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21/05/2010

Regraguia BENHILA

Regraguia BENHILA

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Ph. Youssef Amchir

Elle peignait l’aube à la fois étrange et belle
lorsque les brouillards de la nuit font danser la lumière du jour

Au plus profond de l’hiver, en cette période de la saison morte où les nuits sont les plus sombres et les plus longues, et où le froid de la boulda atteint les cœurs, Regraguia Benhila nous a quitté ce mardi 10 novembre 2009 sur la pointe des pieds, au milieu de cette arganeraie des hrarta aux environs d’Essaouira où elle s’est retirée ces dernières années pour vivre dans la dignité loin des regards et des incompréhensions. Loin d’une ville où les solidarités traditionnelles qu’elle y a connues dans sa jeunesse, n’existent plus.

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La peinture de Benhila est d’une générosité exubérante. D’une grande fraîcheur. La fraîcheur du ciel et de la mer. Elle peint l’aube à la fois étrange et belle lorsque les brouillards de la nuit font danser la lumière du jour. C’est le monde qui renaît au bout du rêve. Elle peint le ciel de la fertilité quand le jour enfante la nuit :

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« Au moment où la nuit pénètre dans le jour, dit-elle, je te jure au nom d’Allah tout puissant que je vois défiler tout l’univers. J’adore le ciel quand le soleil décline. Je vois les nuages qui se meuvent et j’imagine un autre monde au dessus de nous. Je vois dans le ciel comme des arbres, des oueds, des oiseaux, des animaux. Les labyrinthes que je peins sont comme les ruelles de la vieille médina : tu vas dans une direction mais tu aboutis à une autre. Je peins les chats qui rodent sur les terrasses. Les enfants qui jouent dans les ruelles étroites, les femmes voilées au haïk , leurs yeux qui sont les miroirs des hommes et notre « mère – poisson » qui est une nymphe très belle, une gazelle qui mugit de beauté avec ses cheveux balayant la terre. Je n ‘oublie pas l’île et les monuments, symboles d’une histoire révolue. Tout cela m’apparaît dans les nuages ou me revient dans les rêves. »

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Ses tableaux, elle les voit d’abord dans le spectre des couleurs qui illuminent le crépuscule au dessus de l’île et de la mer. Elle fixe ces projections poétiques dès qu’elles réapparaissent sur la toile blanche, dès qu’elle en saisit le bout du fil. Ce sont souvent des représentations symboliques du rêve, aux connotations très freudiennes :

 

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« Quand je peins, je me sens malade comme une femme sur le point d’accoucher. Ça m’arrive à des moments de silence. L’enfantement est la seule sensation que je n’ai pas encore expérimentée. J’exprime l’idée du foutus dans ma peinture. Inconsciemment, je peins la matrice des femmes et leur état de grossesse. Je peins le diable que j’avais vu dans une forêt lorsque j’étais toute petite : j’arrachais avec mes dents le palmier nain dont j’aimais le cœur, quand il m’apparut sous la forme d’un chameau à cornes. Il était de très grande taille croisant les bras sur la poitrine. Il me regardait avec des yeux fissurés au milieu et qui louvoyaient dans tous les sens. Je m’éloignais en rampant sur mon ventre. Je rêvais souvent d’un chameau qui me poursuit. Il se transforme en une boule qui rebondit de colère jusqu’au ciel lorsque je me dérobe à sa vue. Je peins aussi le serpent, parce que, dans les temps anciens, les gens avaient peur du serpent. Les hommes étaient très beaux. Les serpents aussi. Mais, s’ils te foudroient, tu ne peux plus guérir. C’est le serpent de l’amour, car l’amour ressemble au venin. Mais je prie Allah pour que les cœurs des hommes soient aussi blancs que les colombes. »

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Regraguia Benhila(en haïk) avec ses amies Allemandes

 

La mer est peuplée d’esprits. C’est delà que provient Aïcha Kandicha, symbole démoniaque de la séduction féminine, que les hommes rejettent aussitôt dans le brouillard de l’oubli et des flots. Le dialogue avec la mer est zébré de craintes chimériques que l’artiste exprime sous la forme de la « mère - poisson » - sirène mugissante de beauté avec sa chevelure d’algues balayant la surface de l’océan – de piranhas et de monstres marins. Pour l’imaginaire traditionnel, l’océan est un cimetière où vient se jeter l’oued en crue avec ses cadavres de végétaux et d’animaux. Notre imaginaire n’aborde la mer, qu’en y ajoutant notre propre effroi, que véhiculait la procession carnavalesque de l’achoura où l’on chantait entre autre :

Ô toi qui s’en va vers Adouar
Emporte avec toi le Nouar

Jeux de mots sur le « Nouar » (bouquet de géranium et de basilic) que le soupirant doit porter à « derb Adouar » (l’impasse au cœur de la médina où résidait Benhila avant d’aller mourir en dehors de la ville qu’elle n’aurait du jamais quitter). Dans sa peinture la mer n’est point nommée mais sa fraîcheur est présente : azur ! Terre blanche éclaboussée de soleil ! Œil- poisson pour conjurer le mauvais sort ! Cris blanc et gris des goélands, par delà l’autre rive et l’autre vent ! Coquillage pourpre et sang sacrificiel à la foi ! La palette magique aux couleurs des jours finissants s’est retirée à l’intérieur des terres pour s’éteindre dans la dignité comme ces oiseaux qui se cachent pour mourir.
Abdelkader MANA

Artiste autodidacte, elle est née à Essaouira en 1940. Et ce n’est que tardivement, en 1988 qu’elle a commencé à produire ses premières esquisses si caractéristiques par leur univers labyrinthique et tourmenté aux thématiques extravagantes et aux couleurs chatoyantes où s’expriment son imaginaire, sa féminité et sa forte personnalité. Elle est la première femme peintre d’Essaouira.Ses œuvres ont été présentées pour la première fois, à la galerie Frederic Damgaard le 3 mars 1989,à l’occasion de la fête du Trône. Elle a ensuite exposé place de l’horloge et à Beit Allatif face aux batteries de la Scala de la mer.. Par la suite, elle s’est liée d’amitié à l’écrivain Fatima Mernissi et à un groupe de femmes Allemandes qui exposèrent ses œuvres à Cologne, francfort et ailleurs.

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C’est une figure emblématique des femmes d’Essaouira, dont elle portait le haîk, qui disparaît aujourd’hui. Et c’est en 1989, que je l’avais rencontré au cœur de la médina où elle résidait . A l’issue de l’entretien qu’elle m’avait accordé alors, je lui avais consacré le texte qui precede qui paru au catalogue bleu « Artistes d’Essaouira » paru en 1990, sous le titre : « La quête de la fertilité »

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19:02 Écrit par elhajthami dans Arts, hommage, Mogador | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : arts | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

09/05/2010

Lettre de Casablanca

t3.JPGLettre de Casablanca

Chère Marta,

Je prends immédiatement le bus pour aller voir ma fille à Casablanca. La sincérité, est ce qu''il y a de plus beau: c'est le seul style qui me sied et qui siéra à notre relation. Considère que je suis seul dans le cosmos et vient à ma rencontre..... Aujourd'hui comme un fou, j'appelle toutes les femmes de mon portable et je les surprends en leur disant combien j'ai envie d'elles toutes avec jubilation... Oui il est venu pour moi le temps de raconter une histoire.Je n'ai pas de scénario pour une "histoire", la mienne et celle de mon pays: il faut juste écrire au jour le jour en espérant trouver un fil conducteur. En partant de mon impasse et de celle de mon pays. A Casablanca j'ai l'impression étrange de me retrouver dans un monde inconnu. De me sentir comme un "revenant": Il n'y a plus personne à qui s'adresser. Oui j'ai l'impression de me réveiller dans un autre Maroc... Un pays amnésique qui ne sait plus d'où il vient ni où il va...

Pour ce qui est de mon ex-je lui ai demandé hier de me prêter son appareille photo numérique Elle m' a répondu : " Je te le donnerai dès mon retour de Fès ce dimanche » . Il est vrai que mes pulsions deviennent particulièrement virulentes à chaque fois que je prends le train: c'est là que je me suis rendu compte un jour brutalement de son départ irrémédiable et que je me suis mis à pleurer comme un enfant abandonné par sa maman...Dans un train en  partance vers le Sud. Depuis lors, à chaque fois que je monte dans un train je n'arrive pas à me tenir en place: je me mets à errer dans les couloirs et les compartiments comme si j'allais la retrouver à nouveau pour m'y blottir. C'est pourquoi j'ai terriblement peur des pulsions incontrôlables qui me saisissent à chaque fois que je monte dans un train...En ce printemps renaissant, le désir est pour moi un signe de bonne santé physique mais je sens que je n'en n'ai plus pour longtemps. C'est une manière d'exprimer la panne d'écriture. Ni Casa ni Rabat ne me sont d'aucun secours: je dois revenir à Essaouira et tenter d'être admis à nouveau à l'écriture: ici le vide est effrayant...Tenter de retrouver cette brûlure, cette flamme intérieur si précieuse à mon écriture.

Je suis content que vous ayez trouvé belles mes images....C'est extrêmement beau et gratifiant. J'en tire deux conclusions essentielles: ce qui me sied le plus c'est le style 'journal de route' où je m'implique émotionnellement et non le style prétendument 'objectif', genre rapport ou documentaire (ce qui suppose une documentation qui n'est pas mienne et qui n'appartient déjà plus au monde des vivants, figeant ainsi ma respiration dans le marbre, me privant de ma propre libre expression...La seconde observation est vitale : tous les textes que vous venez de choisir ont été rejetés, censurés par la presse officielle au point que le pauvre Jbiel n'a pu trouve nul part où publier notre réçit sur son bidonville! Mon blog était une simple consolation. Ça nous rassure tous les deux: ce n'est pas nous qui sont des enfoirés mais le système. On n'est pas des officiels; c'est rassurant y compris pour la série documentaire suspendue que j'animais a la deuxième chaine marocaine. Dernière observation d'importance   : mon blog a fait un bon significatif en terme de visiteurs (il est passé de 153  avant hier a 184 visiteurs hier et 225 aujourd'hui) :  Est- ce a cause de la guerre du Rif ou de la naissance de mon nouveau blog ? http://abdelkadermana.wordpress.com/

Vous m'avez écrit entre autre :

« Je pense que je sais de quoi tu parles : je suis restée un an et demi au Maroc, et c'est assez récent pour que je ressente encore cette oppression, cette terreur, ce vide, j'étais à Moulay Bousselham, un village de pêcheurs sur la côte entre Kénitra et Larache. Cette inculture, cette saleté, et leur détresse : à qui peuvent-ils s'adresser ? Cette corruption à tous les étages, ce manque de solidarité. La grande misère dans le douar, pas d'eau courante. Les femmes qui passent de l'enfance à l'état de grand-mère sans avoir eu l'idée d'apprendre à sourire, cheminant pliées à l'équerre sous leur charge de fagots de bois.Je viens de feuilleter compulsivement mon cahier, celui où on écrit à la main, pour retrouver le mot que Saïd m'avait dit. Vous auriez compris. Paranoïa, Loi du Silence, Omerta. Un peuple dans une détresse extrême, tenu dans l'ignorance et la crainte. Je ne pourrai jamais m'habituer à ce marché de dupes. J'ai pris la fuite, j'ai compris mon bonheur d'être française ; ce réseau d'aide sociale fonctionne plus ou moins bien, c'est admis, mais il existe tout de même. Cette prise en charge médicale quand des soins urgents doivent être administrés. Mais le Maroc que j'ai vu, ce n'est même pas le Moyen Âge, c'est l'aube de l'humanité ! Momo Erectus ! Je dis ça pour vous faire rire. Une autre devinette que vous connaissez peut être : quelle est la différence entre la dictature et la démocratie ? La dictature c'est "ferme ta gueule" et la démocratie c'est "cause toujours". Bon. Il faut rire pour se remuscler les abdos... »
Votre message est très fort et émouvant. Il m a  convaincu de mettre en ligne les documentaires suspendus. Je reporte mon voyage a Essaouira à la semaine prochaine. Il faut que mon blog serve la mémoire de ce pays. Ton très beau message arrive à un moment très difficile de ma vie: depuis le mois de mars 2008, la deuxième chaîne marocaine - le colloque que je préparais ce printemps a  probablement été annulé pour les mêmes raisons - a suspendu la série documentaire "La musique dans la vie"  que j'y anime depuis 1997: en 11 années de laborieuses recherches  j'ai supervisé, en tant qu'ethnomusicologue  pour le compte de 2M, 81 documentaires  sur le Maroc profond et méconnu, du Rif au Sahara, de l'Atlantique à l'Oriental, dont 21 prêts à diffuser depuis 2008 et qui ne le sont toujours pas a ce jour, alors que 'La musique dans la vie' a purement et simplement disparue de la grille des programmes. Il s'agit entre autre de deux documentaires sur la guerre du Rif(1921-1926), de plusieurs autres sur le soufisme: Nuit Soufie, Spiritualité vécue, fête du Mouloud chez les Seksawa du Haut Atlas...On a suspendu brutalement mon émission sans me rembourser un reliquat de 37500 DHS et sans donner suite à mes réclamations concernant le non respect du contrat par la chaine: non diffusion des documentaires tournés au mépris des population de Bou Iblan, de Nador, de Gzenaya, du Moyen Atlas Oriental etc. Ils ne m'ont pas non plus remis copie des 81 documentaires réalisées sur une durée de 11 ans et qui peuvent constituer la base de mon livre "le Maroc musical du Rif au Sahara".J'ai effectué des repérages au Maroc Oriental mais a ce jour pas de tournage comme stipulé par le contrat. J'en ai également effectué au Haut Atlas...J'ai adressé mille et un courriels aux "responsables" de la chaine mais à ce jour aucune réponse n'a été donnée  à mes requêtes et réclamations. Silence radio propice a toutes les interprétations pour donner l'illusion qu'un jour l'émission reverra le jour alors qu'en réalité elle a été enterrée une fois pour toute, sans que le propre intéressé en soit avisé d'une manière ou d'une autre. Ainsi va le Maroc : mise à l' écart, mise en placard en catimini.  J'ai adressé les mêmes requêtes au ministre de la communication, au ministre des Affaires religieuses mais sans réponse à ce jour. J'ai même voulu adressé une requête en ce sens au premier ministre mais un Istiqlalien m'en a dissuadé me disant qu'il avait lui-meme des comptes a régler avec la deuxième chaine. Pour un ancien dirigeant de cette chaine : 'A mon avis ils ne feront rien tant qu'ils n'auront pas d'instructions d'en haut'. Mais ce qui est grave et inquiétant c'est qu'aucune institution ne se croit tenue par le contrat moral engagé : il y a un an le maire de Casablanca a donné son accord verbal pour un beau livre que je devais écrire sur les peintres de Casablanca. Puis, plus rien. Un an après le maire d'Essaouira a donné son accord pour la préparation d'un colloque international sur les pèlerinages en Méditerranée. Puis plus rien. On m'a laissé préparer le colloque pendant des mois et des mois à mes propres frais pour se dérober à la dernière minute sous des prétextes fallacieux. Plus personne n'a de crédibilité et personne ne semble s'en soucier. Aucun engagement n'est jamais respecté, aucun contrat n'est mis en œuvre, aucune institution à qui s'adresser :le vide mortel.

En attendant il faut vivre et mourir à crédit. Depuis mars 2008, je survis sans ressources , depuis déjà une éternité .On vous laisse dans l'attente angoissée, les faux espoirs, les interprétations polysémiques.  Cela me rappelle ce qui s'est passe en 1999  quand j'ai travaillé comme sociologue consultant pour l'Office National d'Électricité (ONE). Comme la tonalité du rapport commandé sur le programme d'électrification rurale n'avait  pas plu - c'est mon interprétation, eux ils n'en n'ont donné aucune, se contentant de me fermer la porte au nez - ils ont suspendu  là aussi le contrat sans me remettre un reliquat de 100 000 Dhs; et sans donner suite à mes réclamation; suite à quoi ma beauté de femme m'avait immédiatement quitté pour un plus riche que  moi avec toutes les blessures de l'âme que vous pouvez imaginer. Entre temps mon Beau Livre "Essaouira, le temps d'une ville" a été co - réédité sous le titre "Essaouira, perle de l'Atlantique" à Casablanca et à Genève, distribué en Europe par Vilo, mais sans droits d'auteur en pleins tourments pour ma famille. Toqueville disait: "Pour reconnaître une démocratie, il faut voir le traîtementqui y est administré aux gens d'esprit....".

C'est la raison de la naissance au mois de mars 2009 de ce blog : gratuité pour  gratuité autant mettre toute ma littérature gracieusement sur Internet. Mes démarches auprès des éditeurs Français n'ayant pas été fructueuses non plus que ce soit pour la réédition du printemps des Regraga épuisé depuis 1992 ou pour "l'aurore me fait signe", ouvrage que je comptais illustrer par mes propres soins. Mais l'aurore commence peut - être à poindre à  nouveau pour moi  et c'est l'Europe qui me fait signe grâce à l'Université Européenne qui m'invite cet été....Mon regretté amiAbdelkébir Khatibi, après la fermeture de l'institut de sociologie qu'il dirigeait à Rabat dans les années soixante dix a fini par trouver une issue en France avec son amitié avec Jean Genet, Roland Barth et Derrida...

En tant qu'ethnologue, journaliste, intellectuel, je suis effectivement menacé d'asphyxie et je pense m'exiler ailleurs pour survivre. Rompre l'isolement est devenu un impératif de survie. Il est vital d'ouvrir une fenêtre sur l extérieur, se faire entendre au - delà du désert,  desserrer l'étau qui m'enserre. En regardant la deuxième chaine hier soir j'étais horrifié par le vide absolu qu'on  y a installé et je me suis dis: ma place n'est plus là, ma place n'est plus dans cette télévision des spots publicitaires. Il faut faire quelque chose avant qu'on m'enterre  vivant ...Ce soir ou demain je commencerai a mettre en ligne la guerre du Rif et les  documentaires suspendus sans préavis, et non diffusés a ce jour. En attendant, je vais faire un tour a Rabat pour voir un peu du pays... à Rabat où je viens de manger de la tête de chameau, je n'ai déjà qu'une seule envie: revenir à nouveau à Essaouira. Le cœur du pays est vide. Pour mon âge l'Europe n'est pas non plus une solution. Il faut vivre de peu mais écrire: il ne sert de rien de ressortir les vieux documentaires. Il faut passer à autre chose. Se donner la peine d'accoucher d'autres chose...S'efforcer ....

Le mercredi 21 avril 2010, je reçois ce message : « Ce soir dîner spectacle à 20h  avec Mamoun au café-théâtre Azizi 515 bd Ghandi devant le Pacha ». Le chauffeur de taxi qui m'y conduit me dit que Radio FM en a parlé à la mi journée. C'est un théâtre privé ou plutôt « privé de moyens » comme se plait à l'appeler son promoteur le dramaturge Tayeb Saddiki.

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Une fois sur place, je m'empresse d'aller le saluer. Il m'accueille avec les jeux de mots qu'il affectionne : « On ne fait pas du théâtre contemporain , me dit-il ; on fait du théâtre, quand on pourra !... »

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Il avait là un groupe folk jouant le répertoire de Nass elGhiouane :

-         Comment tu traduis « Nass el Ghiouan » ? Me demande Tayeb Saddiki.

Je reste pantois et lui de poursuivre :

-         El Ghiouan, c'est la perdition. Ceux de la perdition...Maintenant qu'est ce que tu veux boire ?

-         Rien. Lui répondis-je

-         Donnez-lui un verre vide ! Ordonna - t -il.

-         Que Dieu lui donne sa baraka, lui dit quelqu'un.

-         Es-ce qu'il n'aimerai pas avoir une baraque ? Lui rétorque le dramaturge. Puis s'adressant à moi, il ajoute, va faire un tour ; le vrai théâtre se trouve à l'étage. Mon fils Baker Saddiki te donnera tout un dossier de presse concernant ce théâtre de Mogador.

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Au théâtre de Tayeb Saddiki, deux symboles: le groupe de musique folk de Nass El Ghiane dont il a été l'initiateur au tout début des années soixante dix et Molière son modèle en art dramatique.
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Dans un coin de la buvette trône cette statuette de Molière en marbre
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Juste en face un autre portrait de Molière sur scène que cache ce groupe folk, excellent imitateur des mythiques Nass El Ghiouane qui se produisent sous le projecteurs pour faire patienter les premier spectateurs du "dîner de Gala", le titre d'une pièce de théâtre que Tayeb avait publié du vivant de son frère Azizi dont cette salle de spectacle porte le nom en guise d'hommage. Azizi était un humoriste fabuleux et un chroniqueur de talent.
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Le théâtreâtre Mogador est une passion, une affaire de famille: Amina la fidèle campagne du grand dramaturge y est omniprésente; pleine de soins pour tous les invitées de la soirée: prodiguant un mot gentil par ci, un autre par-là. Je lui prends ce portrait, mais elle ne le trouve pas génial, je le trouve pour ma part sympathique et pour lui faire plaisir, elle qui me présente à tout le monde comme étant "écrivain", je lui prends une photo plus large avec pour fond les  calligraphie de son géniale mari.
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Sur le fronton du théâtre Mogador une magnifique calligraphie de Tayeb Saddiki en guise d'emblème
Car pour ceux qui ne le savent pas Tayeb Saddiki est un artiste total, son talent est multiple et va de l'art dramatique à la mise en scène et à l'criture théâtrale sans oublier son humour omniprésente qui dédramatise les choses de la vie aussi douleureuses soient - elles. C'est un homme qui aime son pays, qui aime Mogador, sa ville natal dont ce théâtre porte le même nom que celui de Paris. Mais ce n'est pas le Marocain qui imite ici Paris mais plutôt le contraire: après son bombardement de Mogador en 1844, le Prince de Joinville avait édifié à Paris un théâtre en hommage à sa bien aimée et lui avait donné le nom de la bataille dont il était le maître d'oeuvre au Maroc d'alors: celle de Mogador...
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Quand j'ai fini de prendre cette photo à Amina,je lui demande:
- Es -ce que nous sommes en train d'assister à la soirée inaugurale?
- Non, me répondit-elle, c'est la quinsième soirée de Gala. A la soirée inaugurale il y avait tous les officiels du grand Casablanca.
Normal la ville se devait de rendre hommage au directeur du théâtre municipal de Casablanca disparu, lui qui veut rendre au théâtre tout son éclat au prix de possibles déboires financiers: il n'est pas aisé de faire fructifier un théâtre privé dans une ville qui n'aime pas sa culture, dans un pays où la télévision nationale bannit les émissions consacrées au patrimoine culturel national, dans un environnement pas tellement favorable à la fréquentation des salles de théâtre et de cinéma ( la plupart des salles de cinéma ont fermé leur porte à Casablanca et à travers le pays). Mais quand on aime le théâtre comme Tayeb ; on ne compte pas...
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Quand Mamoune monte sur scène , la soirée peut enfin commencer, un pur plaisir plein d'émotions et de dérision:s  à la fois du Jacques Brel et du devos.
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La modernité qui sied à une grande ville comme Casablanca. En arrière plan; un portrait de Molière: tout un symbole. Saddiki traine partout sa famille en campagnie théâtrale comme le faisait jadis Molière. Car le théâtre est un plaisir qui se partage en famille...
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Ce magnifique portrait de Molière exprime a lui tout seul toute la poésie du théâtre en tant qu'art total: cette ambiance claire-obscure si caracteristique des mises en scene Sadikiennes et de ses oeuvres de jeunesse: les quatrains de Sidi Abderrahman El majdoub, en particulier, qui est le plus grand poète marocain de tous les temps. Certains s'offusquaient alors de voir tayeb recourir au pré_théâtre populaire de la halka: ils ne savaient peut-être pas alors que les plus grands musiciens comme Chopin et Bartock et les plus grands hommes de théâtre comme Molière s'inspiraient justement de la culture populaire dont tayeb Saddiki était le magnifique promoteur et modernisateur en étant à l'origine du mouvement folk marocain avec le succès que l'on connait...
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L'un des moments forts de la soirée fut incontestablement la montée en scène du magnifique chanteur et du virtuose pianiste Fettah N'gadi.
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Jazz-man savoureux, mêlant sa voix langoureuse et belle au crotales des Gnaoua, il dira plus tard avec une certaine amertume en réponse à l'hommage que lui rend la salle unanime: "Et dire qu'on fait appelle aux artistes libanais en oubliant ceux d'ici au festival Mawazine...". Tayeb Saddiki , lui - même , fondateur du premier festival d'Essaouira, n'a pas été Prophète en son propre pays comme il aurait du l'être. Mais d'ores et déjà l'histoire de la culture au Maroc, au Maghreb et bien au-dela dans tout le monde arabo-islamique reconnait son apport de leadert incontestable dans le domaine culturel et a été reçu en tant que tel par les grands de ce monde,, du Shah d'Iran, en passant par Saddam Hussein jusqu'à feu Yasser Arafat...Son étoile brillait si haut qu'il était coutisé par des hommes politique de niveau mondial dans leur relationnel publique...

Abdelkader Mana

16:04 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : casablanca, lettre, mogador, la musique dans la vie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Arts:Texture de couleurs

Fadela Kanouni

Tableaux – caftans - miniature

Une texture de couleurs tout en nuances....


Les tableaux- caftans de Fadela Kanouni, racontent chacun à sa manière des histoires de femmes du Maroc, dans leur diversité culturelle. Travail fait main, broderies, brocard, passementerie, bijoux, textures de couleurs... Femmes toutes en nuances de couleurs ; jamais en blanc et noir. Mélanges inattendus de textures, de tissus, de couleurs. Expression ancestrale du travail artisanal renouvelé : Pli et repli, vagues dans les robes. Ton ocre, pastelle, couleurs des âges de la vie, du ciel, de la terre. Textures, bijoux et parures de toutes les régions du Maroc. Tissus anciens et modernes. Les mousselines vaporeuses entourent les bras comme autant de désirs de liberté : « Histoire de femmes multiples, celles que je connais, celles que je ne connais pas : le corps des femmes est habillé mais absent. Visage caché, parure en mouvement, membres mutilés, modes éphémères exprimées dans ces tableaux mettant en relief la féminité, la diversité, les aspirations des femmes, leur créativité. » C’est sa fille, par sa beauté, sa grâce et son amour du beau qui lui a inspiré sa première œuvre : « C’est vraiment par hasard que j’ai commencé à réaliser ces tableaux. Au départ, c’était juste pour faire un petit cadeau à ma petite fille. J’ai voulu lui offrir quelque chose d’original en me disant : C’est comme cela qu’elle va garder un souvenir de nos traditions. » Un caftan on le met x fois et on fini tôt ou tard par le jeter mais un tableau, ça reste pour toujours .


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Et comme ce premier tableau a plu, elle a continué à en faire. Voilà tout...une robe-caftan en soie couleurs pastels et drapée de soie perlée rose et nacre, de sfifa et soie bleue : le collier accompagne jade dans son mouvement continu. Un mouvement qui se situe entre tradition et modernité comme nous l’explique l’artiste Fadela Kanouni dans cet entretien. Il est important cependant de signaler, que Fadela n’est pas n’importe qui puisque son aïeul n’est rien d’autre que Abdelhay Kattani, le chef historique de la fameuse zaouïa Kettania, qui fait partie de l’aristocratie de Fès

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- Tu es née à Fès. Raconte-nous un peu, tes souvenirs d’enfance à Fès, les fêtes de Fès, les femmes de Fès...


- J’ai gardé un souvenir de Fès en fête. Des souvenirs extraordinaires de l’ancienne médina de Fès, où déjà petite je fabriquais des poupées de roseau. J’aimais déjà les belles textures. Je suis né à Fès où j’ai vécu jusqu’à l’âge de quinze ans. Ma sœur qui était couturière m’a appris la haute couture parce qu’elle était la première femme à en faire à Fès. J’étais toujours bien habillée par elle. Autour de moi il y avait des femmes avec de beaux caftans. Ma mère, c’est vrai, avait une culture traditionnelle. J’étais élevée aussi par ma sœur charafa, la couturière et par mes grands frères qui ont étudié en Europe. Donc, il y avait déjà ce mélange de modernité et de traditions. Mon père était présent sans l’être vraiment. J’étais entouré plutôt de femmes et de mes frères plus que de mon père. A l’âge de quinze ans, j’étais arrachée de cette ville ancienne et je me suis retrouvée à Rabat dans une belle villa tout entourée de jeunes hommes : mes frères qui m’ont appris à vivre la modernité. C’est grâce à eux que j’accepte en moi cette diversité culturelle comme une richesse. Jai vécu cette vie moderne à côté de ce que j’ai vécu à Fès, comme un enrichissement. J’ai jeté en l’air beaucoup de tabous qui me bloquaient. En même temps, dans cette modernité, je risquais de me perdre.

- Vous êtes issue d’une famille de Chorfa Kettani ?

- Oui, mes valeurs presque soufies, m’ont inculqué le respect de l’autre. C’est ce qui me permettait d’accepter cette modernité sans m’y perdre.

- Quelque part, dans ces tableaux, il y a un peu ce que vous étiez et un peu ce que vous êtes maintenant : Une harmonieuse synthèse entre tradition et modernité...

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- Dans notre culture, il y a beaucoup de choses extraordinaires. La vie m’a appris à m’enrichir de cette culture qui est en moi et en même temps de m’ouvrir à l’autre pour apprendre de lui. Dans la modernité il y a beaucoup de choses qui nous permettent de faire évoluer nos traditions. Ces tableaux sont l’aboutissement de cette évolution en moi. Ce n’est pas seulement des tableaux que j’essaie de vendre, parce que je m’en fous de les vendre à la limite, mais c’est des œuvres que j’aimerai que les autres apprécient. - Vous êtes donc de la zaouïa Kettania ? - Je suis de la famille de Si Abdelhay El Kettani : à la maison on recevait des tribus entières lors du moussem (fêtes annuelles de la zaouïa). Tout un cérémonial a lieu à cette occasion parce que les Chorfa avaient un impact sur ces populations. Maintenant, la zaouïa Kettania de Fès est un peu à l’abandon, malheureusement. - En matière de tissage, le savoir faire des artisans de Fès est fabuleux, en fil d’or, en fils d’argent, en soierie. Des tissages d’origine andalous d’un raffinement extraordinaire. Ce raffinement est également symbolisé par « les chants des femmes de Fès »recueillis par Mohamed El Fassi dans les années 1930. Vous êtes un peu l’héritière de tout ce monde disparu ou en voie de disparition et en même temps, vous êtes le signe et le symbole de l’ouverture : toutes ces très belles traditions vous les marier d’une manière harmonieuses avec la modernité dans vos oeuvres...

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Dans mes tableaux "j’évoque l’évolution des femmes. La richesse qu’on a dans tout ce qui est traditionnel et en même temps j’ai montré que les femmes essaient de s’en débarrasser : des fois elles y arrivent, d’autre fois pas. C’est comme moi ! j’ai appris avec le temps à me débarrasser de beaucoup choses qui me pèsent. Mais dans les traditions il y a de belles choses qui m’enrichissent qui font que j’ai cette identité plurielle." Fadela Kanouni


- Puisque vous évoquez « les chants de femmes de Fès », j’ai souvenir de ces après-midi de fêtes entre femmes, qui étaient toujours très bien habillées, très bien apprêtées, surtout ma mère : elle était toujours majestueuses, du matin au soir. Elle était toujours en caftans et avec ses beaux bijoux. Et quand elle s’arrêtait de travailler, l’après-midi , elle dansait, chantait avec tambours et gâteaux . C’était vraiment des après-midi de fêtes. Pour les femmes de Fès, tous les mariages, les baptêmes étaient des occasions pour se parer, se faire belles. Mes souvenirs de Fès, c’est cela. - Il y a aussi l’influence de votre sœur la couturière... - J’accompagnais souvent ma sœur, quand elle allait en médina, choisir les tissus chez les artisans. J’ai gardé le souvenir de belles textures. C’est là que j’ai appris le choix des couleurs, des matières, l’harmonie des tons. Chaque fois que je vais en médina, je me rappelle de Fès. Chaque médina me rappelle les souvenirs d’enfance et ceux de charafa qui m’a appris tout cala. Et quand on faisait une bêtise, pour nous punir, ma mère nous envoyait chez la âqada (fabricante de boutons en fils de soie pour fermer les caftans). C’est comme ça que j’ai appris à faire laâqad (boutons). Certes, en pleurant mais finalement, j’ai appris quelque chose ! Les punitions étaient une forme d’apprentissage. - Il faut dire que Fès grouillait alors de tisserands et de métiers à tisser... - Il y avait souvent un maâlem qui fabriquait des caftans pour maman à l’entrée de notre maison. Et j’allais m’asseoir à côté de lui et je le voyais travailler. Quand je descendais en médina, c’était les artisans qui travaillaient dans la rue ; qui filaient la soie. La médina de Fès est tellement riche d’artisans qui travaillent dans la rue et j’étais toujours là en train de les regarder. Quand je vais à Marrakech, c’est la même chose. Ils sont d’une dextérité, d’une finesse... - C’est avec les bouts de tissus que vous achetez aux tisserands que vous faites vos tableaux ? - Quand je vais chez les tisserands à Fès, j’achète des bouts de tissus faits avec d’anciennes machines à tisser : je trouve ça beau et j’ai envie de les mettre sur des tableaux. C’est chargé d’histoire. Ce n’est pas que des tissus. Chaque bout de tissus représente une région du Maroc. C’est cette charge culturelle qui est intéressante, que je met en valeur et que je retravaille à ma façon. - Mais en même temps votre démarche est éminemment moderne ne serait-ce que dans la forme même du « tableau » qui encadre ces caftans miniature? - Quand je vais en médina que ce soit à Fès ou à Marrakech, Rabat ou quand je vais dans les régions du sud ; j’essaie de retrouver cet artisanat qui est en train de se perdre et en même temps qui est en train de se rénover grâce à la modernité : l’ouverture sur l’autre a permis à nos artisans de faire des choses de plus en plus adaptées à la mode, aux niveaux qualité, design, couleurs, texture . Ils se modernisent quelque part. Chaque fois que je retrouve des choses anciennes faites main, je suis très heureuse. Chaque fois que je trouve des choses nouvelles, faites dans des tons nouveaux ; cela me fait également plaisir et je me dis : notre artisanat est en train de s’enrichir de la culture de l’autre. - Vous ne vous inspirez pas seulement de modèles fassis ? - Derrière le travail fait main, derrière ce que je fais pour montrer un Maroc pluriel, je ne suis pas que fassie : je suis un petit peu berbère, rifaine, européenne : je suis tout cela en même temps. Dans mes tableaux, il y a un peu de chaque région et c’est cette diversité qui fait la richesse du Maroc. Je ne parle pas seulement de la culture berbère, musulmane mais aussi de la culture juive qui fait aussi partie de notre culture. Nous sommes même ouverts à une certaine forme de spiritualité multiple . On n’est pas dans un pays fermé, heureusement. On est dans un pays qui a toujours connu un brassage de civilisations. Je ne pense pas qu’on puisse se limiter aujourd’hui à une unicité culturelle.

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- Votre œuvre est justement cette belle synthèse entre tradition et modernité. - Je n’ai pas eu à me confronter à la modernité : je l’ai vécu avec ma tradition. Dans le temps ma sœur faisait déjà des robes – caftans. Il y avait de la musique orientale et de la musique moderne. On dansait oriental et on dansait moderne. Il y avait le salon marocain et le salon européen. L’art culinaire marocain mais aussi européen. Ce mélange, on continue d’ailleurs à le vivre. Chez moi, il y a le petit coin marocain et le petit coin européen. Et quand je fais la cuisine, je mélange un peu les différentes recettes et dans mes tableaux, je mélange les différents styles. Cette diversité n’est pas que marocaine, elle est internationale. J’ai beaucoup voyagé à travers le monde, Et chaque fois que je vais quelque part, je suis curieuse de l’autre, curieuse de ce qu’il peut m’apporter pour mieux vivre. Finalement on cherche une certaine forme de bonheur, de sérénité de paix. - Dans quelle mesure la dimension spirituelle influe dans ta création ? - Je suis toujours dans cette quête de spiritualité. Mon père ne m’a jamais imposé la foi, j’ai donc cru surtout dans les valeurs universelles que je retrouve dans notre culture soufie : cette part du divin que nous avons en nous. Je me rappelle de mon père lisant le Coran tandis que je lisais Sartre. Il me disait : « tu sais, quelle est la meilleur façon de croire ? c’est de croire dans le respect de soi et de l’autre. Parce que la foi, je ne peux pas te l’imposer. » J’ai un tableau fait à partir de son selham (burnous en laine blanche et fine) , que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde. Il le mettait toujours pour aller à la mosquée. Pour moi, il est dans une forme d’humilité ; une manière d’être dans la simplicité et le dépouillement. Pour moi ce selham symbolise la recherche de la paix et de la sérénité. Une forme de prière. Ce selham qui était enfoui au fond de mon placard est maintenant une œuvre d’art expressive ; il me rappel mon père, ses prières, les valeurs dans lesquelles il nous a élevé : simplicité et sobriété. La beauté n’est pas seulement extérieure mais aussi intérieure : chaque être qui crée a cette beauté en lui. Il montre dans ces créations, ce qui lui fait mal, ses souffrances, ses désirs, ses aspirations. Il y a tout cela dans ma créativité.

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- On appellera le tableau de votre père « la prière de l’aube ». - J’aime beaucoup. - Parce que les femmes sont exclues de la religion officielle des hommes, elles se sont créées leur propre « religion » et Aïcha Qandicha est en quelque sorte la « déesse » de cette religion des femmes. Est-ce qu’il n’y a pas une spiritualité féminine qui est un peu occulté mais qui existe ? - Vous me parlez d’Aïcha Qandicha : c’est vrai que toutes petites, on a toujours entendu parler d’elle : c’est une femme qui a historiquement marqué son temps. Mais je dirai que la spiritualité musulmane ne peut pas être confondue avec des rites qui sont traditionnellement plutôt païens. Il y a les traditions berbères ancestrales qui sont millénaires et il est vrai qu’ici la religion musulmane n’est venue que depuis douze ou quatorze siècles. Donc, ce n’est pas très ancien. Et chaque fois que l’Islam est apparu quelque part, il s’est mélangé avec les traditions qui lui ont préexisté. Au Maroc, il y a un mélange entre culture musulmane et croyances magico-religieuses. La tolérance en Islam vient du fait qu’il accepte d’incorporer dans son universalisme les particularismes locaux.

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- Au Maroc, l’univers féminin est quand même un univers culturel et religieux, je dirai à part : c’est une façon qu’ont les femmes de s’approprier leur corps, leur esprit de manière à se distinguer de nous autres les hommes ? - Quand je me suis mariée, je me suis rendu compte qu’au Maroc, peu de couples vivaient dans l’équilibre, la sérénité, la paix. Et ça m’a poussé à réfléchir un peu, à décoder notre histoire pour comprendre. Pourquoi on est dans une situation de conflits plutôt que d’acceptation de l’autre, de recherche de paix entre hommes et femmes ? Cela n’a rien de naturel ; c’est à la fois culturel et historique. Tout ce que nous avons hérité du passé, si on arrive à le décoder et à le comprendre ; on peut le dépasser. On peut garder ce qu’il y a de bien. Si au Maroc, très souvent les femmes vont vers les saints, c’est parce qu’elles n’ont pas toujours vécues dans la sérénité, que ce soit avec leurs proches ou leur mari. Et comme on n’est pas habitué au psychologue, elles ont recourt aux saints, aux voyantes...C’est une façon pour elles de se retrouver. Avec l’âge, je suis revenue au soufisme pour retrouver la part du divin en moi. J’ai vu des européens adopter cette culture soufie où on n’est pas toujours dans la guerre comme c’est le cas actuellement avec les fanatismes de tous bords et un peu partout. La religion n’est pas une forme d’agression ; au contraire elle doit révéler la beauté qui est en nous. La foi est là pour nous apprendre à mieux vivre, à être en paix avec nous-mêmes, à aller vers plus de sérénité, plus de détachement. C’est ce qui me permet de me détacher par rapport à tout ce que j’ai été. Maintenant, devant mes tableaux, je me dis : j’ai la chance d’avoir une nouvelle vie.

Propos recueillis par Abdelkader MANA

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15:59 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook