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27/01/2012

Feux de joie à Marrakech

Feux de joie à Marrakech

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      La notion d’art est intimement liée à la notion de rythme. Dés qu’apparaît le rythme, l’art apparaît. Socialement et individuellement, l’homme est un animal rythmique. A la veuille du premier moharram, jour de l’an musulman, annoncé par la nouvelle lune, le rythme de la dakka envahit les rues de la ville. C’est le rythme à l’état pur. Au dixième jour de ce mois sacré, on chante le aït. Dans le carnaval de achoura, il y a enchevêtrement de pratiques sacrées et profanes. Un marché spécial, dit « souk achour » est institué à Jamaâ Lafna. On vend dans ce marché des produits bien spéciaux et qui tirent une grande partie de leur vertu, du jour où l’on en fait l’acquisition.

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      Le rituel de achoura dure toute la nuit et vise à exorciser le chaos naturel et humain qui menace l’ordre de la cité. La cérémonie prend un caractère particulièrement organisé dans les anciennes villes du sud à forte populations berbère : Tiznit, Taoudant, Marrakech, Essaouira. Il semblerait que la séquence de la dakka soit originaire de la ville berbère de Taroudant.

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     Il existe un certain nombre de pratiques très généralement suivies le jour de achoura. C’est par exemple l’usage très répondu de se mettre le khôl ou de se teindre les mains au henné ce jour là. On croit que celui qui se purifie ce jour là  par le khôl ou le henné est purifié pour toute l’année. Les femmes s’ornent les mains de jolies arabesques floraux au henné. Les Qashasha, marchands de fruits secs et les âchouriyâtes, qui vendent les tambourins ont planté leurs tentes. Les goual ou goubbahi, sont en poterie nue tandis que les taârija sont ornées de dessins aux couleurs vives, phosphorescentes et très chatoyantes sous la lumière. Le goual est l’unique instrument dont l’usage soit permis pendant achoura. Ce jour- là on se rassasie à la queue de mouton de l’aïd elkébir, diyala, avec le couscous aux sept légumes où domine le fève. On prétend que celui qui ne se rassasie pas ce jour là, serait obligé dans l’autre monde de manger les pavés de l’enfer pour remplir son estomac.

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    Après le repas du jour de l’an, les femmes et les enfants allument des feux de joie dans chaque quartier. Les femmes stériles qui désirent un enfant ou celles qui espèrent marier leur fille effectuent des rondes autour du feu et sautent par-dessus les flammes par trois fois en chantant avec les enfants. Le brasier symbolise le bûcher dans lequel les païens avaient jeté le Prophète Abraham : obéissant à l’ordre divin, les flammes se refroidirent. Pour Emile Laoust, les Berbères marocains ont conservé l’antique usage d’allumer des feux de joie analogues aux feux dits de la Saint Jean, que les paysans de France et ceux d’Europe allument encore au solstice d’été.

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      Au cœur  grouillant de la médina,  El Herraz, marchand de tambourins de son état nous rappelle cette vieille chanson pour qui achoura est un mois de folie où même le juge frappe son tambourin : « Quand la fête de achoura approche, on va chez les potiers pour leurs faire commande de tambourins. Nous achetons par la suite les peaux de boucs, puis nous les laissons se décomposer car la qualité du son dépend du degré de décomposition de la peau. Le meilleur son est émis par la peau décomposée de timakhine. Quand il s’agit de tambourins pour femmes et enfants, peu importe la peau, mais pour le tambourin de la dakka ; on choisi le flanc de l’animal, là où la peau est à la fois souple et solide. Il y avait des gens qui gardaient leur taârija, pendant vingt ans. Après s’en être servi pour achoura, ils la remettaient sous leur djellaba et la rangeaient chez eux jusqu’à l’année d’après. Et ce jusqu’à épuisement de la peau et ils en commandent une autre. Tu voyais tel notable dans la rue et tu te disais qu’il ne participait pas à la dakka, pourtant la nuit venue, il arrivait avec sa taârija sous la djellaba et c’est là qu’il se dévoile enfin. »

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      En nous recevant en 2001, à Dar Bellarj, la maison où on soignait les la maison où on soignait les cigognes cigognes, l’architecte Suisse, Susanna Bederman Alioth [i] nous déclarait:

« J’avais une première idée pour un engagement à Marrakech, parce que Marrakech, c’est spécial, ça ne s’explique pas . Pour moi, il n’est pas question de Fès, de Safi ou tout autres lieux. C’’était Marrakech. C’est un ami, Abdellatif qui m’a montré pour la première fois cette maison de « Dar Bellarj ». Elle était en très mauvais état. Ayant l’avantage ou la chance d’être architecte, j’ai vu qu’elle n’était pas dans un état désespéré. La première chose à laquelle j’avais pensé en rentrant dans cette maison, c’est qu’elle m’a semblé comme si elle était faite pour la culture. Le réez  – de – chaussé peut accueillir les manifestations culturelles et en même temps, sur la terrasse on pouvait nous installer un petit appartement qui est largement suffisant pour nous. Et donc réez – de – chaussé, cave pour le public. Nous avons fait des expositions à thèmes telles que « senteurs et couleurs », « architecture de terre » à l’exemple de Tamnouga, ksar dans la vallée du Draâ, maintenant « la caravane civique » et l’Achoura qui est devenue la fête de Dar Bellarj. Pour cela je dois remercier mon équipe qui était à l’initiative de cette fête de achoura. Ils l’ont organisé l’année dernière sans que je sois là et c’était un grand succès.. Et c’est à travers cela que vous avez pris contact avec nous. On s’est dit : on va la refaire en plus élargie et voilà ce qui s’est passé hier soir : c’était la fête de l’achoura de 2001. »

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Pour ce documentaire on est allé à la rencontre du cœur éternel et palpitant de Marrakech à commencer  par Si Rahal, le vieux trompettiste, de son état, tenancier d’un four public traditionnel juste derrière la place de Jamaâ Lafna, qui nous entretint des origines même du carnaval de achoura :

« A l’aïd el kébir on faisait herma, on le couvrait de peaux de moutons du sacrifice et on lui confectionnait un masque de poiles avec cornes. C’est ainsi qu’on accompagnait herma. »

Il y a en quelques sorte, deux fêtes dans ce qui est décrit comme une seule et unique fête : la fête de l’aïd el kébir au quelle succède la mascarade de achoura. Le sacrifice sanglant inaugure un cycle rituel auquel mettent fin, quelques trente jours plus tard, les cérémonies de achoura. Herma, l’homme aux peaux est le point commun entre ces deux. Mais s’il a subsisté dans le haut Atlas, ce personnage carnavalesque a disparu de Marrakech comme nous le relate Abderrazaq l’héritier du fameux Baba le maître incontesté de la Dakka de Marrakech qui dispose, non loin de Jamaâ Lafna d’une boutique où les percussionnistes de la dakka se retrouvent quotidiennement à même la natte :

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« L’origine de la dakka est de Taroudant, explique-t-il. De là , elle est arrivée à Marrakech. C’est au quartier des ksours qu’on a joué la dakka pour la première fois. De là, elle s’est diffusée aux sept quartiers qui représentent les sept étendards de Marrakech. : Zaouia, Lmouqaf, Ben  Saleh, Riad Laârouss, Derb Dabachi, la Kasbah et Bab Doukkala. Soit sept quartiers. Le rituel de la dakka se déroule en trois phases : le pur rythme de la dakka, la compétition chantée dite le aït (ou l’appel), et enfin afouss (qui signifie «main » en berbère), et qui est l’accélérant final qui comporte une tonalité gnaoui en raison de la forte prégance des crotales. On y assiste au milieu du Gor (orchestre) à un échange entre le joueur de la tara (tambourin à sonnailles) et le qraqchi (le joueur de crotales). Après quoi on joue à qui fera culbuter l’autre : lamchaïcha. Il y a aussi herma, l’homme aux peaux chamaillé par les enfants. Il déambule dans le labyrinthe de la médina suivi des enfants répétant cette comptine :

Tiktika ô fils de hammou

Le chauve aux fesses dénudées

As - tu un morceau de foie à m’offrir ?

J’en ai déjà goûté une pesée et bien davantage

Ainsi d’ailleurs que du poulet d’Ethiopie

Et du melon bien mûri..

Cette dimension carnavalesque a disparu ainsi d’ailleurs que la compétition chantée entre les différents quartiers qui se déroulait à Jama Lafna. Il est d’ailleurs significatif que le rituel de la dakka n’a pu être ressuscité et organisé en 2001 que dans le cadre de Dar Bellarj…

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Nous avons retrouvé là cet entrelacement des formes musicales déjà observé à Essaouira : le groupe du aït de Marrakech comme celui du Rzoun d’Essaouira, appartient par ailleurs aux confréries religieuses, aux animateurs des processions de mariage et aux orchestres de la ala  andalouse et du malhûn. C'est-à-dire au modèle musical médini (M.M.M). Voici d’ailleurs ce que nous disait à ce propos maâlem Ismaïl Askro de Taroudant :

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« A Taroudant, le aït prélude par la prière sur l’élu de Dieu et sur nos saints:

Ghazouani, je viens en pèlerinage vers toi, ô porteur de la hache !

Frappez vos tambourins lentement, la nuit est encore longue..

Dés la phase préliminaire de la dakka, on fait appel au cheikh du malhûn pour qu’il joue de la grihâ.:

A Baba cheikh wanta banya garrah liya…

O Baba Cheikh, avec foi, chante pour moi

On fait appel aux chantres du malhûn parce que le aït est intimement lié au malhûn. Le joueur de crotales doit être gmaoui. »

 

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C’est le cas de maâlem Ahmed Dah Dah, un gnaoui habitué que nous avons connu à Essaouira au début des années  1980 où il était souvent invité au moussem des Hamadcha et que nous avons retrouvé lors du tournage de « feux de joie à Marrakech » et qui nous déclarait :

« Ceci est un hal. La dakka de Marrakech concerne tous les artisans, qu’ils soient menuisiers, forgerons ou autre. C’est le cachet de la ville. Le patrimoine de notre cité que nous commémorons chaque année. Tous les quartiers y participent. On y vient même des autres villes. Vous avez au milieu les joueurs de la tara et des crotales et tout autour sont assis les percussionnistes de la taârija . On invoque les sept saints de la ville ainsi que nos amis. A chaque crépuscule, mes amis m’entourent et on continue ainsi jusqu’à la fin du aït. »

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Pour le gnaoui Mustapha lagssis membre de la troupe de la dakka de Marrakech :

« A chaque ville correspond un chant particulier : Taroudant a son aït et Marrakech a le sien. Au début on chante :

Nous commençons par t’invoquer ô miséricordieux !

Prélude connu. Puis on chante :

Prière sur toi, le Prophète Mohammed, messager de Dieu !

Et on continue par :

Sous l’aile protectrice du Seigneur, le soleil s’est éclipsé le soir.

Et on conclu par l’invocation du patron des saints Sidi sliman El Jazouli, l’auteur de Dalil el Khayrat.

Pour ce qui est de la percussion, chaque ville a son propre rythme. A Marrakech, on rythme 3/1, donc, ça fait 4. C’est sur cette quatrième note que nous construisons le jeu. Et on continue ainsi jusqu’à « Eh !Wa ! », « Eh ! Wa ! ».

L’équilibre du jeu est obtenu grâce à l’intervention du crotaliste et du tambourinaire qui synchronisent les deux moitiés du chœur jusqu’à l’accélérando final d’affous. »

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Ainsi à la phase agitée de la Dakka succède la phase paisible du aït, à la dialectique de la violence où prédominent les célibataires, succède la sagesse des vieux. La Dakka se déroule en position debout et sans parole ; le aït se déroule en position assise, et le rythme lent et faible des tambourins n’est plus qu’un simple support au chant .La compétition chantée était encore vivace entre les quartiers de la ville

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Le chœur est réparti en deux : la partie orientale (la natte) et la partie occidentale (la couverture). Le haut et le bas reproduisent ici symboliquement le ciel qui recouvre la terre, soit le plan humain et le plan extrahumain. À tour de rôle les deux parties du chœur chantent la mélopée, tandis qu’ils font résonner lentement leurs tambourins. La phase musicale chantée par une partie hésite en son milieu en une longue modulation vocale au terme de laquelle elle est « saisie » par l’autre partie qui enchaîne. Cette modulation hésitante entre la natte et le linceul, la terre et le ciel, symbolise d’une façon tangible la transition marquée par cette nuit de l’Achoura entre le cycle écoulé et celui qui s’ouvre.

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 Le lendemain de la nuit chaude de achoura, au levé du soleil, on s’asperge d’eau de zem - zem et on se dirige vers les vieux cimetières de la ville pour les asperger à grande eau. Dans les cimetières, avec baba achour, on enterre pour ainsi dire l’année écoulée. On couvre les tombes d’eau de rose et de basilic sauvage (rihan). Un marchand qui vend cette plante du paradis aux abords du cimetière nous dit :

 

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« Hier, a eu lieu la nuit de la Dakka. Tout le monde y participe avec joie jusqu’à l’aube. Les gens se rendent au cimetière pour visiter les morts. Ils trouvent les figues sèches, le basilic sauvage, les palmes de palmiers, l’eau de rose, les poteries qu’ils mettent sur les tombes et les jouets qu’ils achètent pour leurs enfants. Après avoir visiter leurs morts, ils rentrent tout contents chez eux. »

 

 

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Fête où les vivants se réconcilient avec leurs morts, achoura présente un mélange de deuil et de joie. On commémore tant de choses à cette occasion, en particulier la mort de Hussein à Karbala. Il s’agit aussi d’enterrer symboliquement l’année qui s’achève pour accueillir celle qui commence.

La fête de l’achoura est suivie par un pique-nique rituel nous explique Mohamed Laâchir, tanneur de Marrakech :

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« Si par exemple, aujourd’hui, on a le Gor de la dakka, le lendemain on procède à une tournée aumônière à travers la ville, pour recueillir la zakat auprès des personnages aisés. Avec cet argent, on achète un vau et on pique – nique dans les vergers. Ceux de la dakka participent bien sûre , mais le tout venant peut boire et manger. Ainsi chaque quatier de Marrakech organise sa propre Nzaha.Je vous ai raconté celle organisée par les tanneurs »

On n’appelle pas par hasard Marrakech « Bahja » (la joyeuse) : chaque fête religieuse y est suivie d’un pique – nique rituel où Nzaha mot qui connote la renaissance de la nature et de la cité. Abdelkader Mana

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logo.jpg[i] Architecte Suisse, Susanna Bederman Alioth est tombée amoureuse de Marrakech et y a fondé « Dar Bellarj » dans un véritable esprit de mécénat culturel visant l’épanouissement de ce qu’elle appelait « les arts vivants » du Maroc. C’est dans ce Riad où on soignait les cigognes qu’elle a restauré en tant qu’architecte, qu’elle nous avait accueilli chaleureusement pour le tournage de l’achoura 2001. Entre temps, toujours  à Marrakech, elle avait fondé une école dévolue aux métiers du cinéma et de l’audiovisuelle, avant de disparaître brusquement en 2007. Dans « feux de joie à Marrakech », documentaire que nous avons tourné pour l’essentiel à Dar Bellarj, elle paraissait heureuse, rayonnante et exprimais tout l’espoir et l’amour qui sous-tendaient sa démarche pour Marrakech et sa culture

00:35 Écrit par elhajthami dans Arts, Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique, achoura | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Le Rzoun de âchoura

 musique

Personnages du carnaval de l'achoura à Mogador au début du xx ème siècle

Personnages du carnaval de l’achoura à Mogador au début du xx ème siècle Pour Marcel Mauss, la notion d’art est intimement liée à celle du rythme :« Dès qu’apparaît le rythme, l’art apparaît.
Socialement et individuellement, l’homme est un animal rythmique ». À la veille du 1er Moharram, jour de l’an musulman - annoncé par la nouvelle lune - le rythme de la Dakka envahit les rues de la ville. C’est le rythme à l’état pur. Au dixième jour de ce mois sacré, on chante le rzoun.
Dans le carnaval de l’achoura, il y a enchevêtrement de pratiques sacrées et profanes.

musique

 En hommage à mon père et à la poétesse Aîcha Amara ...Il en est des êtres dont la mémoire reste attachée à un lieu, la poétesse Aïcha Amara qui vient de nous quitter, ce mardi 25 mai 2010, est restée, malgré son exile Casablanca, très attachée à Essaouira sa ville natale. Chaque fois que je lui rendais visite ainsi qu’à son mari Si Tayeb Amara à l’urbanité exquise, elle ne m’entretenait que d’Essaouira auxquelle elle a consacré un très beau recueil de poésie, sous le signe d’Aylal, illustré par les peintres de la ville. Le dernier projet qui lui tenait à coeur était de faire revivre le Rzoun de l’Achoura, le vieux chant de la ville. C’est pourquoi nous lui dédions aujourd’hui ce Rzoun, notre repère mémorial commun...Qu’elle repose en paix, notre poétesse bien aimée...

musique

 Hier, le mercredi 26 mai 2010, l’artiste Hamza Fakir m’a invité à déjeuner dans son atelier pour discuter de ses toutes dernières oeuvres qui portent sur l’arganier, symbole d’enracinement local. Nous avons évoqué tout les deux l’intérêt que porte Aïcha Amara à son art, à son style et à sa peinture: nous ne savions pas encore qu’elle n’était plus de ce monde! Hier Aïcha est morte, aujourd’hui, nous recevons sa terrible nouvelle...Le vieux chant du Rzoun évoquait ainsi la mémoire de son homonyme «Aïcha Bali» :
Trônant sur son fauteuil
Agitant l’éventail : Aïcha Bali.
Parée de bijoux, diadème magique
Sur le front : Aïcha Bali.
Aïcha, Aïcha, soit heureuse
Nous sommes partis.
La belle a dit :
Compagnon, je t’en prie,
Que me veulent ceux qui m’interpellent ?
Il n’y a rien à dire,
Il est temps que je m’en aille...

musique

Orchestre de Malhun au marché aux grains avec khalili au micro 1983

Que disait le chant oublié de la ville ? Il parlait d’amour et de mort. Je revois encore les Hamadcha restituant pour une dernière fois ce chant. C’était en 1983 : mon père eut une occlusion qui faillit l’emporter, et à laquelle il a survécu vingt ans parce qu’il avait une constitution physique solide.
Son corps était sculpté par le bois qu’il n’avait pas cesséde travailler sa vie durant. Il se souleva péniblement pour écouter à la fenêtre la rumeur du Rzoun qui montait de la ville. Les mille voix des Hamadcha scandant le chant de son enfance retrouvée. Ce soir-là, les Hamadcha étaient beaux
comme dans un rêve, tristes comme dans un linceul..la séquence de la Dakka, le clan Ouest de la ville,celui des Béni Antar se retrouvait à la porte de la mer (BabLabhar), alors que leurs adversaires du clan Est des Chebanatese retrouvaient au seuil de Bab Marrakech.La première porte était dite hantée par Aïcha Qandicha,(la démente de la mer).La seconde porte se situait entre les deux vieux cimetières de Bab Marrakech (rasés au court des années quatre-vingt). Le tapage nocturne des uns vise à exorciser les génies, et celui des autres à réveiller les morts.Après le repas du jour de l’an, les femmes et les enfants allument des bûchers dans chaque quartier. Les femmes stériles qui ésirent un enfant ou celles qui espèrent marier leur fille, effectuent des rondes autour des feux de joie et sautent au-dessus des flammes par trois fois en chantant avec les enfants. Le brasier symbolise le bûcher dans lequel les païens avaient jeté le prophète Abraham : obéissant à l’ordre divin, les flammes se refroidirent. Le rituel de l’Achoura dure toute la nuit et vise à exorciser le chaos naturel ou humain qui menace l’ordre de la cité. La cérémonie prend un caractère particulièrement organisé dans les anciennes villes du Sud à forte population berbère.La Dakka est en effet une phase chaude qui se déroulait du crépuscule jusqu’à minuit. Autorités et notables participaient également au rituel : le carnaval abolit les barrières sociales le temps d’une nuit.

C’est l’Achoura mois des folies,
Même le juge frappe son tambourin !
C’est une fête de libération et de transgression des interdits. Pour les femmes, c’est l’opposé de la fête du Mouloud qui célèbre la naissance du prophète et avec lui la canonisation des tabous :
C’est l’Achoura, nous sommes libres, ô madame !
C’est au Mouloud que les hommes commandent, ô madame !
Le Rzoun que chantent les sages est une théâtralisation de conflits réels qui opposaient les deux clans de la ville : ce chant inachevé et improvisé est une production collective. Chacun y va de son couplet afin de contribuer par sa verve à l’affaiblissement du clan adverse. La force d’évocation vient des milles voix, de cette répétition sur plusieurs registres mélodiques, tantôt tristes, tantôt nostalgiques, traduisant une cassure quelque part. Le choeur est réparti en deux : la partie orientale (la natte) et la partie occidentale (la couverture). Le haut et le bas reproduisent ici symboliquement le ciel qui recouvre la terre, soit le plan humain et le plan extrahumain. À tour de rôle les deux parties du choeur chantent la mélopée, tandis qu’ils font résonner lentement leurs tambourins. La phase musicale chantée par une partie hésite en son milieu en une longue modulation vocale au terme de laquelle elle est « saisie » par l’autre partie qui enchaîne. Cette modulation hésitante entre la natte et le linceul, la terre et le ciel, symbolise d’une façon tangible la transition marquée par cette nuit de l’Achoura entre le cycle écoulé et celui qui s’ouvre. Ainsi à la phase agitée de la Dakka succède la phase paisible du Rzoun, à la dialectique de la violence où prédominent les célibataires, succède la sagesse des vieux. La Dakka se déroule en position debout et sans parole ; le Rzoun se déroule en position assise, et le rythme lent et faible des tambourins n’est plus qu’un simple support au chant .La compétition chantée était encore vivace entre les clans de la ville.
LE RZOUN
Essaouira la belle n’a pas de pareille
Jusqu’au Yémen
Ses hauts remparts sont bénis
Par la protection des saints
Par Sidi Mogdoul qui a une citerne
Devant sa coupole
Permettez-moi donc d’avouer
Les soucis qui m’oppressent
Et si je meurs que personne ne me pleure
C’est pour toi mon bel amour
Que j’en appelle à la muse
Sois donc sans réserve
Et sers-nous les coupes de cristal.
Sois donc sans réserve
Et sers-nous la fine fleur à fumer.
Trônant sur son fauteuil
Agitant l’éventail : Aïcha Bali.
Parée de bijoux, diadème magique
Sur le front : Aïcha Bali.
Aïcha, Aïcha, soit heureuse
Nous sommes partis.
La belle a dit :
Compagnon, je t’en prie,
Que me veulent ceux qui m’interpellent ?
Il n’y a rien à dire,
Il est temps que je m’en aille.
Vaillant compagnon, frappe ton bendir
La nuit est encore longue.
Vois donc les Béni Antar qui s’essoufflent
Avant même que ne vienne l’aube.
Mais quel est votre chef, ô Chebanate ? !
Ossman à la tête bossue et à la bedaine
Serrée d’une cordelette ?
Et qui est votre chef, ô Béni Antar ? !
Ali Warsas traînant son chien
Éternellement sur son âne ?
Qu’est-il donc arrivé aux Béni Antar ?
La mer les a emportés, que Dieu nous en préserve.
Vaillant compagnon frappe ton bendir
Et porte les amendes sur les barcasses
Les voiliers attendent au large.
Comment se fait-il que le gerch d’argent
Devienne le dirham de papier ?
Voilà l’origine du profit et du vol
Commerçant spéculateur,
Artisan grâce à sa bourse mais sans métier,
Et théologien dont la principale devise
Est de dire : donne !
Lune ronde toute grande, faites la ronde
Moi, je ne veux pas du vieillard
Mais c’est la volonté de Dieu
À Derb Laâlouj, j’ai vu des yeux d’un tel noir
Si tu savais ô mon frère, combien ils m’ont ravi !
Ô toi qui s’en vas pour Adour,
Emporte avec toi le Nouar !
Je ne veux pas me marier
Mon compagnon m’offre
La coiffe rouge de Marrakech
Comme tu es belle !
Le beau garçon aux yeux brillants
Qui valse dans la salle
C’est le fils d’Alhyane
Il porte un poignard
Ô madame, au cordon de soie…
Vaillant compagnon, frappe ton bendir
Vois donc venir l’aube
Que le maladroit qui ne sait point parler
Ne vienne pas en notre compagnie.
Quant à nous, nous ne bougerons pas d’ici
Nous resterons assis calmement
Ahna gaâdine asidi ba’Rzounou.

Le rituel s’achève en rixes entre adversaires. C’est le taâlak : ils se lancent les tambourins d’argiles et les tisons de feu. Ghorba le vieux cordonnier y avait perdu un oeil. On compte souvent des blessés, mais les blessures reçues en cette circonstance possèdent une baraka. Le chant de
l’Achoura célèbre à Essaouira la naissance de la cité. Il reproduit au niveau symbolique et poétique les conflits originaux et toujours latents de la ville. Juste à côté de la porte de la marine, il y avait une grue aujourd’hui disparue. C’est du haut de cette grue qu’Ali Warsas serait tombé en se brisant irrémédiablement une jambe. Depuis lors, il ne se déplaça plus que sur son âne au point de devenir l’objet d’un fameux couplet du Rzoun le chant disparu de la ville. Le clan des Chebanate, le quartier Est de la ville chantait :
Qui est votre chef ô les Béni- Antar ?
Ali Warsas, toujours sur son âne suivi de son chien !
Ce à quoi le clan Ouest des Béni- Antar répond :
Et qui est votre chef, ô les Chebanate ?
Osman à la tête bossue,
Et qui avait en guise de ceinture, une cordelette ?!
Ali Warsas qui avait émigré en Angleterre, en était revenu marié avec une Anglaise. À sa mort cette dernière l’avait enterré au cimetière chrétien de Bab Doukkala. Si bien qu’il est le seul musulman enterré parmi les chrétiens ! À l’époque, l’Eglise anglicane était très active à Essaouira, au point que les juifs de la ville avaient organisé une manifestation au quartier des forgerons — manifestation
immortalisée par une vieille photo en noir et blanc — pour exiger le départ du chef de l’Eglise anglicane accusé de vouloir convertir les juifs au protestantisme. L’aïeul Ahmed, qui avait disparu au large, était menuisier de son état : il se chargeait de confectionner l’arche de Noé du carnaval de
la fête abrahamique d’Achoura. L’orchestre était dirigé par le vieil herboriste Iskijji, qui me disait que c’est notre aïeul Ahmed qui confectionnait jadis l’arche de Noé du carnaval d’Achoura. En ces temps lointains, Iskijji allait distribuer leur pitance aux prisonniers de la kasbah, la cité originelle qui
était entièrement entourée de remparts et où résidaient les consuls, les amines de la douane et l’administration royal. Mon père me racontait comment avec la complicité d’un caïd de la région, l’un de ces prisonniers put s’évader à la faveur de la nuit, en sautant sur le dos d’un coursier qui
l’attendait en bas des remparts. Sur les décombres d’Essaouira que nous évoquons est en train de naître une ville flambant neuve, faite de kit surf, d’hôtels pour jet-set, de festivals parachutés clés en main par des boîtes de communication et de marketing, lieux de rendez-vous politico-mondains, de villas hors de prix en bordure d’un immense terrain de golf, autour des ruines du palais ensablé du sultan.
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Comédien et chanteur, Khalili représente à lui seul toute la culture de la médina

      Etre médini c’est connaître de l’intérieur et pratiquer la culture traditionnelle de la médina. Le groupe qui chante le rzoun pratique aussi bien la musique sacrée des confréries que la musique profane tel que la ala andalouse ou le malhûn. Les genres musicaux ne sont pas juxtaposés, ils s’interpénètrent à la manière des fils d’une tapisserie. C’est pourquoi l’idée d’entrelacement que suggère l’image de la trame permet de décrire plus dynamiquement l’interpénétration des cultures dans la ville. Au niveau des pratiques musicales nous sommes en présence d’une trame : les roupes de musique populaire sont capables de reproduire des genres musicaux très divers. La musique d’Essaouira, par exemple,apparaît comme une musique décentrée dont les centres se trouvent ailleurs. C’est la musique d’une culture « Carrefour» et non d’une culture patrimoine. On ne peut pas saisir cette culture inachevée de la ville par des méthodes qui supposent l’existence d’un corpus stabilisé. Soit l’exemple du seul corpus apparemment stable fixé et endogène : le chant de l’Achoura, on a d’abord l’impression que c’est le poème endogène de la ville, mais on découvre ensuite que le modèle poétique et mélodique du rzoun a la même matrice que celui de Marrakech et de Taroudant. Il semble être le résultat d’un phénomène de diffusion culturelle à partir de ces deux villes plus anciennes. On constate aussi que les Brioula (couplets du rzoun) ne sont pas toujours de la même époque. Bref, ce chant de l’Achoura qui semble le plus proche de la définition traditionnelle du patrimoine achevé et endogène est en réalité un poème inachevé, ouvert, en perpétuelle évolution et pour une part, venu d’ailleurs. Voilà un exemple de culture carrefour que nous avons particulièrement étudié, parce qu’il est exemplaire,ce fait n’est pas seulement un caractère de la musique mais aussi des produits artisanaux dont l’esthétique provient en partie d’ailleurs.La culture d’Essaouira, pour le Rzoun de l’Achoura comme pour le malhûn, doit beaucoup à la ville de Marrakech. Le modèle souiri de l’Achoura est proche de l’ Aït de Marrakech quoiqu’il existe des nuances entre l’ Aït et le Rzoun d’Essaouira. Il semblerait que la séquence de la Dakka - un véritable tapage nocturne qui relève à la fois du charivari et des mascarades carnavalesques - soit originaire de la ville berbère de Taroudant, d’où elle s’est diffusée avec le commerce transsaharien vers Marrakech puis Essaouira.
Abdelkader MANA

musiqueAutoportrait du temps qui passe...
Le 18 décembre 2009, soit le 1er Mouharram 1431, commence le nouvel an musulman. A Essaouira rien ne l’annonce si non le tappage des tambourins par les enfants de notre quartier et le soir venu j’ai croisé à derb Laâlouj des enfants qui sautent par dessus un feu de joie. Hier, le 26 décembre, partout je croise des groupe de dakka, adolescents et enfants parcourant la ville avec leurs tambourins. En me rendant à la zaouia des Hamadcha j’y découvre Dabachi en train de diriger une séance de Rzoun de âchoura où figure entre autre le tambourinaire Larabi des Halmadcha et maâlam Hayat des gnaoua. La partie était très belle et bien maîtrisée. Ils ont chanté en ma présence le couplet sur Alhyan qui valse dans la salle, celui sur le pèlerinage et celui sur la brassée de kif et la coupe de cristal. Après le chant tout le monde s’est levé pour jouer le pur rythme de la dakka. En les observant, je me suis rendu compte qu’il ne s’agit pas de technique, mais d’un don inné que relève de la fougue et du tempérament de la personne: on a ou on a n’a pas le rythme dans le sang, dans les tripes. C’est pourquoi on a chanté aussi le couplet: «Mais que vient faire parmi nous le maladroit qui ne sait point rythmer la mesure?».

00:20 Écrit par elhajthami dans Achoura, Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : achoura, musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

21/12/2011

Cap sur le Sud

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Texte Abdelkader Mana, images Jean François Clément

Agadir et d’une manière plus large le Sous est le cerveau musical de la poésie berbère : la donne linguistique centrale. On accepte en effet toutes les innovations possibles et imaginables, Agadir est une ville touristique internationale, mais on se ferme sur soi-même et sur sa communauté d’origine dés lors qu’il s’agit de la langue maternelle  : elle constitue le socle non négociable autour duquel s’organise toute activité culturelle dans le Sous. Dans aucune autre région du Maroc on n’observe un tel attachement à la langue berbère. Il n’est d’ailleurs pas un hasard si Fatima Tabaâmrant ,la diva de la chanson chleuh soit en même temps membre à part entière du conseil administratif de IRCAM (l’Institut Royal de la Culture Amazighe). Comme son nom d’artiste  l’indique, elle est  originaire des Aït Baâmrane et a  intégré le domaine de la chanson berbère en 1983, soit déjà une trentaine d’années :

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Fatima Tabaâmrant

 « Je suis d’abord  une poétesse avant d’être chanteuse. Ma première qasida « qu’est ce qui t’arrive pour pleurer ainsi ? » parlait de ma situation d’orpheline : je n’ai pas connu ma mère que j’ai perdu en très bas âge. C’est la raison principale m’ayant poussé à écrire la poésie. Je m’inspirais des anciennes mélodies du Raïs Belaïd, du Raïs Mohamed Damsiri ou  du Raïs Hmad Biezmawn. C'est-à-dire les leaders de la chanson amazighe que j’admirais alors.

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Raïs Belaïd, l'aède des troubadours de Sous

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A l’époque il n’y avait que la radio où j’écoutais les Raïssa Rqiya Damsiriya ou Fatima Tihihite En 1983 j’ai débuté en tant que danseuse dans  la troupe de Jamaâ el Hamidi que Dieu ait son âme. Peu de temps après, j’ai rejoins la troupe de feu le Raïs Saïd Achtouk puis celle de Moulay Mohamad Bel Faqih. Depuis lors j’écris et compose mes propres chansons. Je n’interprète que ce que  je  ressens personnellement. Je n’ai jamais chanté les paroles  de quelqu’un d’autre. Ma qasida préférée est celle qui traite de l’identité amazighe en Afrique du Nord.  Auparavant on considérait comme simple produit de l’imagination le fait  d’affirmer l’existence  des amazighes au Niger ou au Mali. Dans ma qasida j’affirme :

C’est en Afrique que se trouve la terre des amazighes libre ;

 Au Burkina Faso, au Mali,  ainsi qu’au Tchad.

C’est là que s’enracinent leur poésie et leur parole.

Leur substratum, vital,  tribal.

 C’est la terre de Tamazight que je chanterai !

 Pourquoi ne serais-je  qu’une outre emportée par les eaux ?

 J’ai un  message qui fait pleurer

Mais je n’ai pas encore trouver de coursier pour l’expédier !

 A l’humiliation je préfère me terrer sous terre.

C’est pour tamazight que je mène mon combat

Contre tous  ceux qui voudraient  renier notre langue …

 Pourquoi je ne préserverai pas mon identité alors que les kabyles d’Algérie restent attachés à la leur ? J’ai un film sur la kahéna, l’héroïne berbère. J’ai également chanté une qasida qui parle de la mort de Matoub Lounès, ce grand pilier de la culture amazighe. Je lui ai dédié un chant funèbre où je le compare à une grosse pierre qu’on a arrachée à la montagne laissant un vide béant à sa place. Cette qasida parle de ceux qui militent pour l’amazighité et de  ceux qui s’opposent à elle.

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 Je n’aime pas les masques : je préfère les traits naturelles. Pourquoi tous les pays d’Afrique du Nord préfèrent le masque ? L’art a une relation étroite  avec la politique. Par le passé il était interdit de parler de l’amazighité dans notre pays. Et maintenant nous allons fêter l’an amazigh 2961. N’est-ce  pas là un objet de fierté ? N’ai – je pas le droit d’être fiere de cette histoire plus que millénaire ? Je suis chez moi, je ne suis pas partie vivre au pays de quiconque. Les générations s’en vont mais la culture reste. La page écrite peut braver l’éternité, surtout si son contenu pèse lourd. Si nous voulons parler de la culture dans notre pays ; force est de reconnaître que nous avons des maisons de la culture mais qui n’abritent pas de culture. Le grand problème dont souffre la chanson amazighe est celui de l’information. Les médias audiovisuels avaient complètement exclu l’amazighité de leurs programmes. Beaucoup de nos Rways sont décédés : où est maintenant la relève ? Les programmes télévisuels consacrés aux jeunes talents ne comportent pas de participation amazighe. Nous devons sauvegarder notre patrimoine, car la chanson amazigh est une école en soit. Elle est riche en contenus. La chaîne amazigh manque encore de crédibilité et de professionnalisme à même d’imposer la chanson amazighe. Par exemple à Studio 2M, il n’y a aucune participation en langue  amazighe. C’est notre droit d’avoir une participation amazighe. Nous avons pourtant droit à 30% des programmes des chaînes non amazighes. Cela est clairement stipulé dans le cahier de charge.

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Ganga berbères de Tamanar

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 Les ministères de la culture et du tourisme ont toujours eu une perception folklorique de l’art amazighe. On vous met toujours dans un cadre folklorique où vous ne pouvez rien donner. Pour ces ministères la chanson amazighe est un simple produit folklorique pour touristes de passage au Maroc. Cependant j’apprécie beaucoup l’initiative du ministère de la culture relative au soutien à la chanson marocaine. Maintenant les jeunes écoutent les chansons orientales et occidentales de sorte que la chanson marocaine s’en trouve exclue. Parce qu’il n’y a pas du nouveau dans le domaine de la chanson. Nous vivons  dans  une époque où tout s’est perdu avec Internet, les paraboles, les cartes mémoire, le piratage ;  le marché de la chanson s’en est trouvé perturbé. . Il ne peut pas y avoir de progrès dans le domaine artistique sans lutte contre le piratage.  Le producteur ne tabler plus sur l’artiste, surtout quand celui-ci n’a pas de public. Les artistes connus s’épuisent. J’ai maintenant plus de trente ans de carrière ; il nous faut du sang neuf

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 Ammouri M’barek lors des training de l'UNESCO sur la musique et la danse

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Training de l'UNESCO sur la musique et la danse à Agadir, janvier 2011

Ammouri M’barek, est l’un des fondateur du groupe folk Ousman dans les années 1970. Il a mis fin à son émigration et il est rentré au Maroc pour se mettre au service de la chanson amazigh moderne. Ousman était un groupe pionnier qui a donné par la suite naissance à tous les groupes folk berbères de Sous. Ammouri M’barek est représentatif de ces artistes berbère qui mélangent avec bonheur tradition et modernité . Il a beaucoup travaillé avec les associations kabyles en France : :« Mon expérience artistique a débuté à Taroudant à travers la création du groupe âssafîr (les birds en anglais) et le deuxième groupe que nous avons appelé « Sous 5 », par référence au nombre des musiciens qui composent le groupe. C’est de là qu’est née l’expérience du groupe Ousman, en 1975-76 à Rabat. Le mérite de la fondation de ce groupe revient à Brahim Akhyat, qui militait pour la reconnaissance des droits culturels et linguistiques des Imazighen.  Je l’avais rencontré lors d’un mariage à Tiznit. Puis par la suite à Rabat avec Mr El âkkaf, le musicien qui est parmi nous et qui fait maintenant partie de l’IRCAM(l’Institut Royal pour la Culture Amazigh). Le but du groupe était de se mettre au service du patrimoine amazigh. Il s’agissait de sauvegarder l’authenticité tout en s’ouvrant sur la modernité. Je crois profondément au principe qui dit : « pour connaître un pays, il faut observer ses Beaux Arts. » Es-ce que ces Beaux Arts  connaissent une accumulation ou bien sont-ils en voie d’extinction ? 

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Le corégraphe Abdeslam Michel Raji

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 Jusqu’ici j’ai pratiqué la musique en autodidacte. Je n’ai pas étudié la musique. Notre groupe d’Ousmanavait des principes et une vision. On avait un projet culturel et linguistique. Un projet artistique moderniste. On s’est inspiré de la musique et des rythmes traditionnels. Notre départ a eu pour cadre le Sous en tant que terroir des amazigh. Nous avons essayé de chanter également dans les autres dialectes berbères du Maroc : l’amazighe du Moyen Atlas ainsi que le rifain . Notre premier souci était de servir la chanson amazighe. Il s’agissait de la soustraire d’une certaine léthargie, de son repli sur elle-même : s’ouvrir, s’oxygéner, sans pour autant délaisser le chant et la danse traditionnels.

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Agadir by night, photos Jean François Clément

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     Il ne faut rien toucher à cette expression ancestrale, expressions millénaires d’un peuple et d’une civilisation. Une histoire profonde et riche. Il n’y a pas longtemps j’ai rencontré des jeunes de Ouarzazate  qui m’ont émerveillé en créant une troupe de danse traditionnelle de cette région. Mais il faut que les ministères de la culture et du tourisme mettent la main à la patte pour aider ces groupes. Car sans subventions, demain ou après demain on vous dira que la danse de la Guerrara au Sahara ou celle des gazelles des  Houara ont disparu.  On peut dire autant de la Daqqa de Taroudant, de l’ ahidus du Moyen Atlas ou de la  Taqtouqa des Jbala.Une attention toute particulière doit être accordé à cet aspect du patrimoine.

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 Je peux dire que notre groupe Ousman a survécu. Il nous est arrivé la même chose que Tarek Ibn Ziyad lorsqu’il avait traversé le détroit de Gibraltar en brûlant voiles et vaisseaux pour que son armée ne puisse plus faire marche arrière. Toutes les portes ne nous étaient pas ouvertes. Toutes les institutions ne nous étaient pas faciles d’accès. Nous devons notre survie à notre foi en notre mission,en notre message et en notre rêve. C’est notre engagement vis-à-vis de notre public.

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 Il faut que les pouvoir publics permettent à ces artistes d’accéder aux médias publics avec équité. Sans clientélisme. Sans casting préalable. Car on est artiste déjà à la naissance. L’artiste ne doit pas passer par les médias pour ses beaux yeux ou ses beaux cheveux. La sélection se fait d’elle –même sans favoritisme : Celui qui a quelque chose à dire reste et celui qui n’a rien à dire fini tôt ou tard par disparaître.  

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 Le groupe folk Ousman chantait le répertoire des poètes amazighes qui étaient engagés tels , Akhyat, Mestaoui ou Amarir. Les instruments étaient modernes mais le contenu traditionnel. La nouveauté du style plaisait à la jeunesse. Cette expérience a permis de  dépasser le complexe d’infériorité dont souffrait l’amazighité. Dés la sortie de Taguendawt,le succès est immédiat : notre premier 45 tours s’est diffusé avec une grande rapidité. Les passants nous reconnaissaient et nous arrêtaient pour nous dire leur fierté d’avoir eux aussi  des racines amazighes. Chose qui n’existait pas auparavant où on n’entendait pas de musique amazighes dans les lieux publics tels que les cafés ou les administrations. Avec les associations culturelles, le groupe Ousmana contribué à dénouer le complexe d’infériorité dont souffraient les amazighs. Cela a libéré l’expression de l’amazighité qui était contenue jusque là dans le domaine privé..

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 Le Raïs Anchad et le Raïs Belaïd sont pour moi les piliers de la chanson amazighe. Ces deux Raïs m’ont particulièrement influencé, du point de vue la créativité par leur mélodie et leurs paroles. Du point de vue des voix et du chant aussi. Jusqu’à présent il est difficile de rencontrer quelqu’un qui s’élève au niveau de ces Maestros. Déjà à l’époque le Raïs Belaïd avait composé des chansons qui ne dépassaient pas 3 à 4 minutes. Je n’ai jamais voulu briser cette beauté ancestrale, cette beauté traditionnelle. Les répertoires d’ Anchad et du Raïs Belaïddoivent  être traités comme des classiques avec un grand orchestre philharmonique. 

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 Je n’apparais pas à la télévision et je ne participe pas aux festivals parce que je suis marginalisé. Les producteurs sont tous des commerçants qui cherchent d’abord ce qui est en vogue. Ils ne cherchent pas l’art pour l’art. Nous n’avons pas de véritables producteurs : ce sont d’anciens marchands de fruits et légumes  convertis brusquement en producteurs de cassettes. Ce sont des commerçants de la chanson : ils ne peuvent jamais contribuer à l’élévation du goût musical du public.

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Timitar ,un beau nom. Il  signifie « signes et symboles » en berbère. Ce festival a pour slogan : « les artistes amazighes accueillent ceux du monde ». Il faut dire l’inverse : « les artistes du monde accueillent les artistes amazighes chez eux. ». On invoque le concert de la tolérance. De quelle tolérance s’agit-il, alors qu’on n’invite aucun artiste d’ici ? ! Une part insignifiante des artistes autochtones participe à ce festival. Et on te parle de tolérance ! Pourquoi ne pas faire découvrir au grand public les Rwaysd’ici ? Pourquoi ne pas faire découvrir aux jeunes les anciens talents ?

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 On n’a jamais vu la deuxième chaîne, ni d’ailleurs la première consacrer une émission à un artiste amazigh..Il font de l’actuelle chaîne amazighe une sorte de « réserve d’indiens ». Il faut que la chanson amazighe soit diffusée par toutes les chaînes. Il ne faut pas la limité à une sorte de réserve. Il faut qu’elle soit présente sur toutes les chaînes.

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Mohamed El Khattabi au téléphone

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Plage d'Agadir

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    Des différentes formes d’Ahouach Mohamed El Khattabi, poète amazigh, né le 4 avril 1965, dans la commune d’Aït Ahmed, aux environs de Tiznit qui préside actuellement le syndicat marocain des musiques et des danses dans la région Sous – Massa – Dra, nous dit : « J’ai grandi en milieu rural où on pratique différents genres d’ahouach , tels ceux d’ Ajmak, d’Aghnaqar, d’Asdawl, ou de derst et bien d’autres encore. Le Sous est aussi connu pour sa poésie chantée en langue amazighe, surtout l’art des Rways qui m’a énormément influencé. J’avais formé une troupe de Rways au milieu des années 1980 et en 1988, j’ai formé un groupe folk berbère  du nom d’Imoudal (les montagnes). Ce groupe s’est structuré autour du Rebab en y incluant des instruments modernes telle la batterie, le banjo et la guitare électrique. On animait ainsi fêtes officielles et privées. En même temps j’ai écrit un grand nombre de poèmes en langue amazighe : certains furent publiées dans les revues et journaux nationaux, d’autres ont été interprétée par des trouveurs chleuhs ou par des groupes folk berbères»  A la fois troubadours et trouvères, les danseurs chleuhs sont aussi des chanteurs qui interprètent les œuvres des poètes de la montagne : vieilles mélopées, chansons nouvelles.

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  Depuis 2003, le syndicat des métiers de la musique et de la danse pour la région Sous- Massa- Dra, organise un festival à Tiznit autour de la figure emblématique du Raïs Belaïd nous’explique Mr. Mohamed El Khattabi, instigateur de cette manifestation :

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 « Le festival du Raïs Belaïd que j’ai fondé à Tiznit est maintenant à sa neuvième édition. Nous lui avons donné le nom de ce grand  artiste, qui  symbolise à lui seul la chanson amazighe. Nous comptons perpétuer son souvenir en  décernant un  prix en son nom lors de chaque édition de notre festival. Le délégué de la cultureà Tiznit, Mr. El Farz avait  appuyé dés le départ l’idée d’ organiser cet évènement  avec des moyens forts limités du ministère de la culture. Soit la somme de 3000 DHS.  Parmi les stars de la chansons amazighe  y ayant participé : Ammouri M’barek, Fatima Tabaâmrant ainsi qu’un grand nombre de poètes amazighes. Lors du  colloque organisé à cette occasion nous avons recommandé de donner le nom du Raïs El Haj Belaïd au conservatoire de musique de Tiznit. Suggestion approuvée par le conseil municipal de Tiznit ;  une plaque commémorative portant le nom de l’illustre Raïs fut accolée aussitôt  à l’entrée du conservatoire de la ville.

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 Autre recommandation : nous avons adressé une requête à la délégation de la culture et au conseil municipal pour l’adoption de l’ enseignement de la musique amazighe au conservatoire, y compris le legs du Raïs Belaîd en tant que symbole culturel du Sous – Massa- Dra. Nous demandons également de baptiser l’une des artères de Tiznit en son  nom . Au cours des neufs dernières éditions du festival, le prix Raïs Belaïd a été accordé successivement aux artistes suivants :  Ammouri M’barek,  Fatima Tabaâmrant, le Raïs H’mad Bizmawn, le groupe folk berbère d’Izenzaren , Rqiya Damsiriya l’artiste connue de tous,  Fatima Tihihite mazzine,  le poète Ali Chouhad doyen du groupe musical d’Archach, et enfin au Raïs Lahcen Ben L’moudden. Et si le bon Dieu le veut, ça sera le tour du  grand artiste le Raïs el Hucein el Baz, d’obtenir ce prix en 2011. »

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« Je ne suis pas prête à laisser mon job et mon salaire de prof d’Anglais pour un travail artistique qui n’assure aucune garantie. Il y a des conditions au professionnalisme qui n’existent pas au Maroc. De ce fait la chanson marocaine est en crise : elle vit sur son passé glorieux mais sans création nouvelle. Il n’y a pas d’institutions qui sélectionne et récompense le travail de qualité, comme c’est le cas des pays développés. »  affirme une artiste présente à ces training organisés par l’Unesco pour la professionalisation des métiers de la musique et de la danse. Nécessité de sortir du cercle vicieux de la reproduction du répertoire traditionnel qui domine le marché marocains : on reproduit toujours les mêmes styles et les mêmes modèles sans réelle innovation. Selon un membre du groupe Toudert de Tiznit, les artistes se contentent de copier le style du Raïs Belaïd sans réel effort de créativité : On se contente d’imiter ce qui existe déjà en le commercialisant sous une forme soit disant moderne. On a souligné combien les artistes locaux sont marginalisés lors des festivals où sont surtout mis en valeurs les artistes invités. Les locaux sont infiniment moins bien rémunérés par rapport aux cachets accordés aux artistes étrangers…Comment peut-on encourager le professionnalismes des artistes locaux tout en les marginalisant ? La plupart des groupes à Aït Baâmran comme à Zagora, malgré le jeune âge de leurs membres, affirment s’être constitués en association pour préserver le patrimoine musical léguer par leurs ancêtres. Un groupe de jeunes musiciens du tarab hassani se plaint de l’absence d’espace pour les répétitions musicales à Zagora. Ces jeunes s’interrogent sur comment être médiatisé en dehors du cadre strictement local ?  Besoin d’instruments de musique telle la guitare électrique. L’encouragement officiel à de telles initiatives est une attente importante des artistes de Sous qui ont soifs de reconnaissance et de considérations.Abdelkader Mana

12:16 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook