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09/12/2011

Tabal, l'Africain

arts,psychothérapie

Mohamed Tabal

Abdelkader Mana : -On raconte qu’au nord d’Essaouira, existait un figuier hanté par un serpent auquel les femmes des gnaoua présentaient des offrandes. Elles organisaient une fête saisonnière sous cet arbre.

Mahmoud Guinéa : - C’est Sidi Abderrahman. Depuis l’âge de douze ans, je m’y rendais en pèlerinage avec tous les gnaoua d’Essaouira. Chaque année on y festoie durant sept jours à partir du septième jour de la fête du sacrifice. De leur vivant nous y  accompagnaient  les serviteurs, lakhdam, ainsi que la troupe des gnaoua . Il y avait un lieu où on dansait en transe, où on organisait cette fête annuelle,  immolant sous cet arbre hanté par un grand serpent qu’on appelait Sid –El- Hussein. On l’encensait et on tombait en transe. Lors du rituel cette créature sortait mais sans faire de mal à personne. J’ai accompagné les Gnaoua  près d’une vingtaine d’années à ce sanctuaire de Sidi Abderrahman Bou Chaddada.

Abdelkader Mana :- Parler de ce figuier nous amène tout naturellement à évoquer le gunbri . Ton père, que Dieu ait son âme, m’a appris deux choses à ce propos ; que les Gnaoua ont deux instruments à cordes :  aouicha – qu’il fabriquait devant moi- et le gunbri. Et que celui qui n’a pas pratiqué aouicha, ne devait pas toucher au gunbri. Et votre père, que Dieu ait son âme, d’ajouter que les premiers Gnaoua confectionnait leur gunbra à base d’une grande courge évidée et desséchée. Mais quand ils ont découvert que le figuier donnait de meilleurs résonances ; ils ont commencé dés lors à en fabriquer leur gunbri

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Mohamed Tabal

Mahmoud Guinéa :-Dans le temps les premiers gnaoua étaient venus avec un gunbri  à base de courge comme tu as dit, confectionné d’une manière africaine. Après quoi ils ont adopté le figuier pour sa belle résonance, sauf que sont instrument est habité, hanté, maskoun. Son maniement nécessite purification. On ne doit pas y toucher en état d’ivresse. Car le figuier s’est sanctifié par les nombreuses années qu’il est resté sur cette terre avant d’être coupé pour en faire le gunbri. Donc, elle est déjà habitée, hantée, maskouna. Le maâlem lui accorde toute son attention en l’encensant. Le gunbri vieillit aussi : passé quarante ans, il se met à résonner tout seul quand tu le suspend au mur. Il parle tout seul la nuit.

Malika Guinéa : -Tu sens comme si quelqu’un raclait ses cordes. Le tambour, bouge lui aussi. Tu entends sa résonance.

Mahmoud Guinéa : -Pendant longtemps les instruments des maîtres disparus sont restés dans la zaouïa comme des antiquités sacrées auxquelles personne n’osait toucher. On se contenter de les visiter pour en recueillir la baraka.

Abdelkader Mana : -Lorsque j’écrivais mon livre sur les Gnaoua, l’un des  maâlem , Paka que Dieu le guérisse ou Guiroug, m’a raconté qu’enfants ils se rendaient à la zaouia de Sidna Boulal, où ils rejoignaient Mahmoud Guinéa et ils allaient ensuite confectionner aouicha, la petite guitare à table d’harmonie en zinc qui leur servait à s’exercer avant de jouer au gunbri.

Mahmoud Guinéa : -On était alors en période d’apprentissage : dés notre prime enfance, on était des amateurs de Gnaoua. On confectionnait notre instrument en se servant du zinc en guise de table d’harmonie et du nylon en guise de cordes. Et on se servait des boîtes de conserve de sardines pour confectionner les crotales. Et on allait s’amuser ainsi au village de Diabet. Une fois, alors que nous étions encore tous jeunes, la tombée du jour nous a surpris dans la forêt de Diabet où nous nous sommes mis à scander Charka Bellaydou, une devise des gens de la forêt. Très sérieusement, dés que nous avons entamé ce chant, nous apparu alors, surgissant de nulle part, une sorte de Kinko A l’apparition de cette énorme créature, nous prîmes la poudre des escampettes. Fil blanc, fil sombre était la lumière dans les jardins de Diabet, près de l’oued.

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Mohamed Tabal

Abdelkader Mana : -Au début tu accompagnais ton père , que Dieu ait son âme, en simple qraqbi (joueur de crotales) . Ton père jouait du gunbri et tu as commencé tout jeune en tant que qraqbi et en tant que jeddab (danseur rituel). Tu jouait Kouyou, la partie ludique du rituel. Un jour ils t’ont préparé une gasaâ(plat de couscous) pour te reconnaître en tant que maître de la nuit et du gunbri.

Mahmoud Guinéa : -A la zaouïa, ils m’avaient préparé une grande gasaâ, de couscous, semblable à celle des Regraga décorée de bonbons, d’amandes et de noix. Les Gnaoua étaient encore tous vivants. Ils m’ont béni et j’ai commencé à jouer. Mon jeu leur a plu. C’est de cette manière qu’ils m’avaient reconnu en tant que maâlem. Ce n’est pas le premier venu qu’on recrutait ainsi. N’importe quel profane, apprenant sur cassette, se prétend maintenant maâlem. Pour le devenir vraiment, il faut l’avoir mériter à force de peines. Maâlem , cela veut dire beaucoup de choses. Il faut être vraiment initié à tout ce qui touche aux Gnaoua : apprendre à danser Kouyou,à jouer du tambour, à chanter les Oulad Bambara , a bien exécuter les claquettes de la noukcha . Il faut savoir tout jouer avant de toucher au gunbri, qu’on doit recevoir progressivement de son maître. Maintenant, le tout venant porte le gunbri et le tout venant veut devenir maâlem.  Sans le vouloir, je deviens un autre en jouant du tambour...

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Mohamed Tabal

Malika (sa femme) :-Parce que la aâda (ou procession)est comme une invitation des esprits. Dés qu’on sort pour faire rentrer la procession à la maison ; on y amène en même temps les esprits avec soi. On les invite pour ainsi dire à la lila , la nuit rituelle, la nuit de transe : la plupart des gens rentrent en transe dés cette phase préliminaire de  la aâda,où l'on joue uniquement du tambour, cette voix des dieux africains.Mahmoud a tout pris de son père : le gunbri, les crotales, les kouyou, la patience au moment de la transe, comment conduire la lila. Il a tout pris de son père.

Mahmoud :-Cela se pratique avec sérieux, avec cœur, et de bonne foi. C’est une énergie qui nous vient d’en haut. Un don de Dieu. Lui seul  nous accorde cette force qui nous appartient. La transe n’est pas un apprentissage : c’est quelque chose qu’on a dans son sang, un don accordé par Dieu.

 Malika :-Il vit cette musique depuis l’âge de sept ans. Il accompagnait son père quand celui-ci se rendait chez les moqadma , pour le sacrifice qui précède la lila . Il rentrait en transe. oui, dés  l’âge de sept , huit ans. Depuis toujours, il a vu sa  maman accueillir les possédés. Elle les reçevait à la maison pendant une semaine, quinze jours jusqu’à ce qu’ils guérissent . On organisait tout le temps des lila à la maison ….

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Mohamed Tabal

Abdelkader Mana : Quel type de clientèles vous recevez ? 

Malika :-Le premier cas est celui de cette femme qui fait des cauchemars la nuit. Elle n’acceptait pas les hommes qui la demandaient en mariage. Elle n’aimait pas du tout les hommes. Sa mère me l’a amené en consultation. Elle avait 28 ans. Les esprits m’ont indiqué que c’est eux – mêmes qui l’empêchaient de se marier pour  qu’ils la possèdent. L’esprit qui la possède l’empêche de se marier pour qu’elle devienne son épouse. Nous lui avons organisé une lila mais son esprit a refusé en disant : « cette femme doit m’épouser ou me servir. » Mais elle refusait de servir. Elle a néanmoins organisé la lila en disant : « Je donnerais tout ce qu’on me demande, Le financement n’est pas un problème ".Elle a de l’argent. Elle fera tout ce qu’on lui demande pourvu qu’on la délivre et qu’elle se sente mieux. Elle n’aimait plus la maison : elle voulait s’enfuir, fuguer. La première lila est passée, la seconde et la troisième. Après quoi elle est guérie. Maintenant, elle est mariée. Elle a même deux enfants. Quand elle s’est mariée et qu’elle a eu le premier enfant ,elle l'a emmené à la tbiqa(l’autel des esprits). Pour le protéger on l’avait couvert des draps aux sept couleurs des esprits. Et quand elle a eu le deuxième enfant, elle l’emmena également. Maintenant elle m’envoie chaque année un sacrifice. Elle vit à Tanger. Elle est guérie. 

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Mahmoud Taba

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Autoportrait réalisé par l'artiste au tout début de sa carrière en 1989

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J’ai un autre cas, celui d’une femme mariée dont le problème est qu’elle n’enfantait pas alors que son plus ardent désir est d'avoir des enfants.Et même quand elle tombait enceinte, elle finissait par perdre son bébé dans les trois mois qui suivent. Alors, elle est venue me consulter et il s’est avéré que c’est Sidi Hammou qui l’a « frappé » au ventre en lui demandant sacrifice et lila. Elle ne voulait pas organiser la lila, chez elle : elle a honte de cette musique. Elle nous a donné l’argent et nous lui avons organisé la lila chez nous. Quand elle est redevenue enceinte, elle est venue me voir et je lui ai recommandé de porter durant neuf mois le « fil de laine autour du ventre» (comme ceinture protectrice). Suite à quoi, elle a donné naissance à une fillette qui a grandi maintenant. Elle aussi m'envoit offrandes et sacrifices à chaque nativité du Prophète..

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Mahmoud Taba

Abdelkader Mana : - Comment es-tu devenue talaâ(voyante médiumnique)?

Malika :- Auparavant j’étudiais, comme tout un chacun rêve de s’instruire. J’ai obtenu mon bac, pour poursuivre mes études en section anglaise à l’étranger. Quand j’ai obtenu le bac j’ai eu un problème avec un Monsieur de notre fratrie : il m’a demandé en mariage alors que sa mère m’a refusé. Mais comme il est passé outre ce refus, elle m’a jeté un mauvais sort,  pour provoquer notre séparation. C’est par  ce mauvais sort, que les esprits me possédèrent .En enjambant cette magie j’ai commencé à tomber en transe et à me désintéresser de l’école. Je n’aimais plus les hommes, d’une manière générale. Les hommes, étaient devenus un problème pour moi. Je suis choquée à chaque fois que j’entends parler d’un homme qui désir demander ma main. Durant près de deux ans, nous avons consulté de nombreux docteurs psychiques. Ma maman, que Dieu ait son âme, m’amenait chez les médecins. Franchement, je n’étais pas élevée dans une famille Gnaouie. Chez nous personne ne dansait en transe. On était tout à fait loin des Gnaoua. Quand j’ai commencé à « tomber » (à devenir une possédée), les gens se mirent à nous dire : « Il faut voir les Gnaoua, organiser une lila ». Finalement, je ne croyais pas vraiment aux esprits. Il y avait alors dans notre voisinage une voyante qui organisait des lila. Un jour, alors que je dormais, j’entends au loin le rituel de la lila se dérouler chez elle. Quand ils ont entamé la procession aux tambours, je n’ai pu m’empêcher de quitter la maison en courant, pour rejoindre dame Jmiâ que Dieu ait son âme (Mon autel des mlouk comprend de vieux balluchons de couleurs que j’ai hérité d’elle.Même vieux et déchirés je ne puis les jeter. J’ai des serviettes toutes neuves, mais les anciennes qui lui appartenaient ; je les garde parce qu’elle me les a légué au moment de mourir). Je l’avais alors rejoins et je me suis mise à danser en état de transe. J’ai dansé alors sur les notes du grand maâlem  Baqbou . En sortant de ma transe, je me suis endormie et elle m’a mis en isolation sous le voile : « Ma fille, me dit-elle, les esprits te réclament sacrifice et désirent que tu les serve. » Je n’ai pas compris tout d’abord qu’est – ce que « servir » veut dire? J’avais 17 ans.Je suis allée voir ma mère en lui disant que lalla Jmia m’a recommandé de « servir ». Une semaine après je suis « tombée en transe» à nouveau et j’ai commencé à pratiquer le parler en état de transe (kan’Ntaq). Les esprits se mirent à parler en moi : « nous lui avons ordonné de nous servir, disent-ils,d’organiser une lila pour devenir moqadma. » Je suis tombée malade et ma mère est allée voir cette voyante en lui disant : « Dame Jmiâ, viens voir ma fille elle s’est à nouveau évanouie." Elle est venue et a commencé par faire parler les esprits qui me possèdent, puis elle avait dit à ma mère : « Les esprits veulent qu’elle les serve. »

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Mahmoud Taba

«Peut-on organiser la lila ? demanda ma mère, on vous donnera l’argent pour l’organiser. » ; La voyante lui répondit : « Ils veulent certes qu’elle organise une lila, mais ils veulent surtout qu’elle les serve. ».Nous avons effectivement organisé une lila . Je ne pouvais plus me lever , mais après la lila, je me suis sentie mieux. Un mois environ après la lila, j’ai à nouveau refusé de servir. Je suis tombée malade à nouveau. Les esprits lui dirent alors : « Elle ne veut pas de nous ; il faut qu’elle ait en pèlerinage. C’est ainsi que je me suis rendue à Moulay Abdellah Ben Hsein, à Chamharouch, jusqu’à ce que j’aie accepté. Je  les voyais dans mes rêves et je m’écriais dans la nuit. Ils ont chamboulé mon sommeil :  je dormais le jour et me réveillais la nuit. Je me mettais à prédire à quiconque  me rendait visite : je tombais en transe et je voyais pour ceux et celles qui me rendaient visite sans qu’ils me le demandent. Petit à petit j’ai accepté l’idée de devenir talaâ(voyante médiumnique) celle qui fait monter les espritsen les faisant parler sur l'avenir des gens qui viennent consulter.

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 Mohamed Tabal

Je ne croyais pas d’abord aux saints, mais quand je suis tombée malade, je me suis mise à rendre visite à tout lieu saint en rapport avec les gnaoua : la grotte d’Aïcha  à Sidi Ali , celle de Sidi Chamharouch où je me suis isolée durant trois jours : on mangeait là-haut, on buvait là-haut, on dormait là-haut. Après quoi, on est descendu vers Moulay Brahim où j’ai séjourné pendant une semaine. De là je suis descendue vers Moulay Abdellah Ben Hsein. Pendant quatre années, j’ai servie ainsi comme talaâ (celle qui fait parler les esprits). Une fois je me suis rendue en pèlerinage au moussem de Moulay Abdellah Ben Hsein comme ils m’ordonnent de le faire chaque année. C’est là que j’ai rencontré maâlem Mahmoud d’une manière tout à fait inattendue, que m'annocaient cependant les esprits lors d'une dormition  :

- On t’autorise à te marier, à condition que ce soit avec un maâlem gnaoui et qu'il soit noir.

Je me suis dit : « Pourquoi dois-je chercher un homme qui soit de surcroît maâlem , gnaoui et noir ! Il est impossible de trouver un mâle qui réunit tous ces qualités ! »

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Mohamed Tabal

 Mais bien avant de le rencontrer, alors que je farfouillais dans mon autel des mlouk,je suis tombée sur une cassette qui contenait de la musique gnaoua. Notamment certaines devises de foufou-danba , du lait. Je me suis dit : « J’ai déjà écouté ce maâlem et sa musique comporte des devises qui n’existent pas chez les gnaua de Marrakech. " Je suis arrivée à Moulay Abdellah Ben Hasein en dissimulant cette cassette entre mes seins. C’est là que j’ai rencontré Mahmoud en campagnie de Hamida Bossou . Celui-ci m'invita à une lila qu'il organise en cette période du mouloud à Tamsloht. Parmi les invités, il y avait maâlem Mahmoud,  son père et ses frères. On s’est connu de cette manière et je suis rentrée chez moi. Mon frère a rencontré par la suite le maâlem et l’a invité chez nous. C’est ainsi que je me suis retrouvée en tête à tête avec lui à l’intérieur même de ma maison ! J’ai alors ordonné à mon frère de nous faire écouter  la fameuse cassette. Nous l’avons écouté sans que je sache d’où elle m’est venue. Mahmoud l’a reconnu : « C’est ma cassette » me dit-il.

Comment elle a pénétré à l’intérieur de ma maison ? Je ne saurais le dire . C'est de cette manière qu'il m'a découverte et épouser.

- Est-ce ta sœur ? Demanda –t-il à mon frère.

- Oui.

- Est-elle mariée ?

- Non.

C’est ainsi qu’en un très bref laps de temps, je me suis retrouvée fiancée et mariée . C’est maâlem Mahmoud qui m’a encouragé à poursuivre mon travail en tant que maâlma et en tant que voyante. Je suis originaire de Marrakech. Et du fait que j’organisais chaque année une lila, ma sœur dansait en transe, mon frère dansait en transe, ma fille dansait en transe. Cela remonte aux environs de 1985 que nous  baignons en permanence dans ces rituels, au point que la musique gnaoua coule maintenant dans nos veines.

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 Mohamed Tabal

Abdelkader Mana: - Deux familles sont aux origines des Gnaoua d’Essaouira : les Guinéa et les Gbani, qu’Allah les aient tous en sa miséricorde. Je veux que tu me parles de ces deux familles. Ton grand père Guinéa était arrivé à Essaouira avec l’armée Française en 1914, d’après ce que m’avait dit ton père. Gbani , que Dieu ait son âme, m’avait dit qu’ils étaient venus de Bamako au Mali ou bien de Tombouctou , à travers le Sahara…

Mahmoud Guinéa : - Quand ils étaient arrivés à cette époque, le père de mon père s’appelait Da Méssaoud. Il était venu du Mali en passant par la tribu des Oulad Dlim au Sahara. Le père de ma mère, Ba Samba, était venu de Dakar. C’est eux qui sont à l’origine des Gnaoua d’Essaouira. Les ancêtres de la famille des Gbani sont également originaires du Soudan. Ces deux familles sont pareilles. Nous sommes tous venus d’Afrique. C’est de là qu’avait commencé le gnaouisme  à Essaouira.

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 Mohamed Tabal

Abdelkader Mana :- Ton père m’avait dit, qu’il n’y avait pas de zaouïa des Gnaoua ici : ils habitaient juste sous des casemates du côté du quartier des Alouj(les convertis de l’époque). En arrivant ici, ils ont participé à l’édification d’Essaouira. L’un d’entre eux était sourcier : là où il leur disait de creuser, ils trouvaient de l’eau. C’est lui, d’après ce que me disait ton père qui leur avait ordonné d’édifier par ici la zaouïa des Gnaoua où ils s’étaient mis à se réunir chaque samedi. Ils parlaient alors le Guinéen…

Mahmoud Guinéa : - Au temps où ils habitaient dans les casemates, dont tu parles, ils n’avaient pas de zaouïa. Après quoi, un jeddab souiri (danseur de transe), de la famille  Aït – el - Mokh, leur avait accordé un terrain, où ils pratiquaient leur rituel un certain temps, juste entourés d’une enceinte. Au bout d’un certain temps, les gens d’Essaouira, qui sont des jeddab (danseurs de transe) et des amateurs des Gnaoua, ont tous participé à l’édification de la zaouïa où se réunissent les Gnaoua

 Malika Guinéa : - Pourquoi, leur avait – on  accordé ce terrain ? A cause de ce fils qu’ils ont promené chez tous les guérisseurs sans qu’il soit guéri. Mais quant ils l’ont amené chez les Gnaoua, il s’est aussitôt rétabli. Ils ont alors accordé aux Gnaoua, ce terrain,  en guise de don, comme le font chaque année, les bienfaiteurs qui viennent en procession à Sidna Boulala : la femme qui n’enfante pas, vient prendre la baraka et se remet à enfanter. L’homme qui a du mal à trouver du travail, recourt lui aussi aux Gnaoua. Quand ils ont vu que celui dont le fils est malade avait accordé le terrain, les autres ont financé : celui-ci a acheté le ciment, celui-là le fer, jusqu’à ce que la zaouïa de Sidna Boulal soit érigée. Nous ne pouvons pas dire que Sidna Boulal soit enterré à Essaouira : il est là-bas, en Orient. Ici, nous n’avons que sa baraka, son maqâm (mansion).

Mahmoud Guinéa : -Parce que le gnaouisme a pour origine le charisme de Sidna Boulal.

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Abdelkader Mana : - Ils se réunissaient chaque samedi, parce que la plupart d’entre eux travaillaient chez les négociants juifs. Or le samedi c’est jour de shabbat chez leurs employeurs juifs : c’est pour cette raison que les gnaoua organisaient leur rituel un samedi.

Mahmoud Guinéa : - A l’époque, ils ne travaillaient pas chez les juifs. Il y avait ceux d’entre eux qui étaient dockers. Il y avait ceux  qui travaillaient comme artisans marquetant ce bois de thuya et il y avait parmi eux des marins.

Malika Guinéa : - Gnaoua, les vrais, ne travaillent pas le samedi. La nuit du vendredi au samedi est celle des esprits sauvages. Les Sabtaouiyne (ceux du samedi) sont mauvais. As – tu  jamais assisté à une lila (nuit rituelle) des sabtaouiyne (ceux du samedi) ? Ils réclament des choses mauvaises. Ils peuvent par exemple te demander quelques choses des latrines, ils peuvent te demander du sang, ils peuvent te demander un cadavre. Tant qu’ils le peuvent les gnaouas qui prient pour le Prophète, comme tu sais,  évitent cette nuit du vendredi au samedi. Ils lui préfèrent les jours du lundi et du vendredi, et évitent le mercredi porte malheur.

Abdelkader Mana : - Ce point concernant les esprits juifs du samedi, nous amène à parler de la religion des esprits possesseurs :il y a ceux qui sont musulmans, ceux qui sont juifs et ceux qui sont chrétiens. Et on dit que les esprits possesseurs juifs sont les plus difficiles à déloger ?

Mahmoud Guinéa : - Ce sont des êtres semblables à toi. Vous avez votre religion et j’ai la mienne. Et nous n’avons crée Adam que par la foi.

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Mahmoud Guinéa :- C’est mon grand père qui avait amené ce bol de DAKAR : une ondée bénie des dieux…

 Malika :-- Au plus fort de la transe, quand on invoque l’esprit de la mer le poisson apparaît tout seul  au milieu du bol : sa baraka se manifeste de cette manière.

 Mahmoud Guinéa : - C’est la pure vérité, il n’y a pas de mensonge…

 Malika : -Ils remplissent le bol, présentent leur soumission aux esprits et se mettent à danser.  Ils se rendent compte à l’issue de leur transe que le bol contient du poisson.

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 Abdelkader Mana : - Est – ce  le BOURI , ce poisson des rochers ?... 

Mahmoud Guinéa : -Oui, il est tout petit ce poisson…

 Abdelkader Mana :- On raconte que chez les Africains, il existe une divinité dénommée BOURI ?

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Malika :-Pour ce qui est du sacrifice de Sidi Hammou, il est recommandé à celle qui fait des cauchemars,  qui voit en rêve des hommes ensanglantés, qui se voit au milieu d’un abattoir, qui rêve de beaucoup de viande, de sacrifices, qui saigne en ouvrant les yeux. Bref, que du sang. Ou bien elle tombe atteinte par les génies : si elle ne voit pas le sang en elle-même ; elle le voit en quelqu’un d’autre, en assistant à quelqu’un qu’on a poignardé.Quand j’ai intégré la mida (l’autel des mlouk) et que j’ai accepté de servir les esprits ; je me suis rendue en pèlerinage à Sidi Chamharouch après avoir organisé une première lila. En redescendant de la grotte, je suis tombée sur du fer que j’ai pris. En arrivant à la maison, je suis tombée en transe . Quand les esprits sont « montés »(talaâ’ou) , ils m’ont demandé de danser avec le fer  soit à l’invocation de Jilali , soit à celle du nuageux. C’est tout. Pour sanctifier le fer, j’ai organisé une lila avec sacrifice. Depuis lors, je ne peux plus danser à la devise de Jilali sans être munie de fer.

Mahmoud Guinéa : - BOURI ! Ô BOURI !

 Abdelkader Mana : - Es-ce que cet esprit existe ? Es-ce qu’on l’invoque ?

 Mahmoud Guinéa : - BOURI ! Ô BOURI ! Son invocation introduit les rouges.

 Malika : - Il est le portier des rouges. L’ouverture des esprits rocheux. Du sang. C’est le BOURI !

 Abdelkader Mana : -  Ne croyez – vous pas que ce sont les Gnaoua qui ont donné le nom de BOURI, à ce poisson couleur d’algues qu’on trouve à marrée basse aux interstices des récifs d’Essaouira ? C’est un nom d’origine africaine ?

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 Mahmoud Guinéa : - C’est possible. BOURI, ô BOURI introduit les rouges. Et il y a BOURI, ô BOURI, des bleus.

 Malika : - Il y a deux genres : ceux qui ouvrent les rouges et ceux qui ouvrent les bleus.

 Abdelkader Mana : -Il y a aussi un melk, un esprit dénommé BOSSOU, une espèce de divinité des marins en Afrique. Il y a maâlem hamida BOSSOU, que Dieu ait son âme. Mais il y a aussi un melk chez les Gnaoua qui porte le nom de BOSSOU ?

 Malika : - BOSSOU, n’est pas un nom de famille

 Mahmoud Guinéa : - Hamida dansait à cette devise.

 Malika : -Il est possédé par ce melk. Il jouait au gunbri , que Dieu ait son âme, mais une fois arrivé à la devise de BOSSOU, il tombait en transe.

 Mahmoud Guinéa : -J’ai joué pour lui à Casablanca.

 Malika : - Maâlem BOSSOU, que Dieu ait son âme, avait toujours besoin auprès de lui d’un autre maâlem , pour le relever au gunbri . Il ne jouait pas quand il n’y avait pas de maâlem pour le relever, même si la moqadema exigeait cette devise. C’est ainsi qu’on le surnomma hamida BOSSOU, du nom de cette devise.

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 Abdelkader Mana : - Que raconte cette devise  BOSSOU ? Es-ce que vous pouvez nous la jouer  en se faisant accompagner du chant de nos amis ?Est – ce qu’on peut considérer Hamida Bossou comme faisant partie des esprits de la mer ou ceux des cieux. Il fait donc partie des bleus ?

 Mahmoud Guinéa : - Il fait partie des gens de mer Haoussa. Lui était un Haoussa.

 Abdelkader Mana : -Qui sont ces Haoussa ?

 Mahmoud Guinéa : -Les Haoussa, ce sont les fils de la forêt de l’Afrique. La région où la forêt est proche de la mer. Cette devise musicale accompagne la transe de la forêt Haoussa, d’où est originaire Bossou.

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 Abdelkader Mana : -Qui sont ces esprits possesseurs Haoussa ? Portent – ils la couleur bleue ?

 Mahmoud Guinéa : -Non. C’est une cohorte des esprits noirs.

 Abdelkader Mana : - Même s’ils évoquent lamer ?

 Mahmoud Guinéa : -C’est que l’océan d’Afrique évoque la transe de cette contrée.

 Abdelkader Mana : -Es-ce qu’on évoque ces esprits Haoussa avant ou après les esprits marins ?

Malika : - Avec les esprits marins.. On peut dire que Bossou est le plus fort des esprits marins. Ces derniers commencent avec la danse au bol rempli d’eau. Après quoi entre en scène Bossou qui danse avec un filet de pêche. Tous les autres esprits se dansent avec les draps à l’exception de Bossou qui se danse avec un filet de pêche, comme celles qu’on trouve au port. Mais c’est un filet orné de cauris.

 Mahmoud Guinéa : - A l’invocation de cette devise musicale, on danse en faisant semblant de nager avec un filet de pêche.

 Abdelkader Mana : - Quelle cohorte est invoquée après les esprits de la mer ?

 Mahmoud Guinéa : - Les célestes.

 Abdelkader Mana : - De quels esprits se composent ces célestes ?

 Mahmoud Guinéa : -  Ils expriment la transe céleste et tout ce que  contient le ciel d’anges, d’étoiles, de lune et autres sphères cosmiques.

Malika :-A la maison on vit avec nos esprits. Et tout le temps, il y a un amour entre la femme et son mari. Même le maâlem a ses esprits . Il n’y a pas de maâlem  sans transe ni esprit possesseur ; jamais. Il doit être possédé ou bien par les chorfa ou bien par les noirs ou bien par les moussaouiynes . Les esprits vivent entre la femme et son mari . Il y a la mida , ( l’autel des mlouk, les esprits possesseurs) avec lesquelles je travaille :  même quand je dors  les esprits sont tout le temps dans la mida avec leurs encenses leurs serviettes aux sept couleurs et tout. Mahmoud mon mari les respecte et leur fait des offrandes. Quand je prépare le tagine au charbon, il jette  les encenses sur le brasier pour que les esprits soient toujours contents. Nous n’attendons pas la lila pour brûler le benjoins : nous le brûlons tout le temps chez nous ; si je ne le fait pas moi-même, c’est Mahmoud qui s’en occupe.

 Mahmoud :-L’encens est présent en permanence à la maison, ainsi d’ailleurs que le lait et les dattes. La transe est omniprésente à la maison.

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Abdelkader Mana : -  Racontez – nous un peu la vie d’Aïcha Kabrane, votre mère que Dieu ait son âme : quel était son rôle ? Comment travaillait – elle avec les aiguilles ? Et comment prédisait – elle en état de transe ?  Ce sont les esprits qui la possèdent qui parlent à travers sa bouche ?

Mahmoud Guinéa : - Les gens viennent la consulter et Dieu accorde sa guérison.

 Abdelkader Mana ; - Que leur prescrit – elle quand ils viennent la consulter ? Es – ce qu’elle recoure aux cauris ? Raconte un peu avec détails.

 Mahmoud Guinéa : - Les parents des possédés les amènent chez elle, et elle commence d’abord par  la divination. C’est là qu’elle diagnostique le mal qui l’a frappé. Elle prédit grâce à un auvent d’osier  contenant  des coquillages et des cauris de la mer du Nil que mon grand père avait amené jadis avec lui. Elle les remue d’une main et avale deux à trois  aiguilles de l’autre. Ce n’est qu’après qu’elle peut te dire quel djinn t’a frappé et pourquoi et comment. Puis elle l’encense en lui prescrivant le sucré et le salé.

 Malika :- Elle appelle ces esprits pour qu’ils lui indiquent la raison pour laquelle ce monsieur ou cette dame sont venus la consulter. Elle ne préconise pas systématiquement la lila : il y a celui à qui on recommande le sucré et celui à qui on recommande le pèlerinage à Moulay Brahim, sidi Abdellah Ben Hsein ou Sidi Chamharouch : il doit effectuer ce pèlerinage avant de revenir lavoir pour quelle puisse deviner ce les esprits réclament. C’est à ce moment là que les esprits préconisent la lila. Elle doit alors jouer son rôle en se concertant avec son maâlem. Que demandent les esprits pour délivrer ce possédé ? Il sera enfin délivré ou bien il deviendra un serviteur des esprits. Car il y a le possédé à qui ils demandent qu’il soit leur serviteur en devenant moqadem.

 Mahmoud Guinéa :-  Malgré lui s’il le faut, même s’il refuse de devenir leur serviteur. Cela est déjà  arrivé à de nombreux possédés.

Malika :-  Que faire ? Elle fait alors appel au maâlem qui se trouve être son propre mari comme c’est mon cas. Elle lui dit : une telle ou un tel désire une lila préparée d’une telle ou telle manière. Et il vont faire le marché comme nous l’avons fait nous-même. Ils vont acheté tout ce dont ils ont besoin pour l’organisation de la lila. Au cours de cette dernière la cliente se livre alors à la danse de possession. Et la voyante médiumnique l’empêche de rentrer à la maison : elle doit rester en sa compagnie au moins une semaine, le temps qu’elle lui indique la manière dont elle doit servir. Et même quand elle devient moqadema, elle se doit d’organiser une lila , où Lalla Aïcha doit être présente. Ceci pour ce qui concerne l’initiation de celle destinée à devenir moqadma. Pour celle qui est possédée, elle reste  chez elle ,voilée , isolée, consommant le sucré durant une semaine, dix jour voir un mois jusqu’à ce qu’elle va mieux. Après quoi, au cours d’une nuit du mois lunaire de chaâbane , elle doit se rendre en pèlerinage à Lalla Aicha avec un sacrifice en guise d’offrande.

Mahmoud Guinéa :-Elle doit régulièrement se rendre en pèlerinage et continuellement présenter des offrandes et des sacrifices.

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Mohamed Tabal

Malika :-Il se peut qu’elle soit délivrée comme il se peut qu’elle soit à nouveau possédée. La mère de Guiné tombait en transe quand on invoquait le Jilali, les noirs et le soudanais. Chose qu’on ne trouve chez aucune moqadma que ce soit ici à Essaouira ou ailleurs. Ces devises lui étaient propres.

 Mahmoud Guinéa :- C’est mon grand père qui avait amené du Soudan ces devises bien faites. Aucun Gnaoui en dehors de notre famille ne joue ces devises musicales. Personne ne danse à leur invocation à part nous autres.

 Malika :- On ne les joue ni ne les danse ailleurs. Nous les respectons : la mère de Guinéa ne les jouait qu’au cours d’une lila qui lui était propre.

Mahmoud Guinéa :-On préserve ces devises pour que les autres Gnaoua ne les jouent ou ne les enregistrent.

Abdelkader Mana

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15:09 Écrit par elhajthami dans Arts, Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts, psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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