09/02/2012
Nabili dont j'ai perdu les traces n'est plus!
Le destin a voulu que Mohamed Nabili tel les sept crucifiés de l'espoir effectue en cette fête de la nativité du Prophète sa secrète hégire vers Dieu...Qu'il repose en paix...L'artiste que j'ai connu étudiant à Aix en Provence à la fin des années 1970, et que j'avais croisé à nouveau à Mohammadia après son retour au Maroc au début des années 1990, s'est éteind hier pour être inhumé par la communauté des artistes marocains, ce lundi 6 février 2012 à Benslimane où il s'était retiré pour travailler et où il était né orphelin le 4 août 1952.Discret et taciturne, je le croisais souvent en descendant du cinquième étage de l'Université d'Aix - Marseille I où j'étudiais l'éthnologie, alors qu'il étudiais le cinéma et la littérature au premier étage.Mais c'est à l'école des Arts et Métiers d'Aix en Provence que je l'ai connu en tant qu'artiste : il travaillait déjà sur les signe tifinagh gravés sur le sable avec les couleurs indigo et ocre du désert....Comme la plupart des étudiants marocains expatriés en France, nous avions en commun cette quête insatiable de notre terre et de notre soleil d'origine : je poursuivais les traces de nos caravanes aux archives d'Outre Mer et au Centre de Recherche et d'Etudes des Sociétés Méditérranéennes (CRESM), tandis que Nabili poursuivait cette même quête des origines, cette même nostalgie sur les traces de sable ..Pour l'orphelin - né qu'il était, cette quête devait revêtir une aquité existentielle autrement plus douleureuse puisqu'il ne lui restait de la figure maternelle et chaleureuse perdue que la langue Berbère dont les signes et les symboles sont disséminés sur les gravures rupestre de l'Atlas saharien où servant de marquage au fer ardent sur le pelage des chameaux pour en distinguer l' origine......
Le Tifinagh en pillier de la tente des transhumants Berbères : l'univers circulaire du calendrier Amazigh
Les notions de "seuil" et de "porte de l'année" chez les Berbères
Certaines oeuvres de Mohamed Nabili rappel étrangement le regard neuf et plein de tendresse que jette l'enfance sur notre monde troublé par la fureur et la folie des hommes...Au début des années 1990, je vivais avec ma femme et mon enfant à Mohammadia et je faisais la navette soit vers Rabat où je rejoignais l'équipe de la revue "Rivages", soit vers Casablanca où je faisais des reportages pour "Télé Plus". Et je me rendais souvent pour mes poses café à "Miramar", où en 1986, j'avais interviewé les historiens Jean Louis Miège,Germain Ayach, Haïm Zafrani et Michel Jobert dont j'ai appris la mort lui-aussi à Meknès au sortir d'une fête du Mouloud comme celle-ci, en 2002..En me rendant donc comme d'habitude à Miramar ,en 1994, un hiver comme celui-ci, une 4X4 bleu marine s'arrêta à ma hauteur et son conducteur m'invita à monter à bord.Je n'en croyais pas mes yeux: "Mais c'est Nabili!", m'écriais-je stupefié de voir un ancien étudiant comme moi exhibé ainsi un tel signe distinctif de richesse: Je me suis dit: "Décidemment, il vaut mieux sous HassanII être un artiste peintre qu'un simple littérateur: la peinture avec le cinéma, est l'un des rares domaines culturels ou l'artiste peut vivre avec aisance de son art, surtout quand celui-ci est bien coté sur le marché de l'art: être écrivain ne rapporte effectivement absolument rien dans un pays où les droits d'auteur n'existent pas...Un jour l'écrivain arabophone Driss Khouri m'a appris que la seule fois où il avait obtenu des droits d'auteur pour son livre "Ville de poussière et de sable", les dits droits ne lui avaient même pas permis de faire le plein d'essence pour sa déglinguée mobilette...
Mohamed Nabili en chantre de l'Amazighité
La timidité naturelle de Mohamed Nabili, cache au fond un écorché vif, constamment en marche vers les autres...Il a dédié son atelier à l'enfance orpheline et malheureuse comme celle qu'il a connu lui-même, pour que plus jamais, la misère et la rue n'empêche d'éclore le génie d'un possible Rimbaud; d'un possible Van Gogh ou d'un possible Mozart....Une fois à ses cotés Nabili me raconta alors qu'il avait beaucoup voyagé après son séjour d'études d' Aix en Provence et qu'il revenait des Amériques où il a étudié entre autre ,l'art des tribus amérindiennes ainsi que les signes et les symboles des civilisations disparues des Maya, des Inca.et des Astèques..D'emblée cette ouverture sur les arts Amérindiens et Européens, avec Miro en particulier, en faisait un artiste averti qui n'avait pour ainsi dire rien à voir avec les artistes autodidactes au fondement de l'art naïf au Maroc...Pour être reconnu de ses paires, Nabili disposait d'une solide culture académique: certes il explorait sa propre enfance pour se ressourcer aux rêves qui l'habitaient, mais sa technique n'a que l'apparence de la naïveté , puisqu'elle a pour substratum une solide formation aux arts plastiques grâce à ses longs séjours d'études en France, mais aussi aux Amériques et aux pays scandinaves où il avait pérégriné avant son retour aux bércailles où il vient de s'éteindre.
La peinture de Mohamed Nabili s'apparentait à l'écriture musical et s'accomodait parfaitement avec la "mise en quarantaine" volantaire qu'il s'est assigné au milieu des chênes liège et de l'air vivifiant de Bensliman : un isolement qui sied à tout véritable créateur a la recherche de soi dans un ressourcement en ses propres profondeurs, pour mieux être à l'écoute des subtiles notes de lumière émises par les sept couleurs de l'arc en ciel....Quand j'ai appris ce matin la brusque et brutale disparition de Nabili, je ne puis cacher ma profonde émotion, de perdre ainsi un ami à la fois lointain et proche, que je n'ai pu approcher qu'au cours de brèves rencontres et à chaque fois à intervalles espacés dans le temps.Mais à chaque rencontre il faisait montre d'une franche et heureuse sympathie comme si ma figure lui rappelait les temps des amours perdus de notre jeunesse à Aix en Provence...Mais comme il l'avait écrit lui-même quelque part, la vie, la mort demeurrent un mystère inexpliqué et inexpliquable, comme l'art qu'il nous a légué: des traces dont on n'explique pas toujours le sens, ni l'origine mais qui nous parlent de nos propre rêves enfantins, de nos propres racines et des archétypes de nos propres ancêtres.Nous devons, nous qui lui survivons en témoigner devant les hommes et devant Dieu.Qu'il repose en paix en cette fêtes de la nativité du Prophète où le destin a voulu qu'il effectue sa secrète hégire vers Dieu...Abdelkader Mana
15:32 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts | | del.icio.us | | Digg | Facebook
28/01/2012
Rue des ruines
Ce mercredi 29 juin 2011, je flâne à Essaouira n, "rue des ruines"'(derb el-kharba): ça sentait de la cire d'abeilles, c'est là qu'habitait l'herboriste Iskijji et c'est par là que passait discrèterment mon père pour rejoindre son atelier de marqueterie à la scala.Omar Mounir, qui a beaucoup écrit sur Essaouira dont il est orriginaire a intitulé l'un de ses livres "Rue des ruines"...
Pour accéder à cette ruelle , qu'on appelait également "rue des célibataires"(derb laâzara), il fallait baisser la tête pour passer par une portique: adossée à la mer; balayée le vent,les embrums menacent constemment ses fondations...
Un passage secret qui longe les remparts
Plus loin on aboutissait à la minoterie Sandillon et à la porte de la mer (Bab labhar)
Dans cette ruelle on remarque plein de maisonets (douiriya) où vivaient les célibataires
Un hotel s'élève maintenant en lieu et place de l'ancienne minoterie
Plus loin encore on aboutit à "Bab Lajhad"(la porte du Jihad)
Le long des remparts, maâlem Guiroug a transformé l'une des échopes en un lieu de souvenirs à commencer par le groupe mythique de Nass el Ghiwane dont faisait partie maâlem Paka, le fils du pays(deuxième à gauche)
Le groupe folk de Nass el Ghiwan avait intégré le gros tambourin (herraz) des Haddawa, mendiants célestes et gens du hal (transe)
Maâlem Guiroug du temps du mouvement hippie à Essaouira: comme Paka il est maâlem Gnaoui "blanc". Alors que Paka est passé des Gnaoua au groupe folk de Nass el Ghiwan; Guiroug est passé des Gnaoua au groupe folk de Tagadda...
Guiroug en "hyppie" et en musicien folk
Guiroug en mode "love and peace"
Décédé dans la force de l'âge ce jeune Gnaoui d'Essaouira (de la famille des Guinéa) aurait pu devenir un virtuose incomparable à en croire maâlem Guiroug..
Originaire des Regraga, maâlem Guiroug, le Gnaoui blanc
Maâlem Mahmoud Guinéa, l'héritier de la religion des esclaves
Abderrahman Qirrouj, dit Paka, le marqueteur d'Essaouira et le maâlem GNAOUI, qui a organisé la première lila en dehors de la zaouia pour le living theater du temps du mouvement hyppie et qui a introduit le guenbri chez le groupe folk de Nass el Ghiwan...
PAKA, un hyppi - folk, sous la djellabah mystique
Feu Mahmoud Akherraz, le sacrificateur des Gnaoua, habillé aux couleurs des génies de l'abattoire...
Feu maâlem Bosso au guenbri, à ses côtés maâlem Guiroug, crotales bleus, lors d'une lila organisée dans la campagne des Chiadma...
Feu Belghiti(dit "Moulay Serfaq"), le grand maâlem Gnaoui blanc qui était toute sa vie au service de Khaddouj bent Yahya, la grande talaâ(voyante médiumnique des gnaoua) d'origine berbère...
Feu maâlem Boubker, le père de Mahmoud Guinéa
Feu maâlem Bosso: "C'est moi qui t'avais emmené dans la lila qu'il organisa chez lui à Casablanca".Se souvient aujourd'hui maâlem Guiroug. C'était mon premier reportage sur les Gnaoua pour Maroc Soir. C'était en 1986....
Les deux Gnaoua "blanc" d'Essaouira: maâlem Guiroug en campagnie de feu maâlem Belghiti...
Essaouira, mercredi 29 juin 2011
Abdelkader Mana
04:24 Écrit par elhajthami dans Arts, Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
27/01/2012
Feux de joie à Marrakech
Feux de joie à Marrakech
La notion d’art est intimement liée à la notion de rythme. Dés qu’apparaît le rythme, l’art apparaît. Socialement et individuellement, l’homme est un animal rythmique. A la veuille du premier moharram, jour de l’an musulman, annoncé par la nouvelle lune, le rythme de la dakka envahit les rues de la ville. C’est le rythme à l’état pur. Au dixième jour de ce mois sacré, on chante le aït. Dans le carnaval de achoura, il y a enchevêtrement de pratiques sacrées et profanes. Un marché spécial, dit « souk achour » est institué à Jamaâ Lafna. On vend dans ce marché des produits bien spéciaux et qui tirent une grande partie de leur vertu, du jour où l’on en fait l’acquisition.
Le rituel de achoura dure toute la nuit et vise à exorciser le chaos naturel et humain qui menace l’ordre de la cité. La cérémonie prend un caractère particulièrement organisé dans les anciennes villes du sud à forte populations berbère : Tiznit, Taoudant, Marrakech, Essaouira. Il semblerait que la séquence de la dakka soit originaire de la ville berbère de Taroudant.
Il existe un certain nombre de pratiques très généralement suivies le jour de achoura. C’est par exemple l’usage très répondu de se mettre le khôl ou de se teindre les mains au henné ce jour là. On croit que celui qui se purifie ce jour là par le khôl ou le henné est purifié pour toute l’année. Les femmes s’ornent les mains de jolies arabesques floraux au henné. Les Qashasha, marchands de fruits secs et les âchouriyâtes, qui vendent les tambourins ont planté leurs tentes. Les goual ou goubbahi, sont en poterie nue tandis que les taârija sont ornées de dessins aux couleurs vives, phosphorescentes et très chatoyantes sous la lumière. Le goual est l’unique instrument dont l’usage soit permis pendant achoura. Ce jour- là on se rassasie à la queue de mouton de l’aïd elkébir, diyala, avec le couscous aux sept légumes où domine le fève. On prétend que celui qui ne se rassasie pas ce jour là, serait obligé dans l’autre monde de manger les pavés de l’enfer pour remplir son estomac.
Après le repas du jour de l’an, les femmes et les enfants allument des feux de joie dans chaque quartier. Les femmes stériles qui désirent un enfant ou celles qui espèrent marier leur fille effectuent des rondes autour du feu et sautent par-dessus les flammes par trois fois en chantant avec les enfants. Le brasier symbolise le bûcher dans lequel les païens avaient jeté le Prophète Abraham : obéissant à l’ordre divin, les flammes se refroidirent. Pour Emile Laoust, les Berbères marocains ont conservé l’antique usage d’allumer des feux de joie analogues aux feux dits de la Saint Jean, que les paysans de France et ceux d’Europe allument encore au solstice d’été.
Au cœur grouillant de la médina, El Herraz, marchand de tambourins de son état nous rappelle cette vieille chanson pour qui achoura est un mois de folie où même le juge frappe son tambourin : « Quand la fête de achoura approche, on va chez les potiers pour leurs faire commande de tambourins. Nous achetons par la suite les peaux de boucs, puis nous les laissons se décomposer car la qualité du son dépend du degré de décomposition de la peau. Le meilleur son est émis par la peau décomposée de timakhine. Quand il s’agit de tambourins pour femmes et enfants, peu importe la peau, mais pour le tambourin de la dakka ; on choisi le flanc de l’animal, là où la peau est à la fois souple et solide. Il y avait des gens qui gardaient leur taârija, pendant vingt ans. Après s’en être servi pour achoura, ils la remettaient sous leur djellaba et la rangeaient chez eux jusqu’à l’année d’après. Et ce jusqu’à épuisement de la peau et ils en commandent une autre. Tu voyais tel notable dans la rue et tu te disais qu’il ne participait pas à la dakka, pourtant la nuit venue, il arrivait avec sa taârija sous la djellaba et c’est là qu’il se dévoile enfin. »
En nous recevant en 2001, à Dar Bellarj, la maison où on soignait les la maison où on soignait les cigognes cigognes, l’architecte Suisse, Susanna Bederman Alioth [i] nous déclarait:
« J’avais une première idée pour un engagement à Marrakech, parce que Marrakech, c’est spécial, ça ne s’explique pas . Pour moi, il n’est pas question de Fès, de Safi ou tout autres lieux. C’’était Marrakech. C’est un ami, Abdellatif qui m’a montré pour la première fois cette maison de « Dar Bellarj ». Elle était en très mauvais état. Ayant l’avantage ou la chance d’être architecte, j’ai vu qu’elle n’était pas dans un état désespéré. La première chose à laquelle j’avais pensé en rentrant dans cette maison, c’est qu’elle m’a semblé comme si elle était faite pour la culture. Le réez – de – chaussé peut accueillir les manifestations culturelles et en même temps, sur la terrasse on pouvait nous installer un petit appartement qui est largement suffisant pour nous. Et donc réez – de – chaussé, cave pour le public. Nous avons fait des expositions à thèmes telles que « senteurs et couleurs », « architecture de terre » à l’exemple de Tamnouga, ksar dans la vallée du Draâ, maintenant « la caravane civique » et l’Achoura qui est devenue la fête de Dar Bellarj. Pour cela je dois remercier mon équipe qui était à l’initiative de cette fête de achoura. Ils l’ont organisé l’année dernière sans que je sois là et c’était un grand succès.. Et c’est à travers cela que vous avez pris contact avec nous. On s’est dit : on va la refaire en plus élargie et voilà ce qui s’est passé hier soir : c’était la fête de l’achoura de 2001. »
Pour ce documentaire on est allé à la rencontre du cœur éternel et palpitant de Marrakech à commencer par Si Rahal, le vieux trompettiste, de son état, tenancier d’un four public traditionnel juste derrière la place de Jamaâ Lafna, qui nous entretint des origines même du carnaval de achoura :
« A l’aïd el kébir on faisait herma, on le couvrait de peaux de moutons du sacrifice et on lui confectionnait un masque de poiles avec cornes. C’est ainsi qu’on accompagnait herma. »
Il y a en quelques sorte, deux fêtes dans ce qui est décrit comme une seule et unique fête : la fête de l’aïd el kébir au quelle succède la mascarade de achoura. Le sacrifice sanglant inaugure un cycle rituel auquel mettent fin, quelques trente jours plus tard, les cérémonies de achoura. Herma, l’homme aux peaux est le point commun entre ces deux. Mais s’il a subsisté dans le haut Atlas, ce personnage carnavalesque a disparu de Marrakech comme nous le relate Abderrazaq l’héritier du fameux Baba le maître incontesté de la Dakka de Marrakech qui dispose, non loin de Jamaâ Lafna d’une boutique où les percussionnistes de la dakka se retrouvent quotidiennement à même la natte :
« L’origine de la dakka est de Taroudant, explique-t-il. De là , elle est arrivée à Marrakech. C’est au quartier des ksours qu’on a joué la dakka pour la première fois. De là, elle s’est diffusée aux sept quartiers qui représentent les sept étendards de Marrakech. : Zaouia, Lmouqaf, Ben Saleh, Riad Laârouss, Derb Dabachi, la Kasbah et Bab Doukkala. Soit sept quartiers. Le rituel de la dakka se déroule en trois phases : le pur rythme de la dakka, la compétition chantée dite le aït (ou l’appel), et enfin afouss (qui signifie «main » en berbère), et qui est l’accélérant final qui comporte une tonalité gnaoui en raison de la forte prégance des crotales. On y assiste au milieu du Gor (orchestre) à un échange entre le joueur de la tara (tambourin à sonnailles) et le qraqchi (le joueur de crotales). Après quoi on joue à qui fera culbuter l’autre : lamchaïcha. Il y a aussi herma, l’homme aux peaux chamaillé par les enfants. Il déambule dans le labyrinthe de la médina suivi des enfants répétant cette comptine :
Tiktika ô fils de hammou
Le chauve aux fesses dénudées
As - tu un morceau de foie à m’offrir ?
J’en ai déjà goûté une pesée et bien davantage
Ainsi d’ailleurs que du poulet d’Ethiopie
Et du melon bien mûri..
Cette dimension carnavalesque a disparu ainsi d’ailleurs que la compétition chantée entre les différents quartiers qui se déroulait à Jama Lafna. Il est d’ailleurs significatif que le rituel de la dakka n’a pu être ressuscité et organisé en 2001 que dans le cadre de Dar Bellarj…
Nous avons retrouvé là cet entrelacement des formes musicales déjà observé à Essaouira : le groupe du aït de Marrakech comme celui du Rzoun d’Essaouira, appartient par ailleurs aux confréries religieuses, aux animateurs des processions de mariage et aux orchestres de la ala andalouse et du malhûn. C'est-à-dire au modèle musical médini (M.M.M). Voici d’ailleurs ce que nous disait à ce propos maâlem Ismaïl Askro de Taroudant :
« A Taroudant, le aït prélude par la prière sur l’élu de Dieu et sur nos saints:
Ghazouani, je viens en pèlerinage vers toi, ô porteur de la hache !
Frappez vos tambourins lentement, la nuit est encore longue..
Dés la phase préliminaire de la dakka, on fait appel au cheikh du malhûn pour qu’il joue de la grihâ.:
A Baba cheikh wanta banya garrah liya…
O Baba Cheikh, avec foi, chante pour moi
On fait appel aux chantres du malhûn parce que le aït est intimement lié au malhûn. Le joueur de crotales doit être gmaoui. »
C’est le cas de maâlem Ahmed Dah Dah, un gnaoui habitué que nous avons connu à Essaouira au début des années 1980 où il était souvent invité au moussem des Hamadcha et que nous avons retrouvé lors du tournage de « feux de joie à Marrakech » et qui nous déclarait :
« Ceci est un hal. La dakka de Marrakech concerne tous les artisans, qu’ils soient menuisiers, forgerons ou autre. C’est le cachet de la ville. Le patrimoine de notre cité que nous commémorons chaque année. Tous les quartiers y participent. On y vient même des autres villes. Vous avez au milieu les joueurs de la tara et des crotales et tout autour sont assis les percussionnistes de la taârija . On invoque les sept saints de la ville ainsi que nos amis. A chaque crépuscule, mes amis m’entourent et on continue ainsi jusqu’à la fin du aït. »
Pour le gnaoui Mustapha lagssis membre de la troupe de la dakka de Marrakech :
« A chaque ville correspond un chant particulier : Taroudant a son aït et Marrakech a le sien. Au début on chante :
Nous commençons par t’invoquer ô miséricordieux !
Prélude connu. Puis on chante :
Prière sur toi, le Prophète Mohammed, messager de Dieu !
Et on continue par :
Sous l’aile protectrice du Seigneur, le soleil s’est éclipsé le soir.
Et on conclu par l’invocation du patron des saints Sidi sliman El Jazouli, l’auteur de Dalil el Khayrat.
Pour ce qui est de la percussion, chaque ville a son propre rythme. A Marrakech, on rythme 3/1, donc, ça fait 4. C’est sur cette quatrième note que nous construisons le jeu. Et on continue ainsi jusqu’à « Eh !Wa ! », « Eh ! Wa ! ».
L’équilibre du jeu est obtenu grâce à l’intervention du crotaliste et du tambourinaire qui synchronisent les deux moitiés du chœur jusqu’à l’accélérando final d’affous. »
Ainsi à la phase agitée de la Dakka succède la phase paisible du aït, à la dialectique de la violence où prédominent les célibataires, succède la sagesse des vieux. La Dakka se déroule en position debout et sans parole ; le aït se déroule en position assise, et le rythme lent et faible des tambourins n’est plus qu’un simple support au chant .La compétition chantée était encore vivace entre les quartiers de la ville
Le chœur est réparti en deux : la partie orientale (la natte) et la partie occidentale (la couverture). Le haut et le bas reproduisent ici symboliquement le ciel qui recouvre la terre, soit le plan humain et le plan extrahumain. À tour de rôle les deux parties du chœur chantent la mélopée, tandis qu’ils font résonner lentement leurs tambourins. La phase musicale chantée par une partie hésite en son milieu en une longue modulation vocale au terme de laquelle elle est « saisie » par l’autre partie qui enchaîne. Cette modulation hésitante entre la natte et le linceul, la terre et le ciel, symbolise d’une façon tangible la transition marquée par cette nuit de l’Achoura entre le cycle écoulé et celui qui s’ouvre.
Le lendemain de la nuit chaude de achoura, au levé du soleil, on s’asperge d’eau de zem - zem et on se dirige vers les vieux cimetières de la ville pour les asperger à grande eau. Dans les cimetières, avec baba achour, on enterre pour ainsi dire l’année écoulée. On couvre les tombes d’eau de rose et de basilic sauvage (rihan). Un marchand qui vend cette plante du paradis aux abords du cimetière nous dit :
« Hier, a eu lieu la nuit de la Dakka. Tout le monde y participe avec joie jusqu’à l’aube. Les gens se rendent au cimetière pour visiter les morts. Ils trouvent les figues sèches, le basilic sauvage, les palmes de palmiers, l’eau de rose, les poteries qu’ils mettent sur les tombes et les jouets qu’ils achètent pour leurs enfants. Après avoir visiter leurs morts, ils rentrent tout contents chez eux. »
Fête où les vivants se réconcilient avec leurs morts, achoura présente un mélange de deuil et de joie. On commémore tant de choses à cette occasion, en particulier la mort de Hussein à Karbala. Il s’agit aussi d’enterrer symboliquement l’année qui s’achève pour accueillir celle qui commence.
La fête de l’achoura est suivie par un pique-nique rituel nous explique Mohamed Laâchir, tanneur de Marrakech :
« Si par exemple, aujourd’hui, on a le Gor de la dakka, le lendemain on procède à une tournée aumônière à travers la ville, pour recueillir la zakat auprès des personnages aisés. Avec cet argent, on achète un vau et on pique – nique dans les vergers. Ceux de la dakka participent bien sûre , mais le tout venant peut boire et manger. Ainsi chaque quatier de Marrakech organise sa propre Nzaha.Je vous ai raconté celle organisée par les tanneurs »
On n’appelle pas par hasard Marrakech « Bahja » (la joyeuse) : chaque fête religieuse y est suivie d’un pique – nique rituel où Nzaha mot qui connote la renaissance de la nature et de la cité. Abdelkader Mana
00:35 Écrit par elhajthami dans Arts, Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique, achoura | | del.icio.us | | Digg | Facebook