Agadir qui constitue depuis de nombreuses années déjà, le cerveau musical du pays berbère..
Aux abords d'Aït Daoud des barbelés interdisent désormais le pacage dans l'arganeraie destinée à l'industrie cosmétique en lien avec l'huile d'argan commercialisée ces dernières années à l'international...
De nombreuses vallées demeurent inaccessibles : pour se rendre au souk, les habitants laissent leurs bêtes de somme au bord de la route la plus proche pour prendre ensuite le taxi à l'aller comme au retour: Raja me fait remarquer qu'on aurait pu accorder la priorité à ces routes rurales qui désenclavent le pays profond, au lieu d'investir des sommes colossales pour le future TGV. Il y a en effet, des endroits au Maroc où les gens continuent de vivre encore dans "les cent ans de solitude" de.Garcia Marquez ...Et on ne doit la survie des ânes et autres mulets de ces parages qu'à ce retard dans le programme des routes qui devaient normalement désenclaver ce monde rural, même si le peu de routes qui existent déjà demeurent désertent et on y circule encore quasiment tout seul comme ce fut le cas en Angleterre du temps de Dickens à la fin du XIXème siècle....
Dans cette économie montagnarde, peu monaitarisée et qui confine au troc, tout doit être soigneusement pesé: la moindre marchandise a ici une valeur d'usage et donc une valeur d'échange...
Pour faire leur marché ces montagnards viennent vendre leurs poulets de ferme et leurs oeufs beldi à un dirham trente la pièce...
Comme la plupart des montagnards nous avons acheté deux paires d'oeufs que nous avons fait faire frire à l'huile d'argane chez le cafetier rustique du coin: rien de tel pour réchauffer le corps en ces temps de frimas qu'une bonne et chaude galette de seigle trompée dans cette omelette accompagnée d'un bon thé à l'absinthe (chiba)...
Que vend-on encore pour faire son marché? Des pépins d'argan, des amandes récoltées l'été dernier, des olives...
Pour acquérir de la monnaie nécessaire à tout échange, le paysan vient vendre au marchand de menues quantités d'olives, de menues quantités d'amandes, de menues quantités de pépins d'argane...
Dans cette économie parcimonieuse d'autosubsistance montagnarde, il existe pourtant quelques "grossistes" qui se distinguent par leurs entrepots de marchandises...
Ici s'échangent le sel et les céréales de la plaine d'avec les dattes du désert et les noix de la haute montagne..
Les montagnards viennent surtout ici pour s'approvisionner en fruits et légumes
Le navet est particulièrement prisé en cette période de grand froid du fait qu'il a la réputation d'être "un aliment chaud" dans toute la montagne berbère...
Les fruits et légumes viennent tout particulièrement de la plaine de Sous et des Houara
Les légumes de Sous
Les agrumes des Houara
Artisanat rural, bric à brac et pacotille
De quoi se compose le panier du ménager rural? Car il n'y a pas de ménagère à vrai dire: la femme vient rarement faire le marché à ce souk des hommes.Il existe pourtant un souk des femmes dans le Sous.Mais dans les deux cas la mixité est bannie dans ces sociétés berbères puritaines et conservatrices...
Dans cette société pré-capitaliste où les structures tribales restent prégnantes: on prend le temps de vivre, de discuter de tout et de rien, car le temps n'est pas encore cette denrée rare, cet l'étalon à travers lequel on évalue toute marchandise...
Le temps de flâner sans raison apparente...
Le temps de peser le pour et le contre avant d'effectuer le moindre achat...
Le temps d'acheter de l'encens pour apaiser les esprits qui hantent les seuils et les foyers.
Ustenciles pour puiser de l'eau, rincer le linge..
Ferronnerie et poterie
Tagines et braseros
Clés, haches et soufflets
Charges d'âne ou chouari, tressé en palmes de palmiers-nain ou en plastique
Le palmier nain(doum) pousse avec abondance sur ces montagnes et favorise ainsi la vannerie
Recyclage de fourre tout à vendre...
Rien ne se perd: on réutilise les boutons d'un costume détruit, les braguettes d'un pantalon déchiré, et on se sert des vieux pneux pour confectionner des sandales(boumentel) capable de résister aux pentes les plus abruptes et aux terrains les plus accidentés...
Gros plan sur Boumentel , les sandalles les plus prisées par les montagnards...
Marchand de portables périmés
L'âne, l'inséparable campagnon..
Reportage photographique d'Abdelkader Mana
11:58 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poèsie, haha, haut-atlas | | del.icio.us | | Digg | Facebook
09/02/2012
Nabili dont j'ai perdu les traces n'est plus!
Le destin a voulu que Mohamed Nabili tel les sept crucifiés de l'espoir effectue en cette fête de la nativité du Prophète sa secrète hégire vers Dieu...Qu'il repose en paix...L'artiste que j'ai connu étudiant à Aix en Provence à la fin des années 1970, et que j'avais croisé à nouveau à Mohammadia après son retour au Maroc au début des années 1990, s'est éteind hier pour être inhumé par la communauté des artistes marocains, ce lundi 6 février 2012 à Benslimane où il s'était retiré pour travailler et où il était né orphelin le 4 août 1952.Discret et taciturne, je le croisais souvent en descendant du cinquième étage de l'Université d'Aix - Marseille I où j'étudiais l'éthnologie, alors qu'il étudiais le cinéma et la littérature au premier étage.Mais c'est à l'école des Arts et Métiers d'Aix en Provence que je l'ai connu en tant qu'artiste : il travaillait déjà sur les signe tifinagh gravés sur le sable avec les couleurs indigo et ocre du désert....Comme la plupart des étudiants marocains expatriés en France, nous avions en commun cette quête insatiable de notre terre et de notre soleil d'origine : je poursuivais les traces de nos caravanes aux archives d'Outre Mer et au Centre de Recherche et d'Etudes des Sociétés Méditérranéennes (CRESM), tandis que Nabili poursuivait cette même quête des origines, cette même nostalgie sur les traces de sable ..Pour l'orphelin - né qu'il était, cette quête devait revêtir une aquité existentielle autrement plus douleureuse puisqu'il ne lui restait de la figure maternelle et chaleureuse perdue que la langue Berbère dont les signes et les symboles sont disséminés sur les gravures rupestre de l'Atlas saharien où servant de marquage au fer ardent sur le pelage des chameaux pour en distinguer l' origine......
Le Tifinagh en pillier de la tente des transhumants Berbères : l'univers circulaire du calendrier Amazigh
Les notions de "seuil" et de "porte de l'année" chez les Berbères
Certaines oeuvres de Mohamed Nabili rappel étrangement le regard neuf et plein de tendresse que jette l'enfance sur notre monde troublé par la fureur et la folie des hommes...Au début des années 1990, je vivais avec ma femme et mon enfant à Mohammadia et je faisais la navette soit vers Rabat où je rejoignais l'équipe de la revue "Rivages", soit vers Casablanca où je faisais des reportages pour "Télé Plus". Et je me rendais souvent pour mes poses café à "Miramar", où en 1986, j'avais interviewé les historiens Jean Louis Miège,Germain Ayach, Haïm Zafrani et Michel Jobert dont j'ai appris la mort lui-aussi à Meknès au sortir d'une fête du Mouloud comme celle-ci, en 2002..En me rendant donc comme d'habitude à Miramar ,en 1994, un hiver comme celui-ci, une 4X4 bleu marine s'arrêta à ma hauteur et son conducteur m'invita à monter à bord.Je n'en croyais pas mes yeux: "Mais c'est Nabili!", m'écriais-je stupefié de voir un ancien étudiant comme moi exhibé ainsi un tel signe distinctif de richesse: Je me suis dit: "Décidemment, il vaut mieux sous HassanII être un artiste peintre qu'un simple littérateur: la peinture avec le cinéma, est l'un des rares domaines culturels ou l'artiste peut vivre avec aisance de son art, surtout quand celui-ci est bien coté sur le marché de l'art: être écrivain ne rapporte effectivement absolument rien dans un pays où les droits d'auteur n'existent pas...Un jour l'écrivain arabophone Driss Khouri m'a appris que la seule fois où il avait obtenu des droits d'auteur pour son livre "Ville de poussière et de sable", les dits droits ne lui avaient même pas permis de faire le plein d'essence pour sa déglinguée mobilette...
Mohamed Nabili en chantre de l'Amazighité
La timidité naturelle de Mohamed Nabili, cache au fond un écorché vif, constamment en marche vers les autres...Il a dédié son atelier à l'enfance orpheline et malheureuse comme celle qu'il a connu lui-même, pour que plus jamais, la misère et la rue n'empêche d'éclore le génie d'un possible Rimbaud; d'un possible Van Gogh ou d'un possible Mozart....Une fois à ses cotés Nabili me raconta alors qu'il avait beaucoup voyagé après son séjour d'études d' Aix en Provence et qu'il revenait des Amériques où il a étudié entre autre ,l'art des tribus amérindiennes ainsi que les signes et les symboles des civilisations disparues des Maya, des Inca.et des Astèques..D'emblée cette ouverture sur les arts Amérindiens et Européens, avec Miro en particulier, en faisait un artiste averti qui n'avait pour ainsi dire rien à voir avec les artistes autodidactes au fondement de l'art naïf au Maroc...Pour être reconnu de ses paires, Nabili disposait d'une solide culture académique: certes il explorait sa propre enfance pour se ressourcer aux rêves qui l'habitaient, mais sa technique n'a que l'apparence de la naïveté , puisqu'elle a pour substratum une solide formation aux arts plastiques grâce à ses longs séjours d'études en France, mais aussi aux Amériques et aux pays scandinaves où il avait pérégriné avant son retour aux bércailles où il vient de s'éteindre.
La peinture de Mohamed Nabili s'apparentait à l'écriture musical et s'accomodait parfaitement avec la "mise en quarantaine" volantaire qu'il s'est assigné au milieu des chênes liège et de l'air vivifiant de Bensliman : un isolement qui sied à tout véritable créateur a la recherche de soi dans un ressourcement en ses propres profondeurs, pour mieux être à l'écoute des subtiles notes de lumière émises par les sept couleurs de l'arc en ciel....Quand j'ai appris ce matin la brusque et brutale disparition de Nabili, je ne puis cacher ma profonde émotion, de perdre ainsi un ami à la fois lointain et proche, que je n'ai pu approcher qu'au cours de brèves rencontres et à chaque fois à intervalles espacés dans le temps.Mais à chaque rencontre il faisait montre d'une franche et heureuse sympathie comme si ma figure lui rappelait les temps des amours perdus de notre jeunesse à Aix en Provence...Mais comme il l'avait écrit lui-même quelque part, la vie, la mort demeurrent un mystère inexpliqué et inexpliquable, comme l'art qu'il nous a légué: des traces dont on n'explique pas toujours le sens, ni l'origine mais qui nous parlent de nos propre rêves enfantins, de nos propres racines et des archétypes de nos propres ancêtres.Nous devons, nous qui lui survivons en témoigner devant les hommes et devant Dieu.Qu'il repose en paix en cette fêtes de la nativité du Prophète où le destin a voulu qu'il effectue sa secrète hégire vers Dieu...Abdelkader Mana
15:32 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts | | del.icio.us | | Digg | Facebook