16/10/2011
Fête du mouloud à Lalla aziza
Le sanctuaire de lalla Aziza est gardé de toutes parts par la sombre terre des Seksawa. Le ciel à qui lève la tête , n’apparaît que circonscrit par les cimes. Le reflet noir des schistes, l’éclairage venu d’en haut, tempèrent la scène d’une grisaille vibrante. Nous sommes ici en plein centre des Seksawa, à un foyer de rayonnement et d’attraction. Chaque fête du mouloud vient sceller la connivence du groupe et des puissances invisibles. Solidarité collective, rite saisonnier , recourt à l’au – delà se nouent sous le signe d’une héroïne d’historicité précise.
Sacrifice à lalla Aziza
Les Imtdan, fraction Seksawa, se composant de cinq douars, sont les desservants officiels de Lalla Aziza. Ce sont eux qui sont toujours chargé d’acheter le sacrifice de Lalla Aziza. Au Mouloud ils sacrifient une vache et au printemps une cote part d’ovins et de caprins. En effet, au premier jeudi du mois de mars du calendrier julien, ils se rendent en pèlerinage avec leurs enfants à Lalla Aziza. Là aussi, les cinq douars Imtdan font la fête. Selon les années, ils viennent avec trente cinq à cinquante têtes d’ovins et de caprins. Ils les sacrifient et font bombance pendant trois jours sur place. Une fête en partage entre les Imtdan et les habitants de Zinit. La viande est partagée en deux : on consomme une moitié sur place et on ramène l’autre moitié à la maison.On ramène par ailleurs en offrande à lalla Aziza, une cote part de toute la production agricole : maïs, amendes, noix, laine, abricot et figues sèches.
La vache nous l’offrons au Mouloud. C’est moi-même qui l’achète de mes propres deniers. Ce n’est qu’au matin du Mouloud qu’on me rembourse.On amène la vache sur l’ère à battre où les villageois sont bénis. C’est là qu’on se retrouve pour la quête aumônière. Chaque douar donne la somme d’argent qui lui revient. Le surplus par rapport au prix d’achat, je le garde par devers moi, pendant un an jusqu’à cette période. Avec cet argent, j’achète deux nouveaux sacrifices : l’un pour la fête patronale d’Ammern et l’autre pour la fête saisonnière qui ce célèbre avec l’équinoxe d’été.
Quand il n’y a pas d’eau, les Oulad Bou Sbaâ, apportent le sacrifice. C’est en ce lieu qu’ils sacrifient – une affaire de bonne foi – c’est alors que la miséricorde divine descend du ciel, c’est alors que la rivière se remet à couler...
Deux grands sacrifices se célèbrent à Lalla Aziza. L’un s’insère dans un calendrier naturiste déjà ouvert par toutes les perceptions de prémices, et dont il est en quelque sorte l’acte culminant. On l’appelle généralement tigharsiwin, « les immolations », et il a lieu le 15 de yulyuz, le juillet du calendrier julien. L’autre coïncide avec la nativité du Prophète, ce Mouloud dont l’institution au Maroc , et la généralisation systématique par les Mérinides vers le 15ème siècle, envahit peu à peu toute l’Afrique du Nord, et devint le support orthodoxe d’une foule de rites orgiaques.Au Mouloud, la victime est une vache, offerte par les Imt’ddan. Le victimaire est fournit traditionnellement par la famille des aït Baqqa de Tagounit(Imt’ddan). Suit l’interview du victimaire chargé d’acheter la vache.C’est aussi cette taqbilt qui fournit les flagellants.
La procession part d’aval, sous la mosquée, en entonnant une litanie prophétique : « en ton honneur, Moh’ammed ! C’est le Prophète que nous mettons à nôtre tête ! »
La victime est menée, le sacrifiant la tenant par la corne gauche, un poignard nu dans la droite, jusqu’à une aire sous « la maison de Lalla Aziza ». La maison a une cour interne, et une chambre haute ouverte en loggia. Les femmes sont assemblées sur les terrasses avoisinantes. Le tout infiniment bariolé.Des gens armés de triques précèdent de peu la vache. Ils lui font face, hurlant et brandissant bâtons nus ou rameaux d’olivier.
La victime est menée, le sacrifiant la tenant par la corne gauche, un poignard nu dans la droite, jusqu’à une aire sous « la maison de Lalla Aziza »
A l’arrivée de la vache une vieille l’a baisée entre les deux cornes. Dés que le sang jaillit, c’est la ruée : l’un en remplit une bouteille, l’autre s’en barbouille la figure, beaucoup les yeux. Simultanément sont égorgés deux moutons, l’un offert par Asettif, l’autre par Wanchkrir. Le degré de l’émotion, sensible dés le début, devient alors extrême. L’excitation parvient à son comble.
Le victimaire égorge la bête. Si celle- ci se lève dans un sursaut, bon présage. Cris, youyou et confusion parmi laquelle un marabout d’Asttif dit la fath’a , tandis que la victime est écorchée. Elle disparaît sous une grappe hurlante de fidèles qui se précipitent sous les coups pour arracher,à la main ou au couteau, du poile, de la viande.
Le paroxysme effectif résulte évidemment de la violence avec laquelle les fidèles déchiquètent et s’entr’arrachent la victime sous les coups.
La première interprétation, celle du cru, est naturellement rationaliste et pudique : les gens expieraient leurs pêchés par la mortification des coups de bâtons. Mais il est plus exact de mettre ce rite en rapport avec tant d’autres rites agraires comportant luttes ou violence. La flagellation est souvent liée à la notion de bouc émissaire, à rapprocher de cette description de rite égyptien antique :
« À la nuit, des milliers de personnes, armés de bâtons, veillent autour du temple ; les uns veulent empêcher qu’on réintègre dans son naos une statue de dieu...les autres veulent au contraire, faciliter l’entrée du dieu. Les acteurs qui sont sous le portique, refusent l’accès du temple ; la foule accourant au secours du dieu ; les frappe ; ils se défendent ; un violent combat à coups de bâtons s’ensuit, et maintes têtes est fracassée. »
La flagellation est liée aux notions de bouc émissaire et de purification.
Non loin, dans l’Atlas, à Moulay Brahim près d’Asni, une chamelle est pareillement égorgée et dépecée par les fidèles qui s’ent’arrachent sa chaire sous les coups. La tête de l’animal est ravie et disputée à la course par deux partis rivaux.
L’animal, enfin dépecé, est mis à cuire dans les grosses marmites qu’abrite la maison de Lalla Aziza. Dans une pièce attendent, luttées au dessus d’un four sommaire, quatre grosses marmites. C’est là que cuiront les morceaux de la victime.
« La maison de Lalla Aziza ». a une cour interne, et une chambre haute ouverte en loggia
Répartis en fragments, il sera emporté de tout côtés par les assistants. Un seul morceau suffisant pour conférer l’effluve bénéfique à tout le plat.L’aspect communiel que suggère la répartition de viande, éclate ici dans toute sa chaleur. Les Imt’ddan sont les desservants par excellence de lalla Aziza. Chaque foyer lui doit la première panerée de produits agricoles, à l’enlèvement de l’air(céréales) ou du tas(fruit). Ces offrandes prémicielles sont portés en pompe à Z’init’ le premier jeudi de mars ; c’est ce qu’on appelle une çadaqa, mais elle donne aussi lieu, avec les gens de Z’init’, à une tinubga. Les relations entre ces deux groupes sont en effet complexes : relations de coopération religieuses réglés jusque dans le détail. Si les Imt’ddan fournissent la viande pour le banquet, les gens de Z’init’ fournissent le pain. Le fait a même donné lieu à une légende étiologique :
Chacun apporte une barattée de beurre . le pain au blé tendre et à base d’orge est déposé au magasin de la maison de lalla Aziza où a lieu la cuisson de la viande dans des marmittes en terre cuite : la viande est mélangée au barattées de beurre lors de la cuisson. Le gras est recherché pour faire face au frimas de la haute montagne mais sans risque pour la santé pour des gens habituer à tout brûler en escaladant quotidiennement des pentes abruptes....
Au cours d’une expédition en haut Guedmiwa, les Seksawa se trouvèrent un jour en péril. Encerclés par l’adversaire, ils ne pouvaient plus espérer de secours. L’un d’eux eut l’idée de vouer à Lalla Aziza, pou le cas où il réchapperait, une rente de deux pains au jour du sacrifice. Aussitôt une nuée profonde, accompagnée d’averses et de tonnerre, se jeta entre les combattants, et abrita la fuite des Seksawa. C’est la raison pour laquelle les gens de Z’init’, le jour du sacrifice, donnent désormais 24 pains chacun, au lieu de 22 comme devant. Rythme et phases du sacré : ces renouements périodiques marqués par bombances, pompes, et sacrifices.
Ce nom de Z’init’ est curieux. On l’explique localement par un impératif, « se quereller, se disputer ». Il y a deux querelles dans la liturgie de la sainte : une querelle légendaire autour de son corps, selon un thème hagiologique courant ; et les coups prodigués au sacrifice du Mouloud.
Symbole d'abondante et de prospèrité pastorale,du beurre et de la viande à profusion
A "la maison de Lalla Aziza" ce sont les hommes qui s'occupent de la cuisson et de la répartition
Malgré l’atmosphère de transe, un schème cultuel se laisse, on l’a vu, reconnaître. Il appartient à une famille des Imt’ddan, si proche de la sainte, à qui ils attribuent, entre autres miracles la répartition des sources entre leurs villages.En somme le Mouloud de Z’init’ ressortit, avec une netteté et une richesse exceptionnelle à ces rites par lesquels les sociétés rurales opèrent une série ininterrompue de concentrations et de diffusions du sacré, dans le but d’assurer la continuation de la vie des choses, et de serrer les rapports de cette vie avec celle du groupe. Le patronage du Prophète justifiant , dans une intense débauche extatique, un vieux rite à la fois agraire, expiatoire et communiel.
L’animal, enfin dépecé, est mis à cuire dans les grosses marmites qu’abrite la maison de Lalla Aziza. Dans une pièce attendent, luttées au dessus d’un four sommaire, quatre grosses marmites. C’est là que cuiront les morceaux de la victime.
Répartis en fragments, il sera emporté de tout côtés par les assistants. Un seul morceau suffisant pour conférer l’effluve bénéfique à tout le plat.
L’aspect communiel que suggère la répartition de viande, éclate ici dans toute sa chaleur.
La dispute du Mouloud est mise en rapport, avec le nom même du lieu : Z’init’ qui veut dire « querellez vous ». Le rite lui-même n’est qu’un commentaire liturgique du nom. Si l’on met en relation un trait légendaire, celui de la rivalité pour le corps de la sainte, avec un trait rituel, la dispute pour le corps dela victime, une possibilité d’assimilation, toute classique, entre l’un est l’autre corps, vient à l’esprit. Cela entraînerait l’explication dans une atmosphère très antique. Elle aura le mérite d’achever de déployer les virtualités du rite, et son ample résonance religieuse, d’une richesse inusité au Maghreb.
Visitant les Seksawa au premier quart du 16ème siècle Léon l’Africain écrit :
« Secsiya est une montagne fort sauvage, haute et revêtue de grands boys, là où sourdent plusieurs fontaines, et pleins de neiges, au moyen de quoy la froidure n’y fault jamais : et ont coutume les habitants d’icelle de porter en la teste certaines perruques blanches. Là prend son origine la fleuve Assifilmal où se trouvent plusieurs cavernes larges et profondes où ils ont coutume de tenir leur bétail trois mois de l’années, qui sont novembre, décembre et janvier, avec du foin, quelques feuilles et ramées de grands arbres. S’ils veulent avoir des vivres, il faut qu’ils en pourchassent aux autres prochaines montagnes, pour ce que cette ci ne produit aucune chose. En la saison de primevère , ils ont du lait et beurre et fromage, et sont gens qui vivent longuement, parvenant jusqu’à l’âge de quatre – vingt et cent ans, avec une vieillesse robuste et totalement délivrée des mille et mille incommodités qui accompagnent les anciens, et jusqu’à tant que la mort les vienne surprendre, ils ne cessent de suivre les troupeaux des bêtes sans jamais voir passer, ni avoir la connaissance de personne que ce soit. Ils ne portent jamais de souliers, mais seulement quelque chose sous le pied qui les garde de l’âpreté et rudesse des pierres et graviers, avec certaines pièces entortillées autour de la jambe et gros bourres qui défendent de la neige. »
La première mention des Seksawa remonte à l’époque Almohade(12ème siècle), qui est la grande expansion mystique et guerrière des berbères du Haut Atlas. Il s’agit d’un haut lieu des Masmoda qui s’étend au pied du mont Tichka. Le nom du plateau de Tichka se ramène, comme le pense E. Laoust, au sens de « haut pâturage de montagne, alpage » . Le Tichka se compose d’une série de plateaux, de plans étagés et échelonnés : le N’fis, l’Assif el Mal, le Seksawa, naissent de ces paliers. Au dessus du dernier village Seksawa, Targa Ufella(la rigole suprême), les ravins charrient d’énormes blocs d’un classique granite, dit de « pierre du Tichka »(azrû-n’Tichka), et que l’on emploi à la fabrication des meules. L’éboulis se reconnaît jusqu’au bas du village d’Alus.
De ces hauts pâquis, la propriété éminente a été reconnue aux Seksawa. Ce sont eux qui ouvrent la campagne de pacage. Ce haut lieu géographique et pastoral est aussi un haut lieu de l’histoire berbère, à mettre en rapport avec les fastes Almohades. Pour Robert Montagne « le cœur dela Berbérie, ne bât donc pas à Tinmel. C’est au Tichka, dans la sainte vallée de lalla Aziza, ou encore dans les hauts villages perdus des Ida Ou Msatog, que des hommes courageux, aidés par le génie de l’adrar n’deren, ont veillé, jusqu’à ces dernières années, à sauvegarder le patrimoine berbère. »
Les gens de Zinit ont plusieurs types d’Ahouach. Car on y vient aussi bien des tribus qui rythment leur Ahouach à la main que des tribus qui rythment le leur au tambour.Nous avons l’Ahouach d’Assif ou Gadir. Nous avons l’Ahouach d’Aghbar. Et nous avons notre propre Ahouach de Lalla Aziza. En plus, nous avons Hammouda des Oulad Bou Sbaâ. C’est que nous recevons des variétés d’Ahouach à Lalla Aziza. Nous leur empreintons des séquences que nous exécutons par la suite.
C’est vers 1125, qu’Ibn Toumert s’installe à Tinmel, à une journée de marche au Nord – Est de Tichka. L’hégémonie des Almohades ne s’est guère soutenue qu’un demi siècle(1163-1213). Pendant un autre demi siècle, les mérinides leur disputent le Maroc, et finissent par leur arracher Marrakech(1269).
Près de cent ans après, vers le milieu du XIVème siècle, un homme de lettre hispano - musulman, vizir déchu, visite l’Atlas. C’est l’illustre « voix de la religion », lisân ad-Dîn Ibn Al Khatîb. Il va chez un émir des Hintata. Voici le témoignage du voyageur sur la montagne, au lendemain de l’épopée Almohade :
« Ces montagnes aux fiers cimes, qui ne cèdent qu’à la majesté de Dieu, et qui furent le siège de la doctrine unitaire... « Je ne crois pas » s’écrie – t – il , « que les fleurs de l’esprit pussent ainsi jaillir des roches ». Mais la montagne « est vaincue sans blessure : elle a accepté les ravages du feu,mais non la honte... »
Ces vers, ces émotions vous reportent sept siècles en arrière. Et ces lointaines impressions rejoignent celles qu’inspirent encore le haut atlas : majesté du cadre, nostalgie d’un grand passé, regret sur le gaspillage insensé que fit l’histoire des hommes au « visage de lion », devenu « cette armée nombreuse à l’abandon », dont les plus valeureux sont condamnés à l’inaction et à la défaite. »
L’impression d’Ibn Al Khatib servira de préambule à l’histoire de ce que l’on peut appeler, le grand siècle des Seksawa.On pense à l’opposition plaine/montagne. Siksawa/Chichaoua, toujours est-il que l’appartenance berbère initiale des Chichaoua est hors de doute, et que selon les historiens musulmans, il s’agit d’une ville masmodienne au même titre qu’Aghmat.Par un hasard pour nous providentiel, les Seksawa ont trouvé leur grand historien, en Ibn Khaldoune :
« De tous les peuples Kanfîsa, le plus grand des groupements masmodiens, les Seksawa sont les plus amples. Les autres s’étaient épuisés pour le régime, à soutenir sa cause et à nouer son allégeance. Ils y avaient gaspiller les hommes, tout comme avait fait pour le leur les nations passées. Cependant les Seksawa se faisaient une place et grandissaient en nombre et ascendant parmi les Almohades. Mais de génie bédouin, ils ne leur empruntèrent pas leur luxe, non plus qu’ils ne contractèrent leurs facilités.
Le massif qu’ils habitent fait partie du Deran . C’en est le dôme et le faîte. Il leur offre le refuge d’un château, sans pareil, hauteur aérienne, cime vertigineuse. Il touche de la main les planètes, ordonne les constellations sur son axe, reçoit dans ses pans, le choc des nuées, donne asile en ses airs à la furie des vents, à vue de ses crêtes surla Verte– Mer, recueille de son ouïe les propos du ciel, refoule de son dos le désert, hors du Sous, berce en son sein le reste de la chaîne.
Quant à la chute des Almohades, les Mérinides eurent réduit les Masmoda, ils leur infligèrent un système d’avanie telle que de leur imposer taille et tributs. Mais tan disque les autres s’humiliaient devant la puissance, voir lui prêter la main de la soumission, nos Seksawa se retranchèrent dans leur nid d’aigle inexpugnable, qui leur permet de narguer les vainqueurs. Ils ne se commirent pas à leur service, et ne répondirent ordinairement à leurs prétentions que par révoltes et dédain. Si une troupe leur venait sus, et commença à les presser, ils s’en débarrassent par une soumission protocolaire et des cadeaux de bon vouloir.
Aït H’ adduyws : des « fils de Roi »
Leur chef, au plus loin que l’on puisse remonter, fut à la chute des mérinides, Haddo Ben Yousef, mémorable par l’absolutisme et le mordant. Il mourut en 1282 sous le règne de Yaqûb Ben Abd-el Haq(1269-1286). Son fils Amir – le santon actuel- marcha sur ses traces. On l’appelait Aguellid, c'est-à-dire Sultan en leur langue. Il lutta contre les rois mérinides, bien au large de son hallier et du haut de son nid d’aigle, se tint en rébellion. Des soldats de Youssef Ben Yaâkoub(1286-1307) et de son frère Abou Saïd((1310-1321), l’investirent sans venir à bout de lui.
Féru de science, sa mémoire entassait livres et recueils. Il pouvait réciter des chapitres entiers de droit et savait par cœur, dit-on,la Mudawana, entre autre. Amateur de philosophie, il en lisait des traités et en poursuivait les applications, en Alchimie, magie littérale ou opératoire. Curieux de législations antiques et de livres révélés, y comprisla Bible, il tenait séances avec des docteurs juifs au point de faire douter de sa confession, et d’être taxé du désir d’abjurer.
Le Sultan Abû Al Hassan(1331 – 1351), une fois libéré de ses ennuis avec son frère Omar, quand se furent calmer la crise du Maghreb et le désordre des provinces, lui lança une armée sur son refuge, tandis qu’il occupait militairement sa plaine et le coupait sur ses arrières des arabes du Sous, vaincus, soumis et dissociés à l’aide de gouverneurs et de postes, Abdellah dut alors recourir à une soumission protocolaire, et donner son fils en otage. Il souscrivit au don d’hommage et à un échange de présents. Cela lui fut accordé, avec, par surcroît, le visage de la faveur. »
C’est « au bout du monde » qu’on se sent lorsqu’on est parvenu au dernier palier de la dernière impasse, au flanc même du Tichka. C’est le pays de « la séguia suprême », dont l’escarpement , entaillé dans le granit du vieux massif, vous mène en plein ciel, au pâquis silencieux du Tichka. Six mois de l’année, de novembre à mars, la neige le recouvre. Pendant les longs mois de l’hiver, les troupeaux du haut Seksawa transhument en plaine chez les arabes Ud Bessebâ. Outre le mouton, la richesse de ces vallées est le noyer, dont les feillages odorants, à partir de mai, font de chaque ravine un couloir de verte pénombre, en contraste violent avec les reliefs alentour, dévorés de soleil ou de frimat.
De ce belvédère le panorama est immense : Taroudant d’un côté, la plaine de Chichaoua de l’autre, la vallée se referme sur mur : le rebord du Tichka. La branche principale de la vallée descend vers le Seksawwa. Ses flancs sont parsemés de peuplement d’ « opuntia » Aknari, toujours ici associé à d’anciens habitats humains. La vallée s’ouvre en creux de plus en plus large sur un « entre-deux-torrents », là commence le pays de Aït H’adduyws. Le moindre des sommets qui l’enserrent, dépassent les 3000 mètres. Au pied du voyageur, le village d’Iguersafen « entre deux rivières » forme comme le centre d’un croissant fertile. La vallée s’épanouit en esplanades plus amples qu’on en rencontrera dans tout les reste du pays Seksawa. Le cirque est vaste. L’habitat monte jusqu’à 1950 m. d’altitude, la plus haute agglomération des Seksawa. Les cultures s’échelonnent de part et d’autre d’une rue de noyers. Au centre une coupole, celle d’un saint éponyme, ce Haddou Ou Youssef dont descendrait la taqbilt. Youssef serait le propre fils d’Ibn Tachfine l’almoravie. Belle invraisemblance qui camoufle l’histoire Almohade de cette partie de la montagne.
A propos de la poésie chorale comme document, Jacques Berque écrit :
Peut-être qu’à tout prendre, telles images, tels chants descendent plus profond qu’une étude bien déduite dans l’intimité des êtres et des choses. Toute cette réalité de l’atlas nous arrive en effet précédée, et peut-être soutenu de chants. D’où l’intérêt de rétablir le fond sonore si puissant de cette vie. Certes, chez les Seksawa, nous sommes dans le domaine chleuh, et la langue, la facture comme l’inspiration répètent ce qu’à travers Justinard nous entrevoyons de ce lyrisme à la fois étroit et délivré. Un souffle anthologique et familier y règne, exhalant un mince cri de cigale. Mais parfois quelque chose de plus fort y passe : l’accent d’une vieille culture communautaire, lente à mourir.
Ici , c’est plutôt l’âcreté et la ruse qui s’expriment et une conscience qui ne cille jamais, malicieuse ou virulente dans l’épigramme, équivoque dans l’éloge, toujours en éveil. Le chœur est le journaliste de cette société. Mais comment arrive-t-il qu’une matière aussi sèche se transforme en soudaine alchimie de fraîcheur ? Ce peuple compliqué et charmant rejette toute irresponsabilité,, fût-elle celle de l’aède, et maintient à la réalité amère une fidélité maligne dont le miracle est qu’elle sache devenir chant.
Cette poésie a ses inspirés, qui combinent la transe lyrique avec la précision du publiciste. Elle est, selon une expression familière, « la science des tripes »,’Ilm l-krucha. Une hiérarchie règne entre les poètes, les Ined’d’amen, selon leur plus ou moins de bonheur à improviser des sentences et équilibrer des rythmes. Certains privilégiés ont du vates l’aptitude mystérieuse à sentir les choses cachées, prévoir l’avenir. A un degré inférieur, le simple choryphée, rraïs, maître de la danse, animateur du jeu, l’inventeur de phrases dont quelques – unes deviendront célèbres. Plus bas encore, l’improvisateur de circonstance dont la voix propose au chœur un thème que tout l’ensemble reprendra. C’est là le genre dit de l’amarg . Une grande place dans cette poésie est occupée par l’actualité, sous forme de satire ou de panégyrique, tazzrart, plur. Tizrarin. Une affabulation peut intervenir, et c’est alors la légende romancée, ou le conte, lqiççt.
Dans ce dernier cas, on est arrivé à la récitation, ou plutôt à la psalmodie individuelle. Mais la plupart du temps, la figure et l’organe de cette poésie restent collectifs. C’est l’ah’wch, qui est avant tout une danse communale. Intensifier la vie du groupe, l’associer par le rythme à quelque circonstance importante, frairie, alliance, mariage etc., tel est son but, son occasion. Ce caractère social, laïc et courtois, , l’oppose par exemple aux danses extatiques de certaines confréries. Mais les gestes y sont les mêmes, et aussi l’exaltation qu’ils provoquent. Malgré un point de départ différent, une certaine compénétration de ces deux ordres de manifestations s’entrevoit.
Essentiellement l’ah’wach, consiste en un mouvement d’ensemble des hommes en ligne, accompagnés de dandinement rythmé d’avant en arrière, de pas simples et de battement de paumes. Un récitatif alterne avec le bruit incroyablement sec et nerveux de ces mains et de ces pieds.
Dans une forme plus riche, l’assga, il y a échange de dicts et de répons entre deux demi – chœurs d’hommes et de femmes. Car évidemment les femmes sont de la fête. Elles ne sont jamais absente de quoi que ce soit de cette vie municipale. Le blanc des jupes, le rouge des foulards et des ceintures, les frontons des pièces d’argent cliquetantes sur visages et poitrines animent la pénombre verte de l’asaïs, sous les gigantesques noyers.
Enfin dans plusieurs cantons d’un quadrilatère très défini : a.Châib et a.Bkhey, en Damsira, a.H’adduyws en Seksawa, gens de l’aghbar en haut Gedmiwa, la danse par excellence prend une forme particulière. C’est une pyrrhique, dite des tiskiwin, c'est-à-dire, si l’on veut, « des cornes à poudre », ou, plus subtilement, comme le veulent quelques uns, une danse du bélier, à souvenir rituel.Abdelkader Mana
17:05 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : haut-atlas, musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
23/06/2011
Folk
L'héritage de NASS EL GHIWANE
Omar Sayyed et Amina Aoucharihrai, directrice de l'IURS
Le mardi 21 juin 2011, journée mondiale de la musique, l'Institut Universitaire de la Recherche Scientifique, Madinat El Irfane, Rabat; là où Abdélkébir khatibi avait ses bureaux, a consacré une journée d'étude à "la chansson contestataire au Maroc:l'héritage de Nass el Ghiwan", en présence de Omar Sayed, l'un des membres fondateur du groupe folk mythique...
Dans leur argumentaire, les organisateurs écrivent: les années 1970 ont vu naître un nouveau style musical dans un contexte de crise politique et sociale aggravée par de graves atteintes aux droits de l'homme, conjoncture baptisée depuis "années de braise" ou "années de plomb". Le chant des Ghiwane est alors apparu comme un cri , une réaction populaire qui exprime les aspirations de l'indiidu souffrant qui défend ses droits et sa liberté. Cette chanson contestataire qui, prêche le changement, devient rapidement populaire et s'impose même comme culture identitaire. Depuis la fin des années quatre vingt - dix et surtout au cours de la première décennie du XXI ème siècle, dans un contexte caractérisé par la transition démocratique, des jeunes artistes ont repris le flambeau de la contestattion , exigent l'élargissement des libertés et aspirent à l'emergeance d'une société nouvelle. Quel fil relie la chanson contestataire des années soixante-dix à celle d'aujourd'hui? LA achanson contestataire de ce début du 21 ème siècle se situe-t-elle dans le prolongement de la chanson des Ghiwan? Celle-ci a-t-elle était la matrice où se sont forgés les nouveaux styles musicaux? Quelle est l'influence musicale , poétique , thématique des Ghiwane sur la chanson actuelle?
Avec le mouvement musical né à la fin des années 90, défini comme "underground", "engagé", puis rapidement baptisé "Nayda", la chanson contestataire au Maroc semble se développer d'une nouvelle manière. Des dizaine de groupes de fusion, de rap et de hip-hop, qui disent s'inspirer autant de "Bob Marley" que des "Nass el Ghiwane", chantent la corruption , la pauvreté, et dénoncent le système injuste et inégalitaire.Les textes des groupes ou chanteurs de la nouvelle scène ont souvent un contenu social large, avec des sujets portant sur les injustices sociales comme la corruption, les violences policières, la hogra, le hrig etc.
Si les textes des Ghiwan qui s'appuient sur une "darija épicée" sont très elliptiques; les textes de rapp ont souvent été présentés comme de "la langue de rue" qui a néanmoins une portée poétique. La dernière chanson du groupe Hoba Hoba Spirit reprend un poème en arabe fusha du poète tunisien Abou el kacem Chabbi pour témoigner de leur adhésion aux idées du 20 février.
A la manière des poèmes émouvants de Larbi Batma de Nass el Ghiwan, les texte de la NAYDA sont crus, simples et beaux. Ils sont exprimés également en darija comme ce texte de Muslim Machi intitulé "Ana li khtart" (c'est moi qui a choisi):
Chnou qimt lward melli yedbel?
Chnou qimt el ard bla jbal?
Chnou qimt sahra bla rmel?
Chnou qimt nahla bla âssal?
Chnou qimt bnadem bla âqel?
Chnou qimt lqalbila khâl?
Hît ila l'warda n'btat farawda
Ghatmout barda bin chouk
Que valent les fleurs quand elles se fanent?
Que vaut la terre sans montagne?
Que vaut le désert sans sable?
Que vaut l'abeille sans miel?
Que vaut l'homme sans esprit?
Que vaut le coeur s'il noircit?
Parce que si la rose fleurit dans un cimetière,
Elle mourra froide au milieu des épines.
Pour sa part, le rappeur Bigg, décrit ainsi la déchéance dans "daret"(elle a tournée) :
Chta baqa katsob wana chad rokna
Lgarro li âmri ma kmitou walla hdaya m'rakken
Riht lmout wallat fiya chadda sokna
Natlob Allah aymta laqbar ijmaâni man had ddel.
Galex jiân b'hâl lmajhoum ma kitsanna gha lmoute
La pluie continue à tomber et je tiens le coin
La cigarette que je n'avais jamais fumé est là à côté de moi
L'odeur de la mort a commencé à m'habiter
Je demande à Dieu quand la mort me délivrera de cette indignité?
Assi affamé comme un chien bâtard, je n'attend plus que la mort
(ces textes sont cités dans la communication de Dominique Caubet intitulée "la Nayda par ses textes)
Une journée de la musique et de la parole social libéréé. Une journée du souvenirs aussi,où Omar Sayyed était le seul a représenté le groupe mythique disparu : j'ai beau dit -il répéter un peu partout que feu Boujmiî était mort d'un ulcère, je n'arrivais jamais à arrêter la rumeure qui veut qu'il était mort parce qu'il chantait des poèmes contestataires....
Reportage d'Abdelkader Mana
Rabat, le mardi 21 Juin 2011
20:50 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
07/06/2011
Le mouvement folk berbère
LES JIL ET LA MUSIQUE FOLK
"MASRAH ENNAS" de Tayeb Saddiki,à l'origine du mouvement folk au Maroc
On appelle FOLK au Maroc, les groupes qui existent depuis 1970. Sur la scène internationale des jeunes, le terme FOLK a désigné depuis les années 1960 un mouvement mondial de retour aux sources. Contre la musique commerciale, les jeunes sont partis à la recherche des traditions pour y puiser de nouvelles inspirations. C’était souvent un mouvement écologique et politique. Au Maroc, ce mouvement est issu du nouveau théâtre de la fête (ihtifalia) dans lequel la chanson (malhûn notamment) occupait une place importante. Deux groupes ont alors ouvert cette voie : NASS AL GHIOUAN et JIL JILALA . Ils ont eu partout des imitateurs au Maroc. Depuis 1980, moment du déclin de ce mouvement, le ministère de la jeunesse et des sports encourage les groupes Folk locaux amateurs. En 1980 il a organisé à Rabat le premier festival national de la musique Folk.
Maâlem Gnaoui, PAKA fera successivement partie des mythique groupes folk de Nass el Ghiwan et de Jil Jilala
Ces groupes étaient apparus au théâtre Tayeb Saddiki a Casablanca en pleine période hippie a Essaouira où Paka était le premier à sortir la "tbiga"(autel des Mlouk, des esprits) de la zaouïa des Gnaoua pour organiser une lila avec sacrifice pour le living theater en bordure de mer dans une villa des coopérants français. Ces groupes étaient apparus au Maroc au moment où y faisaient un tabac , dans le sillage du mouvement hippie, les Roling Stone, Bob Dylan, les Beeteals et Elvis Preley . Ce métissage musical se manifestera plus clairement encore avec le festival des "Gnaoua et musique du monde", où on assistera a une fusion entre la musique de "la religion des esclaves" et les musiques venues d'ailleurs....
Apparus dans les années 1970, deux groupes mythiques folk ont fait partout des émules au Maroc: Jil Jilala et Nass El Ghiouane. Il y avait aussi les Izenzarnes pour le monde berbère. Le succès de ces groupes folk auprès de la jeunesse vient de la modernisation du chant traditionnel que ce soit le malhum pour Nass El ghiouane et Jil Jilala, ou le chant des trouveurs chleuhs pour les Izenzaren et les Oudaden berbères: Introduction de nouveaux instruments de musique(banjo, guitare électrique, tam-tam) ou réutilisation de la musique et du répertoire des confrérie (guenbri des Gnaoua, Herraz des Hamadcha et des Haddaoua etc.), dans un contexte moderne: utilisation de la scène avec micro et projecteurs, chevelure en bataille et Jean troué a la manière des groupes Rock, préférence pour les thèmes chers à la jeunesse :révoltée contre les injustices, remise en cause des pesanteurs normatives. Chant en position debout avec des intonations modernes aux accents de Rockers. ..
Les groupes folks Berbères
Belaid Akkaf : guitare acoustique, piano, oud, percussion
Dès les années 70, il participe à un tournant décisif de la musique berbère avec le groupe Ousmane en interprétant pour la première fois le répertoire traditionnel avec des instruments modernes.Devenu depuis professeur renommé, chercheur à l'Institut Royal pour la Culture Amazighe du Maroc, compositeur de musique de film maintes fois primé, Belaïd Akkaf a multiplié les expériences musicales.
Le groupe OUSMAN
Dans les années 1970, Ammouri M’barek, est l’un des fondateurs Ousman, groupe pionnier qui a fortement influencé tous les groupes folk berbères de Sous. Pratiquant depuis toujours la musique en autodidacte, il est représentatif de ces artistes berbères qui mélangent avec bonheur tradition et modernité. En France, il a beaucoup travaillé avec les associations kabyles: « Mon expérience artistique a débuté à Taroudant par la création du groupe âssafîr (les birds en anglais) et un deuxième groupe que nous avons appelé « Sous 5 », par référence au nombre de musiciens qui le composent .C’est de là qu’est née à Rabat l’expérience d’ Ousman, en 1975-76. Le mérite de la fondation de ce groupe revient à Brahim Akhyat, qui militait déjà pour la reconnaissance des droits culturels et linguistiques des Amazighes. Je l’avais rencontré lors d’un mariage à Tiznit. Par la suite à Rabat en compagnie de Belaïd el âkkaf, qui est parmi nous et qui est membre de l’IRCAM. Le but du groupe était de se mettre au service du patrimoine amazigh. Il s’agissait de sauvegarder l’authenticité tout en s’ouvrant sur la modernité. Le groupe Ousman chantait le répertoire de poètes amazighs engagés tel, Akhyat, Mestaoui ou Amarir. Les instruments étaient modernes mais le contenu traditionnel. Le style était nouveau et plaisait à la jeunesse. L’expérience du groupe avait permis de dépasser le complexe d’infériorité dont souffrait l’amazighité. Notre premier 45 tours, Taguendawt, s’est diffusé si rapidement que les passants nous arrêtaient pour nous dire combien ils étaient fiers de nous et de leurs racines amazighes. Chose qui n’existait pas auparavant : on n’entendait pas de musique amazighes dans les cafés et on ne parlait pas amazigh dans les administrations. Le groupe Ousman a contribué à dénouer le complexe d’infériorité dont souffrait l’amazighité. Notre groupe avait des principes et une vision. On avait un projet culturel et linguistique. Un projet artistique et moderniste. On s’est inspiré de la musique et des rythmes traditionnels. Notre départ eu lieu à partir de Sous en tant que terroir amazigh. Nous avons fait des essais pour chanter dans les autres dialectes amazighs du Moyen Atlas et du Rif. Il s’agissait de soustraire la chanson amazighe d’une certaine léthargie, de son repliement sur elle-même : il fallait s’ouvrir, s’oxygéner, sans pour autant délaisser le chant et la danse traditionnels. Le but étant la sauvegarde des danses et des chorégraphies traditionnelles. Il ne faut rien toucher à ce legs ancestral, cette expression millénaires d’un peuple et d’une civilisation. Une histoire profonde et riche. Il n’y a pas longtemps j’ai rencontré des jeunes de Ouarzazate qui m’ont émerveillé en créant une troupe de danse traditionnelle de cette région. Mais il faut que les ministères de la culture et du tourisme mettent la main à la patte pour aider ces groupes. Car sans subventions, demain ou après demain on vous dira que la danse des Houara a disparue. On peut dire autant de la Daqqa de Taroudant, ou encore d’ ahidus , Taqtouqa Jabaliya, ou encore la danse de la gadra au Sahara. Une attention toute particulière doit être accordé à cet aspect du patrimoine.
Notre groupe a survécu. Il nous est arrivé la même chose que Tarek Ibn Ziyad qui avait préféré lors de sa traversée du détroit de Gibraltar brûlé tous ses voiliers plutôt que d’avoir à revenir en arrière. Toutes les portes ne nous étaient pas ouvertes, tous les domaines ne nous étaient pas faciles d’accès : c’est notre foi en notre mission, en notre message et en notre rêve, qui nous a permis de survivre. Cette foi vient de notre engagement vis-à-vis de notre public. Il faut permettre à nos artistes d’accéder avec équité aux médias publics. Sans clientélisme ni casting préalable. Car un artiste est artiste à la naissance. Il ne doit pas passer par les médias pour ses beaux yeux ou ses beaux cheveux. La sélection se fait d’elle –même : celui qui a des choses à dire reste et celui qui n’a rien à dire disparaît.
Je n’apparais pas à la télévision et je ne participe pas aux festivals parce que je suis marginalisé. Les producteurs sont tous des commerçants qui cherchent d’abord ce qui est en vogue. Ils ne cherchent pas l’art pour l’art. Nous n’avons pas de véritables producteurs : ce sont d’anciens marchands de fruits et légumes qui se sont brusquement convertis en producteur de cassettes. Timitar est un beau nom. Il signifie « signes et symboles » en berbère. Le slogan du festival Timitar est « les artistes amazighes accueillent les artistes du monde ». Il faut l’inversent : « les artistes du monde accueillent les artistes amazighes chez eux ! ». Il faut y ajouter le concert de la tolérance. De quelle tolérance s’agit-il ? Alors qu’on n’invite personne d’ici ! On invite 0,05 de participation autochtone. Et on te parle de tolérance ! Pourquoi ne pas faire découvrir au grand public les Rways d’ici ? Pour faire découvrir aux jeunes les anciens talents. Il ne faut pas faire de l’actuelle chaîne amazighe une sorte de « réserve d’indiens ». Il faut que la chanson amazighe soit diffusée par toutes les chaînes. Il ne faut pas la limité à une sorte de réserve. Il faut que la chanson amazighe soit présente sur toutes les chaînes.
Les Izenzaren
Le 10 janvier 2011, dans le cadre d’une mission de l’UNESCO , sur les musiques et les danses au Maroc, j’ai rencontré Mohamed Bayri l’un des principaux fondateurs du groupe Izenzaren en 1974. Il a cessé de produire, il y a de cela une vingtaine d’années et vit et travaille actuellement à Inezegan en tant que gérant d’un cyber qui porte le nom de « tayought » (la vague en berbère). Le groupe existe encore et serait en train de préparer un nouvel album qui verra le jour en 2011. L’absence des Izenzaren est due au fait que chacun des membres du groupe était obligé de chercher son gagne pain ailleurs que dans la musique. L’âge a également joué : les membres du groupe sont maintenant des octogénaires. Ils ont servi de modèle aux groupes folk berbères qui restent très actifs dans le Sous tel le groupe Izem de Dchaïra ou le groupe Imazzal . Il y a même des groupes d’ Amerg – fusion, genre qui utilise la poésie berbère mais dont l’orchestration est entièrement calquée sur le modèle des Rocks de cabarets et de boites de nuit ou le seul instrument traditionnel qui subsiste est le fameux Rebab des Rways. Le chanteur Ali Faïq est représentatif de cette nouvelle vague. Le groupe folk des Oudaden fait aussi parler de lui : son style différent de celui des Izenzaren. Maintenant, les jeunes pratiquent le Rap et hip – hop.
Laqdam, premier groupe folk de Sous
Mohamed Bayri. ce natif d’ Inezgan en 1957 , nous relate la naissance du mouvement folk berbère en ces termes :
« Au sein du groupe Izenzaren, j’étais percussionniste : joueur de tambourin (bandir) .Auparavant je faisais partie du groupe « laqdam » (cadeau de mariage en berbère). C’est le groupe fondateur du mouvement folk dans le Sous. Nous avons fondé ce groupe en 1972. Au mois de mars 1975, le groupe de « laqdam » a été remplacé par les Izenzaren, mot qui signifie « rayons de soleil » en berbère. Cette appellation dérive d’un poème qu’on chantait alors : « artalla tafoukt mou izenzaren f’wayour ayli ghtamans »( le soleil aux rayons dorés pleure pour que la lune soit à ses côtés). C’est à partir de ce vers que nous avons pris ce nom d’Izenzar. Le groupe a été lancé en 1975. Certaines chansons sont empruntées au patrimoine des trouveurs chleuhs mais la plupart des chansons ont été produites par Hanafi, parolier du groupe. Notre versification s’apparente à la poésie libre et n’obéit pas à la métrique de la poésie des trouveurs chleuhs traditionnels qu’on appelle les Rways. Ces derniers se réfèrent à la versification traditionnelle dite de Sidi Hammou. Les Izenzaren adoptent un nouveau style avec de nouveaux rythmes et une versification plus libre. Les années 1970, ont été marquées par la naissance du mouvement folk de Nass el ghiwan et par le mouvement hippie. Les Bétels, Carlos Santana et les Ping Floyd, nous ont aussi influencés…Le théâtre du dramaturge Tayeb Saddiki qui a donné naissance à Nass El Ghiouan et Jil Jilala, nous a également influencé. Il y avait aussi l’influence du genre qu’on appelle dans le Sous « lahdart ou sarag” (l’amusement du patio) : quand la troupe des Rways termine son numéro, on aborde l’ahouach,puis le pré- théâtre chanté appelé « lahdart ou saïs ». C’est un chant semblable au Bsat que chante la troupe de théâtre de tayeb Saddiki. C’est une troupe qu’on appelle Aït lamzar qui pratique dans le Sous ce genre d’incantations chantée qu’on appelle « lahdart ou sarag ». Compétition chantée sous forme d’opérette. Pré – théâtre chanté qu’on pratique à la kasbah Tahar à quatre ou cinq kilomètres au nord d’Aït Melloul. Nous n’aurions pas pu nous inspirer de leur style s’il n’y avait pas le phénomène de Nass el Ghiwan. Nous avons repris en quelque sorte ce « Bsat de Sous ».Nous imitions alors Nass el GHIWAN et Jil Jiala au point de chanter en arabe. Notre parolier a repris ces paroles de Nass el ghiwan : « goulou lakhlili ila mchit bellil » (dites à mon bien aimé que je suis parti de nuit) dont il a imité le rythme mais en utilisant cette version berbère : laqdaminou katiwigh nakkin ar darun laqdaminou katiwigh nakkin at hennagh » (mes présents je vous les apporte ; mes présents, je vous les offre pour m’apaiser). On a chanté ces paroles berbères sur les rythmes de Nass el Ghiwan. . C’est ainsi que nous avons commencé à chanter en berbère. C’est par ces chants qu’avait débuté le groupe Izenzaren. Au festival des arts populaires qui s’est tenu à Agadir en 1974, on était le seul groupe a chanter en amazighe. Au vu de notre tenue vestimentaire, pantalon blanc, chemise noire, gilet rouge, chevelure en boucle et en bataille, les organisateurs ont cru que nous allions chanter Nass el Ghiouan, mais furent pris de court quand nous leur avons affirmer que nous allons chanter en berbère. Quand nous sommes montés sur scène, le public s’est mis à nous huer croyant que nous sommes des Rways d’Inezeggan. A l’époque l’art des Rways stagnait véritablement. Mais quand le rideau s’est levé le public était agréablement surpris par la modernité du groupe. Au bout de la troisième chanson le public s’est enflammé et s’est mis à réclamer davantage de ce nouveau répertoire qui répond mieux à ces attentes. »
Izenzaren Laqdam
. Les Izenzaren qui ont connu l’apogée de leur carrière dans les années 1980, sont toujours populaire et ont un public de toutes les catégories sociales et classes d’âges
O U D A D E N
Membre du groupe folk « Oudaden »(les mouflons en berbère), Mohamed Jmoumakh est né en 1960 à Ben Sergao, commune d’Agadir issue de l’exode rurale. Par sa beauté mais aussi par son endurance, le mouflon symbolise la vie montagnarde. Il a le même caractère endurcie des montagnards berbères : il n’accepte pas l’humiliation, supporte la faim et vit dans le milieu rude et sec. Le groupe a débuté en 1978, mais n’a été vraiment connu qu’à partir de 1984 avec son premier album, paru à la maison de production « Maârif » d’Agadir. Ils eurent un second album à « Sawt al Ahbab » (voix des amis) de Casablanca. Vinrent ensuite « Disco production » et enfin « Box music ». Ils ont reçu un prix forfaitaire qui équivaut à une cession de droit. Donc sans droit d’auteur selon les exemplaires vendus, ni d’ailleurs pour ce qui concerne les chansons diffusées à la radio. Leurs chansons, ils les puisent dans le patrimoine du Sous mais présentées dans un style nouveau. Celui du mouvement folk : « En s’inspirant du Raïs Saïd Achtouk et d’un genre d’Ahouach d’Agadir qu’on trouve seulement à Ben Sergao,Tarrast,Tikiwin , Dchaïra et Ihchach. Nous avons repris cette danse traditionnelle en la développant à notre manière. On appelle ce genre « lahdart ou sarag » (le pré -théâtre du patio). C’est ce rythme que notre groupe avait repris : alors qu’ils se pratique traditionnellement avec les tambourins et le nakoss, nous l’avons amélioré par l’ introduction d’ instruments utilisés par les groupes folk tel le banjo,le tamtam et plus récemment un danseur gnaoui. Nous avons repris le rythme musical de ce pré -théâtre accompagné de musique qui se produit dans les patios lors des fêtes de mariage Les izenzaren et le groupe archach ont adopté le style Nass el ghiwan, en chantant en berbère. Ce qui est le cas aussi des Oudaden qui ont repris le banjo et le tamtam en ajoutant la guitare électrique et la derbouka mais avec un rythme accéléré. Dés lors qu’on utilise ces instrument on fait partie de ce mouvement folk né avec Ness el Ghiwan au début des années 1970. »
Le groupe Oudaden a vu le jour à la fin des années 1970. D’une manière générale, il chante le genre « ghazal », chansons d’amour et autres problèmes du couple. Le style Oudaden se caractérise par un rythme rapide inspiré de la fameuse danse des houara oulad Taïma, îlot arabophone au bord de l’oued Sous. Alors que chez les Izenzaren le rythme est plus lent et le thématique portant plutôt sur la contestation sociale : « Nous avons grâce à Dieu des poètes et des zejal chleuhs. Oudaden ont intégré le rythme des houara dans leur style musical : le rythme et les paroles sont houari, notre apport consiste seulement en une modernisation instrumentale. Nous avons également recourt à « amarg ou sarag » (la poésie du patio). »
Les gens ont aimé les anciens rythmes présentés ainsi sous une forme moderne. C’est la définition même du mouvement folk. Actuellement le groupe se produit davantage en dehors de Sous : animation des fêtes de mariage à Casablanca où sont établis la plupart des commerçants originaires de Sous. Mais aussi à l’étranger où le groupe est invité à participer à des festivals internationaux. En 1986, ils organisent leur première tournée en Tunisie. En 1998, ils ont organise une deuxième tournée aux Etats-Unis. En réponse à la demande de la communauté marocaine qui y réside, les soirées organisées par le groupe en Europe sont légion. Leur dernière participation est celle de la rencontre des musiques du monde qui a eu lieu à Marseille en 2000 - 2001. Sur les quarante groupes sélectionnés, Oudaden figurent en troisième position après les espagnoles et les indiennes. Ils ont été invités au festival de Mali, celui de Zanzibar en Tanzanie, en Malaisie. Le style musical du groupe a été plébiscité par l’OMX de Copenhague, marché international de la musique. Après le Danemark, le groupe a participé à des rencontres musicales au Brésil : Rio , San Paolo, Brasilia et Salvador. Ils ont participé également à un festival en Tchécoslovaquie. Le groupe est également invité en Argentine. Sans oublier leur participation au festival Timitar où les artistes amazighs accueillent chaque année les musiques du monde à Agadir.. Agadir le lundi 10 janvier 2011
Abdelkader MANA
L'auteur en compagnie du compositeur belaïd Akkaf avec les musiciens de l'oriental lors des training organisés par l'UNESCO à Jerada.
20:05 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook