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18/03/2010

Calligraphie

Mohammed TIFARDINE

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Le calligraphe d'Essaouira

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Le tatouage de la mémoire par les couleurs du destin

Le souvenir de mon ami défunt Larbi Slith m'a été suggéré d'écrire ce texte sur les calligraphes d'Essaouira pour deux raisons : la mue du printemps et le départ de « la fiancée de l'eau » des Regraga, demain jeudi 18 mars 2010, qu'il visitait à la fin des années 1980 en espérant que leurs prières apaiseront les douleurs du cancer qui le tenayait à la gorge et qui a fini par l'emporter. La seconde raison est ma rencontre fortuite, avec le calligraphe Mohammed Tifardine, lors de ma dérive d'hier au cœur d'Essaouira, où il tient  un atelier de calligraphe rue des ruines.

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J'ai pris quelques images de ses œuvres les plus récentes. Sur lui, j'écrivais il y a déjà si longtemps, juste avant l'effondrement du mur de Berlin , ce texte intitulé « l'anagramme comme cri de l'extase », texte illustré, pour des raisons évidentes d'économie de papier, par une seule calligraphie : c'était avant l'avènement d'Internet et des appareilles numériques qui permettent maintenant de publier instantanément et à profusion textes et images : à l'époque, il fallait attendre l'arrivée des journaux antidatés en début d'après midi et pour la parution d'un livre ou d'un catalogue, galeristes, éditeurs et imprimeurs, pouvaient se délecter de leur immense pouvoir de décider de la forme, du contenu et du moment opportum de la publication selon leur bon plaisir. Entre temps Tifardine a fait d'immenses progrés comme le prouvent les calligraphies ici publiées et qui sont toutes de lui: nous n'avons malheureusement plus de trace de celles publiées jadis par Larbi Slith, auquel nous tenons néomoins à rendre hommage tout en l'illustrant lui aussi par l'oeuvre foisonante de ce fabuleux calligraphe qu'est Tifardine dont la modestie et la gentillesse ne font que le grandir à nos yeux.

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Les premiers rudiments de l'art islamique, on les apprend à l'école coranique : en lavant sa planche d'une sourate apprise pour la remplir d'une sourate nouvelle, l'enfant musulman fait progressivement le lien entre le chant sacré qui illumine son cœur et la belle forme qui éblouit son regard. Les belles lettres ne sont jamais muettes ; elles sont la voix céleste qui illumine le monde, le sens sans lequel la vie n'a pas de sens. L'artiste garde ainsi, au fond de lui-même, cette nostalgie du paradis de l'innocence, cette première découverte inouï du divin. Au temps de cette plongée initiatique, dans le bain d'une civilisation sémite qui magnifie les symboles et glorifie les mots, on lui apprend que c'est de la parole divine qu'est né le monde.

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La calligraphie orne ainsi le ciel de la toile comme une nuée d'oiseaux migrateurs, empreintes de caravanes errantes dans le désert, odes arabes rythmant le déhanchement des chameaux, procession cosmique dans les hauteurs stellaires, célébration de l'aube du temps, stèle funéraire :

« J'écris sur ma toile, disait le peintre mystique Larbi Slith, en miniature, les mots qui ouvrent chaque sourate et qui représentent l'invisibilité et la puissance de Dieu. J'orne mes toiles d'un alphabet dansant, chantant, un alphabet qui parle, il parle d'horizons lointains, il parle de moi, embryon au milieu de la sphère tendre et chaleureuse. »

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L'artiste ne vie pas ici à reprendre un seul sens, le « sens unique », il brouille les cartes pour multiplier les sens possibles. L'art est ici proche de ces pratiques mystiques où l'on pensait que la perfection nominale consiste à conjurer les esprits des sphères et des astres. Plus une forme est belle, plus elle a de la chance de faire sortir l'artiste de son île où souffle un vent de crabe, pour le livrer à l'univers éblouissant des idées.

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Né au cœur - même de la médina d'Essaouira - qu'il a rarement quitté- Larbi Slith était un oiseau de mer, un être fragile au milieu des tempêtes. Il portait en lui, l'extrême sensibilité du musicien, la tendresse du peintre et la détresse de l'artiste. Il incarna, pour nous, l'éternelle jeunesse des « fiancées du paradis », leur errance sauvage, leur douleur solitaire.

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Après avoir raclé les guitares des années soixante dix, il s'était mis à communiquer avec les formes cosmiques : il peint la rumeur de la ville, la baie immense et lumineuse, les haïks immobiles, les sphères de la marginalité et du silence, les prières de la nuit et le soupire de l'océan. Chaque toile était pour lui une épreuve de la purification et une prière. Son art était une lutte continue contre les souillures de ce monde et l'épaisseur de son oubli. Son microcosme de signes et de symboles archaïques sont la « trace » de la transfiguration du monde par les visions oniriques. Pour lui, la peinture fut une trace, et la « trace » est la forme suprême de la lutte contre la fuite du temps. Il était habité par l'urgence de créer, par le désir d'éternité. Chez lui, la peinture devenait un tatouage de la mémoire par les couleurs du destin, une procession des saints vers les soleils éclatés...Et les lumières énigmatiques du rêve émanaient de ses couleurs étranges. Les couleurs que prend l'âme à l'approche des énergies telluriques de la montagne.

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Mais la douleur retira avec les énergies vitales, les couleurs chaude de sa dernière toile ; il y mit un éclipse du soleil, un ciel de linceul, des racines aériennes emportées par le vent vers l'au-delà des êtres et des choses. Il était notre Rimbaud de la peinture, une fleur de la morte saison pour qui les aubes d'hiver sont cruelles et navrantes entre toutes : « Mais vrai, j'ai trop pleuré, les aubes sont navrantes... ». Peintre mystique, l'art fut pour lui, une secrète hégire vers Dieu. Par nos larmes intérieures, au cœur de l'hiver - le 4 octobre 1989 - nous confiâmes une part de nous-mêmes, à la colline du bon Dieu. « M'cha zine Oukhalla H'roufou » : le beau est parti mais il a laissé ses alphabets , ses traces...

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Plus on regarde les anagrammes de Tifardine, plus la combinaison de leurs voyelles  et consonnes, explosent en de nouvelles significations. L'assemblage et la permutation des voyelles par diade, triade et tétrade, permettent la multiplication des sens possibles. Ce potentiel de sens est en quelque sorte « augmenté » par l'emploi de l'accentuation et de la consonance implicite  qui renforcent l'ambivalence de la langue arabe. Par exemple les voyelles « H » et « M », peuvent former avec leur consonance implicite, soit le pronom pluriel « houm » (eux), soit le qualificatif « ham » (souci), ou encore l'accentuation de la voyelle « M », le participe passé « hamma »(s'est dressé).

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Le calligraphe Mohamed TIFARDINE dans son atelier

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C'est donc une calligraphie ouverte sur l'infini, en particulier sur l'idée de Dieu. L'une d'entre elles, composée de triades et appelée « cris de l'extase ». Le calligraphe y a mis l'accent sur les syllabes « Ha » et « Wa » qui, assemblées, forment « hawa » (air), mais comme la consonance reste implicite, la règle de l'ambivalence veut qu'on puise aussi lire « houwa » , le transitif indirect « lui » qui désigne Dieu sans le nommer, parce qu'il est innommable. Cette évocation elliptique de l'unique, les mystiques la répètent en soufflant, jusqu'à ce que la flamme de l'extase divine s'allume.

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Pour les sémites, le verbe , le logos descent du ciel

Les calligraphie sphériques de Tifardine - nom de berbère de pure souche s'il en est - n'ont pas de centre, elles s'orientent vers le divin axe, par déclinaison et génuflexion du sud vers le nord et de l'ouest vers l'est. Dans l'une d'entre elles, l'agrégat alphabétique  est généré par deux lettres principales qui, en s'entrecroisant, séparent et lient organiquement les autres lettres, tout en les voilant partiellement. Le signe d'accentuation signifie que les mots portent en eux-mêmes une « densité ». Il ne s'agit pas là d'une « densité démographique », mais de quelque chose d'autre, à la fois plus puissant et plus solide. Le calligraphe a voulu montrer le lien organique qui existe entre les lettres en tant que « masse ». Car la langue arabe n'est pas une masse inerte ou morte ; elle reste vivante en donnant sens aux êtres et aux choses.

Abdelkader Mana

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15:16 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : arts, arts islamiques, calligraphie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

19/01/2010

Dites-le avec les fleurs

 

Dites - le avec les fleurs

Par Abdelkader Mana

 

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Brahim Mountir

le peintre - abeille

En ce mois d’août 2008, je croise par hasard à Essaouira, Brahim Mountir, né à Tidzi, au pied de la montagne et au milieu des arganiers du pays Hahî. Je savais déjà qu’il avait perdu la vue à cause de son diabet. Son fils lui tient lieu de  guide. Qu’y a-t-il de plus terrible pour un peintre que de perdre la vue, de  ne pas voire les couleurs du jour ? Il me dit : « Je reconnais ta voix et je peux distinguer les rayures de ta chemise ». Résigné mais plein d’espoir qu’un jour il pourra à nouveau recouvrir sa vue, retrouver les lumières de la vie.

Je l’ai connu il y a plus de vingt ans de cela, il gérait alors le restaurant le « Mogador ». Il  venait de se faire connaître par ses estompes à base de pollen, ce qui me conduisit à avoir avec lui l’entretien suivant :

 

 

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- Art culinaire et peinture, même cuisine ?

- Mon travail, c’est à la fois le printemps et le dindon ! (rire) L’encre, je le tiens des fleurs du printemps et mon pinceau est une plume du dindon ! On reste toujours avec la nature parce qu’il n’y a pas mieux que la nature. L’encre et la matière, je les fabrique moi-même une fois par an à partir du coquelicot (rouge) d’une fleure bleue que les berbères nomment « l’œil d’une romaine » et de toutes les autres couleurs du printemps. Si je ne garde que le rouge, j’aurai une couleur un peu forte pour mon goût, de même que si je garde le jaune ou le bleu à l’état pur. Avec l’extrait de mélange de toutes les couleurs de la prairie, j’obtiens une couleur rose que je laisse stagner un bon moment. Au bout d’un an, elle vire au marron-sombre. Une couleur qui ne change plus, mais plus elle vieillit, plus elle devient belle.

 

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- Comme le miel ?

- Si tu veux(rire).

- C’est le miel des choses parce que le miel aussi provient des fleurs ?

- Je suis une abeille ; alors ! (rire). La reine des abeilles. C’est le meilleurs insecte du monde. En fait, j’obtiens deux couleurs : si j’appuie sur la plume, ça donne du noir, et si je touche légèrement, elle me donne la couleur marron. Entre ces deux couleurs, il y a le blanc. Voilà comment j’arrive avec une seule couleur à en faire ressortir trois, vives et naturelles. C’est que je suis d’abord un biochimiste avant d’être un artiste (rire).

 

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Mountir

- Au commencement était le grain de pollen, et le résultat est encore un grain de pollen : une espèce de serpent qui se mord la queue ?

- C’est le merlan en colère ! Nous revoilà encore avec la cuisine (rire)

- Est-ce le feu qui est le lien entre les deux arts ?

- Il y a aussi le dosage de la matière.

- Ton pointillisme fait penser à l’estompe japonaise ?

- C’est ce que tout le monde me dit, mais c’est une pure coïncidence si mon style ressemble à l’estompe japonaise.

- On trouve aussi cette affinité artistique entre la musique berbère et la musique asiatique : de là à penser que les berbères sont d’origine asiatique, voilà un pas que je ne franchirai pas. Mais pourquoi tes paysages sont-ils estompés ?

- Parce que ce ne sont pas des paysages réels mais imaginaires. Je suis né au pied d’une montagne, c’est pour cela que je suis influencé par les beaux paysages...

 

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- Une transfiguration du paysage vécu par le rêve ?

- Et le pointillisme...Mes tableaux essaient de reproduire au niveau imaginaire la variété des reliefs : montagnes, collines, plateaux, oueds, et même plaines.

- On a l’impression de strates de reliefs, de superpositions de paysages ?

- C’est une grimpée de paysages en escaliers. Chez nous au pays Haha, le principal arbre, c’est l’arganier. Sur mes tableaux, il y a toujours un arganier, que je peins des fois sans fleurs ni feuilles. C’est un arbre sacré chez les habitants depuis toujours.

 

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Mountir

Maintenant qu’il distingue à peine les rayures de ma chemise, et qu’il me reconnaît surtout au timbre de ma voix, je n’ai pas eu le courage de lui demander s’il a toujours envie de peindre ses estompes aux couleurs si fines et si délicates.Maintenant, c'est le fils qui a repris le relais du père en utilisant la même technique.Grains de pollen, grains de sable.Ils sont deux artistes  d'Essaouira à recourir au pointillisme: Mountir à base de pollen et Oulamine à base de grains de sable.

Oulamine commence par un point et termine par un autre, parce que la vie elle-même commence par la poussière et finit dans la poussière. Il pratique, un pointillisme figuratif, inspiré de scènes insolites du bord de mer : le saut d’un poisson en dehors de l’eau,la rumination d’une vache sur le sable, un plat de noyer magique sous un astre noir. Le sablier du peintre immobilise des moments uniques et dépeint des situations à la fois étranges et poétiques, grain de sable, grain de peau, corpuscule de lumière cendrée, molécule d’air et d’eau. Le paysage est reconstitué à partir de ses composantes élémentaires ; plus on ajoute de nouvelles couches de petits points, plus il y a possibilité de combiner lumière et ombre, et de ce jeu se dégagent de nouvelles formes.

 

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Au début des années 1980, Oulamine faisait partie du « groupe kawki ». Un groupe informel, de réflexion sur les arts plastiques, qui ne tarda pas à se disperser, faute de cadre institutionnel approprié. Sidi Kawki, ce marabout de la mer, qui surplombe de son architecture étrange et belle, une magnifique plage préhistorique, protège Manzou de toute influence venue d’ailleurs. C’est son saint protecteur, c’est là qu’on lui avait coupé les cheveux pour la première fois comme le veut la coutume berbère. Les pèlerines s’y rendent pour une incubation, afin de trouver dans le rêve une guérison, les musiciens pour que leur voix ne soit pas désagréable et Manzou pour écouter mugir le chergui sous sa coupole, s’imprégner de la magie du lieu afin de mieux intégrer ses « forces vibratoires » à sa peinture. Mais ce qu'il y a de fantastique chez Mountir, c'est sa dépendance au printemps: il attend le retour de la belle saison pour aller butiner dans la montagne le nectar des plus belles fleurs exactement comme font les abeilles! Il peut d'ailleurs continuer à le faire en recourant à son seul odorat.

 

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Mountir

13:06 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

03/01/2010

Le pointillisme d'Oulamine

Abdellah Oulamine

Le peintre du sable

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Par Andelkader Mana

Au début des années 1980, à Essaouira, Oulamine faisait partie du « groupe Kawki », un groupe informel, de réflexion sur les arts plastiques, qui ne tarda pas à se disperser, faute de cadre institutionnel approprié. Cette première initiation à la peinture, Oulamine la compléta par de nombreux voyages, qui lui permirent de découvrir de nouvelles façons de peindre.

Il pratiqua d'abord, un pointillisme figuratif, inspiré de scènes insolites du bord de mer d'Essaouira et de l'architecture ocre des « kasbahs » du Sud. Le sablier du peintre immobilise des moments uniques - le saut d'un poisson en dehors de l'eau, la rumination d'une vache sur le sable, un plat de noyer magique sous un astre noir - et dépeint des situations à la fois étranges et poétiques, grains de sable, grains de peau, corpuscule de lumière cendrée, molécule d'air et d'eau. Le paysage est reconstitué à partir de ses composantes élémentaires ; plus on ajoute de nouvelles couches de petits points, plus il y a possibilité de combiner lumière et ombre, et de ce jeu se dégagent de nouvelles formes. Oulamine passe parfois des heures à remplir un petit espace de points et de formes minuscules. Avec une pareille technique, il ne peut pas réaliser de grands formats. Ses toiles, sont à l'image d'Essaouira, qui est elle - même une jolie miniature.

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Ces dernières années, Oulamine pratique un art plutôt symbolique. Sur fond d'harmonie géométrique, il combine aux points des signes et des symboles magiques, des bijoux et des tapis berbères. Le contenu cosmologique s'y combine aux formes cosmiques. Oulamine commence par un point et termine par un autre, parce que la vie elle - même commence par la poussière  et finit dans la poussière. Il a donc voulu juste nous montrer qu'il n'y a pas de différence entre l'infiniment petit, ici un point, et l'infiniment grand, qu'il représente par une forme sphérique : l'atome est aussi complexe que la galaxie.

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Cinq années après la parution de cet article dans « Artistes d'Essaouira », notre regretté maître, Georges Lapassade, lui consacrait un autre article (dans « Traces du présent », numéro 2/3 paru en 1994). Il s'agissait là aussi de « poussières », mais comme symbole de la mort. Georges dont l'activité vitale et spirituelle  se réduisait presque exclusivement à l'écriture, avait une conscience aigue de la mort qui peut à tout moment mettre fin à son activité d'écriture :

«  Occupés par nos activités de tous les jours, écrivait - il,  nous vivons dans l'oubli des origines et nous restons ainsi endormis. Oulamine nous réveille de ce sommeil en nous rappelant à sa manière combien ce monde où nous vivons est précaire et fait de poussière. Il peut à chaque instant retourner au néant d'où il est issu. C'est en tout cas, ainsi que j'ai interprété  la succession de quelques unes de ses toiles, en les regardant comme les moments successifs d'une cosmologie, le jour où, pénétrant dans son atelier, j'en ai fait le tour.

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Il y avait d'abord un ovale blanc qui m'a semblé représenter la vie encore enveloppée d'où - 2ème toile - s'envolaient des mouettes : une première messagère de la vie sur la terre. Venait ensuite une gerbe de lumière jaillissant sur une toile comme l'écume d'une vague vient exploser dans la lumière du soleil. La répétition joyeuse de cet hymne à la vie était soudain interrompue par un cataclysme. Cette nouvelle explosion de feu n'était plus celle de la vie , mais, au contraire, sa conflagration.

Les âmes mortes des mouettes courant vers le néant d'une apocalypse. Cette fin d'un monde était figurée par une boule de feu, bientôt transformée en une fumée d'un noir intense. Puis c'était le gris des cendres  juste avant l'émergence d'un grand soleil mort, un bloc blanc et glacé errant dans la nuit du cosmos.

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Il m'a semblé, ce jour - là que le pointillisme d'Oulamine trouvait ici sa pleine justification. Loin de consister en une simple technique d'école,  il convenait au rappel angoissé de ce que nous avons oublié, que ce monde n'est qu'un fragile agrégat de poussière et de sable dont la consistance reste précaire. Un conflagration possible à chaque instant, peut le désintégrer et détruire à jamais la vie.

 

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Cette lecture « apocalyptique » d'une œuvre dont la disposition, dans cet atelier , qui n'était peut - être pas due au hasard, était probablement subjective. Mais comment faire autrement ? Notre rapport visuel au monde qui nous entoure et nous fait signe est toujours dialogue avec ce monde. D'autres, très certainement, trouveront dans l'œuvre d'Oulamine des enseignements différents ».

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Au  Maroc, l'héritage intellectuel  de Géorges Lapassade  reste vivant: au début de ce mois de juin 2009,  un peintre qui expose  à Casablanca m'a remis une invitation où il a mis en exergue la citation suivante tirée d'un article que lui avait consacré Georges au début des années 1980:

"Non loin du rêve, les sujets prennent vie du côté intérieur de l'être tandis que la réalité s'y reflète,  dissimulée derrière les voiles de l'imaginaire...Non loin de la théâtralité, le dialogue entre l'imaginaire et le réel se pare d'une réflexion sur notre perception de l'existence humaine et de la réalité"

 

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L'artiste plasticien dont il s'agit est l'ex prisonnier politique, Saïd Hajji qui faisait partie  avec Oulamine  entre autres, du groupe "Kawki" auquel  Georges avait  alors apporté un appui très actif,  par des écrits sur leurs œuvres,  lors du premier festival d'Essaouira "la musique d'abord"(1980-81).  Ce fut un moment essentiel qui marque la naissance de tout un mouvement culturel où s'inscrit ce groupe de peintres mais aussi les recherches ethnographiques sur Essaouira et sa région. Pour  Georges Lapassade, le mouvement pictural des artistes singuliers d'Essaouira n'était en fait, qu'une «  bombe à retardement »  née de la peinture psychédélique qu'a connu la ville avec le mouvement hippie dix ans plus tôt au début des années soixante dix.

Maintenant Oulamine met davantage en avant son activité d'antiquaire du côté de la place de l'horloge, dont il nous dit que « si ce village est bleu et ses remparts ocres , les chiffres romains de son horloge en panne sont noirs ». Mais il n'en continue pas moins d'être l'artiste qu'il a toujours été. Il nous surprend en ce tout début de l'année 2010, en nous tendant un cahier d'écolier où il a griffonné au grès du temps qui passe des poésies méditatives qu'il a composé pour meubler les silences par les mots comme il se plaisait à faire surgir du néant un monde imaginaire en procédant par pointillisme. Une poésie qui évoque en pointillé sa propre peinture, dont elle est en quelques sortes le miroir :

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Terrasses

La médina a poussé de quelques mètres verticalement.

Les mouettes y ont trouvé refuge et y pondent leurs œufs.

Jadis elles le faisaient uniquement au large sur l'île

Ou sur les rochers inaccessibles aux ramasseurs de crabes

Et aux enfants qui pêchent les petits poissons

Appelés bouri ou gaougaou.

La médina a poussé aussi horizontalement

Mais c'est comme si elle ne l'avait pas fait

Puisque les mouettes la fuient

Et les chattes n'y font pas leurs petits.

Seuls ceux qui n'ont rien compris y aménagent

Et la prennent comme foyer.

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Massacre

L'homme de ce pays , quel pêché lui reste - t - il à commettre ?

Quelle vie lui reste - t - il à anéantir ?

Où est la faune d'autrefois ? Où est le putois ?

Où est le lion de l'Atlas ?

A part l'âne, les rats, les chiens et les chats, je ne vois pas.

Le scorpion est enfermé dans la résine,

La femme est devenue gazelle.

La tortue qui rythmait les notes dans son espace

Aujourd'hui participe à la fausse note, devenue carcasse.

D'autres animaux, au lieu de courir dans la nature,

Ornent les murs des palaces.

Seuls quelques migrateurs échappent au massacre

Et le chacal tire encore le fiacre.

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M'STAFA

Salut à toi, sage parmi les personnages !

Que tu sois là-haut dans les cieux

Ou là-bas dans le cimetière au fond de la terre, chante

Et fait danser kharboucha tout au long de la kasbah.

Distribue ton sourire et ta sagesse

A tous ceux qui séjournent

Ainsi qu'aux fidèles noctambules.

Où que tu sois, prince de Mogador,

Je te souhaite le paradis ainsi qu'à tous tes semblables.

Aujourd'hui que tout t'es égal,

C'est à mon tour de te demander :

« Entre la lune et les étoiles combien y-a-t-il d'intervalles ? »

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Le vert

La couleur verte n'est pas morte, elle ne mourra jamais,

Je l'ai vu ressurgir après chaque pluie.

La terre est verte, l'émeraude, le jade le sont aussi.

Tout le monde se laisse emporté par sabeauté,

La verdure n'est autre que la vie.

Toi aux cheveux noirs tu resteras exclu

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De toutes les sensibilités, tu mourras

Sans avoir goûter au brai sens de la vie.

Pour nous tous, chaque feuille verte est trésor renouvelé.

Tous les textes sacrés on en parlé,

Qu'elle soit ici sur la Terre ou dans le paradis.

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Le berger

Comme la pluie est le lien entre le ciel et la terre,

L'eau des lacs est le miroir des étoiles (y compris Jupiter).

Les montagnes s'élèvent  pour accueillir les gouttes messagères

Chaque goûte qui tombe porte en elle une vie particulière

Le berger a bien compris le message depuis des millénaires :

Il joue sa musique tout le long des rivières

Pour maintenir en harmonie ce dialogue entre le ciel et la terre

Gardant l'œil sur la chèvre qui danse sur les branches

Avec une joie singulière.

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Un autre jour

Que je sois la montagne et toi le volcan

Que je sois le feu et toi la flamme

Que je sois l'eau et toi son âme

Que je sois le père et toi l'enfant

Que je sois la parole et toi le son

Que je sois le sourd et toi le muet

Que je sois la musique et toi le rythme

Je sais que demain ne sera jamais le même.

 

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Le voyage

Chaque naissance est un nouveau départ

Pour un nouveau long voyage

Les sentiers se croisent et se recroisent

Tout le long de la ruée vers je ne sais quels rivages

En plein vacarme les cris de joie et de détresse

Se mélangent avec le bruit des orages

Toute chose vivante empreinte le chemin quelle aura choisi

Avec ou sans bagage .

Quelque soit son âge l'homme ne maîtrise en réalité

Que trop de bavardages

Bien sûr le voyage continue après la mort

En silence terrible et discrètement sage.

 

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Abdellah Oulamine, et son chat dans son magazin d'antiquaire place de l'horloge

Muré dans un silence « terrible et sage », Oulamine n'en continue pas moins d'observer les contradictions qui minent une ville où « les choses ne tournent pas comme on souhaite » :

« Le vent souffle du nord, mais les gens l'attribuent au sud »

Et de conclure avec le Mejdoub qu' « il faut se rappeler que cette cité, si belle, si bleue et noire, sera noyée tôt ou tard comme l'a prédit un lucide vieillard »

 

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Entouré de vieux tapis, de mobiliers du haut Atlas et de bijoux berbères, il compare l'inconstance de l'homme au comportement trempe l'œil du caméléon et observe méditatif que « seul l'or se montre toujours tel qu'il est : il n'a rien à cacher à personne quel qu'il soit le lieu. C'est ce qui fait attirer sur lui tous les regards ». Il a parfois envie de fuir loin de cette ville où tous les rêves se brisent violemment au pied des murailles , symbole par excellence de l'embargo eternel. » Ce qui lui donne parfois l'envie de sauter par-dessus ces murailles de l'enfermement pour s'en aller ailleurs, « en haut des cimes de l'Atlas ».

Abdelkader Mana


17:14 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts, poèsie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook