18/08/2010
Houara
Rythme H O U A R A
Danses des gazelles
« Danse des gazelles », c’est ainsi qu’on appelle la danse aillée au rythme saccadé des Houara. Dans l’expression « mizân haouari », il y a la notion d’équilibre. La danse doit être parfaitement synchronisée au rythme. C’est cet équilibre qu’on appelle mizân. Tout l’art du danseur est de synchroniser le geste à la percussion, la chorégraphie au rythme. C’est généralement la petite tara qui mène la danse marquant par des césures musicales des arrêts où le danseur doit passer d’une posture chorégraphiques à une autre. Chacun fait preuve de ses prouesses chorégraphiques : danseurs et danseuses se relaient à tour de rôle mais chacun a son propre style, sa propre chorégraphie. Le jeu de pur rythme destiné à la danse est entrecoupé de chants qu’on appelle tagrar : « Je suis l’hôte de Dieu, ô braves hommes de ce pays !». C’est par ces mots que s’ouvre la compétition dansée.
Nous nous sommes arrêtés au douar Mzila (« les maîtres forge » en berbère) là où finit le Haut Atlas et où commence la plaine de Sous. On est là encore dans le domaine aride comme l’atteste la chaleur accablante de la région. C’est le domaine de l’arganier. La chaleur est si extrême durant la prédominance du shûm qu’il n’est pas possible de sortir dehors. Les toitures des maisons sont fréquemment pelées par la chaleur du vent du chergui qui ressemble à celle qui se dégage de la gueule d’un four : les vêtements deviennent étouffants. Ce vent violent est cependant prélude à la saison pluvieuse. Aux abords de l’oued Sous l’écosystème change brutalement trahissant les effets bénéfiques d’une meilleure qualité du sol et de la nappe phréatique alimentée par le Haut - Atlas tout proche. On passe du vide, le lieu non habité, lakhla, à ce qu’Ibn khaldoun définissait par Oumrân , ou civilisation,parce que partout on retrouve l’empreinte de l’homme. Plus on s’éloigne de la montagne vers la plaine et qu’on s’approche des rives de l’oued Sous, plus on passe du domaine bour au domaine irrigué, de l’arganier qui pousse tout seul à l’agrumiculture et à la culture sous serre qui doivent être constamment entretenus.
Aux rives de l’oued Sous, à mi-chemin entre Agadir et Taroudant, les houara constituent un îlot arabophone au milieu de tribus berbère. Ils seraient arrivés au Sous dans le sillage des conquérants arabes qui y avaient introduit jadis aussi bien les techniques d’irrigation que la culture de la canne à sucre :
« Dans cette région qui est située sur une grande rivière, écrit au 11ème siècle le géographe andalous El Békri, il y a beaucoup de fruits et de canne à sucre dont le produit s’exporte dans tous les pays du Maghreb. L’honneur d’avoir fait construire le canal qui fournit l’eau à la ville de Sous (Taroudant) et d’avoir canaliser les bords de cette rivière est attribué à Abderrahmane Ibn Moumen dont le père était le dernier Calife Omeyyade d’Orient ».
En provenance d’Orient les Houara se seraient d’abord arrêtés au Sahara avant de déposer définitivement armes et bagages au bord de l’oued Sous. Leurs couplets ils les appellent « tagrar », terme d’origine saharienne. De nos jours encore, ils continuent de chanter la légende de l’égérie, cette gazelle aux mollets tatoués, qui aurait trahi le pacte conclu du temps de Jésus avec « l’homme dépouillé » . Chacun s’était engagé à ne pas se remarier si son partenaire vient à mourir :
Ô gazelle aux mollets tatoués !
La mécréante qui a trahit ma confiance !
Ô gazelle aux mollets tatoués !
Le Seigneur très haut t’a ressuscité
Après la mort
Et aujourd’hui tu oses trahir ma confiance !
Les fossoyeurs retournent la terre
On retire les rats, on coud ton linceul
L’homme nu te pleurait durant sept longues années
Jésus fils de Marie descend du ciel et lui dit :
- Cesse de pleurer, ô homme nu !
- Je pleure ma femme, la gazelle aux mollets tatoués
- Mais elle est morte et son destin est scellé,
Je te la ressuscite par ordre du Seigneur le plus haut !
L’égérie a ressuscité par ordre du Seigneur le plus haut
Il s’est accroché à sa chevelure
Le cœur palpitant de joie
Il s’assoupit en posant la tête sur ses genoux
Passant par là des chasseurs royaux du temps de Jésus lui dirent :
- Beauté ! Pourquoi t’occupes-tu de cet homme nu ?!
Viens avec nous à la Maison Royale !
Là où tu seras couverte de soie et de velours.
- Mais que dois-je faire de cet « homme nu » ? leur répondit-elle.
Ils lui répondirent :
-Posez-lui la tête sur le rocher de l’ éternité.
Ils la prirent sur leurs chevaux et partirent.
En se réveillant l’homme nu n’a trouvé que les mirages du désert
Il se met à parcourir les étendues solitaires
Sur son chemin il rencontra des bergers et leur dit :
-N’avez-vous pas vu la gazelle aux mollets tatoués ?
-Elle est passée par ici en compagnie des chasseurs du sultan
Ils l’ont amené comme présent à la Maison Royale.
Il accouru à la Maison Royale
En frappant à la porte, le gardien du sultan lui apparu :
- Vous m’avez pris ma gazelle aux mollets tatoués. Lui dit-il.
- Nous n’avons vu aucune égérie et la Maison Royale est pleine des wedga.
Le sultan de l’époque leur ordonna de le laisser entrer.
Il la reconnu parmi les nombreuses belles houri qu’on lui aligna
Il s’accrocha à elle en lui disant :
- Pourquoi ô égérie trahir ma confiance ?!
- Eloignes-toi de moi ô homme nu lui rétorqua-t-elle. Je suis élevée et j’ai grandi à la Maison Royale. J’y ai même coiffé ma chevelure !
- Le Seigneur très haut t’avait ressuscité après ta mort. Jésus fils de Marie est venu me voir, je l’ai prié et il a prié Dieu qui t’a ressuscité. Tu as pourtant trahi ma confiance.
- Non, je ne te connais pas, insista- t – elle.
- Viens mesurer ce tombeau avec nos doigts, lui proposa-t-il.
En l’accompagnant elle trébucha au tombeau qui s’enflamma aussitôt.
Depuis lors on l’évoque en chantant :
Ô gazelle aux mollets tatoués !
La mécréante qui a trahit ma confiance !
Ô gazelle aux mollets tatoués !
Le Seigneur très haut t’a ressuscité
Après la mort
Et aujourd’hui tu oses trahir ma confiance !
Ces chants relèvent souvent du conte racontant sur le mode théâtralisé (avec dialogues) des histoires comme celle de cette jeune femme qui vient se plaindre au juge de son vieux compagnon. :
Ma mère m’a confié au vieil homme que je n’ai jamais aimé !
Se plaint – elle. Ce à quoi le vieux mari répond :
Que dois-je faire ô mon Dieu pour confesser
Les péchés commis par la bien aimée ?
Il est dit dans un de leurs couplets qu’on désigne par le nom de tagrar :
En allant du côté des Berbères
Elle faisait tomber les fruits
Comme l’étoile filante sur la trace des mirages
Les Houara forment une très grande tribu arabe établie dans la plaine de Sous entourée de montagnes habitées par des Berbères dont le parler est le tachelhit. Leur territoire s’étend depuis Agadir jusqu’à Taroudant. On trouve les houara dans le Sous ; mais également dans maintes autres endroits que ce soit en Orient ou au Maghreb : les houara ouled Rahou du côté de Guercif, en Algérie, en Egypte etc. Les Ouled Taïma de Sous proviendraient d’Arabie Saoudite où existe une ville du nom de Taïma. Dans la fertile plaine de Sous, le territoire occupé par les Houara se compose de neuf tribus arabes (OuledTaïma, Laktifat, Sidi Moussa el Hamri, el gardane, lahfaya, Ouled Saïd, Hmar, Freija, Ouled Berhil) et d’une tribu Berbère, celle d’Amezzou.
La plaine de Sous est située dans une région tellement agréable et fertile qu’on l’appelait « le paradis terrestre ». Au début du 19ème siècle, il a fallu deux jours au voyageur anglais Jackson, pour traverser toutes ces plantations, lesquels formaient une ombre ininterrompue et impénétrable aux rayons du soleil. Le Sous produisait plus d’amandes et d’huile d’olive que toutes les autre provinces réunies. La canne à sucre poussait spontanément aux abords de Taroudant . Le bâton de réglisse était si abandon qu’on l’appelait « ârq Sous » (la racine de Sous). C’étaient les vergers de l’oued Sous qui assuraient l’approvisionnement en huile d’olive. Les amphores de hmar, en particulier où nous nous trouvons en ce moment. Ce sont les oliveraies d’Ouled Taïma et d’Aït Melloul qui alimentent en huile d’olive jusqu’aux régions saharienne. Jusqu’à une période récente, l’eau était à fleur de sol. Dans les années 1970, on pompait l’eau à sept mètres de profondeur à peine. Il faut maintenant la pomper à près de 200 m de fond et l’oued Sous lui-même n’est plus ce qu’il était jadis
Cette luxuriance de végétation, le Sous la doit d’abord à la rivière dont il porte le nom :
« L’oued Sous est un véritable trésor, s’exclame Haj Ali Kayouh le principal fermier des Houara . Par le passé l’eau coulait toute l’année. C’était bien avant l’édification des barrages. Et quand l’oued était en crue on ne pouvait plus le franchir : ceux qui étaient de l’autre côté de l’oued achetaient le sucre au double de son prix réel. Tandis que l’oued demeurait infranchissable le prix du sucre valait de ce côté – ci le double de ce qu’il valait de l’autre. Celui qui avait au bord de l’eau une parcelle de 400 ou 500 m la consacrait au maïs et au blé tendre et il était considéré comme quelqu’un d’aisé. Il n’y avait pas encore ne serait-ce qu’une seule ferme : avant le colonialisme, il n’y avait pas de fermes par ici. »
Quand les colons Français sont arrivés, ils ont partagé les terres fertiles de l’Oued Sous, en particulier celles des Oulad Taïma et de Sebt el Guerdan. C’est dans ces régions qu’ils ont commencé par s’établir se souvient haj Ali Kayouh :
« La terre ne valait rien en 1948. Un tracteur valait quinze dirhams et un camion guère plus. Le mazoute ne coûtait pratiquement rien aussi. Pour irriguer les fermes, les colons ont creusé des puits. A l’époque ils confiaient ces corvées aux prisonniers de guerre Allemands et aux légionnaires. Ils travaillaient torse nu et portaient un simple short. C’est de cette manière que l’agriculture a été modernisée. Ces colons créèrent les chambres d’agriculture, les associations et se mirent à exploiter les richesses du pays. Les marocains n’avaient pas une seule ferme. A l’indépendance, les gens ont pris l’initiative et ont constitué des fermes. Du jour au lendemain, de simples marchands d’épices se sont transformés en fermiers. »
Au Maroc, les Houara sont actuellement parmi les principaux exportateurs d’agrumes : « Presque 100% des fermes pratique une agriculture de haut niveau. En ce qui concerne les agrumes, grâce à Dieu, cette région représente 60% des exportations nationales. Maintenant la production laitière du Sous et de Houara est commercialisée dans de nombreuses régions du pays. Toutes les villes sahariennes , que ce soit Laâyoune, Smara, Dakhla ou Boujdour sont approvisionnées en lait par la province de Sous. »
Chez les houara de Sous, l’achoura dure trois à quatre jours. Elle se déroule au patio de la mosquée du village où on amène offrandes et tambours dés que commence la fête.
On chante :
A kharjou ya laâyalat !
Ha hamaqa jat !
Sortez ô femmes !
Le carnaval est arrivé !
On appelle le carnaval « hamaqa » (la folie).
Une fois que tout le monde est présent , ils allument un feu de joie et se mettent à sauter par-dessus les flammes en répétant :
En toi, je laisse ma paresse !
Ou encore :
En toi, je laisse ma maladie !
Chacun émet son vœux à cet occasion, tandis que les femmes poussent des youyou. Ils disent aussi :
Qui veut se rendre en pèlerinage
Pour chercher l’eau de zemzem auprès du Prophète ?
Le jour de l’achoura , il est en effet bon de recueillir l’eau de l’aube, qu’on appelle zemzem : Et nous puisons cet eau à l’aube du jour de fête en chantant :
Marches de pied ferme
O henné qui se rend en pèlerinage au tombeau du Prophète !
L’achoura qu’on appelle ici hamaqa (carnaval) se déroule de la manière suivante :
La troupe de musique houari arrive au douar en répétant :
Nous sommes hôte de Dieu
O hommes de ce pays !
Le maître de la maison où se déroulera la cérémonie les accueille.
Après l’interruption du mizân houari ils entament le tagrar. Puis à nouveau la danse,puis à nouveau le chant et ce jusqu’au milieu de la nuit.
Ils se mettent alors en position assise pour entamer hammouda, la wedga (l’égérie, la gazelle) aux mollets tatoués qui a trahit l’homme dépouillé, son mari mis à nu. Et si le temps le permet, le maître de la maison leur demande de jouer gourar. Ils continuent ainsi jusqu’au levé du jour.
On n’est pas houari par naissance, on le devient par la participation à sa vie à sa culture ; par la maîtrise de ses chants, ses danses, ses rites et ses mythes. C’est en ce sens que les houara sont maintenant plus une réalité culturelle qu’ethnique. Abdelkader MANA
03:33 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
12/05/2010
Tournage chez les Ganga
Tournage chez les Ganga de Tamanre
Chant négro spiritual ganga
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
A peine ai-je ouvert la bouche qu'un flot de paroles poétiques coule de source
Je vous ouvre la voie, la porte du Seigneur, seul mérite nos prières
C'est au nom d'Allah que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Ô vous qui étudiez les mystères, puissiez vous nous indiquez les chemins de l'au-delà ?!
Ici - bas, nous y sommes, mais l'au-delà, voilà toute notre ignorance !
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Ce sont les taleb et les hommes des sciences qui nous guident sur les chemins de l'au-delà
A eux je dis : connaîtrons- nous un jour un autre monde que celui- ci ?
C'est au nom d'Allah que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Le taleb, Sidi khalil , et l'imam ont dit : ce bas monde est invivable sans entraide.
Sans prière, sans entraide, cette vie serait aussi sombre que la tombe !
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Retroussons nos manches pour cette vie, prions pour l'autre , la mort est inéluctable :
Celui qu'elle n'emporte pas tout jeune , elle l'emportera tout vieux
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Nous finirons tous par quitter ce monde, que le bon Dieu (rabbi) nous accorde sa protection ;
Car celui que protège « rabbi »(le bon Dieu), ne manquera jamais de rien
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Ce bas monde (dounit) est un broyeur de pierre dont la roue moud le grain
L'autre monde en est le tamis qui séparera le bon grain de l'ivraie
C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb
C'est par eux seuls que j'entame ma parole
Poème recueilli et traduit du berbère par Abdelkader Mana
« L'édifice de la zaouia dédiée à Sidna Bilal, qui semble dater du XVIIIè siècle, servait de lieu de rassemblement aux esclaves qui y célébraient leur fête. Ceux-ci vivaient alors hors des murs, au nord de la kasbah, dans des cases bâties au milieu des dunes. On raconte que là vivait un maître du guenbri, maâllem Salem, qui appartenait à un négoçiant, Allal Jouâ, dont une rue de la médina porte encore le nom. Celui-ci vendait la cire et possédait au moins sept esclaves qu'il traitait comme ses propres enfants. Allal Jouâ n'était pas comme les autres commerçants qui obligeaient leurs esclaves à décharger les barcasses au port. Lui, il leur apprenait à travailler comme maçons et comme graveurs sur pierres. C'est ainsi que maâllem Salem était devenu une sorte d'ingénieur, un sourcier. S'il disait aux ouvriers de creuser à l'endroit qu'il leur indiquait, immanquablement ils tombaient sur de l'eau. On le nomma moqadem des gnaoua. Il entoura le lieu de culte, alors une simple mzara, de quatre murs. C'est ainsi qu'est née la zaouia de Sidna Bilal, au cœur même de la médina d'Essaouira, du côté de la mer. »
« Pendant mon séjour à Noun, j'y fut témoins d'une fête magnifique. C'était le 12 mai ; la veille, on savait qu'une grande caravane revenant de Tombouctou devait arriver le lendemain, parce qu'elle avait envoyé faire louer des tam-tams pour fêter sa rentrée. Dés sept heure du matin, les femmes des marchands arabes, qui composaient cette caravane, étaient parées de tout ce qu'elles avaient de beau en habis et en bijoux, et le tam-tam, dont le bruit assourdissant se répétait au loin, avait attiré autour d'elles une foule des deux sexes...Ceux au-devant de qui elles allaient, paraissaient à l'autre extrêmité de la plaine, laissant derrière eux leurs chameaux chargés et deux cent esclaves appartenant aux deux sexes. Le tam-tam résonna avec fracas, les drapeaux voltigèrent en l'air, les chevaux se cabrèrent de part et d'autre...La troupe forme deux haies qui reçoivent entre elles les chameaux chargés et les esclaves déguenillés, souvent nus. Les hommes continuent leur évolution guerrière avec le même enthousiasme, mais il y a moins de charme, moins de mélodie dans les chants naguère si harmonieux des femmes : elles ont tourné leur attention vers les esclaves et déjà chacune d'elles y a fait son choix. »Les maîtres de ces lieux de rassemblement de convois caravaniers, disposaient dans leurs citadelles de nombreux esclaves issus du commerce transsaharien. Les Noirs qui vivent aujourd'hui autour de ces vestiges du passé y célèbrent encore leur fête annuelle.S'ils vénèrent tous Lalla Mimouna, et sont issus de la même origine l'ancien Soudan, le pays des Noirs des géographes arabes, qui correspond à la boucle du Niger , il n'en demeure pas moins que sur le plan culturel, chaque communauté ganga s'est adaptée à sa manière au contexte, dans lequel, elle fut intégrée.
Lors d’un long séjour à Agadir, j’ai assisté en octobre 1995, à une fête nocturne des Ganga berbères. À l’époque, j’avais noté ceci :
Le disque d’or du soleil décline sur la marée basse d’Anza, et déjà, les feux de joie célèbrent la fête annuelle des Ganga. Là, le tambour cette voix des dieux africains est roi. Il résonne au cœur même de la nuit, dans cette périphérie d’Agadir où se retrouvent les Ganga du pays hahî,ceux d’Aït Melloul, ceux d’Aït Baha, et ceux de Houara : chants et danses berbères, entremêlés de rythmes africains.Le maârouf a lieu dans ce quertier industriel d’Anza, chaque année, en cette période du début de l’automne.
Départ vers l'Assaïs, la place de la danse solaire et du sacrifice de Lalla Mimouna
Les Ganga procèdent d’abord à une tournée aumônière dans tout le « bled » - Anza, Taddart, Tamraght – pour collecter de quoi acheter la « Dbiha » (la victime sacrificielle). Puis, un crieur public, le « barrah » annonce le jour d’ouverture de la fête annuelle.Les maârouf ganga sont organisés à tour de rôle dans chaque douar où résident des noirs, à travers tout le Sous, en particulier les relais caravaniers d’Illigh et de l’oued Noun et au pays hahî, généralement autour d’une ancienne demeure caïdale, comme la citadelle d’Azaghar du caïd El Hâjj Abdellah Ou Bihi chez les Aït Zelten, ou aux alentours d’anciennes sucreries saâdiennes. À chaque étape, le rite solaire se déroule en trois jours – samedi, dimanche et lundi – et on y veille jusqu’aux premières prémices de l’aube.
Le supporter gnaoui d’Hassania l’équipe de football locale qu’on encourage au stade aux rythmes de l’Ahouach berbère et du tambour africain traverse le cercle magique des danseurs collectifs d’Anza. Les chanteurs aux crotales, des Noirs habillés tout en blanc, diseurs de « Ndam » (poésie en berbère), l’interrogent sur le score de son équipe favorite, et lui reprochent d’être venu sans ses instruments de percussion, pour participer à l’indispensable animation de leur fête annuelle qu’ils appellent Maârouf . Il se confond en excuses et se mêle à la foule des curieux qui forment une immense halqa (anneau) tout autour de l’Assaïs, la grande place ouverte des fêtes négro-berbères, où se déroule le spectacle.
Le moqaddem d’Anza, un vieux Noir à la barbiche poivre et sel, porte un gros anneau d’argent à l’une de ses oreilles. Tandis qu’il sert le repas communiel aux Ganga qui marquent une pose, en jouant de l’outar et du nakoss , il m’explique :
« Ma mère qui perdait ses enfants en très bas âge, m’avait mis sous la protection des Ganga. Ceux-ci m’ont percé l’oreille, et j’y ai accroché cet anneau ». Il est donc le signe distinctif d’une protection surnaturelle.
Le souvenir de la traite des esclaves reste vivace chez leurs descendants marocains. Voici le témoignage d’un maréchal-ferrant noir, également grand connaisseur de l’amerg, chant poétique berbère :
« Les esclaves provenaient de la tribu Sharg du Sahara. Des marchands les amenaient de là-bas pour les vendre dans le Sous. Par la suite, leurs enfants étaient expédiés dans le pays Haha. On leur mettait la corde au cou pour les conduire sur la place où on les vendait comme des bêtes, en examinant leur denture pour distinguer le jeune du vieux. C’est ainsi que mon père fut offert au caïd des Ida ou Guilloul. En revanche chez les Neknafa, les esclaves noirs appartenaient à Israren, un caravanier qui échangeait les céréales de la région contre le thé, le sucre, et les esclaves de Sous. C’était le trabando (la contrebande). Cette traite des esclaves a cessé quand il a plu à Dieu de venir en aide aux Noirs. Une fois affranchis, comme ils ne possédaient pas de terres, ils ont dû devenir métayers pour subsister. Un jour, j’ai décidé de troquer le tambour contre le ribab et j’ai fait le tour des villages pour animer les fêtes de mariage. J’ai chanté l’amerg en tant que maître du ribaba pendant quatorze ans, mais quand mon père est mort, j’ai pris sa relève à la forge. »
Avant de traverser le désert des déserts, les caravanes faisaient halte au pays des moulatamoun, ces hommes voilés du désert, pour y faire provision d’eau. Quand les vents chauds tarissaient l’eau dans les outres, les caravaniers pour apaiser leur soif recouraient au stratagème suivant : ils prenaient avec eux des chameaux sans charge et les assoiffaient pour les faire boire une première fois puis une deuxième fois, jusqu’à ce que leur panse soit pleine. Quand le besoin d’eau devenait impérieux, les chameliers égorgeaient le chameau et se désaltéraient avec l’eau de sa panse jusqu’au point d’eau suivant. C’est ainsi que, recrus de fatigue, les caravaniers avançaient dans leur voyage jusqu’au lieu de rencontre avec les propriétaires de l’or.
Les liens entre le Maroc et l’Afrique noire sont forts anciens et multiformes ; toutefois ce ne fut qu’après la conquête arabe de l’Afrique du Nord, au VIIè siècle, que des routes commerciales régulières furent établies à travers le Sahara. Elles connurent ensuite une impulsion considérable sous les dynasties almoravide et almohade, au XIè et XIIè siècle. Il ne fait pas de doute que ce fut la quête de l’or qui fit traverser aux Maghrébins les vastes espaces sableux du Sahara pour rejoindre le pays des Noirs. Le précieux métal devint l’objet principal du commerce transsaharien, mais les caravanes transportaient d’autres articles exotiques de grande valeur, comme les plumes d’autruches, l’ivoire, le sel et les esclaves.
Les caravanes de l’or, du sel et des esclaves suivaient la route appelée tariq lamtouna, c'est-à-dire la route des gens qui se couvrent du litham (voile). Les moulathamoune, ces hommes voilés du désert, étaient des Sanhaja, une tribu berbère de la région mauritanienne, et leur territoire constituait un passage obligé aussi bien à l’allée comme au retour du pays des Noirs, car les caravanes s’y approvisionnaient en eau.
Vers la moitié du XIè siècle, le Sultan Abdellah ben Yacine fonda dans le bas Sénégal un couvent militaire (ribât), où ces nomades acquirent une discipline féroce. Le contrôle que les moulathamoun exerçaient sur le commerce transsaharien et leur ferveur religieuse furent déterminant pour l’affermissement et l’expansion du pouvoir almoravide.
Selon le géographe et historien El-Bekri, Ben Yacine ne périt qu’après avoir conquis Sijilmassa, Aghmat, le Sous entier, l’Oued Noun et le désert. Son successeur Ben Tachfine, puisera également ses forces au Sud du Sahara, puisqu’il sera le premier souverain marocain à avoir recours à une garde noire pour venir en aide aux principautés de l’Andalousie musulmane menacées par la chrétienté, comme le relate l’historien Ibn Khaldoun : « Lors de la bataille de Zellaqa, en 1086, ben Tachfine engagea en Espagne 4000 soudanais...En transperçant les chevaux, ces fantassins désorganisèrent complètement la cavalerie des chrétiens que commandait le roi Alphanse VI ». Sous la conduite de Youssef ben Tachfine, les Almoravides allaient faire la conquête du Maghreb et soumettre ensuite toute l’Espagne musulmane : leur empire s’étendra de la Mauritanie et du Maroc actuels à l’Andalousie, au Nord, et à la région de Tlemcen, à l’Est.
L’historien et géographe arabe el-Zouhri fait remonter la conversion des Gnaoua à la prise de l’ancien royaume du Ghana par l’Almoravide Abou Bakr en 1076. Il signale le passage en Andalousie de chefs du Ghana se rendant en pèlerinage à la Mecque. Le transit de personnes et de biens à travers le Sahara en direction de la Méditerranée était, à cette époque, affaire courante en temps de guerre comme en temps de paix.Un commerce caranier important s’était établi de l’Espagne jusqu’au bord du Sénégal et du Niger.
El-Bekri raconte que les familles aisées du Maghreb et de l’Andalousie achetaient des esclaves, parmi lesquels on trouvait des negresses cuisinières très habiles, dont chacune était vendue contre cent pièces d’or ou plus. « Elles savent apprêter des mets très appétissants, tel que le gateau de noix, les pâtisseries au miel, et toutes sortes de sucreries ».On acquérait également des esclaves qu’on employait pour la chasse. Ainsi, avant la prise de Ceuta par les Portugais, en 1415, el-Zouhri affirme avoir vu le gouverneur mérinide de la région « accompagné de deux esclaves noirs, vêtus de rouge et qui menaient chacun en lesse un lévrier muni de colliers précieux... »
Au temps de la conquête du Soudan par Ahmed-El Mansour Eddahbi(1590), les caravanes rapportaient un nombre particulièrement d’esclaves. C’est ainsi qu’aux premiers temps de la conquête, le prix de vente d’un esclave à Tombouctou descendit jusqu’à 200 cauris, monnaie d’échange de l’époque. La traite n’épargna aucune population dans toute la région de la boucle du Niger et son importance fut telle qu’elle suscita des remous au sein de la société marocaine et de ses lettrés qui n’admettaient que des musulmans fussent réduits en escclavage. Dans un opuscule rédigé en 1614, un savant de Tombouctou condamne sévèrement « cette calamité de notre époque qui touche aussi bien les peuples convertis à l’Islam depuis longtemps que ceux dont la conversion est incertaine, mais dont l’esclavage n’est pas permis pour autant ».
Grâce à leur tradition familiale, beaucoup de Ganga ont gardé le souvenir de l’arrivée de leurs ancêtres avec les caravanes du Sahara. Haj Blal, qui habite la maison de la vallée, non loin de Smimou, se souvient aussi que son père était venu de Sous, de chez les Aït Baâmrane. Il prétend qu’on peut encore voir aujourd’hui l’endroit à Sidi Hmad ou Moussa où l’on vendait les esclaves.
Les populations noires de la région sont venues en deux vagues. D’abord, pour travailler dans les sucreries saâdiennes, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. Ces anciens esclaves noirs se sont intégrés progressivement à la société berbère où on les appelle Isamgânes et leurs musiciens Ganga. N’ayant pas de possessions foncières notables, leur principale ressource provenait des tournées aumônières, surtout pendant la période des moissons. À la fin de leur tournée estivale, ils organisent un maârouf ou moussem à Tiguemmi Louda (la maison de la vallée) avec les dons qu’ils percevaient, sacrifiant un veau à la mémoire de Lalla Mimouna. Dans la kasbah du caïd Abdellah Ou Bihi – qui contrôlait au XIXe siècle les étapes de caravanes en pays hahî – on dénombrait plus de 500 esclaves. Akenssous nous confirme que cette première vague d’esclave remonte à la période Saâdienne : « Les conditions dans lesquelles les Abids ont été réunis sont rapportés en détails sur le grand registre de Moulay Ismaïl...Toutefois le registre porte diverses catégories de nègres distinctes qui, aux yeux du Sultan, étaient indubitablement des esclaves d’El Mansoûr Essaâdi, et qui s’étaient dispersés dans les tribus, à la chute de la dynastie Saâdienne. »
La deuxième vague, celle des Gnaoua bilaliens d’Essaouira, dont le rite est plutôt nocturne et le principal inducteur de transe est le guembri, date de la fin du XVIIIe siècle. Ils auraient été employés à la construction de la ville. Ce qui explique leur importance dans la ville. Dans leur chant Boulila (le maître de la nuit), on retrouve encore le souvenir du Soudan :
Kankani Boulila, ô Boulila !
Kankani Boulila, que Dieu ait ton âme !
Il était possédé par une Jania, ô Boulila !
Du Soudan, ils m’ont amené !
Ils m’ont amené, ô mes yeux Boulila !
O Boulila que Dieu ait ton âme !
Le Soudanais, le Soudanais, ôBoulila !
Si les Ganga vénèrent tous Lalla Mimouna, et sont issus de la même origine l’ancien Soudan, il n’en demeure pas moins que sur le plan culturel, chaque communauté ganga s’est adaptée à sa manière au contexte dans lequel, elle fut intégrée. Ainsi à Guelmim, chez les Ganga de borj Bayrouk, on joue à la fois du tambour africain (ganga), que de la grosse timbale saharienne (tbal), ou du tambour à cadre berbère (bendir), spécifique aux rythmes des chaînes de l’Atlas. Ces Ganga se différencient de ceux de Sous et du pays hahî par le fait qu’ils chantent en arabe hassani, et non comme eux en berbère tachelhit.
Ces Ganga de l’oued Noun, ont adopté le parler et la poésie hassanie, mais aussi le mode de vie nomade en général : ils travaillent comme bergers chez les chameliers et portent la tunique bleue et le voile des hommes bleus. La plupart de ces Ganga animent non seulement la fête annuelle qui leur est propre mais font aussi partie de la troupe locale labchara qui joue de la guedra saharienne. À ce titre, ces Ganga de l’oued Noun connaissent aussi bien l’art du Rguiss que la poésie hassanie.
Les Ganga sont donc à la jonction de deux cultures : celle de la diaspora noire à laquelle ils appartiennent, et celle soit des nomades arabes pour ceux de l’oued Noun ou des sédentaires berbères pour ceux du Sous ou du pays hahî au milieu desquels ils ont été amenés à vivre. Ce qui prouve que le Sahara n’a jamais été une frontière infranchissable entre le Maroc et bilâd Soudân (le pays des Noirs des géographes arabes du XIIe siècle), mais bien au contraire le lieu où s’est opéré le métissage culturel entre la négritude et la civilisation arabo-berbère.
Les Ganga n’ont pas seulement subi l’influence du milieu dans lequel ils ont été intégrés, mais ils l’ont également influencé à leur tour. Ainsi le Raïs du somptueux Ahouach des Glawa reconnaît l’origine africaine du ganga, le gros tambour qui rythme les danses collectives qui se sont développées autour du col de Telwet, jadis lieu de passage obligé à travers le Haut-Atlas, entre le Sahara au sud et les plaines côtières au nord. Et quelle ne fut ma surprise cet hiver, en me rendant à Assif-el-Mal, pour y assister à la danse tiskiwin , lorsqu’un berger berbère me joue sur sa flûte de roseau un air gnaoui !
Abdelkader MANA
23:19 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique, photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
04/05/2010
Les Gnaoua : ceux qui travaillent avec l'invisible
Ceux qui travaillent avec l’invisible
Maalem Bossou
« Nous sommes des esclaves à la peau fraîchement marquée.
Soyez témoins de ces marques, elles ne s’effaceront jamais »
Chant Gnaoui
Le linguiste Kenneth Pike oppose le discours émique qui est le commentaire des gens ordinaires au discours étique ou savant qui tend à remplacer la théorie populaire de la chose. Pour donner un exemple directement appliqué à notre propos ; l’observation d’un possédé rituel en état de transe peut donner lieu à ces deux discours :
Dans le discours émique les gens disent que la transe est produite par la présence d’un être surnaturel. Le même comportement sera interprété de manière « étique » par un psychologue comme l’effet du rythme des tambours ou encore comme l’expression d’un tempérament hystérique, etc.
Dans une société où l’individu s’efface devant le groupe, on peut se demander si le transfert des concepts psychologiques des sociétés occidentales atomisées est légitime. A ce sujet une ethnopsychiatrie maghrébine aurait beaucoup à nous apprendre. Pour Géorges Lapassade : « La transe rituelle n’est pas une hystérie, c’est l’hystérie qui est une transe. Mais c’est une transe refoulée et oubliée dans les sociétés occidentales depuis le temps de l’inquisition ». C’est pourquoi cet auteur fait la distinction entre les sociétés à transe et les sociétés sans transe.
Nous sommes donc en présence de deux modes d’interprétation savant et populaire : Pour la psychanalyse l’origine de la maladie est endogène : « Ce sont les processus psychiques inconscients ». Pour le thérapeute traditionnel : l’origine du « mal » est exogène ; l’individu est « frappé » par une entité surnaturelle malfaisante ; la possession n’est donc pas le symptôme d’un état morbide. Ces deux modes d’interprétations impliquent deux attitudes : l’Occident rejette le « malade », le Maghreb accepte le « possédé ». Ces deux modes d’interprétations impliquent également deux modes de traitement : l’un vise à « expulser l’intrus », l’autre à mettre en évidence le traumatisme responsable mais oublié.
§ Visite à maâlam Bosso
Dans le marché de la psychothérapie de Casablanca, le psychiatre s’entourant de la légitimité du savoir positiviste et du pouvoir institutionnel se trouve confronté à la « concurrence » de la légitimité charismatique (Baraka) des zaouia et des marabouts. : la plupart des malades préfèrent encore, les nuits bleues de la transe, les khaloua au sein des grottes et au sommet des montagnes ; au divan du psychanalyste et à l’enfermement psychiatrique.
Les Gnaoua célèbrent deux fêtes principales, l’une obligatoire pour tous, le 15 du mois lunaire de Chaâbane, qui se déroule dans la maison à laquelle, ils sont affiliés, l’autre est un acte de soumission envers Sidi Abdellah de Tamesloht, auquel ils procèdent à l’occasion d’un pèlerinage, lors de la fête du Mouloud. Les Gnaoua célèbrent cet événement durant sept jours : ils iront d’abord à Moulay Abdellah Ben Hsein enterré à Tamesloht, puis à Moulay Brahim, enfin jusqu’au Sultan des génies, Sidi Chamharouch dans l’Atlas.
Le mercredi 20 août 1986, je publie un compte-rendu de ma visite à Maâlem Bosso, décédé récemment, sous le titre : « Ceux qui travaillent avec l’invisible, Maroc-Soir leur rend visite et fait parler le Maâlem Bosso ». Dans cet article, j’écrivais :
Lorsqu’on aime la culture populaire un imaginaire autre que ce qu’offrent les cinémas et les vendeurs de rêve, on peut se demander : où est ce qu’elle réside dans ce Casablanca qui semble emporté par le courant universel des sociétés de consommation ? Pour tous ceux qui refusent l’hégémonie de l’industrie culturelle, il suffit de se diriger du côté de la vieille médina. Au-delà de son étalage d’objets sans prix ni vitrine où l’antique marchandage domine encore, au-delà de cette économie informelle ; il y a ceux qui travaillent avec l’invisible.
J’ai demandé, où sont les Gnaoua ? On m’indiqua par des ruelles tortueuses la demeure de Maâlam Bosso. J’y pénètre : sous l’ombrage d’un figuier, des rossignoles et des tambours. Deux symboles qui ne trompent pas : On est chez un musicien, mais pas n’importe lequel. C’est un musicien qui a commerce avec l’invisible et c’est une musique qui a une fonction thérapeutique.
Le maâlam est un initié qui connaît les devises musicales, leur ordre de succession et leur efficacité selon le tempérament des malades qui tombent en transe. À ce sujet, voilà ce que dit maâlam Bosso :
- La plupart des Maâlam Gnaoui de Casablanca sont originaires de Marrakech. Certains étaient d’anciens esclaves de Caïds. D’autres viennent de Rabat. Parallèlement au « Gnaouisme », la plupart d’entre eux, pratiquent des petits métiers d’artisans .
- Mais vous-même Bosso, comment êtes-vous devenu maâlam ?
- J’étais encore tout jeune, lorsque je me suis rendu en pèlerinage à notre saint qui se trouve au sommet d’une montagne au sud de Marrakech. Je l’ai vu en rêve me tendre un guembri en me disant : « Prends la source de ta vie ». Le lendemain, j’ai joué au hasard un air musical, une femme tomba en transe, et refusa qu’un autre que moi puisse l’accompagner. Depuis, j’ai quitté mon métier de tanneur pour celui de musicien professionnel.
- Que pensez-vous de ceux des musiciens gnaoua qui sont devenus vedettes du mouvement folk ?
- Vous voulez dire Pako qui fait partie du groupe Nass el Ghiwane, et Baqbou qui a rejoint le groupe Jil Jilala ?
- Oui. Que signifie pour vous ce passage du sacré au profane ?
- Celui qui travaille dans le domaine des Gnaoua doit suivre la voie de la droiture et de la purification. Sinon, il risque d’être paralysé : on est parfois paralysé en travaillant avec des gens qu’on voit, alors que dire de celui qui travaille avec ceux qu’on ne voit pas ? », Conclut maître Bosso.
Avec plusieurs années de distances, ces propos prennent des accents prémonitoires : Pako, qui est le premier à sortir l’autel sacré de la zaouïa des Gnaoua d’Essaouira, pour le présenter avec sacrifice de bouc, au Living Theater, en 1968 ; Paco, le premier grand maâlam gnaoui à partir jouer sur scène avec son guembri, au sein du mythique groupe folk de Nass el Ghiwan, a fait récemment l’objet d’une attaque cérébrale avec perte partielle de l’usage de la parole ; a–t-il été frappé par l’invisible ? Pour les Gnaoua, la paralysie de Paco est certainement due à une faute rituelle commise à l’endroit des esprits dont il était le fidèle serviteur du temps où il était uniquement maâlam gnaoui, bien avant de devenir la célébrissime vedette du mythique groupe folk de Nass el Ghiouan. Pour les Gnaoua, l’attaque cérébrale et la paralysie partielle de Paco ont avoir avec l’invisible.
§ Le lila des Gnaoua
La lila est un rite de passage qui permet la transition de l’état d’angoisse à l’état de détente. Cette angoisse peut résulter de raisons diverses : c’est pourquoi la demande de la clientèle n’est pas motivée par une même raison comme nous l’explique Maâlam Bosso :
« Une femme m’a demandé d’organiser une lila chez elle, parce qu’elle veut déménager de la médina pour aller habiter Bourgogne. Une autre femme à El Jadida a organisé une lila pour commémorer le décès de son mari. Des travailleurs immigrés l’organisent avant leur départ en France. On fait aussi appel aux Gnaoua si quelqu’un est « touché » ou « atteint » par les djinns. Les lila ne sont pas limitées à la vieille médina : il existe une demande dans les autres quartiers populaires de Casablanca tels que Derb Sultan, Sidi Maârouf, Hay Mohammadi, etc ».
Le maâlam Hmida Bosso, porte le nom d’un melk marin qui le possédait lorsqu’il était jeune. Les Gnaoua chantent ainsi cette devise :
« Me voilà, ô Bosso !
Bosso au filet de pêche,
Bosso le pêcheur,
Bosso le poisson ».
Ce chant rituel a lieu au milieu de la lila des Gnaoua, celle-ci se compose de trois phases :
a) Une phase préliminaire qu’on appelle Âada, ou la procession crépusculaire dans la ville avec tambours et crotales. Elle a pour fonction d’annoncer à la communauté tout entière qu’une nuit thérapeutique va se dérouler dans telle maison de tel patient ou patiente. L’événement prend donc une dimension publique et sociale. Ceci est très important dans le processus qui conduit à la guérison : généralement, l’entourage familial et social change d’attitude vis-à-vis du malade, le lendemain de la lila : désormais, on le considère comme normal, ce qui facilite sa réinsertion sociale.
Si le malade est guéri, il ne devient pas nécessairement un Gnaoui, c’est-à-dire un pratiquant de la musique rituelle. Mais un serviteur surnaturel des Gnaoua. Chaque année au mois lunaire de Chaâbane qui précède le Ramadan où les djinns sont enchaînés, et où se déroule le grand moussem, le serviteur doit sacrifier soit un coq bleu, s’il est pauvre, soit un taureau noir, s’il est riche.
b) Une phase liminaire qu’on appelle kouyou où l’on amuse l’assistance au début de lila (nuit rituelle). On se livre à des jeux énigmatiques, où le guembri guidant le chercheur d’anneau d’or – qu’on a soigneusement dissimulé parmi l’assistance – sur la voie des mystères ou « quête du chamelier ».
c) Ce n’est qu’au milieu de la nuit, moment des rêves, que commence le rite de possession qu’on appelle Lila, où la musique induit la transe chez les possédés rituels. Par exemple lorsqu’on arrive à la devise musicale d’Aïcha Kandicha ; celui qu’elle possède entre en état de transe et se couvre la tête d’une serviette couleur océan, tel cet unijambiste qui me raconta un jour :
« Au milieu de la nuit, sous la voûte de l’herboriste, j’ai cru voir une prostituée sacrée. Mais lorsqu’elle se retourna, j’ai reconnu celle dont on parle dans tous les vieux ports marocains. J’ai perdu conscience et, plusieurs jours, l’usage de ma langue et de mes jambes. Une autre fois, elle m’a paru en rêve, et m’a ordonné comme condition à ma délivrance d’organiser une lila avec sacrifice[1] d’un bouc noir ».
En effet, seule une nuit rituelle un samedi soir, a pu sauver l’esprit boiteux de notre unijambiste, grâce à la remise en place et en ordre des sept couleurs de l’arc en ciel ! Le succès de la thérapie dépend de la nya du malade, c’est-à-dire sa bonne foi. Il faut que l’entourage soit préparé à recevoir le rite comme une délivrance providentielle.
Le bon déroulement de la lila exige, dépend de la bonne maîtrise du guenbri, le principal inducteur de transe chez les Gnaoua bilaliens de la ville. C’est un luth à trois cordes, en boyau de bouc ; celles-ci sont nouées par des lacets à l’extrémité du manche. La table d’harmonie est faite de peau de dromadaire, habituellement couverte de dessins au henné. Un guenbri mal accordé ne peut induire la transe : ce sont, dit-on, ses vibrations qui investissent le subconscient et, à force de répétitions, font naître une tension si forte qu’elle finit par toucher le centre vital du système nerveux, provoquant ainsi la transe.
Selon maâllem Goubani, le guenbri était à l’origine, c'est-à-dire à l’époque où il fut inventé au Soudan, fabriqué avec une courge géante séchée dont on vidait la coquille pour en faire une calebasse. N’ayant pas trouvé au Maroc une courge de dimensions semblables, les Noirs lui substituèrent le bois de figuier qui, une fois creusé, a la même tonalité musicale. Généralement le maître de la lila porte l’instrument au four pour que peau et cordes acquièrent une « résonance cosmique » suffisante pour atteindre l’invisible. Maâllem Boubker Guinéa précise que le guenbri taillé dans le bois de figuier est souvent dit meskoun (habité) et qu’il est donc nécessaire que celui qui s’en sert soit sûr de son art et sache le respect qu’il doit à son instrument. De nos jours, pour les soirées profanes on utilise un luth, nommé aouicha, sur lequel s’exercent les jeunes musiciens qui ont l’ambition de devenir maâllem du guenbri dans les nuits sacrées. Ce luth est taillé dans le bois blanc ou l’acajou ; la peau de mouton ou de bouc est tendue à l’aide de clous. Cela le différencie du guenbri ancien qui ne contenait aucun clou, la peau étant tendue par ses propres ligaments. Il ne s’agit pas de maîtriser une technique musicale, explique maâllem Guiroug, mais rien de moins que d’induire la transe, chose qui n’est pas à la portée du premier venu. Il y a la lila où le hal est présent et celle où il est absent, en raison d’une impureté, de mauvaises intentions ou tout simplement parce que le seuil n’est pas bon. Ces mauvaises vibrations font que le guenbri refuse de s’accorder. On a beau faire, c’est comme si on frappait dans un mur. Et il y a des fois, et des seuils, où le guenbri n’a même pas besoin d’être accordé. Il suffit de le frôler pour qu’il fasse vibrer l’assistance.
L’ouïe entend et le destin parle. Ce vertige de l’ouïe, qui conduit à l’étourdissement de l’âme, vient du tambour, la voix des dieux africains, et du guenbri, vibrations cosmiques de trois boyaux de bouc sur une écorce de figuier sacré. Ils font appel aux sept esprits surnaturels pour illuminer la nuit :
Les esprits illuminent la nuit
Les esprits soufflent dans le vent
Les esprits marchent dans les forêts et les déserts
Les esprits font trembler les montagnes
Les esprits marchent au devant de la tempête
Un cheval de vent règne sur la mer
Sur les crêtes écumantes de l’océan
Le rythme du tambour et les vibrations du guenbri accompagnent – à la charnière de l’amour, de la mort et du hal- la horde multicolore des possédés en transe vers la lumière éclatante du jour. Au début le hal est un art, on y va de son propre gré. A la fin, on succombe à sa possession, comme le taureau va au devant du sacrifice et de la mort.
§ Les voyantes médiumniques de Taesloht
Selon le témoignage de Procope au VI è siècle :
« Chez les Berbères, les hommes n’ont pas le droit de prophétiser ; et se sont au contraire les femmes qui le font : certains rites religieux provoquent en elles des transes qui, au même titre que les anciens oracles, leur permettent de prédire l’avenir. »
A l’occasion des fêtes du Mouloud qui commémorent la naissance du Prophète la talaâ se rend en pèlerinage au sanctuaire de Moulay Brahim, dans la montagne au sud de Marrakech, puis à Tamesloht, au sanctuaire de Moulay Abdellah Ben Hsein où elle organise des lila et procède à des sacrifices. Ses Gnaoua l’accompagnent en ces lieux. Dans la tradition religieuse des Gnaoua, ce sont les talaâ (ou voyantes médiumniques) qui instituent les situations dans lesquelles les musiciens vont intervenir.
Sous le patronage de Baba Tourougui et de Baba Mekki, ces voyantes font le pèlerinage à Tamesloht pour obtenir la baraka du Cheïkh. Chaque voyante offre un sacrifice et laisse sa tbiga à la belle étoile jusqu’à l’aube. Dès lors, elle est reconnue comme talaâ, dépositaire de la baraka du Cheïkh.
Le don de prédire l’avenir en état de transe, et de servir le maître de la nuit, suppose de la part de la néophyte une longue période d’incubation, au cours de laquelle elle passe d’une mort symbolique à une renaissance.
« Avant d’être reconnue en tant que telle, explique maître Guinéa, la talaâ est allée en pèlerinage à Sidi Chamharouch le sultan des djinns, dont la grotte se situe au sud de Marrakech-, à Moulay-Brahim, à Tamesloht, et à beaucoup d’autres lieux saints ».
Là, elle s’est imprégnée de leurs effluves sacrés et s’est isolée pendant un certain temps dans leurs khaloua, lieu de prière et de retrait, généralement une grotte qui préfigure le ventre maternel où s’accomplissent la mort et la résurrection symbolique de la néophyte. Généralement, elle se retire en prière pendant un mois, jusqu’au moment où le rêve divinatoire apparaît dans la dormition. C’est la raison pour laquelle la postulante a accompli son pèlerinage.
Si le rêve divinatoire n’est pas apparu cette semaine, il apparaîtra la semaine prochaine. Au cours de ce rêve, elle se voit devant un tribunal de génies présidé par leur sultan Chamharouch. C’est là qu’on lui ordonne d’accomplir tel ou tel autre rite : elle doit sacrifier telle victime, à tel endroit, et y organiser une lila. On lui demande d’accomplir beaucoup de rites, avant de lui accorder des dons particuliers, soit l’immunité contre le fer ce qui lui permettra de danser en état de transe avec les couteaux sans se couper, la capacité de danser avec le feu sans se brûler, ou encore celle de danser sur les débris de verre sans se blesser.
Dans ce dernier cas, elle égorge un pigeon et fait couler le sang sacrificiel sur les débris, puis jette la dépouille dans un endroit totalement isolé, par exemple à la mer. Dès lors, elle peut danser sur les débris de verre sans danger pour sa peau. Grâce à son plateau de cauris, elle détermine l’origine du mal et prescrit le remède qui guérira : soit un pèlerinage à tel ou tel autre marabout, soit l’organisation d’une nuit rituelle. Si elle prescrit une lila, c’est elle qui avisera le groupe de Gnaoua avec lequel elle a l’habitude de pratiquer la thérapie traditionnelle.
§ Les voyantes médiumniques
Sous la thérapie des femmes se dissimule une religion. En effet, à Tamesloht, le moussem met en scène l’opposition entre deux groupes de pèlerins : les Chorfa et les Gnaoua. Pour les Chorfa descendants de Moulay Abdellah Ben Hsein, cette manifestation du Mouloud est celles des tribus liées à leur ancêtre ; les Gnaoua y viennent par l’effet d’une greffe tardive. Ils sont tolérés à condition de rester dans les maisons et de ne visiter les lieux saints que pour apporter leurs offrandes.
Les Gnaoua ont une tout autre définition de la situation. Pour bien comprendre ce qu’ils font ici, il faut d’abord constater, que ce sont les femmes qui organisent les manifestations de leur confrérie à Tamesloht. Les musiciens Gnaoua qui les accompagnent sont là à titre d’assistants qui louent leurs « services » à ces talaâ. C’est là, d’ailleurs, la véritable structure de leurs pratiques pour autant qu’elles restent fidèles à la tradition africaine.
Cela, certes, n’apparaît pas au premier abord. Le spectateur de leur rite nocturne de possession, fasciné par ce « spectacle » de la transe « habitée », est avant tout sensible au jeu musical de ses animateurs. Il est tenté alors, de conclure que chez les Gnaoua, ce sont les musiciens qui sont les maîtres du jeu. En réalité, ici, comme dans tous les rites de possession, la gestion de la situation est assurée par les prêtresses du culte. Et ici comme ailleurs, les femmes, parce qu’elles sont tenues en marge de la religion des hommes, se sont donné secrètement une autre « religion » : la religion des femmes.
Qui consulte les voyantes ? Des gens souffrant de troubles attribués à l’intervention maligne d’êtres surnaturels qu’il va falloir identifier. La première démarche consiste à identifier l’agent surnaturel du trouble. C’est en état de transe que la voyante médiumnique est elle-même possédée par son Melk, qu’elle est en mesure d’indiquer au « possédé », l’entité qui le possède. Pour se faire elle a besoin de tout un « bricolage » rituel. Outre la présence des instruments de musique, il y a celle des deux accessoires sacrés : la tbiga et le hmal.
La tbiga est une corbeille d’osier contenant des étoffes ornées de cauris ainsi que sept encens : le benjoin noir, le benjoin rouge, le benjoin blanc, du bois de santal, du persil séché, des clous de girofle et, enfin, une prise de tabac dont la finalité est de faire éternuer les danseurs qui font semblant d’être en transe, ceux qui n’ont pas le hal.
Le hmal est constitué de deux baluchons de foulards aux couleurs des esprits qui seront évoqués durant la nuit rituelle. Il comprend également des tuniques aux mêmes couleurs dont se revêtiront les danseurs et les musiciens animant la nuit rituelle. Il comporte aussi des cannes de cérémonie, des poignards, des aiguilles et des bols traditionnellement dessinés à recevoir un mélange à base de farine de blé tendre qui sera consommé pendant la lila. Parmi ces bols figure celui de Sidi Moussa le marin. On note enfin la présence d’une gargoulette dont on se sert pour la danse des pèlerins.
C’est une voyante, la talaâ, qui a la charge de préparer ses accessoires. Le Gnaoui est, en général, au service d’une talaâ, qui prend en main l’organisation pratique du rituel, s’occupe des préparatifs pour le sacrifice et des accessoires que l’on vient de décrire. C’est à elle qu’on fait appel si quelqu’un tombe malade.
Aïcha Karbal, la femme de maâlam Guinéa, était une grande talaâ. Elle a légué son pouvoir de divination à deux de ses filles. L’une d’entre elles, Zeïda, nous parle, assise devant son alcôve où se trouve l’autel des mlouk, caché par un rideau de mousseline. Il supporte sept bols contenant les nourritures du melk.
Zeïda utilise aussi des cauris pour la divination car ils indiquent de quel génie le patient est possédé. Je sais s’il est possédé par Lalla Mira ou Sidi Mimoun. Chacun a sa couleur, son encens, son jour de la semaine et sa planète. Il y a la femme stérile a qui l’on demande de se ceinturer d’un fil de laine, et il y a celle à qui on recommande un coq sans sel cuit avec de l’huile d’olive et juste ce qu’il faut d’eau.
« Au moment de la consultation, raconte Zeïda, je suis moi-même possédée par mon melk, Bouderbala, le saint à la tunique multicolore, je me couvre d’une serviette rapiécée, je prends sa canne de mendiant céleste et son couffin. Ma sœur, elle, travaille avec les maîtres de la mer, les moussaouiyines.
Pendant la lila, ma mère avalait sept aiguilles et buvait un litre d’eau parfumée de rose. Puis, elle éjectait les aiguilles, l’une après l’autre, chaque fois qu’elle prédisait son sort à quelqu’un dans l’assistance de la lila. Moi, j’ai à peine la maîtrise du feu. Les flammes de quatorze bougies me lèchent les bras et les mollets, et je ne sens rien ».
Zeida appartient à une famille de Noirs venus du sud du Sahara, elle a hérité de sa mère, Aïcha Karbal, le métier de voyante-thérapeute et tout le matériel qui va avec, notamment les autels des mlouk.
Fatima, par contre, n’est pas l’héritière d’une tradition africaine. Elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui à partir d’un ensemble de troubles dans lesquels un ethnologue reconnaîtra un « recrutement par la maladie ».
La même distinction quant au recrutement se retrouve d’ailleurs chez les chamans dont certains le deviennent à partir d’une maladie initiatique alors que d’autres ont hérité de la charge.
La talaâ doit accomplir régulièrement un certain nombre de rituels et si elle ne le fait pas, elle risque, dit-on, de perdre ses capacités professionnelles et de retomber dans la maladie si sa carrière a commencé par une « maladie ».
Ces voyantes médiumniques, ces talaâ sont les héritières d’une vieille tradition, comme le constatait Édmond Doutté, au début du XXe siècle :
« J’ai retrouvé aux environs de Mogador, les devineresses qui prédisent l’avenir avec des coquillages, et que Diego de Torrès observait déjà en 1550. Ce sont des femmes berbères qui prétendent faire parler des térébratules fossiles ».
Léon l’Africain nous parle pour sa part de femmes qui « font entendre au populaire qu’elles ont grande familiarité avec les démons, et lorsqu’elles veulent deviner, se parfument avec quelques odeurs, puis (comme elles disent) l’esprit entre dans leur corps, feignant par le changement de leur voix que c’est l’esprit qui répond par leur gorge ». La fumigation de parfums, aux dires d’Ibn Khaldoun, met certains individus dans un état d’enthousiasme tel qu’ils prévoyaient l’avenir.
Abdelkader MANA
[1] Le sacrifice d’une victime a pour objet de mettre en relation le sacrifiant avec le sacré. Entre profane et sacré, homme et Dieu. C’est ce qu’exprime le terme arabe de « Qurbân » (sacrifice), qui signifie l’action de s’approcher de Dieu.
12:45 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique, psychothérapie, gnaoua | | del.icio.us | | Digg | Facebook