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25/06/2010

L'arbre du Malhûn

 

Larbre du malhûn

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Sadya Bayrou nous a quitté à la force de l'âge(Essaouira, 1963-2010). Pleine de fougue et de créativité. Son art relève autant de la poésie que de la peinture: une palette d'or imprégnée de mysticisme. Dés que j'ai appris son décès à Essaouira je me suis empressé de lui rendre hommage aux travers les images de la salle de prière des femmes de Moulay Abdelkader Jilali. J'ai voulu récupérer des images de ces oeuvres auprès de son mari, mais celui -ci était trés éprouvé pour répondre à mes sollicitations..Maintenant c'est chose faite avec l'exposition "Traces et mémoires" qui lui est consacrée au bastion de Bab Marrakech. Elle aurait été très heureuse d'assister à ce vernissage auquel elle a préparée elle - même un catalogue. On peut y lire une citation d'elle où elle écrivait: "Les traces nous font remonter le temps  et nous guident à travers bien des espaces. ils traduisent des aspects de notre vécu et de nos mémoires enfouies. Les traces font rêver...". En effet, chez Sadya Bayrou comme chez beaucoup de femmes marocaine, la frontière entre la réalité  et le rêve est ténue et bien souvent le rêve se confond avec la réalité voir s'y substitue...Ce son ses oeuvres qui accompagnent ce texte sur l'arbre du malhun qui rend hommage à d'autres poètes disparus...

 

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J’aimerai mettre en exergue à ce texte « L’arbre jouant au saxophone », poème  de mon ami Moubarak Raji, qui s’incrit véritablement, avec sa modernité et sa fraîcheur, dans la lignée des grands poètes du Malhun local :

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L’arbre jouant au saxophone

Accueille des nuées d’oiseaux invisibles

C’est l’arbre de la vie,

Qui ne se crucifie, ni par les clous, ni sur les murs


Depuis que l’arbre est arbre

Tous les souffles sont vibrations d’ailes sur l’arbre

Le souffle de l’âme

Le souffle du saxophone

Le souffle du souffle

 

L’arbre jouant du saxophone

A effacé de son destin

Le cauchemar de devenir une porte de prison

Ou de se transformer en poignée de cendre dans un four

 

L’arbre jouant au saxophone

A toute la nuit derrière lui

Une nuit qui s’engouffre toute entière

Dans les orifices d’une petite oreille

Tel l’univers dans le trou noir…

Le melhûn, comme composante de l’identité culturelle des artisans des vieilles cités marocaines, est à la fois un legs bédouin sur le plan poétique et un legs andalou sur le plan musical. Beaucoup de mots de cette poésie populaire ne sont plus usités. Il serait le chant par lequel les chameliers rythmaient le déhanchement des caravanes. Maître Laânaya,  forgeron de son état, au quartier des Sraïria où l’on fabriquait les armes à Meknès,fait même remonter les origines du melhûn , aux temps immémoriaux (la seconde moitié du Xe siècle),où les Béni Hilâl,   « pareils à une nuée de sauterelles »,font leur apparition aux frontières de l’Ifriquiya (l’actuel Maghreb).

 

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Une des oeuvres  de Sadya Bayrou :"Traces et moires", Essaouira vendredi 25 juin 2010

La majeure partie des poètes est originaire de Tafilalet, notamment leur prince, Mohamed El Maghraoui,surnommé « l’arbre du melhûn ».Il était pasteur-nomade, se déplaçant avec son troupeau entre le Sahara et les plaines de la côte atlantique. Un jour qu’il sortait du souk avec son troupeau , une sauterelle s’est posée sur la corne d’un bélier. Elle ne l’a plus quitté jusqu’au Sahara, le pays d’origine du poète-pasteur. Le troupeau s’étant mis à l’ombre d’un muret, une salamandre noire marbrée de taches jaunes sortit d’un trou pour dévorer la sauterelle sur la corne du bélier. Le poète qui assistait à la scène s’exclama alors :

 

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« Après tant de chemin parcouru, celui qui destina la sauterelle à la salamandre, apportera sa nourriture au Maghraoui en sa demeure ! »

Parmi les autres poètes du melhûn, on cite également Thami Lamdaghri  de Mdaghra au Sahara qui a vécu de longues années à Fès et Marrakech. L’une de ses qasidas les plus célèbres s’intitule La lanterne. On ne sait d’ailleurs pas si cette lanterne est faite pour éclairer tout le monde, ou lui seul :

 

Ton manque m’ébranle, ô lanterne !

Branche brisée, tu m’as jeté au milieu des arbres

Sans pareil parmi les délaissés !

 

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Non loin des chandeliers et des candélabres de Moulay Idriss à Fès, en collectionneur averti, Si Abdelkader Berrada exhibe de sous le paillasson, tout un florilège de melhûn inscrit avec un grand soin sur un registre de commerce ! Pour lui cette poésie populaire est aussi un art musical et plus précisément un tarab cette émotion musicale qui aboutit à l’extase :

« À travers le temps, les poètes ont fait du melhûn un tarab. À l’origine les gens du Sahara rythmaient leurs qasidas uniquement en battant des mains. Puis vinrent les terrassiers qui tenaient la mesure en aplatissant le sol et en rythmant de la plante des pieds, ce qui a d’ailleurs donner naissance à cette danse qu’on appelle « rakza » ».

 

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Pour Hussein Toulali, le chantre de Meknès et du Maroc, le melhûn était né, en quelque sorte, pour commenter la prose du monde :

« On commentait les événements qui se déroulaient dans ce bas monde. Puis, il est venu un temps, où un certain homme des Jbala, s’est mis à découper la qasida en strophes pour permettre aux chanteurs de respirer, quand la chorale lui réplique par un refrain ».

Pour Laânaya, le forgeron Meknassi, au moment où il eut l’expulsion des Morisques d’Espagne vers le Maroc en 1610, il s’est établi un échange entre leurs musiciens et les poètes du melhûn. Ce sont eux qui ont introduit les instruments à cordes dans l’orchestre du melhûn. Auparavant cette poésie était rythmée uniquement par des instruments de percussion : al handka (castagnettes), la taârija (tambourin) et le dûf (cadre de bois entouré de peau de chameau qui scande aussi la parole du conteur).

C’est à partir de ce contact avec les Morisques qu’on voit apparaître des modes de la ala andalouse – Al Maya, lahgaz, Sika, Rasd, Al Istihlal – dans les mesures du melhûn.

Laânaya, le maître forgeron de Meknès, se souvient encore de son premier jour d’initiation :

« J’ai découvert le melhûn grâce à un gardien de nuit, chargé de surveiller les boutiques du souk. À l’époque je me réveillais tôt pour nettoyer ma boutique. Et lui passait par là, en chantonnant pour son propre plaisir. Je l’écoutais sans vraiment tout comprendre, mais j’appréciais la musicalité des mots. Un jour, je lui ai offert deux beignets, en  preuve de mon admiration. De debout qu’il était, il s’est assis par terre. Et il commença à m’expliquer la qasida qu’il chantait. L’amour de la parole poétique habitat alors ma conscience. Il me demanda :

- Veux-tu apprendre ?

- Bien sûr, si je pouvais.

Il m’apprit deux qasidas. Toutes deux portaient sur l’aube. La première est celle de Sidi Kaddour El Alami, dont le refrain dit :

La nuit s’est dissipée,

Prélude à une aube lumineuse.

La musique s’embellit,

Par la coupe qui fait le tour des convives.

La seconde qasida est « Lafjar » (aube) de Mohamed Ben Sghir, le poète du melhûn d’Essaouira. On l’avait retrouvée dans un cahier daté de 1920 :

Vois le ciel au-dessus de la terre, source de lumière

Les habitants de la terre ne peuvent l’atteindre

Vois Mars, toi qui es indifférent

Sa beauté apparaît au monde clairement

Vois Mercure qui vient à toi, ô voyageur

Au dessus du globe, de l’ignorance étonnante

Vois Neptune qui illumine les déserts

Il a mis dans la création, le riche qui a tout.

Vois Saturne qui vient visiblement vers toi

Au-dessus des sept du secret parfait

Guerre des hommes, ô toi qui dort,

Vois le mouvement des astres

Ils ont éclairé de leur lumière éclatante, les ignorants.

Et sache la vérité si tu veux être pur

Lafjar (l’aube) qui t’advient d’une science illuminée

Prends ô toi qui m’écoutes Yabriz et Nikir

Celui qui règne sur le plus rusé des loups

Celui qui répond très vite au défi

Doit protéger les fauves

Est-ce que le hérisson peut aller à la guerre contre l’ogre ?

On connaît l’aigle parmi les faucons

Il craint le moindre bruit et les fauves au sommet des montagnes

En passant par les grottes Bendir Telemsani et son beau cortège

Dites à celui qui n’est ni faible ni vantard

Que Mohamed Ben Sghir est une épée dégainée.

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De seigneur qu’il était Sidi Kaddour Al Alami, finira par devenir un mystique errant entre les parvis sacrés, dans un univers où les valeurs et les rôles sociaux se sont inversés :

 

L’aigle apeuré rentre ses griffes

Quand le hibou chasse l’hirondelle.

 

Ce poète qui était l’âme même de la générosité, toujours au service de ses amis, a fini par devenir mystique et misanthrope :

 

Un jeu sur la pointe d’une lance,

C’est comme ça que je vois,

La grande fréquentation des hommes.

 

Ce désenchantement du monde, il le doit à l’amère expérience qui l’avait conduit à perdre sa belle demeure  pour s’abriter sous des auvents, dit-on  qu’il décrivait comme un lieu où :

 

Les étourneaux frôlent l’eau qui ruisselle dans les canaux inclinés,

Comme les poissons fuyant dans les lacs,

Les hameçons que leur jettent les pêcheurs.

 

Cette interprétation recueillie par Khiati à la coupole du souk est désapprouvée par le forgeron des Sraïria de Meknès, pour qui il faut plutôt comprendre :

 

Les oiseaux de la maison

Sont aux aguets,

Picorant, s’envolant,

Tels les poissons des côtes rocheuses

Fuyant les hameçons.

C’est ainsi que sont les amis

Prompts à s’attrouper autour du verre

Et à se dissiper quand la main est vide.

Quand la nourriture est abondante à toute heure

Que d’amis, m’entourent !

Que de compagnons me font la cour !

 

C’est un pôle mystique parmi d’autres. La nuit, il dormait sans feuilles ni plumes, mais le lendemain le mur se noircissait par ce que la nuit dictait au jour. On le considérait comme un Mejdoub qui aurait reçu l’inspiration d’en haut : il se rendait souvent à Moulay Idriss Al Akbar du Zerhoune, pour s’adonner dans l’isolement à la prière. Il ne devait rentrer chez lui, qu’après être « autorisé » - par un rêve divinatoire. Une fois, la dévotion du poète a duré trop longtemps, sans que Moulay Idriss lui apparaisse dans le rêve pour l’autoriser à quitter les lieux. De guerre lasse, il se dirigea à pied vers la ville de Meknès. En cours de route, un homme lui demanda :

 

- Où vas-tu comme ça ?

- Je vide le pays pour le laisser à ses habitants. Depuis que je suis ici, je n’ai pas reçu de Burhan (preuve surnaturelle).

Un peu plus loin, le même personnage lui apparut une seconde fois :

- Où vas-tu comme ça ?

- Je fus délaissé alors que d’autres, venus après moi, ont eu ce qu’ils voulaient.

- Non, lui répliqua l’apparition. Tu es le fils de la maison, alors que les autres ne sont que de simples hôtes. À ce titre, ils ont la priorité sur les propriétaires de la maison.

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Et il lui tendit un ustensile contenant du miel. Le seigneur des poètes en but une gorgée et continua son chemin. Arrivé à un oued, il lava l’ustensile. L’eau en devint sucrée. Depuis lors, on l’appela Oued Bou Âssoul (rivière de miel). C’est ce qu’on raconte chez les gens de Zerhoune et d’ailleurs, et Allah est le plus savant. Son mausolée est richement décoré par de vieux lustres, des calligraphies sur l’une d’entre elles, on peut lire : « Par la plume et ce qu’elle a tracé » des poèmes, des tapis, et surtout de vieilles horloges qui semblent s’être arrêtées à une heure indéterminée du passé.

Sidi Kaddour El Alami était un maître, et les connaisseurs du melhûn sont ses « adeptes », dans le sens où ils n’ont pas un simple rapport esthétique avec cette poésie, mais un rapport mystique proche de la possession rituelle. Et le producteur de melhûn qu’on appelle Sejaï n’était pas non plus un simple poète, mais un mejdoub, une sorte de fou de Dieu, auquel on élève parfois un mausolée après sa mort. Les initiés – ces priseurs de tabatières, ces joueurs de ronda qui semblent « tuer le temps », sont en fait en quête permanente de la sjia, cette sorte d’extase, cette voie mystique que la poésie et le chant rendent possible. En ce sens, le melhûn devient un besoin fondamental pour l’équilibre spirituel et psychique de l’individu. Une sorte de « drogue poétique » à laquelle on s’accoutume autant qu’au tabac à priser. C’est en cela que cette poésie diffère fondamentalement de ce qu’on entend généralement par « poésie » dans notre monde moderne : son but n’est pas esthétique, mais spirituel.

Abdelkader MANA

15:22 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèsie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

05/06/2010

Gaza

B R I S E R le blocus de Gaza

Ce blocus est "contre-productif, intenable et immoral. Il punit des civils innocents. Il doit être levé immédiatement", a déclaré le secrétaire général de l'ONU.

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Venir en aide aux Palestiniens de Gaza et pratiquer le boycott d'Israël : deux actions simples et non violentes et payantes en solidarité internationale avec les Palestiniens de Gaza.

Au total, 9 passagers de la flotte, composée de militants et de sympathisants de la cause palestinienne,en majorité Turcs, ont été tués dans le raid mené par l'armée israélienne.Selon le rapport d'autopsie des autorités turques, révélé samedi par le Guardian, les neuf victimes turques du raid israélien contre l'expedition maritime vers Gaza cette semaine ont été criblées de balles, et plusieurs d'entre elles ont été abattues à bout portant.

Yalcin Buyuk, le vice-président du Conseil turc de médecine légale, qui a réalisé l'autopsie vendredi à la demande du ministère turc de la justice, a déclaré au quotidien britannique que les neuf victimes ont essuyé en tout 30 balles.

DES IMPACTS DANS LE DOS OU L'ARRIÈRE DE LA TÊTE

Un homme de 60 ans aurait été atteint à la tempe, la poitrine, la hanche et au dos, alors qu'un ressortissant turco-américain a été touché par cinq balles tirées à bout portant contre le visage, l'arrière du crâne, le dos et deux fois la jambe, selon le journal britannique. Deux autres hommes ont essuyé quatre balles et cinq des corps présentaient des impacts dans le dos ou l'arrière de la tête.

L'opération sanglante de l'armée israélienne contre la flottille se rendant à Gaza n'a pas dissuadé les militants pro-palestiniens à bord du Rachel-Corrie qui se sont jurés de briser le blocus de la bande de Gaza, malgré les avertissements de la marine israélienne et l'assaut de lundi, approchent du territoire palestinien. Le navire devrait arriver devant Gaza mercredi 2 juin vers 15 heures. Le navire porte le nom de Rachel Corrie [pacifiste américaine], morte il y a sept ans en tentant de barrer la route à un bulldozer de Tsahal à Gaza. Son nom et son histoire sont depuis lors devenus des symboles brandis par les militants propalestiniens. Le Rachel-Corrie, navire de commerce qui porte  le nom de l'Américaine tuée dans la bande de Gaza en 2003, a appareillé lundi de Malte avec quinze militants à son bord, dont l'Irlandaise Maired Corrigan-Maguire, lauréate du prix Nobel de la paix en 1976. Le premier ministre irlandais, Brian Cowen, a indiqué que le navire était propriété irlandaise et estimé qu'il devait être autorisé à terminer sa mission. "Le gouvernement a formellement demandé au gouvernement israélien de permettre au navire, de propriété irlandaise, d'être autorisé à terminer son trajet sans obstacle et à décharger sa cargaison à Gaza", a dit le chef du gouvernement devant les parlementaires. "Notre initiative vise à briser le blocus israélien imposé aux 1,5 million de Gazaouis. Notre mission n'a pas changé et ce ne sera pas la dernière flottille", a déclaré Greta Berlin, membre du mouvement Gaza libre, situé à Chypre.

Aujourd'hui nous publions deux témoignages cruciaux sur le drame que vit l'humanité au large de GAZA: Le premier témoignage est celui  que Thomas Sommer - Houdeville, coordinateur des missions civiles, avait écrit hier soir[le 29 mai 2010]  depuis le cargo grec faisant partie de la flottille de la liberté. Le second témoignage est celui d'Abouna (1) Manuel Musallam, prêtre du Patriarcat latin de Jérusalem, qui a été curé de Gaza de 1995 à 2009. Témoins du blocus inhumain de Gaza il affirme:

"Nous avons vécu des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité."

Témoignage

Voici le texte que Thomas Sommer - Houdeville, coordinateur des missions civiles, avait écrit hier soir[le 29 mai 2010]  depuis le cargo grec faisant partie de la flottille de la liberté. Thomas a participé depuis 3 mois en Grèce à la préparation de la flottille et était venu en France pour élargir la participation, il est intervenu entre autre dans une réunion du collectif national pour présenter l'initiative.

L'occasion ici de rendre un fervent hommage à la petite délégation française composée de 7 personnes (cbsp,  cvpr et ccippp).

Le dernier set

29 mai 2010 - de Thomas Sommer-Houdeville*, depuis l'un des bateaux de la flottille de Gaza

Un jour ou l'autre peut-être, quelqu'un écrira l'histoire complète de cette aventure. Il y aura beaucoup de rires, de véritables cris et quelques larmes. Mais ce que je peux dire maintenant, c'est que nous n'avions jamais imaginé que nous ferions flipper Israël comme ça. Enfin, peut-être dans certains de nos plus beaux rêves.... Tout d'abord, ils ont créé une équipe spéciale d'urgence réunissant le ministère israélien des Affaires étrangères, le commando de marine israélien et les autorités pénitentiaires pour contrer la menace existentielle que nous et nos quelques bateaux remplis d'aide humanitaire représentent. Puis, Ehud Barak lui-même a pris le temps, malgré son agenda chargé, de nous mettre en garde à travers les médias israéliens. Ils nous annoncent maintenant qu'ils nous enverront dans la pire des prisons israéliennes, dans le désert près de Beersheva.

Ce sont des annonces pour nous faire peur. Et d'une certaine façon nous avons peur. Nous avons peur de leurs navires de guerre, peur de leurs Apaches et de leur commando tout noir. Qui n'en aurait pas peur ? Nous avons peur qu'ils saisissent notre cargaison et toute l'aide médicale, les matériaux de construction, les maisons préfabriquées, les kits scolaires, et qu'ils les détruisent. Toute cette solidarité patiemment rassemblée dans de si nombreux pays pendant plus d'un an. Tous ces efforts et cette vague d'amour et d'espoir envoyés par des gens normaux, d'humbles citoyens de Grèce, Suède, Turquie, Irlande, France, Italie, Algérie, Malaisie. Tout ceci pris comme un trophée par un État agissant comme un vulgaire pirate des îles. Qui ne sentirait pas un certain sentiment de responsabilité et de peur de ne pas être capable d'accomplir notre mission et livrer nos marchandises à la population emprisonnée de Gaza ?

Mais nous savons que la peur est aussi de l'autre côté. Parce que depuis le début de notre coalition, l'Etat d'Israël fait tout ce qu'il peut pour éviter la confrontation avec nous. Depuis le début ils ont essayé de nous empêcher de partir, de regrouper nos forces et de prendre le large tous ensemble vers Gaza. Ils ont essayé de nous briser. Leur scénario idéal était de nous diviser, les Irlandais d'un côté, les Grecs et Suédois d'un autre, les Américains d'un autre encore et les Turcs tout seuls. Bien sûr, ils savaient qu'ils ne pourraient pas mettre la pression sur la Turquie, ni agir directement là-bas. Alors ils ont concentré leurs attaques sur les parties irlandaises et grecques de notre coalition.

Le premier set a commencé il y a deux semaines quand ils ont saboté le cargo irlandais, l'obligeant à retarder son départ pour près d'une semaine. Mais, les Irlandais ont réparé aussi vite qu'ils le pouvaient et maintenant ils sont à un ou deux jours derrière nous. Puis ils ont mis une pression énorme sur le gouvernement grec, affaibli par la crise économique, pour l'obliger à ne pas laisser partir le cargo grec et le bateau de passagers gréco-suédois. A cause de ces pressions, nous avons dû retarder notre voyage deux fois et demander aux Turcs, à leurs 500 passagers et aux amis américains qui étaient prêts à partir de nous attendre. C'est ce qu'ils ont fait heureusement ! Jusqu'à la dernière minute avant leur départ de Grèce, nous ne savions pas si les deux bateaux auraient l'autorisation du gouvernement grec, mais finalement le gouvernement grec a décidé de prendre ses responsabilités en agissant comme un Etat souverain et a laissé le cargo et le bateau de passagers quitter le port du Pirée à Athènes.

Le deuxième set a eu lieu hier, dans la partie grecque de Chypre, là où nous avions négocié avec le gouvernement d'embarquer une délégation VIP de parlementaires européens et nationaux de Suède, d'Angleterre, de Grèce et de Chypre. Alors que les deux bateaux de Grèce, le bateau américain venant de Crète et les 4 bateaux turcs étaient déjà au point de rendez-vous attendant que la délégation VIP arrive et embarque à notre bord, nous avons reçu la nouvelle que notre délégation était encerclée par la police chypriote dans le port de Larnaka et interdite de bouger où que ce soit. Chypre, un pays européen, était en train d'interdire à des parlementaires européens de se déplacer librement sur son sol, en rupture complète de toute législation et réglementations européennes ! Alors que nous commencions à négocier avec le gouvernement chypriote, nous avons clairement compris que ce changement soudain d'attitude envers nous était dicté directement par Israël. De sept heures du matin jusqu'au soir, le gouvernement de Chypre nous mentait, disant que c'était un malentendu que les VIP aient été autorisés à embarquer pour n'importe quelle direction qu'ils souhaitaient, que c'était juste une question bureaucratique à résoudre. Mais rien ne s'est passé et nos parlementaires ont été pris au piège. Le gouvernement chypriote agissait comme un auxiliaire d'Israël et nous a fait perdre un temps crucial. Ce matin, la délégation VIP a décidé que le seul choix qui restait était d'aller au port de Formogossa dans le Nord de Chypre sous contrôle turc, et de là prendre un bateau rapide pour nous rejoindre au point de rendez-vous. Bien sûr, parce que notre coalition est formée de Turcs et de Grecs et de Chypriotes, la Chypre du Nord qui est sous occupation turque, est une question politique très importante. Et envoyer notre délégation prendre un bateau dans le port de Formogossa, encore sous embargo des Nations Unies, est une question politique encore plus importante. Cela aurait pu briser le dos de nos amis grecs et chypriotes de la coalition. Ce fut presque le cas. Mais c'est le contraire qui s'est révélé. Notre coalition tient toujours. C'est le parti chypriote au pouvoir qui est sur le point de se briser, et les 7 parlementaires grecs et chypriotes qui faisaient partie de la délégation et ne pouvaient pas aller au nord de Chypre sont furieux contre le gouvernement chypriote. Un immense débat a toujours lieu en ce moment en Grèce et à Chypre sur ce qui s'est passé et sur notre flottille pour Gaza. Dans une heure ou deux, 80% de notre délégation VIP embarquera sur nos bateaux et nous partirons pour Gaza comme prévu. Donc nous pouvons dire qu'Israël a perdu les deux sets qu'il a joués.

Dans quelques heures, le dernier set, crucial, commencera quand nous entrerons dans les eaux de Gaza. Bien sûr, matériellement, il serait très facile pour Israël de nous stopper et nous arrêter, mais le coût politique qu'ils auront à payer sera énorme. Vraiment énorme, à tel point que toutes les ruses et les pièges qu'ils ont tenté de mettre sur notre route ont réussi à faire une seule chose : sensibiliser de plus en plus de gens partout dans le monde sur notre flottille et sur la situation de Gaza. Et de tout ça, nous apprenons quelque chose : la peur n'est pas de notre côté, mais du côté d'Israël. Ils ont peur de nous parce que nous représentons la colère des gens tout autour du monde. Les gens qui sont mécontents de ce que l'Etat criminel d'Israël fait aux Palestiniens et à chaque amoureux de la paix qui ose prendre le parti des opprimés. Ils ont peur de nous parce qu'ils savent que, dans un proche avenir il y aura encore plus de bateaux à venir à Gaza comme il y a de plus en plus de personnes à décider de boycotter Israël chaque jour.

Thomas Sommer-Houdeville, depuis l'un des bateaux de la flottille de Gaza

* coordinateur de la campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (ccippp)

http://www.protection-palestine.org

Toulouse le premier juin 2010

Mohammed Habib Samrakandi : habib.samrakandi@free.fr

Témoignage

« Nous avons rencontré Dieu dans la guerre »

Entretien avec le P. Manuel Musallam, le curé de Gaza (1995-2009)
Abouna (1) Manuel Musallam, prêtre du Patriarcat latin de Jérusalem, a été curé de Gaza de 1995 à 2009. Âgé de 71 ans, il s’est retiré depuis mai dans son village natal de Birzeit près de Ramallah (Cisjordanie), où il a été chargé par le Président palestinien Mahmoud Abbas d’organiser et diriger la Commission islamo-chrétienne de l’Autorité palestinienne. Il nous a reçus chez lui, pour nous confier ce témoignage hors du commun. – F.v.G.

La Nef – Abouna, comment êtes-vous devenu curé de Gaza ?
Abouna Manuel Musallam – En 1995 le Patriarche de Jérusalem, Michel Sabbah, m’a demandé d’aller à Gaza. La situation y était alors encourageante. Mgr Sabbah souhaitait avoir sur place un prêtre courageux et travailleur. Après quelques difficultés pour obtenir des papiers, j’ai pu finalement partir. Le Président Yasser Arafat m’a donné un passeport diplomatique que je n’ai pu employer qu’une seule fois pour me rendre à Rome. À part cela, je suis resté à Gaza pendant 14 ans, bloqué par Israël. Avant de partir j’ai souffert une guerre terrible, qui n’était pas vraiment une guerre, car une guerre doit être entre égaux : armée contre armée, char contre char, avion contre avion, etc. Alors que nous, nous étions à la merci de l’armée israélienne, et nous avons vécu des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?
J’ai vécu de près la souffrance des enfants, car j’étais directeur de deux écoles qui comptaient 1300 gosses. Ils arrivaient à l’école en ayant faim, n’ayant rien mangé le matin, tombaient de fatigue, s’évanouissaient. On a créé des aides à l’école comme on pouvait. La clôture de Gaza a été une catastrophe, qui a provoqué des crises humaines et des traumatismes graves. Hausse des prix, chômage, manque d’eau, d’électricité, d’argent, de livres, de fournitures scolaires... Le prêtre est toujours l’enfant gâté de la paroisse, et pourtant je peux dire que vraiment j’ai eu soif. On n’avait pas d’eau, alors on pressait les carottes pour en boire le jus.
C’est là que j’ai vu la chute du Fatah et la prise du pouvoir par le Hamas. Ce fut une terreur terrible. Une guerre civile. Il y avait une peur diffuse et générale, tout le monde tremblait. Et puis il y a eu l’attaque israélienne : les avions qui patrouillaient et bombardaient, les attaques et tirs quotidiens... Ils visaient des cibles civiles, même autour des écoles, des églises... Les habitants de Gaza ont souffert plus que le nécessaire. Une souffrance peut être salvifique, mais là c’était trop profond, car elle touchait leur être, leurs sentiments, leurs cœurs, leur foi, leur espérance – tout l’homme. Les Gazaouis se sont perdus dans le désespoir, abandonnés du monde entier, dans une souffrance sans lueur derrière. Avec seulement la perspective de la servitude au lieu de la liberté, avec la peur d’être encore plus dominés, humiliés, affamés, menacés. J’ai vu la prophétie du Christ se réaliser : « En ces jours-là, les gens mourront de peur. » Chez nous des personnes sont vraiment mortes de peur : une fille de 16 ans, un père de famille, une vieille femme... Gaza était l’enfer, impossible de voir l’autre à côté de soi. On était coupé des autres. Nous sommes devenus malades, malades de peur. C’est un monde entier qui est devenu malade, et moi le premier, j’en ai perdu la vue... Mais nous, les chrétiens de Gaza, nous pouvons dire que nous avons souffert avec le peuple, mais non pas du peuple.
Justement, quelle est la situation des chrétiens de Gaza depuis la prise du pouvoir par le Hamas ?
Il n’y a pas de persécution à Gaza, et le Hamas nous a même protégés plusieurs fois, lorsque nous avons eu des menaces de groupuscules fondamentalistes. Le Hamas à plusieurs reprises a déployé ses policiers jour et nuit pour protéger les écoles et les églises contre d’éventuelles attaques des fanatiques. Vous savez, les gens en Occident ne savent pas ce que c’est que le Hamas. Le Hamas, ce n’est pas juste une milice armée, mais c’est un parti politique. Le Hamas, c’est le professeur à l’université, c’est la mère de famille, c’est l’épicier, l’employé, etc. Ce sont des musulmans de Gaza comme les autres, et ils envoient leurs enfants chez nous à l’école comme les autres. Nous avons même comme élèves de nombreux enfants de ministres du gouvernement Hamas, que je connais tous personnellement et avec lesquels nous avons de très bonnes relations. Lors du Ramadan de 2008 j’ai vu sur la chaîne télévisée du Hamas un sheikh (2) saoudien blasphémer contre le pape et les chrétiens. J’ai aussitôt appelé le Premier Ministre, qui a fait interrompre immédiatement le programme. Ensuite, le Premier Ministre et d’autres ministres, le directeur de la chaîne, ainsi que des chefs religieux musulmans m’ont tous appelé pour s’excuser et exprimer leur refus du fanatisme. Le Hamas lutte farouchement contre les groupes extrémistes clandestins.
Et l’affaire Gilad Shalit ?
Moi, je dis que Gilad Shalit est prisonnier de guerre, et doit être traité comme tel, selon le droit international. Il a été pris sous uniforme israélien dans une action de guerre. En face il y a 12 000 captifs palestiniens dans les prisons israéliennes, la plupart sont des civils qui ont été enlevés chez eux, et dont la majorité ne sont mêmes pas encore jugés ! Beaucoup aussi ont fini leur peine et sont toujours enfermés. Personne ne parle d’eux et on ne parle que d’un prisonnier de guerre !
Quel bilan tirez-vous de ces 14 ans à Gaza ?
Comme prêtre, pour moi tout était positif : « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu ». Sur la croix, le Christ a beaucoup souffert, mais il avait la joie d’être le Rédempteur. Et cette joie, personne ne pouvait la lui enlever. Nous étions crucifiés à Gaza, et pendant la guerre, nous avons beaucoup plus prié. Nous avons découvert une réalité : c’est Dieu et Dieu seul qui peut protéger les gens. C’est Dieu seul qui protège son peuple. Et si Dieu protège tout le monde, il prend particulièrement soin des siens : « N’aie pas peur, petit troupeau, moi, je te protège ». Dans tous les bruits de la guerre, il y avait le Christ qui éloignait de nous les malheurs, dans le ciel. Les gens venaient à la messe et au catéchisme malgré tout. L’école tremblait sous les bombes. Dans la guerre, dans la haine, dans la souffrance, il y avait une main clandestine qui nous protégeait. L’Église est l’espoir du monde, et là, on l’a vraiment découvert.
Les gens étaient perdus, et avaient besoin de quelqu’un pour les fortifier. Le prêtre ne peut pas être pessimiste : je ne pouvais pas m’arrêter, sinon, tous s’arrêtaient ; je ne pouvais pas me décourager, sinon, tous désespéraient. J’avais un monde derrière moi, non seulement les chrétiens, mais aussi des musulmans. Quand je suis parti, tout le monde pleurait. Non seulement les chrétiens, mais aussi des musulmans. Un sheikh m’a dit : « Nous pleurons parce que nous avons un certain amour pour vous, parce que vous étiez une lumière ici, qui encourageait les gens, les chrétiens mais aussi les musulmans. Nous avons découvert les chrétiens par vous, et nous voulons continuer à les connaître. »
Est-ce que Gaza vous manque ?
À chaque fois que l’on mentionne Gaza, une souffrance me saute aux yeux, alors je pleure. J’ai toujours pitié pour eux, comme le Christ avait pitié pour ces gens qu’il voyait souffrir comme des agneaux sans berger. Ils souffrent parce qu’ils n’ont pas de pasteur. Personne pour les diriger, les protéger. J’ai quitté Gaza en larmes, mais je ne pouvais pas rester plus, j’ai lutté jusqu’à la fin, j’ai jeté toutes mes forces dans le combat. Ce n’était pas moi, car il y a une force à l’intérieur du prêtre qui fait ce qu’elle veut : « Ce n’est pas moi, c’est le Christ qui vit en moi. » On n’est pas dirigé par ses propres forces, mais par une force qui nous dépasse. Dieu m’a
choisi pour ces 14 ans à Gaza, pour cette situation, ce blocus, cette guerre, il m’a donné la force et le charisme nécessaires. Puis depuis le 4 mai dernier, il a choisi un autre prêtre. Je crois qu’il faut lui faire confiance. Il est plus facile de trouver un pape pour l’Église, que de trouver un prêtre pour Gaza !
Propos recueillis par Kassam Muaddi et Falk van Gaver
(1) « Père » en arabe. (2) Chef religieux musulman.
Copyright, La Nef 2008

11:48 Écrit par elhajthami dans Témoignage | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : gaza | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

30/05/2010

LE MAROC par le bout de la lorgnette

« LE MAROC, par le petit bout de la lorgnette »

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de Péroncel - Hugoz

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Après une longue carrière de journaliste, où il a été souvent envoyé spécial du MONDE au Maroc, Peroncel - Hugo, coule maintenant une retraite studieuse et paisible à Mohamédia, ayant constamment sa belle baie sous les yeux, entouré de vieux bouquins qui remontent pour l'essentiel au protectorat(1912-1956), qui l'aident à mieux appréhender le « cursus plus que bi- millénaire du maghrib-al-aqça

( Maghreb extrême) qu'il traduit par «l'Occident de l'Orient ». Ce qui sous entend, que de tous les pays arabo - musulmans, et à l'instar de la Turquie ; le MAROC est le plus proche de l'Occident. Les lectures édifiantes des anthropologues du protectorat, l'aident ainsi à remonter aux origines berbères de ces Mahométans de Mohamédia, si j'ose dire. Car comme disait Jean Genet, cet autre « captif amoureux » du Maroc, qui s'est fait enterrer à Larache : « Au Maghreb ; je n'ai rencontré que des Berbères ! »

Mohammedia, ville - dortoir sans histoire ?  Pas si sûr rétorque Peroncel - Hugoz, « Ne commettons pas l'erreur d'Albert Camus (1913 - 1960), pied - noir algérien, prix Nobel de littérature 1957 et qui avait publié,son petit guide pour les villes sans passé ! Faisant commencer l'Histoire  d'Oran , de  Constantine et d'Alger, plus que millénaire, avec l'irruption des Français en Algérie vers 1830 ! L'histoire de l'ancienne « Fédala », toponyme aux origines mystérieuses, quoiqu'elle semble commencer elle aussi avec la plantation de ses araucarias importés d'Amérique Latine par Lyautey, remonte en fait à la préhistoire, puisque près de la noire et coupante falaise fédalienne on a découvert des outils en silex et non loin de la kasbah, une grossière enclume rectangulaire comportant quatre cupules.,.

Par touches successives, accumulation de détails pris alternativement au passé et au présent, finissant à la longue par faire système, Percel Hugoz, nous dépeint ainsi un visage, celui du Maroc d'hier et d'aujourd'hui, en partant de cette kasbah fédalienne, cette « ville faisant un peu penser à Toulon, violente lumière africaine en plus ». Un saut par-dessus les années, permet par exemple à notre auteur de relater le passage, en 1700, d'un convoi de 716 têtes rebelles coupées, du côté de Marrakech, qu'on avait fait rouler devant le sultan Moulay Ismail, «avant que ce Roi-soleil enturbanné,n'ordonne qu'on aille les exposer, pour édification du vulgum pecus, sur les remparts de Fès un peu agitée. Ça les calmerait ! »

Le cortège de vingt - quatre mules partit donc à marche forcée, suivant la piste impériale côtière, franchissant le déjà vieux pont mais toujours solide pont portugais sur l'oued Mellah, avant Fedala, dépassant cette kasbah où les douze hommes de l'escorte, commandés par un certain Abdellah el Roussi - le sultan lui avait dit qu'il répondrait sur sa propre tête de l'arrivée à Fès de la totalité des 716 chefs tranchés...- , n'eurent que le temps de demander nuitamment un peu de boisson et de nourriture à la garnison, avant de repartir dans un infernal nuage de mouches. En effet, pour aller vite, on avait négligé  de faire procéder, comme d'habitude, au salage préalable des têtes par des spécialistes juifs de cette tâche (c'est d'ailleurs pour cela que les ghettos marocains s'appelèrent mellah, « saloir », jusqu'à leur disparition, par quasi extinction du judaïsme local entre 1950 et 2000).

C'est dire que nous revenons de loin ! Rien dans cette Medina-el-Ouroud, cette cité tapissée de fleurs, ne semble  échapper, aux investigations de notre reporter émerite, à commencer par un Guide de Mohamédia , publié sur papier glacé, avec force coquilles et adresses périmées, mais qui est parfois utile pour retrouver le téléphone de la Française, boulangerie- pâtisserie depuis 1954(avec la Tour Eiffel pour emblème) ou de la Superette berbère de Monica-Plage.... Même si, ajoute-il, « on y chercherait en vain l'enseigne, pourtant plus que quinquagénaire, du tailleur Max Benaroch, lequel présente aussi l'intérêt d'être le dernier juif de Mohamédia » !

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Dans cette optique tout est important à relever et analyser : pour ce féru de littérature, il s'agit autant d'investigations journalistique que d'observation participante de longue durée - l'enquête sur fédala - Mohémadia, lui a pris cinq ans(de 2005 à 2010) - comme celle pratiquée en son temps par un Branislow Malinowski , plantant sa tente au beau milieu des îles Trobriands, pour mieux connaître « les Argonautes du pacifique Occidental ». L'auteur est très sérieusement documenté, en ouvrages remontant à la période Lyautéenne, qu'il collectionne en parcourant les marchés aux puces et dont il aime s'entourer , publiant ceux d'entre eux pour qui il a un coup de coeur dans « la Bibliothèque Arabo - Berbère » , collection qu'il dirige aux éditions la Croisée des Chemins à Casablanca. Sa dernière réédition en date est celle des « lettres marocaines » de Hubert Lyautey dont notre auteur est un fervent admirateur. Entre les deux guerres, celui-ci aurait saisi comme « ennemi » le vapeur allemand Mogador, pour renforcer la marine marchande de Fédala !

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Moulay Hafid signant le traité du protectorat à Fès en 1912, en présence de Lyautey, d'après Roman Lazarev

C'est delà qu'il s'embarque secrètement, de nuit, le 18 décembre 1916 (en pleine guerre 14-18 !) à partir de la nouvelle darse fédalienne sur un des sous-marins français, afin d'échapper à un éventuel torpillage allemand en quittant le très exposé Casa. Ce « film d'espionnage », se poursuivra durant la deuxième guerre mondiale avec la fameuse opération  Torch , immortalisée par la fameuse chanson de Hussein Slaoui -  « Les Américains ont dit : « OK ! OK ! Quand même  bey, bey ! » - et que commémore encore au grand parc de Mohamédia, un large bloc de pierre, posé à même le gazon, portant sur un de ces côté, une dédicace aux combattants en arabe et à moitié effacée.

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Le sultan Moulay Youssef (1912 - 1927) en compagnie notamment du maréchal Lyautey, résident général de France dans l'Empire chérifien (1912 - 1925)

Cette dédicace pratiquement invisible( pour une opération qui a failli tourner au drame : les Américains auraient littéralement rasé Casablanca, si les Français n'ont pas cessé de s'opposer à leur avancée au bout de trois jours...) m'a été signalé in situ, lors d'une visite amicale où j'étais reçu par l'auteur, entouré de ses vieux bouquins dont celui traitant de l' Empire de Maroc,paru en 1846, de l'historien colonial français oublié, P. Christian où celui-ci raconte, les sept années de vaches maigres qu'a connu le Maroc, sous Mohamed III, années où pas une goutte d'eau n'est tombé entre 1775 et 1782 :

« A Fédala, sur les bords d'une mauvaise crique, Sidi Mohamed fit commencer une ville et ordonna à tous ceux qui voudraient prendre part à l'exportation du blé contenu dans un grand nombre de puits coniques, appelés matmora dans le Maroc, seraient tenus de construire une maison dans le voisinage. Les maures élevèrent de mauvaises baraques en pisé, et les abandonnèrent quand tout le blé fut mangé...En 1779, une épouvantable famine se déclara ;les récoltes ravagées par des sauterelles venues du Sud attaquèrent de toute part ; et les malheureux habitants, vivant au jour le jour, sans greniers publics, sans épargnes, se trouvèrent aux abois. Les bestiaux mourraient de faim dans les plaines aridifiées. L'année suivante fut encore plus désastreuse .Les gens périssaient par milliers.... »

Les historiens du XXème siècle, fouillant le règne de Mohamed III, ont estimé,  que la population marocaine, autour de 1780, passa de cinq à trois millions d'âmes, car à la disette s'était , comme souvent, ajouté la peste. Malgré de rigoureuses prescriptions mahométanes, on vit même réapparaître le cannibalisme...Il faudra attendre la spectaculaire remonté démographique du protectorat, due aux prophylaxies modernes vite popularisées, pour retrouver les cinq millions de sujets d'avant Mohamed III et bientôt les dépasser, doubler ce chiffre vers  1956, année de l'indépendance recouvrée, dépasser enfin les trente millions au tournant du nouveau millénaire.

L'ouvrage grouille ainsi d'observations minutieuses, patiemment recueillies durant cinq années, de 2005 à la parution de l'ouvrage en 2010, qui confinent parfois à  l'insolite et au saugrenu, mises en forme par une écriture incisive, acérée et pleines de malices, révélant des aspects étonnant d'une cité -dortoir apparemment sans histoire où la plupart des habitants viennent juste y dormir  pour repartir le lendemain à leurs lieux de travail, soit vers Casablanca ou  Rabat, empruntant pour se faire la vieille gare Art -déco, qui vient de disparaître, au grand regret de l'auteur, fervent admirateur de Lyautey, remplacée par « une structure à peau grise de verre », vouée, selon ministres et journalistes, spécialistes en parler creux, à être « un repère au sein de l'agglomération, avec effets structurants et entraînement positifs sur l'économie régionale »...

Une région devenue au fil des dernières années, comme l'un des fiefs du wahhabisme violent au Maroc, alors même qu'elle est constellée de marabouts, symbole de ce soufisme populaire où la ferveur religieuse est d'abord une affaire de cœur. Une région dont les premiers habitants étaient les hérétiques  Berghwatas et les transhumants Zénètes qui s'y étaient établis avec leur troupeaux de race mérinos,ces moutons à la laine ultralégère, dont le nom rappelle la dynastie islamo - berbère des Mérinides(1260-1412), ces pasteurs venus de l'Est, sous lesquels on a appris à tirer le meilleurs de la toison de ces ovins, et qui s'étaient établis depuis dans ces rivages, comme en témoignent les toponymes de Zénata et de Benoussi, par référence aux Branès (ceux qui portent le burnous, se rasent la tête et consomment le couscous) qui constituent avec les Botr, les deux premières branches de la nationalités Berbères au Maghreb.

Tels sont les premiers habitants de l'arrière pays de l'ancienne Fédala, baptisée Mohamédia au retour de Mohamed V, sur suggestion d'Abderrahim Bouabid, dit -on, cette ville des fleurs et des « mille palmiers », menacée à terme d'absorption par sa grosse voisine du Sud où « Sa Majesté Chérifienne a signé en 2006 l'acte de naissance d'une ville nouvelle d'un demi million d'âme, Zénata, qui devrait combler et assainir la « zone » incertaine courant entre Mohamédia et Casablanca. »-  depuis son intronisation en 1999, le roi y est venu plusieurs fois insitu , souligne l'auteur :

« Le volontarisme de Mohamed VI qui, fait inouï et inédit, s'est rendu impromptu, sans escorte, en 2006, en un « quartier spontané » de la pire espèce, dans l'aire casablancaise, avec son frère cadet, l'émir Rachid, ce volontarisme royal, pourra peut-être aider à solutionner enfin une question lancinante, pendante quasiment depuis le début de l'industrialisation marocaine vers 1920, et de l'exode rural qui ensuivit ; question sur laquelle l'abbé Pierre vint lui-même, en 1956, plancher devant Mohamed V, avant de reconnaître son impuissance...Ces visites - éclair , ces « plongées » au pas de charge, ont été entouré de la même ferveur populaire, sexes et âges confondus. Afin de toucher le roi, pour capter un peu de sa baraka, les gens courent le risque de passer sous les roues de sa limousine : « Jadis, on avait peur du roi,maintenant on a peur pour lui ! » : waer, el malik dyalna ! « il est chouette notre roi » en parler marocain jeune. Jamais chef de ce pays n'a sans doute porter autant d'espoirs, autant de responsabilités, donc que Mohamed VI. Allah fasse que ces énormes attentes, du Sahara au logement, de l'emploi à la valorisation nationale de l'Islam ne soient pas déçues ! ».

Royale visite qui témoigne de la volonté politique d'en finir avec ces plaies urbaines où l'islamisme extrémiste recrute ses kamikazes ; tâche exaltante mais aussi humainement pathétique puisqu'elle semble pratiquement impossible :  le bidonville « résorbé » ici, selon la terminologie administrative,  réapparaît aussitôt ailleurs...Mais si l'Etat ne peut pas venir au secours de toutes les familles marocaine à coup de décrets abstraits et de décisions gouvernementales lointaines, au moins chaque marocain peut rêvé que le Roi en personne veille sur son cas particulier : sa souffrance ne peut pas durer indéfiniment parce qu'en haut lieu on est attentif à son cas grâce à un réseau de moqadem , ces agents de quartier, surnommés « google », pour la qualité de leurs renseignements, ad hominem....

Principal employeur de cette cité des fleurs, la Samir est aussi son principal pollueur, aussi bien des airs que de la mer : ses campagnes, tambours battants, en faveur des espaces verts, n'y changeront rien !.... Et justement à propos de cette entreprise de raffinage pétrolier, l'auteur nous rapporte, cette information étonnante : les gens d'affaires, « bien informés » assurent à Casa, que le « vrai » propriétaire (de la Samir)est un mystérieux milliardaire éthiopien mahométan, le « cheik » Mohamed Amoudi, à présent sexagénaire et classé par le magazine états-unien Forbes au 77è rang des fortunes mondiales, avec quelques 10 milliards d'euros...

Autre surprenante information de ce « MAROC par le petit bout de la lorgnette »,  On croit même que les restes de Ben Barka seraient enterrés à Mohamédia : ce qui a pu nourrir cette croyance de quelques Benbarkistes, c'est que de 1961 à 1967, Le Sphinx, cet établissement fédalien de plaisir, fut géré par le truand français Georges Boucheseiche qui joua un rôle important dans la disparition de Ben Barka. Sans le chercher sans doute, Jacques Brel a immortalisé le Sphinx, comme l'a fait Jean Genet pour la Féria de Brest, dans Querelle ; ou le romancier marocain Mohamed Laftah(1946 - 2008), dans ses Demoiselles de Numidie, pour les anciens claques populaires de son pays, les bousbir. Et l'auteur féru d'analyse toponymiques, qui ne prend jamais un nom de lieu pour de l'argent comptant ajoute que ce bousbir, vient du prénom de Prosper Ferrieu, prononcé à l'arabe, langue sans p ni e . Cet héritier d'une famille de négociants lainiers longuedociens établie à Casablanca dès 1839, donc la plus ancienne lignée française connue de la Ville blanche, attacha sans le vouloir son prénom à l'amour vénal en y louant, aux abords de la Vieille - Médina, des parcelles qu'il y possédait et qui, sous - louées, virent s'établir des prostituées indigènes se destinant aussi bien à leurs compatriotes qu'aux soldats allogènes...

L'établissement fédalien de plaisir, à l'enseigne du monstre mythique de l'Egypte pharaonique, la maison close la plus courue de tout l'ensemble colonial français, « le plus célèbre bordel de la Terre », aurait été fréquenté par un certain Oufkir, le fastueux Pacha Glaoui de Marrakech, né en 1875 et qui s'est fait inhumé au mausolée de Sidi Sliman el Jazouli, l'un des sept saints de Marrakech en 1956 ; Philippe Boniface, type -même du latin viril souligne l'auteur : il aurait organisé une réunion politique secrète au Sphinx avec ses alliés anti- Mohamed V, dont le Glaoui justement, venu spécialement de son fief de Marrakech.

Le seul client connu du Sphinx qui eut l'audace de reconnaître haut et clair y être allé pour « consommer » autre chose que des rafraîchissements, est Jacques Brel(1929 - 1978) ,nous dit l'auteur. C'est d'ailleurs là qu'il rencontra Miche, sa future épouse...C'est probablement au cours de l'une de ses premières tournées au Maroc, fin des années 1950 - début des années 1960, que le chanteur -compositeur belge pris l'habitude de fréquenter régulièrement le Sphinx, ne le quittant que pour aller donner son tour de chant aux Arènes ou au Rialto à Casablanca ou encore au Casino de Fédala - mohamédia, « qu'en 1960 ou 1982,Brel composa, au gré des virages, sa fameuse Valse à mille temps » indiqua plus tard sur Radio - Rabat l'ancien arrangeur de la vedette, François Aubert. Mieux, Brel, dans la chanson Jef va jusqu'à citer nommément une patronne du Sphinx, « la Madame Andrée », chez laquelle le chanteur, nouveau Villon, invite à « aller voir les filles, paraît qu'y en a de nouvelles...Allez, viens Jef , viens, viens ! »

Et notre auteur de conclure sur ce chapitre à la fois romantique et nostalgique que, Brel, c'est évident, trouva ici des moments d'oubli et sans doute même de bonheur :

Je veux mourir ma vie avant qu'elle ne soit vieille

Entre le cul des filles et le cul des bouteilles

Dans la même veine, notre ami Mohamed Laftah qui est allé mourir au pays du Sphinx écrit dans ses Demoiselles de Numidie :

« La bouteille de champagne a été débouchée dans toutes les règles de l'art, par le garçon portant une veste bordeaux, une chemise immaculée avec nœud papillon, un pantalon en velours côtelé noir (...) C'est vers son box que Rose dirigea ses pas ( j'utilise le terme de box pour désigner la chambre personnelle , la loge de Rose, car (on est) dans un boxon...) C'était une jeune fille âgée d'à peine 19 ans, à la figure avenante, tout sourire, mais derrière cette façade de douceur et de gentillesse se cachait un monstre de férocité, de sadisme même etc. »

Quand Brel, le fidèle client Wallon de Madame   Andrée meurt, à la veille des années 1980, c'est le moment où le Sphinx, sentant la réprobation sociale monter nettement autour de lui, n'a plus vraiment le cœur à l'ouvrage. Il se néglige, il néglige surtout de renouveler son blond troupeau...Maintenant, on est en train de transformer le ci-devant sanctuaire du sexe en un « hôtel de charme »...C'est le cas de le dire, conclut ironiquement notre auteur...mais, cette fois, Eros sera en principe absent.

On découvre de nombreuses similitudes entre Mogador - Essaouira et Fedala - Mohamédia : les deux sites ont été visité par les phéniciens, comme l'atteste certains passages du Périple d'Hannon, véritable « acte de naissance de l'histoire du Maroc » d'après Jérôme Carcopino (1881- 1970), auteur du célèbre Maroc antique (1943). Le noyau primitif que constitue la kasbah dans les deux villes comprenait une église portugaise, en ruine à Mogador, elle a été transformée en mosquée à Fédala, vers 1770, au moment de la reprise de la place par le sultan Alaouite Mohamed III. Ce sont les portugais qui auraient introduit, d'après notre auteur, les oranges au Maroc à leur retour de Chine et c'est pour cette raison que nous désignons depuis lors ce Citrus aurantium, par tchina et bortoqâl...Chine et Portugal...

Si la paisible baie de Mohamédia avait accueilli jadis les navigateurs antiques et les bourlingueurs portugais, elles fut aussi, nous rappelle Peroncel - Hugoz, une rade où les corsaires salétans se réfugiaient, soit contre le mauvais temps, soit contre les entreprises de l'ennemi. Durant plus d'un siècle, le nom de Salé fit trembler l'Europe entière jusqu'à la lointaine Islande qui commémore encore de nos jours le raid de 1627 au cours duquel trente six îliens furent tués en résistant aux Barbaresques débarqués par surprise de trois caravelles, tandis que 240 autres islandais étaient enlevés pour être vendus comme esclaves au Maroc ou en Algérie. Le lieu du drame dans la petite île d'Heimaey, s'appelle depuis lors l'isthme des pillards. Ce brigandage fumant ne fut qu'un épisode parmi des dizaines d'autres du même tonneau commis par pinques, chébecs, galiotes, tartanes ou flibot (de l'Anglais fly-boat,bateau - mouche) arborant en proue « les babouches propitiatoires du Prophète »...

J'ai connu pour la première fois Mr. Peroncel-Hugo au colloque sur la culture marocaine qui s'est tenu à Taroudant en 1986. Je lui avait alors exprimé toute mon admiration pour la pertinence de ses  articles incisifs au Monde, dont je ne ratais aucun, parce qu'ils avaient une profondeur d'observation et une esthétique littéraire qui dépassaient le seul cadre journalistique. Je savais déjà, étant étudiant en ethnomusicologie à Aix en Provence, qu'il était davantage qu'un simple journaliste : en 1983, le tout universitaire d'Aix bruissait de son «  radeau de Mahomet » qui venait de paraître. Trois ans plus tard, au colloque de Taroudant, il me donna une leçon d'ethnographie mémorable : il ne faut pas, me disait-il, se contenter de simples compte rendu journalistiques, il faut aussi enquêter sur l'arrière plan somptueux des méchouis qu'on nous offrait, sous les tentes caïdales, arrosés de citernes de jus d'orange, gracieusement offert par les immenses fermes du Sieur Boufettas des environs de Taoudant! Lui journaliste me renvoyait déjà à ma chère ethnographie, celle-là même qu'il appréciera plus tard dans mes documentaires sur le Maroc profond et méconnu !

Des années plus tard, j'ai retrouvé à Casablanca , avec un immense plaisir, l'ami Peroncel - Hugo, escomptant de sa part, un profit d'abord littéraire : :il n'est pas un écrivain à lésiner sur la langue Française sa pureté et sa rigueur. Chose qui nous manque, nous autres marocains, qui avons à ces yeux beaucoup de qualité mais qu'il préfère nous affubler d' « apeupréisme », comme il me l'écrit depuis Casa, ce mois de mai 2010  en dédicace aux « Lettres marocaines de Lyautey » qu'il vient de publier dans la « Bibliothèque Arabo - Berbère » qu'il dirige : « Mon cher mana,   je serai moins dur pour les Marocains que ton maître Georges Lapassade : certains d'entre vous, Hassan II par exemple, ont su à leur manière...- poursuivre la politique de Lyautey, au moindre mal à mon avis, car elle vous a évité la stérilité donneuse de leçons du « socialisme arabe » - et vous a rendu le Sahara...De toute façon même si le Maréchal vous a nui, il lui sera beaucoup pardonné, car il vous a AIME, y compris dans vos défauts, à l'exception d'un seul car il est la cause de tous vos échecs : l'apeupréisme.... »

Ce concept d'apeuprésme, dont il nous affuble, m'avait tellement impressionné par sa justesse que je l'ai mis en exergue à un manuscrit, non publié à ce jour, que j'avais intitulé « l'aurore me fait signe » où je notais entre autre : Les heures de prière, sont les seuls moments de la vie sociale où la ponctualité est requise : partout ailleurs, on trouve mille et une excuses, pour battre en brèche la ponctualité. C'est en cela que la société marocaine demeure « une société sans horloge », c'est-à-dire sans ponctualité. Le fameux incha Allah ! Or la ponctualité, c'est la modernité. Ce dérèglement de l'horloge sociale, qu'on rencontre partout y compris dans les entreprises les plus modernes (de la télévision qui suspend mes documentaires ne respectant pas ses engagements, au non respect du timing de diffusion, à l'avion qui ne décolle pas à l'heure), on peut l'attribuer à cette ambivalence, cette ambiguïté,  que mon ami .Penroncel -.Hugoz appelle « l'apeuprêisme » des marocains .Bref, l'intrusion de l'irrationnel y compris dans les institutions les plus modernes. Nous sommes entrés de plein pied dans les temps moderne mais sans régler notre horloge saisonnière sur les fuseaux horaires de la modernité. « Ce décalage horaire » est cause d'immobilisme, de perte de temps et d'argent, comme on le constate d'une manière flagrante durant ce mois lunaire du ramadan 1429 (septembre 2008), où toutes les activités humaine sont au « ralenti », où toute les décisions sont en « instance » c'est-à-dire reportées sine die, et où tout semblent suspendu à l'heure de la rupture du jeun, y compris le caractère lunatique des jeûneurs

En correspondant du Monde au Maroc, Peroncel - Hugo était plus qu'un journaliste ; il était un observateur attentif à nos us et coutumes, regardant « par le bout de la lorgnette », c'est bien le cas de le dire, l'arrière boutique marocaine, autant que ce qu'on lui met sous le nez et au devant de la scène : les préparatifs du potlatch et du méchoui l'intéressait autant que les recommandations sur la culture marocaine, qui ont vu le jour au colloque de Taroudant et dont aucune n'a été mise en œuvre : ce qu'il y avait de plus vrai et de plus solide, c'était donc ce potlatch somptuaire !. En cela Peroncel - Hugoz avait raison de me conseiller de m'appuyer dans mes enquêtes sur l'investigation ethnologique plutôt que sur les subterfuges du journalisme qui se fait abstraction élogieuse et vide pour ne pas dire vrai.

En observant ce MAROC  « par le bout de la lorgnette », Peroncel -Hugoz, prend pour ainsi dire le poule de toute une psychologie collective, de tout un climat social , de toute une histoire oubliée, méconnue...C'est ce qui donne à son ouvrage une teneur consistante et une portée plus général que la simple description d'une « bourgade sans histoire ». Loin des artifices des cités touristiques et de leurs manifestations pseudo - culturelles parachutées d'en haut le temps d'un week-end, Mohamédia se révèle être ainsi un observatoire idéal de ce qui se trame au cœur de tout un pays.

Essaouira, le lundi 24 mai 2010

Abdelkader Mana

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11:52 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : histoire, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook