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04/05/2010

Les couleurs de la transe

Les couleurs de la Transe

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Tout, soudain, danse dans la ville habitée [1]: hommes, femmes, oiseaux, enfants, vieillards. Les youyous fusent dans la lumière éclatante. Essaouira, ville à dimension humaine, habitée par le hal ! Véritable « port de transe » où crotales et tambours font battre le cœur de l’Afrique, en un dialogue sublime qui tantôt s’élève jusqu’aux sphères célestes, tantôt s’abîme dans les profondeurs de la mer.

 

Etendards en tête avec le taureau du sacrifice, la procession a quitté la zaouia de Sidna Boulal [2]au début de l’après-midi. Des rangées de danseurs s’improvisent dans les rues, les joueurs de crotales et les tambourinaires avancent en ligne à petits pas, se font face, se rapprochent puis s’écartent pour se rapprocher encore, suivant le rythme de la musique.

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Se plaçant entre le taureau du sacrifice et les musiciens, voici les voyantes au géranium et au basilic qui implorent Allah : «  guéris-nous, ô Seigneur ! » Lentement, elles avancent au rythme omniprésent de la musique. En tête de la procession, les deux étendards, le vert et le rouge, puis vient le taureau noir que suivent les enfants aux yeux émerveillés. Dans les rues étroites, pleines de poussière, de couleurs, de lumières, la circulation est bloquée. On prie, on fait appel à la baraka qui guérit : « Laâfou ya Moulana » (guéris-nous, Ô Seigneur !)

Dans le labyrinthe des rues la procession continue d’avancer.

Partout est la danse, offrande de musique, promesse de hal[3] .On se désaltère aux gargoulettes parfumées aux feuilles de menthe. Les voyantes aspergent d’eau de rose la foule des curieux et des adeptes. Le hal habite les murs, la foi exalte les remparts, les ruines parlent de ceux qui ne sont plus. Oubli du temps présent, oubli du monde. L’immémorial illumine le ciel et, toute puissante, la musique ressuscite le lent et noble déhanchement des caravanes en marche.

On fait halte un moment devant le sanctuaire du Pôle de l’Orient. Dans la clarté du jour la procession investit la cité du son grave du tambour, du martèlement des crotales.

Dis-nous, ô arbre immobile !

Entends-tu les sons graves qui

Accompagnent le taureau vers le repos éternel ?

Son sang va jaillir comme jaillissent en  geysers de brume

les chevaux marins de la houle violente.

Corps broyé par les vagues.

Rôde la mort, la mort sereine et brutale.

En échos à la prière cosmique du firmament,

Des ombres en oraison se répondent dans la pâle clarté du crépuscule.

 

D’un côté le tumulte des vagues, l’immensité de l’océan ; de l’autre le bruit assourdissant des tambours. Infinité des mystères, mystère de l’infini. Des goélands voguent au rythme du vent, des essaims d’hirondelles planent au dessus du cortège. Les musiciens pénètrent avec vacarme dans l’enceinte sacrée. L’homme préposé au sacrifice serre les pattes antérieures du taureau. Une foule immense envahit la place.

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L’instant est solennel. Les femmes se pressent sur la terrasse. Les jambes des danseurs trépignent, les youyous des femmes vrillent l’air. Le sacrificateur lave les pattes antérieures, les pattes postérieures, puis le dos, le sexe et la queue de l’animal. Il l’encens de la fumée du benjoin s’élevant d’un petit braséro, le culbute à terre et l’oriente vers la Mecque. Aux appels au Prophète succèdent les youyous des femmes.

Des femmes, fronts baissés sur les bols, trempent leurs lèvres dans le lait ; quand elles relèvent la tête, rien n’apparaît sous le voile si non l’éclat de leurs yeux agrandis par le khol [4]. Au centre de la place une cohorte de voyantes déposent leur bouquets de géraniums et de basilic. Deux joueurs de tambours et cinq joueurs de crotales ne cessent de tourner autour de la place du sacrifice. Le chant modulé par le maâllem est repris par la foule. Deux danseurs inscrivent de grands huit syncopés autour de la fontaine, un joueur de crotales se place entre les deux comme pour les encourager.

Le taureau est au repos sous la coupole verte. Venant du centre où murmure la fontaine, les résonances frénétiques, vont s’amplifiant dans l’espace clos de l’enceinte sacrée. Les goélands volent haut dans le ciel bleu qui pâlit. Le soleil décline sur l’océan. Un chien noir aboie au pied de la citadelle. Le vent mugissant fait trembler les fenêtres closes. La ville frémit comme un corps vivant sous le fracas des vagues. L’étoile polaire scintille à l’horizon. Violent mugissement, plainte pathétique de la houle qui gémit et qui pleure.

 

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Le maître des musiciens pose le tambour, prend en main le guenbri. Le sacrificateur ôte au taureau les étoffes aux couleurs de la transe, sur lesquels il pose un instant les couteaux du sacrifice afin qu’ils s’imprègnent du pouvoir magique des génies de l’abattoir. Alors s’élève le chant :

« Il n’y a aucun dieu, en dehors de Dieu ! »

Danse haletante autour du taureau en attente de son destin. Le soir monte au milieu de la mer, le hal descend sur la place. Les musiciens de l’ombre, les musiciens de la nuit accélèrent le rythme qui se fait lancinant. Tambours qui battent, crotales qui s’entrechoquent, youyous des femmes. Sublime transe sous l’éblouissante lumière !

Vêtu de rouge, le sacrificateur mime le roi des génies des abattoirs qui l’habite, en effectuant la danse des couteaux. La lune apparaît dans le ciel encore clair. La gorge du taureau est tranchée. Son sang encore fumant est recueilli dans une bassine. De cette énergie vitale, on asperge, au couteau, les couleurs des mlouks, le guenbri, les crotales. Une femme tombe en transe. Apportez l’encens ! Majid danse dans les nuages. Les esprits des nuages le saisissent. Il tombe du haut de la terrasse. Brûlez de l’encens, couvrez-le de noir. Son cœur a sombré à l’appel des esprits qui le possèdent. Combien n’a-t-il pas erré au pays des Noirs ! As-tu vu d’où les esprits des nuages l’ont fait tomber ? Il n’a pu résister à leur appel. S’il résiste ses os lui feront mal. La transe chasse les impuretés avec la sueur, la transe délivre.

 

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Un peu plus haut les vagues, et la ville serait engloutie par la mer. Le sang jaillit à gros flots de la blessure ouverte. Le retrait du ressac marin fait apparaître d’énormes précipices : gouffre glacial où s’engloutit le soir qui tombe, les prières et les paroles sont emportées par le vent.

On clôt le sacrifice par une prière qui évoque les servitudes d’antan :

« Nous sommes des esclaves à la peau fraîchement marquée.

Soyez témoins de ces marques, elles ne s’effaceront jamais »

Maintenant, le maâllem est seul à jouer mais tous les assistants accompagnent le son du guenbri en battant des mains. On vient d’entamer la partie ludique des kouyou, qui se déroule en deux temps : d’abord les Fils des Bambara, où on rythme uniquement des mains et du son du guenbri les évolutions des danseurs qui se lèvent et dansent à tour de rôle. Vient ensuite la Noukcha, où les crotales accompagnent le guenbri et la danse est collective.

Celle-ci revêt un aspect théâtral. Le danseur doit à la fois danser et mimer toutes sortes de rôles ; celui en particulier, de l’esclave enchaîné, ou de la femme enceinte qui va vendre son enfant. Il doit aussi représenter les bêtes sauvages et les anciens totems des clans. Toutes les tribus de l’ancien Soudan sont évoquées ainsi que la mémoire de l’exile des ancêtres.

 

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La condition d’esclave est évoquée : un danseur aux pieds liés par un foulard saute comme pour se libérer de ses liens ; on compare la condition du maître et celle de l’esclave, on moque et on plaint à la fois la vie de servitude :

 

Allah, Allah, notre Seigneur !

Oncle Bara le pauvre,

Voici son destin de pauvre :

Madame boit le thé, monsieur boit le thé,

Et Bara se rince les yeux,

Le maître mange la viande,

La maîtresse mange la viande,

Et oncle Bara, grignote les os...

 

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On commence par la parodie, le jeu et le rire pour se préparer au tragique de la possession :

 

Soudani kouyou

Soudani ya Yamma

Dada Yamma Ya Toudra

Mon frère est venu de Tombouctou!

Soudani Ya Yamma

Hé !Lalla Ya Toudra

Ils nous ont amené du Soudan

Ils nous ont amené de Guinée

Ils nous ont amené des Bambara !

 

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Théâtralité des gestes, danse en cercle, frénésie du rythme : prière pour les esclaves et les hommes libres de la Séguia rouge.

Danse balancée et gracieuse : offrande pour la beauté du geste.

Bangara, bangara....

Pirouettes et balancements rythmiques du danseur solo sur place. En chœur :

Amara Moussaoui

Sidi Ya Rijal Allah…

 

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La danse est splendide, alerte et entraînante. Le Gnaoui danse, le sourire au lèvre : magie de l’Afrique et de ses rythmes !

On invoque le soudanais Yamma et les fils des Bambara. Trois danseurs se lèvent et épaule contre épaule, se rapprochent

puis s’éloignent du maâllem à pas comptés – flux et reflux.

Le guenbri poursuit son solo tandis que les trois danseurs battentle sol de leurs pieds nus.

Echange grave et sonore entre guenbri et pieds qui trépignent :

« Saha Kouyou ! », lance le maâllem.

 

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Les danseurs s’approchent, frappent à l’unisson le sol d’un seul coup du pied droit, reculent et se reprennent à battre le sol,

à la manière des claquettes américaines. On cesse de chanter pour mieux prêté l’oreille au rythme des mains et des pieds

qui battent le sol et brassent l’air. Le bruit de la plante des pieds s’harmonise avec le registre bas du guenbri.

Pour la danse du chasseur, une gazelle traverse l’imaginaire poursuivie par un homme-tigre en transe.

La soirée commence :demain, le monde renaîtra de ses cendres grâce à la magie des musiciens guérisseurs

et au pouvoir de leur imaginaire éclaté...

 

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Voici les couleurs des mlouk, génies de l’au-delà, esprits de la nuit. Les sept couleurs de l’arc en ciel,

ont chez les Gnaoua,une signification magico-sacrale clairement définie :

à chaque devise musicale correspond une entité surnaturelle,et à chaque entité surnaturelle une couleur particulière.

Ainsi au milieu de la nuit, les Gnaoua procèdent à « l’ouverturede la place »(ftouh Rahba)

pour marquer le passage de la réalité ordinaire à la réalité extraordinaire :

l’invocation des entités surnaturelles.

La lila est un voyage dans l’océan de la transe et les esprits évoqués sont des étapes,des haltes dans la nuit.

 

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On commence par l’invocation des  Jilala , génies que dirige le pôle de l’Orient, et qui porte la couleur blanche.

Les entités surnaturelles marines, les  Moussaoui portent la couleur de la mer, comme les samaoui, entités célestes sont vêtus

du bleu du ciel. Si les chorfa vous habitent, vous porterez la couleur verte de l’Islam.

Avec la devise musicale de Sidi Hammou,on porte la couleur rouge du sacrifice.

 

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La possession par les « gens de la forêt et des nuages », est symbolisée par le noir.

On invoque également les entités surnaturelles féminines qui provoquent des transes de diverses couleurs. :

le jaune de lalla Mira,le violet de lalla Malika, le rouge de la berbère et le noir d’Aïcha Kandicha

(de Kadoucha, la déesse de la mer ?), qui possèdela voyance, et celle-ci prédit l’avenir en état de transe.

Bouderbala (le porteur de la tunique rapiécée du vagabond) fait la synthèsede toutes les couleurs.

La tunique rapiécée des anciens n’est pas portée par n’importe qui :

elle est le symbole de l’errance et de l’illumination divine qui s’y attache.

Après les Jilala, on passe à Bouderbala.

Le danseur qui « joue ce rôle », au sens presquethéâtral du terme, porte une tunique de toutes les couleurs

 

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et un grand couffin rapiécé. On l’invoque par ce chant :

 

« Ô l’homme en haillons,

Tel est l’état des possédés,

L’homme à la canne et aux vieux habits,

Tel est l’état des possédés ».

 

Vient ensuite le moment des moussaouiyne, couleur bleue clair, commandés par Sidi Moussa,

maître de la mer et protecteurdes marins.

 

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On effectue la danse au bol magique, et les danseurs qui portent un foulard bleu font aussi le simulacre de nager.

Quand on invoque la devise Bala Matimba, les danseurs s’aspergent d’eau. On chante :

« Ô Sidi Moussa, ô gardien du port,

Ô Bouria[5], poisson de rocher,

Ô Bouria, poisson de marée,

Je vous demande protection,

Ô hommes de l’île,

Je vous demande protection,

Ô maîtres de la côte,

Je vous présente autant de prières qu’il y a d’eau,

Autant de prières qu’il y a de poissons dans la mer. »

 


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Cette poésie marine est offerte à Sidi Moussa, que certains auteurs présentent comme

une version populairede Moïse qui commande les eaux.

Après les moussaouiyine viennent les smaouiyine,dont la couleur est le bleu foncé ;

on évoque ici les devises Moussa Barkiyou, Barri ya Berri,

Jab el-Ma et Ya Allah Samaoui.

Le maâlem hamida Boussou[6] porte le nom d’un melk marin

qui le possède lorsqu’il était jeune.

Les Gnaoua chantent ainsi cette devise :

 

« Me voilà, ô Boussou !

Boussou à l’hameçon,

Boussou au filet de pêche,

Boussou le pêcheur,

Boussou le poisson. »

 

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On passe ensuite à la mehella[7] des rouges de Sidi hammou, le maître du sang et des abattoirs.

Le pacha hammou porte le couteau du boucher et une chéchia ; il parle de sacrifices.

Ceux qu’il possède at qui dansent avec des poignards

dans le melk de Sidi Goumi ne courent aucun danger :

« Tu vois le sang jaillir, dit maâlem Mahmoud Guinéa,

mais à la fin de la danse tu ne trouve plusaucune trace de sang.

Le danseur est insensible au poignard

parce que Sidi hammou le protège lorsqu’il danse... »

 

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Dans le melk hammouda, tous les Gnaoua mangent du miel.

On commence par mettre un peu de miel sur la peau du guenbri,

on en induit aussi les crotales avant d’en offrir au maâlem et à chacun des Gnaoua.

 

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Viennent ensuite les fils de la forêt vêtus de noir et particulièrement violents.

Parmi les esprits noirs de la forêt, il y a aussil’ogre Bariando .

On fait le simulacre de le capturer en lui enroulant une grosse chaîne autour du cou.

Il essaie de se libérer, maison le retient de chaque côté.

C’est le symbole de la traite des esclaves volés et deleur asservissement.

Il y a Haoussa, appelé l’enchaîné, qui se frappe la poitrine.

Il y a Segou Balaychi, qui se couvre du pelage d’un moutonet danse avec

une canne noireautour d’un plateau d’orge et de sucre,

dans lequel les jeddaba[8] mangent commedes esclaves ou des animaux.

 

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Ensuite vient successivement :

 

§ Tamarmania, dont le jeddab avale des aiguilles.

§ Jini Yata, que l’on couvre d’une serviette noire.

§ Koulou M’bara, dont on frappe le dos avec une lanière de cuir.

§ Bao Bao, Sidi Madani, le chasseur possédé de la forêt.

§ Joujou Nama, dont les jeddaba mangent de la viande crue.

On invoque encore d’autres mlouk, dont le plus impressionnant est

Gouban Bou Gangi,qui se frappe la tête d’un mortierde huit kilos.

Ceci ne va pas sans accidents, à en croire maâlem Abdessalam Belghiti,

qui animait les lila de khaddouj Bent Yahya,la plus grande voyante d’Essaouira,

et qui a assisté à la mort d’un adepte, Tabboza, à la fin d’une lila.

 

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Dés qu’on aborde la devise musicale

Goubani Bou Gangi,ceux qui ne sont pas Gnaoua quittent la place.

Après les esprits noirsde la forêt vient le tour des chorfa , dont la couleur est le vert.

On commence par Sidi Lahcen, suivi de Sidi Boubker et de Sidi Ali.

Lors de cette devise, on danse avec un grand sabre.

On évoque Moulay Abdellah ben Hsain, le « saint » de Tamesloht, ainsi que

Moulay Brahim, le « saint » de la montagne, dit « l’oiseau des cimes ».

A la fin des chorfa, on invoque Foullani, les hommes de Dieu du Soudan :

 

« Hayii Foullani, ô mon père !

Hayii Soudanais, ô mon père !

Foullani, ô Seigneur,

Bambrani, ô Seigneur ! »

 

Les danses de possession se terminent par les génies de sexe féminin,

aux couleurs variées :jaune, rouge, violet et noir.

On brûle des encens divers et on asperge les danseurs avec de l’eau de rose.

On évoque d’abord lalla Aïcha, la noire, ensuitelalla Rkiya,

la rouge, puis lalla Mira, la jaune et lalla Malika la noire.

Lalla Mira, s’en prend tout particulièrement aux voyageurs.

Elle aime les promenades au crépuscule, et c’est à ce moment là qu’elle est dangereuse.

Les gens qui dansent ce melk rient beaucoup

et les gens qui pleurent sont particulièrement vulnérables à ses attaques.

 

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Ces quatre premières entités féminines sont suivies par huit autres dont la couleur

est le noir.La plus redoutable estAïcha Qandicha.

Pour l’accueillir, on éteint la lumière et la danseuse qui en est possédée se met à prédire.

On verse de l’eau eton fait semblant de laver le linge avec la plante des pieds,

car Aïcha Qandicharéside dans les oueds, les mers et les flaques d’eau.

On termine la série en invoquant les esprits féminins berbères.

On sert une soupe d’orge aux participants :

c’est la fin de la lila.

Le maître dépose le guenbri, et l’azoukay ramasse tout le matériel.

Laârifa reprend son panier de cauris, de pierres du delta du Nil

et d’ébène des profondeurs du Soudan.

Après leur transe, les adeptes se sentent mieux et sollicitent pour les absents

leur partde barouk.A l’horizon, l’aube se met à poindre.

La transe et les génies qui la provoquent se dissipent

avec la lumière du nouveau jour qui nait.


Abdelkader MANA

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[1] Au milieu des années 1980,  j’ai participé à une lila des Gnaoua  à Essaouira  dont  je relate ici le déroulement ainsi que la succession des devises musicales et les couleurs de la transe telles que je les ai observés alors.

[2] Essaouira est la seule ville au Maroc où les Gnaoua disposent d’une zaouïa : partout ailleurs leur culte a un caractère domiciliaire. L’édifice de la zaouïa dédiée à Sidna Bilal, premier muézin noir du Prophète, semble dater du XVIIIè siècle. Il servait de lieu de rassemblement aux esclaves qui y célébraient leur fête. Ceux-ci vivaient alors hors des murs, au nord de la kasbah, dans des casemates bâties au milieu des dunes. On raconte que là vivait un maître du guenbri, maâllem Salem, qui appartenait à un négociant, Allal Jouâ, dont une rue de la médina porte encore le nom. Celui-ci vendait la cire et possédait au moins sept esclaves qu’il traitait comme ses propres enfants. Allal Jouâ n’était pas comme les autres commerçants qui obligeaient leurs esclaves à décharger les barcasses au port. Lui, il leur apprenait à travailler comme maçons et comme graveurs sur pierres. C’est ainsi que maâllem Salem était devenu une sorte d’ingénieur, un sourcier. S’il disait aux ouvriers de creuser à l’endroit qu’il leur indiquait, immanquablement ils tombaient sur de l’eau. On le nomma moqadem des Gnaoua. Il entoura le lieu de culte, alors une simple mzara, de quatre murs. C’est ainsi qu’est née la zaouïa de Sidna Bilal, au cœur même de la médina d’Essaouira, du côté de la mer.

[3] Hal : La transe ; état de celui qui est possédé par la transe. La confrérie des Ghazaoua chante le hal en ces termes :

Le hal, le hal, Ô ceux qui connaissent le hal !

Le hal qui me fait trembler !

Celui que le hal ne fait pas trembler, je vous annonce ;

Ô homme ! Que sa tête est encore vide

Ses ailes n’ont pas de plumes

Et sa maison n’a pas d’enceinte

Son jardin n’a pas de palmier

Celui qui est parfait, la calomnie ne l’effleure pas

Sidi Ahmed Ben Ali le wali

Prends-nous en charge, Ô notre cheikh !

Sidi Ahmed et Sidi Mohamed

Ayez pitié de nous. »

 

[4] Khol : pour noircir les cils et les sourcils. Les femmes utilisent aussi l’ écorce de noyer pour la denture, le rouge à lèvre de Fès et le hargouss (extrait d’une mixture à base de vapeur de benjoin blanc et de bois de santal, donnant un parfum aux vertus aphrodisiaques particulièrement puissantes qui enrobait le corps de la femme pendant une semaine entière,  dit-on.

[5] la mer en se retirant laissait derrière elle, dans les interstices des rochers, de petits poissons couleur d’algues dénommés  bouris probablement par la population d’origine africaine de la ville parce qu’il existe effectivement une divinité africaine du nom de « Bouri » : au cours du rituel de la Lila, il existe un esprit possesseur (melk) où le possédé danse avec un bol d’eau de mer contenant ce petit poisson des rochers .

 

 

[6] Selon l’explorateur et photographe danois S.E.Sokkelund, on appelle « Boussou » un peuple riverain du Niger, ainsi que les Africains travaillant au port d’Accra au Ghana. Ces hommes de la mer sont les « Boussou ».

[7] Cohorte de génies.

[8] Pluriel de Jeddab, danseur en transe qui peut avaler de l’eau bouillante sans peine, comme les Oulad Sidi Rahal.

12:30 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : psychothérapie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

01/05/2010

Printemps musical

Jour de musique classique à Essaouira

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Vendredi 30 avril 2010

Au programme d'aujourd'hui, J.S.BACH, F.CHOPIN, F.LISZT, Maurice RAVEL et Johannes BRAMS: les classiques de la musique classique. Rien de moins.En une seule journée avec des musiciens virtuoses à porter d'oreilles: au source de la musique la plus raffinée qu'à produit l'occident.

Reportage photographique d'Abdelkader Mana

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Dés l'heure du petit déjeuner, sur la vitrine du patissier Driss, l'affiche signée Hussein Miloudi, toujours renouvelée à chaque festival de musique classique, attire l'attention par ses couleurs chaudes, ses envolées élyptiques...
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Je prends la direction de "Dar Souiri" où se déroule la musique de chambre ce matin à partir de 11 heures: l'entrée est gratuite, ce qui est vraiment un privillège de voir ainsi des virtuoses et des ténors reconnus mondialement sans bourse déliée...Et pour le public assidu commencer une initiation à un art musical raffiné et élitiste.
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Sur la place de l'horloge, je rencontre l'écrivain Driss Khouri, un habitué du festival des alizés. Il me dit qu'il est en convalescence depuis qu'il s'est brisé une jambe lors d'une chute, il n'y a pas si longtemps: ce qui l'oblige à se déplacer à l'aide d'une canne qui n'a ainsi rien de diplomatique!
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L'auteur de Madinatou Tourab (poussière de ville), n'écrit plus assez souvent dans la presse arabophone comme au temps où on s'est connu tous les deux en tant que journalistes. C'était l'année 1986 où nous avons participé , lui en tant que reporter d'Al Itihad Al Ichtiraki, moi de celui de Maroc-Soir, que dirigeait alors le regretté Abdellatif Bennis, à la visite Royale d'Erfoud. Il me souvient surtout de ce repas pantegruéllique donné au palace de Ouarzazate, où Driss Khouri a failli être englouti sous une montagne de chocolat...
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La matinée débute par un Don Quichotte romanesque de Maurice Ravel, interprété merveilleusement par le ténor Belobo et la pianiste Larjarrige...
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André Azoulay et ses invitée trés attentifs à l'émotion maîtrisée qui se dégage de toute musique savante
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Le public très sélect du festival des alizés. La sélection se fait tout naturellement: le public est à majorité européen dont c'est la culture. Les marocains qui ont une culture participative ne voient pas pourquoi ils resteraient assis sagement tandis que les musiciens se produisent. Pour les marocaions la frontière entre musiciens et public doit être abolie. Ils ne se sentent à l'aise et en fête que lorsqu'ils participent bruyâment à la fête en aplaudissant, en trépignant, en poussant des you-you et des appels au Prophète. Il s'agit pour eux d'une décharge énergitique et biologique, en un mot d'une catharsise. Or là on exige d'eux l'écoute attentive, le silence absolu, le bien se tenir. Conséquence peu de marocains parmi le public: la sélection ne se fait pas ici par l'argent mais par l'habitus culturel.Ici comme ailleurs, le Musée du Louvre et la musique de chambre ne sont pas fréquentés par le premier venu: il faut une éducation particulière de l'ouir et du jouir...
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Se laisser transporter par cet Othello incarné, retrouver les émotion primordiales du compositeur d'il y a des lustres: une communion mi-religieuse, mi-mondaine.L'esthétique de la science des harmonie entre notes celestes et transport amoureux...
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Dieu seul sait que derrière cette apparente improvisation se cache des années de travail sur la voix et ses possibilités accoustiques; la voix en tant qu'instrument musical. Et puis qu'est ce que la musique si non ce mystère qui nous met au diapason des beautés celestes.
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On ne se rend vraiment compte de l'existence d'un langage musical qu'en écoutant les note translucide du piano qui emplii l'espace comme une pluie d'étoiles se deversant sur nos tête depuis la nuit eternelle du cosmos...
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On reconnait parmi le public Driss Khouri avec sa canne: il doit certainement faire le lien entre l'écriture musicale et l'écriture toit court: l'harmonie des formes celle-là même qui gouverne les sphères célestes selon les mystiques et les philosophes arabes du Haut Moyen âges et qui fait qu'un poème de Gongora ou d'Abou Tamam sont beau du simple fait que leur musicalité est harmonieuses et plaisante à l'oreille comme le chant d'un merle à l'aube du printemps; le printemps des alizés...
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La patience de l'écoute; un art que partagent mélomanes et diplomates: il faut beaucoup de patience et d'écoute attentive pour mieux savourer une sonate; beaucoup de patience et d'écouter pour dénouer les échevaux  complexes du monde en tant que jeu d'echec...
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Le cercle, l'anneau, l'écoute, l'apprentissage
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La passion entre les lignes, les colonnes
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L'ovation, l'hommage à la maîtrise musicale et à la passion vocale
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L'après midi, nous avons assisté à la soprano Jalila Bennani, accompagnée de la pianisteLajarrige interprétant, l'anamourée de HAHN, la nuit d'étoile de DEBUSSY, Lune d'avril de POULENC...
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Bien entendu toutes ces passions musicales ne sont possibles que grâce au mecenat d'entreprise, des banques en particulier et aux sponsors qui déploient à cette occasion leur logo tel des pavillons battus par les vagues et le vent  sur un navire d'Essaouira emporté par la houle des vents alizés. Mais sans l'intervention discrète mais certaine d'André Azoulay le bateau de la musique de ce festival comme des autres festivals et autres colloques n'auraient pas jeté l'ancre dans ces rivages ô combien beaux mais ô combien désargentés aussi...
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Le soir on passe de la musique de chambre au cancert musical, sous l'immense salle couverte du Méchouar. Au programme MOZART est à l'honneur à partir de 20 heures avec son Figaro et sa flûte enchantée
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Reportage photographique d'Abdelkader Mana, du vendredi 30 avril 2010

02:23 Écrit par elhajthami dans Musique, Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, photographie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

29/04/2010

Spiritualité Vécue

Spiritualité Vécue

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Des hommes ivres de Dieu, telle est la quête d'amour divin chez les soufis, selon Ibn al-Farid ,  ermite qui  vécu toute sa vie sur les falaises cairotes jusqu'à sa mort en 1235. Sa tombe est bien connue, près de l'Imam Shâfiî. Amour divin, qu'il exprime ainsi dans sa très célèbre khamriya :

« Nous avons bu à la mémoire du bien aimé

Un vin qui nous a enivré

Avant la création de la vigne.

Notre verre était la plaine lune ;

Lui, il est un soleil ;

Un croissant le fait circuler.

Que d'étoiles resplendissent quand il est mélangé.

Sans son parfum, je n'aurai pas trouvé le chemin de ses tavernes.

Sans son éclat, l'imagination ne le pourrait concevoir.

Son verbe a préexisté éternellement à toute chose existante ;

Mais elle le voile avec sagesse à qui ne comprend pas.

En Lui, mon esprit s'est éperdu ....

Avant ma puberté, j'ai connu son ivresse ; elle sera encore en moi

Quand mes os seront poussière.

Prends - le pur ce vin : ne le mêle qu'à la salive du Bien-aimé ;

Tout autre mélange serait coupable ».

Cet éloge d'Ibn al-Fârid, est en fait une invitation au voyage mystique, à l'initiation spirituelle, et à la contemplation. Le soufisme désigne avant tout une attitude spirituelle de l'homme, que ne limite aucune frontière ni de temps ni d'espace. Il est aussi actuel aujourd'hui qu'à sa naissance. Il exprimerait cette force mystique qui soulève toute religion. Il libère la méditation, l'amour, l'extase. Il fraye une voie à l'irruption du divin. C'est la foi vécue comme le souligne Massignon à propos de Hallaj :« Quand Dieu prend un cœur, il le vide de ce qui n'est pas Lui ; quand il aime un serviteur il incite les autres à le persécuter pour que ce serviteur vienne se serrer contre Lui. ».

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Jalal Eddin Rumi

Comme l'eau donne naissance à des fleurs différentes selon la terre qui la reçoit, les disciples d'une voie pourront paraître différents selon les pays, mais ils s'abreuvent tous à une source unique, et parcourent le même chemin, chacun à sa façon. C'est cela qui fait d'eux des frères spirituels, au - delà des différences extérieures. Shoshtari n'a cessé de traduire pour ces disciples cette idée, d'un avertissement divin heurtant l'âme comme un choc impérieux. Dieu nous attire à Lui, par une sorte d'aimantation magnétique qui finit par « briser le talisman » corporel où l'âme est prisonnière ici - bas. Dieu frappa sans relâche à la porte de l'âme, à quoi elle ne peut que répondre par un cri bref, un tressaillement « comme la voix qui réveille celui qui dort ».

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"O Nuit, que tu te prolonges ou que tu t'abrèges, ce m'est un devoir que te veiller. » S'exclama ainsi Ali Shoshtari le maître du samaâ , poète mystique andalou, né à Cadix vers 1203, ayant d'abord vécu au Maroc, avant de voyager en Orient :

« Un cheikh du pays de Meknès

A travers les souks va chantant

En quoi les hommes ont-ils à faire avec moi

En quoi ai-je à faire avec eux ?... »

Ce qui reste de Shoshtari, comme des maîtres spirituels qui lui ont succéder depuis, c'est cette actualisation poignante de l'instant, où ils veulent nous faire rejoindre l'éternel. « L'instant est une coquille de nacre close ; quand les vagues l'auront jetée sur la grève de l'éternité, ses valves s'ouvriront ». Il n'en disait pas davantage pour laisser comprendre qu'alors on verra dans quelles coquilles les instants passés avec Dieu ont engendré la Perle de l'Union.Ce à quoi fait échos NIYAZI MISRI, poète mystique turc du 17ème siècle :

« Après avoir voguer sur la mer de l'esprit dans la barque matérielle de mon corps, J'ai habité le palais de ce corps, qu'il soit renversé et détruit ; »

OUI, l'instant est une coquille de nacre  close ; quand les vagues l'auront jeté sur la grève  de l'éternité, ses valves s'ouvriront.

Abdelkader Mana

03:58 Écrit par elhajthami dans soufisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : religion | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook