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06/06/2011

Agadir

Le primat de la langue Amazighe

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Agadir et d’une manière plus large le Sous est le cerveau musical de l’amerg, la poésie chantée en langue Amazighe. Ici, tous les emprunts sont  permis  sauf l’escamotage de la langue amazighe : la donne linguistique centrale. On accepte en effet toutes les innovations possibles et imaginables, Agadir est une ville touristique internationale, mais on se ferme sur soi-même et sur sa communauté d’origine dés lors qu’il s’agit de la langue maternelle  : elle constitue le socle non négociable autour duquel s’organise toute activité culturelle dans le Sous. S’il y a eu à un certain moment une forme de concession à la darija sous l’influence du mouvement folk de Nass el Ghiwan, les groupes folk berbères de Sous se sont vite repliés sur leur identité linguistique et musicale. Dans aucune autre région du Maroc on n’observe un tel attachement à la langue amazighe. Il n’est d’ailleurs pas un hasard si Fatima Tabaâmrant ,la diva de la chanson chleuh soit en même temps membre à part entière de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM).

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         Le samedi 8 janvier 2911 nous avons assisté à la grande soirée organisée par l’association Talilte d’aide médicale aux artistes, à l’occasion du nouvel an Amazigh 2961. La soirée eut lieu à la salle de la fantasia située à la sortie d’ Inezeggan en allant vers  Aït Melloul Un dîner de gala  y fut donné sous une immense tente à quelques 7000 invités: chaque table est réservée nominativement  à une famille  particulière à raison de 150 DHS par personne. Toutes les grandes familles de Sous étaient là : on est venu du pays Haha, des Ida Ou Tanane, d’Aït Abdellah, d’Ida Ou Baâkil, d’Ida Ou Gnidif, des Chtouka, d’Isaffen et même des Mtougga. Toutes les tribus de  Sous –Massa – Dra étaient représentées. Des femmes en caftans bariolés sont souvent arrivées accompagnées de leur conjoint à bord de 4x4 et autres voitures de lux appartenant à de richissimes commerçants de Sous.  Toutes les musiques et  danses de la région étaient également représentées : danses traditionnelles de l’Atlas, Raïs et Raïssat de Sous, jusqu’à « l’amerg – fusion » le dernier style en vogue à Agadir : le chant est berbère mais le style musical est celui des  Rockers.

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       Les grandes stars de la poésie et de la musique amazighe étaient là : Ammouri M’barek et  Ali Faïq en Brel et Brassens de Sous. Ces derniers représentent la modernité chez les trouveurs chleuhs tout en maîtrisant la tradition des grands maîtres du genre. Leur style musical et vestimentaire- jean et chemise décontractés, lunettes d’intellectuels, pas de danse sur scène avec micro au bout du bras- est  représentatif de la nouvelle génération des  Rways. Celle des modernes qui ont longuement trempé dans l’émigration en Europe. Amouri M’barek a ainsi chanté une qasida d’Abou Bakr Anchad, ancien trouveur chleuh, dont il est, dit-on, le seul  à savoir reproduire style et répertoire. Il chanta aussi la qasida  où le Raïs Belaïd faisait l’éloge de la kasbah de Tilouine du temps où celle-ci était sous commandement Glaoui.. . Quasiment tous les grands Rways étaient là réunis en  un seul orchestre surnommé la « symphonie des Rways »…Ammouri M'barek  nous déclarera par la suite: " Le Raïs Anchad et le Raïs Belaïd sont pour moi les piliers de la chanson amazighe. Ces deux Raïs m’ont particulièrement influencé, du point de vue la créativité dans la mélodie et les paroles. Du point de vue des voix et du chant aussi. Jusqu’à présent il est difficile de rencontrer quelqu’un qui s’élève au niveau de ces Maestros. Déjà à l’époque le Raïs Belaïd avait composé des chansons qui ne dépassaient pas 3 à 4 minutes. Je n’ai jamais voulu briser cette beauté ancestrale, cette beauté traditionnelle. Anchad et le Raïs Belaïd doivent être traité à la classique avec un grand orchestre philharmonique."

En attendant le début de la soirée, le public eut droit à quelques morceaux d’ « Amarg – fusion » . En guise d’hôtesses, de jeunes filles habillées en haïk blanc avec caftan bariolé( rouge,noir et blanc) et  bijoux berbères en argent massif : on affirme ainsi avec force l’identité berbère. Celle – ci se décline  sous tous les registres : linguistique, musical, vestimentaire et culinaires. Sous-Massa-Dra, comme bloc identitaire s’affirme ainsi par le référent amazigh qui est ici omniprésent comme nulle part ailleurs au Maroc  …

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       La grande soirée s’ouvre par l’ahouach d’« Ajmac – Sous »  en tout similaire à celui du pays Haha. La flûte du berger appelée awada y joue un rôle central. Pour émettre des sons aiguë, cette flûte est confectionnée dans un roseau femelle Car le roseau est mâle et femelle. La flûte oblique dont il s’agit est percée de sept trous. Son accord ressemble à celui du rebab. Elle donne un air qu’on appelle « âsra Gnaouia » : celui de la gamme pentatonique.. Pour le Raïs Belaïd, l’aède des troubadours de Sous, l’esprit de la musique et du chant qu’on appelle hawa au pays Chleuh serait né de la flûte enchantée du pays Haha. C’est l’air du pays de l’arganier, du vent et de la mer. Nostalgie des origines. Au pays chleuh, l’awada est indispensable à chaque fête. On dit que les chevaux de la fantasia sont très sensibles aux airs de cette flûte de berger par excellence. Sans sa présence, ni la danse atlasique qui l’accompagne ; ni  la fantasia ne seraient réussies. Pour le Raïs Mohamed Lamzoudi :« Les Chtouka de Sous sont surtout connus pour leur outar. Ils sont doués pour cet instrument à corde. Les Haha, le sont pour leur aberdag, trépignement et leur awada, flûte. Cet instrument à vent est né chez eux. Les Mtougga, eux, sont réputés pour leur rebab. Comme les autres tribus de Sous, ils produisent beaucoup de poésie. ». L’ouverture avec l’ahouach  fut  un grand  moment : Prestige de la musique. Le rythme à l’état pur.

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    Des différentes formes d’Ahouach Mohamed El Khattabi, poète amazigh, né le 4 avril 1965, dans la commune d’Aït Ahmed, aux environs de Tiznit qui préside actuellement le syndicat marocain des musiques et des danses dans la région Sous – Massa – Dra, nous dit : « J’ai grandi en milieu rural où on pratique différents genres d’ahouach , tels ceux d’ Ajmak, d’Aghnaqar, d’Asdawl, ou de derst et bien d’autres encore. Le Sous est aussi connu pour sa poésie chantée en langue amazighe, surtout l’art des Rways qui m’a énormément influencé. J’avais formé une troupe de Rways au milieu des années 1980 et en 1988, j’ai formé un groupe folk berbère  du nom d’Imoudal (les montagnes). Ce groupe s’est structuré autour du Rebab en y incluant des instruments modernes telle la batterie, le banjo et la guitare électrique. On animait ainsi fêtes officielles et privées. En même temps j’ai écris un grand nombre de poèmes en langue amazighe : certains furent publiées dans les revues et journaux nationaux, d’autres ont été interprétée par des trouveurs chleuhs ou par des groupes folk berbères»  A la fois troubadours et trouvères, les danseurs chleuhs sont aussi des chanteurs qui interprètent les œuvres des poètes de la montagne : vieilles mélopées, chansons nouvelles.

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      À droite de la scène,  sur écran électronique, défile maintenant l’inscription : « L’association talilite d’aide médicale aux artistes vous souhaite la bien venue ». Le symbole de ladite  association est tout naturellement le Rebab : en argent, il trône au beau milieu d’un tableau  grand format sur fond velours noir. Le rebab  est en effet, l’instrument central de cette musique  : c’est cet instrument qui lui permet de garder son cachet original.Le joueur du rebab prélude de deux manières : soit en montant des gammes « tlouâ », soit en brodant la note « Do » ; « Astara ». Aux tremblements d’épaules correspondent les trilles du rebab. L’introduction du rebab monocorde dans l’orchestre chleuh peut passer pour un trait de génie, tant il donne à cet orchestre un timbre original, une allure pittoresque, une force expressive qu’il n’aurait pas sans cet instrument. La corde vibrante est constituée par une mèche de quarante à cinquante crins de cheval (sbib). Les sons produits constituent un curieux amalgame de notes fondamentales et d’harmoniques. Il en résulte un timbre aigre – doux qui rappelle les sons de la flûte.

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      L’un des grands moments de la soirée fut incontestablement la montée sur scène de « la symphonie des Rways » sous la direction du Raïs Lahcen Id Hammou : les grands maîtres du Rebab de Sous, accompagnés d’un joueur de guitare électrique et surtout de nombreux joueurs d’outar. Parmi les grands Raïs présents on peut citer : Mohamad AchtoukHmad Darkaoui, Brahim Ou TiznitAkherrazJam’ou TaddartIdder,  Amghar Mazzi , Amghar Maqqor,Moulay Ahmad Ihihi,  Ahmad Amentag, Lahcen el Fatouaki, et Boubakr Achtouk , disciple de feu le Raïs Mohamad Damsiri . On a joué en premier lieu des airs du grand maître du Rebab que fut le Raïs Belaïd dont tous les trouveurs chleuhs se réclament. Originaire des Ida Ou Baâquil, tribu à l'E-S-E. de Tiznit, il avait une soixantaine d'années en 1933. Sa mort semble être survenue après 1945. A son prestige de poète chleuh, maître d'un grand nombre de trouveurs qui firent leur apprentissage dans sa troupe et qui formèrent par la suite leur propre troupe, il ajoutait le prestige du lettré, qui avait étudié à la zaouïa de Sidi Ahmed Ou Moussa, grand marabout de Tazerwalt, et .saint protecteur des Rways qui se rendent en grand nombre à son pèlerinage annuel, où ils chantent jusqu’à  l’extinction de leur voix : effet bénie par le saint et désirée par les chanteurs, car la voix éteinte symbolise la mort des vieilles cordes vocales indispensable à la renaissance d’une nouvelle voix,à la fois neuve et vigoureuse, pour le restant de l’année.

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        Depuis 2003, le syndicat des métiers de la musique et de la danse pour la région Sous- Massa- Dra, organise un festival à Tiznit autour de la figure emblématique du Raïs Belaïd nous explique Mr. Mohamed El Khattabi, instigateur de cette manifestation :

« Le festival du Raïs Belaïd que j’ai fondé à Tiznit est maintenant à sa neuvième édition. Nous lui avons donné le nom de ce grand  artiste, qui  symbolise à lui seul la chanson amazighe. Nous comptons perpétuer son souvenir en  décernant un  prix en son nom lors de chaque édition de notre festival. Le délégué de la culture à Tiznit, Mr. El Farz avait  appuyé dés le départ l’idée d’organiser cet évènement  avec des moyens forts limités du ministère de la culture. Soit la somme de 3000 DHS.  Parmi les stars de la chansons amazighe  y ayant participé : Ammouri M’barek, Fatima Tabaâmrant ainsi qu’un grand nombre de poètes amazighes. Lors du  colloque organisé à cette occasion nous avons recommandé de donner le nom du Raïs El Haj Belaïd au conservatoire de musique de Tiznit. Suggestion approuvée par le conseil municipal ;  une plaque commémorative portant le nom de l’illustre Raïs fut accolée aussitôt  à l’entrée du conservatoire de cette ville. Autre recommandation : nous avons adressé une requête à la délégation de la culture et au conseil municipal pour l’adoption de l’ enseignement de la musique amazighe au conservatoire, y compris le legs du Raïs Belaîd en tant que symbole culturel du Sous – Massa- Dra. Nous demandons également de baptiser l’une des artères de Tiznit en son  nom .  Au cours des neufs dernières éditions du festival, le prix Raïs Belaïd a été accordé successivement aux artistes suivants :  Ammouri M’barek,  Fatima Tabaâmrant, le Raïs H’mad Bizmawn, le groupe folk berbère d’Izenzaren , Rqiya Damsiriya l’artiste connue de tous,  Fatima Tihihite mazzine,  le poète Ali Chouhad doyen du groupe musical d’Archach, et enfin au Raïs Lahcen Ben L’moudden. Et si le bon Dieu le veut, ça sera le tour du  grand artiste le Raïs el Hucein el Baz, d’obtenir ce prix en 2011. »

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     Quand la Raïssa Fatima Tabaâmrant est montée sur scène, la salle s’enflamma. Avec fierté elle chanta l’amazighité qui remonte, selon elle à plus de 5000 ans d’histoire :

« Ô amazigh ! Libres sont vos  ancêtres et vos descendants ! »

Pour elle l’art est en relation avec la politique :

«  Par le passé il était interdit de parler de l’amazighité dans notre pays. Et maintenant nous allons fêter l’an amazigh 2961. N’est pas là un objet de fierté ? N’ai – je pas le droit d’être fierté de cette histoire plus que millénaire ? Je suis chez moi, je ne suis pas partie au pays de quiconque. Les générations s’en vont mais la culture reste. La page écrite peut braver l’éternité, surtout si son contenu pèse lourd. Si nous voulons parler de la culture dans notre pays ; force est de reconnaître que nous avons des maisons de la culture mais qui n’abritent pas de culture. Le grand problème dont souffre la chanson amazighe est celui de l’information. Les médias audiovisuels avaient complètement exclu l’amazighité de leurs programmations. Beaucoup de nos Rways sont décédés : où est maintenant la relève ? Les programmes télévisuels consacrés aux jeunes talents ne comportent pas de participation amazighe. Nous devons sauvegarder notre patrimoine, car la chanson amazigh est une école en soit. Elle est riche en contenu. La chaîne amazigh manque encore de crédibilité et de professionnalisme à même d’imposer la chanson amazighe. Par exemple à Studio 2M, il n’y a aucune participation en amazighe. C’est notre droit d’avoir une participation amazighe. Nous avons pourtant droit à 30% des programmes des chaînes non amazighes. Cela est clairement stipulé dans leur cahier de charge. Les ministères de la culture et du tourisme ont toujours eu une perception folklorique de l’art amazighe. On vous met toujours dans un cadre folklorique où vous ne pouvez rien donner. Pour ces ministères la chanson amazighe est un simple produit folklorique pour touristes de passage au Maroc. Cependant j’apprécie beaucoup l’initiative du ministère de la culture relative au soutien à la chanson marocaine. Maintenant les jeunes écoutent les chansons orientales et occidentales de sorte que la chanson marocaine s’en trouve exclue. Parce qu’il n’y a pas du nouveau dans le domaine de la chanson. Nous sommes dans une période où tout s’est perdu avec Internet, la parabole, les cartes mémoire, le piratage de sorte que le marché de la chanson a été perturbé. Le producteur ne peut plus tabler sur l’artiste, surtout quand celui-ci n’a pas de public. Or on ne peut pas  continuer à tabler uniquement sur les artistes connus : ils s’épuisent. J’ai maintenant plus de trente ans de carrière ; il nous faut du sang neuf. Il ne peut pas y avoir de progrès dans le domaine artistique sans lutte contre le piratage. »

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      De son vrai nom Chahou Fatima, née en 1962, dans l’ifran de l’anti Atlas. C’est là qu’elle a encore ses attaches familiales. Mais pour sa vie d’artiste, elle s’est établie comme la plupart des trouveurs chleuhs à Dchaïra.  Comme l’indique son nom d’artiste, elle est  originaire des Aït Baâmrane. Elle a  intégré le domaine de la chanson berbère en 1983, soit déjà une trentaine d’années :

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  « Je suis d’abord  une poétesse avant d’être chanteuse. Ma première qasida « qu’est ce qui t’arrive pour pleurer ainsi ? » évoquait ma situation d’orpheline : j’ai perdu en très bas âge. C’est la principale raison d’être de ma poésie. Je m’inspirais des anciennes mélodies d’El haj Belaïd ou de celles d’El Haj Mohamed Damsiri ou encore de  Hmad Biezmawn. C'est-à-dire les leaders de la chanson amazighe que j’admire. A l’époque il n’y avait que la radio ;  où j’écoutais les Raïssa Rqiya Damsiriya ou Fatima Tihihite. J’ai débuté en 1983 avec la troupe de Jamaâ el Hamidi que Dieu ait son âme. J’ai intégré sa troupe en tant que danseuse. Peu de temps après, j’ai rejoins la troupe de feu le Raïs Saïd Achtouk. Puis j’ai rejoins la troupe de Moulay Mohamad Bel Faqih. Depuis lors j’écris et compose mes propres chansons : je n’interprète jamais ce que je ne ressens pas personnellement. Je n’ai jamais chanté la qasida de quelqu’un d’autre. Ma qasida préférée est celle qui traite de l’identité amazighe en Afrique du Nord. Son  territoire porte le nom de Tamezgha, c'est-à-dire l’Afrique du Nord. Auparavant on considérait comme simple production de l’imagination que d’affirmer l’ existance des amazighes au Niger ou au Mali. Mais ma qasida a montré qu’il y a des amazighes au sud du Sahara. C’est en Afrique que se trouve la terre des amazighes libres ; au Burkina Faso, au Mali,  ainsi qu’au Tchad. C’est là que s’enracinent leur poésie et leur parole. Leur substratum, vital et  tribal. C’est la terre de Tamazight que je chanterai ! Pourquoi ne serais-je  qu’une outre emportée par les eaux ? J’ai pris le message qui me fait pleurer mais sans trouver de coursier pour le transmettre . A l’humiliation je préfère me terrer plutôt que de me taire. C’est pour tamazight que je me bats contre tous ceux qui renient notre langue … Pourquoi je ne préserverai pas mon identité alors que les kabyles d’Algérie restent attachés à la leur ? »

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      Fatima Tabaâmrant évoque ensuite le personnages mythique de la kahéna . L’antique héroïne berbère du Maghreb portait en fait un nom arabe :  kahéna signifie en arabe « devineresse », manifestement en rapport avec les dons prophétiques que prêtent à la reine les auteurs musulmans à partir d’Ibn Abd al-Hakam (mort en 871). Ibn khaldoun indique que la kahéna avait d’abord été « la reine de l’Aurès » avant de devenir « la reine des berbères de l’Ifriqiya ». Les Berbères se rallièrent à elle après la mort de Koceila leur chef en 688. Al Wakidi, écrit qu’elle se souleva « par suite de l’indignation qu’elle ressentit à la mort de koceila». L’historien arabe El Maliki rapporte à son propos ce curieux détail : « Elle avait avec elle une énorme idole de bois qu’elle adorait ; on la portait devant elle sur un chameau. » Des siècles après la reine de l’Aurès fait encore rêver, comme en témoigne les illustrations qu’en fait aujourd’hui l’artiste El Oumami ou ce qu’on disait une brochure anonyme de 1890 qui s’achève ainsi : « Sparte eût inscrit son nom dans ses temples. Homère l’eut célébré dans ses poèmes immortels». Cette « force amazigh » est aussi symbolisée par les antiques aguellid (ces anciens rois berbères) : Juba II, Massinissa, Jugurtha. Le plus illustre est Jugurtha qui apostropha ainsi  Rome après avoir distribuer son or aux membres de la classe sénatoriale : « Ville à vendre et condamnée à périr si elle trouve un acheteur ! ». Tabaâmrant, l’érige aujourd’hui en modèle de l’amazighité  : «  J’ai un film sur la kahéna, l’héroïne berbère. J’ai également chanté une qasida qui parle de la mort de Matoub Lounès. Car c’était un grand pilier de la culture amazighe. Je lui ai dédié un chant funèbre où je le compare à une grosse pierre qu’on aurait arrachée, laissant un vide béant sur les flancs de la montagne. Cette qasida parle de ceux qui militent pour l’amazighité et de ceux qui s’opposent à elle. Je n’aime pas les masques : je préfère les traits naturelles. Pourquoi tous les pays d’Afrique du Nord préfèrent le masque ? »La soirée s’est poursuivie avec les groupes folk de la région dont nous avons interroger deux éminents fondateurs.

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    La soirée s’est achevée par Tagoulla, le repas qu’on offre à l’occasion de la fête saisonnière d’Idernane. Lorsque les amandiers en fleurs donnent aux valets de l’Anti – Atlas leur aspect presque riant et au moment où commence le gaulage des olives, la fête des idernane a lieu juste après le jour de l’an du calendrier julien : c’est ras- el- âm, le jour de l’an berbère, cette porte de l’année agricole qui correspond au 13 janvier du calendrier grégorien, qui donne le départ à ces fêtes saisonnières qui permettent aux vallées de l’Anti-Atlas de sortir progressivement de la mort hivernale à la renaissance printanière. La fête des idernane commence en tribu Ida Ou Samlal le jeudi 15 janvier ; les autres tribus la célèbrent ensuite jusqu’à la mi – mars. C’est une fête qui dure trois jours : le jeudi, le vendredi et le samedi. Que sont les idernane ? Ce sont les baignés faits de patte que l’on cuit dans le plat à pain enduit au préalable d’huile d’argan. Ce jour – là on mange aussi les moules séchées achetées sur le marché : les villageois préparent les crêpes ainsi que les moules qu’on appelle waïl en berbère, bouzroug en arabe. Ils s’invitent entre eux et le soir venu a lieu la fête dans le douar.

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La fête des Idernan à Tafraout

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Dans le Sous, la femme reste la gardienne de la culture et de l’agriculture. De tout temps la femme berbère a été pourvoyeuse des significations du monde. C’est elle qui inculque aux très jeunes enfants la culture ancestrale que l’homme trop paresseux quand il n’est pas occupé dans les mines d’Europe ou les épiceries de Casablanca ne leur dispense pas. Cette culture se donnait comme un travail de patience et de méthode qui consiste à nourrir le cerveau de l’enfant de la geste symbolique tout en lui faisant connaître les beautés diverses et immédiates de la terre.                         

                                                          Agadir le lundi 10 janvier 2011

                Abdelkader MANA

 

12:24 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

05/06/2011

Musique andalouse et thérapie de l’exile...

Le modèle musical andalous

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Dans tout le Maghreb, les zaouia citadines, ont servi de conservatoire pour le Modèle Musical Médini d’origine andalouse. Ce modèle a été introduit à Essaouira par les artisans d’origine andalouse aussi bien musulmans que juifs. Il semblerait qu’on venait de loin à Mogador pour consulter David Iflah et David El Qayem sur les noubas andalouses disparues. Et mon père me racontait comment le grand chantre du samaâ d’Essaouira – le père d’Abderrahim Souiri – s’asseyait dans sa jeunesse aux escaliers des maisons juives où avait eu lieu un mariage pour écouter les modulations vocales des pyutims juifs de Mogador, qui sont l’équivalent des bayteïnes dans l’oratorio des confréries de l’extase..Les Zaouïa comme réceptacle du legs Andalous en particulier pour le samaâ (l’oratorio).Gardiennes de la tradition,la plupart des zaouia se présentent comme le centre d’épanouissement pour l’art musical à un tel point que leur répertoire respectif est devenu la norme à partir de laquelle se juge la compétence des musiciens. La majorité d’entre eux leur doit d’ailleurs leur formation professionnelle.

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 Veillée de samaâ à Fès, organisée à Moulay Idriss par la zaouia Hérraqiya

C’est en effet dans les zaouïas de l’extase que le soufisme s’accomplit selon Mawlânâ « dans la musique, le chant et la danse ». Elles furent les gardiennent de la musique andalouse. Le lieu de prédilection reste les réunions du dhikr (remémoration) et du samaâ (oratorio). Ce sont des séances collectives de litanies et de danses extatiques. Cette tradition musicale qui remonte à l’Espagne musulmane n’a pu s’épanouir et se perpétuer que grâce aux séances du samaâ dans le cadre du soufisme populaire des confréries religieuses. En Occident musulman, la musique andalouse fut composée, selon le modèle du soufi Abou Al Hassan Al Shushtâri, de toubouâ( tempéraments) et des nûba (modes musicaux) : tab’ al dhîl, raml al mâya, asbahân, sika, mazmûm, rasd, asba’ayn etc.

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Orchestre de musique andalouse de Fès

La musique andalouse a connu ses premiers développements à Fès, grâce aux apports Cordouans et Kairouanais dont les deux quartiers (rive gauche pour les premiers, droite pour les seconds) existent encore. L’influence musicale andalouse au Maghreb est en rapport direct avec les mouvements migratoires vers la rive sud, depuis le XIIème siècle, en passant par la chute de Grenade(1492), jusqu’à l’expulsion générale des Morisques et des Hornacheros en 1610. Fès accueillit ainsi sous les Mérinides, des réfugiés de Valence et sous les Wattassides, nombreux étaient ceux qui avaient rejoint Tétouan, Chefchaouen et Alger, après la chute de Grenade. Avec l’expulsion générale de 1610, un grand nombre se dirigea vers Fès et Tlemcen.

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 L’influence culturelle des émigrants Andalous fut considérable surtout au Maroc qui n’a pas connu de domination turc. La musique andalouse a ses racines à Bagdad, où Ziryâb fut le disciple d’ Ishâq Al-Mawsili, maître incontestable de l’école des ûdistes. Après un passage à Kairouan, la capitale de l’Ifriqiya sous les Aghlabides, il se dirigea vers Cordoue en l’an de grâce 822, où l’aristocratie arabe réserva le meilleur accueil à cet émissaire de l’esthétique orientale. Il fut le fondateur des traditions musicales de l’Espagne musulmane. Il légua à l’Andalousie, selon Ibn khaldoune , « un répertoire de chants immense qui se propagea jusqu’à la période des tawâ’if et, comme un océan, submergea Séville pour gagner ensuite les autres provinces andalouses, puis le Maghreb ».

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On surnomma Ziryâb de « merle noir » parce qu’il avait diton le teint très brun :« La fluidité de son parler, ainsi que la douceur de son caractère lui valurent le surnom de Ziryâb par comparaison avec un merle noir. Même aux derniers jours de Grenade, les poètes continuaient à voir dans sa gloire un thème séduisant ».

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Les deux chantres du samaâ d’Essaouira et du Maroc: Abdelhay de la zaouia kettaniya et Abdelmajid Souiri, présents à toute les cérémonies religieuses du Palais Royal

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    Pour al dhiki, XV ème siècle , si la musique arrive par moment à nous détacher de toute préoccupation terrestre,matérielle comme temporelle ; elle offre une plus grande liberté à l’âme pour se détacher de l’obscurité du corps.On avait l’habitude d’utiliser une fois par semaine la musique comme thérapie. Les personnes s’adonnant à la musique, remarque Ibchihi, XIVème siècle, soutiennent qu’une voie harmonieuse s’infiltre dans le corps comme le sang s’infiltre dans les veines.Abdessalam Chami nous dit à cet égard : « Si nous voulons évoquer les origines de l’art du samaâ, du début de son développement au Maroc,notre mémoire nous ramènera loin. A des siècles révolus.D’après les historiens, la tradition de fêter la nativité du Prophète où l’on chantait les qasida du madih (louages au Prophète) a pris naissance à Ceuta. C’était du temps où cette ville était dirigée par la famille al assafi. C’est à cette époque, aux environs du cinquième, sixième siècle de l’hégire qu’on avait commencé de fêter la nativité du Prophète en chantant les louanges de l’envoyé de Dieu.Après cela les sources historiques évoquent la présence du madih et du samaâ dans la Cour saâdienne : les chanteurs du madih et du samaâ faisaient partie de la fête aussi bien lors des cérémonies privées que le sultan Ahmed El Mansour Dahbi organisait dans ses palais qu’à l’occasion de la fête de la nativité du Prophète. Il y avait d’une part la chorale du madih et de l’autre celle du samaâ.L’histoire confirme la tradition. En effet, al-Ifrâni, consacreà la préparation de la nativité du Prophète sous le règne d’Ahmed El Mansour Dahbi, une description assez détaillée et assez précise : « Dés qu’on apercevait les premiers rayons de la lune de Rebia I, le souverain adressait des invitations à ceux des faqirs de l’ordre des soufis qui exerçaient les fonctions de muezzins et se dévouaient à faire les appels à la prière pendant les heures de la nuit. Ils en venaient de toutes les villes importantes du Maroc…Dés que l’aurore apparaissait, le sultan sortait du palais, faisait la prière avec la foule du peuple, puis, vêtu d’une tunique blanche emblème de la royauté, il allait prendre place sur le trône devant lequel on avait déposé tous les cierges aux couleurs variées, les uns blancs comme des statues,d’autres rouges, tous garnis d’étoffes de soie pourpre et vertes, à côté étaient rangés des flambeaux et des cassolettes d’un si beau travail qu’ils causaient l’admiration des spectateurs et émerveillaient les assistants. Cela fait, la foule était admise à pénétrer ; chacun se plaçait selon son rang, et quand tout le monde avait pris place, un prédicateur s’avançait et faisait une longue énumération des vertus du Prophète et de ses miracles. La conférence terminée, tous les assistants accomplissent les cérémonies de l’office de la Nativité, puis on voyait alors s’avancer les membres des confréries murmurant les paroles d’achchuchtûrî (maître du samaâ et célèbre soufi andalou ayant vécu au Maroc et mort en 896) et celles d’autres soufis, tandis qu’une troupe de coryphées déclamait des vers en l’honneur des deux familles (celle du Prophète et celle d’Al Mansour). » (d’après « Nozhat El Hâdî » d’Al Ifrânî).

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Un des frères souiri, déclamant un mawal à Fès

On le voit ach-chuchtûrî, natif de Murcie, inventeur des mouachah et de samaâ (oratorios) chanté sur des modes musicaux andalous était déjà à l’honneur dans la Cour d’Al Mansour ! La naissance du samaâ est liée essentiellement aux confréries religieuses. C’est une composante de l’identité culturelle des médina traditionnelles où on produisait de nouvelles élégies de sorte que le corpus du samaâ n’a pas cessé de s’accroître et de se diversifier du point de vue du chant de la composition et de la poésie. Il va de soit que la musique importée d’Andalousie du temps des Almohades et particulièrement de celui des mérinides a été considéré comme le moule musical adéquat où devait se chanter toutes sortes de choses. La preuve en est qu’on a eu recourt à la musique andalouse et à ses modes musicaux pour chanter aussi bien l’art du samaâ que celui du madih ou encore du malhûn : toutes les qasida du malhûn sont chantées à travers les modes musicaux andalous.

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 Orchestre du malhûn de Meknès avec feu Hucein Toulali. Il avait choisi de nous chanter la qasida du coeur de Sidi Qaddour Alami comme pour conjurer le sort de la maladie et du temps qui passe : «Le silence d’une année est meilleurs qu’une parole inutile...»

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       On y recourt également pour déclamer le Coran à la manière marocaine. De ce fait un lien profond existe entre toutes ces formes et ces manifestations du patrimoine et la musique andalouse. La particularité qui caractérise le samaâ est qu’il recourt avec force aux modes musicaux andalous. Or quand nous menons des recherches musicologiques, dans le corpus du samaâ, nous nous rendons compte que celui-ci est plus riche. Car ce qui a été perdu dans la musique andalouse a été sauvegardé par les zaouia considérées comme le cerveau musical et son lieu de conservation jusqu’à nos jours. Les zaouia ont enrichies la musique andalouse du point de vue mélodique et rythmique tout en y ajoutant une mélodie spécifique connue sous le nom de darj. En effet, les échelles modales exécutées par la musique andalouse sont au nombre de quatre : lqaïm – nsif, labtaïhi, lqouddam et le bassît auxquelles les zaouia ont ajouté l’échelle modale de darj. Ils ont ajouté également beaucoup de chants, de textes poétiques que ce soit les qasida, les mouachahâtes, ou encore les baraouiles qui sont une spécificité de la poésie populaire marocaine.

Festival des Andalousies Atlantiques

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Sous le signe de la diplomatie

Le festival a pour thème musical le Matrouz,(le brodé) genre musical judéo andalous que défini ainsi le regretté Haim Zafrani, lui-même fils de Mogador: « Dans la trame des poésies hébraïques de style traditionnel, le poète juif insère de temps à autre des strophes ou des vers de langue arabe. Cette juxtaposition, ce passage d’une langue à l’autre, c’est la réalité culturelle et linguistique du Maghreb juif. Mais ce tissu langagier, cet habit dégradé, a aussi une valeur esthétique ; il n’est pas sans évoquer l’art de la broderie, comme l’indique le nom même de ce genre poétique désigné par le terme Matrouz ou poésie brodée. Le trésor artistique des sociétés méditerranéennes modernes connaît des exemples de cette mosaïque, de ce collage non dépourvu de nostalgie, et chargé d’émotion esthétique. »

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André Azoulay, conseiller Royal André Azoulay aux Carnets nomades de France Culture : «Je ne vois pas d’autres cénacles, d’autres festivals, d’autres espaces dans le monde d’aujourd’hui, où cette relation du Judaïsme avec l’Islam , en terre arabe, au Maghreb, puisse trouver cette forme et cette réalité. Essaouira, c’est ce navire amiral qui envoie en code et en lumière et en signaux tout ce qui nous manque tellement, tout ce que nous avons perdu. Cette modernité qu’Essaouira exprime est celle de cet humanisme qui était tout à fait banale ici depuis des siècles. Mais nous sommes en octobre 2010et cette humanisme a déserté nos rivages. Mais ici, il fait escale Vous avez entendu le rabbin Haïm Louk invoquer Allah, invoquer le Prophète Mohammed, c’est quasiment surréaliste pour certains. Les invoquer de la façon la plus sereine, joyeuse et tellement érudite. Alors que partout dans le monde, chez les musulmans comme chez les juifs ; on est ici sur la planète Mars. Mais quelle planète ! Quelle beauté ! Quelle chance aussi ! »

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Leila Chahid, représentante de Palestine auprès de l’Union Européenne Leila Chahid aux « Carnets nomades » de France Culture : « Ce qu’on voit ici, c’est vraiment une culture commune judéo – arabe parce que nous sommes dans un lieu très spécial au Maroc ! Malheureusement ce n’est pas le cas partout, parce que toutes les villes marocaines n’ont pas connu des communautés très ancrées, très riches, très anciennes, très productrices sur le plan artistique. Mais Essaouira a toujours eu une communauté juive très ancrée dans la tradition judéo – arabe, d’une culture millénaire et très attachée à sa marocanité et très inspirée par cet esprit qui hante les enceintes et les murailles de cette ville qui vient presque avec le vent de l’atlantique ! On voit toutes ces femmes qui sont complètement couvertes par un magnifique haïk , un tissu blanc de laine, qu’elles ne mettent pas comme un tchador mais comme un voile qui les entoure, qui les protège du vent parce qu’Essaouira a cette particularité d’être un climat atlantique où le vent balaie la ville la plupart du temps de l’année sans qu’il fasse froid et ce vent l’a protégé un peu du tourisme excessif. Essaouira est une ville qui abrite beaucoup de zaouia, c’est-à-dire, de marabouts, de saints de l’Islam et du Judaïsme et a une tradition de poètes et de musiciens qui a permis à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, l’existence de beaucoup d’orchestres de musique andalouse mixtes. : Judéo – arabes ayant une tradition spécifique de chants communs qu’on appelle le matrouz qui est tissé, brodé, entre l’arabe et l’hébreu dans cette tradition marocaine. Ce qui est triste, c’est qu’avec la création de l’Etat d’Israël et le départ de la majeure partie de la communauté juive marocaine, les artistes eux – mêmes ne sont plus là pour continuer à jouer avec leurs compatriotes marocains musulmans. Il fallait une initiative comme celle d’André Azoulay des Andalousies Atlantiques pour ramener ceux qui ont perpétués cette tradition.

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Hier soir nous avons assisté à quelque chose qui relève de l’ordre du miraculeux : j’ai vu des jeunes Français, dont les parents étaient juifs marocains et c’est xtraordinaire de voire ces jeunes âgés de 25 – 35 ans qui chantent en hébreux, en arabe, en espagnole d’une tradition qu’ils ont préservé. Et c’est des amateurs et qui le font par attachement à cette tradition. Je pense que c’est quelque chose qui relève d’une identité qui est réel, une réalité culturelle et artistique qui est restée un peu comme sous la peau des gens, dans leurs tripes et qui ressort lorsque l’occasion en est donnée. Il ne faut pas que cette culture disparaisse ! Je pense que la musique est la meilleure thérapie pour la douleur. Or, il y a beaucoup de douleurs aujourd’hui : il y a la douleur des palestiniens qui continuent à mourir sous l’occupation militaire assiégés à Gaza, dépossédés de leur terre, expulsés : c’est une grande douleur ! Il y a la douleur des exilés, :que ce soit les juifs exilés de leur patrie d’origine au Maroc, en Algérie, en Tunisie ou ailleurs et celle des réfugiés palestiniens : moi aussi, je suis née en exile. Je pense que la musique a une fonction thérapeutique : elle met un baume sur les blessures. Elle élève les gens par la voix, par le chant, par la musique, par l’incantation…On se retrouve au niveau de l’universel parce que nous sommes avant tout des êtres humains qui devons faire face à la seule chose qui nous unit qui est la mort . Pour moi l’émotion est une forme de vérité et je pense que la musique réveille cette émotion– là. Depuis vingt ans nous vivons sous le régime de la peur de l’autre et donc je pense que de telles rencontres enrichissent le débat sur quels sont dans nos traditions, nos mémoires, les éléments qui peuvent enrichir notre avenir ? Nous sommes toujours le produit d’une stratification de plusieurs identités et je pense que l’idée qu’on est entré dans une phase où une identité s’oppose à l’autre ; c’est la peur. Il est très important de trouver le moyen d’en parler dans la sereinité. La musique comme toutes les formes d’art, la littérature aussi, est celle qui apaise le plus les passions.. Cela permet aux hommes de trouver un langage commun qu’on n’a malheureusement plus dans le monde politique. »

Abdelkader MANA

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09:46 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

03/06/2011

Naissance d’un festival

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Gnaoua et musiques du Monde

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musiqueEssaouira, juin 1998, un festival musical vient de naître ; celui d’un genre nouveau : le pop -gnaoua. Une fusion entre les pulsations et les rythmes gnaouis avec ceux de la world music. Les gens se rencontrent, les musiques fusionnent. C’est la mémoire collective au travers la musique ! La ville retrouve ainsi la vocation internationale qu’elle avait jadis en tant qu’aboutissement des caravanes de Tombouctou et des caravelles de la lointaine Europe. Mouillage de Mogador où les eaux douces de l’oued ksob ont toujours attiré les navigateurs. Lieu d’ouverture, de tolérance aussi où les trois religions monothéistes ont toujours cohabité comme le soulignait déjà le peintre Adrien Matham qui visita ces rivages en compagnie d’un navire hollandais en 1641 : «  Les Maures de la kasbah, écrivait-il, ont accueilli amicalement nos gens et nous ont envoyé leur interprète, en échange duquel, suivant leur coutume, un des nôtres devait rester à terre comme otage. Le juif susdit nous fournit aussi du pain frais, des olives, des amandes, des raisins et des gâteaux au goût succulent… Il est aussi à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir, celui des Maures : le vendredi, celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche. »

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       Le fait qu’Essaouira avait été jadis un port de transit, où avec les marchandises les musiques sont venues d’ailleurs fait d’elle une ville – carrefour avec comme principal apport la musique des gnaoua  comme le souligne l’historien Jean Louis Miège, spécialistes des relations entre le Maroc et l’Europe au 18ème et 19ème siècle :

musique « Le fait qu’Essaouira, depuis quasiment deux siècles est restée en étroit contact avec Tombouctou, telle est la genèse de la confrérie des gnaoua et de son rituel.Et pour employer un terme savant ; s’il y a polygenèse, c'est-à-dire, naissance à plusieurs endroits de formes voisines et un peu différentes – voisines pour des raisons compréhensibles – ou s’il y a monogenèse, c'est-à-dire de formation in situ, sur place, d’une originalité et moi, je crois profondément à l’originalité des gnaoua d’Essaouira. »  

      Parmi les personnalité de marque au colloque de musicologie de ce festival figure Mme Viviana Pacques qui a longuement vécu et étudié les Gnaoua à Tamsloht et qui est l’auteur de deux ouvrages de référence sur la question- « l’arbre cosmique » et « la religion des esclave »- nous déclare à ce propos :

 « Il y a deux fêtes indispensables pour les gnaoua : ce sont les fêtes de Chaâban et celles du Mouloud. Au mois de Chaâban cela se passe dans la maison de la moqadma qui refait ses autels, sa mida et sa nourriture. Et au Mouloud, le moussem se passe à Tamsloht. Rien ne s’exprime par le langage ou presque rien. Les chants ont peu d’importance. Tout est expliqué par une sorte de métalangage qui est fait des objets rituels qui apparaissent ou reviennent à un certain moment précis. Tout est un code : les pas de danse, la cadence de la musique, l’ordre du déroulement de la lila. Tout est codé. Tout est significatif, dans les moindres détails ».  

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    Au trois religions monothéistes s’est ajouté l’animisme africain venu d’Afrique subsaharienne  dont sont issus les deux principales familles de la confrérie des gnaoua d’Essaouira :   Les Gbani de Bamako et les Guinéa de Tombouctou et de Dakar au Sénégal comme nous l’explique maâlem Mahmoud Guinéa :

 musique« Mon grand père du côté maternel est originaire de Dakar et celui du côté paternel de Tombouctou. Ce sont ces guinéa  avec la famille gbani  qui ont amené le rituel des Gnaoua à Essaouira. En tant que maâlem gnaoui, nous sommes leurs  hériters . Parmi les anciens d’Essaouira, il y a  maâlem Blal et maâlem Ahmed :  maâlem Boubker, mon père  est venu par la suite. C’est lui mon initiateur. Je l’ai accompagné aux lila durant une quinzaine d’années  en jouant des crotales. A l’époque les servantes noires affiliées aux gnaoua   vivaient à la campagne. Elles  étaient aussi originaires du soudan. La rythmique noire, nous l’avons dans le sang.  J’ai commencé à m’exercer sur un petit guenbri dés l’âge de dix huit ans. On utilisait des boites de conserve en guise de crotales et le soufflet en guise de guenbri ! Au bout de vingt ans de compagnonnage avec mon père, j’ai été reconnu comme maâlem par mes paires  autour d’une gasaâ ou plat communiel. Les maître  gnaoui dont j’avais obtenu à l’époque la reconnaissance  sont tous morts . Cela se passait à la zaouia vers la fin des années soixante. »

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     musiqueC'est-à-dire en pleine période du mouvement hippie à Essaouira : une période charnière où la vieille génération des gnaoua disparaissait, laissant place à une nouvelle plus ouverte sur les  cultures et les musiques du monde. Mahmoud Guiné et  Abderrahmane Paka, étaient représentatifs de cette nouvelle génération d’ouverture sur l’autre et d’intégration à la modernité musicale représentée par le Jazz d’Amérique et surtout par un immense guitariste tel Jimmy Hendrix dont un mythe significatif et persistant dit qu’il aurait séjourné en plein mouvement hippie dans le village de Diabet au sud d’Essaouira. A l’époque maâlem Qirouj ,  qui sera connu plus tard sous le nom de Paka,vedette du groupe folk de nass el ghiwan ,  sera le premier à sortir  l’autel des mlouk en dehors de l’enceinte sacrée de la zaouia des gnaoua pour une villa du front de mer que louait alors le living theater durant son séjour soixante-huitard à Essaouira . De cet évènement inaugural de la modernité gnaoui, aujourd’hui, Paka se souvient encore : « Les anciens nous interdisaient de faire venir les européens à la  zaouia des gnaoua ni à les faire participer aux thérapies domiciliaires. En 1968-1969, en arrivant avec le mouvement hippie, le living theater avec à sa tête Julien Beck et Judith Milena,  m’a proposé d’organiser une lila avec sacrifice dans la villa du bord de mer. Pourquoi pas ? Leur dis-je, surtout avec  des musiciens et des artistes comme eux. C’était la première fois qu’on organisait une lila dans un espace profane. »

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Georges Lapassade est le premier à découvrir en 1967, les Gnaoua d'Essaouira dés la période hippie en campagnie du living theater. Il valorisa leur rituel et leur musique en reconnaissant sa parenté avec le Jazz. On le voit ici en campagnie de maâlem hayat : photo prise en 1978, il est pour ainsi dire le père spirituel de ce festival et du colloque demusicologie qui l'accompagne

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     Lorsque le living theater quitte Essaouira en septembre 1969, Abderrahman Qirrouj, marqueteur d’Essaouira et maâlem gnaoui est devenu Paka , joueur de gunbri dans le célèbre mouvement folk marocain. Sa carrière folk commence par son entrée au groupe de Jil Jilala, avant d’être consacrée par son entrée dans le groupe de nass el ghiwan . Il avait déjà participé à des veillées musicales avec Jimmy Hendrix autres Jazz – man de passage par la plage de borj el baroud. Paka qui les a écouté adoptera désormais une tignasse et une tenue hippie à chaque fois qu’il montera sur scène en compagnie de nass el ghiwan. Il a pu ainsi découvrir, la possibilité et en même temps, la nécessité caractéristique du Jazz d’improviser et de moduler sur la base d’une trame traditionnelle. Le Jazz, c’est essentiellement, cette libération qui se réalise à partir d’une tradition. En se libérant, le musicien traditionnel devient créateur. Il suffit d’écouter Paka interpréter un thème gnaoui pour comprendre cette alchimie musicale où le guenbri accompagne tantôt des quatrains du Majdoub , tantôt le chant sacré.

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       Le succès fulgurant de ce festival auprès de la jeunesse, tient à la fusion qu’il opère entre les groupes des gnaoua du Maroc, et les musiques afro-américaines : c’est la musique des gnaoua a les mêmes racines que le Jazz ou le Reggae avec lesquels elle fusionne à merveille ! Et c’est ce que nous explique Mahmoud Guinéa qui participe à ce festival : « La musique gnaoua et celle du Jazz ont la même origine africaine. C’est pourquoi, ces deux musiques fusionnent sans problème. Nous avons joué avec plusieurs groupes étrangers : celui de Carlos Santana à Casablanca, celui de Peter Grossman et de hamid Dreik en Allemagne. J’ai joué avec beaucoup de musiciens à l’étranger. J’ai joué avec un batteur du tabla indien. Un espagnol qui a vécu quinze ans en Indonésie. C’est là qu’il avait appris le tabla auprès d’un maître. Il est venu à Essaouira et nous avons produit une cassette ensemBle. J’ai joué aussi avec la cithare indienne au sein du groupe folk des « mchaheb » (rayons de soleil) ».

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   Sur une même scène , le guenbri et les crotales traditionnelles d’une part, la guitare, le synthé, la flûte et la voix humaine expérimentée comme instrument de musique d’autre part. Si ce mariage entre musique rituelle et pop – music semble réussir , c’est bien parce que les deux genres musicaux puisent à la même source rythmique. Celle de la diaspora noire. Comme les gnaoua, la pop – music a aussi des origines noires : le Jazz , cette musique de déportation noire en Amérique. Les gnaoua et la pop – music fonctionnent sur le même registre, les mêmes pulsations musicales, le même art de l’improvisation ; celui de l’homme noir. C’est là, me semble – t- il, la raison profonde de cette parfaite harmonie entre le négro – spirituel gnaoua et la pop – music.

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   Cette fusion musicale entre les gnaoua et les musiques du monde fut magistralement illustrée quand la chanteuse irano – américaine, Susan Dayhim est montée sur scène, en utilisant sa voix comme instrument de musique :  « Je fais beaucoup de choses avec ma voix, nous déclare-t-elle. C’est moi qui travaille avec les gnaoua, pas eux qui jouent avec moi : eux  ils font la musique et moi je cherche comment je peux ajouter quelque chose avec ma voix. Tout le monde est engagé quand la musique prend. Il n’y a ni maître ni esclaves. Il y a cette harmonie cosmique : cette connexion est le vrai sens de la musique. Là haut où tout s’arrête, le temps, l’espace et on entre dans l’abandon de la transe. J’ai écouté ce qui se passait sur scène. J’ai essayé de penser mélodiquement à des choses différentes. A comment ma voix peut se mélanger mélodiquement, rythmiquement avec les gnaoua. »

    musiqueRichard Horowitz, l’un des principaux animateurs de cette première édition a pu pour sa part, expérimenter la fusion de la flûte oblique avec le guenbri des gnaoua :  « J’avais fais le stop classique en 1969 jusqu’à Marrakech et à ce moment là que je me suis rendu compte que toutes mes idées sur la musique étaient encore limitées jusqu’à ce que j’écoute la musique d’ici qui m’adonné encore un éclat monumental pour comprendre pourquoi c’était la musique ? En ce qui concerne le Ney et la musique des gnaoua cela remonte à quand j’ai commencé à jouer du Ney : j’ai joué un peu avec les gnaoua mais pas tellement en fusionnant le Ney avec leur musique par respect. Et ce n’est que longtemps après que je me suis rendu compte qu’en allant plus loin vers le sud, on rencontre dans d’autres traditions griots des flûtes obliques, des Ney,qui sont jouées avec le guenbri. Et c’est ce qui m’a permis d’aller plus loin là dedans ».

    musiquePour le compositeur et percussionniste Steve Sehan, la musique des gnaoua ne peut admettre de fusion avec d’autres musiques que dans une approche qui prenne en considération son caractère de musique rituelle à finalité thérapeutique : « Je me suis rendu compte que coexistent ici tellement de musicalités, de savoirs et finalement d’inspirations différentes qu’à un moment, j’ai décidé de m’immerger un peu dans ces coutumes et ses sonorités. Et donc de provoquer et en même temps de subir d’une façon positive des rencontres avec des artistes connus ou moins connus, simples ou plus fastueux. De ce fait, j’ai la chance de rencontrer par exemple un maâlem gnaoui de Marrakech qui s’appelle Brahim EL berkani , qui fabrique en plus des instruments et de le suivre depuis une douzaine d’années. Je travail régulièrement avec lui. Je l’enregistre. J’aime beaucoup la musique gnaoua au travers la poésie et la mémoire collective qu’elle implique. Je n’aborde pas les gens comme des musées vivants. J’essaie de capter leur désir ludique et musical, d’évoluer vers leur envie légitime d’être au contact de la modernité incontournable de nos jours. Ils ont des envies et des désirs de mélanger leurs musicalités avec d’autres musiques. Mon approche comporte deux sentiments : pour le percussionniste que je suis, la musique des gnaoua est évidemment une musique entraînante,rythmique, chaloupée et puissante qu’on retrouve d’ailleurs au nord du Brésil. Une sorte de pulsation latérale. Et puis il y a ma vision de compositeur où j’ai plus de recule. Je ne pense pas qu’on puisse à tout prix mélanger , superposer les choses.  Surtout qu’on est là face à une musique rituelle qui se suffit à elle – même et qui a sa force et ses raisons. Ce n’est pas une musique pour la musique, ce n’est pas une musique pour le plaisir, ce n’est pas une musique pour le jardin. C’est une musique qui a une incidence thérapeutique. On est àleur écoute. On n’essaie pas d’imposer ce qu’on connaît. C’est plus dans cette manière – là qu’on peut approcher la musique gnaoua, c'est-à-dire avec respect. »

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    La confrérie des gnaoua dont la principale zaouïa se trouve à Essaouira n’est pas sectaire. Et c’est cette ouverture sur l’autre qui lui a permis de s’ouvrir sur la modernité voir d’y trouver même une nouvelle raison d’être. La clientèle des gnaoua n’est plus seulement locale : à peine le festival terminé que maâlem Guiroug est déjà sollicité avec sa troupe pour se rendre à Londres pour y animer des soirées musicales.

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    Pour Steve Shehan qui a élu domicile au village de Ghazoua, non loin d’Essaouira ; au Maroc, on ressent les influences qui sont venues enrichir un patrimoine en permanente évolution :

« C’est pas quelque chose de figé. C’est cela que j’aime au Maroc. On en a la preuve avec ce festival. Essaouira, c’est une histoire de cœur. Cela fait vingt ans que je viens ici :j’ai la chance d’y habiter souvent et j’habite encore à Ghazoua à sept kilomètres d’Essaouira. Il y a un charme. Une fois de plus on sent l’apport des autres cultures : les portugais, la mer, le vent. Il y a une douceur de vie dans les haïks des femmes, une poésie. Vraiment, je fonds quand je vois ce qui m’attire et ce qui m’inspire. On va tous rentrer chez nous, voyager, mais avec une inspiration renouvelée, avec une envie nouvelle, une envie de revenir ici. Je vois d’autres amis qui ont été totalement envoûtés. Ça ne vous donne qu’une envie, celle d’aller plus loin , donc de revoir les gnaoua. Certains vont se mettre au hajhouj , au guenbri, c’est cela qui est intéressant : provoquer d’une part la curiosité et d’autre part aller plus loin dans la création ».

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     Ce métissage entre musiques de noires marocains avec la world music obéit ici au même au même processus de fascination pour la rythmique africaine, sous-jacente à d’autres mouvements musicaux que la jeunesse a connu ces trente dernières années au niveau mondial tel le Reggae, le Rock ou le Rap : toute cette culture musicale de la jeunesse a pour dénominateur commun, la présence d’une forte composante négro – africaine.  Avec ce festival, le carnaval de jadis, qu’on croyait mort à jamais , ressuscite avec ses feux de joie et ses éclats de couleurs, d’une manière à la fois théâtrale et grandiose. A la confluence des racines africaines et des influences andalouses, Essaouira, s’adresse désormais au monde. Abdelkader Mana      

 

13:39 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook