30/04/2012
AGADIR
Patrimoine archituctural
Les greniers collectifs de l'Anti - Atlas
Dans le Sous les régions montagneuses sont connues par leurs greniers collectifs (Igoudar , en berbère, pluriel d’ Agadir) . Le rôle que jouent ces greniers collectifs de l’Anti-Atlas s’explique aisément par les conditions de vie d’un pays où les hommes ne peuvent subsister qu’en amassant les provisions dans les années d’abondance en prévision des années de sécheresse et de famine. Jadis, on avait édifié également ces Agadirs pour que les femmes et les enfants s’y réfugient en temps de siba , d’anarchie et de guerres intertribales. Ces Agadir qui servent toujours de banque d’épargne, retiennent aujourd’hui notre intérêt pour leur architecture exceptionnelle : vieux de mille ans, leur beauté rustique en fait l’un des principaux patrimoine historique de la région de Sous.
Abdelkader MANA
14:55 Écrit par elhajthami dans Arts, Histoire, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : agadir | | del.icio.us | | Digg | Facebook
15/04/2012
Le thème de la Gadra dans la peinture marocaine
Majorelle La Guedra pastel
Sektou, la plus belle des voix !
Nul ne peut égaler son jeu de harpe
C’est sa belle voix qui ouvre les veillées musicales du désert
C’est à la digne héritière du grand Saddoun Wal N’dartou
Que je dédie mes poèmes !
Jacques Majorelle La guedra Huile sur toile
Le modèle des cantatrices du Sahara reste incontestablement la célèbre Sektou qu’évoque le poète. C’est au 18ème siècle que Saddûm Wall N’dartou allia la forme poétique de la qasida à un nouveau style musical divisé en deux voies, l’une blanche et l’autre noire :Le premier style musical est de caractère arabe, et le second est inspiré de la musique des noirs. La cantatrice accomplie se reconnaît à la parfaite homogénéité qui existe entre sa technique vocale et instrumentale. Non seulement sa harpe parle clairement, mais aussi elle imite parfaitement la harpe avec sa voix. Au Sahara, la harpe dénommée « Ardine » est du domaine féminin, et le luth dénommé « Tidinite »est du domaine des hommes.
Jean-Gaston Mantel La danseuse de Guedra Pigment et encre noire sur peau 75 x 60 cm 1978
O belle fille, remets – moi ma tunique bleue
Car moi aussi je vais me rendre à la grande fête de walata !
La fête autour de la grosse timbale est l’occasion de réjouissances et de danses, de R’guiss. Pour les femmes cette danse met particulièrement en valeur la gestuelle de la main et les envolées de la chevelure. Elle est généralement précédée par un rituel de henné et de tresse de chevelure en vue du r’guiss, la danse des bouts du corps, des doigts et des tresses : on prend particulièrement soins de la chevelure de la future mariée qu’on tresse à la manière africaine. Seuls peuvent prendre part à la danse les vierges, les jeunes veuves et les divorcées. Jamais une femme mariée. C’est une magnifique occasion pour les jeunes gens de choisir leur fiancée. C’est aussi l’occasion pour les hommes de parader devant les femmes et de montrer leurs talents de chanteurs et de poètes :
MANTEL Jean Gaston, 1914-1995 (France) Title : Les quatre saisons Huile sur toile 1972
Désert, comme tu es vaste !
Et comme pénible la traversée de tes immenses espaces.
Désert traversé par un jeune chamelier monté sur un méhari
Qui a vaincu la famine et la soif.
Quelle peine se donne ce jeune chamelier
Pour se rapprocher de celle qui m’a percé de ses cils
Elle a une chevelure abondante qui retombe sur sa poitrine
Avec des tresses comme des épis et des mèches qui s’éparpillent
MANTEL Jean Gaston, 1914-1995 (France) Title : danseuse de la guedra, 1963 Huile sur toile
Une chevelure tombant sur un sein qu’on devine sous une robe échancrée
Un désert où manque la fille de ma génération
Un désert aux immensités sans fin qui nous sépare
Des demeures de celle au double bracelet
Sa taille est celle d’un palmier femelle aux longues palmes retombantes
Nourri dans un terrain plat et bien travaillé
Où coule l’eau qui n’est pas gêné par le sable.
Un désert traversé seulement par un jeune homme
Qui se dit prêt à tout affronter pour rejoindre celle à la robe écarlate.
Le collier au cou comme un vaisseau dont on déploie les voiles
Sa monture va courir vers celle qui a les doigts teints de henné.
Un désert où nulle part aucun son ne se fait entendre
Aucune voix ne vient d’aucune dune
C’est cette étendue vide qui me sépare de ma bien aimée
Pour traverser ce désert, il faut un jeune homme
Monté sur un méhari bien dressé
Et l’étape est si longue qu’il doit la commencer la nuit.
Cette monture est un étalon dont la généalogie est connue pour dix générations
Et sa mère est une chamelle d’une race aussi noble
Que celle du père d’entre les plus belles chamelles
Ce méhari a été élevé dans une plaine
Où l’herbe a poussé dés les premières pluies
C’est un chameau qui allait paître parmi les gazelles
Ces maîtres l’ont amené à l’apogée de la canicule
Il court avec ardeur attiré par une flamme qui le brûle
Comme elle a brûlé son maître.
Son maître et lui ont partagé le même secret
Mon Dieu ! Raccourci la distance qui me sépare de l’ami !
Si tu avais la chance, la confiance et l’audace
Tu te jetterais dans les profondeurs de la mer !
Les deux toiles précèdantes sur la danse de guedra sont de Jean Gaston MANTEL et datent de 1964
Jean -François Clément qui me confie ces illustrations sur "le thème de la Gadra dans la peinture marocaine" me confie à ce propos: "Cette danse fut d'abord un strip tease (totalement étranger à la conception américaine du genre) qui est à relier à la gestion particulière très sublimée de la sexualité dans la région du Sahara occidental et qui est liée à l'importance des poésies arabes anciennes et notamment à la fascination pour les traces. Tous les tableaux présentant des poitrines dénudées ont été réalisés à partir de photos. mais l'important de cette danse comme dans le Kérala en Inde ou comme dans les danses de Bali est dans la position des doigts. C'est dans la comparaison avec ce qui se fait dans cette partie de l'Indonésie que se trouve la compréhension de cette danse."
Edouard Eddy Legrand 1892-1970,Danse de la Guedra.Huile sur toile
On raconte au Sahara l’histoire d’un vieil homme dont le goût pour la musique était resté si vif qu’il se glissait en cachette vers la tente où les jeunes gens se divertissaient avec les griots, tente où il ne pouvait apparaître publiquement en raison de son âge. Ne pouvant répondre directement aux moqueries de la jeunesse, il le fit par l’intermédiaire d’un quatrain qu’il donna à chanter aux musiciens :
Il m’a fallu aller vers la musique
Certes, ce n’est plus de mon âge
Je suis trop vieux, mais l’épée de pur acier
Le vent l’aiguise, la rajeunit
Semlali Acrylique sur Toile 135 x 100 cm 2002
Il est à remarquer que contrairement à la danse de la Guedra de l’oued Noun où la danseuse est tout le temps agenouillée balançant le buste et la chevelure, à la seguiet el hamra, les danseurs sont debout : le seul point commun entre les deux danses est la gestuelle des mains et des doigts. Cette danse dénommée r’guiss fait tellement partie de l’art de vivre saharien qu’il existe même une localité perdue dans le désert qui s’appelle tout simplement r’guiss, mot qui désigne la danse en dialecte Hassan.
La Ziza
Quand les nomades dressent leur tente et que devant celle-ci, les chameaux ruminent au repos ; on se met à traire les chamelles. Notre poète monte sur son chameau pour faire quoi ? Pour aller à la rencontre de sa bien aimée. Parce que celui qui aime chante aussi bien la beauté des chameaux que celle des femmes.Au cap Bojador où nous assistons à ces noces sahariennes, le poète Mohamed Lahbib Laâroussi, nous gratifia d’une qasida de son crû « en signe de respect pour les traditions du peuple et pour ses nobles principes ! ».Une qasida qui se rapporte à la terre, à ses noms de lieux, à ceux de ses animaux sauvages et aux gens qui l’habitent :
Oussman Gassem
Quand tes cheveux blanchissent ô vieillard,
Ne rumine pas trop, le temps qui passe !
Si les temps sont si durs pour toi cette année,
Soit patient, les difficultés finiront par se dénouer plus tard.
Sache qu’il n’y a pas de lieu que les biens aimés n’ont pas déserté
A chaque levé de campement ne reste que ruines et désolations
Les margelles du puit, crois – moi, je ne les oublierai pas
Ni les cours d’eau, ni les îlots de verdure au milieu du désert !
Mais j’ai peur de perdre à jamais la trace du bien aimé !
Celui que j’avais aperçu sortant de la tente poilue
Celui qui menait ses troupeaux d’agneaux vers les mirages
Celui qu’accompagnait la jeunesse tambour battant,
Vers la tente où se déroulaient nos fiançailles !
La ronde scandait avec harmonie des élégies au Prophète !
La ronde racontait l’errance nomade du bien aimé
Tous les fêtards s’adonnaient aux jeux préférés des nomades
Jeu d’Essig, jeu d’échec, jeu de pomme
Combats rituels visant des cibles imaginaires
Marcel BUSSON (né en 1913)
Trois danseuses de Guédra
Huile sur toile,
J.G.Mantel 1914-1995 DANSEUSES DE GUEDRA Huile sur toile 1981
MANTEL Jean Gaston, 1914-1995 (France)La Guédra gouache 1986
J.G.Mantel 1914-1995 La danse de la Guedra.Huile sur toile 1980
La danse de la gadra, est une pratique musicale et culturelle spécifique à la région de l’oued Noun. La considérer comme un simple folklore est une vision réductrice de la guedra en tant que culture. La gadra , en tant que marmite est aussi un instrument de percussion. C’est à l’origine un simple ustensile de cuisson ; il requière une double fonction lorsqu’il se métamorphose en instrument de musique. La gadra est en rapport avec le rite sacré symbolisé par le feu ; elle est liée au feu sacré en tant qu'élément fondamental de la vie célébré ici par un rite : à travers ces chanteuses qui « réchauffent » qu’on appelle hammayâtes, et ces chanteurs qu’on assimile au feu, appelé « nar ». La danse elle- même est circulaire et donc solaire.Abdelkader Mana
11:29 Écrit par elhajthami dans Arts, Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts, musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
15/02/2012
Le peintre et le poète
Peintures de Hamza Fakir et poème de Moubarak Erraji
Plus qu’un pinceau (aktar min fourchât)
Premier pinceau
Il tombe de la main de l’artiste
Et refuse la théorie classique de l’art
Deuxième pinceau
Brûle son blaireau, aime la couleur du feu
Et n’obéit à son artiste, que lorsqu’il s’assoit au cratère du volcan
Dont l’imaginaire, tel un panache, s’élève très haut
Et qui n’allume sa pipe qu’aux allumettes
Prises aux étagères du soleil…
Troisième pinceau
Douteux, il ne cesse d’évoquer
Les dix preuves de celui qui doute de tout
Il est à la recherche du magma primordial
Et non de son simple reflet
Quatrième pinceau
Aime peindre les femmes nues
Et se fond dans la toile
Comme la brûlure d’amour dans le corps
Cinquième pinceau
C’est celui déposé au fond d’un verre d’eau
Se lavant des futures peintures
Qui ne sont pas encore posé sur la toile
Sixième pinceau
C’est la main de l’artiste sans pinceau
Septième pinceau
C’est l’âme de l’artiste sans pinceau
Alors que l’artiste s’endort,
Le pinceau recueille ses rêves
Sur le point de tomber sur une rose
Du haut de sa fenêtre
Il recueille ses rêves
Qui virevoltent dans l’atmosphère de sa chambre
Pour les raconter le lendemain
Aux frissons de sa main…
Moubarak Erraji
13:34 Écrit par elhajthami dans Arts, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts, poèsie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
09/02/2012
Nabili dont j'ai perdu les traces n'est plus!
Le destin a voulu que Mohamed Nabili tel les sept crucifiés de l'espoir effectue en cette fête de la nativité du Prophète sa secrète hégire vers Dieu...Qu'il repose en paix...L'artiste que j'ai connu étudiant à Aix en Provence à la fin des années 1970, et que j'avais croisé à nouveau à Mohammadia après son retour au Maroc au début des années 1990, s'est éteind hier pour être inhumé par la communauté des artistes marocains, ce lundi 6 février 2012 à Benslimane où il s'était retiré pour travailler et où il était né orphelin le 4 août 1952.Discret et taciturne, je le croisais souvent en descendant du cinquième étage de l'Université d'Aix - Marseille I où j'étudiais l'éthnologie, alors qu'il étudiais le cinéma et la littérature au premier étage.Mais c'est à l'école des Arts et Métiers d'Aix en Provence que je l'ai connu en tant qu'artiste : il travaillait déjà sur les signe tifinagh gravés sur le sable avec les couleurs indigo et ocre du désert....Comme la plupart des étudiants marocains expatriés en France, nous avions en commun cette quête insatiable de notre terre et de notre soleil d'origine : je poursuivais les traces de nos caravanes aux archives d'Outre Mer et au Centre de Recherche et d'Etudes des Sociétés Méditérranéennes (CRESM), tandis que Nabili poursuivait cette même quête des origines, cette même nostalgie sur les traces de sable ..Pour l'orphelin - né qu'il était, cette quête devait revêtir une aquité existentielle autrement plus douleureuse puisqu'il ne lui restait de la figure maternelle et chaleureuse perdue que la langue Berbère dont les signes et les symboles sont disséminés sur les gravures rupestre de l'Atlas saharien où servant de marquage au fer ardent sur le pelage des chameaux pour en distinguer l' origine......
Le Tifinagh en pillier de la tente des transhumants Berbères : l'univers circulaire du calendrier Amazigh
Les notions de "seuil" et de "porte de l'année" chez les Berbères
Certaines oeuvres de Mohamed Nabili rappel étrangement le regard neuf et plein de tendresse que jette l'enfance sur notre monde troublé par la fureur et la folie des hommes...Au début des années 1990, je vivais avec ma femme et mon enfant à Mohammadia et je faisais la navette soit vers Rabat où je rejoignais l'équipe de la revue "Rivages", soit vers Casablanca où je faisais des reportages pour "Télé Plus". Et je me rendais souvent pour mes poses café à "Miramar", où en 1986, j'avais interviewé les historiens Jean Louis Miège,Germain Ayach, Haïm Zafrani et Michel Jobert dont j'ai appris la mort lui-aussi à Meknès au sortir d'une fête du Mouloud comme celle-ci, en 2002..En me rendant donc comme d'habitude à Miramar ,en 1994, un hiver comme celui-ci, une 4X4 bleu marine s'arrêta à ma hauteur et son conducteur m'invita à monter à bord.Je n'en croyais pas mes yeux: "Mais c'est Nabili!", m'écriais-je stupefié de voir un ancien étudiant comme moi exhibé ainsi un tel signe distinctif de richesse: Je me suis dit: "Décidemment, il vaut mieux sous HassanII être un artiste peintre qu'un simple littérateur: la peinture avec le cinéma, est l'un des rares domaines culturels ou l'artiste peut vivre avec aisance de son art, surtout quand celui-ci est bien coté sur le marché de l'art: être écrivain ne rapporte effectivement absolument rien dans un pays où les droits d'auteur n'existent pas...Un jour l'écrivain arabophone Driss Khouri m'a appris que la seule fois où il avait obtenu des droits d'auteur pour son livre "Ville de poussière et de sable", les dits droits ne lui avaient même pas permis de faire le plein d'essence pour sa déglinguée mobilette...
Mohamed Nabili en chantre de l'Amazighité
La timidité naturelle de Mohamed Nabili, cache au fond un écorché vif, constamment en marche vers les autres...Il a dédié son atelier à l'enfance orpheline et malheureuse comme celle qu'il a connu lui-même, pour que plus jamais, la misère et la rue n'empêche d'éclore le génie d'un possible Rimbaud; d'un possible Van Gogh ou d'un possible Mozart....Une fois à ses cotés Nabili me raconta alors qu'il avait beaucoup voyagé après son séjour d'études d' Aix en Provence et qu'il revenait des Amériques où il a étudié entre autre ,l'art des tribus amérindiennes ainsi que les signes et les symboles des civilisations disparues des Maya, des Inca.et des Astèques..D'emblée cette ouverture sur les arts Amérindiens et Européens, avec Miro en particulier, en faisait un artiste averti qui n'avait pour ainsi dire rien à voir avec les artistes autodidactes au fondement de l'art naïf au Maroc...Pour être reconnu de ses paires, Nabili disposait d'une solide culture académique: certes il explorait sa propre enfance pour se ressourcer aux rêves qui l'habitaient, mais sa technique n'a que l'apparence de la naïveté , puisqu'elle a pour substratum une solide formation aux arts plastiques grâce à ses longs séjours d'études en France, mais aussi aux Amériques et aux pays scandinaves où il avait pérégriné avant son retour aux bércailles où il vient de s'éteindre.
La peinture de Mohamed Nabili s'apparentait à l'écriture musical et s'accomodait parfaitement avec la "mise en quarantaine" volantaire qu'il s'est assigné au milieu des chênes liège et de l'air vivifiant de Bensliman : un isolement qui sied à tout véritable créateur a la recherche de soi dans un ressourcement en ses propres profondeurs, pour mieux être à l'écoute des subtiles notes de lumière émises par les sept couleurs de l'arc en ciel....Quand j'ai appris ce matin la brusque et brutale disparition de Nabili, je ne puis cacher ma profonde émotion, de perdre ainsi un ami à la fois lointain et proche, que je n'ai pu approcher qu'au cours de brèves rencontres et à chaque fois à intervalles espacés dans le temps.Mais à chaque rencontre il faisait montre d'une franche et heureuse sympathie comme si ma figure lui rappelait les temps des amours perdus de notre jeunesse à Aix en Provence...Mais comme il l'avait écrit lui-même quelque part, la vie, la mort demeurrent un mystère inexpliqué et inexpliquable, comme l'art qu'il nous a légué: des traces dont on n'explique pas toujours le sens, ni l'origine mais qui nous parlent de nos propre rêves enfantins, de nos propres racines et des archétypes de nos propres ancêtres.Nous devons, nous qui lui survivons en témoigner devant les hommes et devant Dieu.Qu'il repose en paix en cette fêtes de la nativité du Prophète où le destin a voulu qu'il effectue sa secrète hégire vers Dieu...Abdelkader Mana
15:32 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts | | del.icio.us | | Digg | Facebook
28/01/2012
Rue des ruines
Ce mercredi 29 juin 2011, je flâne à Essaouira n, "rue des ruines"'(derb el-kharba): ça sentait de la cire d'abeilles, c'est là qu'habitait l'herboriste Iskijji et c'est par là que passait discrèterment mon père pour rejoindre son atelier de marqueterie à la scala.Omar Mounir, qui a beaucoup écrit sur Essaouira dont il est orriginaire a intitulé l'un de ses livres "Rue des ruines"...
Pour accéder à cette ruelle , qu'on appelait également "rue des célibataires"(derb laâzara), il fallait baisser la tête pour passer par une portique: adossée à la mer; balayée le vent,les embrums menacent constemment ses fondations...
Un passage secret qui longe les remparts
Plus loin on aboutissait à la minoterie Sandillon et à la porte de la mer (Bab labhar)
Dans cette ruelle on remarque plein de maisonets (douiriya) où vivaient les célibataires
Un hotel s'élève maintenant en lieu et place de l'ancienne minoterie
Plus loin encore on aboutit à "Bab Lajhad"(la porte du Jihad)
Le long des remparts, maâlem Guiroug a transformé l'une des échopes en un lieu de souvenirs à commencer par le groupe mythique de Nass el Ghiwane dont faisait partie maâlem Paka, le fils du pays(deuxième à gauche)
Le groupe folk de Nass el Ghiwan avait intégré le gros tambourin (herraz) des Haddawa, mendiants célestes et gens du hal (transe)
Maâlem Guiroug du temps du mouvement hippie à Essaouira: comme Paka il est maâlem Gnaoui "blanc". Alors que Paka est passé des Gnaoua au groupe folk de Nass el Ghiwan; Guiroug est passé des Gnaoua au groupe folk de Tagadda...
Guiroug en "hyppie" et en musicien folk
Guiroug en mode "love and peace"
Décédé dans la force de l'âge ce jeune Gnaoui d'Essaouira (de la famille des Guinéa) aurait pu devenir un virtuose incomparable à en croire maâlem Guiroug..
Originaire des Regraga, maâlem Guiroug, le Gnaoui blanc
Maâlem Mahmoud Guinéa, l'héritier de la religion des esclaves
Abderrahman Qirrouj, dit Paka, le marqueteur d'Essaouira et le maâlem GNAOUI, qui a organisé la première lila en dehors de la zaouia pour le living theater du temps du mouvement hyppie et qui a introduit le guenbri chez le groupe folk de Nass el Ghiwan...
PAKA, un hyppi - folk, sous la djellabah mystique
Feu Mahmoud Akherraz, le sacrificateur des Gnaoua, habillé aux couleurs des génies de l'abattoire...
Feu maâlem Bosso au guenbri, à ses côtés maâlem Guiroug, crotales bleus, lors d'une lila organisée dans la campagne des Chiadma...
Feu Belghiti(dit "Moulay Serfaq"), le grand maâlem Gnaoui blanc qui était toute sa vie au service de Khaddouj bent Yahya, la grande talaâ(voyante médiumnique des gnaoua) d'origine berbère...
Feu maâlem Boubker, le père de Mahmoud Guinéa
Feu maâlem Bosso: "C'est moi qui t'avais emmené dans la lila qu'il organisa chez lui à Casablanca".Se souvient aujourd'hui maâlem Guiroug. C'était mon premier reportage sur les Gnaoua pour Maroc Soir. C'était en 1986....
Les deux Gnaoua "blanc" d'Essaouira: maâlem Guiroug en campagnie de feu maâlem Belghiti...
Essaouira, mercredi 29 juin 2011
Abdelkader Mana
04:24 Écrit par elhajthami dans Arts, Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
27/01/2012
Feux de joie à Marrakech
Feux de joie à Marrakech
La notion d’art est intimement liée à la notion de rythme. Dés qu’apparaît le rythme, l’art apparaît. Socialement et individuellement, l’homme est un animal rythmique. A la veuille du premier moharram, jour de l’an musulman, annoncé par la nouvelle lune, le rythme de la dakka envahit les rues de la ville. C’est le rythme à l’état pur. Au dixième jour de ce mois sacré, on chante le aït. Dans le carnaval de achoura, il y a enchevêtrement de pratiques sacrées et profanes. Un marché spécial, dit « souk achour » est institué à Jamaâ Lafna. On vend dans ce marché des produits bien spéciaux et qui tirent une grande partie de leur vertu, du jour où l’on en fait l’acquisition.
Le rituel de achoura dure toute la nuit et vise à exorciser le chaos naturel et humain qui menace l’ordre de la cité. La cérémonie prend un caractère particulièrement organisé dans les anciennes villes du sud à forte populations berbère : Tiznit, Taoudant, Marrakech, Essaouira. Il semblerait que la séquence de la dakka soit originaire de la ville berbère de Taroudant.
Il existe un certain nombre de pratiques très généralement suivies le jour de achoura. C’est par exemple l’usage très répondu de se mettre le khôl ou de se teindre les mains au henné ce jour là. On croit que celui qui se purifie ce jour là par le khôl ou le henné est purifié pour toute l’année. Les femmes s’ornent les mains de jolies arabesques floraux au henné. Les Qashasha, marchands de fruits secs et les âchouriyâtes, qui vendent les tambourins ont planté leurs tentes. Les goual ou goubbahi, sont en poterie nue tandis que les taârija sont ornées de dessins aux couleurs vives, phosphorescentes et très chatoyantes sous la lumière. Le goual est l’unique instrument dont l’usage soit permis pendant achoura. Ce jour- là on se rassasie à la queue de mouton de l’aïd elkébir, diyala, avec le couscous aux sept légumes où domine le fève. On prétend que celui qui ne se rassasie pas ce jour là, serait obligé dans l’autre monde de manger les pavés de l’enfer pour remplir son estomac.
Après le repas du jour de l’an, les femmes et les enfants allument des feux de joie dans chaque quartier. Les femmes stériles qui désirent un enfant ou celles qui espèrent marier leur fille effectuent des rondes autour du feu et sautent par-dessus les flammes par trois fois en chantant avec les enfants. Le brasier symbolise le bûcher dans lequel les païens avaient jeté le Prophète Abraham : obéissant à l’ordre divin, les flammes se refroidirent. Pour Emile Laoust, les Berbères marocains ont conservé l’antique usage d’allumer des feux de joie analogues aux feux dits de la Saint Jean, que les paysans de France et ceux d’Europe allument encore au solstice d’été.
Au cœur grouillant de la médina, El Herraz, marchand de tambourins de son état nous rappelle cette vieille chanson pour qui achoura est un mois de folie où même le juge frappe son tambourin : « Quand la fête de achoura approche, on va chez les potiers pour leurs faire commande de tambourins. Nous achetons par la suite les peaux de boucs, puis nous les laissons se décomposer car la qualité du son dépend du degré de décomposition de la peau. Le meilleur son est émis par la peau décomposée de timakhine. Quand il s’agit de tambourins pour femmes et enfants, peu importe la peau, mais pour le tambourin de la dakka ; on choisi le flanc de l’animal, là où la peau est à la fois souple et solide. Il y avait des gens qui gardaient leur taârija, pendant vingt ans. Après s’en être servi pour achoura, ils la remettaient sous leur djellaba et la rangeaient chez eux jusqu’à l’année d’après. Et ce jusqu’à épuisement de la peau et ils en commandent une autre. Tu voyais tel notable dans la rue et tu te disais qu’il ne participait pas à la dakka, pourtant la nuit venue, il arrivait avec sa taârija sous la djellaba et c’est là qu’il se dévoile enfin. »
En nous recevant en 2001, à Dar Bellarj, la maison où on soignait les la maison où on soignait les cigognes cigognes, l’architecte Suisse, Susanna Bederman Alioth [i] nous déclarait:
« J’avais une première idée pour un engagement à Marrakech, parce que Marrakech, c’est spécial, ça ne s’explique pas . Pour moi, il n’est pas question de Fès, de Safi ou tout autres lieux. C’’était Marrakech. C’est un ami, Abdellatif qui m’a montré pour la première fois cette maison de « Dar Bellarj ». Elle était en très mauvais état. Ayant l’avantage ou la chance d’être architecte, j’ai vu qu’elle n’était pas dans un état désespéré. La première chose à laquelle j’avais pensé en rentrant dans cette maison, c’est qu’elle m’a semblé comme si elle était faite pour la culture. Le réez – de – chaussé peut accueillir les manifestations culturelles et en même temps, sur la terrasse on pouvait nous installer un petit appartement qui est largement suffisant pour nous. Et donc réez – de – chaussé, cave pour le public. Nous avons fait des expositions à thèmes telles que « senteurs et couleurs », « architecture de terre » à l’exemple de Tamnouga, ksar dans la vallée du Draâ, maintenant « la caravane civique » et l’Achoura qui est devenue la fête de Dar Bellarj. Pour cela je dois remercier mon équipe qui était à l’initiative de cette fête de achoura. Ils l’ont organisé l’année dernière sans que je sois là et c’était un grand succès.. Et c’est à travers cela que vous avez pris contact avec nous. On s’est dit : on va la refaire en plus élargie et voilà ce qui s’est passé hier soir : c’était la fête de l’achoura de 2001. »
Pour ce documentaire on est allé à la rencontre du cœur éternel et palpitant de Marrakech à commencer par Si Rahal, le vieux trompettiste, de son état, tenancier d’un four public traditionnel juste derrière la place de Jamaâ Lafna, qui nous entretint des origines même du carnaval de achoura :
« A l’aïd el kébir on faisait herma, on le couvrait de peaux de moutons du sacrifice et on lui confectionnait un masque de poiles avec cornes. C’est ainsi qu’on accompagnait herma. »
Il y a en quelques sorte, deux fêtes dans ce qui est décrit comme une seule et unique fête : la fête de l’aïd el kébir au quelle succède la mascarade de achoura. Le sacrifice sanglant inaugure un cycle rituel auquel mettent fin, quelques trente jours plus tard, les cérémonies de achoura. Herma, l’homme aux peaux est le point commun entre ces deux. Mais s’il a subsisté dans le haut Atlas, ce personnage carnavalesque a disparu de Marrakech comme nous le relate Abderrazaq l’héritier du fameux Baba le maître incontesté de la Dakka de Marrakech qui dispose, non loin de Jamaâ Lafna d’une boutique où les percussionnistes de la dakka se retrouvent quotidiennement à même la natte :
« L’origine de la dakka est de Taroudant, explique-t-il. De là , elle est arrivée à Marrakech. C’est au quartier des ksours qu’on a joué la dakka pour la première fois. De là, elle s’est diffusée aux sept quartiers qui représentent les sept étendards de Marrakech. : Zaouia, Lmouqaf, Ben Saleh, Riad Laârouss, Derb Dabachi, la Kasbah et Bab Doukkala. Soit sept quartiers. Le rituel de la dakka se déroule en trois phases : le pur rythme de la dakka, la compétition chantée dite le aït (ou l’appel), et enfin afouss (qui signifie «main » en berbère), et qui est l’accélérant final qui comporte une tonalité gnaoui en raison de la forte prégance des crotales. On y assiste au milieu du Gor (orchestre) à un échange entre le joueur de la tara (tambourin à sonnailles) et le qraqchi (le joueur de crotales). Après quoi on joue à qui fera culbuter l’autre : lamchaïcha. Il y a aussi herma, l’homme aux peaux chamaillé par les enfants. Il déambule dans le labyrinthe de la médina suivi des enfants répétant cette comptine :
Tiktika ô fils de hammou
Le chauve aux fesses dénudées
As - tu un morceau de foie à m’offrir ?
J’en ai déjà goûté une pesée et bien davantage
Ainsi d’ailleurs que du poulet d’Ethiopie
Et du melon bien mûri..
Cette dimension carnavalesque a disparu ainsi d’ailleurs que la compétition chantée entre les différents quartiers qui se déroulait à Jama Lafna. Il est d’ailleurs significatif que le rituel de la dakka n’a pu être ressuscité et organisé en 2001 que dans le cadre de Dar Bellarj…
Nous avons retrouvé là cet entrelacement des formes musicales déjà observé à Essaouira : le groupe du aït de Marrakech comme celui du Rzoun d’Essaouira, appartient par ailleurs aux confréries religieuses, aux animateurs des processions de mariage et aux orchestres de la ala andalouse et du malhûn. C'est-à-dire au modèle musical médini (M.M.M). Voici d’ailleurs ce que nous disait à ce propos maâlem Ismaïl Askro de Taroudant :
« A Taroudant, le aït prélude par la prière sur l’élu de Dieu et sur nos saints:
Ghazouani, je viens en pèlerinage vers toi, ô porteur de la hache !
Frappez vos tambourins lentement, la nuit est encore longue..
Dés la phase préliminaire de la dakka, on fait appel au cheikh du malhûn pour qu’il joue de la grihâ.:
A Baba cheikh wanta banya garrah liya…
O Baba Cheikh, avec foi, chante pour moi
On fait appel aux chantres du malhûn parce que le aït est intimement lié au malhûn. Le joueur de crotales doit être gmaoui. »
C’est le cas de maâlem Ahmed Dah Dah, un gnaoui habitué que nous avons connu à Essaouira au début des années 1980 où il était souvent invité au moussem des Hamadcha et que nous avons retrouvé lors du tournage de « feux de joie à Marrakech » et qui nous déclarait :
« Ceci est un hal. La dakka de Marrakech concerne tous les artisans, qu’ils soient menuisiers, forgerons ou autre. C’est le cachet de la ville. Le patrimoine de notre cité que nous commémorons chaque année. Tous les quartiers y participent. On y vient même des autres villes. Vous avez au milieu les joueurs de la tara et des crotales et tout autour sont assis les percussionnistes de la taârija . On invoque les sept saints de la ville ainsi que nos amis. A chaque crépuscule, mes amis m’entourent et on continue ainsi jusqu’à la fin du aït. »
Pour le gnaoui Mustapha lagssis membre de la troupe de la dakka de Marrakech :
« A chaque ville correspond un chant particulier : Taroudant a son aït et Marrakech a le sien. Au début on chante :
Nous commençons par t’invoquer ô miséricordieux !
Prélude connu. Puis on chante :
Prière sur toi, le Prophète Mohammed, messager de Dieu !
Et on continue par :
Sous l’aile protectrice du Seigneur, le soleil s’est éclipsé le soir.
Et on conclu par l’invocation du patron des saints Sidi sliman El Jazouli, l’auteur de Dalil el Khayrat.
Pour ce qui est de la percussion, chaque ville a son propre rythme. A Marrakech, on rythme 3/1, donc, ça fait 4. C’est sur cette quatrième note que nous construisons le jeu. Et on continue ainsi jusqu’à « Eh !Wa ! », « Eh ! Wa ! ».
L’équilibre du jeu est obtenu grâce à l’intervention du crotaliste et du tambourinaire qui synchronisent les deux moitiés du chœur jusqu’à l’accélérando final d’affous. »
Ainsi à la phase agitée de la Dakka succède la phase paisible du aït, à la dialectique de la violence où prédominent les célibataires, succède la sagesse des vieux. La Dakka se déroule en position debout et sans parole ; le aït se déroule en position assise, et le rythme lent et faible des tambourins n’est plus qu’un simple support au chant .La compétition chantée était encore vivace entre les quartiers de la ville
Le chœur est réparti en deux : la partie orientale (la natte) et la partie occidentale (la couverture). Le haut et le bas reproduisent ici symboliquement le ciel qui recouvre la terre, soit le plan humain et le plan extrahumain. À tour de rôle les deux parties du chœur chantent la mélopée, tandis qu’ils font résonner lentement leurs tambourins. La phase musicale chantée par une partie hésite en son milieu en une longue modulation vocale au terme de laquelle elle est « saisie » par l’autre partie qui enchaîne. Cette modulation hésitante entre la natte et le linceul, la terre et le ciel, symbolise d’une façon tangible la transition marquée par cette nuit de l’Achoura entre le cycle écoulé et celui qui s’ouvre.
Le lendemain de la nuit chaude de achoura, au levé du soleil, on s’asperge d’eau de zem - zem et on se dirige vers les vieux cimetières de la ville pour les asperger à grande eau. Dans les cimetières, avec baba achour, on enterre pour ainsi dire l’année écoulée. On couvre les tombes d’eau de rose et de basilic sauvage (rihan). Un marchand qui vend cette plante du paradis aux abords du cimetière nous dit :
« Hier, a eu lieu la nuit de la Dakka. Tout le monde y participe avec joie jusqu’à l’aube. Les gens se rendent au cimetière pour visiter les morts. Ils trouvent les figues sèches, le basilic sauvage, les palmes de palmiers, l’eau de rose, les poteries qu’ils mettent sur les tombes et les jouets qu’ils achètent pour leurs enfants. Après avoir visiter leurs morts, ils rentrent tout contents chez eux. »
Fête où les vivants se réconcilient avec leurs morts, achoura présente un mélange de deuil et de joie. On commémore tant de choses à cette occasion, en particulier la mort de Hussein à Karbala. Il s’agit aussi d’enterrer symboliquement l’année qui s’achève pour accueillir celle qui commence.
La fête de l’achoura est suivie par un pique-nique rituel nous explique Mohamed Laâchir, tanneur de Marrakech :
« Si par exemple, aujourd’hui, on a le Gor de la dakka, le lendemain on procède à une tournée aumônière à travers la ville, pour recueillir la zakat auprès des personnages aisés. Avec cet argent, on achète un vau et on pique – nique dans les vergers. Ceux de la dakka participent bien sûre , mais le tout venant peut boire et manger. Ainsi chaque quatier de Marrakech organise sa propre Nzaha.Je vous ai raconté celle organisée par les tanneurs »
On n’appelle pas par hasard Marrakech « Bahja » (la joyeuse) : chaque fête religieuse y est suivie d’un pique – nique rituel où Nzaha mot qui connote la renaissance de la nature et de la cité. Abdelkader Mana
00:35 Écrit par elhajthami dans Arts, Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique, achoura | | del.icio.us | | Digg | Facebook
07/01/2012
Nostalgie des origines
En ce début 2012,Mustapha BELKOUCH éxpose à Toulouse
L'artiste paysagiste mustapha Belkouch présente,en ce moment-même, une grande exposition de ses oeuvres à Toulouse : souhaitons grand succès à cette exposition qui ouvre l'année 2012, en même temps qu'une nouvelle étape dans la vie de l'artiste.
Le désert n'est plus un paysage, c'est la forme pure qui résulte de l'abstraction de toutes les autres.
Flamboiement de lumière, écriture cristalline
Les paysages de Belkouch me rappellent étrangement une visite au Sahara l'hiver. C'était à« Foum El Oued », le delta de la Séguier el Hamra, avec ses méandres d'eaux dormantes aux reflets d'acier serpentant vers la mer.. Ce paysage austère et pluvieux revêt des allures poétiques pour l'épilogue d'un chant nomade :
Nos gîtes de campagne,
Sont dressés là - même où sont nos racines
Sur cette étendue désertique frappée d'éclaires.
Doux rêve d'hiver, sous la fine pluie et sous la tente
Parfum d'herbes sèches, s'évaporant du milieu des oueds.
Lointaines rumeur des bêtes sauvages.
Cérémonial de thé, entre complices de l'aube.
Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées
Et avec le jour d'hiver qui point
Chaque amant rejoint la tente des siens.
Cette vision du désert comme centre de rayonnement mystique et comme source d'inspiration nous est aujourd'hui confirmé par l'artiste lui-même :
« Mon travail est comme une thèse en mouvement. La transformation et l'évolution se font dans le temps (pas d'arrêt sur un style ou de techniques particulières). La quête doit être totale, sans cesse remise en question et au fur et à mesure proposée au public. Je propose une expression de mon énergie intérieure, avec tout ce que cela comporte de tâtonnements, de recherches dans les rapports des formes par rapport au vide qui composent mes tableaux.L'idée de représenter le désert est un objectif car il est le représentant de tout ce à quoi j'aspire : la puissance, l'émotion à l'état brut. Cet extrait du livre Amérique de Jean Baudrillard i résume bien l'idée que le désert ne peut-être que le support idéal pour réaliser une œuvre abstraite) : l'émerveillement de la chaleur y est métaphysique. Les couleurs mêmes, pastels bleus, géologique, intemporelle. La minéralité du sous-sol y fait surface dans des végétaux cristallins. Tous les éléments naturels y sont passés à l'épreuve du feu. Le désert n'est plus un paysage, c'est la forme pure qui résulte de l'abstraction de toutes les autres. »
Ardence de glace et de feu, de Mustapha BELKOUCH
Il y a longtemps que j'ai rêvé de ce tableau que nous propose BELKOUH: ardente lumière soupoudrée d'or...Un art dense qui nous fait danser, penser, rêvasser. Danse de couleurs et de lumière.Musique du silence et des prières.De glace et de feu, d'ombre et de lumière le travail de Mustapha Belkouch est absolument étonnant et poétique. Ardeurs, ardence, ardentes amours.Flamboiement de lumière, écriture cristalline.Il me fait penser un peu à la gestalt théorie de ce magicien vers lequel m'avait conduit alors que je n'étais qu'enflant un dénommé Abdallah "jahel"(l'enragé), un type fort puissant tout en muscle qui avait fait le figurant dans le film de Massist. Il voulait savoir si sa femme ne l'avait pas trahi et le sorcier lui avait demandé de ramener un enfant au regard innocent pour déchiffrer son avenir. Une fois chez le voyant entouré des livres jaunes de la magie celui -ci s'est mis à enduire un œuf de smakh et à la fin il me l'avait mis entre les mains en me demandant de regarder attentivement au reflet de la lumière ce que signifie pour moi les ondoiement d'ombre et de lumière à la surface de l'œuf et j'y décelais comme sur les oeuvres de Belkouch, des montagnes, des paysages , des personnages...Et il m'avait alors suggéré de raconter le film qui se déroulait sous mes yeux à la surface de l'œuf! Tout ce dont je me souviens maintenant c'est que j'avais dit au Massist de notre quartier que je voyais sa bien aimée en train d'escalader une falaise et le sorcier de commenter qu'elle est certainement en train de voyager dans un monde imaginaire....
Le mercredi 23 décembre, j'écris à nouveau à Mustapha Belkouch :
J'ai retrouvé hier un autre souvenir d'enfance complètement oublié : c'est curieux de voir comment mon enfance se télescope avec ton travail...J'ai rencontré Fatima que j'ai connue dans mon enfance. Elle est maintenant une femme précocement vieillie s'adonnant assidument à la prière...Elle me rappelle un souvenir oublié en rapport avec sa mère que nous appelions affectueusement « Mouizigha » et qui n'est plus de ce monde probablement depuis fort longtemps. C'était une voisine et une amie à ma mère chez qui enfant je me réfugiais à chaque fois que je commettais une farce. Pour éviter d'être puni, je passais sous la chaleur de son toit hospitalier et affectueux, les nuits sombres de l'hiver.
Elle m'amenait souvent à son bled dénommé Ifran et situé à l'emplacement actuel de l'aéroport de Mogador. Fatima me dit maintenant : « Les voisines à qui nous faisions visiter notre Ifran n'en revenaient pas une fois sur place : « Nous croyons que nous allons visiter un Ifran de verdure, mais nous n'avons trouvé qu'un ifran de pierrailles ! » En effet, en berbère le terme ifran signifie l'oasis de rosiers et de lentisques qui se développe à l'ombre d'un vieux caroubier au voisinage d'un puits ou d'une source avec des laveuses de linges sur dalles de pierres lisses chantonant de beaux refrains au cliquetis de leurs bracelets mêlé au coassement des crapauds et des grenouilles. Une espèce de paradis d'ombre et de lumière semblable à ceux qui surgissent de l'inconscient de Mustapha Belcouch comme des souvenirs estompés à multiple interprétations. L'artiste retrouve aussi ses souvenir d'enfance à la volupté indéfinissable voir insaisissable : des montagnes bleutées, des ciels azurées, des vallées enflammées. Une nostalgie des origines : voila ce que nous révèle l'œuvre de Belkouch. On peut penser aux estompes asiatiques à l'ère glacière, moi son œuvre me fait revenir à mon enfance dans les montagnes berbères. A chacun sa lecture de Belkouch, une œuvre plutôt tournée vers les horizons intérieurs.Amoncellements de blocs de glaces bleu nuit au bord d'un précipice d'une faille...
Précipice et faille de glace..Mustapha BELKOUCH
Pour moi, l'ifran de pierrailles était plutôt un petit coin du paradis de mon enfance, oublié certes, mais où germe cette flamme poétique qui continue notre vie durant à nous insuffler cette ardeur intérieur, cette méditation des profondeurs, semblable à celle qui fait produire à Belkouch ces œuvres si énigmatiques et mystérieuses à travers lesquelles il tante de nous transmettre l'indicible qui l'habite : c'est de cet inconnu rêvé qu'il s'adresse à nous. Lui aussi, tente par sa peinture de retrouver le temps perdu de son enfance à travers ces couleurs chaudes, transparente à la légèreté éthérée ...Il y a longtemps aussi que j'ai rêvé que je me suis perdu dans de pareilles banquises que nous propose BELKOUCH: c'était à la suite de la vision de Charlie Chapline se débattant au - dessus du gouffre; sa pauvre cabane de bois menaçant à tout moment de se précipiter dans le sombre vide de glace ...
Ksours,Mustapha BELKOUCH
Jaune safran, aube dorée, trace de henné, sacrifice, rêve brumeux
« Une fois me raconte Fatima, Mouizigha avait acheté au souk des Ida Ou Gord, un petit âne au pris de 1200 réaux (60 DHS actuels), juste pour te permettre de gambader entre les enclos d'épines de nos champs...Tu passais ainsi la journée avec ton petit âne au point d'en attraper une terrible fièvre et de nous faire peur en nous disant au fond de ta sieur et de ton délire : je vais mourir, je vais mourir... » Vision cramoisie, enfiévrée du monde...
cet ifran de pierraille , cet ifran disparu sous le bitume de l'aéroport, représentait pourtant pour moi un petit coin de paradis que je parcourais accroché à la crinière de mon petit bourricot le regard rivé aux sentiers lumineux, entouré de palmiers nains, d'arganiers rabougris, de fleurs sauvages. « Tu mantais aux branchages d'un figuier pour en recueillir des figues à peine éclose, des figues loin d'être mûres ». Me dit Fatima. On devait être au tout début du printemps ou même au cœur de l'hiver comme maintenant.
Je crois que c'est de semblables souvenirs qui sont à l'origine de l'œuvre de Belkouch, une nostalgie indéfinissable qui l'habite en permanence et qu'il essaie d'exprimer par ces formes et ces couleurs d'une tendresse indéfinissable. On est caressé interpelé sans savoir exactement de quelle nostalgie des origines il nous parle, de lui-même mais aussi de nous...En ce moment il pleut et de la forêt voisine les paysans arrivent en ville avec des sacs plein d'escargot, ces mollusques ont aussi la couleur tendre et transparente des toiles de Belkouch. Ils ont aussi la couleur de notre enfance, lorsque sous la pluie battante nous parcourions les sous bois dense des eucalyptus et des mimosas, à la recherche des précieux escargots qui se meuvent en dehors de leur tanière sous les brindilles et au milieu des petites pousses. C'est à de semblables sensations liquides et chaleureuses auxquelles nous convie Belkouch, des sensations poétique et colorées comme un rêve qu'on ne peut reproduire par un franche figuratif...
Le soir du 23 décembre je fait le lien entre le travail de Belkouch et les rêveries poétiques de Bachelard sur l'eau, le feu et les quatre éléments des alchimistes ; Calligraphie japonaise, coulée de glace et de feu, montagne de neige tourmentée, jaune safran, aube dorée, trace de henné sacrifice, rêve brumeux. Ce n'est pas une pure abstraction, ce que nous propose Belkouch : sa peinture est une peinture de la mémoire faite traces qui suggère des formes concrètes en pointillé, et nous invite ainsi à la rêverie Bachelardienne au bord de l'eau et du feu... Des paysages, des traces humaines. C'est-à-dire un sens, des significations en même temps qu'une esthétique des formes et des couleurs ; Cette rêverie dorée et blafarde faite peinture porte sur le feu et l'eau, c'est-à-dire les éléments primordiaux de la création minérale et volcanique. Oui, harmonie des formes plastiques aux allures musicales.
Calligraphie japonaise, coulée de glace et de feu Mustapha BELKOUCH
Peinture du silence, de l'absence, du dépouillement, du vide et du plein. Ce n'est pas le silence du vide et de la mort, c'est celui du rêve et de la vie. Des trouvailles techniques dues au hasard des coulées plastiques ou le résultat d'une rêverie méditative ? Peu importe le regard ; une sensation poétique s'empare peu à peu de celui qui regarde ces reliefs primordiaux aux allures étranges et belles...C'est une forme d'écriture cristalline : des cristaux en équilibre...Un cheminement de montagnard en hautes alpages hivernales ...Une écriture de l'indicible qui invite au déchiffrement magique des sillons et des traces.
Dans mon enfance, j'ai connu aussi le déchiffrement magique des traces : je vois encore ma mère invitant une voyante nomade qui déambulait dans nos rues les jours de fête : une fois au patio de notre vieille maison, elle posait à même le sol un van d'osier et le saupoudrait de sable, puis traçait des rayures et des formes abstraites à l'aide d'une omoplate. Elle lisait à travers ces traces nos avenirs incertains comme on lit les destins à la forme particulière et unique de chaque empreinte de paume à la surface ouverte des mains. Sauf que les rayures et les formes tracés par Belkouch sont de glace et de feu...Il ne s'agit pas de nomadisme sur le sable mais de transhumance de haute montagne en hiver. De solitude et de silence. Donc d'une certaine forme de prière...que symbolise cette bétyle de glace dressée au milieu du silence de la solitude et de la nuit.
Le chant du pays se rythme au tambourin
Le rythme de Bou Iblân scintille au firmament
La danse pastorale est une ondulation de la montagne
Hautes sont les cimes, limpides sont les sources
Drues, les vallées de la montagne à Meskaddal
Où chaque année, on célèbre les pâturages d'été...
Vertes, les prairies de la plaine d'Azaghar
Où chaque année, On célèbre les pâturages d'hiver...
Ces cîmes eneigées me rappellent les hauts alpages de Bou -Iblân, le plus élevé sommet du Moyen Atlas Oriental, en arrière pays de Taza que j'ai visité l'hiver il y a trois ans de cela, pour les besoins d'un documentaire de "la musique dans la vie" .Le massif de bou iblan, est une zone enneigée et inhabitable l'hiver. Les quelques maisons qui y existent sont occupées l'été par les gardiens de troupeaux qui viennent y transhumer. Cette montagne constitue d'excellents terrains de parcours où tous les troupeaux des Bni Waraïn se retrouvent l'été. En cette haute montagne, où le paysage respire l'agréable fraîcheur des petits sites alpestre j'ai pu recueillir quelques légendes pastorales.Selon l' une d'entre elles recueillies auprès d'une chaumière du crû, sur cette montagne aux neiges éternelles, on découvre « une bergère et son troupeau pétrifiés au cours des 40 nuits les plus glaciales de la saison morte». Il s'agit des fameuses « liali Hyane », où selon un vieux dicton, il ne faut préparer ni chevreau ni agneaux qu'après le passage de leurs nuits froides et néfastes. En effet, durant cette période, on cesse de faire le beurre avec le lait des brebis qui a diminué. C'est probablement parce qu'elle avait enfreint ce tabou, que la vieille bergère fut pétrifiée sur la montagne avec son troupeau alors qu'elle était en train de préparer du petit lait avec une outre en peau de chèvre.
La vieille bergère disait au début :
- Je vous défie, ô les plus froides nuits de l'hiver ! Et j'escalade la montagne, avec mes ovins, mes caprins et mes chevreaux !
« hyan », l'esprit des nuits d'hiver demande alors à Mars :
- Ô Mars ! Prêtes mois le jour de mauvaise augure pour que je tue la vieille ogresse !
C'est ainsi qu'elle s'est pétrifiée au sommet de la montagne aux neiges éternelles avec son troupeau et son outre en peau de chèvre. .
Méditation lumineuse et assymétrique de Mustapha BELKOUCH
S'agit-il ici d'un gestuel calligraphique où de l'une de ces branches mortes de la cédraie millénaire, que j'ai vu surgir de la neige au sommet de Bou - Iblân comme un vieux fusils au bout d'un bras pétrifié de la première boucherie humaine de 1914 - 1918?
On n'arrive pas à replanter le cèdre disparu des flancs de Bou- Iblân, parce que, nous dit - on, les bergers se mettent à l'arracher dès qu'on l'a planté, croyant que la régénération de la forêt se fera au détriment des terrains de parcours. Les vieux de la région racontent que l'ancienne forêt dense du cèdre a disparu à cause des incendies. Ils rapporte même une légende pour appuyer cette affirmation :
Dans un temps à la fois mythique et lointain « vivait à Bou - Iblâne une monstrueuse créature, mi - boa, mi - jument, du nom de Targou : elle avait l'allure d'une grande jument entièrement recouverte de grosses poiles qui lui tombent jusqu'au sol. Un jour qu'elle fut foudroyée par l'éclaire au sommet de la montagne, sa farouche tignasse prit feu, et elle s'est mise alors à se frotter aux troncs d'arbres, provoquant un gigantesque incendie qui décima d'un coup des milliers et des milliers de cèdres millénaires. De sorte qu'il ne reste que quelques cédraies disparates ici et là, autour de Bou - Iblâne.
Souffle ! Souffle ô Bou - Iblâne !
Rafraîchit l'air du plat pays
Ô Bou - Iblâne ! N'était le froid,
J'aurai planté ma tente sur ton sommet !
En effet, dés qu'arrive la période des neiges , les transhumants s'empressent de rejoindre le plat pays et avec la belle saison ils reprennent d'assaut les hauts paquis. Mouvement oscillatoire et saisonier dont nous parle cette autre légende:
La vieille bergère se déplaçait vers Taïzirt avec son troupeau. Elle était accompagnée de son mari, d'un berger et des ses bovidés. Quand les sept nuits froides de Hyân sont arrivées, elle a dit à son mari :
- On ne doit pas rester ici, il faut qu'on monte en haut de la montagne.(ils avaient une maison à Moussa Ou Saleh).
- On ne quittera ici, que lorsque l'épis soit mûre, lui répondit son mari.
Elle dit alors au berger :
- Quand tu seras en pâture, là où on laboure, ramène avec toi une vieille épis pour que je puisse la montrer à mon mari, en lui faisant croire que l'été est déjà arrivé., et que nous devons donc décamper d'ici.
Après avoir tâter l'épis son mari aveugle lui dit :
- Il est temps de transhumer vers « Moussa Ou Saleh ».
Au bout de trois jours de leur séjour là -haut, Hyân est allé emprunter trois jours au mois de mars :
- Ô mars, toi qui préside la saison du printemps ! Peux - tu me prêter tes trois jours de mauvaises augures, pour que j'en pétrifie la vieille ogresses ?!
Et c'est ainsi qu'il lui accorda les trois jours de mauvais augures qui pétrifièrent le troupeau, la vieille bergère, son aveugle de mari, le berger et le troupeau de vaux. Le froid les a pétrifié pour avoir renverser le cycle de la transhumance.
« Moussa Ou Saleh » habitait à Tlemcen. Il possédait un cheval. Un jour une fourmi l'a piqué. Il l'a mise alors dans un étui en roseau et l'enferma avec un grain de blé tendre. Au bout d'un an , elle n'en n'a pu consommer que l'équivalent d'une tête de fourmi. Quand le Roi de l'époque le su, il demanda à ce qu'on fasse venir « Moussa Ou Saleh ». Une fois en sa présence, il lui dit :
- Pourquoi as-tu emprisonné la fourmi ? Toi aussi, tu sera emprisonné pendant un an.
- Ça sera comme vous l'aurez voulu, puisque vous êtes le Roi du Temps : jugez comme vous l'entendez, lui rétorqua Moussa ou Saleh.
Il demeura une année en prison, en demandant à sa mère de bien prendre soin de son cheval, de le nourrir de blé, en le gardant à l'ombre, loin du soleil.
- Quelle aliment choisiras - tu pour te nourrir ? lui demanda le Roi.
- Le lait dont je peux boire l'eau et manger le fromage, répondit - il. Et d'ajouter :
- Seigneur, il faudrait qu'on organise un jour une fête et une fantasia !
Le jour de la fête,il sella son cheval et se dirigea vers les remparts. Un observateur se mit alors à crier :
- Moussa est parti ! Faites attention, Moussa est en train de fuir !
En un clin d'œil, il parvint en effet, à enjamber le rempart avec son coursier.
A chaque fois que ses poursuivants demandaient aux gens :
- Un cavalier, est- il passé par là ?!
Ils recevaient invariablement cette réponse :
- Nous n'avons vu passer par ici qu'un corbeau portant une laine blanche à son bec.
Le cavalier blanc continua ainsi sur son coursier noir jusqu'à Taza, où il fit ses prières à la grande mosquée. Après quoi il se dirigea vers la plus haute montagne du pays, où deux fossoyeurs ont déjà creusé une tombe :
- Que faites-vous ici ? leur demanda -t-il.
- Nous venons de creuser la tombe d'un homme de votre taille, lui répondirent - ils. Veux - tu t'y mettre pour qu'on puisse mesurer si elle convient ?
- D'accord ! leur répondit - il.
Ils lui firent alors flairer une fleur sauvage, et il en mourut subitement.
C'est la raison pour laquelle, on appela désormais cette montagne du nom de « Moussa Ou Saleh ».
Le « Moussa Ou Saleh » qui élève sa cime à 3215 m. d'altitude, est le sommet culminant de la chaîne du Bou - Iblâne et de tout le massif du Moyen Atlas. Une jolie légende se rapporte à l'origine de son nom :
« Il y a de cela bien des siècles, Moussa Ou Saleh vivait réduit en captivité sur les Etats du puissant roi de Tlemcen. Mais un beau jour, déjouant la surveillance de ses gardiens, le prisonnier s'enfuit aux galops d'un splendide et fougueux coursier.A ses poursuivants qui demandaient des nouvelles du cavalier fugitif, les gens répondaient :
- Nous n'avons vu qu'un corbeau volant avec de la laine au bec !
Le cavalier blanc paraissait s'envoler sur son coursier noir.Et c'est en vain que les plus habiles cavaliers du roi de Tlemcen le poursuivirent à travers les monts et les plaine jusqu'aux derniers rayons du soleil couchant. Il fit la prière du crépuscule à la grande mosquée de Taza, avant de poursuivre sa folle chevauchée . Vers le soir, et alors même qu'il venait d'atteindre la gigantesque barrière de Bou - Iblâne, son cheval fourbu, s'abattit brusquement sous lui. Le fugitif cherche à reprendre haleine , mais un essaim furieux d'adversaires, l'entoure déjà :
- Vous me suivez plus haut encore ! les défie - t - il à leur approche.
Et dans un suprême effort, il se prend à gravir au devant d'eux, le flanc inhospitalier de la rude montagne. Mais il sentit peu à peu ses forces le trahir et en lui , la vie défaillir : en touchant au sommet , il tomba brusquement foudroyé par la mort,. C'est depuis lors, qu'on appela cette partie culminante de la montagne du nom de « Moussa Ou Saleh ».
Paroi préhistorique de Mustapha Belkouch
En faisant la par des embellissements inévitables où se complait l'imagination populaire, deux points sont à retenir dans ce récit :
Le nom du héros d'abord, et ensuite l'évocation de sa rivalité avec le roi de Tlemcen. Ils suffisent à nous découvrir le fond historique de la légende : moussa Ou Saleh, n'est autre , en effet, que le plus fameux d'entre les princes de la dynastie des Banou saleh, ces fondateurs du petit royaume de Nokoûr qui florissait sur la basse Moulouya aux environ du 10ème siècle. La renommée laissée par Moussa fut telle, que cinq cent ans après sa mort, il se trouve encore cité par Ibn Khaldoun au nombre des illustrations du peuple berbère et présenté par lui « comme un des ornements de sa Nation. » La lutte inégale qu'il soutint contre les lieutenants Tlemcéniens d'Obeid Allah le Fatimide n'est point sans doute étrangère au développement d'un pareil prestige.
C'est au sommet de cette montagne qu'on découvre encore aujourd'hui selon la légendeainsi , la vieille bergère pétrifiée au milieu des neiges éternelles avec son troupeau et son outre en peau de chèvre. Au plus haut sommet de Bou - Iblâne on trouve également une fiancée pétrifiée par la glace.
Abdelkader Mana
12:13 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : arts | | del.icio.us | | Digg | Facebook
09/12/2011
Tabal, l'Africain
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : -On raconte qu’au nord d’Essaouira, existait un figuier hanté par un serpent auquel les femmes des gnaoua présentaient des offrandes. Elles organisaient une fête saisonnière sous cet arbre.
Mahmoud Guinéa : - C’est Sidi Abderrahman. Depuis l’âge de douze ans, je m’y rendais en pèlerinage avec tous les gnaoua d’Essaouira. Chaque année on y festoie durant sept jours à partir du septième jour de la fête du sacrifice. De leur vivant nous y accompagnaient les serviteurs, lakhdam, ainsi que la troupe des gnaoua . Il y avait un lieu où on dansait en transe, où on organisait cette fête annuelle, immolant sous cet arbre hanté par un grand serpent qu’on appelait Sid –El- Hussein. On l’encensait et on tombait en transe. Lors du rituel cette créature sortait mais sans faire de mal à personne. J’ai accompagné les Gnaoua près d’une vingtaine d’années à ce sanctuaire de Sidi Abderrahman Bou Chaddada.
Abdelkader Mana :- Parler de ce figuier nous amène tout naturellement à évoquer le gunbri . Ton père, que Dieu ait son âme, m’a appris deux choses à ce propos ; que les Gnaoua ont deux instruments à cordes : aouicha – qu’il fabriquait devant moi- et le gunbri. Et que celui qui n’a pas pratiqué aouicha, ne devait pas toucher au gunbri. Et votre père, que Dieu ait son âme, d’ajouter que les premiers Gnaoua confectionnait leur gunbra à base d’une grande courge évidée et desséchée. Mais quand ils ont découvert que le figuier donnait de meilleurs résonances ; ils ont commencé dés lors à en fabriquer leur gunbri.
Mohamed Tabal
Mahmoud Guinéa :-Dans le temps les premiers gnaoua étaient venus avec un gunbri à base de courge comme tu as dit, confectionné d’une manière africaine. Après quoi ils ont adopté le figuier pour sa belle résonance, sauf que sont instrument est habité, hanté, maskoun. Son maniement nécessite purification. On ne doit pas y toucher en état d’ivresse. Car le figuier s’est sanctifié par les nombreuses années qu’il est resté sur cette terre avant d’être coupé pour en faire le gunbri. Donc, elle est déjà habitée, hantée, maskouna. Le maâlem lui accorde toute son attention en l’encensant. Le gunbri vieillit aussi : passé quarante ans, il se met à résonner tout seul quand tu le suspend au mur. Il parle tout seul la nuit.
Malika Guinéa : -Tu sens comme si quelqu’un raclait ses cordes. Le tambour, bouge lui aussi. Tu entends sa résonance.
Mahmoud Guinéa : -Pendant longtemps les instruments des maîtres disparus sont restés dans la zaouïa comme des antiquités sacrées auxquelles personne n’osait toucher. On se contenter de les visiter pour en recueillir la baraka.
Abdelkader Mana : -Lorsque j’écrivais mon livre sur les Gnaoua, l’un des maâlem , Paka que Dieu le guérisse ou Guiroug, m’a raconté qu’enfants ils se rendaient à la zaouia de Sidna Boulal, où ils rejoignaient Mahmoud Guinéa et ils allaient ensuite confectionner aouicha, la petite guitare à table d’harmonie en zinc qui leur servait à s’exercer avant de jouer au gunbri.
Mahmoud Guinéa : -On était alors en période d’apprentissage : dés notre prime enfance, on était des amateurs de Gnaoua. On confectionnait notre instrument en se servant du zinc en guise de table d’harmonie et du nylon en guise de cordes. Et on se servait des boîtes de conserve de sardines pour confectionner les crotales. Et on allait s’amuser ainsi au village de Diabet. Une fois, alors que nous étions encore tous jeunes, la tombée du jour nous a surpris dans la forêt de Diabet où nous nous sommes mis à scander Charka Bellaydou, une devise des gens de la forêt. Très sérieusement, dés que nous avons entamé ce chant, nous apparu alors, surgissant de nulle part, une sorte de Kinko A l’apparition de cette énorme créature, nous prîmes la poudre des escampettes. Fil blanc, fil sombre était la lumière dans les jardins de Diabet, près de l’oued.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : -Au début tu accompagnais ton père , que Dieu ait son âme, en simple qraqbi (joueur de crotales) . Ton père jouait du gunbri et tu as commencé tout jeune en tant que qraqbi et en tant que jeddab (danseur rituel). Tu jouait Kouyou, la partie ludique du rituel. Un jour ils t’ont préparé une gasaâ(plat de couscous) pour te reconnaître en tant que maître de la nuit et du gunbri.
Mahmoud Guinéa : -A la zaouïa, ils m’avaient préparé une grande gasaâ, de couscous, semblable à celle des Regraga décorée de bonbons, d’amandes et de noix. Les Gnaoua étaient encore tous vivants. Ils m’ont béni et j’ai commencé à jouer. Mon jeu leur a plu. C’est de cette manière qu’ils m’avaient reconnu en tant que maâlem. Ce n’est pas le premier venu qu’on recrutait ainsi. N’importe quel profane, apprenant sur cassette, se prétend maintenant maâlem. Pour le devenir vraiment, il faut l’avoir mériter à force de peines. Maâlem , cela veut dire beaucoup de choses. Il faut être vraiment initié à tout ce qui touche aux Gnaoua : apprendre à danser Kouyou,à jouer du tambour, à chanter les Oulad Bambara , a bien exécuter les claquettes de la noukcha . Il faut savoir tout jouer avant de toucher au gunbri, qu’on doit recevoir progressivement de son maître. Maintenant, le tout venant porte le gunbri et le tout venant veut devenir maâlem. Sans le vouloir, je deviens un autre en jouant du tambour...
Mohamed Tabal
Malika (sa femme) :-Parce que la aâda (ou procession)est comme une invitation des esprits. Dés qu’on sort pour faire rentrer la procession à la maison ; on y amène en même temps les esprits avec soi. On les invite pour ainsi dire à la lila , la nuit rituelle, la nuit de transe : la plupart des gens rentrent en transe dés cette phase préliminaire de la aâda,où l'on joue uniquement du tambour, cette voix des dieux africains.Mahmoud a tout pris de son père : le gunbri, les crotales, les kouyou, la patience au moment de la transe, comment conduire la lila. Il a tout pris de son père.
Mahmoud :-Cela se pratique avec sérieux, avec cœur, et de bonne foi. C’est une énergie qui nous vient d’en haut. Un don de Dieu. Lui seul nous accorde cette force qui nous appartient. La transe n’est pas un apprentissage : c’est quelque chose qu’on a dans son sang, un don accordé par Dieu.
Malika :-Il vit cette musique depuis l’âge de sept ans. Il accompagnait son père quand celui-ci se rendait chez les moqadma , pour le sacrifice qui précède la lila . Il rentrait en transe. oui, dés l’âge de sept , huit ans. Depuis toujours, il a vu sa maman accueillir les possédés. Elle les reçevait à la maison pendant une semaine, quinze jours jusqu’à ce qu’ils guérissent . On organisait tout le temps des lila à la maison ….
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : Quel type de clientèles vous recevez ?
Malika :-Le premier cas est celui de cette femme qui fait des cauchemars la nuit. Elle n’acceptait pas les hommes qui la demandaient en mariage. Elle n’aimait pas du tout les hommes. Sa mère me l’a amené en consultation. Elle avait 28 ans. Les esprits m’ont indiqué que c’est eux – mêmes qui l’empêchaient de se marier pour qu’ils la possèdent. L’esprit qui la possède l’empêche de se marier pour qu’elle devienne son épouse. Nous lui avons organisé une lila mais son esprit a refusé en disant : « cette femme doit m’épouser ou me servir. » Mais elle refusait de servir. Elle a néanmoins organisé la lila en disant : « Je donnerais tout ce qu’on me demande, Le financement n’est pas un problème ".Elle a de l’argent. Elle fera tout ce qu’on lui demande pourvu qu’on la délivre et qu’elle se sente mieux. Elle n’aimait plus la maison : elle voulait s’enfuir, fuguer. La première lila est passée, la seconde et la troisième. Après quoi elle est guérie. Maintenant, elle est mariée. Elle a même deux enfants. Quand elle s’est mariée et qu’elle a eu le premier enfant ,elle l'a emmené à la tbiqa(l’autel des esprits). Pour le protéger on l’avait couvert des draps aux sept couleurs des esprits. Et quand elle a eu le deuxième enfant, elle l’emmena également. Maintenant elle m’envoie chaque année un sacrifice. Elle vit à Tanger. Elle est guérie.
Mahmoud Taba
Autoportrait réalisé par l'artiste au tout début de sa carrière en 1989
J’ai un autre cas, celui d’une femme mariée dont le problème est qu’elle n’enfantait pas alors que son plus ardent désir est d'avoir des enfants.Et même quand elle tombait enceinte, elle finissait par perdre son bébé dans les trois mois qui suivent. Alors, elle est venue me consulter et il s’est avéré que c’est Sidi Hammou qui l’a « frappé » au ventre en lui demandant sacrifice et lila. Elle ne voulait pas organiser la lila, chez elle : elle a honte de cette musique. Elle nous a donné l’argent et nous lui avons organisé la lila chez nous. Quand elle est redevenue enceinte, elle est venue me voir et je lui ai recommandé de porter durant neuf mois le « fil de laine autour du ventre» (comme ceinture protectrice). Suite à quoi, elle a donné naissance à une fillette qui a grandi maintenant. Elle aussi m'envoit offrandes et sacrifices à chaque nativité du Prophète..
Mahmoud Taba
Abdelkader Mana : - Comment es-tu devenue talaâ(voyante médiumnique)?
Malika :- Auparavant j’étudiais, comme tout un chacun rêve de s’instruire. J’ai obtenu mon bac, pour poursuivre mes études en section anglaise à l’étranger. Quand j’ai obtenu le bac j’ai eu un problème avec un Monsieur de notre fratrie : il m’a demandé en mariage alors que sa mère m’a refusé. Mais comme il est passé outre ce refus, elle m’a jeté un mauvais sort, pour provoquer notre séparation. C’est par ce mauvais sort, que les esprits me possédèrent .En enjambant cette magie j’ai commencé à tomber en transe et à me désintéresser de l’école. Je n’aimais plus les hommes, d’une manière générale. Les hommes, étaient devenus un problème pour moi. Je suis choquée à chaque fois que j’entends parler d’un homme qui désir demander ma main. Durant près de deux ans, nous avons consulté de nombreux docteurs psychiques. Ma maman, que Dieu ait son âme, m’amenait chez les médecins. Franchement, je n’étais pas élevée dans une famille Gnaouie. Chez nous personne ne dansait en transe. On était tout à fait loin des Gnaoua. Quand j’ai commencé à « tomber » (à devenir une possédée), les gens se mirent à nous dire : « Il faut voir les Gnaoua, organiser une lila ». Finalement, je ne croyais pas vraiment aux esprits. Il y avait alors dans notre voisinage une voyante qui organisait des lila. Un jour, alors que je dormais, j’entends au loin le rituel de la lila se dérouler chez elle. Quand ils ont entamé la procession aux tambours, je n’ai pu m’empêcher de quitter la maison en courant, pour rejoindre dame Jmiâ que Dieu ait son âme (Mon autel des mlouk comprend de vieux balluchons de couleurs que j’ai hérité d’elle.Même vieux et déchirés je ne puis les jeter. J’ai des serviettes toutes neuves, mais les anciennes qui lui appartenaient ; je les garde parce qu’elle me les a légué au moment de mourir). Je l’avais alors rejoins et je me suis mise à danser en état de transe. J’ai dansé alors sur les notes du grand maâlem Baqbou . En sortant de ma transe, je me suis endormie et elle m’a mis en isolation sous le voile : « Ma fille, me dit-elle, les esprits te réclament sacrifice et désirent que tu les serve. » Je n’ai pas compris tout d’abord qu’est – ce que « servir » veut dire? J’avais 17 ans.Je suis allée voir ma mère en lui disant que lalla Jmia m’a recommandé de « servir ». Une semaine après je suis « tombée en transe» à nouveau et j’ai commencé à pratiquer le parler en état de transe (kan’Ntaq). Les esprits se mirent à parler en moi : « nous lui avons ordonné de nous servir, disent-ils,d’organiser une lila pour devenir moqadma. » Je suis tombée malade et ma mère est allée voir cette voyante en lui disant : « Dame Jmiâ, viens voir ma fille elle s’est à nouveau évanouie." Elle est venue et a commencé par faire parler les esprits qui me possèdent, puis elle avait dit à ma mère : « Les esprits veulent qu’elle les serve. »
Mahmoud Taba
«Peut-on organiser la lila ? demanda ma mère, on vous donnera l’argent pour l’organiser. » ; La voyante lui répondit : « Ils veulent certes qu’elle organise une lila, mais ils veulent surtout qu’elle les serve. ».Nous avons effectivement organisé une lila . Je ne pouvais plus me lever , mais après la lila, je me suis sentie mieux. Un mois environ après la lila, j’ai à nouveau refusé de servir. Je suis tombée malade à nouveau. Les esprits lui dirent alors : « Elle ne veut pas de nous ; il faut qu’elle ait en pèlerinage. C’est ainsi que je me suis rendue à Moulay Abdellah Ben Hsein, à Chamharouch, jusqu’à ce que j’aie accepté. Je les voyais dans mes rêves et je m’écriais dans la nuit. Ils ont chamboulé mon sommeil : je dormais le jour et me réveillais la nuit. Je me mettais à prédire à quiconque me rendait visite : je tombais en transe et je voyais pour ceux et celles qui me rendaient visite sans qu’ils me le demandent. Petit à petit j’ai accepté l’idée de devenir talaâ(voyante médiumnique) celle qui fait monter les espritsen les faisant parler sur l'avenir des gens qui viennent consulter.
Mohamed Tabal
Je ne croyais pas d’abord aux saints, mais quand je suis tombée malade, je me suis mise à rendre visite à tout lieu saint en rapport avec les gnaoua : la grotte d’Aïcha à Sidi Ali , celle de Sidi Chamharouch où je me suis isolée durant trois jours : on mangeait là-haut, on buvait là-haut, on dormait là-haut. Après quoi, on est descendu vers Moulay Brahim où j’ai séjourné pendant une semaine. De là je suis descendue vers Moulay Abdellah Ben Hsein. Pendant quatre années, j’ai servie ainsi comme talaâ (celle qui fait parler les esprits). Une fois je me suis rendue en pèlerinage au moussem de Moulay Abdellah Ben Hsein comme ils m’ordonnent de le faire chaque année. C’est là que j’ai rencontré maâlem Mahmoud d’une manière tout à fait inattendue, que m'annocaient cependant les esprits lors d'une dormition :
- On t’autorise à te marier, à condition que ce soit avec un maâlem gnaoui et qu'il soit noir.
Je me suis dit : « Pourquoi dois-je chercher un homme qui soit de surcroît maâlem , gnaoui et noir ! Il est impossible de trouver un mâle qui réunit tous ces qualités ! »
Mohamed Tabal
Mais bien avant de le rencontrer, alors que je farfouillais dans mon autel des mlouk,je suis tombée sur une cassette qui contenait de la musique gnaoua. Notamment certaines devises de foufou-danba , du lait. Je me suis dit : « J’ai déjà écouté ce maâlem et sa musique comporte des devises qui n’existent pas chez les gnaua de Marrakech. " Je suis arrivée à Moulay Abdellah Ben Hasein en dissimulant cette cassette entre mes seins. C’est là que j’ai rencontré Mahmoud en campagnie de Hamida Bossou . Celui-ci m'invita à une lila qu'il organise en cette période du mouloud à Tamsloht. Parmi les invités, il y avait maâlem Mahmoud, son père et ses frères. On s’est connu de cette manière et je suis rentrée chez moi. Mon frère a rencontré par la suite le maâlem et l’a invité chez nous. C’est ainsi que je me suis retrouvée en tête à tête avec lui à l’intérieur même de ma maison ! J’ai alors ordonné à mon frère de nous faire écouter la fameuse cassette. Nous l’avons écouté sans que je sache d’où elle m’est venue. Mahmoud l’a reconnu : « C’est ma cassette » me dit-il.
Comment elle a pénétré à l’intérieur de ma maison ? Je ne saurais le dire . C'est de cette manière qu'il m'a découverte et épouser.
- Est-ce ta sœur ? Demanda –t-il à mon frère.
- Oui.
- Est-elle mariée ?
- Non.
C’est ainsi qu’en un très bref laps de temps, je me suis retrouvée fiancée et mariée . C’est maâlem Mahmoud qui m’a encouragé à poursuivre mon travail en tant que maâlma et en tant que voyante. Je suis originaire de Marrakech. Et du fait que j’organisais chaque année une lila, ma sœur dansait en transe, mon frère dansait en transe, ma fille dansait en transe. Cela remonte aux environs de 1985 que nous baignons en permanence dans ces rituels, au point que la musique gnaoua coule maintenant dans nos veines.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana: - Deux familles sont aux origines des Gnaoua d’Essaouira : les Guinéa et les Gbani, qu’Allah les aient tous en sa miséricorde. Je veux que tu me parles de ces deux familles. Ton grand père Guinéa était arrivé à Essaouira avec l’armée Française en 1914, d’après ce que m’avait dit ton père. Gbani , que Dieu ait son âme, m’avait dit qu’ils étaient venus de Bamako au Mali ou bien de Tombouctou , à travers le Sahara…
Mahmoud Guinéa : - Quand ils étaient arrivés à cette époque, le père de mon père s’appelait Da Méssaoud. Il était venu du Mali en passant par la tribu des Oulad Dlim au Sahara. Le père de ma mère, Ba Samba, était venu de Dakar. C’est eux qui sont à l’origine des Gnaoua d’Essaouira. Les ancêtres de la famille des Gbani sont également originaires du Soudan. Ces deux familles sont pareilles. Nous sommes tous venus d’Afrique. C’est de là qu’avait commencé le gnaouisme à Essaouira.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana :- Ton père m’avait dit, qu’il n’y avait pas de zaouïa des Gnaoua ici : ils habitaient juste sous des casemates du côté du quartier des Alouj(les convertis de l’époque). En arrivant ici, ils ont participé à l’édification d’Essaouira. L’un d’entre eux était sourcier : là où il leur disait de creuser, ils trouvaient de l’eau. C’est lui, d’après ce que me disait ton père qui leur avait ordonné d’édifier par ici la zaouïa des Gnaoua où ils s’étaient mis à se réunir chaque samedi. Ils parlaient alors le Guinéen…
Mahmoud Guinéa : - Au temps où ils habitaient dans les casemates, dont tu parles, ils n’avaient pas de zaouïa. Après quoi, un jeddab souiri (danseur de transe), de la famille Aït – el - Mokh, leur avait accordé un terrain, où ils pratiquaient leur rituel un certain temps, juste entourés d’une enceinte. Au bout d’un certain temps, les gens d’Essaouira, qui sont des jeddab (danseurs de transe) et des amateurs des Gnaoua, ont tous participé à l’édification de la zaouïa où se réunissent les Gnaoua
Malika Guinéa : - Pourquoi, leur avait – on accordé ce terrain ? A cause de ce fils qu’ils ont promené chez tous les guérisseurs sans qu’il soit guéri. Mais quant ils l’ont amené chez les Gnaoua, il s’est aussitôt rétabli. Ils ont alors accordé aux Gnaoua, ce terrain, en guise de don, comme le font chaque année, les bienfaiteurs qui viennent en procession à Sidna Boulala : la femme qui n’enfante pas, vient prendre la baraka et se remet à enfanter. L’homme qui a du mal à trouver du travail, recourt lui aussi aux Gnaoua. Quand ils ont vu que celui dont le fils est malade avait accordé le terrain, les autres ont financé : celui-ci a acheté le ciment, celui-là le fer, jusqu’à ce que la zaouïa de Sidna Boulal soit érigée. Nous ne pouvons pas dire que Sidna Boulal soit enterré à Essaouira : il est là-bas, en Orient. Ici, nous n’avons que sa baraka, son maqâm (mansion).
Mahmoud Guinéa : -Parce que le gnaouisme a pour origine le charisme de Sidna Boulal.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : - Ils se réunissaient chaque samedi, parce que la plupart d’entre eux travaillaient chez les négociants juifs. Or le samedi c’est jour de shabbat chez leurs employeurs juifs : c’est pour cette raison que les gnaoua organisaient leur rituel un samedi.
Mahmoud Guinéa : - A l’époque, ils ne travaillaient pas chez les juifs. Il y avait ceux d’entre eux qui étaient dockers. Il y avait ceux qui travaillaient comme artisans marquetant ce bois de thuya et il y avait parmi eux des marins.
Malika Guinéa : - Gnaoua, les vrais, ne travaillent pas le samedi. La nuit du vendredi au samedi est celle des esprits sauvages. Les Sabtaouiyne (ceux du samedi) sont mauvais. As – tu jamais assisté à une lila (nuit rituelle) des sabtaouiyne (ceux du samedi) ? Ils réclament des choses mauvaises. Ils peuvent par exemple te demander quelques choses des latrines, ils peuvent te demander du sang, ils peuvent te demander un cadavre. Tant qu’ils le peuvent les gnaouas qui prient pour le Prophète, comme tu sais, évitent cette nuit du vendredi au samedi. Ils lui préfèrent les jours du lundi et du vendredi, et évitent le mercredi porte malheur.
Abdelkader Mana : - Ce point concernant les esprits juifs du samedi, nous amène à parler de la religion des esprits possesseurs :il y a ceux qui sont musulmans, ceux qui sont juifs et ceux qui sont chrétiens. Et on dit que les esprits possesseurs juifs sont les plus difficiles à déloger ?
Mahmoud Guinéa : - Ce sont des êtres semblables à toi. Vous avez votre religion et j’ai la mienne. Et nous n’avons crée Adam que par la foi.
Mohamed Tabal
Mahmoud Guinéa :- C’est mon grand père qui avait amené ce bol de DAKAR : une ondée bénie des dieux…
Malika :-- Au plus fort de la transe, quand on invoque l’esprit de la mer le poisson apparaît tout seul au milieu du bol : sa baraka se manifeste de cette manière.
Mahmoud Guinéa : - C’est la pure vérité, il n’y a pas de mensonge…
Malika : -Ils remplissent le bol, présentent leur soumission aux esprits et se mettent à danser. Ils se rendent compte à l’issue de leur transe que le bol contient du poisson.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : - Est – ce le BOURI , ce poisson des rochers ?...
Mahmoud Guinéa : -Oui, il est tout petit ce poisson…
Abdelkader Mana :- On raconte que chez les Africains, il existe une divinité dénommée BOURI ?
Mohamed Tabal
Malika :-Pour ce qui est du sacrifice de Sidi Hammou, il est recommandé à celle qui fait des cauchemars, qui voit en rêve des hommes ensanglantés, qui se voit au milieu d’un abattoir, qui rêve de beaucoup de viande, de sacrifices, qui saigne en ouvrant les yeux. Bref, que du sang. Ou bien elle tombe atteinte par les génies : si elle ne voit pas le sang en elle-même ; elle le voit en quelqu’un d’autre, en assistant à quelqu’un qu’on a poignardé.Quand j’ai intégré la mida (l’autel des mlouk) et que j’ai accepté de servir les esprits ; je me suis rendue en pèlerinage à Sidi Chamharouch après avoir organisé une première lila. En redescendant de la grotte, je suis tombée sur du fer que j’ai pris. En arrivant à la maison, je suis tombée en transe . Quand les esprits sont « montés »(talaâ’ou) , ils m’ont demandé de danser avec le fer soit à l’invocation de Jilali , soit à celle du nuageux. C’est tout. Pour sanctifier le fer, j’ai organisé une lila avec sacrifice. Depuis lors, je ne peux plus danser à la devise de Jilali sans être munie de fer.
Mahmoud Guinéa : - BOURI ! Ô BOURI !
Abdelkader Mana : - Es-ce que cet esprit existe ? Es-ce qu’on l’invoque ?
Mahmoud Guinéa : - BOURI ! Ô BOURI ! Son invocation introduit les rouges.
Malika : - Il est le portier des rouges. L’ouverture des esprits rocheux. Du sang. C’est le BOURI !
Abdelkader Mana : - Ne croyez – vous pas que ce sont les Gnaoua qui ont donné le nom de BOURI, à ce poisson couleur d’algues qu’on trouve à marrée basse aux interstices des récifs d’Essaouira ? C’est un nom d’origine africaine ?
Mohamed Tabal
Mohamed Tabal
Mahmoud Guinéa : - C’est possible. BOURI, ô BOURI introduit les rouges. Et il y a BOURI, ô BOURI, des bleus.
Malika : - Il y a deux genres : ceux qui ouvrent les rouges et ceux qui ouvrent les bleus.
Abdelkader Mana : -Il y a aussi un melk, un esprit dénommé BOSSOU, une espèce de divinité des marins en Afrique. Il y a maâlem hamida BOSSOU, que Dieu ait son âme. Mais il y a aussi un melk chez les Gnaoua qui porte le nom de BOSSOU ?
Malika : - BOSSOU, n’est pas un nom de famille
Mahmoud Guinéa : - Hamida dansait à cette devise.
Malika : -Il est possédé par ce melk. Il jouait au gunbri , que Dieu ait son âme, mais une fois arrivé à la devise de BOSSOU, il tombait en transe.
Mahmoud Guinéa : -J’ai joué pour lui à Casablanca.
Malika : - Maâlem BOSSOU, que Dieu ait son âme, avait toujours besoin auprès de lui d’un autre maâlem , pour le relever au gunbri . Il ne jouait pas quand il n’y avait pas de maâlem pour le relever, même si la moqadema exigeait cette devise. C’est ainsi qu’on le surnomma hamida BOSSOU, du nom de cette devise.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : - Que raconte cette devise BOSSOU ? Es-ce que vous pouvez nous la jouer en se faisant accompagner du chant de nos amis ?Est – ce qu’on peut considérer Hamida Bossou comme faisant partie des esprits de la mer ou ceux des cieux. Il fait donc partie des bleus ?
Mahmoud Guinéa : - Il fait partie des gens de mer Haoussa. Lui était un Haoussa.
Abdelkader Mana : -Qui sont ces Haoussa ?
Mahmoud Guinéa : -Les Haoussa, ce sont les fils de la forêt de l’Afrique. La région où la forêt est proche de la mer. Cette devise musicale accompagne la transe de la forêt Haoussa, d’où est originaire Bossou.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : -Qui sont ces esprits possesseurs Haoussa ? Portent – ils la couleur bleue ?
Mahmoud Guinéa : -Non. C’est une cohorte des esprits noirs.
Abdelkader Mana : - Même s’ils évoquent lamer ?
Mahmoud Guinéa : -C’est que l’océan d’Afrique évoque la transe de cette contrée.
Abdelkader Mana : -Es-ce qu’on évoque ces esprits Haoussa avant ou après les esprits marins ?
Malika : - Avec les esprits marins.. On peut dire que Bossou est le plus fort des esprits marins. Ces derniers commencent avec la danse au bol rempli d’eau. Après quoi entre en scène Bossou qui danse avec un filet de pêche. Tous les autres esprits se dansent avec les draps à l’exception de Bossou qui se danse avec un filet de pêche, comme celles qu’on trouve au port. Mais c’est un filet orné de cauris.
Mahmoud Guinéa : - A l’invocation de cette devise musicale, on danse en faisant semblant de nager avec un filet de pêche.
Abdelkader Mana : - Quelle cohorte est invoquée après les esprits de la mer ?
Mahmoud Guinéa : - Les célestes.
Abdelkader Mana : - De quels esprits se composent ces célestes ?
Mahmoud Guinéa : - Ils expriment la transe céleste et tout ce que contient le ciel d’anges, d’étoiles, de lune et autres sphères cosmiques.
Malika :-A la maison on vit avec nos esprits. Et tout le temps, il y a un amour entre la femme et son mari. Même le maâlem a ses esprits . Il n’y a pas de maâlem sans transe ni esprit possesseur ; jamais. Il doit être possédé ou bien par les chorfa ou bien par les noirs ou bien par les moussaouiynes . Les esprits vivent entre la femme et son mari . Il y a la mida , ( l’autel des mlouk, les esprits possesseurs) avec lesquelles je travaille : même quand je dors les esprits sont tout le temps dans la mida avec leurs encenses leurs serviettes aux sept couleurs et tout. Mahmoud mon mari les respecte et leur fait des offrandes. Quand je prépare le tagine au charbon, il jette les encenses sur le brasier pour que les esprits soient toujours contents. Nous n’attendons pas la lila pour brûler le benjoins : nous le brûlons tout le temps chez nous ; si je ne le fait pas moi-même, c’est Mahmoud qui s’en occupe.
Mahmoud :-L’encens est présent en permanence à la maison, ainsi d’ailleurs que le lait et les dattes. La transe est omniprésente à la maison.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : - Racontez – nous un peu la vie d’Aïcha Kabrane, votre mère que Dieu ait son âme : quel était son rôle ? Comment travaillait – elle avec les aiguilles ? Et comment prédisait – elle en état de transe ? Ce sont les esprits qui la possèdent qui parlent à travers sa bouche ?
Mahmoud Guinéa : - Les gens viennent la consulter et Dieu accorde sa guérison.
Abdelkader Mana ; - Que leur prescrit – elle quand ils viennent la consulter ? Es – ce qu’elle recoure aux cauris ? Raconte un peu avec détails.
Mahmoud Guinéa : - Les parents des possédés les amènent chez elle, et elle commence d’abord par la divination. C’est là qu’elle diagnostique le mal qui l’a frappé. Elle prédit grâce à un auvent d’osier contenant des coquillages et des cauris de la mer du Nil que mon grand père avait amené jadis avec lui. Elle les remue d’une main et avale deux à trois aiguilles de l’autre. Ce n’est qu’après qu’elle peut te dire quel djinn t’a frappé et pourquoi et comment. Puis elle l’encense en lui prescrivant le sucré et le salé.
Malika :- Elle appelle ces esprits pour qu’ils lui indiquent la raison pour laquelle ce monsieur ou cette dame sont venus la consulter. Elle ne préconise pas systématiquement la lila : il y a celui à qui on recommande le sucré et celui à qui on recommande le pèlerinage à Moulay Brahim, sidi Abdellah Ben Hsein ou Sidi Chamharouch : il doit effectuer ce pèlerinage avant de revenir lavoir pour quelle puisse deviner ce les esprits réclament. C’est à ce moment là que les esprits préconisent la lila. Elle doit alors jouer son rôle en se concertant avec son maâlem. Que demandent les esprits pour délivrer ce possédé ? Il sera enfin délivré ou bien il deviendra un serviteur des esprits. Car il y a le possédé à qui ils demandent qu’il soit leur serviteur en devenant moqadem.
Mahmoud Guinéa :- Malgré lui s’il le faut, même s’il refuse de devenir leur serviteur. Cela est déjà arrivé à de nombreux possédés.
Malika :- Que faire ? Elle fait alors appel au maâlem qui se trouve être son propre mari comme c’est mon cas. Elle lui dit : une telle ou un tel désire une lila préparée d’une telle ou telle manière. Et il vont faire le marché comme nous l’avons fait nous-même. Ils vont acheté tout ce dont ils ont besoin pour l’organisation de la lila. Au cours de cette dernière la cliente se livre alors à la danse de possession. Et la voyante médiumnique l’empêche de rentrer à la maison : elle doit rester en sa compagnie au moins une semaine, le temps qu’elle lui indique la manière dont elle doit servir. Et même quand elle devient moqadema, elle se doit d’organiser une lila , où Lalla Aïcha doit être présente. Ceci pour ce qui concerne l’initiation de celle destinée à devenir moqadma. Pour celle qui est possédée, elle reste chez elle ,voilée , isolée, consommant le sucré durant une semaine, dix jour voir un mois jusqu’à ce qu’elle va mieux. Après quoi, au cours d’une nuit du mois lunaire de chaâbane , elle doit se rendre en pèlerinage à Lalla Aicha avec un sacrifice en guise d’offrande.
Mahmoud Guinéa :-Elle doit régulièrement se rendre en pèlerinage et continuellement présenter des offrandes et des sacrifices.
Mohamed Tabal
Malika :-Il se peut qu’elle soit délivrée comme il se peut qu’elle soit à nouveau possédée. La mère de Guiné tombait en transe quand on invoquait le Jilali, les noirs et le soudanais. Chose qu’on ne trouve chez aucune moqadma que ce soit ici à Essaouira ou ailleurs. Ces devises lui étaient propres.
Mahmoud Guinéa :- C’est mon grand père qui avait amené du Soudan ces devises bien faites. Aucun Gnaoui en dehors de notre famille ne joue ces devises musicales. Personne ne danse à leur invocation à part nous autres.
Malika :- On ne les joue ni ne les danse ailleurs. Nous les respectons : la mère de Guinéa ne les jouait qu’au cours d’une lila qui lui était propre.
Mahmoud Guinéa :-On préserve ces devises pour que les autres Gnaoua ne les jouent ou ne les enregistrent.
Abdelkader Mana
15:09 Écrit par elhajthami dans Arts, Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts, psychothérapie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
07/12/2011
Mohamed Tabal et les voyantes médiumniques
Pour symboliser les deux grandes fêtes du calendier lunaire, Mohamed Tabal a peint cette fiancée au tatouage berbère avec un croissant de lune à un oeil et un béllier en dessous pour signifier la fête du sacrifice, et un croissant de lune pour l'autre oeil pour symboliser la fête du mouloud où les voyantes médiumniques des gnaoua se rendent en pèlerinage à leurs lieux saints.
A l’occasion des fêtes du mouloud, toutes les moqadma des Gnaoua se doivent d’organiser une lila. Une nuit de transe. Elles effectuent aussi le pèlerinage à leurs saints protecteurs. Leurs esprits et leurs djinns. A chacune ses esprits protecteurs. Il y a celles qui sont les protégées de Sidi Ali Ben Hamdouch et de Lalla Aïcha avec toutes ces variantes : Aïcha la Dghoughi, Aïcha la bleu ciel, Aïcha Kandicha. Elles effectuent le pèlerinage à tous ces lieux dés le premier jour de la de la nativité d Prophète. En ce moment, on trouve les pèlerins sur les routes du pèlerinage à Sidi Ali . Ceux qui sont les protégés de Moulay Brahim, y conduisent leurs sacrifice. Il s’agit des moqadmas qui doivent se rendre à Moulay Brahim. Et il y a celles qui se rendent à Tamsloht. Ce sont les trois lieux saints auxquels elles doivent se rendre en pèlerinage.Bien avant de rencontrer maâlem Mahmoud, Malika vivait à Marrakech où elle participait à des lila au mois lunaire de chaâbane et à la fête du mouloud.
« La moqadma n’est pas en charge de son seul état,nous explique-t-elle : elle se rend en pèlerinage accompagnée de ses malades. C’est ce que j’accomplis moi-même, depuis 1985 , année où j’ai intégré cet ordre des voyantes médiumniques alors que je n’étais encore qu’une jeune fille. Je soigne les malades psychiques qu’ils soient hommes ou femmes. J’ai soigné des femmes qui étaient folles et des femmes stériles. Des filles qui n’avaient pas de chance dans leur travail. Des hommes qui ne connaissaient rien au mariage. Ils avaient peur rien qu’à entendre parler du mariage !"
A la nativité du Prophète, elle prend son balluchon de tissus de couleurs, ses autres accessoires, benjoins et encens et prend la direction de Marrakech , pour y rencontrer ses possédés. Pour que ces derniers se portent bien, il faut qu’ils viennent accorder les offrandes promises aux divinités. Ces offrandes qu’ils présentent chaque année :
« Il y a celui qui offre un sacrifice de bouc, il y a celui qui sacrifie un bélier, il y a celui qui sacrifie de la volaille. Il y a celui qui offre l’habillement : tunique noire, tunique blanche, tunique verte. Selon. Il y a celui qui a pour offrande le sucre, les bougies et tous les accessoires de la lila. Il m’est indispensable d’organiser une lila à Moulay Brahim. Mes malades m’y apportent leurs offrandes ainsi que les dons en argent que j’offre au marabout. Je rends visite à Moulay Brahim accompagnée de mes malades. Il y a des personnes qui sont empêchées de se rendre à ce pèlerinage, parce que la femme travaille, parce qu’elle est mariée et n’a pas le temps ; elle accorde son offrande à la moqadma qui se charge de la porter au sanctuaire. Tel le sacrifice et autres dons en monnaie ou en semoule. En tant que moqadma je réuni toutes ces offrandes tout en demandant aux malades comment elles se sentent ? Comment elles se portent ? »
Pour les filles novices qui viennent d’intégrer l’autel des esprits ; il leur est indispensable d’accompagner leur voyante médiumnique à Moulay Brahim. Là haut elles louent leur logis et font leur fête. Elles y réunissent leurs dons qu’elles vont offrir au lieu saint. Tel les sacrifices. Elles effectuent une circumambulation autour de Moulay Brahim et accordent leurs dons aux descendants du saint :
« Après le sacrifice, les descendants du saint nous accordent uniquement la tête du bouc ou du bélier. Le soir on prépare le couscous avec cette tête et on accorde ainsi la baraka aux esprits. On prépare aussi le repas sans sel à base d’encens et de viandes fade. On prépare un autre plat de couscous autour duquel se réunissent les hôtes de Dieu de passage en ces lieux saints/ Chacun a droit à sa part de baraka. »
"Les descendants de Moulay Brahim nous accordent leur baraka , que nous distribuons à toutes les filles qui nous accompagnent ainsi qu’aux autres possédés et on garde même leur part à celles qui ne sont pas venues. Cela consiste en henné, en sel, en levure, et en encens. Après quoi nous descendons vers la plaine en direction de Moulay Abdellah Ben Hceine."
- Tout à l’heure, tu m’avais parlé de cette femme qui accorde le bouc rouge….
- Cette femme est « frappée » par Sidi Hammou : il désire qu’elle soit voyante et moqadma. Mais ses enfants en ont honte. Chaque année ils accordent un sacrifice au mois lunaire de Chaâban et un autre au mouloud. Au mois de Chaâbane on organise la lila chez moi : elle tombe en transe et tout le reste. Et au mouloud je l’emmène avec moi à Moulay Brahim. Elle y tombe en transe et doit y sacrifier et y boire du sang de son bouc. Elle reste avec moi à Moulay Brahim jusqu’à ce qu’on descend ensemble vers Tamesloht.
-Pourquoi doit-elle s’abreuver de sang ?
-Parce que l’esprit Sidi Hammou aime le sang. Comment a-t-elle été frappée pour la première fois ? Elle a était « atteinte » de nuit, en lavant du sang menstruel à l’égout. En y versant de l’eau chaude sans demander la permission des esprits des lieux. Sans verser du lait. Elle fut « frappée » au moment où elle pressait ses mollets au dessus de l’égout. Elle perd conscience sur le champ. Depuis lors et durant trois années, elle vomit du sang. Chaque fois qu’elle tombe en transe, elle ressent une envie irrésistible de se mordre la peau. Elle ne s’apaise qu’à la vue du sang jusqu’au jour où on me l’a amené : en faisant « monter » les esprits, ceux –ci lui dirent : c’est Sidi Hammouqui t’a frappé et voilà ce que tu dois faire pour te faire pardonner. Elle organisa une lila et s’est sentie mieux. Mais l’esprit demandait davantage : il voulait qu’elle soit sa servante. Elle n’était pas encore soumise à sa volonté. Nous continuons à négocier sa reddition. Chaque il lui faut danser en état de transe. C’est indispensable. Elle ne doit pas se contenter de faire ses offrandes et partir. Il lui est indispensable d’offrir ses faveurs et de danser en transe. Que ce soit au mois lunaire de Chaâban ou au mouloud. Et qu’elle achète le sacrifice, et qu’elle achète le benjoin rouge, et qu’elle achète les bougies rouges qu’elle allumera au cœur du sanctuaire.
"A Tamsloht on est rejointes par le maâlem. Selon dépend des moqadma. Nous autres les moqadma novices on va à Tamsloht uniquement avec nos accessoires. Au cours de nos « manipulations », les gens se mettent à tomber en transe. Une fois que nous avons terminé une lila, ils se mettent à nous réclamer une autre. Si bien qu’au lieu de rester une journée à Tamsloht, on y reste une semaine entière. Et au lieu d’y organiser une lila, on y organise trois à quatre, c’est selon."
- J’aimerai que tu nous entretiennes des symboles de la lila. Il y a le lait,le feu…
- Il y a le fer. Il y a le bol d’eau de mer.
- Explique nous la signification de ces symboles? Que signifient le lait, les dattes ?
- Pour ce qui est des dattes et du lait, ils sont les symboles de la paix : c’est par eux qu’on accueille les esprits. On leur souhaite ainsi la bien venue. Il y a les esprits mécréants et il y a les esprits croyants. Cela signifie qu’on les accueille par la fête , pour qu’ils soient heureux. La fête dont il s’agit, c’est la lila. Une rencontre propice au dévoilement de vos cœurs. Ceci pour le lait et les dattes. Après vient le bol des esprits marins : il est le symbole de la pureté. Car le bol des esprits marins est le symbole de la mer : quand quelqu’un est malade et se sent serré dans sa tête, il se sent soulagé en voyant la mer. Comme tu sais la mer contient beaucoup de vertus. Dans le bol on met de la menthe : cela veux dire qu’il ne faut pas que tu fermes tes yeux, le monde est vaste et ne se limite pas seulement ici. Vois combien l’univers est vaste, et combien l’espérance est grander renaît. L’océan est symbole d’espoir et la mer ne nous vient que du bien.
Double lecture : recto, fiancée de l'eau, verso, aigle des cîmes
En pratiquant le zoom-out, on s'aperçoit que nous avons affaire à "une femme - oiseau".Le tableau se prête en effet à une double lecture : oiseau d'un côté, femme de l'autre.Tabal se livre souvent à cette acrobatie, puisque certaines de ses oeuvres se prête même à une quadruple lecture : où qu'on tourne le tableau, on obtient une nouvelle lecture, un nouveau sens.Chaque détail du tableau est une oeuvre en soit.Une polyphonie de sens, une symphonie de formes et de couleurs : il y a le crocodille et il y a l'instrument à corde aux yaux grandes ouvertes qui constitue en même temps une amphore pleine des essences fortifiantes et vitales...Et je tais d'autres sensations encore...Plus on scrute le tableau, plus on en découvre de nouveaux détails et de nouvelle signications : le béllier du sacrifice, la calligraphie faite chose, l'oiseau étrange, les hommes vaquant à leur vie quotidienne en milieu rural....
Mohamed Tabal
On offre du miel à Sidi Hammou, en lieu et place du sang qui est quelque chose d’impure : si le sang était bon on l’aurait pas rincé de nos vêtements. Au lieu du sang, on te met du miel à la bouche. Au cours de la devise des rouge, il y a celui qui n’a qu’une envie : étrangler , mordre, manger de la viande crue. On lui substitue le sang par le miel : le mal par le bien. Ce qui est quelque chose de sucré et bon.
Vers la fin de la lila, on allume le feu pour éclairer les esprits sauvages. Quand on arrive à l’étape des esprits noires ; on opte pour le blanc, pour signifier que nous sommes encore sous la protection des esprits saints. Même si nous nous sommes possédés par les esprits noirs, nous expulsons ces mécréants par le feu et nous appelons les croyants en se couvrant des draps blancs. On distribue les bombons et les confiseries aux filles : cela veux dire que nous avons expulsé les esprits mécréants par le feu et nous accueillants les esprits croyant par les sucreries.
- Y-a-t-il un lien entre la lila et l’univers ? Entre la lila et les manifestations de vie et de mort ?
- Le lien réside en ce que Dien le plus haut a crée le monde, il a crée en même temps le djinn et l’humain. Ils ont leur vie et nous avons la nôtre. Pou la femme chaque enfantement est un traumatisme , après lequel elle n’a plus envie d’accoucher durant deux à trois ans. Mais le jour où elle tombe enceinte, son espoir renaît en ce monde. Psychiquement, elle n’accepte pas d’avoir un mort-né. C’est là qu’intervient le rôle des djinns. Elle pleure de jour comme de nuit. Au point que sa foi en Dieu faiblit. Elle en vient à se demander si les djinns ne lui avaient pas dérobé son bébé? S’il n’a pas été frappé par le mauvais œil ? Elle se sent possédée ; s’éveillant de nuit et dormant de jour. Et qui y-at-il dans la nuit ? La nuit est peuplée de djinns. Ce sont eux qui ont possédé cette dame. Elle commence à tomber en transe : elle crie. Elle ne trouve plus guère d’apaisements que dans la transe. Quand le maâlem joue les devises de « hadya », d’il n’y a de seigneur qu’allah ou encore celle de « ô koubayli, ils ont emporté les miens »…Le maâlem chante à ce moment précis la souffrance qui la taraude : elle se met à crier quand lui chante, parce qu’il atteint ses pulsations vitales. Son éros en souffrance. C’est le lien qui unit la danseuse au musicien.
Combien de femmes espèrent se marier mais à l’heure où le destin allait sceller la liaison tout se désintègre : le mari s’enfuit, le mari meurt, il s’est peut-être marié avec sa propre amie. Comme si le diable l’a « enveloppé » (katelbass). Son plus ardent désir est de quitter au plus vite sa situation de recluse à l’intérieur du foyer. C’est en le quittant qu’elle trouve l’apaisement. En se réfugiant dans une enceinte sacré tel Sidi Rahal ou bien Bouya Omar où résident les fiancée folles. Les sevrées d’amour. A Sidi Rahal elle trouve les Jilala, les maîtres de la transe : pour retrouver l’apaisement elle doit danser aux rythmes des Jilala.
L’homme qui paraît n’accorder aucun intérêt aux femmes est souvent possédé par Aïcha. Quand sa maman l’accompagne en consultation chez nous en nous disant : je désire le marier. Nous découvrons que son « problème » s’appelle Aïcha. C’est elle qui le ligote en créant des nœuds dans sa vie : mtaqfah. Il te dit lui-même qu’il désire se marier , mais en réalité, il ne passera jamais à l’acte. Il faut qu’il accomplisse les rituels nécessaires pour qu’Aïcha le délivre. L’homme doit toujours se frotter à la femme. Il doit toujours s’égailler de la féminité, ne jamais rester seul. Quand il reste seul, Aïcha le ligote. C’est elle la castratrice de beaucoup d’hommes. Le rôle de Sidi Ali est de les en libérer. Si nous avions un peu de temps, on se serait rendu à Sidi Ali. Les problèmes qu’on y rencontre sont ceux des hommes plus que des femmes. Des hommes castrés par Aïcha. Ils lui sacrifient dans sa grotte pour qu’elle les libère pour qu’ils puissent se marier et retrouver leur virilité et leur masculinité. C’est le genre d’hommes qui n’aiment pas se réunir avec les autres hommes. Ils préfèrent le boudoir des femmes et les jupes de femmes, où ils chantent et rient. Cela veut dire qu’ils sont possédés par Aïcha.
« Combien d’hommes j’ai reçu ici accompagné de sa mère, me disant qu’il veut se marier. Mais au moment où la porte est bien dressée sur sa poutre (expression qui veut dire : au moment où tout est prêt), il te dit : Non ! Il n’y a pas de fille qui me mérite ou que je mérite. En consultant l’autel des esprit je découvre qu’il est possédé par Aïcha !
En négociant avec elle, nous lui disant :
- Est – ce lui l’objet de ton désire ?
Elle nous répond :
- Cet homme, je le veux ! Je désire me marier avec lui ! Il mourra s’il désire une autre femme !
Nous lui demandons :
- Que veux – tu au juste ?
Elle nous répond :
- une vache à chaque moussem.
C’est son exigence pour le libérer. A condition que la femme avec laquelle il se mariera ne doit jamais lui interdire de rendre hommage à Aïcha. D’un samedi, l’autre, il doit s’encenser. D’un moussem, l’autre, il doit se rendre en pèlerinage. Il doit sacrifier. Quand une lila a lieu ; il doit y assister et y offrir ce qui est nécessaire à son déroulement. Aïcha peut lui rendre visite de nuit. Elle gâtera ses désires d’elle. Ce sont là ses conditions. Maintenant il a donné naissance à trois enfants et se porte à merveille.
-Il a trouvé la femme…
- Oui, une femme qui l’a accepté.
- Parce qu’auparavant les femmes n’en voulaient pas ?
- Il y a celles qui hésitent
- Il y a ceux que les femmes ne désirent pas
- Oui.
- Cela veut dire qu’Aïcha l’empêche et à chaque fois qu’il s’approche d’une femme..
- Elle s’empresse de le fuir. Quand il l’aborde pour la première fois, elle lui dit : « Oui ». Mais le lendemain elle lui dit : Non ! Je ne veux pas de toi. C’est un nœud, un tqaf. C’est comme si Aïcha effarouchait les autres femmes de s’en approcher.
- Y-t-il des lila particulières que les gnaoua et leurs possédés doivent organiser à des moments favorables, telles les nuits de pleine lune ou de demi lune. Y-t-il un lien..
- Avec les planètes ? Il y en a. Il y en a qui concernent Aïcha et il y en a qui concernent Malika. Ils ont une relation avec les planètes. Ils présentent leurs vœux en période de pleine lune. C’est du domaine de l’astrologie. Il y a celui dont le signe est de feu et il y a celui dont le signe astrologique est de nature terrienne. Le remède de chacune dépend de la nature de son signe astrologique. Voici ce qu’il faut faire et voilà le moment propice où il faut faire. Par exemple pour ce qui concerne l’homme, il doit s’abstenir de se raser les cheveux à certaines périodes particulières.
« Il faut compter les lettres qui composent ton nom. Savoir avec précision quand tu es né. Ton esprit libre. Des procédés magiques qui nous permette de te « lire » entièrement. C’est de cette manière qu’on arrive à identifier le djinn qui te possède. S’agit-il d’un mâle ou d’une femelle ? Que veulent de toi, ces esprits possesseurs ? Que te réclament-ils ? Te veulent-ils du bien ou du mal ? Nous on se contente de dire : je suis possédée par Aïcha, je suis possédée par Mira. Mais qu’est ce que tu as réellement ? Est-ce que cet homme te veut du bien ? Êtes vous d’humeur compatibles ? »
Mohamed Tabal
Les Gnaoua, les vrais, ne travaillent pas le samedi. La nuit du vendredi au samedi est celle des esprits sauvages. Les Sabtaouiyne (ceux du samedi) sont mauvais. As – tu jamais assisté à une lila (nuit rituelle) des sabtaouiyne (ceux du samedi) ? Ils réclament des choses mauvaises. Ils peuvent par exemple te demander quelques choses des latrines, ils peuvent te demander du sang, ils peuvent te demander un cadavre. Tant qu’ils le peuvent les gnaouas qui prient pour le Prophète, comme tu sais, évitent cette nuit du vendredi au samedi. Ils lui préfèrent les jours du lundi et du vendredi, et évitent le mercredi porte malheur.
- Ce point concernant les esprits juifs du samedi, nous amène à parler de la religion des esprits possesseurs :il y a ceux qui sont musulmans, ceux qui sont juifs et ceux qui sont chrétiens. Et on dit que les esprits possesseurs juifs sont les plus difficiles à déloger ?
- Ce sont des êtres semblables à toi. Vous avez votre religion et j’ai la mienne. Et nous n’avons crée Adam que par la foi. Nous répond Mahmoud Guinéa.
- On raconte qu’au nord d’Essaouira, existait un figuier hanté par un serpent auquel les femmes des gnaoua présentaient des offrandes. Elles organisaient une fête saisonnière sous cet arbre.
- C’est Sidi Abderrahman. Depuis l’âge de douze ans, je m’y rendais en pèlerinage avec tous les gnaoua d’Essaouira. Chaque année on y festoie durant sept jours à partir du septième jour de la fête du sacrifice. De leur vivant nous y accompagnaient les serviteurs, lakhdam, ainsi que la troupe des gnaoua . Il y avait un lieu où on dansait en transe, où on organisaient cette fête annuelle, immolant sous cet arbre hanté par un grand serpent qu’on appelait Sid –El- Hussein. On l’encensait et on tombait en transe. Lors du rituel cette créature sortait mais sans faire de mal à personne. J’ai accompagné les Gnaoua près d’une vingtaine d’années à ce sanctuaire de Sidi Abderrahman Bou Chaddada.
« Parler de ce figuier, poursuit Mahmoud Guinéa, nous amène tout naturellement à évoquer le gunbri . Ton père, que Dieu ait son âme, m’a appris deux choses à ce propos ; que les Gnaoua ont deux instruments à cordes : aouicha – qu’il fabriquait devant moi- et le gunbri. Et que celui qui n’a pas pratiqué aouicha, ne devait pas toucher au gunbri. Et votre père, que Dieu ait son âme, d’ajouter que les premiers Gnaoua confectionnait leur gunbra à base d’une grande courge évidée et desséchée. Mais quand ils ont découvert que le figuier donnait de meilleures résonances ; ils ont commencé dés lors à en fabriquer leur gunbri. »
Dans le temps les premiers gnaoua étaient venus avec un gunbri à base de courge comme tu as dit, confectionné d’une manière africaine. Après quoi ils ont adopté le figuier pour sa belle résonance, sauf que sont instrument est habité, hanté, maskoun. Son maniement nécessite purification. On ne doit pas y toucher en état d’ivresse. Car le figuier s’est sanctifié par les nombreuses années qu’il est resté sur cette terre avant d’être coupé pour en faire le gunbri. Donc, elle est déjà habitée, hantée, maskouna. Le maâlem lui accorde toute son attention en l’encensant. Le gunbri vieillit aussi : passé quarante ans, il se met à résonner tout seul quand tu le suspend au mur. Il parle tout seul la nuit.
- Tu sens comme si quelqu’un raclait ses cordes, me dit Guinéa. Le tambour, bouge lui aussi. Tu entends sa résonance.Pendant longtemps les instruments des maîtres disparus sont restés dans la zaouïa comme des antiquités sacrées auxquelles personne n’osait toucher. On se contenter de les visiter pour en recueillir la baraka.
-Lorsque j’écrivais mon livre sur les Gnaoua,lui dis-je, l’un des maâlem , Paka que Dieu le guérisse ou Guiroug, m’a raconté qu’enfants ils se rendaient à la zaouia de Sidna Boulal, où ils rejoignaient Mahmoud Guinéa et ils allaient ensuite confectionner aouicha, la petite guitare à table d’harmonie en zinc qui leur servait à s’exercer avant de jouer au gunbri.
- On était alors en période d’apprentissage : dés notre prime enfance, on était des amateurs de Gnaoua. On confectionnait notre instrument en se servant du zinc en guise de table d’harmonie et du nylon en guise de cordes. Et on se servait des boîtes de conserve de sardines pour confectionner les crotales. Et on allait s’amuser ainsi au village de Diabet. Une fois, alors que nous étions encore tous jeunes, la tombée du jour nous a surpris dans la forêt de Diabet où nous nous sommes mis à scander Charka Bellaydou, une devise des gens de la forêt. Très sérieusement, dés que nous avons entamé ce chant, nous apparu alors, surgissant de nulle part, une sorte de Kinko A l’apparition de cette énorme créature, nous prîmes la poudre des escampettes. Fil blanc, fil sombre était la lumière dans les jardins de Diabet, près de l’oued.
- Au début tu accompagnais ton père , que Dieu ait son âme, en simple qraqbi (joueur de crotales) . Ton père jouait du gunbri et tu as commencé tout jeune en tant que qraqbi et en tant que jeddab (danseur rituel). Tu jouait Kouyou, la partie ludique du rituel. Un jour ils t’ont préparé une gasaâ(plat de couscous) pour te reconnaître en tant que maître de la nuit et du gunbri.
- A la zaouïa, ils m’avaient préparé une grande gasaâ, de couscous, semblable à celle des Regraga décorée de bonbons, d’amandes et de noix. Les Gnaoua étaient encore tous vivants. Ils m’ont béni et j’ai commencé à jouer. Mon jeu leur a plu. C’est de cette manière qu’ils m’avaient reconnu en tant que maâlem. Ce n’est pas le premier venu qu’on recrutait ainsi. N’importe quel profane, apprenant sur cassette, se prétend maintenant maâlem. Pour le devenir vraiment, il faut l’avoir mériter à force de peines. Maâlem , cela veut dire beaucoup de choses. Il faut être vraiment initié à tout ce qui touche aux Gnaoua : apprendre à danser Kouyou,à jouer du tambour, à chanter les Oulad Bambara , a bien exécuter les claquettes de la noukcha . Il faut savoir tout jouer avant de toucher au gunbri, qu’on doit recevoir progressivement de son maître. Maintenant, le tout venant porte le gunbri et le tout venant veut devenir maâlem.
D’Afrique ils avaient amené avec eux la danse su sabre et des aiguilles. Ils dansaient également avec un bol rempli d’eau de mer contenant un petit poisson des rochers couleur d’algues dénommé BOURI. Cette danse s’effectuait quand on invoque la cohorte des mossaouiyne, les esprits de la mer…
Abdelkader Mana
14:02 Écrit par elhajthami dans Arts, Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts, psychothérapie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Mohamed Tabal en peintre de la vie rurale
Mohamed Tabal, le peintre-jardinier
Par Abdelkader Mana
Mohamed Tabal dont les oeuvres sont exposées ce dimanche 4 décembre 2011 à Casablanca refuse de s'y rendre : en cette période de gaulage des olives il prèfère rester dans son village de Hanchane pour s'occuper de la cueillette et de la trituration dans les antiques pressoires du pays Chiadma. En participant ainsi à la vie rurale, il en devient un observateur privillégié pour s'en inspirer et la peindre. Son atelier d'artiste se situe en effet au coeur de son village natal entouré de son jardin, de sa basse coure, de son souk et des carioles qui le sillonnent. Il y trouve surtout la paix, le silence et la lumière. Entouré de ses oeuvres en cours d'élaboration, il me montre accrochée au mur une sérigraphie délavée d'une oeuvre de Chaïbia que lui avait offert jadis un amateur d'art : "Depuis que cette artiste avait quitté son village natal au pays Doukkala pour s'établir dans la grande métropole de Casablanca, me fait-il observé, la vie s'est retirée de ses oeuvres moins colorées.." Il ne fera jamais cette erreure: il ne quittera pour rien au monde, cette vie rurale si simple et si poètique qui est maintenant la sienne : son poste télé est constament allumé sur une chaîne du Yemen qui diffuse en continu de la musique bédouine comme si rien ne se passait dans ce pays et une chaîne du Tchad où on montre surtout des pasteurs avec leurs boeufs, leurs calebasses de lait et leur danse africaine...De la sorte notre artite peut se consacrer tranquillement à son oeuvre sans être distrait par le flux continu des informations et la fureur du monde....
Mohamed Tabal
TABAL refuse d'être cet homme unidimentionnel, cet artiste prisonnier de l'image qu'on lui accole d'être seulement le "peintre des Gnaoua": certes ces derniers l'inspirent mais ils ne sont plus sa seule source d'inspiration.Il est maintenant un peintre multidimentionnel aux références culturelles multiples : africaines, berbères, arabes puisqu'il pratique la calligraphie à sa manière et s'inspire du zajal cette poésie populaire issue de la geste hilalienne, ces arabes nomades qui envahirent le Maghreb au Xème siècle telle une nuée de sauterelles... Il n'est pas non plus un peintre unidimentionnel au niveau de la technique puisqu'il pratique la peinture sur toile de jutte, le collage sur bois, la sculpture sur différents matériaux qu'il découvre au grè de ses promenades solitaires dans la nature. Les oeuvres qu'il commence à peindre à l'aube, il les a souvent esquissé la veille juste avant de dormir, car la nuit porte conseil et à l'esquisse d'hier s'ajoute souvent ce que le subconscient avait recueilli à l'insu du rêve...
Sanctuaire
Le zéro et l'infini de Mohamed Tabal
De cette œuvre complexe et énigmatique qui semble grouiller de djinns avec le sanctuaire au centre, voici ce que nous en dit Tabal : « Coupole au centre : une tortue sous une forme humaine. Couleur blanche et verte. La main droite est humaine et la main gauche est une tête de bouc. Le pied droit est une tête de chien alors que le pied gauche est humain. Au milieu un lièvre des forêts et un oiseau de l’espèce rapace.Il s’agit des oiseaux migrateurs africains. Au début ‘ai voulu appelé ce tableau le zéro et il est devenu infini. Quand on retourne le tableau, on voit des huttes africaines : c’est un tableau à quatre dimensions : on peut le lire des quatre points cardinaux. Avec les huttes, il y a les palmiers et les chameaux. Il y a aussi la chevalerie, la course des chevaux. Là, c’est une théière renversée et là c’est la calèche d’Essaouira, le fameux « koutchi » se dirigeant du côté de Jérifates(les petits rochers du bord de mer). Bab Doukkala, je l’ai peint en rouge alors que les gens sont en train de déambuler dans les rues du côté du boulevard de la « Massira »(la marche verte). Le maçon conduit sa brouette et les tentes du moussem des Regraga. Avec au premier plan la théière qui symbolise les fêtes et les réjouissances. Ce qui reste comme espace vide dans la toile je le rempli de fleurs »
La tisseuse qu'il vient de finir, représente sa mère qu'il a perdu il y a quelques années : "Tu te rappelle, me dit-il, le jour où tu nous a rendu visite il y a longtemps de cela, plus exactement en 1989 et où ma mère t'avait offert à ton départ une poule avec ses oeufs?C'est elle que j'ai représenté dans ce tableau où domine le mauve, symbole d'amour, une couleur que j'aime beaucoup..." Il a mis sa mère pour ainsi dire sous la protection du marabout du lieu : les oeuvres de Tabal sont aussi celle d'un conteur qui raconte une histoire.Autour du thème central, ici la tisseuse, se développent pour ainsi dire les thèmes qui ont marqués sa vie: sa visite au marabout, ses animaux domestiques. Et quand on demande à Tabal pourquoi il place toutes les scènes de la vie rurale au même niveau sans perspective, il répond : "C'est pour les rapprocher tous du regard du spectateur..."
L'autobiographie de la tisseuse se déploie autour d'elle, mais elle est aussi incorporéé à son propre corps : sur son bras gauche on voit son mari allant au souk avec son coufin pour y faire son marché, à hauteur de sa quenouille se trouve sa vache laitière, l'âne de la maison est incorporé à son bras droit, des poissons colorés entourent sa poitrine généreuse et partout des fleurs des champs constellent la toile pour ne laisser aucun espace vide...Les notions de proportions et de perspective sont battus en brêche.
Chaque détail est une oeuvre en soi, de sorte que chaque tableau en comporte plusieurs : le thème principal est certes"la tisseuse", mais pour relater "sa vie", il fallait peindre plusieurs scènes de sa vie quotidienne.On voit ainsi la tisseuse en train de traire sa vache laitière et juste à côté la même tisseuse en train de prendre son repas en campagnie de son mari qui vient de rentrer du souk comme on le voit en haut à gauche du tableau juste à côté du marabout : les différente scènes de la vie quotidienne que l'artiste dépeint ici et là sont interdépendantes les unes par rapport aux autres comme dans une bande déssinée qui raconte une histoire.......
L'âne est ainsi dépeint trois fois : se reposant sur le bras de la maîtresse de maison, transportant son maître au retour du souk en passant devant le marabout, et broutant de l'herbe en haut à droite de l'oeuvre.On voit ainsi l'âne évoluer dans sa vie quotidienne d'âne parallèlement à celle de la tisseuse..
En peintre - jardinier, il fleurit son tableau comme il fleurit son jardin.Il le traite aussi comme une tapisserie : la tisseuse en médaillon central et les scènes de la vie rural en éléments décoratifs. Les poissons et autres reptiles qui composent la poitrine de la tisseuse sont décorés par les motifs en zigzag de la tapisserie qui symbolisent l'eau dans l'imaginaire rural. Mais aucun objet n'est coloré tel qu'il existe dans la nature mais tel que l'aurait peint un enfant de l'école primaire qui imagine des oranges bleues ou des serpents verts..
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Mohamed Tabal
La tunique rapiécée : voeux de pauvreté comme parure et comme beauté
Ce qui est décrit est plutôt un univers mental, relevant de ce qu'on peut appeler un état modifié de conscience semblable à celui obtenu après la consommation d'adjuvants rituel ou de drogues hallucinogènes comme chez les indiens Yaki : du pachiderme surgit un corps humain et un signe de victoire...Cette prolifiration de sens, Tabal nous l'illustre magistralement avec son porteur d'eau.
En haut à gauche du chapeau de paille, on voit la femme berbère du porteur d'eau en train de moudre les pépites pour préparer l'huile d'argan...De l'autre côté de l'oiseau et du chapeau, on voit maintenant que la femme du porteur d'eau a réussi après trituration à produire trois littres d'huile d'argan que son mari peut vendre au souk pour compléter son maigre gain: "J'espère, me dit Tabal, que ce porteur d'eau réussira à étancher la soif d'art chez tous les visiteurs de l'exposition de Casablanca!".Alors que la femme du porteur est occupée au moulin, ses poules picorent tout autour d'elle créant une animation qui la distrait et lui permet ainsi de voire passer le temps plus rapidement et sans trop d'ennui...
Sur le bras droit repose l'âne qui transporte le porteur d'eau au souk : c'est l'arroseur, arrosé en quelques sortes!
L'outre du porteur d'eau est richement décorée de vieilles pièces de monnaie, de main protectrice contre le movais oeil, de coeurs de différentes couleurs etc.Comme chez les Regraga où existe un saint patron de "la rivière verte", l'eau que verse le porteur d'eau est de couleur verte parce qu'il contient de la baraka, c'est à dire plus que sa réalité déjà connue.Il est à remarquer que là aussi la notion de "proportion" est battue en brèche puisque la tasse est plus grande que la femme du porteur d'eau avec son brasero et son pot de fleurs réunis...
Juste en dessous de l'outre et de la besace du porteur d'eau, on voit sa femme en train de préparer le pain entourée de ses ustenciles :elle est peinte sur le pied gauche de son mari, laquelle est posée juste à côté d'un énorme poivron...
Au pieds du père la mère, mais depuis que celle - ci n'est plus là, elle s'est mise à squater les moindres interstices de la conscience et de l'imagination...
Dans "le porteur d'eau" où les tonalité écarlates dominent, Tabal a choisi d'agrémenter de couelicot son tableau, en fin observateur du printemps : lorsqu'il se repose au milieu des champs il ne voit pas le champs claircemé de coquelicots d'une manière général, mais son cerveau "photographie" en quelque sorte, chaque coquelicot en particulier et en fait un motif quasi mystique de la renaissance du printemps...
Le poème du coquelicot de Moubarak Erraji
Pour apaiser ses gémissements
Elle peignait la chevelure du vent
Le coquelicot n’est que brise
Si son parfum n’était si fort
L’abeille amoureuse l’aurait dédaigné
Ô mon fils, lui a-t-elle dit
Quand on a annoncé au coquelicot
Qu’on doit lui couper la tête
Le coquelicot enlaça et embrassa son propre sang
Au coquelicot les rites funéraires furent des noces
Ô mon fils lui a-t-elle dit
La mer, sa magie et sa grâce
On a cru pouvoir l’enfermer dans un cercueil
Mais sa veine déborda d’une blessure salée
Et brisa le cercueil…
La mer, ne la fait pas monter par une canne
Ne la fait pas monter au bord d’un hameçon
Laisse la mer à la mer
Laisse la mer à sa guise
L’abeille amoureuse
Comme les paysans au milieu desquels il vit, l'artiste associe l'abeille au nectare, aux fleurs et aux fruits de la terre : sans abeilles il n'y aura pas de fruits et sans nectare, le miel n'aura pas sa vertu curative. Pour l'artiste l'abeille est d'abord une réalité symbolique, comme métaphore de la vie et du printemps. C'est aussi une réalité coranique : il calligraphie en même temps le mot "AL-Nahla" qui la désigne dans la sourate du même nom:
Ton Rabb a révélé aux abeilles:
« Prenez demeure dans les montagnes,
les arbres ou les ruches. »
Elles consomment de tous les fruits
et suivent le sentier de ton Rabb, docilement.
Il sort de leur abdomen
une boisson de couleur changeante,
un remède pour les humains.
Les autres versets de l'abeille sont également une source d'inspiration pour Tabal parce qu'ils évoquent la vie rurale:
Il crée les ciels et la terre en vérité,
sublime au-dessus de ce qu’ils lui associent.
Il crée l’humain de sperme,
mais c’est un querelleur invétéré.
Pour vous, il crée les troupeaux
avec, par eux, vêture, services et nourritures.
Pour vous, que de beauté en eux,
quand ils reviennent au bercail
ou vont pâturer !
La possession comme dissociation du multiple en l'un
Ils transportent vos fardeaux dans les pays
que vous ne pourriez atteindre sans souffrance:
Le cheval, le mulet, l’âne
sont pour que vous les montiez ou pour la parade.
Le papillon de Mohamed Tabal
Il fait descendre l’eau du ciel
en boisson pour vous:
les arbres où ils pâturent croissent avec.
Il produit pour vous les céréales,
l’olivier, le palmier, la vigne et tous les fruits.
Il soumet pour vous la nuit et le jour,
le soleil, la lune, les étoiles soumis à son ordre.
Il a disséminé pour vous, sur terre,
les couleurs changeantes.
Il soumet la mer,
pour que vous vous nourrissiez de chair fraîche
et que vous y trouviez les joyaux de vos parures.
Tu vois la felouque y voguer,
à la recherche de bienfaits.
Du fruit des palmiers et des raisins
vous tirez du vin et une subsistance excellente,
C’est en cela un Signe, pour un peuple qui discerne.
Mohamed Tabal
Les troupeaux ont pour vous un enseignement:
nous vous abreuvons de ce qui, dans leur ventre,
entre chyle et sang, est du lait pur,
exquis pour les buveurs.
L'une des toutes dernières oeuvres de Tabal est celle consacrée au point d'eau dénommé "laghdir", au centre de la vie sociale du monde rural aussi bien chez les nomades que chez les sédentaires que ce soit en Afrique du Nord ou en Afrique noire.C'est à la fois un abreuvoire pour les animeaux et un lieu de rencontre pour les humains, y compris les rencontres amoureuses : c'est là souvent que le jeune soupirant qui vient puiser de l'eau pour son hameau, découvre pour la première fois sa future épouse en train de laver le linge sur des dalles en granite, chantonnant sous la lumière matinale,d'une voix à la fois douce et voilée , un de ces airs nostalgique du terroire: aux cliquetis de ses bracelets s'entrechoquant à chaque mouvement son coeur novice s'ouvre brusquement comme une fleur du printemps aux toutes premières confidences d'amour.Une douce musique s'élève alors comme un coup de tonnerre dans un ciel serein où voltige désormais le bonheur des jeunes tourtoureaux...
Mohamed Tabal
Rien ne symbolise mieux cette quête d'amour que le "haddaoui", ce mendiant céleste allant avec son herrazmystique d'un parvis sacré l'autre.
Mohamed Tabal
Lors des fêtes patronales qu'on appelle moussem, on le voit déambuler entre les pèlerins préparant leur repas et vaquant à leurs occupations au milieu de leurs tentes et de leurs animaux. Sa quête aumônière où il reçoit ziara et offrandes en contre partie de la baraka de Sidi Haddi dont il est porteur.Elle est représenté par cette bougie allumée qui symbolise à la fois la lumière du saint et in fine "la lumière prophètique" qui irradie sur tout saint homme en terre d'Islam, mais aussi la flamme d'amour qui brule dans le coeur des hommes...
Mohamed Tabal
La femme - théière
"Femme - aigle", "Femme-Théière", "Homme - oiseau", ces oeuvres de Tabal qui se prêtent à une double lecture prêtent aux humains les mêmes qualités que les animeaux et les choses auxquels ils sont associés : la femme appartient au mobilier de la maison au même titre que la théière, elle est associée à l'aigle qui symbolise son amant et le guerrier agile a les même qualité de force et de courage que le tigre et la même agilité à s'envoler dans les airs que l'oiseau auquel on l'associer. On retrouve cette démarche dans les arts premiers de nombreuses peuplades d'Amérique pratiquant le totemisme ou en Afrique chez celles pratiquant l'animisme.
L’artiste ne vise pas à reprendre un seul sens, le « sens unique », il brouille les cartes pour multiplier les sens possibles. L’art est proche de ces pratiques mystiques où l’on pensait que la perfection nominale consiste à conjurer les esprits des sphères et des astres. Plus une forme est belle, plus elle a de chance de faire sortir l’artiste de son île où souffle un vent de crabes, pour le livrer à l’univers éblouissant des idées.
L'homme - oiseau
A propos de "L’homme – oiseau", Tabal nous déclare : « C’est un tableau qui se lit recto – verso et qui a de ce fait un double sens. Il s’agit du poulet , volaille domestique élevée par l’homme au même titre que les brebis, les chameaux. Les yeux de l’homme sont un oiseau et un chat. Sa tête est un poisson. En bas un cheval avec un couffin plein d’avoine. L’espace vide laissé par l’oiseau et l’homme je le rempli d’une décoration florale. Le bec de l’oiseau est un four à pain décoré d’un palmier, d’un oisillon de caprins et de brouette. C’est un tableau à deux faces : pile, c’est l’aigle, face, c’est la tortue. »
Mohamed Tabal
Sur le visage de la mariée on voit des hommes préparant le carosse du mariage, le cavalier charmant arrivant à la fête où l'attent une fastueuse hospitalité symbolisée par la théière où même les oiseaux et les poissons sont heureux de participer au réjoissances tout en faisant de leur couleurs une magnifique parure pour la mariée...On voit en bas la maison de la future mariée avec son fiancé à son seuil : elle est surmontée de la dotte et d'une amphore symbole d'une vie conjugale à la fois féconde et prospère. Une future marié particulièrement fertile, une FUTURE fermière accomplie...La terre - mère, une Mère - nature: des volailles dans la tête, des poissons circulant dans le sang, une mémoire tatouée...Un art ihtifaliste fondé sur l'esprit de la fête...Quel est l'objet de toute quête d'amour? La fiancée de l'eau! Celle dont on promène l'effigie au milieu des champs assoifés pour faire pleuvoire le ciel desespéremment serein en y faisant advenir magiquement par des prières rogatoires des nuages gorgés d'éclaires de tonnerre et d'eau...
Mohamed Tabal
Totemisme
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Par Abdelkader Mana
03:23 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts | | del.icio.us | | Digg | Facebook