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30/04/2012

Légendaire Massa

Massa Terre de Légendes

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Lazarev
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TABAL

Le poisson ne se lave pas le visage dans la mer

La mer est son visage lavé

Depuis le blanc- sel, depuis ce bleu- éternel

Moubarak Erraji

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Le toponyme de Massa est déjà indiqué sur la plus ancienne carte, celle de Ptolémée. Si on admet que les Phéniciens possédèrent cinq comptoirs commerciaux sur les côtes marocaines au sud du Cap Ghir, il est probable que le port de Massa fut choisi par ces navigateurs de la première heure. Sur ces côtes marocaines, les marins berbères s’accrochent au moindre abri pour y fonder de petits ports de pêche. Massa est traversée par l’oued sur environ 150 kms. Les villages avoisinants en profitent énormément. Ils se succèdent tout le long de la rive sud-ouest et de la rive nord-ouest. Sur les bords de l’oued se pressent une quinzaine de villages construits à mi-pente sur la falaise escarpée de la rive gauche. Le jonc prolifère dans le lit même de l’oued et fournit la matière première à l’artisanat du nattage qui fait de Massa le premier fournisseur en nattes des mosquées du  Royaume. C’est une activité ancienne qui se transmet de génération en génération. L’eau qui fait vivre la plaine provient soit de l’oued lui-même, soit des puits et des sources. L’eau de l’oued est très légèrement salée. Celle des puis et des sources est douces. Les champs irrigués prennent l’aspect de véritables fourrés où les sangliers de la montagne viennent se réfugier. Les livres d’histoire signalent que Massa produisait de la canne à sucre du temps des Saadiens. Au temps des disettes les gens venaient directement à Massa en raison de l’abondance de l’eau, celle de l’oued Massa et aussi en raison de nombreuses sources.

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Chaque vague est un ancien pêcheur

Mort de noyade

La vague peut-elle se noyer en elle – même ?

La mer est plus langue qu’une canne de pêcheur

Ce n’est pas moi qui le dis

Ce sont les fuites d’eau au travers les mailles du filet

Moubarak Erraji

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L’embouchure est très belle : la mer pénètre à des kilomètres en profondeur en amont de l’oued Massa. Il reste encore des vestiges et des traces de l’ancien port que se soit en amont ou en aval du fleuve. Les origines de ce port remontent aux Phéniciens, aux Carthaginois et aux Portugais. Il fut fréquenté jusqu’à l’époque Saâdienne et au début de la principauté de Tazerwalt. On accédait au port qu’on appelle al-Forda en arabe,par l’embouchure avant son ensablement, pour transporter soit les marchandises, soit les armes.

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Des sacrifices sont également offerts à cet oued surtout au niveau d’Oggoug, c'est-à-dire le barrage situé au niveau d’ Agdal-Massa. Chaque année on sacrifie à cet endroit , pour obtenir la baraka de la sainte lalla Riqya ,fille d’Ahmed Sawabi. On accorde ainsi leurs part aux saints patrons de Massa. Les anciens pêcheurs se souviennent encore des chants qu’ils clamaient lors de la pêche à la pirogue berbère du nom d’agherrabou . Le mot était connu sous cette forme de Cap Juby à Safi. Le mot a pu être rapporté au grec et au latin carabus . Les saints enterrés en bord de mer ont leur part de capture des agherrabou. Les pêcheurs ne peuvent ni vendre, ni partager les poissons, sans accorder leur part de poissons aux saints. Ils disent : « Voici le poisson de Sidi wassay ! » En le rejetant au loin sur le sable. « Cet autre poisson est pour lalla RahmaYoussef ! » pour qu’elle les aide face aux tempêtes maritimes. Ce n’est que par la suite que les pêcheurs peuvent vendre leurs captures.

Abdelhadi, le parolier des Izenzaren qui vient souvent en marin chercher l’inspiration à Sidi wassay chante :

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Me voici mettant ma pirogue face aux vagues

L’écume des vagues couvre ma pirogue

On ne sait ce qu’on va trouver

Derrière les vagues et derrière les îles

Le rouget, c’est en haute mer qu’on le capture

Au bout d’un filet qui vibre comme un rebab

 

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Dans les douars côtiers, c’est la pêche qui prime sur l’agriculture. La plupart des marins cultivent la terre pendant la mauvaise saison. C’est surtout la crainte de la houle qui paralyse la pêche pendant l’hiver. La vie maritime semble s’être retirée de Massa en raison de l’ensablement. Tifnit est maintenant le port où arrivent les pirogues chargées de poissons. C’est là qu’Oqba Ibn Nafiî s’est arrêté face à la mer. Le grand conquérant arabe avait prié son Dieu en ce lieu. Les princes s’y rendaient pour renforcer leur pouvoir. Ibn Khaldoun rapporte des légendes qu’on n’a cessé de répandre depuis qui représentent cette région comme le lieu d’où viendront l’imam el Mahdi et le Doujjal (l’antéchrist) :

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« Les gens disent que le Mehdi surgira au fond de quelques lointaines provinces au bout du monde civilisé, par exemple au Zab en Ifriqiya ou dans le Sous marocain. Des gens simples vont en pèlerinage au ribât de Massa dans le Sous. Ils espèrent le rencontrer là, persuadés que c’est là qu’il va apparaître et qu’ils lui prêteront serrement d’allégeance. Au début du 13ème siècle,  et sous le règne du sultan mérinide Youssef Ibn Yaâkoub, un soufi pratiquant vint au ribât de Massa. Il prétendait être le fatimide qu’on attendait. Beaucoup de Znaga et de Gzoula de Sous le suivirent. Il était sur le point de réussir lorsque les chefs des Masmoda craignirent qu’il ne vint à menacer leur autorité. L’un d’entre eux, de la tribu des Seksawa lui dépêcha un tueur à gage et l’assassinat. Ceci fit échouer toute l’affaire. »

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La sanctuaire de Sidi Wassay situé sur la rive sud de l’oued Massa, de son vrai nom Abderrahman Rondi par référence à la ville Andalouse de Ronda . Il aurait vécu au 13ème siècle. Il avait quitté l’Andalousie pour Fès et de là à la tribu berbère d’Issafen N’Aït Haroun. Il y laissa un enfant et vint s’établir à Massa où il fut enterré au bord de la mer pour que sa baraka produise des pêches miraculeuses et protège les rivages  des ennemis qui viennent de la mer. Le surnom de Wassay signifie d’ailleurs en berbère « celui qui protège des dangers de la mer ».

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Le rocher de Jonas est également l’objet d’un culte jusqu’à nos jours sur les rivages de Massa. Entre sable et eau le rocher est parfois recouvert par le flux des marées. Pour le professeur Bassir, originaire de Massa : « Ce n’est peut-être qu’une simple légende, mais il n’est guère hors de portée pour le Seigneur de faire advenir Jonas des rives orientales de la Méditerranée à ce ribât de l’Atlantique. Jonas fut avalé par une baleine pour une action blâmable envers Dieu. Et c’est sur ces rivages que la baleine l’engloutit d’une manière ou d’une autre . Un plant de courge poussa alors sur lui comme il est dit dans le Coran :

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« Et nous le jetâmes sur la terre, si maigre qu’il était et nous fûmes pousser sur lui un plant de courge. ». Le yaqtin , ce plant de courge qu’on appelle aussi « légume du Prophète », c'est-à-dire la plante qui a poussé au-dessus de Jonas.

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Selon Léon l’Africain, la mer rejetait ici des cétacés, en particuliers les baleines que les marocains appellent Gaga, comme le prouve leurs carcasses dont on s’est servi pour consolider les arcades et les toitures de la vieille mosquée de Massa. Il y avait un os de baleine à Sidi Wassay qui faisait l’objet de culte et auquel on se frottait pour se débarrasser de certaines maladies. La baleine que rejetait la mer , Léon l’Africain l’avait vu de ses propres yeux. Il raconte comment il a pu franchir sur dos de chameau une arcade faite d’os de baleine. Les baleines échouaient spécialement sur ces rivages, parce qu’à un ou deux kilomètres au large de Massa se trouvent des écueils acérés, à fleur d’eau : la baleine s’y blessait et finissait par échouer sur la plage.

Abdelkader MANA

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La Rihla et le Ribab

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La Rihla et le Ribab

Par Abdelkader Mana

Dites, honnête homme
Quel sol mes pieds n’ont pas encore foulé ?
Tindouf, Tata, Tiznit, Agadir
Ou le grand marché des chevaux
Des plumes d’autruches
Et des chameaux à Goulimine ?
Raïs el-Haj Belaïd

Le voyage comme pré - texte, Hâjj Belaïd, le vieux troubadour du Souss, qui errait dans tout le Sud avec son ribab, le savait aussi indispensable pour la poésie : il est la figure emblématique de Tiznit et du Souss. Pour rencontrer son fils, qui tient chaque soir Halqa aux pieds des remparts, nous avons quitté Taroudant et ses oliveraies pour rejoindre l’autre étoile du Sud, Tiznit, cette ville à dimension humaine où tout semble avoir été dessiné en miniature par un orfèvre de fibules berbères plutôt que par un architecte

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Haj Belaid avec son Ribab

Si mes pas me mènent encor de çà de là...[i]

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Allons ! Reprenons la charrue ! Au nom de Dieu !

Attelons la paire de bœufs. La terre familière

Du patrimoine, c'est elle que je cultiverai.

L'ami qui fut mon associé, peut-être

Me laissera-t-il une part de sa prospérité.

Fasse qui veut les jeux du diable,

Agissant sans tête ni cœur !

Amour, Dieu a fixé les liens par le destin.

O soleil de ma vie, ô fleur de juin,

O mon aimée, selon mon cœur et ta semblance.

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Ce poème fut composé par le raïs l'haj Belaïd, dont la renommée est grande. Originaire des Ida Ou Baâquil, tribu à l'E-S-E. de Tiznit, dans le Sous, il avait une soixantaine d'années en 1933. Sa mort semble être survenue après 1945. A son prestige de poète chleuh, maître d'un grand nombre de trouveurs qui firent leur apprentissage dans sa troupe et qui formèrent par la suite leur propre troupe, il ajoutait le prestige du lettré, qui avait étudié à la zaouïa de Sidi Ahmed Ou Moussa (grand marabout de Tazerwalt).

[i] Paulettes Galand-Pernet : Recueil de poèmes chleuhs. Chant de trouveurs Publié par le concours du CNRS aux éditions Klincksieck, Paris, 1972.

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Mokhtar Soussi l'auteur le plus prestigieux de Sous (1900 - 1963).Ses ouvrages disponibles uniquement en Arabe constituent une véritable mine d'informations ethnographiques sur le Sous,(Voir à la fin de cette note la présentation de sa vie et de son oeuvre)

À l’aube de l’indépendance, Mokhtar Soussi publie les quatre tomes d’À travers les Jazoula. Ce récit de voyage dans son pays natal, le Souss, s’inscrit dans la longue tradition littéraire de la Rihla, genre très prisé par les écrivains nomades arabes depuis le Voyage en Turquie d’Ibn Fadlane, en l’an 921, Ibn Joubaïr, le savant andalou (1114-1217) et surtout Ibn Battouta, type même du globe-trotter passé maître dans l’art de tenir un journal de route. Parti de Tanger un 13 juin 1325, Ibn Battouta alla jusqu’à la vallée de l’Indus et aux confins de la Russie et de la Chine.

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Au cours de sa Rihla du Souss, Mokhtar Soussi consigne dans son carnet de voyage tout ce qu’il voyait :

"J’ai ouvert mes yeux sur les lieux, et mes oreilles sur ce qui se dit. J’ai décidé de visiter Tiznit, Agadir, puis Taroudant et les environs de ces trois villes du Souss."

Trois villes qu’il traversa souvent à dos de mulet, en quête d’anciens manuscrits.


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Le defunt Hassan AGLAW et Raissa Kelly

À l’intérieur des remparts de Tiznit, la musique berbère scande, dans les échoppes, la vie quotidienne des cordonniers, des menuisiers, des coiffeurs, des commerçants, de tout un peuple de petites gens et de femmes voilées. Tableau insolite chez les photographes et les disquaires de la ville : l’affiche d’une jeune Française de dix-sept ans qui pose en chanteuse berbère et proclame, en prélude à l’un de ses « tubes » :
« Moi, Kelly, de père et de mère français, je suis tombée amoureuse de la chanson berbère ».

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Raissa Kelly

Au mois de mars, son passage fut une curiosité et son spectacle (elle était accompagnée du ribab du Raïs Aglaou) un franc succès. Une émigration en sens inverse, à la rencontre de l’autre rive et de l’autre vent.

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Par un heureux hasard, le poète même de Tiznit, Ouakhzan Ben Mohamed Sahili, est venu vers nous. Au milieu des palmiers et des chants de coq, non loin de la fameuse source bleue, il nous tint tout un discours de ferveur dans la kasbah du soleil et nous traduisit séance tenante de longs poèmes sur l’émigration du Souss.
L’un des plus anciens poèmes sur l’émigration est la Qasida de Paris, composée en 1936 par Raïs Belaïd le sublime (décédé en 1945, il avait prévu dit-on le séisme d’Agadir). Parti en bateau pour la France, le Raïs fut accueilli à Paris par les Marocains de là-bas :

Certains sont partis en Tunisie,
D’autres à Saint-Étienne,
Et d’autres encore à Paris.
Celui qui émigre pour sauver les siens,
La loi religieuse ne le condamne point.

Il loue l’aide qu’ils apportent à leurs familles restées au pays et les sacrifices qu’ils consentent pour les leurs, allant même jusqu’à s’endetter :

J’ai erré dans le Souss, au pays hahî,
Et dans les hameaux les plus reculés,
Je peux en témoigner :
Même les cimetières,
Ce sont les émigrés de France,
Qui les ont aménagés.
Par leur argent,
Ils ont réparé les coupoles des marabouts.
Par leur argent,
Ils ont entretenu les mosquées.
Beaucoup d’endroits n’ont été sauvés,
Que grâce aux mandats qui viennent de Paris.

Les chants des troubadours du Souss conservent la mémoire de l’émigration. Le travailleur émigré, voyageur professionnel par excellence, est hanté par la nostalgie ; sa poésie est le cri de l’arbre sans racines. En quête de cette mémoire, nous avons suivi l’itinéraire de Mokhtar Soussi qui, jadis, sillonnait sa région natale à la recherche de vieux manuscrits. Surtout nous avons marché dans les pas du Raïs el Hâjj Belaïd, le poète sublime des vallées et des montagnes, l’Andam Adrar qui composa en 1936 l’un des plus vieux poèmes de tradition orale sur la migration vers le Nord.

Ces hommes qui partent travailler dans les mines et les usines laissent derrière eux, femmes, enfants, et tribu. C’est pourquoi le thème de la séparation revient comme une lancinante litanie chez la plupart des Raïs du Souss qui chantent l’émigration.
Dans le poème Je ne te pardonne pas Paris, feu le Raïs Mohamed Damsiri (décédé en novembre 1989) s’identifie aux femmes du Souss qui voit leur mari partir à l’étranger et compare l’avion qui l’emporte à un cercueil :

Je ne te pardonne pas, Paris
Je ne te pardonne pas, Nord
Je ne te pardonne pas, Belgique
Vous nous avez pris les nôtres.
Ô téléphone, réponds-moi !
Je n’ai pas besoin de cadeaux,
La présence du bien-aimé est plus précieuse.
Je ne te pardonne pas, avion
Semblable au cercueil,
Tu emportes sans retour.
Que Dieu bénisse les Chleuhs
Qui travaillent dans les mines et les usines.
J’implore Dieu de nous les faire revenir.
Car les blessures de la séparation,
Rendent notre langue muette.

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Rais Bihti

Dans les campagnes du Souss il n’y a plus que des femmes, des vieillards et des enfants ; le Raïs Bihti, qui lui-même travaille chez Citroën (il est à trois années de retraite), vient pendant les vacances animer les soirées musicales dans le Souss. Militant du regroupement familial, il a bouleversé la communauté des immigrés, surtout à Aglou et aux environs de Tiznit, à telle enseigne que la plupart d’entre eux ont décidé d’emmener leurs épouses avec eux à l’étranger.
Il a, nous dit-on, ému jusqu’aux larmes la moitié des femmes d’Aglou, lors d’une soirée mémorable. Le Raïs Bihti les chante, les comparant métaphoriquement tantôt à une plante fragile qui réclame des soins, tantôt à la terre assoiffée ; il plaint les émigrés d’avoir failli à leur devoir conjugal :

Les biens de ce bas-monde,
M’ont perdu moi-même
Quand je joue du Ribab,
Mon esprit erre autour de la banque,
Et se demande combien d’argent, elle contient ?
Que peuvent pour nous qui partons, les poèmes ?
Nous avons laissé la terre couverte de fleurs,
Mais personne n’est resté pour les arroser.

Depuis lors, certains à Aglou ont choisi de faire venir leur famille en France, d’autres ont rejoint la leur au Maroc. En Occident « la figue de barbarie pourrit au bord des routes » chante Mohamed Damciri, pour qui l’exil est le symbole même de l’impureté :

Ô vent d’Est, ô vent d’Ouest,
Portez le salut à mes frères de l’étranger,
Ils vivent au pays perdu par les hyènes.
J’ai oublié Barbès et Pigalle.
Celui qui les visite restera impur,
Même s’il fait sa prière sur l’eau.


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Rais Amerrakchi

Dans un autre poème le Raïs Bihti évoque une voiture qui vient le chercher :

Quand le chauffeur m’a dit :
« Viens ô Raïs, ton mois de congé est terminé ».
Ma gorge s’est nouée,
C’est souvent ce qui nous arrive, ô mes chers immigrés !

Lui en parle, parce que sa poésie s’impatiente, mais les autres préfèrent s’enfermer dans le silence à force d’absence.

PICT0014.JPGNote sur Mohamed El Mokhtar Soussi

Il est né en 1900 au coeur du Sous. Plus précisement à Dougadir, village de la vallée d’Igli de l’Anti-Atlas, au sud de Tafraout. A partir de l’âge de 11 ans, iI a d’abord poursuivi ses études dans les medersas traditionnelles de Sous :

1911-1918 : Il étudie successivement dans les medersa suivantes de Sous : Illigh à Tazerwalt ; Ighchan au sud de Tafraout ; Bounaâman dans la tribu Aït Jerrar ; Tankourt, dans l’Ifran de l’Anti-Atlas .

1919 : Il rejoint l’université Ben Youssef de Marrakech.

1925 : Il rencontre le salifia Abi Chouâïb Doukkali.

1925-1928 : Etudes à l’université Karaouiyine de Fès.

1928 : Séjourne à Rabat durant un an.

1929 : Il repart vers Marrakech.

1929-1935 : Enseigne dans la zaouïa de son père à Bab Doukkala.

1937 : Enseigne à l’Université Ben Youssef de Marrakech.

1937-1945 : Assigné à résidence à Dougadir, par le Protectorat.

1946-1951 :   Enseigne à la medersa-université Ben Youssef et dans la zaouïa de son père à Bab Doukkala.

1952-1954 : Il est emprisonné dans les lointaines montagnes arides d’Aghbalou N’ kardous (province de Rachidia) en compagnie, entre autres, de Mehdi Ben Berka et de Mohamed El Fassi.

1956 : Il est nommé ministre des Affaires religieuses du Maroc indépendant.

1960-1963 : Il commence à publier ses ouvrages.

1963 : Il décède dans un accident de la circulation.

Mohamed Mokhtar Soussi nous a laissé une abondante littérature sur le Sous, qui est publiée en partie mais qui reste à l’état de manuscrits en une autre. C’est une véritable mine de connaissances ethnographiques sur le Sous , la Maison d’Illigh, les anciennes medersa et bibliothèques ainsi que leur trésor de manuscrits. Mais ses ouvrages n’ont jamais été traduits en Français. Les richissimes commerçants  de Sous sont très fiers d’El Mokhtar Soussi, mais ils sont incapables d’investir un centime dans la culture et encore moins dans la production d’ouvrages sur leur région. Parmi les ouvrages les plus connu d’El Mokhtar Sousi (ils sont disponibles uniquement en Arabe), on peut citer :

« Al maâsoul », paru en 20 tomes, entre 1960 et 1963.

« Sous Al – Âlima », publié en 1960 puis réédité.

« Min Afouah Rijal », en 10 tomes, Tétouan 1962.

Illigh qadiman wa haditan. Rabat, 1966.

Mouâtaqal Asahra. (Première partie), Rabat 1982.La deuxième partie est encore à l’état de manuscrit.

Madaris Sous Al Âtiqa, nidamouha wa Asatidatouha, Tanger, 1987.

Rijalat al îlm al ârabi fi Sous, Tanger, 1989.






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26/04/2012

Carnaval de achoura

Le carnaval de Achoura[i]

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Le prestigitateur de Roman Lazareve

Par Abdelkader Mana

 

Au Maroc, le carnaval qui porte les noms du "Bsat" et de la "Fraja" est aux sources du prè-théâtre de la halka de Jamaâ el Fna et du théâtre moderne d'inspiration populaire inauguré en 1967 par "les quatrains de Sidi Abderrahmane el Majdoub", pièce de Tayeb Saddiki.

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Les comédiens Khalili et Salamat
de la troupe "masrah Ennas"(théâtre des gens) de Tayeb Saddiki

Les bsat dont traite cette pièce se rapportent tous aux personnages burlesques de Jamaâ lafna  des années 1950-1960 : Baqchich, M'sayeh , mais aussi le fameux  Charkaoui (l'homme aux pigeons) et son acolyte labsir(l'aveugle)).Dans "Al Fil Wa Sarawil" ("éléphant et pantalons", par référence à la mode du pantalon "patte-éléphant"), Khalili joue le rôle de  Baqchich et Salamat celui du msayeh.Dans une des scènes on assiste à l'échange suivant:

Baqchich :

Ô M'sayeh ! le poux est originaire d'où ?

M'sayeh :

Frère baqchich,  le poux, sveltesse et délices (par ses morsures !) est originaire d'Essaouira !

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Driss Oumami

Aujourd'hui, 10ème jour de Moharram, on fête en famille dans tout le Maroc l'achoura. On donne l'aumône au pauvre, on met comme le Prophète  Mohammed le khol aux yeux. On fait la paix avec ses ennemis. On offre aux enfants des cadeaux. C'est un grand rite de passage. Depuis maintenant 10 jours et 10 nuits, nous avons entendu dans nos rues le grondement des goubbahi. Hier soir, veille de l'achoura, certaines de nos médina ont résonnées des chant de malhûn et des brioula de poèmes qui mettent en scène la ville. Dans certaines de nos campagnes on a promené des mannequins masqués. Mille traditions recueillies au début de ce siècle par le sociologue Edmond Doutté, célèbrent cette fête. Ed. Doutté a consacré un chapitre de l'ouvrage qu'il publie à Alger en 1908 (et qu'on a réédité récemment à Paris) sous le titre « Magie et religion dans l'Afrique du Nord », au « Carnaval de l'achoura ». Il tente d'expliquer cette fête du début de l'an musulman à la lumière de quelques livres d'ethnologie dont « le Rameau d'or » de Frazer et de monographies écrites par des fonctionnaires du temps de la colonisation. Il postule une sorte d'équivalence entre la notion maghrébine de la fraja et celle du carnaval parce que dans les rites qu'ils décrivaient il y avait des gens masqués, des scènes comiques des rues et l'idée d'iun passage des saisons.
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Driss Oumami

Doutté nous invite a faire avec lui le tour du Maghreb et de la Méditerranée et nous amène finalement à Karbala. C'est un beau voyage de l'imaginaire carnavalesque et tragique à la fois. Ainsi, le jour de l'achoura, on se déguise à Ouargla , les gens se répondent dans les rues les visages couverts de masques. Ce général de carnaval et ses acolytes, qui jouent les pères blancs fait penser irrésistiblement au fameux film que Rouch tourna en 1950 en Côte d'Ivoire. Avec les « Maîtres fous » dans ce film, on voit des immigrés africains jouer les rôles des autorités coloniales Anglaises : ils cassent un œuf sur leur crâne et le blanc d'œuf qui s'écoule sur leur visage évoque la perruque des soldats de la reine  etc.... Un possédé en transe mime le mouvement d'une locomotive. Tout le décor du modernisme, s'installe dans le théâtre carnavalesque de la possession.

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Scènes du film "Les Maîtres fous" de Jean Rouch

Puis Doutté tente d'expliquer ces « curieuses pratiques ». Il y voit « les derniers débris » d'un meurtre rituel d'un dieu de la végétation. Il parle alors des sacrifices agraires, où l'on mettait à mort l'année écoulée pour faire place à la venue d'un « dieu végétant ». Ce rite de mort et de résurrection ; c'est le rite de passage de l'hiver au printemps. Cependant l'achoura tourne avec le calendrier lunaire musulman. Ce qui complique l'analyse : « Lorsque achoura devient une fête du calendrier lunaire, écrit Doutté, elle ne concorde plus avec les époques agricole ; elle  faisait le tour du calendrier solaire. Soit qu'elle eût jadis, réellement été une fête de renouveau, soit que son manque de consistance et son indétermination dans l'orthodoxie musulmane eussent contribué à la faire captation, des rites de l'année solaire qui ne coïncident primitivement avec elle qu'à des intervalles éloignés. Il était naturel d'ailleurs pour des populations qui s'islamisaient, de rattacher au début de l'année musulmane lunaire des cérémonies célébrées depuis un temps immémorial au début de l'année solaire ».

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Driss Oumami

Doutté  propose ainsi , sous le nom de Carnaval, une théorie de la fraja . Mais il y a un manque important dans le beau travail de Doutté. C'est la dakka par toutes les villes et les campagnes. A peine fait-il allusion aux taârija de Marrakech. Il manque aussi la tradition du chant rituel de l'achoura ; celui de Taroudant comme celui de Marrakech et Essaouira. La nuit de l'achoura sera ainsi le nécessaire complément au dossier ethnologique que Doutté consacre au début de ce siècle à cette fête. Voici donc, quelques extraits du travail de Doutté  sur l'achoura. Nous reviendrons demain sur la mise en scène des villes la nuit de l'achoura.

Florilège de l'achoura

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Boujloud
  • L'achoura à Ouargla

A Ouargla, comme dans le restant de l'Afrique du Nord, à l'occasion de la fête musulmane de l'achoura, c'est-à-dire le 10 du mois de moharram, qui est le premier mois de  l'année musulmane. Le soir venu, les habitants se répondent dans les rues, déguisés et le visage recouvert de masques. Ils imitent des types populaires, des animaux, le lion, le chameau ; on voit encore « un général à la poitrine garnie de décorations en fer blanc, aux rubans de couleurs variées, accompagné de son état - major ; il va faire sa visite à son collègue le commandant de la place : après un salut militaire réciproque, les deux officiers font mine de conférer gravement ». Un groupe d'indigènes affublés d'une immense barbe, revêtus d'une longue gandoura, coiffés d'une chéchia ou calotte rouge.

 

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Driss Oumami
  • Chez les Haha et les Chiadma

Dans les Haha , au Sud de Mogador, pour prendre un exemple, a lieu à l'achoura, un carnaval très analogue à ceux que nous venons de décrire : le chameau et le chamelier, le juif, le cadi, sont toujours es thèmes habituels. Mais le personnage caractéristique de la fête est un indigène revêtu d'une peau de bouc[ii], ayant souvent la tête dans une courge percée de deux trous et hérissée de piquants de porc - épic ; à son cou est un collier d'escargots ; il se promène et il danse sous les huées de la foule : on l'appelle «  herma guerga'a »,( le deuxième mot veut dire « noix sèche »), herma bou jloud, comme celui des Benis Snoûs. En même temps, on allume des feux de joie. Dans les Chiadma, au Nord  de Mogador, la fête est très semblable, mais on appelle plutôt herma du nom d'Ech Chouikh, c'est-à-dire « le petit vieux » ; de plus le carnaval a lieu tantôt à l'Aïd El Kébir, tantôt à achoura et le plus souvent aux deux à la fois.

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Boujloud d'Aglou
  • La fraja

La fraja , tel est le nom que l'on donne au carnaval marocain, au moins à Fès et dans le Sud du Maroc, n'est pas la seule réjouissance qui marque la fête de l'achoura à Marrakech : il y a encore pour la plus grande joie des gamins, entre autres distractions, les noua'âr, (pluriel de na'oûra « roue hydraulique », espagnole (noria) , sont de grandes roues en bois montées sur un axe horizontal  et dont la circonférence supporte des compartiments suspendus où peuvent s'asseoir une ou plusieurs grandes personnes : o met la roue en mouvement et les amateurs s'élèvent et s'abaissent alternativement. A Safi par exemple on traîne une carriole, un cheval en bois, sur lesquels on monte pour quelques flous.

  • Au Nord du Maroc

Dans le nord du Maroc, le carnaval paraît également très répondu : nous savons qu'il existe à Tanger ; on l'a signalé à Fès, enfin il a été décrit en détail pour le Rif, pour les Djbala et pour une tribu voisine de la frontière marocaine, les Zkâra. Dans le Rif on représente le Ba Cheïkh (mot qui veut dire, un chef et en même temps vieillard) : c'est un personnage âgé, avec une citrouille sur la tête, une peau de hérisson, en guise de barbe, deux défenses de sanglier de chaque côté de la bouche etc. à côté de lui sa femme est figurée par un individu déguisé, avec des fers à cheval en guise de pendants d'oreilles, un collier d'escargots au cou, un autre indigène représente l'âne, monture de Ba Cheïkh , derrière marche le juif, sordide caricature d'un fils d'Israël.

 

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Driss Oumami
  • A touggourt

A Touggourt, les hommes se tracent avec du henné une ligne qui va de la naissance du nez jusqu'au cou en passant par le sommet du crâne ; ils prononcent en même temps l'invocation suivante : « S'il plaît à Dieu, l'année prochaine je ferai achoura comme cette année ». Sur la question du koh'eul, il semble qu'il y ait quelques divergences d'opinions mais l'usage spécial du  parfums. Pourtant, on croit que celui qui se purifie ce jour-là par le koh'eul ou le henné est purifié pour toute l'année ; celui qui se baigne est exempt de maladie aussi pour toute l'année ; ce jour-là, on se rassasie en une sorte de repas rituel où dominent les fèves et les légumes, car si on ne se rassasiait pas à cette occasion on ne serait pas rassasié de l'année. A Touggourt, on prétend que celui qui ne serait pas rassasié ce jour-là serait obligé, dans l'autre monde, de manger les pavés de l'enfer pour remplir son estomac.

 

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Driss Oumami

 

  • Au Caire

Au Caire, les femmes se réunissent dans une mosquée spéciale le jour de l'achoura, la mosquée de  Hassan et Hussein et s'y livrent à diverses pratiques condamnées par l'orthodoxie ; or nous connaissons quelques rites carnavalesques où les femmes jouent le rôle prépondérant : dans le rite susmentionné, ce sont les femmes qui expulsent la mort ; dans le mythe d'Orphée qui représente probablement un souvenir de meurtre rituel, ce sont des femmes qui mettent en pièces le héros : dans beaucoup des mystères antiques les femmes avaient des cérémonies spéciales. On avait voulu donner de ces faits une explication totémique,, fondée sur ce que dans les sociétés exogamiques primitives, les femmes étant d'une autre classe que les hommes ont un totem différent et doivent sacrifier à part. Il ne semble pas resté des traces de ce rôle des femmes dans le folklore maghrébin : nous avons du reste déjà eu l'occasion d'observer que les traces du totémisme dans l'Afrique du Nord sont extrêmement frustes.

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Driss Oumami
  • Visite aux tombes

A Mazouna, il est d'usage de porter à cette occasion des rameaux de myrtes sur les tombes (rayhân, usage que nous avons aussi observé à Marrakech lors du tournage de « feux de joie » pour la série  documentaire « la musique dans la vie », à la fin des années 1990). A Marrakech, à Mogador, dans le sud du Maroc, on arrose les sépultures à grand eau. A khanga Sidi Nadji, on s'aborde le jour de l'achoura en se jetant de la terre ou de l'eau sur le visage. A Marrakech et dans certaines tribus des environs on allume ce jour-là des feux de joie, analogues à ceux de la ancera . Il en est de même à Tunis : l'orthodoxie réprouve aussi cette pratique. Ces rites du feu, comme les rites de l'eau, ne paraissent pas nécessairement spéciaux à achoura, mais ce sont pour ainsi dire « accrochés » à cette fête qui semble, comme nous le disons, un centre de cristallisation. Au contraire les rites suivants se rapportent tous aux cérémonies carnavalesques.

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Driss Oumami
  • Soltan Tolba

Passion des Dionysos, chacun sait comment le théâtre est sorti chez nous des mystères de la Passion qui se sont peu à peu mondanisés ; or nous savons pareillement que les carnavals du Maghreb ont engendré, nous l'avons vu, une sorte de théâtre rudimentaire, qui ne se borne plus au thème primitif, mais comporte, au Maroc par exemple, des représentations burlesques très variées. De semblables petites représentations sont rares en dehors de la fête de l'achoura et de la fête que nous avons seulement mentionné, du Roi des tolba, très analogue au carnaval et vraisemblablement d'origine semblable. Même la fête de l'achoura n'a pas , chez nos indigènes produit de véritable art dramatique : c'est à peine si on signale en dialecte zénatie les dialogues récités lors de la fête de l'achoura, du Ramadan etc. , par les membres du chaïb achoura, sorte de confrérie théâtrale et satirique qui a beaucoup de ressemblance avec les frères de la Passion et les Enfants sans soucis de la littérature française à la fin du Moyen - Âge.

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Driss Oumami

  • Karbala

On sait qu'Ali, H'oseïn et Ha'san devinrent « le déversoir des besoins mystiques de la Perse. Chaque année les chiites Perses célèbrent la mort de H 'oseïn à Karbala par une série de cérémonies  extrêmement curieuses et que nous ne pouvons décrire en détail ici. Les fêtes durent les dix premiers jours de Moharram : des  descriptions que nous ont laissé les voyageurs, il faut retenir d'abord de nombreux rites de deuil privé et public ; puis le service funèbre qui se célèbre plusieurs fois en grande pompe, au milieu d'une désolation générale : la présence de membres des confréries religieuses qui se tailladent le crâne, se donnent des coups de poings avec un fanatisme sauvage, au cours de processions conduites par un  mollah monté sur un âne et surtout les représentations théâtrales qui ont lieu durant toute cette période et qui ont donné lieu à une littérature dramatique spéciale. Les drames ont toujours pour sujet H'oséïn à Karbala et des épisodes accessoires. Il est remarquable qu'au milieu de ces fêtes on célèbre une cérémonie nuptiale, en souvenir, dit-on, du mariage de la fille de H'océïn avec Qâcim qui, suivant la légende, se maria le jour - même où il mourut à Karbala au côté de H'oséïn, en sorte que des cérémonies de réjouissances se mêlent aux lamentations.

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Karbala

Des rites analogues ont lieu chez les chiites de l'Inde , où des rites du feu se joignent aux autres cérémonies ; les rites de l'eau ne sont pas non plus absents, tant en Perse que dans l'Inde. Enfin, il parait qu'à Karbala même, un condamné à mort, destiné à jouer le rôle de Chemr, assassin de H'oséïn, est tellement malmené par la multitude qu'il est presque toujours lynché. Il n'est pas difficile de reconnaître dans ces cérémonies non seulement les principaux traits des carnavals, mais aussi les caractères d'une véritable Passion dont Ali est le Dieu. H'oséïn est le Christ et le khalife le Judas. Il semble également évident que les téaziés  se sont développées des cérémonies religieuses et ont abouti comme en Grèce, comme chez nous, à la production d'une littérature qui se laïcisera peut-être un jour. Une étude scientifique de la fête de achoura en Perse achèverait sans doute de démontrer ce que nous avons suggérer dans tout ce chapitre, à savoir que les cérémonies célébrées à cette occasion sont les débris d'un antique meurtre rituel, à l'occasion du renouveau : que ces cérémonies ont dégénéré en carnaval dans le folklore du Maghreb comme dans celui de l'Europe, mais qu'en Perse, elles ont failli se développer en rite de rédemption comme dans le christianisme.

·Tayeb Saddiki, le Molière marocain

Le théâtre de Tayeb Saddiki concilie les formes traditionnelles et les exigeances contemporaines: il a travaillé avec Jean Vilar et est un fervent admirateur de Molière. Son théâtre s'inspire aussi bien du patrimoine marocain avec les pièces de "Sidi Abderahmane El Majdoub" et d'"El Harraz" que du patrimoine arabe avec "Maqamat Badiî Ezaman El Hamadani". Il a également écris et joué des pièces dans la langue de Molière: "Diner de gala", "Les sept grains de beauté", "Nous sommes faits pour nous entendre". Il déclarait à propos de son recueil "l'auteur parle, le metteur en scène montre": "J'ai écris ces poèmes, parce que je sais ce que signifie la solitude du comédien. Quand il joue le rôle d'un roi avec un costume fabuleux, il quitte le théâtre après la représentation et se retrouve parfois seul dans son coin n'ayant plus que ses rêves". Chez Tayeb Saddiki, il existe un point commun entre le théâtre - son domaine de prédilection, où son génie s'impose à l'échelle du monde arabo- musulman(il a connu personellement le Shah, Saddam Hussein et Yaser Arafat)- l'écriture et la calligraphie: la mise en scène de la parole. La scénographie. La place de Jamaâ Lafna, lieu privillégié de la culture populaire où Tayeb Saddiki ouvrait symboliquement le prologue de sa pièce sur "Sidi Abderrahman El Majdoub". Sa calligraphie se caractérise par le dépouillement et la pureté des formes. Les traits larges, l'envolée du coup de pinceau de Tayeb Saddiki n'appartiennent qu'aux grands maîtres, qui savent marier la force et la vigueur, à la grande souplesse et à l'extrême douceur.
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Tayeb Saddiki, né le 17 décembre 1938 à Essaouira

Dialectique du clair et de l'obscure, du vide et du plein, où vient s'inscrire la parole du jour et le silence de la nuit. Lettres grandioses au sens énigmatique, descendant du ciel comme une manne ou une foudre, texte illisible où on déchiffre "il n'y a de vainqueur que Dieu". Ecriture fine sur un fond de rigueure géométrique, l'agencement harmonieux de la miniaturisation et de la géométrie en tant que traits fondamentaux de l'art islamique, prend ici une forme inédite, une création qui ne ressemble à nulle autre. Forme voluptueuse, parole infinie; une mémoire se substitue au néant. Théâtralité de la gestuelle, ambiguïté du signe: une alphabet arabe dansant sur une mélodie japonaise. Comme par une espèce de magnétisme invisible, les hommes qui "suivent" la parole divine, les signes aimantés par le nom d'Allah, tout se précipite vers ce foyer de lumière. Les hommes ett leur mémoire s'engouffrent dans le vide. Un vide qui n'est pas un néant, mais l'énergie d'où est né l'univers. De la parole divine est né lemonde, et après sa disparition, son "fana"; restera encore la parole de Dieu. Car elle est supérieure à la parole des hommes; c'est pourquoi elle émerge du tableau comme ces deux initiales "T.H" qui désignent le Prophète: "T.H.Nous ne t'avons pas envoyé le Coran pour te rendre malheureux". Tout commence et tout finit par Dieu; voilà le sens profond de cette calligraphie d'une exécution magistrale où Tayeb saddiki s'affirme, encore une fois, comme un pionnier au Maroc, de la réhabilitation du patrimoine ancien sous une forme nouvelle. Ces dernières années, par amour immodéré pour l'art dramatique, il s'est ingénié à construire le théâtre Mogador à Casablanca.Un théâtre privé ou plutôt "privé de moyens" comme il le dit avec humour.

Abdelkader Mana


[i] Article paru à Maroc-Soir du lundi 15 septembre 1986.

[ii] Boulebtaïn, en arabe et ilmen en berbère dont le pluriel est Bilmawn. Les deux termes signifient « homme vêtu de peaux ». Boujloud ou Bilmawn, ce sont successivement les noms des personnages masqués du carnaval de l'Achoura et de la fête du sacrifice : personnage central de la procession masquée répondant selon les lieux aux noms de Boulebtaïn, Boujloud,Herma, en ville arabophone ou encore de Bilmawn et Bou-Islikhen au Haut-Atlas berbérophone.  Ces processions et mascarades s'intercalent entre le sacrifice et le Nouvel An. Ils sont liés à la fête du sacrifice dans la campagne et à celle de l'Achoura dans les villes. Pour Emile Laoust ces mascarades masquées  constituent les débris de fêtes antiques célébrant le renouveau de la nature, capturée par le calendrier musulman :« Au Maroc, des fêtes carnavalesques d'un genre spécial s'observent partout à l'Aïd el Kébir ; le personnage essentiel s'y montre revêtu de peaux de moutons ou de chèvres. Le Berbère n'aurait - il pas établi un rapport si étroit entre le sacrifice du mouton, ordonné par l'Islam, et la procession carnavalesque d'un personnage vêtu de peaux qu'il aurait vu en ces deux rites, deux épisodes d'une même cérémonie...L'Aïd El Kébir s'est substitué, en Berbérie à une fête similaire qui existait déjà et au cours de laquelle les indigènes sacrifiaient un bélier et se revêtaient de sa dépouille. Si l'on y rappelle que le bélier fut autrefois l'objet d'un culte dont le souvenir s'est conservé tard dans le pays, on voudra peut - être voir dans les mascarades actuellement célébrées à l'Aïd El Kébir, la survivance de pratiques zoolâtriques dont l'origine se perd dans les âges obscures de la préhistoire. »

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Masques et mascarades

Chez les Aït Mizan du Haut Atla, ces peaux sont plaquées à même sur le corps nu du personnage masqué. Celle qui lui couvre les bras est disposée de manière à laisser les sabots pendant au bout des mains. Sa figure noircie à la suie ou avec de la poudre disparaît sous une vieille outre à battre le beurre qui lui sert de masque. Sa tête  est agrémentée de cornes de vache ou coiffée d'une tête de mouton dont les mâchoires écartées par un bout de roseau lui font faire la plus horrible grimace. Une orange garnie d'un bouquet de plumes est souvent piquée à l'extrémité de chaque corne ; des branches de verdure lui couvrent parfois la tête ou les épaules. Enfin deux ou trois colliers, un immense chapelet aux grains fait de coquilles d'escargots, et de puissants attributs de mâle complète l'accoutrement du personnage hideux.  Chez les Jbala on parle plutôt de Ba Cheikh, un vieillard lubrique à la barbe blanche, habillé de « haillons sordides », portant « une peau de bouc en guise de bonnet » et égrenant un chapelet de coquilles d'escargots. Ses organes génitaux sont bien mis en évidence : « une lanière de peau de mouton avec sa laine et deux aubergines entre les jambes, simulant les organes de reproduction ». Telles était les observations qu'avait noté Mouliéras au début du 20ème siècle, à propos de ce qu'il appelle le carnaval djebalien. Il décrit en ces termes les scènes burlesques des masques telles qu'elles se déroulaient devant chaque maison :

« Une fois par an seulement a lieu ce carnaval. Il dure trois jours et coïncide avec la grande Fête des Sacrifices. Le premier jour, les masques se répondent dans les villages, vers midi, et ils commencent leur tournée aumônière, s'arrêtant devant chaque habitation, rééditant invariablement leurs farces après laquelle ils reçoivent ce qu'on veut bien leur donner : du pain, de la viande, des œufs, des poulets, des grains. Inutile d'ajouter que tout le village est à leur trousse, les entourant, les admirant, hurlant de bonheur quand se produit une grivoiserie plus épicée que les autres. »

13:18 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook