20/12/2011
L’Oriental marocain
Texte Abdelkader Mana, images Jean François Clément
Le pays de l’armoise et du vent
Défini comme « blad chih oua rih » (le pays de l’armoise et du vent) dans la tradition populaire, l’Oriental Marocain, s’étend sur 82 000 km². Selon le découpage administratif, il se compose de cinq provinces, hors la préfecture d’Oujda - Angad : Nador, Berkane, Jerada, Taourirt et Figuigue. Limité par la Méditerranée au Nord et par l’Algérie à l’Est, l’Oriental Marocain, présente une étonnante diversité géographique et humaine, ainsi que de grandes richesses préhistorique : dans le majestueux massif des Béni Iznassen, les gorges de Zegzel recèlent, la fameuse grotte des pigeons où fut découvert « l’homme de Tafoughalt », vieux de plus de quinze mille ans.
La plaine de Triffa s’étend au pied du massif des Bni Iznassen qui atteint 1665 mètres au Jbel Afoughal. Cette plaine de Triffa, qu’irrigue le Moulouya avant de se jeter en Méditerranée près de Saïdia aux confins de la frontière algéro – marocaine comprend des douars d’origine algériens. Ils s’y sont établis vers 1830, sur les traces de l’émir Abdelkader, comme c’est le cas de ses descendants que sont les Oulad Sid Cheikh établis à Laâyoun Sidi Mellouk, après la fameuse bataille d’Isly. C’est dans cette grande plaine de Triffa, doucement ondulée aux terres si fertiles que la mise en valeur des fermes coloniales avait commencé au Maroc.
la plupart des algériens installés à Oujda avant 1907, et en particulier ceux qui avaient fui la domination française pour des raisons religieuses, sont aujourd’hui considérés comme marocains. En 1933, ils se sont regroupés en association amicale qui comptait 500 membres en 1937, représentant l’élite de la communauté algérienne d’Oujda. Le président de cette association joue officiellement le rôle d’un « Cheikh. »Il existe à Oujda deux confréries religieuses qui sont dirigés par des algériens, la confrérie des Aïssaoua et celle des Taïbia. Elles servent de trait d’union entre les Zaouïa similaires d’Algérie et du Maroc.
Des Oasis, comme celle de Figuig ou de Ich, viennent donner le contrepoint aux ports et aux stations balnéaires de la façade méditerranéenne, prouvant dans un extraordinaire contraste, la force et l’importance d’une séduisante variété.
Situé dans la zone frontalière maroco – algérienne , Figuig est classé parmi les oasis pré – sahariennes. C’est l’oasis magique des sept ksour et des quarante quatre saints. De nombreuses sources expliquent la présence de l’oasis dans ce coin de désert. Figuig se caractérise par les aspects suivants :
- Les sept Ksour avec leur originalité architecturale et organisationnelle.
- Le système d’irrigation traditionnel. Les sources thermales de 30°C, alimentent par ailleurs les lavoirs publics et les bains sous terrain.
- A 40 km de Figuig, des tumulus et gravures rupestres.
- L’artisanat est affaire de femmes :haïk, burnous, tapis.
- Les zaouia et leurs dépendances (medersas, bibliothèques), ainsi que le rayonnement culturel des quarante quatre marabouts.
A la saison de pollinisation, il y a des chants à l’intérieur des parcelles. Chants liés au palmier – dattier, mais aussi au travail artisanal. Il y a aussi le chant des femmes lié au tissage.
Depuis la préhistoire, l’Oriental Marocain, a été la porte d’entrée au Maroc des différentes civilisations venues de l’est, en faisant un lieu de métissage entre les musiques ancestrales, tel que Laâlaoui et les Reggada,d’une part et le Raï et le Gharnati de l’autre. Un art musical de métissage et de syncrétisme religieux, comme l’illustre, Sidi Yahya, le saint patron d’Oujda vénéré à la fois par les juifs et les musulmans. Saint patron d’Oujda, musulmans, juifs et chrétiens l’invoquent à l’unisson. Il demeure un lieu de pèlerinage privilégié pour juifs et musulmans. Au 19ème siècle,en cas de conflit, les chefs des tribus Angad, Mhaya et Béni Iznassen, se réconciliaient sur le tombeau de Sidi Yahya. Abou Hamid el Ghazali aurait écrit avoir lu dans le livre du Hakim al Rounani(le sage grec ?) qu’Abou Yahya Ben Younès était mort à Oujda et y avait été inhumé. C’était un des pôles du monde ; il adora Dieu pendant quatre vingt ans dans le jeûne le silence et la prière. Sa présence fit disparaître les lions qui infestaient les environs de la ville d’Oujda alors considérable. Sidi Yahya fut un précurseur ; il était contemporain du christ, mais il prédit la venue du Prophète cinq cent ans avant sa naissance ; il doit par conséquent être considéré comme musulman. Les juifs de l’Oriental ont vécu longtemps en paix parmi les musulmans en particulier à Oujda, Figuig et surtout Debdou, cité où les juifs étaient plus nombreux que les musulmans.
Debdou est située à 160 kilomètres au Sud – Ouest d’Oujda. A la suite des persécutions de la Reconquista au XVè et XVIè siècles, notamment les expulsions des communautés juives du Royaume d’Aragon et de Castille sur ordre d’Isabelle 1ère la Catholique (1474-1504), une communauté juive séfarade, originaire essentiellement de Murcie, s’y installa. Durant une longue période les israélites, en particulier les familles Cohen et Marciano, y exercèrent un commerce actif avec l’Algérie et Méllilia, faisant de Debdou une plaque tournante, « un port de steppes orano – marocaines ». Debdou est rangée maintenant dans la catégorie des petites villes déchues..Elle dépend de la province de Taourirt
Le géographe andalou, Oubeïd el Békri écrivait vers l’an 1068 :
« Les voyageurs qui partent des contrées orientales (de l’Afrique) pour se rendre à Sijilmassa et aux autres localités de l’Occident, traversent la ville d’Oujda et y suivent la même route lors de leur retour. » Cependant cette voie de passage pour le commerce était aussile « triq Sultan »(troué de Taza, seul couloir de circulation praticable entre Fès et Tlemcen) ponctuée par le Moulouya et la Kasbah des Msoun,qu’empreintaient les armées des Sultans du Maroc lorsqu’elles se portaient contre les Souverain Abdelwadides de Tlemcen. Oujda fut ruinée et relevée quatre fois au cours des guerres continuelles qui opposèrent les maîtres de Fès à ceux de Tlemcen.En 1084, l’Almoravide Yossef Ben Tachfîn, après avoir franchi la Moulouya , détruisit une première fois la ville. Puis, en 1272, ce fut le mérinide Abou Yousof Yacoub qui mit en pièce l’armée des Abdalwadides qui régnaient sur Tlemcen, à la bataille d’Isly Il détruisit Oujda de fond en comble et la rasa jusqu’aux fondements. Son fils Abou Yaâcoub qui avait repris la lutte contre les Abdalwadides fit raser encore une fois les fortifications qui avaient été relevés entre temps.Il donna ensuite l’ordre de relever la ville de ses ruines, d’y construire une Kasbah , un palais, un bain maure, et une mosquée Après une période de tranquillité, le Sultan mérinide Abou Saïd rouvrit les hostilités contre les maîtres de Tlemcen. Il donna l’assaut contre Oujda en 1314. La ville fut à nouveau assiégée en 1335, puis ruinée par le Sultan mérinide Abou el Hassan.
Au 16èmesiècle, où les turcs pénétrèrent jusqu’à Moulouya, d’où ils furent repoussés par les Saadiens vers l’Est, Léon l’Africain écrivait à propos d’Oujda : « Les murailles d’Oujda furent autrefois hautes et fortes, les boutiques et les maisons bâtis d’un industrieux artifice, les habitants riches, civiles et magnanimes. Mais elle fut saccagée et démolie par les guerres, qui survinrent entre les rois de Fès et ceux de Tlemcen, au nom desquels, elle voulu tenir bon. Puis , la paix faite, elle commença d’être habitée par des gens qui se mirent à édifier des maisons non en si grand nombre qu’autrefois, ni d’une si belle structure qu’elles avaient été par le passé, car il ne saurait y avoir aujourd’hui mille cinq cent logis habités. Et avec ce, des pauvres gens comme qui rendent un si excessif et démesuré tribut au roi de Tlemcen et aux arabes leurs voisins. »
Oujda fut fondée en 994, par Ziri Ben Atya, chef des Maghraoua, groupe de Zénètes nomades. Investi par les khalifes Omeyyades de Cordoue du commandement du Maghreb, Ziri Ben Atya , qui dut s’y imposer par la force, décida de s’installer au centre du pays qu’il devait administrer plutôt qu’à Fès ou à Tlemcen. Il résolut de créer une « capitale » au milieu de la plaine d’Angad, à proximité de la source de Sidi Yahya(le beau parc de Sidi Yahya qu’abritent les térébinthes séculaires ne fut qu’un cimetière) et de montagnes qui pourraient éventuellement lui servir de refuge. Mais le site d’Oujda se justifie aussi par le croisement qui s’y opère entre deux grandes voies commerciales : la voie nord-sud de la mer à Sijilmassa et est-ouest de Fès à Tlemcen. Située dans la plaine d’Angad,Oujda est à 14 kms de l’Algérie et à 60 kms de la Méditerranée. Les quatre portes de la médina d’Oujda correspondent aux quatre points cardinaux :
- Au nord Bab Oulad Amrane et la route menant chez les Béni Iznassen.
- Au sud Bab Sidi Aïssa, d’où convergent les routes menant chez les M’haya et les Zekkara .
- A l’Ouest Bab el Khémis, donne sur la route qui mène vers Aïn Sidi Mellouk et Aïn Sfa.
- A l’Est, Bab Sidi Abdelwahab, donnant accès au chemin de Marnia et de Sidi Zaher, ainsi qu’à la route de Sidi Yahya le saint patron d’Oujda.
Au 19èmesiècle,en cas de conflit, les chefs des tribus Angad, Mhaya et Béni Snassen , se réconciliaient sur le tombeau de Sidi Yahya. A la fin du 16ème siècle Marmol, raconte que la ville eut à souffrir d’une attaque de Barberousse, et ajoute :« Oujda s’est repeuplée depuis, de quelques mille cinq cent berbères…Les habitants sont tourmentés des turcs et des arabes du désert. »
Le Gharnati entre Fès et Tlemcen.
En matière artistique, les algériens concurrencent les fassis. La société de musique « Andaloussia », a été fondée en 1925 par deux fonctionnaires algériens, Si Rahal Mohamed interprète judiciaire, et Bensmaïn Mohamed, professeur au lycée. Elle a vivement intéressé S.M. Le Roi Mohamed V, lors de sa première visite officielle à Oujda. Le répertoire classique des Noubât Gharnati d’Oujda a pour source Tlemcen qui recueillit dés le 13ème siècle le legs musical andalou. Cité des grands maître de la musique arabo – andalouse, dont Al Maqqari Al Tilimçâni, l’auteur de nafhat – tîb qui raconte le cycle des nawba Gharnati – de Grenade – où les plus grands musiciens de Cordoue se retrouvèrent, avant de refluer vers le Maghreb, à la suite de guerre de reconquêtes catholiques en Espagne. La tradition Gharnati de Tlemcen a entretenu des contacts avec les villes d’Oujda et de Tétouan au Maroc. Tlemcen a été un centre de rayaunnement de la musique andalouse dans sa sphère culturelle avec à l’Ouest, le couloir de Taza et à l’Est, Bejaïa.
Cette musique andalouse est appelée Ala au Maroc, Gharnati à Tétouan, Oujda et Tlemcen, San’â à Alger, et Maâlouf au constantinois et à Tunis.La nawba fut mise au point dès le 9èmesiècle, à Cordoue, en Espagne musulmane. Vastes constructions mélodiques qui ont vaincu l’oubli et traversé le temps.
C’est Ziryab qui fut à l’origine du grand monument andalou, constitué par les vingt quatre nouba-s, un système qui se développa sous la forme d’un arbre symbolique, l’arbre des tempéraments, Shajarat al-toubou’, ou arbre des modes. A chaque heure qu’égrène le jour correspond un mode, un maqâm, c'est-à-dire un chant, une mélodie, qui exprime un état d’âme, une pensée, un sentiment. Si par exemple, le mode raml et raml el Maya, célèbre les chatoiements du crépuscule, le maya et rasd – eddil,saluent le jour qui point.
Le grand Ziryab ajoute une cinquième corde à son luth et fixe à cinq le total des mouvements essentiels de la suite musicale arabo – andalouse qu’on appelle nawba. Des vingt quatre modes que comptait l’ingénieuse et géniale classification de Ziryab et de ses disciples, quinze seulement subsistent au Maghreb. Et sur les 15, 12 seulement restent suffisamment connues pour offrir matière à la composition de nawba parfaites, c'est-à-dire de suites à peu près complètes.Vers 1800, à la demande du Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah, on rassembla dans le manuscrit du Hayk al Titouâni, les textes de tous les chants qui se chantent couramment sur les vingt quatre échelles modales ( toubou’) des onze nawbât marocaines.
Dans la nawba maghrébine héritière de la nawba andalouse, la musique, le chant et la poésie sont étroitement liés. Toute tentative de faire abstraction de l’une des composantes de la nawba aboutit à une analyse erronée. On ne peut donc parler du muwashah sans le mettre en relation avec la nawba dans laquelle il est chanté, et avec le mode tba’ qui en détermine souvent le contenu thématique et la forme stylisqtique. Les pièces vocales se composent aussi de Zajal et de qasaïd-s classiques. Et il arrive souvent qu’au cours du même mouvement on chante successivement un Zajal, un mûwashah et une qasida. Le muwashah qu’on peut traduire par « la parure poétique chantée » est né dans les jardins andalous. C’est ce genre poétique typiquement andalou qui serait derrière la poésie de « l’amour courtois » qui caractérisait au Moyen Âge les troubadours de l’Europe méridionale.
A la fin du 19ème siècle, Oujda était entourée d’une ceinture de jardins plantés de jujubiers. D’où le surnom de « médinet el Cédra » : citée des jujubiers. Suivant les époques, Oujda a été également surnommée médinet el Haïra(ville de la perplexité). Ceinture de jujubiers et d’oliviers, épaisse de mille mètres en certains endroits. Chaque jardin était enclos d’un mur en pisé de 1,80 m à 2m de haut percé de nombreux trous. Les espaces laissés libres entre les jardins formaient un dédalle assez compliqué de ruelles dans lequel on pouvait difficilement s’orienter, les oliviers arrêtant la vue. Les jardins constituaient un système de défense appréciable, qu’on avait renforcer dans les années 1880 par la construction du muraille en pisé de six mètres de haut, formant une enceinte continue percée de deux portes diamétralement opposées et doublé d’un fossé large et profond creusé pour construire le mur.
En 1885,J.Canal écrivait :
« Oujda se divise en six quartiers ou Houma, séparés entre eux par de grandes portes, placées en travers de la rue et fermées la nuit. Chaque quartier a ses mosquées, son Foundouk(auberge - écurie),ses bains maures etc.
Les six quartiers d’Oujda sont :
- Au nord ; Oulad Lahcen, Oulad Amrane, Ahl oujda,.
- Au centre ; le Mellah.
- Au sud – est ; Oulad Aïssa.
- Au sud – Ouest ; les Oulad el Cadi.
La kasbah se trouve au centre. Tous les soirs la ville est fermée par ses portes extérieures, lesquels sont fortement bastionnées et défendues par des remparts en maçonnerie. » La médina abritait les musulmans et les juifs marocains.Les deux tiers des juifs marocains vivaient dans l’ancienne médina intimement mêlés aux musulmans, partageant le même immeuble autour de la même cour, d’un seul puits, dans une même misère. Ainsi, les juifs marocains d’Oujda n’étaient pas comme dans d’autres villes du Maroc confinés dans un Mellah entouré de remparts.
La ville européenne s’était étalée au-delà des remparts, détruits durant les années trente, et remplacés par des avenues. Un certain nombre de juifs marocains enrichis, avaient quitté la médina pour la ville européenne. Celle-ci recevait également des familles de notables musulmans marocains et plus encore algériens.
Les principaux fonds de commerce appartiennent à des fassis et à des algériens et se trouvent à la grande Kissaria où sont installés les marchands.La période 1834 à 1844 est de relative prospérité. Ces années apparaissent comme les plus belles qu’ait connu Oujda. La conjoncture d’assez bonnes récoltes et d’un intense trafic commercial, en partie sous tendu par le ravitaillement pour l’émir Abd el Kader,par les négociants. Il faudrait aussi y voir les effets stimulants de l’arrivée des réfugiés algériens désireux d’échapper à la domination française. Il semble que date de cette époque,l’intérêt des familles des négociants fassi en plein essor. Les registres d’entrées et de sorties des marchandises du foundouk Nejjarînes de Fès pour ces années en témoigne.
Oujda à l’aube du 20èmesiècle
A l’aube du 20ème siècle, il existe certes un petit noyau de descendants de vieilles familles Oujdis, renforcés dans les années 1830 – 1840, par l’installation de familles algériennes fuyant l’occupation française et de quelques représentants de firmes fassiesvenant profiter du regain des échanges liés aux fournitures à l’émir Abd el Kader. Mais ces apports sont continus et multiples. Ainsi en 1882 une effroyable disette sévit dans le Souss. Sur les conseils du Sultan, les habitants viennent s’installer dans la région d’Oujda. La population juive passe de 10% à plus de 20%. Diversité, spécificité d’une part, mixité de l’autre. Et d’abord d’énumérer : arabes citadins et arabes campagnards, berbères, figuiguiens, juifs marocains et juifs français, européens aussi, moins rares qu’il n’a été dit, voir « levantins », gens à la langue dorée et à l’inspiration fertile. La cohabitation est heureuse de ces ethnies différentes, qui apparaissent vivant de façon beaucoup plus mêlés que dans les autres cités . A cette aube du 20ème siècle, dans les tribus voisine d’Oujda, l’opposition Angad – Mhaya parait une donnée structurelle de la politique locale. En 1906, la ville comptait un peu moins de 6500 habitants.Ils étaient 34 700 en 1938. Le recensement de 1994 a dénombré 354000 habitants en zone urbaine.
La « waâda » : la fête saisonnière de l’Oriental
Ces différentes formes de danses de l’oriental marocain, se manifestent traditionnellement lors des réjouissances saisonnières connus dans l’oriental sous le nom de waâdate (l’équivalent des fêtes patronales ou moussem du monde rural marocain). Originaire de la tribu des Béni Yaâla, Mr ;Abdelhamid Brahim, président de l’association Brahma pour le folklore de la région de l’oriental nous parle de cette fête saisonnière en ces termes :« Tout le monde participe à la waâda des Mhaya qui a lieu à la pleine lune du mois de juillet. Il y a la waâda des Béni hamlil, celle des Ahl Angad qui se déroule à Sidi Yahya le saint patron d’Oujda et la waâda des Bni Iznassen organisée par sa fraction des Oulad Mansour qui se déroule en une demi journée à Saïdia. Ppartout ailleurs cette fête a lieu en trois jours : la fantasia s’y déroule au malaâb » (terrain de jeu) autour duquel s’organise le campement des khaïma : là sont dressées les tentes louées ou achetées par la tribu organisatrice de la waâda. Ce lieut où ont lieu les sacrifice et où on présente les repas communiels on l’appel « hjir » : on y offre de somptueux repas aux invités d’honneur et aux simples « âbir sabil » (les gens de passage). En faisant montre de la meilleure hospitalité, chaque tribu est en compétition avec toutes les autres. On se dit : « Quelle est la waâda qui a attiré le plus d’invités ? Laquelle avait présenté les meilleures offrandes ? Es-ce la waâda des Mhaya, celle des Béni Hmil ou celle d’Ahl Angad ? Quelles sont les personnalités qui l’ont honoré de leur présence ? Y avait-il beaucoup de cavaliers ?Les cavaliers sont tous des hôtes : par exemple si deux à quatre serba (escouades) sont issus de la tribu organisatrice, les autres cavaliers sont des invités : on s’échange ainsi, à tour de rôle, les invitations entres les différentes tribus de l’oriental »
C’est pour cette raison que l’institution de la waâdase caractérise par la compétition entre les tribu. Cette compétition festive a pour fonction d’apaiser les conflits intertribaux qui naissaient des confits autour des pâturages et des points d’eau.
La « waâda » de Jerada
Depuis sa reconnaissance par les géologues en 1929 et son exploitation effective en 1936 , le bassin carbonifère de Jérada avait transformé cette région agricole en zone minière. En l’an de grâce 2001, le dernier puits est fermé, et le dernier mineur prié de redevenir le fellah qu’il a toujours été. Difficile reconversion, quand on sait que la mine a crée autour d’elle une communauté de destins, une identité propre à ceux qui ont partagé les joies de la fête, mais aussi les ruines invisibles de la silicose : inhalé au fond des galeries souterraines, le dépôt cristallin de poussière noire finit par durcir et obstruer l’appareil respiratoire, y étouffant progressivement la vie. Incurable est la silicose, parce qu’elle adhère irrémédiablement aux parois pulmonaires.
Par delà les collines dénudées et les amandiers en fleurs ; la traversée de l’oued Isly, connu pour la bataille éponyme qui oppose en 1844 un Maroc qui soutenait les incursions de l’Emir Abdelkader depuis le Rif jusqu’en Algérie qui venait alors d’être occupée par la France. Par delà les frontières, histoire commune, proximité géographique : ici –même le jeûne est rompu aux dattes d’Algérie. Par delà les étendues steppiques et les rivières partagées, mêmes goûts musicaux : le Raï d’Annaba est apprécié à Jérada et le Gharnati de Tlemcen à Oujda.
Une mosaïque de tribus
« Il y a encore des réserves de charbon pour un siècle, mais on a décidé de fermer les charbonnages, nous explique cet ancien ouvrier de surface. La mine ne faisait pas seulement vivre Jérada, elle profitait aussi à la ville d’Oujda. Après la fermeture, certains mineurs sont restés sur place, mais beaucoup d’autres sont retournés dans leur patelin d’origine dans le sud ou à Berkane ».
On me conseille d’aller rencontrer un certain Mohamed Lashab, un syndicaliste qui aurait participé aux négociations conduisant à la fermeture de la mine : «On est venu de Debdou où mon père ne pouvait plus vivre de la petite agriculture. Des membres de sa famille qui travaillaient déjà à la mine en 1945 l’avaient incité à les y rejoindre ». Le recrutement s’opérait souvent de la sorte : les mineurs originaires de régions rurales pauvres, une fois établis sur place, faisaient venir voisins et famille de leur village d’origine, leur servant dans un premier temps de « structure d’accueil ». C’est la cas d’Afenzy, né à Demnate en 1950, venu travailler comme mineur au début des années quatre – vingt « parce qu’il y avait des gens de Demnate qui travaillaient déjà ici ». C’est le cas d’Ahmed, né aussi en 1950 chez les Béni Lent, fraction Tsoul, dans la région de Taza, venu à Jérada en 1972 pour rejoindre son frère qui travaillait déjà dans la mine. Ainsi, de fil en aiguille, Jérada, mi-ville, mi-village, s’est composée de quartiers et de douars dont les habitants avaient pratiquement la même origine. Ce qui explique que les quartiers portent les noms de régions lointaines : Sous, Marrakech, Taza, Debdou, Demnate, Béni Yaâla, Oulad Sidi Ali, Oulad Âmer, Zekkara, Oulad Maziane. Il y a même des membres de la même tribu qui habitent des sous – douars : Laghouate installés au douar Oulad Âmer, Béni Guil au douar Oulad Maziane (ces derniers sont des éleveurs connus pour la qualité de leur mouton « Guilli »). Jérada était ainsi composée d’une mosaïque de tribus, comme en témoigne Malika El Kihal, fille de l’un des premiers mineurs : « De mon enfance, je garde l’image de la place centrale de Jérada où, à l’occasion d’une fête religieuse ou nationale, on pouvait assister à tous les folklores du pays. Le personnel organisait une fête saisonnière, l’Waâda , qui était à la fois un rite de passage et un pèlerinage » . Aux environs de Jerada et de Bouârfa chez les Béni Yaâla, les Zekkara et les Mhaya, on pratique surtout le genre Ssaff, cet ahidus arabisé partout présent chez les femmes de l’Oriental marocain
Jerada était structurée en fonction des activités de la mine : il y avait la cité ouvrière, la cité des agents de maîtrise et « la cité Russe » (édifiée dans les années soixante – dix par les Soviétiques venus monter la centrale thermique) où résident les ingénieurs. Du temps du Protectorat, se souvient-on, les agents qui occupaient la cité ouvrière n’avaient pas le droit d’entrer ni de se promener dans la cité des agents de maîtrise, alors occupée par les Français. En pleine activité, la mine produisait jusqu’à 700 000 tonnes de charbon par an et employait 7000 personnes. Ce qui faisait vivre jusqu’à 70 000 âmes. En raison des départs pour fermeture de la mine, la cité ouvrière – noyau primitif de Jérada – est actuellement en démolition. Dans les autres quartiers qui restent encore debout, on peut lire l’inscription « à vendre » sur les façades de nombreux taudis. Mais comme il n’y a pas d’acquéreurs, leurs propriétaires finissent par les abandonner.
Les Cheikh de Bab Sidi Abdelwahab à Oujda
A Oujda, Baba Sidi Abdelwahab est le lieu de rencontre permanant des cheikhs de l’Oriental. C’est là qu’on vient les chercher que ce soit pour l’animation des fêtes de mariage ou pour l’enregistrement d’un CD ou d’un DVD, vendus chez les nombreux disquaires de la médina et tout particulièrement l’allée commerçante de « Marrakech ». Même les Cheb du Rai de Guercif s’y rendent régulièrement car c’est à Oujda que se trouvent leur véritable clientèle. Voici ce que nous en dit le président de l’association Brahma pour le folklore de la région de l’oriental : «A Oujda, Bab Sidi Abdelwahab est le lieu de rencontre des Cheikhs comme il existe des lieux semblables à Aïn Bni Mathar et à Berkane..."
La troupe se compose de cinq Cheikhs :
- Achaîr, Le poète ou parolier
- Le « berrah » (crieur public) qui chante et qui sert de relais entre la troupe et sa clientèle
- Le ou les joueurs de bandir (tambour à cadre).
- Le ou les joueurs des instruments à vent : la « ghaïta »(hautbois) et la « gasba » (flûte pastorale)
- Le joueur du « gallal » (cylindre en terre cuite muni de peau de chèvre, instrument rythmique de base du genre Reggada).
- L’ Azemmar , sorte de biniou composé d’une peau de bouc munie de deux cornes d’antilope à l’aide desquelles le musicien gonfle l’outre et règle la sortie de l’air. Cet instrument q’utilisent les cheikhs de l’oriental a pour origine le Rif et tout particulièrement les régions de Nador et d’Al-Huceima.
B. Les danses de l’Oriental marocain:
1.L’ahidus arabisé dit Ssaff : il est pratiqué en berbère Zénète chez les Bni Waraïn et les Marmoucha au sud du couloire de Taza et en arabe chez les Branès et les Hawwâra Oulad Rahou de Guercif .Cet ahidus arabisé est partout présent chez les femmes de l’Oriental marocain où il porte le nom de Ssaff .On le trouve aux environs de Jerada et de Bouârfa chez les Béni Yaâla, les Zekkara et les Mhaya.
2.La « danse du baroud », qu’on trouve sous diverses appellations depuis le couloir de Taza (chez les Ghiata –Est, les Bni Waraïn – Est et à Guercif) jusqu’aux confins de l’Oriental marocain. Cette danse du baroud partout présente dans l’oriental marocain, porte à chaque fois le nom de la tribu dont sa variante est issue :
- « Laâlaoui » par référence à la tribu des Béni Yaâla des environs d’Oujda.
- Le « Mangouchi » par référence à la tribu des Béni Mangouche.
- « Reggada » par référence à la tribu des Reggada située entre Oujda et Berkane.
- « N’hari » par référence à la tribu des Oulad N’har à cheval entre l’Algérie et les environs d’Ahfir.
- « Loutatiya » par référence à Outat el haj.
3. Le genre bédouin dit de la « gasba », la grosse flûte traversière de la transhumance et du désert, porte plus nettement la marque des hauts plateaux de la Gaâda de Debdou et du Telle de la Meseta Oranaise.Ce genre est accompagné au niveau rythmique du Guellal dont les mesures ont été reprises par le Raï.
La grosse flûte du désert serait dû aux nomades qui s’étaient établis dans la région vers le dixième siècle avec l’avènement des Béni Hilal, comme nous l’explique le poète Mimoune, parolier issu de la tribu des Mhaya située au sud-est d’Oujda :« La tribu des Mhaya est une fraction des Béni Hilal. Elle s’est établie dans la région où elle nomadise avec ses troupeaux de caprins, d’ovins, de camelin et de chevaux. Tu temps de la colonisation Française, ces arabes hilaliens nomadisaient entre Taourirt au Maroc et Tlemcenen Algérie tout en étant ouverts sur le domaine saharien. Ces nomades aimaient la poésie, les qasida « talaliya » de atlal, ruines (qui pleurent sur les campements désertés, comme dans l’ancienne Arabie), les qasida du madh (louanges) et du ghazal (amour courtois). Du point de vue musical, ils recourt à la gasba (la grosse flûte des nomades) »
Le Raï entre Oujda et Oran
De même que le folklore musical des confréries religieuses et la poésie du malhûn ont donné naissance dans les années 1970 au mouvement folk de Nass el Ghiouan par l’introductions du banjo , du Tamtam et de la sonorisation et de la scène au sens des groupes modernes ; de même le folklore de l’Oriental marocain et de l’Ouest algérien a donné naissance dans les années 1980 au Rai avec utilisation d’instruments de musique modernes ( synthétiseur, orgue, guitare électrique, saxophone, batterie, basse etc) . Là aussi on s’est inspiré des rythme et des répertoires traditionnelles comme nous l’explique le chanteur du Rai Mr.Mohamed Imounachen, fondateur à Oujda du groupe « Man – X » en 1984 : « Nous avons produit une cassette en 1985 et un CD en 2010. Le producteur du studio Nawfal à Oujda, fait partie de notre groupe dont il est le parolier. Mais notre CD n’a pas eu de succès escompté comme c’est le cas du Cheb Ryahi d’Oujda, qui avait commencé sa carrière par la chanson à succès « A Ya Mina Beslama ! »(A Dieu Mina !). Chanson qui s’est fait connaître au cours de l’émission télévisée « Sibaq al Moudoune » (la compétition des villes). C’est en fait une vieille chanson du genre Ssaff des Ahl Angad. Les chanteurs du Rai recourent aussi au rythme dit « khmassi » (rythme bacchiaque à cinq temps) qui caractérise la danse des Reggada qui s’accompagne de la gasba et du gallal comme on peut l’écouter avec chikha Rimitti de la région oranaise et le cheikh Lyounsi de la région de Berkane qui influencé la nouvelle vague du Rai à Oujda, Guercif et Jerada. A partir des années 1980, les Cheb (jeunes chanteurs du Rai) ont repris le répertoire du genre Ssaff et le rythme du genre Reggada, en y intégrant des instruments de musique moderne : au gallal, bandir et gasba, on a ajouté ; synthétiseur, basse, guitare, saxophone, batterie et boite à rythme. Cheb Khaled et Cheb Mami en Algérie et Cheb Kamalel oujdi et Ryahi de Berkane ont développé le Rai à partir du genre Reggada. » Cette évolution ne peut se comprendre qu’à partir du contact permanent de ces jeunes chanteurs avec l’Europe : ils constituent de véritables passeurs entre les deux rives de la Méditerranée. Les chanteurs du Rai qui restent à Oujda ont peu de chance d’améliorer leur technique musicale et de se faire connaître contrairement a ceux qui se produisent dans les capitales Européennes comme on l’a vu récemment avec la chanteuse Hindi Zahra, franco - marocaine, influencée par les stars du Rai, qui vient d’être récompensée pour son album "Hand Made" par le prix Constantin qui distingue chaque année les jeunes talents de la chanson française. "Beautiful Tango", premier extrait de son album, a été salué par la critique jusqu'en Grande-Bretagne. Enfant du sérail née dans le nord marocain mais originaire des tribus berbères du sud du pays,
Hindi Zahra a été bercée par les grandes voix des divas de la musique orientale, du raï au châabi, d'Oum Kalsoum à Cheïkha Rimitti. Plus tard, elle a puisé dans les racines du groove afro américain, se nourrissant des standards d'Aretha Franklin et de James Brown, avant d'apprendre son métier en tant que choriste soul et hip-hop, entre deux écoutes des albums de A Tribe Called Quest ou 2Pac. La lauréate est actuellement en pleine tournée européenne. Elle s'est produite en Angleterre, en Allemagne, au Portugal, en Suisse, et bien sûr en France (prochaine date le 18 novembre à Villefranche-sur-Saône au Festival des Nouvelles voix). Elle effectuera aussi un crochet en Belgique (dernière date de la tournée le 19 décembre à Anvers). Son concert est retransmis le 19 novembre sur France Inter, le 22 novembre sur France 4 en deuxième partie de soirée et le 25 novembre sur France 2, en 3e partie de soirée. Le jeune chanteur de l’oriental marocain ne bénéficie ni de la même formation musicale, ni des mêmes techniques managériales et de communication du star système pour franchir le rubicon. Sans parler de l’absence de tout droit d’auteur.
Le succés du Rai auprès de la jeunesse
La fin des années quatre vingt a vu le Raï oranais s’imposer durablement au Maroc, et tout particulièrement à la ville – frontière d’Oujda. Le Raï a démontré le rôle de plus en plus essentiel de la jeunesse comme productrice de nouvelles pratiques culturelles. Comme le mouvement folk de Nass el Ghiouan au Maroc, il a expérimenté une manière nouvelle de s’approprier les matériaux de la culture populaire ainsi que des formes contemporaines d’expression musicale. S’établissant délibérément, dans les espaces non institutionnels, la chanson Raï va élargir son audience par le biais des mariages, des cabarets et des boîtes de nuit de la côte oranaise. Après sa reconnaissance, le Raï sera enfin diffusé par la radio – télévision – y compris la radio régionale d’Oujda – et à travers les festivals d’Oran, puis de Monte la Jolie. Ce n’est qu’au cours de l’été 2006, qu’Oujda organisera son premiers festival international du Raï.Si le Rai a incontestablement des racines bédouines il a pu néomoins facilement fusionner avec la World Music, ce qui explique son succès auprès de la jeunesse au même titre que les Gnaoua.Or toutes les musiques régionales ne se prêtent pas aussi facilement à cette fusion avec la world music comme a pu le constater au festival Alégria de Chefchaouen,le musicologue Mohamed Ben khazzou pour Taqtouqa Jabaliya par exemple : « Une américaine a joué du saxophone le maqam du higaz qui se distingue par l’emploi du mi bémol Diaz et par celui de si bimol.
On a alors senti un rapprochement entre son jeu du saxophone et notre Taqtouqa Jabaliya. Mais il était très difficile de rapprocher les rythmes parce que celui de Taqtouqa Jabaliya se fonde sur 9/4 difficile à exécuter par quelqu’un qui n’est pas habitué au Jabli.Un américain joueur de batterie n’a pas pu s’adapter à ce rythme connu sous le nom de « rythme boiteux ». Par conséquent nous avons ici une musique très spécifique qui fusionne mal avec les musiques du monde. ».
C’est sa préponsion à l’ouverture sur les autres musiques qui a assuré au Rai le succès auprès de la jeunesse et la diffusion mondiale qu’on lui connaît. D’ailleurs la plupart des chanteurs du Rai ont débuté leur carrière en Europe.Comme c’est le cas du Cheb Kader, qui a commencé sa carrière à l’étranger : « J'ai travaillé pour que le Rai devienne international en y injectant des sonorités funk, reggae, musique marocaine… A mon retour au Maroc en 2001 avec l'album « Mani », un ami est allé i voir la société Universal pour leur faire écouter mes titres.Une compilation de mes meilleures chansons dont « Dima Raï », qui est un espoir de réconciliation entre le Maroc et l'Algérie. L'album est un mélange de Salsa et de Raï, une reprise du tube Raina raï… J'ai toujours rêvé d'un style maghrébin, mais aussi international, qui soit reconnu comme tel aux USA, au Japon, en Europe… Mon album «Dima Raï», qui porte bien son nom, sort en Suisse et en Allemagne le premier janvier. L'album sort également au Maroc, où je serai en tournée tout l'été . Les contacts sont pris avec les grands festivals, (Casablanca, Oujda, Al-Hoceima…). J'ai eu envie, avec cet album de répondre à la demande de beaucoup de gens via Internet». Le modèle de tous ces jeunes est incontestablement la succès story du Cheb Khaled le roi du Rai qui vient de se produire, en cette fin d’année 2010 au festival des arts nègres de Dakar. Habillé d’un jean délavé et veste noire, Cheb Khaled n’a pas donné de répit à son orchestre composé de sept musiciens qui ont, sans fausse note aucune, exécuté des airs aux rythmes variés. Micro à la main et esquissant continuellement des pas de danse : quand Khaled entame « Didi Didi » et « Aïcha », la foule trémoussait dans une ambiance Rocker…., Succès universel qui fait que le genre Rai éclipse incontestablement les autres genres de musique et de danse dont la diffusion ne dépasse pas généralement le niveau local...Abdelkader MANA
Vues des trainings sur la musique et la danse organisés par l'UNESCO à Jerada au mois de janvier 2011 au profit des professionnels de la musique et de la danse dans l'oriental marocain
05:27 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
01/12/2011
Les Jbala et le Rif
Texte Abdelkader Mana, images Jean François Clément
Comme ailleurs au Maroc, les paysans sédentaires du pays Jbala et du Rif ont conservé l’usage de l’antique calendrier julien, le long duquel s’égrènent les actes et les rites de la vie agricole : l’époque magiquement propice aux labours, les périodes néfastes où il faut se garder de travailler le sol, le moment des bénéfiques pluies de Nisân , l’instant heureux des moissons , et enfin le jour de la « mort de la terre », après lequel tout est brûlé ; mort jusqu’à la résurrection aux premières gouttes de la pluie automnale.
Lieu d’échange entre la plaine et la montagne, Taounate est l’un des principaux marchés du pays Jbala, où s’échangent les produits de la montagne en contre partie de ceux de la plaine. Occupant la partie occidentale de l’ensemble rifain, limité à l’ouest par l’Atlantique, au sud par les plaines du Gharb et au sud-est par le Rif central, le pays Jbala s’étend depuis le nord de Fès jusqu’au haouz de Tétouan. A la suite de la reconquête de l’Andalousie par les Rois Catholiques à la fin du XVème siècle , beaucoup d’andalous viennent s’installer dans les principales villes du pays Jbala que sont Tétouan, Chefchaouen et Ouazzan. Ce qui n’est pas sans avoir un certain impact sur « Taqtouqa Jabaliya » influencée entre autre par le mode musical andalou dit lahgaz.
Taounat, en tant que marché Jbalien dépendant de Fès où s’établissent souvent ces tolba et ses musiciens, tel Mohamed Laâroussi actuellement, est connue par trois genres de musiques et de chants : Taqtouqa Jabaliya, le chant des femmes Jbala dit « aâyouâ » et le genre « haït » spécifique à la plaine du Gharb toute proche.
Taqtouqa Jabaliya de Taounate
Actuellement, en plus des instruments de musique traditionnelles que sont le violon, le luth, souisdi, le bandir (tambour à cadre), la darbouka et le trier, les musiciens de Taqtouqa Jabaliya, recourent également aux instruments modernes : la guitare, le piano et la batterie. Sous l’encadrement de Mohamed Laâroussi, le cinquième festival de Taqtouqa Jabaliya qui s’est tenu à Taounate en 2009 a réuni une centaine de musiciens de ce genre représentant les trois régions : Tanger et ksar Sghir, Tétouan et Chefchaouen et Taounate. Ce festival a été organisé par l’association Safir (ambassadeur) de Taounate. Les deux principaux maîtres de Taqtouqa Jabaliya sont Mohamed Laâroussi de Taounate et Abdellatif el khoms de Chefchaouen. Les œuvres de Mohamed Laâroussi sont les plus connus et les mieux diffusées à travers la radio – télévision et sous forme de cassettes et de CD. C’est la musique qui symbolise le mieux le pays Jbala,. Elle est présente dans les trois régions suivantes, avec d’infimes variations locales que seule une oreille exercée peut déceler :
a) La Taqtouqa Jabaliya de la région de Tanger et de ksar Sghir
b) La région de Tétouan et de Chefchaouen avec les Béni Ârous en particulier, d’où est issu Moulay Abdessalem Ibn Mashish du djebel Alam, descendant de Omar, l’un des douze fils d’IdrissII, le fondateur de Fès. Les musiciens de Taqtouqa Jabaliya sont très présents auprès des disquaires du moussem annuel de la naskha qui a lieu autour de la grotte et de l’arbre sacré de Moulay Abdessalam vers la mi – chaâban, le mois lunaire qui précède le Ramadan.
c) Enfin la région de Taounate avec les Mernissa et surtout les Bni Zeroual, d’où est issue Mohamed Laâroussi, actuellement considéré comme le chanteur de Taqtouqa Jabaliya par excellence. Les Mernissa pratiquent Taqtouqa Jabaliya et un genre de haït plus proche de l’oriental marocain du fait de leur position à l’Est des Jbala à la lisière de la tribu rifaine des Gzenaya ( des guerriers qui ne pratiquent ni danse ni musique)et des Tsoul, qui ont le même type d’habitat et de dialecte que les Jbala mais qui font plutôt partie du couloir de Taza.
Mohamed Laâroussi
Considéré comme l’une des grandes figures de taqtouq al jabaliya Mohamed Laâroussi est né le 14 janvier 1934 Taferrant chez les Bni Ârous, fraction Bni Zeroual , située à 40 kms de Fès. Il était né à une période où les esprits étaient encore marqués par l’offensive Franco – Espagnole de 1926 contre le Rif à partir justement des postes de Bni Zeroual et surtout ceux de Mernissa : Abd el –krime menaçait alors Fès dont il annonçait la prise pour mai 1925. Inquiet de cette poussée puissante de nationalisme, le maréchal Pétain obtient le départ du Maréchal Lyautey, hostile à une coopération avec l’Espagne. Les conversations franco – espagnols commencent le 17 juin 1925. Lors de la rencontre le 28 juillet entre Pétain et Primo de Rivera, le principe d’une riposte commune sévère est arrêté. La guerre franco – espagnol du Rif commence. Dans ses « Lettres du Maroc, l’offensive dans le Riff 1925, la Tache de Taza 1926 », édition militaire, 1930, le Lieutenant J.Joubert écrit : « L’offensive française a commencé le 12 avril 1925, par une « souga » chez les Beni zeroual, à la zaouia d’Amjot ; ils nous lachèrent en partie. Abd el-krim voulait le chemin de Fès. Vous pensez quelle victoire pour lui de prendre la ville sainte, la capital intellectuelle. C’était la reconnaissance certaine de sa puissance, puis de son autorité, c’était notre défaite. Trois Harka d’ Abd el-krim étaient formées pour investir la ville : leurs efforts convergeaient. Ils isolaient les postes et on les vit un à un tomber. On essayait bien d’aller au secours des assiégés, mais c’était difficile. D’abord, il y avait peu de bataillons disponibles, et l’ennemi montrait du mordant. Il y avait du matériel moderne. Les canons et les mitrailleurs des postes, ils les retournaient contre nous, car ils savaient parfaitement s’en servir. Il y a, je crois, chez les Rifains, des déserteurs de la légion, et aussi des aventuriers de tous pays. C’est une si belle poire à accueillir que ce Rif ! Ce qui rendait surtout la situation très critique, c’était le départ en dissidence de nos tribus soumises. Les unes après les autres, elles nous lâchaient, nos postes étaient ainsi complètement isolés. Il y a quelques semaines, les Tsoul et les Branès sont eux aussi partis en dissidence, et c’est un fameux bloc contre nous, surtout à cause de leurs terrains mamelonnés. »
En 1925, les guérilleros d’Abd el krim multiplient leurs attaques contre les postes Français et leurs auxiliaires chez les Branès, les Tsoul et les Bni Zeroual. Le mercredi 9 septembre 1925, le Maréchal Pétain en personne vint inspecter les avants postes d’Aïn Aïcha et de Taounate. Et c’est à partir de Mernissaentre autre que sera déclenché l’offensive du côté Français contre le Rif : L’échec des pourparlers d’Oujda avec les émissaires rifains a entraîné immédiatement, l’offensive franco-espagnole : dés le 7 mai 1926 l’aviation entreprit sur tout le front des reconnaissances et des bombardements massifs sur les rassemblements et les centres importants, notamment sur le poste de commandement du Khamlichi à la Zaouia de Bou Ghileb . Dés le lendemain le 8 mai les troupes françaises et les troupes espagnoles commençaient une offensive conjuguée : les secteurs espagnols d’Alhuceima et de Melilla marchèrent en même temps que l’ensemble de la ligne française. Celles-ci avançait sur plusieurs axes simultanément : à l’ouest depuis Ouazzan et Chefchaouen afin de couper les Jbala du Rif, et plus à l’Est depuis les Mernissa et Taza en direction du Kert.
Grandissant dans un contexte où la guerre du Rif revenait souvent dans les récits des chaumières de son enfance, Mohamed Laâroussi se souvient encore de ce qu’on lui racontait tout jeune des attaques désespérées des rebelles rifains contre les postes militaires Français de sa tribu des Bni Zeroual, tenus par les tirailleurs sénégalais et autres goumiers qu’ « on n’hésitaient pas, raconte-t-il, à pousser dans les fosses en les précipitant dans le vides des falaises. ». Et dans sa toute première chanson intitulée « le capitaine Soly » il se faisait l’écho du mécontentement des paysans Jbala contre les postes militaires qui se servaient gracieusement en figues, olives, poules, moutons et moisson. Mohamed Laâroussi débuta donc sa carrière de musicien en 1944, par cette qasida sur « le capitaine Soly » qui commandait les Bni Zeroual où il raconte les affres de la colonisation. Quand le capitaine Soly en eut vent, le 20 juillet 1946, il le jeta immédiatement en prison où il allait croupir pour dix ans, s’il n’y avait l’intervention d’un certain Mohamed Ben Taïb, traducteur, qui le tira finalement d’affaire au bout de neuf jours seulement. On lui interdit néanmoins de se rendre à Fès où il réside actuellement. Il a fallu attendre l’indépendance du Maroc pour voire finalement ses chansons diffusées à la radio à partir de 1958. Il a même connu une carrière de chanteur de Cour sous le Roi Mohamed V puis Hassan II . C’est un chanteur prolifique : depuis le début de sa carrière à nos jours, il a produit quelques 526 chansons : d’où la nécessaire de réunir et de publier ses chansons sous forme de recueil pour préserver cette mémoire, qui fait incontestablement partie du patrimoine populaire marocain menacé de disparition en ces temps de nivellement par la raboteuse de la mondialisation : enregistrer, traduire, le publier, préserver de l’oubli.
Le chant des femmes Jbala
Chez les Jbala on appelle Aâyouâ, le chant qui accompagne les travaux agricoles des femmes (moissons, gaulage des olives). On peut traduire ce mot par l’expression « échos de montagnes » : son ambitus extrêmement aigue et allongé porte au loin la voix des femmes Jbala. Elles s’en servaient, dit-on, pour signaler d’en haut des collines , aux guérilléros d’Abd-el-krim, les déplacements des colonnes françaises. Et aux fêtes de mariage, on se servait de ces voix de soprano pour faire parvenir le message à tous les participants sans avoir à recourir au haut parleur. Le hautboïste Mr.Aziz Zouhri, dont la troupe vient d’être invitée en France, nous rapporte ce couplet , que les femmes chantaient lors des fêtes saisonnières :
Warwar yâ limama, fal hjour dal ghoddana
La iâjbak chi zînak, hakdak kount hatta yana
Aux branches des figuiers, recoule ô colombe !
Que ta beauté ne t’étourdit pas , moi aussi j’étais belle !
Du point de vue mélodique, ce chant s’apparente au mode musical andalous dit « lahgaz » : de par leur position géographique sur la rive sud de la Méditerranée, les Jbala ont été influencé par la musique andalouse. Ce sont les fêtes de mariage qui ont permis à ce genre de se perpétuer, mais il est en voie de disparition : les femmes qui le pratiquent sont pour l’essentiel décédées. D’où la nécessité de mesures conservatoires pour l’enregistrer avant qu’il ne soit trop tard. Cette nécessaire documentation concerna aussi les deux autres genres que sont le haït et Taqtouqa Jabaliya. « Récemment, nous dit Mohamed Ben khazzou, nous avons essayer de recueillir les rites de mariage dans la ville de Taounate : les chants nuptiaux dont nous essayons d’enregistrer les mélodies et les rythmes. Ce projet sur lequel nous travaillons actuellement vise la préservation de ce patrimoine avant qu’il ne disparaisse. » Il existe également le carnaval masqué que pratique à Ghafsaï, la troupe des fantassins qui pratiquent la fameuse « tbourida »: un pré -théâtre populaire avec tambours et hautbois qu’on trouve avec force aux environ de Moulay Abdessalam Ibn Mashish. Ce carnaval masqué a surtout lieu à l’occasion de achoura..
Le genre haït des hyaïna et des Tsoul
Le genre dit le « haït » qu’on trouve chez les hyaïna et chez les Tsoul, a ses origines dans la plaine du Gharb : ce genre musical se manifeste surtout lors du moussem de sidi Bouzid qui a lieu au mois d’avril à Tissa chez les hyaïna , très connue par ses élevages de chevaux. Le haït arabophone de Taounat diffère de celui berbérophone d’El Huceima . Musique essentiellement instrumentale et rythmique Le haït se caractérisant par une césure rythmique de 9/4, raison pour laquelle les musiciens l’appellent « mizân aâraj » (mesure boiteuse). Comme instruments de musique caractéristique de ce genre : le hautbois, le bendir (tambour à cadre), le ciseau pour les sons aigus et agoual (sorte de tambourin allongé). A Taounat, les groupes connus de ce genre sont les suivants :
- Groupe « Noujoum Hyaïna »
- Groupe « Noujoum Tissa »
- Groupe « Ben Allal »de Taounat qui a été invité au festival des Arts Populaires de Marrakech.
Chez les Tsoul on joue du hautbois des Jbala. On trouve également chez eux des influences musicales venues de l’Ouest, en particulier le genre « Haït », caractéristique des plaines du Gharb. Chez eux la musique est toujours associée, au pré – théâtre burlesque de « Ba – Cheikh », avec son comique gestuel et ses accoutrements.Chez eux on trouve aussi les influences musicales venues de l’Est – tels les genres Reggada, Mangouchi et Laâlaoui, qui caractérisent particulièrement l’Oriental marocain. Chez les Tsoul, on ressent cependant davantage l’influence des Jbala comme nous l’explique l’un des habitants de leur village qui porte curieusement du nom des mérinides :« Ce douar qui fait partie desTsoul porte le nom des Mérinides. Jadis, les mérinides avaient campé ici avec leur Makhzen, et leurs troupeaux. Nous nous sommes établis ici après leur départ et nous avons gardé à cet endroit le nom des Mérinides ». Au début du 13ème siècle, au déclin de l’empire Almohade les Béni Mérine qui nomadisaient dans le pays compris entre Figuig, la Moulouya et l’oued Zâ, avaient l’habitude de passer l’été dans le Tell où ils étaient liés avec les tribus habitant les montagnes de Taza dont celles des Meknassa et des Tsoul. Dans cette région, quand les garçons veulent étudier, ils s’en vont chez les Béni Zeroual, L’jaïya, et Ouazzane. Ils étudient le Coran chez les Jbala. Ils y restent jusqu’à ce qu’ils l’apprennent par cœur : cela prend cinq à dix ans, après quoi ils reviennent ici pour y enseigner dans une école coranique. Leur formation aux sciences religieuses se fait chez les Jbala et à la Qaraouiyne de Fès. Une tradition qui remonte au plus prestigieux des Tsoul, Ali Ben Berri Tsouli, clerc, serviteur des mérinides. Son mausolée est le plus considérable de la plaine des tombeaux de Taza. L’édifice d’époque mérinide, se situe au dessus de « Triq Sultan » qui sortait de Taza et se dirigeait vers le sud. Sidi Ali Ben Berri a vécu au 12ème siècle, sous la dynastie Mérinide. Quand sa réputation et sa science se sont répandues, il fut choisi par Abû Inane le Mrinide, pour devenir son secrétaire particulier. Les cours d’eau de la vallée de l’Innaouen et du couloir de Taza ont toujours été un enjeu historique. : « Les Meknassa, nous dit Ibn Khaldoun, se composent de plusieurs tribus qui habitent les bords de la Moulouya, depuis Sijilmassa jusqu’aux environs de Taza et des Tsoul. » Ainsi, vers l’an 1045, les Ghiata, en entamant leur mouvement vers le nord, durent se ruer sur la vallée de l’Innaouen, repoussant peu à peu les Meknassa et les Tsoul sur les collines peu fertiles et moins arroses du Rif.
Musique et histoire du Rif
Musiciens rifains de Nador
Le Rif proprement dit va de l’oued Kert à l’oued Bni Gmil, et comprend les tribus côtières des Aït Ittef, Ibeqoien, Bni Wariaghel, Tamsaman, Aït Saïd. Le Rif oriental se situe entre l’oued Kert et la basse Moulouya, et les tribus suivantes : les Guelaya, et les kebdana. A cette énumération,il convient d’ajouter les tribus de l’intérieur : Bni Touzin, Aït Âmmert, Aît Oulikech, et les Gzennaya.Le Rif linguistique s’arrête à la frontière algérienne. On classe en effet dans le groupe des Bni Iznacen, les Bni Bou Yahi et les Mtalsa .
Du point de vue musical le Rif se distingue par l’Azemmar , sorte de biniou composé d’une peau de bouc munie de deux cornes d’antilope à l’aide desquelles le musicien gonfle l’outre et règle la sortie de l’air. L’Azemmar(pluriel izemmaren), désigne également le joueur de biniou, ou de flûte(tazemmart), qui dérive du mot arabe « zamar »(flûte). Le Cheikh Moussa qui chante Izri (poésie en rifain), accompagné d’azemmar est le plus célèbre actuellement à Nador. Traditionnelllement lors des fêtes de mariage les jeunes filles chantent Izran mais il est très difficile de les observer ou de les enregistrer dans un milieu sévèrement conservateur vis-à-vis de la gente féminine . Voici un izran qui fut composé, en 1911, à l’occasion de la mort de l’un des chefs de la résistance contre les Espagnols dans le Rif, le Chérif Sidi Mohamed Amezian :
Sidi Mohamed Amezian est mort !
Nous ne pouvons honorer son tombeau
Aboulissi(le policier) et le capitaine ayant empoté sa dépouille
Dans les villes pour le photographier !
Par Dieu ! Ô Mouh fils de Messa’oud !
Rends nous son corps afin que nous le vénérions !
Sidi Mohamed Amezian, qui avait levé l’étendard de la guerre sainte contre les espagnols, tomba dans une embuscade avec trente de ses compagnons. Son corps n’ayant pas été retrouvé, le bruit couru dans le Rif que les chrétiens avaient empotés sa dépouille pour l’exposer dans leur pays et le photographier.
C’est le 15 mai 1912 qu’étant sorti, apparemment pour une reconnaissance, Mohamed Amezian se heurta à une troupe adverse qu’il ne pouvait, vu son grand nombre, ni affronter ni esquiver. S’avisant cependant que c’était des Rifains, de ces « régulares » enrôlés par l’Espagne, il se porta vers eux en faisant de grands signes, comme s’il se proposait de leur parler. Mais il tomba frappé à mort, avant d’avoir été ni reconnu ni entendu. Ce n’est qu’alors qu’un des « regulares », en s’approchant, l’examina et su que c’était lui. Identifié, le corps fut aussitôt porté à Melilla où, si l’on croit la tradition rifaine, on l’exposa publiquement. Et quelques jours plus tard, on l’envoya à Zeghenghen pour son inhumation. On racontait aussi, dans les veillées comment, ayant franchi le Kert avec une grosse escorte, il s’était installé pour la nuit, dans un village, chez les Beni Sidel.Mais avisés de sa présence par un espion, les Espagnols, grâce à l’obscurité, affluèrent de partout, fermant le cercle autour de lui. Quand Amezian s’en aperçut, il rassembla ses hommes et demanda des volontaires pour mourir avec lui dans son dernier combat. Demeuré, avec eux, il acheva sa nuit dans la prière, puis, au matin, il se battit en attendant la mort. Quand l’ennemi vint relever son corps, il trouva, ô prodige, le cheval du héros qui pleurait sur son maître et qui ne voulait pas se séparer de lui. On dit aussi que rien, après sa mort, n’a jamais plus poussé autour du lieu où il tomba, car la Nature en deuil ne se consolait pas.
Le corégraphe Abdeslam Raji lors d'une démonstration à Taounate
S’inspirant du mouvement folk de Nass el Ghiouan dans les années 1970, le goupe rifain de « Tatouan », recourt à la même mise en scène et aux mêmes instruments de musique : tam-tam, banjo, centir etc. Vivant en Europe, ce goupe folk rifain s’est fait connaître surtout par la chanson Dhar Ouberran, le principal épisode de la bataille d’Anoul. Le nom de « Dhar Ouberran » signifie « la huppe du perdreau », parce que seul le sommet de cette montagne est couvert d’arbres faisant penser à la tête huppée de cet oiseau. C’est une montagne située chez les Tamsamane dans la commune de Bou Dinar . Le président de cette commune nous dit à ce propos : « Pourquoi le nom de cette montagne est souvent cité par l’histoire ? C’est parce qu’elle était la première position occupée par le colonialisme espagnol dans le Rif. Cette montagne surplombe la Méditerranée d’un côté et le Rif de l’autre, du fait qu’elle est assez haute. A l’époque les espagnoles avaient cru qu’en occupant cette position, ils allaient dominer la région entière. » A partir de cette position, les espagnols avaient, en effet,le contrôle de l’oued Kert , où s’était replié le chérif Mohamed Ameziane, en 1919. Ils envisageaient de relier à partir de là Melilla à la baie d’Al Huceima par voie de terre.. Pour leur barrer la route, fin janvier 1921, des combattants Beni Ouariyaghel vinrent s’établir sur la hauteur du Jebel El Qama. Un izri, poème rifain de l’époque, relate ces manœuvres espagnoles en ces termes :
Le roumi fait souga, il a pris Tizi Azza.
Il veut faire le thé, avec de l’eau d’Oulma,
Moujahidines au combat ! À quoi bon la vie.
Le plan Beranger que devait exécuter en arrivant le général Silvestre, consiste en un premier bond qui devait conduire à Sidi Driss, sur l’embouchure de l’Amekrane, à une dizaine de kilomètres vers le nord d’Anoual. La position formerait une base rapprochée, où lui viendrait ensuite, par voie maritime, le gros de son ravitaillement.Les premiers débarquements de l’artillerie eurent lieu à la plage d’Afraou à l’Est de Sidi Driss. A partir de cette position, les espagnoles prirent d’assaut, le piton de « Dhar Oubarran », qui surplombe à la fois les rivages et l’intérieur du pays. Sur le « Abda », le navire qui le menait vers l’exile, Abd el krim, raconte en ces termes, cet épisode de « Dhar Ouberran », la première grande victoire des rifains :« Les espagnols venaient d’occuper Dhar Ouberran, en pays Tamsamane, point stratégique et politique de toute première importance. Je me proposais sur le champ, de leur disputer cette position. La partie était risquée. Je disposais à cette heure, de 300 guerriers. Je revins me mettre à leur tête. Et malgré ma pauvreté en munitions, je déclenchais la contre attaque. Après un combat des plus durs, ma troupe réoccupa Dhar Ouberran.Ayant vu la débandade espagnole, les autres fractions Tamsamane, se joignirent à nous : le bloc rifain se constituait. » Les armes pris aux espagnols à « Dhar Ouberran » ont permis par la suite de mener la bataille d’Anoual. C’est la défaite des Espagnols à Dhar Ou Berran qui allait conduire en 1921 au desastre d’Anoul, après lequel Primo de Rivera parvint à la conclusion qu’Abd el krim est un danger pour la présence coloniale européenne dans tout le Maghreb. On comprend que le premier groupe folk rifain ait d’abord chanter Dhar Ouberran ! Le principal tournant de la légendaire bataille d’Anoual où quelques montagnards avaient mis en déroute une grande puissance coloniale de l’époque ! La musique est ici liée à une forte revendication identitaire, à la fois historique et linguistique.
Le Rif aux rythmes de la World Music
Le Rif se caractérise par des vallées compartimentées et surpeuplées, où les cultures ne suffisent pas aux besoins et contraignaient une grande partie des montagnards à l’émigration. Les jeunes musiciens rifains ne font pas exception à la règle. : tout en restant attaché à la langue et à la poésie rifaine, ils se sont formés en autodidacte aux instruments de musique moderne en terre d’immigration. C’est le cas de Choukri le jeune chanteur rifain qui chante izran avec la guitare et qui s’installe aux Pays Bas en 1990 : « Le rapport entre la musique traditionnelle rifaine et contemporaine a provoqué en moi des idées novatrices. » déclare-t-il. Invité à la radio télévison flamande, au mois de juin 1990, le groupe rifain « ithan » (les étoiles en Berbère) a chanté le drame des clandestins qui s’engloutissent au détroit de Gibraltar avec leurs pateras : « En dépit du nombre de tes habitants, ô mer, tu veux engloutir aussi les hommes ? » Chant auquel fait échos Zhimi Kamal d’El Huceima dans un autre album : « La mer, dis-moicombien d’hommes as-tu englouti ? La mer, quand laisseras-tu mes frères rejoindre l’autre rive ? ». Le groupe décrit son style comme étant « une musique moderne Amazigh ». : un art décrit comme un arbre qui plonge ses racines dans le patrimoine artistique et culturel et qui est « fécondé », en queque sorte, par la musique moderne. Le groupe « Ithran », dispose d’ailleurs d’un site officiel sur le Net faisant référence à la Belgique leur pays d’acceuil (www. ithran.be.). Le musicien khalid Yachou qui est né en 1969 à Melilla et qui s’est produit à Strasbourg, puise lui aussi dans les izri (poèmes rifains traditionnels), tout en étant « clairement influencé par les musiques africaines et méditerranéennes ». Ces « maquisards de la chanson berbère », pour reprendre une expression de Kateb Yacine, puisent ainsi dans l’héritage ancêstral rifain, tout en le modernisant sur les plans instrumental et musical, mariant les anciens rythmes Amazigh à la World Music. C’est le cas du groupe Timès qui réunit Rifains, Cubains et Belges qui semble avoir réussi un mariage subtile entre des sonorités de salsa, quelques notes de jazz et le style rifain. Ils ont réussi , d’après Tel Quel, à « conquérir des milliers de jeunes fans, pas forcément rifains, grâce notament à une musique moderne ouverte sur la World Music.» La plupart de ces groupes sont des autodidactes, n’ayant bénéficier d’aucune formation musicale particulière. Ils considèrent tous les festivals comme de véritables tremplins pour les jeuns talents et souhaitent être encouragés par les différents médias nationaux. .
La plupart des tribus rifaines, aux traditions guerrières pratiquent surtout la fantasia comme les Metalsa et n’ont parfois ni musique ni danse comme les Gzenaya qui considèrent la pratique musicale comme indigne de la virilité et du courage des hommes. C’est pourquoi ils font plutôt appel aux musiciens de leurs voisins Mernissa. Les jeunes musiciens Gzenaya sont obligés d’aller développer leur art à Nador. On peut dire de même des Bni Bou Yahi qui font appel aux joueurs de la guasba, la flûte des hauts plateaux de l’oriental marocain et du tell algérien, comme nous avons pu le constater à Saka chez les Bni Bou Yahi au nord de Guercif.Abdelkader Mana
07:40 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
29/11/2011
Le modèle Andalous au Maghreb
Texte Abdelkader Mana, reportage photographique Jean François Clément
Les images ont été prises à Fès, capitale de l'ART ISLAMIQUE
La musique comme fait social
La culture est toujours ambulante, déplacée et en mouvement : soit que sa déambulation voyageuse se fasse comme autrefois et encore aujourd’hui en carriole, soit que la circulation de la culture traditionnelle emprunte la voie des ondes et des bandes magnétiques. Au Maroc, comme partout ailleurs à travers le monde, on est rentré maintenant dans la phase Internet qui permet de voir à volanté les musiques et les danses des hameaux les plus reculés, grâce aux vidéos amateurs postées sur Youtub.Un jeune marocain né en France, me signale ainsi la vidéo qu’il vient de poster sur Youtub : et qui porte sur la danse du baroud dans un mariage Ghiata , tribu dont il est originaire et qu’il a filmé lui-même grâce à une caméra amateur, au cours de ses vacances au Maroc.Des milliers de vidéos portant sur les musiques régionales sont ainsi postées sur Youtub. Les jeunes y expriment leurs goûts musicaux et leur attachement à leurs racines culturelles. La diffusion massive de la musique populaire via Internet est un phénomène culturel important pour la reproduction de la musique populaire locale comme pour la diffusion de la musique venue d’ailleurs. Le téléchargement de la musique sur le Web est une nouvelle phase dans le changement permanent de la culture populaire et sa déstabilisation continuelle.
Au cours de notre enquête sur le Rai à Guercif, nous avons constaté les changements des pratiques culturelles et de la sensibilité populaire par l’effet – Internet : tous les artistes semblent impuissant face au piratage et au téléchargement de leurs albums sur le web,mais tous aspire aussi à se faire connaître grâce à cet outil même s’ils n’ont pas toujours les compétenses et la formation recquise pour se faire connaître en créant leur propre site. C’est gâce en effet, à facebook, que le groupe du samaâ de Taza a pu être invité à un pays du Golfe persique et parfois à animer des fêtes de mariage en dehors de Taza.
- Fête de mariage et goûts musicaux
L’institution de mariage avec la nuit des cadeaux et deux jours plus tard, la nuit des noces, constitue une situation musicale spécifique. L’appel adressé à l’occasion des mariages à plusieurs groupes musicaux à la fois, correspond à la différence des classes d’âge, des couches sociales, des milieux urbains et rural qui s’y rencontrent : « Il en faut pour tous les goûts ; il faut des chikhates pour les uns et le Rai pour les autres. ».A Oujda et à Taza, on fait appel à divers groupes musicaux pour animer les fêtes de mariages :
a. Dans un mariage de familles Oujdies ou Tazies,on produit la musique Andalouse (Art noble).
b. Dans un mariage populaire on peut trouver les Cheikhs de Bab Sidi Abdelwaha qui chantent les genres « aroubi » ou une chikhate de Guercif qui chante le genre Ssaff (ahidûs arabisé) surtout si une partie des invités parents et amis viennent de la campagne. Dans ce même mariage à une autre phase de l’évènement on trouvera :
c. Un groupe de Rai local chez les invités de la mariée.
d. Un groupe de musiciens populaire (chaâbi) chez les invités du marié.
e. Pour ce même mariage, pour la plupart des mariages traditionnels, le cortège à travers la ville – avec la charrette aux cadeaux – fait appel à quatre musiciens : Deux tambourinaires et deux hautboïstes qui sont intégrés par ailleurs aux confréries religieuses locales tels les Aïssaoua de Taza.
L’analyse de la demande sociale permet de rendre compte du dépérissement d’un genre musical et du développement d’un autre qui lui succède sur le marché de la musique. Dans le passé les pratiques musicales étaient conviviales et la musique avait une valeur d’usage et non une valeur d’échange : c’était le cas du berger qui joue de la flûte ou du rituel de l’achoura qui était une pratique collective autogérée, auto – organisée et gratuite.Aujourd’hui, les festivals sont gérés, organisé et subventionné par les politiciens. Autrefois les musiciens bénévoles ne prétendaient pas vivre de la musique. Aujourd’hui, la nouvelle génération de musiciens se professionnalise et vend ses services musicaux, ses CD et ses clips. Les jeunes musiciens s’efforcent de se placer sur le marché porteur du Rai. La société marocaine, rejoint ainsi cette occidentalisation de la musique comme le constatait J.Maquet à propos de l’Afrique Noire : « La musique populaire des centres urbains, accuse une influence très forte de la musique de danse d’Amérique Latine et du Jazz ; la guitar est devenue l’instrument principal. » Cette pénétration de la musique Occidentale se fait par la diffusion des industries cultuelles et à travers Internet.
- Le Modèle Musical Andalous
« Notre jeunesse ne réagit plus à la musique Andalouse. Elle était pourtant la musique des châteaux du paradis perdu de Séville , de Cordoue, de l’Alhambra de Grenade et des châteaux marocains Alors que les parents apprécient cette musique, les jeunes s’en détournent. Cela est dû à l’impact de la musique orientale et occidentale à travers la radio et la télévision. » Musique de Palais mauresque de Grenade, Séville et Cordoue, née de la confrontation en Andalousie des apports oriental et occidental. Après la chute de Grenade, elle s’est répondue dans tout le Maghreb.L’autre élément de la culture médiniste est le malhûn ,poésie et musique populaire des artisans des cités Andalouses et Maghrébines. Le terme malhûn vient de la racine lahn qui désigne en arabe classique, aussi bien l’erreur de style et de grammaire que l’opération musicale qui transforme un poème en un chant. Les origines lointaines du malhûn seraient à la fois andalouse et bédouines. Dans toutes les Zaouia citadine on chante des mdah (louanges au Prophète) en forme de malhûn. Son origine bédouine est attestée par son instrument de percussion, le douf (peau de chameau couvrant un cadre en bois en forme carrée). Il émet des rythmes lents qui lui sont suggérés par la marche déhanchée des caravanes. Une autre preuve semble être le thème du « voyage » commun à la tradition poétique des nomades et des artisans. En effet, la narration d’un voyage à travers le désert où le poète s’arrête de temps en temps pour se lamenter sur des ruines (atlal) est un schéma classique de la qasida préislamique. Le même thème se retrouve chez les artisans sédentaire sous le vocable du warchan (pigeon – voyageur).Le porteur de message est prétexte à la description d’un itinéraire. Le malhûn était vivant autrefois dans les médinas de Taza et d’Oujda où il existait des chanteuses citadines qui le chantaient dont certaines étaient originaire soit de Tlemcen soit de Fès. Ce type de chikhates n’existe plus. Avec elles, c’est un pan de la culture traditionnelle médinie qui a disparu. Les quelques midinis connaisseurs du malhûn à Taza par exemple ne sont pas organisés en orchestre. Il ne reste que quelques nostalgiques de cette période, refusant la modernité et ceux qui l’adoptent. Chez les tribus d’origine de l’oriental, on pratique un malhûn bédoin, comme c’est le cas chez les Mhaya, fraction issue des Béni Hilal, établie aux environs d’Oujda. Du temps de la colonisation Française, ces mhaya nomadisaient entre Taourirt au Maroc et Tlemcen en Algérie tout en étant ouverts sur le domaine saharien du côté de Bou ärfa et de Figuig. Ces nomades pratiquent encore, le « malhûn bédoin », qasida qui pleurent les ruines du désert à la manière des anciens d’Arabie. Du point de vue musical, ils recourt à la gasba (la grosse flûte du désert». Les cheikhs de ces tribus nomades à cheval sur le Maroc et l’Algérie, ont fortement influencé les stars du Rai moderne aussi bien par leur repertoire poétique que par leur rythme musical.
- Le Modèle Musical Maghrébin
Il existe au Maghreb un modèle culturel commun aux médinas traditionnelles. S’agissant de la musique, comme d’ailleurs d’autres formes d’art, nous savons que le modèle est venu de la civilisation Andalouse ; c’est notamment Ziriab, l’oriental installé à Cordoue qui a contribué à la fixation des règles de la nouba. Dans toutes les médinas, par opposition à la campagne on trouve un modèle musical médiniste (MMM) qui se pose en s’opposant à la campagne. C’est le cas des deux principales médina de l’oriental marocain que Taza et Oujda, situées entre Fès et Tlemcen et ayant subi l’influence de ces deux anciennes cités maghrébine en matière de musique andalouse en particulier. Aujourd’hui, ces médinas, investies par la modernité et marginalisées par leurs périphéries, perdent à la fois de leur caractère communautaire et de leur culture traditionnelle. Les nouveaux apports de population avec de jeunes fonctionnaires et des ruraux, ignorent la culture médiniste et ne peuvent la reproduire. Cependant des associations y ont pris le relais des anciennes zawiyas et s’efforcent de faire revivre le patrimoine musical local.
Ø L’identité culturelle de la médina est à la fois universelle et spécifique. Il faut donc faire la part de l’universel (le Modèle Musical Maghrébin) et du singulier (Modèle Musical Local). Le modèle général du changement dans le (M.M.M) provient de la modernisation des biens culturels et de « l’industrie culturelle » (Adorno et Horkeimer).
Ø Sur le plan spécifique (M.M.L.), on notera l’influence au niveau local d’une particularité Maghrébine ; le mouvement musical du genre Rai A partir des années 1980, le Rai un développement spectaculaire dans la région oranaise avant d’atteindre Oujda, Berkane, Guercif et les principales villes du Rif, El Huceima et Nador. C'est-à-dire un creuset de l’émigration y compris clandestine,où les jeunes du Rif et de l’oriental vont à la rencontre de la World Music, sans pour autant renoncer à leurs racine : on les voit recourir au synthétiseur et à la boite à musique tout en chantant les izri (poèmes rifains) ou en recourant aux rythmes traditionnels de la danse du baroud ou de la flûte des transhumants de l’oriental marocain.
Ø Les midinis disent : « On a vendu les clés de la médina ». La ville, surtout après l’indépendance, a été envahie par la campagne environnante. La musique rurale fait maintenant partie intégrante de la vie musicale dans la ville. Elle constitue la plus forte vente des cassettes chez les disquaires à Oujda. Cette musique locale s’oppose à l’influence uniformisante de la radio. Les musiques rurales sont particulièrement appréciées par les éléments de la population de transplantation récente dans la ville. La classe paysanne et la classe ouvrière ont en commun non seulement le fait de « manier directement la matière » (Halbwachs) mais aussi d’avoir les mêmes goûts musicaux.
Il y avait au départ trois écoles de musique andalouse au Maghreb :
- La alaandalouse qui caractérise les vieilles médinas marocaines ramenée à Fès, par les migrants andalous surtout ceux de Valence et de Séville ; s’est progressivement diffusée en direction des autres médinas marocaines (Meknès, Salé,Chefchaouen, Tétouan,Taza, Marrakech, Essaouira) etc.
- Le tarab ghernati ou sanaâ, s’est diffusé quant à lui de Tlemcen vers Oujda et Alger et plus tardivement vers Rabat où l’avait introduit, Si Qaddour Benghabrite . Ce Tlemcenien d’origine, était, « naib sultani » (représentant du sultan) à Oujda. C’est ce personnage qui avait crée le cadre associatif de l’ Andaloussiya d’Oujda dont l’orchestre de tarab gharnatiallait représenter le Maroc au Congrès de la musique Arabe du Caire,en 1932. Benghabrite, qui deviendra par la suite recteur de la mosquée de Paris, n’est mort en 1954, qu’après avoir légué ce patrimoine grenadin à Rabat, où il reste encore vivant grâce aux familles Birou et Tazi .
3. L’école du maâlouf, qui s’étend de Constantine dans l’Est algérien à la Libye en passant par Tunis : cette école de musique andalouse est très influencée par la musique orientale.
A.La musique andalouse à Taza
Etre médini n’est pas seulement le fait d’habiter la médina au sens de ville traditionnelle, c’est aussi une conception du monde et une position dans la culture. Etre médini, c’est connaître de l’intérieur et pratiquer la culture traditionnelle de la médina. En tant que patrimoine commun des médini, la musique des médinas est un élément fondamental du système.
À Taza, les associations dévolues au samaâ œuvrent également pour l’épanouissement de la musique andalouse. Et cela d’autant plus que cette vieille médina maghrébine se prévaut d’une grande tradition dans ce domaine. Parmi les grands noms Tazis de la musique andalouse on peut citer entre autres, maître Haj Ahmed Labzour Tazi, mûnshid et joueur de Rebab qualifié. Il se distingua par sa contribution à l’enregistrement de l’intégralité du répertoire de la Ala, avec le concours de l’UNESCO, et par une tentative sérieuse de transcription, souligne Ahmed Guettat dans son monumental ouvrage intitulé « empreinte du Maghreb sur la musique arabo – andalouse ». Parmi les autres grands noms figure celui de feu Abdessalam Lbrihi, ce natif de Taza qui se trouve parmi les auteurs ayant contribué au recueil du Haïk qui fut publié sous les règnes de Hassan Ieret de Moulay Abdelaziz.
C’est d’ailleurs son fils Mohamed Lbrihi qui fonda, au tout début du XXe siècle, la première association de musique andalouse qui allait contribuer, d’une manière décisive, à la préservation de ce legs andalou au Maroc. Cet originaire de Taza, comme le mentionne un dahir de Moulay Abdelaziz, était devenu chanteur de Cour (moutrib al qasr). Il est mort en 1945. Il avait formé à la alaandalouse toute une génération de musiciens de Fès, à commencer par le plus fameux d’entre eux, El Hajj Abdelkrim Raïs. Les plus grands ténors de la musique andalouse ont donc été formés par un homme originaire de Taza. L’association qu’il avait fondée est actuellement présidée par son gendre Anas El Attar.
B.Le malhûn à Taza
L’un des grands noms du malhûn à Taza est le poète Mohamed Belghiti surnommé Btigua. Ce dernier animait régulièrement des soirées de ce genre poétique et musical à Fès et, dit-on, il connaissait par cœur quelque quatre cents qasidas, dont celle qui évoque la mort du Prophète ou encore « haoul lqiyama », le jour de la résurrection. Il avait composé des qasidas sur Taza dont l’une énumère les saints de la ville. C’est au cours de ces soirées qu’il organisait dans les Riad de Fès qu’il présentait ses nouvelles créations en matière de qasidas chantées du genre malhûn. Autre chantre du malhûn tazi, Belaïd Soussi, l’auteur de la qasida du ferran (le four public) et de cette chanson qui connaît encore un grand succès populaire (et que chante Mohamed El Asri) et qui a pour refrain :
Allah y l’ghadi l’Sahra jib li ghzal !
Ô toi qui s’en vas au Sahara, ramène-moi une gazelle !
Autre succès de cet auteur tazi « lgaâda f’jnan sbil » (villégiature au jardin de Jnan Sbil de Fès) et « Ya man bgha zine » (ô toi qui désires la beauté !). C’est encore lui qui avait composé cette chanson nationaliste à l’occasion du retour de Mohamed V de son exil de Madagascar :
Saâdi ziyant ayâmi, mahboub khatri jani !
Heureux sont mes jours, mon bien-aimé est arrivé !
Il avait également composé des chansons pour des vedettes de la chanson marocaine tel Fath Allah Lamghari. Taza faisait partie des vieilles cités marocaines, telles Salé, Safi et Meknès qui produisaient du malhûn. Mais elle ne dispose pas actuellement d’un orchestre de malhûn déplore M. Hamid Slimani. Pourtant les habitants de Taza restent encore attachés au malhûn. Certains musiciens font, de temps en temps, quelques tentatives pour faire revivre ce genre poético - musical. Le malhûn est actuellement exécuté par les orchestres qui animent les fêtes de mariage, mais il n’existe pas d’orchestre spécialisé dans le malhûnproprement dit.
C. Taza, bastion du samaâ.
Au Maroc, c’est grâce au samaâ (oratorio, chant soufi) qui se pratique principalement selon les modes musicaux andalous que les zâwiyyas ont joué un rôle fondamental dans la préservation du patrimoine musical andalou. Taza est l’un des principaux centres maghrébins où s’est épanoui le modèle musical andalou (M.M.M.) : samaâ, musique andalouse et malhûn. Dans la vieille médina de Taza, le samaâ est en effet un art vivant lié à la vie quotidienne. Il est omniprésent à toutes les étapes de la vie du berceau au tombeau : on y recourt pour tous les rites de passage depuis les berceuses, les baptêmes, les circoncisions et les mariages jusqu’aux oraisons funèbres qui accompagnent le mort à sa dernière demeure. Pratiqué traditionnellement par les adeptes des confréries religieuses, le samaâ est passé récemment à Taza de la phase des zâwiyyas à celle de jeunes associations qui en font la promotion sur Internet. Le nombre de ces associations est passé de deux en 2006 à plus d’une trentaine en 2010. Ce regain d’intérêt pour le samaâserait dû à l’impact de la télévision qui a consacré à ce genre des émissions diffusées quotidiennement par la deuxième chaîne marocaine tout le long du Ramadan en 2006 :
« Au début des années 1990, raconte M. Hamid Slimani, notre rencontre avec le grand maître du samaâ que fut le cheikh Abdessalâm Ben Mansour fut une étape décisive pour notre professionnalisation. C’est ce qui a permis la renaissance de cet art à Taza, sa valorisation et l’intérêt que lui porte la jeunesse de la ville. Il y a eu aussi l’impact de la télévision : en valorisant le patrimoine local, celle-ci a incité les jeunes à s’intéresser au samaâ en le pratiquant. Au point que nous avons maintenant à Taza, 14 associations comprenant 35 groupes qui pratiquent le samaâ alors qu’elles n’étaient que deux à le faire en 2006 ».
Ces groupes sont actuellement très demandés par les familles de Taza surtout en période d’accueil des pèlerins de retour de La Mecque. Leurs prestations varient en fonction de leur professionnalisme, leur qualification et leur réputation. Le chef de file de ce genre à Taza, M. Hamid Slimani nous confie à ce propos :
« Le samaâ a toujours existé à Taza, mais sa pratique était traditionnelle et spontanée. Lorsque notre génération est arrivée pour prendre la relève au début des années 1990, nous avons trouvé des personnes âgées qui pratiquent ce chant sacré sans en connaître les fondements. Pour acquérir une véritable formation dans ce domaine, il nous a fallu partir ailleurs. Notre initiation eut lieu principalement auprès de la zâwiyya herraqiya (l’incandescente) qui constitue la source du samaâ au Maroc puisque c’est elle qui anime les cérémonies de la nativité du Prophète au mausolée d’Idriss II à Fès. C’est surtout au sein de sa branche de Rabat que nous avons accompli notre apprentissage avec feu Si Abdessalâm Ben Mansour, maître incontesté au Maroc dans ce domaine ».
Notre interlocuteur vient d’ailleurs de poster sur Facebook une vidéo consacrée à l’hommage qui fut rendu à son maître au théâtre Mohamed V juste avant sa disparition. Le musicologue et conseiller Royal, M. Abbas El Jirari, y déclare, parmi d’autres déclarations, que le défunt était la référence absolue en matière de samaâ et de musique andalouse au Maroc. Que son grand-père maternel était le cheikh de la zâwiyya herraqiya à Rabat. Qu’il avait, de ce fait, une parfaite maîtrise des « toubaâ, angham et sanaâ » (« les modes musicaux andalous, leurs mélodies et l’art de leur déclamation »).
Qu’au cours des années 1970, il avait publié le haïk, recueil de qasida et de mouachah andalous où sont consignés, pour la première fois, certains modes musicaux andalous disparus. Et surtout qu’il avait formé de nombreux chanteurs dans ce genre en tant que fondateur d’une école du samaâqui constitue au Maroc la référence des références en la matière.
D.La chanson moderne à Taza
L’association marocaine des musiciens professionnels vient d’être fondée à Taza au mois d’octobre 2010. Elle se compose principalement de musiciens et d’enseignants de musique de l’Éducation nationale. C’est une association qui s’intéresse principalement à la chanson marocaine moderne, ce qui la distingue ainsi nettement de la musique patrimoniale telle que celle du samaâ ou du folklore. Elle est présidée par M. Qadaâ Lakhal, jeune professeur de musique, qui s’élève contre la retraditionalisation de la société que connote ici le renouveau du samaâ en tant que chant religieux : « Nous assistons à une nouvelle vogue de la musique religieuse qu’on appelle samaâ. Cela est dû, en partie, à la rediffusion de valeurs traditionnelles au sein de la société. Peut-être par réaction à la mondialisation ? Peut-être par réaction à la diffusion d’une culture permissive sur le web ? D’où l’intérêt d’une certaine jeunesse pour cette musique à connotations religieuses. En tant que jeunes intéressés par le domaine musical, nous voulons certes encourager la musique, mais en tant qu’art diffusant des valeurs humanistes universelles qui ne soient pas nécessairement des valeurs religieuses. En tant que jeunes, nous voulons contribuer à la diffusion de la musique marocaine, mais il est erroné de croire que nous allons accepter la musique marocaine dans son moule traditionnel qui est pauvre sur le plan musical. Les jeunes ne peuvent accepter cette musique présentée sous cet angle Par conséquent, nous prenons cette musique comme un simple moule que nous retravaillons d’une manière moderne. La musique est un puissant moyen d’intégration des jeunes permettant de les éloigner de l’extrémisme religieux aussi bien que de la délinquance et de la drogue. Les jeunes aiment bien le Rai du fait qu’il fait fusionner musique arabe et musique occidentale ».
La musique Andalouse dans l’Oriental
Oujda fut fondée en 994, par Ziri Ben Atya, chef des Maghraoua, groupe de Zénètes nomades. Investi par les khalifes Omeyyades de Cordoue du commandement du Maghreb. Ziri Ben Atya , qui dut s’y imposer par la force, décida de s’installer au centre du pays qu’il devait administrer plutôt qu’à Fès ou à Tlemcen. Il résolut de créer une « capitale » au milieu de la plaine d’Angad, à proximité de la source de Sidi Yahya(le beau parc de Sidi Yahya qu’abritent les térébinthes séculaires ne fut qu’un cimetière) et de montagnes qui pourraient éventuellement lui servir de refuge. Mais le site d’Oujda se justifie aussi par le croisement qui s’y opère entre deux grandes voies commerciales : la voie nord-sud de la mer à Sijilmassa et est-ouest de Fès à Tlemcen. Le géographe andalou, Oubeïd el Békri écrivait vers l’an 1068 :
« Les voyageurs qui partent des contrées orientales (de l’Afrique) pour se rendre à Sijilmassa et aux autres localités de l’Occident, traversent la ville d’Oujda et y suivent la même route lors de leur retour. » Cette voie de passage pour le commerce était aussi le « triq sultan »( seule voie de circulation praticable entre Fès et Tlemcen) ponctuée par le Moulouya et la Kasbah des Msoun, qu’empruntaient les armées des Sultans du Maroc lorsqu’elles se portaient contre les Souverain Abdelwadides de Tlemcen. Oujda fut ruinée et relevée quatre fois au cours des guerres continuelles qui opposèrent les maîtres de Fès à ceux de Tlemcen.
Située dans la plaine d’Angad, Oujda est à 14 kms de l’Algérie et à 60 kms de la Méditerranée. la ville d’Oujda fut rasée à deux reprises sous les règnes des Mérinides Abou Youssou Yacoub(1272) et Abou El Hassan(1335). Occupée en 1907, par l’armée coloniale française, la ville vit sa population augmenter avec l’immigration d’Européens et d’Algériens lors du protectorat. Durant la guerre d’Algérie(1954 – 1962), Oujda accueillit une vague de réfugiés et servit de base arrière pour la résistance algérienne, ce qui explique l’arrivée au pouvoir à Alger du « clan d’Oujda ». C’est ce que nous explique l’anthropologue Bader el - Maqri dont la famille est arrivée à Oujda vers 1820 :
« Les cousins de l’émir Abdelkader se sont établis à Oujda, lieu de métissage par excellence. Le club de football local, la « Mouloudiya d’Oujda » comprend 10% de joueurs d’origine algérienne. L’équipe du FLN où a-t-elle débuté ? A Oujda ! Toute l’élite algérienne était ici à Oujda. Il n’y avait pas de distinction entre ce qui est algérien et ce qui est marocain.. Au point que nos grands parents nous disaient qu’ils n’ont découvert que leurs voisins étaient algériens qu’après 1962, au moment où ils sont revenu en Algérie. C ‘est là qu’ils ont compris qu’ils sont d’origine algérienne ! »
Louis Voinot dans « Oujda et l’Amalat », 3 tomes, 1912, écrit ainsi à propos du métissage culturel à Oujda à l’aube du 20èmesiècle :
« Il existe certes un petit noyau de descendants de vieilles familles Oujdis, renforcés dans les années 1830 – 1840, par l’installation de familles algériennes fuyant l’occupation française et de quelques représentants de firmes fassies venant profiter du regain des échanges liés aux fournitures à l’émir Abd el Kader. Mais ces apports sont continus et multiples. Ainsi en 1882 une effroyable disette sévit dans le Souss. Sur les conseils du Sultan, les habitants viennent s’installer dans la région d’Oujda. La population juive passe de 10% à plus de 20%. Diversité, spécificité d’une part, mixité de l’autre : arabes citadins et arabes campagnards, berbères, figuiguiens, juifs marocains et juifs français, européens aussi, moins rares qu’il n’a été dit, voir « levantins », gens à la langue dorée et à l’inspiration fertile. La cohabitation est heureuse de ces ethnies différentes, qui apparaissent vivant de façons beaucoup plus mêlées que dans les autres cités. »
Sous le protectorat la médina d’Oujda abritait les musulmans et les juifs marocains. La ville européenne s’était étalée au-delà des remparts, détruits durant les années trente, et remplacés par des avenues. Les deux tiers des juifs marocains vivaient dans l’ancienne médina intimement mêlés aux musulmans, partageant le même immeuble autour de la même cour. Ainsi, les juifs marocains d’Oujda n’étaient pas comme dans d’autres villes du Maroc confinés dans un Mellah entouré de remparts. Un certain nombre de juifs marocains enrichis, avaient quitté la médina pour la ville européenne. Celle-ci recevait également des familles de notables musulmans marocains et plus encore algériens. Cette réalité sociale explique largement le caractère métissé de la musique andalouse à oujda. La société de musique « Andaloussia », a été fondée en 1921 par deux fonctionnaires algériens, Si Rahal Mohamed interprète judiciaire, et Bensmaïn Mohamed, professeur au lycée. Elle a vivement intéressé S.M. Le Roi Mohamed V, lors de sa première visite officielle à Oujda.
Le répertoire classique des Noubât Gharnati d’Oujda a pour source Tlemcen qui recueillit dés le 13ème siècle le legs musical andalou. Cité des grands maître de la musique arabo – andalouse, dont Al Maqqari Al Tilimçâni, l’auteur de nafhat – tîb qui raconte le cycle des nawba Gharnati – de Grenade – où les plus grands musiciens de Cordoue se retrouvèrent, avant de refluer vers le Maghreb, à la suite de guerre de reconquêtes catholiques en Espagne. La tradition Gharnati de Tlemcen a entretenu des contacts avec les villes d’Oujda et de Tétouan au Maroc. Tlemcen a été un centre de rayonnement de la musique andalouse dans sa sphère culturelle avec à l’Ouest, le couloir de Taza et à l’Est, Bejaïa. Cette musique andalouse est appelée ala au Maroc, Gharnati à Tétouan, Oujda et Tlemcen, San’âà Alger, et Maâlouf au constantinois et à Tunis.
La nawba fut mise au point dès le 9ème siècle, à Cordoue, en Espagne musulmane. Vastes constructions mélodiques qui ont vaincu l’oubli et traversé le temps. C’est Ziryab qui fut à l’origine du grand monument andalou, constitué par les vingt quatre nouba-s, un système qui se développa sous la forme d’un arbre symbolique, l’arbre des tempéraments, Shajarat al-toubou’, ou arbre des modes. A chaque heure qu’égrène le jour correspond un mode, un maqâm, c'est-à-dire un chant, une mélodie, qui exprime un état d’âme, une pensée, un sentiment. Si par exemple, le mode raml et raml el Maya, célèbre les chatoiements du crépuscule, le maya et rasd – eddil, saluent le jour qui point. Le grand Ziryab ajoute une cinquième corde à son luth et fixe à cinq le total des mouvements essentiels de la suite musicale arabo – andalouse qu’on appelle nawba. Des vingt quatre modes que comptait l’ingénieuse et géniale classification de Ziryab et de ses disciples, quinze seulement subsistent au Maghreb. Et sur les 15, 12 seulement restent suffisamment connues pour offrir matière à la composition de nawba parfaites, c'est-à-dire de suites à peu près complètes. Vers 1800, à la demande du Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah, on rassembla dans le manuscrit du Hayk al Titouâni, les textes de tous les chants qui se chantent couramment sur les vingt quatre échelles modales ( toubou’) des onze nawbâtmarocaines.
Dans la nawba maghrébine héritière de la nawba andalouse, la musique, le chant et la poésie sont étroitement liés. Toute tentative de faire abstraction de l’une des composantes de la nawba aboutit à une analyse erronée. On ne peut donc parler du muwashah sans le mettre en relation avec la nawbadans laquelle il est chanté, et avec le mode tba’ qui en détermine souvent le contenu thématique et la forme stylistique.
Les pièces vocales se composent aussi de Zajal et de qasaïd-s classiques. Et il arrive souvent qu’au cours du même mouvement on chante successivement un Zajal, un mûwashah et une qasida. Le muwashahqu’on peut traduire par « la parure poétique chantée » est né dans les jardins andalous. C’est ce genre poétique typiquement andalou qui serait derrière la poésie de « l’amour courtois » qui caractérisait au Moyen Âge les troubadours de l’Europe méridionale.
Le tarab ghernati entre Oujda et Tlemcen
Au Sahara, on parle de « tarab hassani », par référence à l’empreinte profonde, que procure à l’auditoire la notion de tarab chez les anciens d’Arabie. Un art musical et plus précisément un tarab, cette émotion musicale qui aboutit à l’extase et qui caractérise entre autre, le chant andalous de Grenade : « L’art de chanter est un don de la jeunesse, et la mélodie des voix, un don de Dieu ! ». Excellente définition du tarab. Les musiciens de Grenade avaient donc pour ambition d’aboutir à cette émotion musicale qui aboutit à l’extase d’où l’appellation de leur chant de « tarab gharnati ». A Oujda, comme à Tlemcen et Alger on se réclame de ce legs grenadin.
En 1492, avec la chute de Grenade, le dernier des sultans nasrides , Abou Abd el Ilah(le fameux Abou Abdil des chrétiens) a débarqué du côté de Ferkhana, à une centaine de kilomètres au nord d’Oujda, du côté de Nador, avant de se diriger vers Oujda. C’est dire que les relations entre Oujda et Grenade sont anciens. Il n’est donc pas étonnant que le tarab gharnati soit un élément essentiel de l’identité culturelle d’Oujda. Les relations culturelles entre Oujda et l’Andalousie remontent plus loin encore, à la dynastie Almoravide au XIème siècle comme l’attestent les relations de voyage relatives aux échanges entre Oujda et Séville, Murcie, Valence et Grenade.
Cette empreinte culturelle s’est davantage renforcée au XIV ème siècle avec l’émigration des juifs de Séville vers Debdou en 1392. Jusqu’à aujourd’hui existe à Debdou une source qui s’appelle « Aïn - Chbiliya » (la source de Séville).On ne peut pas parler du tarab gharnati d’Oujda sans évoquer le rôle de la communauté juive en particulier celui que jouèrent deux familles de Debdou : les Cohen et les Marciano, (de Murcie), en concurrence permanente y compris sur le plan artistique. C’est eux qui ont introduit certaines qasidas, celles par exemple d’Ibnou Sahl, un poète juif d’Andalousie. En Algérie, les turcs ont laissé des empreintes dans les manières de table, dans le vestimentaire et certainement aussi dans le domaine musical : « Il y a une influence certaine de la musique turc, sur le gharnati de Tlemcen qui constitue une référence pour Oujda, nous explique, le cheikh Mohamed Chaâban.Quand tu écoute la musique classique turc, tu a l’impression d’écouter le gharnati.Il y a une influence certaine de la musique turc sur le gharnati ! »
Pour l’étude des modes musicaux spécifique au tarab gharnati proprement dit, il faut signaler le kounnach el haïk, de l’imam Mohamed Ben el Ghamad el Oujdi , fikih et musicologue ayant vécu au XVIIème siècle. Maître Mohamed Chaâban, qui préside aux destinées de l’Association Andalousia, fondée en 1921 nous déclare à cet égard :
« Les juifs étaient très connus pour le tarab gharnati. Et qui avait réuni le recueil du gharnati, si ce n’est Edmond Yafil ?! Avant lui, le gharnati était dispersé : à chaque fois qu’un cheikh meurt, il emportait avec lui les nouba et les sanaâ qu’il maîtrisait. C’est Edmond Yafil qui les a recueilli auprès des cheikhs, en les publiant dans un petit recueil qui porte son nom de « Yafil ».J’en ai une copie. Après lui, les grands cheikhs d’Algérie, l’ont corrigé et augmenté en publiant des recueils plus volumineux. J’en possède trois volumes où ils ont traduit de l’hébreu beaucoup de sanaâ qu’on trouve chez Yafil. Ces recueil des 12 nouba du tarab gharnati qui prélude à chaque fois par ce qu’on appelle lamchaliya et touichiya .Cette dernière est plus longue que celle qu’on trouve dans la Ala andalouse. Et chacune des 12 noubas comprend cinq mesures ou mizân :
1. Première sanaâ, lamsadder qui est lent
2. Deuxième sanaâ, labtaïhi
3. Darj
4. N’siraf
5. MAkhlass(pour conclure)
C’est en ces cinq sanaâ que se compose la nouba. On y ajoute des fois ce qu’on appelle la qadriya, qui n’existe que dans les noubas de raml el maya, lahssin, et laghrib. C’est en cela que consiste la nouba complète. Ces dernières sont au nombre de 12 :
- Zidân
- M’janba
- Raml
- Dil
- Rasd Dil
- Maya
- Laghrib
- Lahssin
- Rasd
- Raml l’maya
- Sika
- L’mazmoum
Le tarab gharnati diffère de la ala andalouse au niveau du mizân (la mesure) : la maya de la ala n’est pas la même que celle du gharnati : la maya de la ala ressemble à la sika du gharnati sur la mesure de « Mi ». ET la maya du gharnati ressemble à l’istihlal de la ala ou à son rasd dil. C’est en cela que réside la différence entre la ala andalouse et le tarab gharnati. Il y a aussi des différences au niveau de la sanaâ et du mizân : le derj de la ala n’est pas celui du gharnati et on peut dire de même pour labtaïhi. La grande école du tarab gharnati est celle de Tlemcen : son gharnati est plus complexe avec des noubas plus longues. La première école du gharnati est celle de Tlemcen qui a fortement influencé Oujda. Jadis, on le chantait aussi à Taza.Malheureusement, le gharnati a disparu de Taza. A une certaine époque, les juifs chantaient le gharnati à Fès. Et il commence à décliner à Rabat.».
Il existait à Oujda un club féminin d’adeptes du tarab gharnati, où la chikha Titma de Tlemcen séjourna pendant cinq ans, entre 1920 et 1925, avant de s’en aller à Fès. Beaucoup de poètes de l’ouest algérien étaient venus à Oujda où on chantait leurs qasidas, lors des fêtes de mariage, sous le mode gharnati : Qaddour Ben Âchour Zerhouni, adepte de la zâwiyya taybiya mort en 1938 dont le recueil fut imprimé à Oujda en 1932.Autres poètes algériens ayant séjourné à Oujda : Lakhdar Ben Khallouf de Mostaganem, Ben M’sayb qui y composa « mon cœur s’est enflammé » ou encore Mustapha Triki Zengli. Au point que dans son encyclopédie du malûn, Mohamed El Fassi nous dit que les meilleures qasidas sont celle qui ont été composées à Oujda. Il ne pouvait pas y avoir de fêtes à Oujda sans cette fusion entre le gharnati et le malhûn. Ce métissage poético – musical qu’on appelle haouzi en Algérie, mêle aussi bien les chantres du malhûn d’Algérie que ceux du Maroc :
On chantait ainsi El Meknassiya de Sidi Qaddour El Alami, l’hôte de Dieu de Cheikh Jilali Mtired de Marrakech, Beautés de Fès, de Mohamed Ben Slimane (qu’interprète Cheikh el Hajj M’hamed el’Anka), le faucon et le corbeau d’Ahmed el-Ghrabli, Zhirou de Lili el-Abbassi et même la chandelle de Mohamed Ben Sghir d’Essaouira ! Ville-frontière, Oujda connaissait une telle effervescence poético - musicale, car en plus qu’elle se situe entre Fès et Tlemcen, elle était sur le chemin du pèlerinage saturé par la littérature de voyage : adab rahalat, aussi bien des occidentaux que des maghrébins. On peut citer Mustapha Ben Brahim, mufti de Sidi Bel Abbas, mort en 1854, qui était venu à Oujda où il a composé une longue qasida dénommée « el goumri » où il décrit en 1500 vers, sa « rihla » (récit de voyage) d’Oujda à Fès. A titre d’illustration également , on peut citer la « Qsida Ouajdiya » de Raymond Marciano qui vécut à Oujda dans les années 1940-1950, où il évoque Bab Sidi Abdelwahab, souk laghzel, Qissariyat Ben Attar…C’est le Cheikh Saleh , né en 1911 et mort en 1973, qui était allé loin dans cette fusion entre le malhûn et le tarab gharnatidonnant naissance à ce qu’il est convenu d’appeler la « Qasida Ouajdiya », très demandé aux fêtes de mariage de l’ouest algérien : M’askar,, Oran, Saïda,
Le cadre associatif du tarab gharnatià Oujda
Actuellement, il existe 11 associations de tarab gharnati à Oujda. Fondée en 1921, l’association andaloussiya est l’association – mère d’où sont issues toutes les autres :
- Association Andaloussiya
- Association Ahbab Cheïkh Saleh
- Association Mossoliya
- Association Ziryab
- Association Ismaïliya
- Association Nassim
- Association Nassim el Andalous
- Association des amateurs de tarab gharnati
- Association Jouq Salam
- Association la SICADA
- l’orchestre de la Wilaya d’Oujda
En arrivant à Oujda,le 29 mars 1907, parmi les premières choses que le Maréchal Lyautey avait entreprises , le règlement des associations qui permettait, entre autre, aux musiciens de se réunir administrativement sous un Dahir des libertés public. C’est en 1921 qu’a vu le jour à Oujda, l’association Andaloussiya, fondée par Mohamed Bensmaïn. Cet originaire de Tlemcen, décédé en 1947, exerçait à Oujda en tant qu’enseignant au lycée Omar C’est lui, le premier qui a eu l’idée de réunir les mélomanes Oujdis en association. Ce sont les membres de cette association qui ont représenté le Maroc en 1932, au Congrès de la musique Arabe au Caire, avec Mohamed Bensmaïn, Si Qaddour Benghabrite et Marzouqi qui était délégué de la douane à Oujda et qui est mort à la fin des années 1940. Et c’est encore l’association Andaloussiya qui allait représenter le Maroc à la foire coloniale de Paris en 1936, où l’orchestre du tarab gharnati comprenait 60 musiciens, dont un seul est encore vivant : Si Mohamed el Hachmi Sghir. L’association andaloussiya avait débuté un projet de musique andalouse avec nota qui est perdu malheureusement. Actuellement, c’est le professeur de tarab gharnati, Mr. Mohamed Chaâban , né à Oujda en 1948, qui préside aux destinées de cette association dont son père, le cheikh Saleh était membre fondateur comme il nous l’explique lui-même :
«Cheikh Saleh, mon père, était le disciple d’un très grand maître, le cheikh Larbi Ben Sari de Tlemcen, qui animait des fêtes de mariage à Oujda. Il allait jusqu’à Fès. Même mon grand père, Saïd Chaâban, jouait de la kamandja (violon) Il était né à Tunis. Au cours de la première guerre mondiale, il a traversé l’Algérie à l’âge de vingt ans et était venu s’établir à Oujda, où il a épousé une Tlemcenienne donnant naissance à mon père qui allait devenir mélomane grâce à Larbi Ben Sari. Celui-ci venait de Tlemcen pour animer des fêtes de mariage à Oujda. Il remarqua mon père en s’enquérant de sa filiation il découvre qu’un lien de parenté les lie tous les deux. Le voyant mélomane, il lui conseilla de rejoindre l’orchestre de Bensmaïn,le fondateur d’Andaloussiya en 1921.Sachant déjà jouer d’un instrument, mon père s’initia a la sanaâ auprès de Bensmaïn, jusqu’à ce qu’il devint l’un des meilleurs de ses élèves ainsi que le cheikh Abdelkader que Dieu ait son âme. C’est mon père qui a pris par la suite la relève de Bensmaïn. Mon père était surtout connu pour sa belle voix. Le cheikh Saleh a cessé de présider l’Andaloussiya en 1969. Tous les enseignants de musique des autres associations ont été formés dans cette association – même .Malheureusement, ils ne sont pas allés jusqu’au bout de leur formation. A peine ont-ils commencé leur initiation que déjà, ils s’en vont former leur propre association ailleurs. En 1921,l’association Andaloussiya a été créée par Bensmaïn, lui succèda cheikh Abdelkader,puis le cheikh Saleh, mon père. A sa mort, lui succéda Zemmouri, que Dieu ait son âme, puis j’ai succédé à ce dernier depuis 1976 à nos jours. »
El Fakir Ahmed qui a adhéré à l’association Andaloussiya en 1975 a crée l’association Ziryab en 1985 avec dix autres membre tous issus de l’association – mère. Ils sont maintenant dix membres en plus des juniors. Cette association a depuis participé aux 19 éditions du festival du tarab gharnati, qu’organise annuellement à Oujda le ministère de la culture, d’abord à Saïdiya et maintenant à Oujda. Le juré du festival se composait de Mr.Ahmed Aydoun, le délégué de la culture à Meknès, El Haj Birou et Mr.Agoumi. L’association était également invitée aux soirées du Ramadan organisées à Oran et Tlemcen. En 1999, l’association a participé à la onzième édition du festival de Babel en Irak et au Temps du Maroc en France, par une tournée intitulée « chant de traverse » où participaient également des musiciens juifs, dont la Française d’origine algérienne Françoise Atlan.
En 2005 l’orchestre « chant de traverse » que finance Serge Berdugo, anime une soirée à Madrid et anime une soirée musicale sur la deuxième chaîne marocaine avec comme vedette feu Sami el Maghribi. L’association fut également invitée, en 2009 à Essaouira au festival des Andalousies atlantiques. L’orchestre de tarab gharnati d’Oujda a ainsi accompagné Raymonne el Bidaouiya (la Casablancaise) et Haïm Louk venus pour cette circonstance de Loos Angeles. Il faut signaler que Mr. Fakir Ahmed qui chante à merveille en arabe , chante également sans problème en hébreux. Pour sa part, l’association Moussiliya a été invitée par l’Institut du Monde Arabe au mois de janvier 2010 et ira au mois de janvier 2011 à Nancy. Ainsi donc, quand une association de tarab gharnati est invitée à l’étranger, elle ne représente pas seulement Oujda mais tout le Maroc. Elle rentre dans le cadre de ce qu’on a convenu d’appeler « la diplomatie culturelle ».
Le samaâ dans l’Oriental : la tariqa Boutchichia
À la frontière algéro – marocaine, où la plaine de Triffa s’étend au pied du massif des Bni Iznassen, se situe la zaouia –mère de la tariqa Boutchichia actuellement le principal épicentre du samaâ au Maroc au vu du nombre considérable des adeptes qui s’y adonnent. Issu des Béni Iznassen, Sidi Mokhtar Boutchich, premier maître spirituel de la tariqa(voie soufie) vint s’y établir, à partir de 1907, plus précisément au village de Madagh qui va devenir le fief de la Tariqa avec le Cheykh Abou Mediane, mort à Madagh en 1955. Lui succédera alors jusqu’au début des années soixante dix, le Chaykh Sid El Abbas, le père de Sidi Hamza, le Chaykh actuel de la Tariqa.
Cette Voie se nomme « Qadiriya » par référence à Moulay Abdelkader Al Jilani, maître soufi qui vécu à Baghdad au 12ème siècle. A chaque fête du Mouloud, des milliers d’adeptes venus de toutes les régions du Maroc, mais aussi de Thaïlande, d’Europe, d’Amérique et d’Afrique , se retrouvent à Madagh, pour commémorer en présence de Sidi Hamza, leur maître spirituel vivant, la naissance du Prophète. Deux nuits soufies ont lieu simultanément : d’un côté celle des femmes, de l’autre celle des hommes, en présence de leur guide spirituel. Au cours de ces nuits soufies ont lieu des séances de samaâ animées surtout par le « groupe de Casablanca ». Ces « concert spirituel » ou « oratorio »(samâ’) ont pour but de développer la partie « affections » de la méditation collective.Abdelkader Mana
06:28 Écrit par elhajthami dans Arts, Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts islamiques, musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook