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20/05/2010

Belle demeure d'Essaouira

Essaouira, ville à vivre
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Où séjourner à Essaouira?

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Maison d'hôte au coeur de la médina

Avec vue panoramique sur la baie et les terrasse d'Essaouira

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Donnant sur l'horloge...et

Sur la baie....

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Avec vue sur les terrasse d'Essaouira

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La belle demeure , rue d'Agadir

On est rue d'Agadir, l'un des quartiers les plus anciens de la médina, puisqu'il remonte à quelques années de 1764 , date de la fondation du port et de la kasbah  : en 1773, Agadir qui résistait encore à la pression du souverain, et où se maintenaient d'importants marchands chrétiens et juifs fut puissamment attaquée par une armée venue de Marrakech. La ville ne put résister, ses fortifications furent détruites. Sidi Mohamed Ben Abdellah n'accorda qu'un temps très bref à ses habitants pour ramasser ce qu'ils possédaient et leur ordonna de se transporter à Essaouira où un quartier « derb Ahl Agadir », leur fut attribué.

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Abdelmajid Mana: GSM(Maroc) :(212.6.70.27.14.12).e-mail: mana35@hotmail.fr

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Maison du 18ème siècle  sis rue Agadir : l'appartement situé au 2ème étage avec entrée indépendante,comprend: 4 chambres, 1 grand salon, 1 cuisine équipée,3 salles de bain. Avec une capacité d'accueil de 10 personnes. Selon les saisons le tarif est le suivant: A) Bassa saison: 700 Euros par semaine B) Haute saison: 900 Euro par semaine

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Maison traditionnelle d'Essaouira :

Riad ou plutôt Menzeh(vue panoramique sur la mer) ?

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Par Abdelmajid MANA

Depuis maintenant une quinzaine d'années, s'est développée au Maroc, la formule touristique, d'habiter les Riad dans la médina.  Cela permet d'une part d'être au cœur de la culture de la médina marocaine, que ce soit Fès, Marrakech ou Essaouira, et d'autre part de sortir de l'anonymat du tourisme industriel de masse. Cependant, , comme on le voit dans tous les sites Internet, il y a un abus de langage concernant  l'utilisation du mot « Riad ». Un  terme mal défini qui prête à confusion, surtout pour ce qui concerne les maisons du 18ème et 19ème siècle d'Essaouira. Les gens qui ont acquis ces maisons,  les appellent abusivement « Riad ». Or je vis justement dans l'une de ces vieilles maisons  qui n'est pas un Riad et que quelqu'un qui ne connait pas  l'histoire de la ville serait tenté de l'appeler ainsi.

On est rue d'Agadir, l'un des quartiers les plus anciens de la médina, puisqu'il remonte à quelques années de 1764 , date de la fondation du port et de la kasbah  : en 1773, Agadir qui résistait encore à la pression du souverain, et où se maintenaient d'importants marchands chrétiens et juifs fut puissamment attaquée par une armée venue de Marrakech. La ville ne put résister, ses fortifications furent détruites. Sidi Mohamed Ben Abdellah n'accorda qu'un temps très bref à ses habitants pour ramasser ce qu'ils possédaient et leur ordonna de se transporter à Essaouira où un quartier « derb Ahl Agadir », leur fut attribué.

Ces négociants juifs ou berbères originaires de Sous - les fameux « toujar sultan » (négociants du roi)-  qui s'établirent dans la kasbah et à « derb Ahl Agadir », construisirent des maisons à deux niveaux plus une terrasse. Le rez - de Chaussée était réservé à l'entrepôt des  marchandises. Ce type de demeure comportait deux entrées : ce qui montre bien qu'on ne mélangeait pas négoce et vie privé. La première porte  donne  accès au lieu du travail qui est l'entrepot des marchandises destinées à l'exportation via le port : des sacs empilés les uns sur les autres jusqu'au plafond d'amendes décortiquées, du blé, de peaux,  de caroubes et surtout de  gomme (lagracha), d'où le nom " lahraya dyal lagracha "(entrepôt de la gomme). D'après ma tante maternelle,  qui accompagnait sa maman , dans ces entrepôts, où  les femmes la filtraient et  nettoyaient  la gomme » durant la grande famine de fin  1920-début  1930 :  c'est de l'immense forêt de thuya de béribérie, au sud d'Essaouira, qu'on ramenait cette gomme qu'on appelait lagracha.

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La deuxième porte donnait sur les  étages : Le premier pour la famille, le second pour les invités  . Ce dernier était souvent  le plus beau avec vue sur la baie . On l'appelait manzah, mot qui signifie "vue panoramique" justement. A l'époque, il n'y avait pas d'hôtels et les voyageurs de passage étaient reçus : soit au  manzah des négociants , soit à la « douiriya »(, maisonette mitoyenne à la maison proprement  ou dar). En effet, partout ailleurs dans l'ancienne médina, chaque  foyer disposait de deux maisons adjacentes : dar(ou maison) pour la famille et et douiriya (maisonnette)pour les célibataires et les invités.

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Le rez- de - chaussé des maisons - entrepôt, se caractérisait par d'énormes arcades en  pierres de taille (manjour) , matériau  au fondement de l'ancienne kasbah et des fortifications du port. Dans l'hinterland d'Essaouira, on retrouve encore aujourd'hui d'excellents tailleurs de cette roche de sable, à Had Dra, Akermoud et Tamanar en particulier. Ces rez-de-chaussée étaient hauts de six à huit mètres  pour y entreposer suffisemment de marchandises. Il faut donc que ça soit grand mais aussi que ça soit solide : leurs plafonds étaient en bois de thuya, qu'on appelle tassiout en berbère. Ce dont  les européens raffolent maintenant en les imitant même pour leurs salons. C'est le plafond berbère par excellence, à base de baguettes en thuya de soixante centimètres soutenues transversalement par des poutres en madriers de thuya également.

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Le meilleurs exemple de ce type d'entrepôt à Essaouira, c'est le restaurant  El Menzeh : avec ses énormes arcades en pierres de taille, son très haut plafond en tassiout ,le mur badigeonné en blanc. C'est à la fois simple et beau. Il n'y a pas cette profusion de Zellidj , de couleurs, de calligraphie, et de dessins géométriques et floraux qui caractérisent les Riad de Fès ou de Marrakech. Aujourd'hui, paradoxe des paradoxes, les européens préfèrent de loin ces lieux rustiques et simples, que sont les anciens entrepôts d'Essaouira aux soi-disant Riad avec des tas de zellidj et de décorations.

Maintenant, on a installé un restaurant  dans ce rez - de - chaussé en ajoutant de la déco ,de la lumière, et à l'étage, on a mis des chambres un peu partout. C'est cela qu'on appelé abusivement Riad. Or Essaouira est une ville récente et maritime et le vrai Riad est un legs andalous caractéristique des villes impériales comme Fès et Marrakech. C'est quoi un Riad ? C'est un mot arabe qui dérive de « Raoud » qui signifie « jardin » ou encore mieux « jardin de l'Eden ». Le modèle est andalou : il s'agit d'un patio avec jardin et fontaine . Carré magique, sourate Coranique : de l'eau, on a crée toute chose vivante. Le Riad est une demeure à patio avec arcades entourant jardin et fontaine où la lumière descend d'en haut. Lumière de la lune, des étoiles et du soleil, mais aussi lumière divine inspiratrice de rêverie et de méditation en ce lieu où chantent les oiseaux dans les arbres et où ruisselle l'eau dans la fontaine. Ciel ouvert avec oliviers, orangers, figuiers et palmiers. Les arbres du paradis et de la méditerranée par excellence. Mais aussi bananier et pomiers venus d'ailleurs.

Comme pour le modèle musical médini (M.M.M), le Riad est  d'inspiration andalouse. J'irai encore plus loin que les andalous. Tu trouve cela chez les romains, en fait : la structure de cette maison en carré avec à l'intérieur un jardin et en dessous une citerne - comme la citerne portugaise d'El Jadida. Dans notre maisons d'Essaouira , on a aussi, des citernes avec arcades. Petit, je suis descendu à sa citerne située au sous sol et j'ai vu des arcades en pierres de taille comme le reste de la maison. Ce modèle d'architecture est romain : avant de mettre un jardin au-dessus de cette réserve d'eau, on mettait en place toute un système ingénieux et invisible de canalisation qui conduit délicatement les eaux de ruissèlement de la terrasse jusqu'àu sous sol c'où on puisait l'eau pour arroser le jardin. A Essaouira, les seuls véritables Riad appartenaient au caïds de la région et le savoir faire venait de Marrakech qui n'est pas loin. Les véritables maisons d'Essaouira avaient certes une citerne au sous sol, pour laver le linge et autres travaux ménagers, mais sans jardin ni fontaine.

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Un Riad est donc « un jardin intérieur » à ciel ouvert. Autour du carré de ce jardin  s'organisent toute une série d'arcades et de chambres. Son rez-de chaussé  se distingue par la présence d'une cuisine et d'une immense pièce où le maître de la maison reçoit ses amis et ses invités. Les femmes et les enfants sont à l'étage. Or, nous avons une situation tout à fait inversée dans la cas de la maison-entrepôt d'Essaouira, où la réception des amis et des invités se fait plutôt au deuxième étage, avec son menzeh et sa vue panoramique sur mer. Le spectacle qui repose les sens et invite à la méditation n'est pas le jardin de l'Eden, mais l'océan de lumière. A Essaouira, il s'agira plutôt d'un jardin suspendu dans les hauteurs : pots de basilics et de géranium avec vue sur la baie. Au Riad classique  de Marrakech ou de Fès, le lieu de villégiature et de spectacle ; c'est le rez-de-chaussé. Au menzeh d'Essaouira, il faut monter plus haut pour voir la mer. Là -bas, c'est le Riad, à Essaouira, c'est plutôt le menzeh (vue panoramique et aérienne sur mer).

Quand on est dans la médina, bien souvent, les maisons n'ont aucune ouverture sur l'extérieur. La lumière descend d'en haut. Or dans les maisons juives d'Essaouira : partout les fenêtres sont grandes ouvertes au dessus du niveau des remparts et donnent sur la mer. Car, on n'avait pas à cacher la femme. Dans certaines rues importantes comme celle des Alouj (les anciens convertis issus des prises de mer de la piraterie barbaresque  qui travaillaient comme canonniers à la scala du port et de la mer) , il y a même des balcons. C'est la maison typique des négociants juifs et des consuls chrétiens établis à Essaouira dés sa fondation en 1764.  Alors que les maisons musulmanes se caractérisent par des façades aveugles, avec petite porte d'entrée, donnant sur un véritable paradis, avec son puits de lumière venant d'en haut. expression de cette pudeur selon laquelle, la femme ne doit pas se montrer, se dévoiler.

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Maâlam Tahar Mana, doyen des marqueteurs d'Essaouira, mon père

D'où vient donc le mot Riad ? Dans le Coran, il signifie « jardin du paradis ». Par ces jardins intérieurs, les hommes veulent reconstituer en quelque sorte  un petit bout de paradis sur terre. Ils vont  y mettre des plantes exotiques et  sacrées qu'on retrouve dans le Coran. Souvent un olivier ,un figuier et un pommier. Les fruits dont on se nourrira dans l'Eden.  Ils reconstituent ainsi, quelque part,  ce bout de paradis dont chacun rêve après sa mort. Le cimetière porte aussi le nom de jardin : Raouda. D'ailleurs les cimetières qui se trouvaient au pied des remparts de l'ancienne médina - comme ceux de Bab Marrakech malheureusement rasés par la municipalité d'Essaouira au tout début des années 1980 - étaient tellement couverts de végétaux qu'on ne voiyait plus les tombes. Le cimetière était un véritable jardin. On laisse les plantes folles l'envahir  . Cela était vrai pour les anciennes médina comme Essaouira,  Marrakech ou  Fès , mais cela l'est aussi pour la  campagne : au cimetière d'Aït Daoud, le souk du miel de thym, que j'ai visité récemment et dont j'ai les photos, on permet à toutes les plantes de se développer à leur guise.

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Si Mohamed Mana qui a pris la relève dans l'atelier de notre père...

Chez nous, on désigne donc le cimetière  par le mot « jardin » et non pas maqbara (lieu d'ensevelissement) comme c'est le cas dans d'autres villes. Mais je trouve très beau qu'à Essaouira, on dise Raouda (jardin). Alors qu'à Casablanca qui est une ville anonyme, on dit plutôt maqbara (lieu d'ensevellissement). On dit maqbara Chouhada (sépulture des martyres), mais pas Raouda (jardin), un mot beaucoup plus apaisant et moins dramatique. A Essaouira, qui est une ville enracinée, souvent, le cimetière est un jardin.  Et quand on dit « jardin », dans l'inconscient collectif, on met tous les morts à égalité et on leur souhaite à tous de rejoindre le paradis.

Abdelmajid Mana


[1] Vue panoramique sur la mer

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10:35 Écrit par elhajthami dans Voyage | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : maison d'hôte à essaouira | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

12/05/2010

Les Branès au temps des moissonneurs

Les Branès au temps des moissonneurs

Par Abdelkader Mana

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La route et le chemin de fer de Fès à Oujda via Taza, passe par la voie de l'Innaouen. Pour obtenir en 1914, cette jonction entre Maroc Occidental et Maroc Oriental, il a fallu à la France, non seulement vaincre les obstacles naturels, mais briser par la force la résistance des nombreuses tribus environnantes. C'est des avantages de cette montagne que d'offrir des ressources diverses, depuis les olives et les mûriers des basses pentes jusqu'aux vraies forêts et aux pâturages des hauteurs. Le territoire des Branès se caractérise par l'abondance de l'eau si précieuse - avec la nappe pré rifaine - et par les mines de sel.

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De même que le drainage rattache le couloir de Taza au Sebou du côté Ouest, il le rattache au Moulouya du côté Est. La vallée de l'oued Innaouen recueille ainsi toutes les eaux du pays au niveau du barrage Idriss 1er .Cette brèche est une ligne de partage des eaux. Le courant dérivé du front polaire autour de l'anticyclone des Açores donne des vents qui déversent leur pluie sur le Maroc Oriental et s'arrête au col dit faj Touaher. Par sa position la trouée de Taza a donc vocation de recevoir le maximum de précipitations. L'oued Lahdar transverse tout le pays Branès depuis la vallée de l'Innaouen jusqu'au sommet du mont Taïneste . C'est l'un des principaux affluents qui se déversent depuis les contreforts rifains sur l'oued Innaouen au fond de la trouée de Taza.

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Lorsque les travaux d'été sont en voie d'achèvement que le maïs et le blé sont déjà sur pied, qu'une partie des récoltes est déjà stockée en réserve, alors commence la saison des fêtes. Ces célébrations s'étalent sur deux mois. On entre dans la saison des fêtes le 31 juillet du calendrier julien(12 août du calendrier grégorien) ; on en sort à la fin du mois de septembre. Les travailleurs émigrés sont en congé chez eux, ils apportent l'argent qui fait tant défaut et leurs économies serviront au financement des fêtes. Ces périodes de réjouissances, ces festins de viande et de grains, sont le complément nécessaire à l'année d'économie agricole et à la période d'intenses activités des moissons et du dépicage, comme nous avons pu le constater chez les Branès au mois de mais 2008 lors d'un tournage de la série documentaire « la musique dans la vie ».

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« Chez les Branès, après chaque moisson des fêtes saisonnières ont lieu à « Barria »  et à Sidi Ahmed Zerrouq, que Dieu nous accorde sa bénédiction. » Alilou, moissonneur rencontré chez les Branès . La période des moissons s'étale de la mi - mai  à la mi - juillet. Les moissonneurs trouvent l'embauche à la porte des bourgs ou le long des routes et des champs en déambulant par équipes de moissonneurs signalées par des roseaux qu'ils portent sur l'épaule. De ces roseaux ils tirent des doigtiers pour se protéger contre la morsure de la faucille. Le propriétaire de la parcelle à moissonner fait appel à eux après négociation sur le montant du salaire, la composition des repas, et l'horaire du travail. Alilou, moissonneur rencontré chez les Branès nous précise à ce propos :

« Avant d'aller au souk pour y vendre notre force de travail au mouqaf, nous préparons doigtiers, salopette et  faucille .C'est là que nous négocions avec le propriétaire du champ à moissonner la rémunération journalière qui varie d'un souk à l'autre. On moissonne le champ en contre partie de l'hospitalité du propriétaire. On fait de même pour son voisin et ainsi de suite en allant ailleurs ; à Oued Amlil, chez les Tsoul, ou les Ghiata. Quand le laboureur engrange ses gerbes, il ressent une joie secrète à moissonner et à rentrer son grain. Il est récompensé ainsi de ses longs et anxieux travaux agricoles. »

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Après dépicage et vannage, la paille est stockée, non pas dans un silo - Matmora - comme au sud marocain, mais dans une meule de paille cylindrique au dôme maintenu par un croisillon de cordes lestées de pierres.

Au moment de la conquête arabe, les plus importantes confédérations de tribus Branès sont, selon Ibn Khaldoun, celle des Âwraba, des Houara et des Sanhaja, qu'on retrouve encore aujourd'hui au voisinage de Taza. Au nord de cette vieille cité maghrébine, la tribu actuelle des Branès n'est que le résidu de l'une des deux grandes familles qui ont constitué la nationalité berbère : les Botr et les Branès. Ibn Khaldoun, revient souvent sur cette dichotomie, qui lui sert à la fois à classer les tribus et à ordonner l'histoire du Maghreb, lorsqu'il évoque les évènements de la conquête arabe à la fin du 7ème siècle. C'est à ce moment là qu'entre en scène le chef berbère Koceila qui appartient au groupe ethnique des Branès et à la tribu des Âwraba. Koceila est l'un des trois héros de l'histoire de la conquête arabe du Maghreb, avec Uqba et la Kahéna. C'est sous son règne que les Âwraba ont résisté à la conquête arabe : Kceila El Âwrabi est à l'origine de la mort d'Oqba Ibn Nafiî. Grisé par sa victoire Koceila s'empara de Kairouan en 683. L'armée arabe le poursuivit jusqu'à Moulouya, et ses soldats Âwraba ne s'arrêtèrent qu'à Volubilis. Beaucoup d'entre eux iront par la suite s'établir dans la région de Taza où on les trouve toujours, dans cette contrée verdoyante du pré rif, où poussent drus l'herbe et le bois épais.

 

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Roman Lazarev

Chez les Branès, la fraction  Awraba est la première a avoir présenter son allégeance à Idris 1er à  son arrivée d'Orient. Les berbères accueillirent Moulay Idris avec enthousiasme, car la croyance populaire en la baraka des descendants du Prophète était déjà bien enracinée au Maroc.C'est cet évènement initial que le moussem de Berria qui se déroule autour d'un olivier sauvage millénaire est sensé commémorer au temps des raisins et des figues. Berria l'arbre géant sous lequel, Moulay Idris aurait reçu la main de Kenza, la mère du fondateur de Fès, est à associer à l'arbre cosmique symbole de régénérescence printanière et d'éternelle jeunesse. C'est en ce lieu même que la tribu berbère des Awraba s'était ralliée à Moulay Idriss, à son arrivée d'Orient, pour diffuser l'Islam au Maroc. Et c'est à l'ombre de cet immense oléastre dénommé « Barria », que chaque 12  août, Les Awraba commémorent pendant une semaine, le passage  d'Idriss 1er par leur territoire à son arrivée d'Orient.  Ce moussem qui commémore un évènement historique inaugurale de la dynastie Idrisside au Maroc se tient chaque mois d'août, durant une semaine entière, comme nous l'expliqua Mr. Abdelkader Zeroual avocat établi à Taza qui fait office de moqadem de Berria dont il est lui-même originaire :

 

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Roman Lazarev

«C'est dans cette région qu'était arrivé Moulay Idris, et c'est ici même qu'Abdelhamid, le chef des Awraba lui avait accordé sa fille Kenza. C'est de là, que Moulay Idris avait entamé sa conquête du Maroc, jusqu'à son arrivée à  Volubilis dans la région de Zerhoun.. Les Awraba qui font partie des Branès, englobent actuellement les communes rurales de Taïnest ,des Gouzate, ainsi qu'une partie de la commune de M'sila. La tribu des Awraba se compose de tout cet ensemble. Le moussem de Berria qui s'y déroule est le lieu de rassemblement des récitants du saint Coran. À chaque fois que la pluie fait défaut, on y procède à des prières rogatoires et à des appels à la miséricorde divine. Durant une semaine entière, toutes les sourates du Coran sont psalmodiées en ce moussem et sous cet olivier sauvage et millénaire. Les gens de tribus y affluent de partout. Ils y sont approvisionnés gracieusement en nourritures. Les offrandes sont accordées pour plaire à Dieu seul. C'est peut-être la seule région du Maroc, où on t'accorde encore l'hospitalité au nom de Seigneur. De sa naissance à nos jours, l'état de grâce, a toujours caractérisé ce pardon de « Barria ». Le surplus d'offrandes en nourritures et en  sacrifices est confié au garant du parvis sacré, pour approvisionner le moussem de l'année suivante. La tribu se charge de compléter l'approvisionnement du moussem. »

 

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Le terme de "Burnous" dérive du nom des "Branès". Un proverbe dit: "Les Berbères sont connus pour trois qualités: le crâne rasé, la consommation du cous-cous et le port du burnous."

C'est sous cet arbre sacré dit-on, que le chef des Awraba aurait accordé sa fille Kenza à Idris 1er. Pour cette raison les Awraba se considèrent encore de nos jours, comme les gendres de Moulay Idris et en tirent une certaine fierté. C'est de là qu'il serait aller fonder la dynastie Idrisside à Volubilis. C'est une coalition de tribus berbères, dont les Awraba constituaient le noyau qui appuya la cause d'Idris 1er. En tout cas, celui qui est connu comme le fondateur de la dynastie  Idrisside au Maroc fut proclamé Imam par les Awraba en l'an 789 d'après ce que nous en dit l'auteur de « Rawd Al-Qirtâs » (le jardin des écritures) :

« L'Imam Idriss, premier imam souverain du Maghreb, se montra en public dans la ville d'Oualily(Volubilis) le vendredi quatrième jour du mois du ramadan de l'année 172. La tribu des Awraba fut la première à le saluer Souverain ; elle lui donna le commandement et la direction du culte, de la guerre et des biens. À cette époque Awraba était la plus grande des tribus du Maghreb ; puissante et nombreuse, elle était terrible dans les combats. De toute part on venait en foule lui rendre hommage. Bientôt devenu puissant, Idris 1er se mit à la tête d'une immense armée composée des principaux d'entre les Zénèta, Awraba, Sanhaja et Houara. » Les Branès possèdent encore la hampe et la soie du premier étendard que Moulay Idris avait confié à ses alliés berbères Awraba à Volubilis.

 

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Roman Lazarev

La plupart des habitants pratiquent l'agriculture de montagne d'une manière générale, ainsi que l'élevage de caprins, d'ovins et de quelques bovins. Leur économie est également fondée d'une part sur l'émigration et d'autre part sur l'engagement dans les rangs des Forces Armées Royales :

« Au départ raconte le retraité, Rouan Abdessalam,  je me suis engagé dans l'armée française, où j'ai passé deux ans en Indochine et deux en Allemagne, pendant l'occupation, jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale.

J'étais né en 1931. Nous avons émigré en France dans les années soixante dix, pour acquérir les devises fortes qui nous manquaient ici. J'ai travaillé en France durant 22 ans. Après la retraite, je suis revenu ici, au Maroc , où nous organisons des fêtes pour tous moussem : celui de Sidi Ahmed Zerrouq, celui de  Barria , ou encore celui de Sidi Othman à Amtghar. A chaque nouvelle année, sa fête. »

« A notre retour de France, nous confie pour sa part le vieux  Allal el Oumali, on se rend en pèlerinage à Sidi Ahmed Zerrouq, que Dieu nous accorde sa bénédiction. A son patronage se rendent de nombreux cavaliers et pèlerins. On se rend aussi à la « Lama de Barria » aux Gouzate. »

La zaouia de Sidi Ahmed Zerrouq jouait un rôle d'étape de caravane entre Fès et Melilla : en effet, la route Fès - Taza allait autrefois jusqu'à Melilla. Florissante au Moyen âge cette voie est citée par Ibn Battouta qui l'a suivi. C'est par elle que s'introduisit à Fès le velours vénitien que l'on y retrouve encore. Si à partir de l'occupation française en 1914, la Zaouïa a perdu son rôle d'étape de caravane, entre Fès et Melilla,  elle continue d'être un lieu de pèlerinage fréquenté au mois d'août par la communauté émigrée originaire des Branès et des Tsoul .En effet, au moussem de Sidi Ahmed Zerrouq qui a lieu au mois d'Août, après la période des moissons, toutes les tribus  affluent. Le moussem qui dure trois jours est animé par les cavaliers Branès, Tsoul et Ghiata. Sidi Ahmed Zerrouq El Bernoussi est né dans la tribu des Branès en 1442. Dans sa quête  du savoir théologique et mystique, son itinéraire est celui des maîtres spirituels de son temps. Après s'être imprégner de l'ordre mystique de la Chadiliya et du savoir théologique de la Qaraouiyne de Fès, il se rendit en pèlerinage au Moyen Atlas auprès du maître Soufi Sidi Yaâla, puis Sidi Bou Medienne de Tlemcen, delà à Bougie où il aura ses premiers disciples.  A son retour de la Mecque , il s'établit dans l'ancienne oasis libyenne de Mestara, où il mourut dans sa retraite en 1494. Pour les amis de la légende, c'est plutôt le fils qui serait enterré en bordure de la Méditerranée en Libye, et c'est le père qui serait enterré ici même, chez les Branès, où sa dépouille aurait été amenée de Fès sur une jument.

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Les monts des Tsoul et des Branès, forment les derniers contreforts du Rif, s'étendent sous l'aspect des plateaux mamelonnés au dessus de la plaine.Pour les Branès, leur territoire se divise en deux parties : la montagne et la plaine. Les Bni Bou Yaâla et les Âwraba habitent la partie montagneuse. Les Taïfa et les Bni Faqous, la plaine (Louta). En partant de Taza nous traversons d'une manière transversale, le pays Branès jusqu'à Taïnest au nord de la tribu Branès : nous passant d'abord par la saline avant d'escalader les mamelons montagneux richement boisés qui traversent  les communes de M'sila, Braha, Taïfa, Traïba et Bni Ftah.On peut diviser les Branès en deux parties : la partie montagneuse et la plaine. La partie « plaine » commence au couloir de Taza - Oujda jusqu'au sanctuaire du grand soufi Sidi Ahmed Zerrouq qui a des racines profondes dans la région. Quant à la partie montagneuse, elle commence au niveau de Sidi Ahmed Zerrouq- M'sila, jusqu'à Taïnest qui constitue le sommet le plus élevé de la chaîne montagneuse et dispose du couvert forestier le plus dense : pin d'Alep,  pin sis, acacia, lentisque, le caroubier. Et dans leurs parcelles ,les vieux sédentaires Branès plantent amandier, pommier,abricotier, ainsi que de nombreux autres arbres fruitiers. Le souk de Had M'sila, avec ses  pics - bœufs perchés aux arbres, constitue la limite tangible entre plaine et montagne. L' humidité élevée, jointe à une température relativement douce, explique les forêts nombreuses et denses : chênes dans les régions basses, cèdres, sapins et pins sur les sommets les plus élevés, thuya enfin dans les secteurs moins arrosés de l'Est.En montagne « l'optimum de peuplement » est vite atteint et dépassé : elle doit périodiquement déverser sur la plaine sa surcharge d'hommes. Ces montagnes qui  fournissent traditionnellement l'armée en soldats réguliers, fournissent en émigrés l'autre rive de la méditerranée.

Les toitures des maisons sont ici recouvertes d'ardoises de schiste. Elles sont de type Jbala, les seuls au Maroc dont le toit est à doubles pentes et recouvert de chaume. Ce qui conforte le sentiment de convergence physique et humaine tout le long de ces massifs :

«  Dans notre région des Tsoul et des Branès, nous dit un moissonneur, après avoir jeter les fondements, les paysans recouvrent leurs toitures en tuiles de pierres. Alors que ceux qui sont riches recouvrent la leur de briques et de béton armé. Nous nous contentons, pour notre part, à retirer du sol des tuiles de pierres. Depuis nos ancêtres et jusqu'à nos jours, c'est la manière de bâtir chez les Branès, les Tsoul, et les Ghiata. »

Ici, chanter c'est semer la parole sage. Le poète, tel le journaliste de la tribu,  traite de toutes les préoccupations de la vie quotidienne : cherté des prix« qui brûlent au souk », pénurie d'eau, sécheresse, ou encore conflit du Moyen Orient.

C'est Mohamed Doukkali qui vous raconte le patrimoine des Branès ; " Leurs chants accompagnent les fêtes depuis toujours. On y joue l'Ahidous comme les Bni Warayen, la seule différence c'est que nous chantons en arabe et eux en berbère. Nous appelons nos déclamations « semence ». Chaque déclamation est suivie d'une percussion Ahidous. » Quoique chantant en dialecte Jebli, les Branès sont ici influencés par le style berbère du Moyen Atlas tout proche. Il s'agit de l'Ahidous, ce mélange de poésie et de danse . Quand le poète fait signe qu'un nouveau chant est prêt, on se tait, on s'arrête.L'improvisation poétique de Doukkali - ce Zajal populaire et savoureux - est une véritable chronique de la vie villageoise. La langue d'expression est arabe, mais le style rappelle étrangement les déclamations poétiques des troubadours berbères du Haut Atlas. C'est que les Branès, situés aux premières marches entre pays Jbala et pré rif , sont eux-mêmes d'anciens berbères précocement arabisés du fait de leur position à la lisière de la trouée de Taza,sur la voie des grandes migrations en provenance  de l'Orient arabe.

Abdelkader Mana

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23:25 Écrit par elhajthami dans Le couloir de Taza | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : le couloir de taza | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Ecriture et pèlerinage

Ecriture et pèlerinage

 

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Abdelkébir RABI’

L’écrivain sédentaire risque toujours de se trouver en panne d’écriture. C’est pourquoi il est impératif de sortir de soi et de son cadre habituel pour pouvoir dire le monde. C’est à cela que nous engage Abdelkébir Khatibi qui prône l’internationalisme littéraire dans son dernier livre « Figures de l’étranger » dans la littérature Française, qui vient de paraître chez Denoël et qu’il présente aujourd’hui vendredi 8 mai 1987 au carrefour du livre vers 16h30 .

Par Abdelkader Mana

Il y a quelques années la presse Française avait rendu compte d’une ethnologie de la France faite par des ethnologues Africains. Avec « figure de l’étranger » de Khatibi, on peut parler désormais d’une critique maghrébine de la littérature française. L’occident n’a plus le monopole d’être le « juge » de l’Afrique ; l’Afrique observe l’occident. Cependant, contrairement à l’ouvrage d’Edward Saïd, qui met en relief les présupposés de la littérature orientaliste d’obédience coloniale ; M.Khatibi a choisi des auteurs positifs – Aragon, Segalen, Barthes, Duras, Genet, Olier – qui se sont tournés vers « l’autre » pour s’enrichir eux – mêmes. Khatibi nous dit : « Il ne s’agit pas de folklore, ni de littérature coloniale imbue du « bon sauvage » ; c’est lorsque l’autre est maintenu, respecté dans sa singularité que je peux être reçu par lui ».

Aller vers l’autre est pour ces auteurs, une nécessité d’écriture : voyager pour écrire est un impératif littéraire. C’est plus qu’un simple témoignage ; c’est un ressourcement dans un autre univers symbolique : « Ce qui peut être visé dans la considération de l’orient – écrivait Barthes dans « l’empire des signes » - c’est la possibilité d’une différence, d’une mutation, d’une évolution du système symbolique » et Khatibi d’ajouter : « …Signifiance sous l’apparence d’une coquille vide ou d’un grain de sable sur une note de musique…C’est un trait, une trace, une sorte de balafre dans le temps ».

La fixité reste stérile aussi longtemps que ne vient pas du dehors la fécondation. Cette fécondation est donc liée à un déplacement. Ce déplacement peut être aussi bien réel qu’imaginaire. Le livre de Khatibi relève du voyage imaginaire comme il le définit lui – même : « Un itinéraire au second degré sur la représentation de l’étranger dans l’imaginaire littéraire Français en particulier dans ce qu’on appel l’exotisme. L’exotisme n’est pas ici un folklorisme de surface mais un secret de toute littérature, de ses paradigmes ».

Revenant donc à l’écriture comme rituel et à son lien avec le pèlerinage : le pèlerinage circulaire comme déplacement ne traduit pas seulement par sa réversibilité une conscience collective figée mais aussi l’idée de renaissance avec l’errance printanière qui vise à hâter la croissance des plantes. L’écrivain – pèlerin vise lui à hâter l’écriture d’un livre où chaque pas est un mot et chaque étape un chapitre. Ceci nous rappel « la légende de Fatumeh » que cite khatibi et dont le Suédois Gunnar Ekelöf nous dit : «  La légende de Fatumeh est composée, à l’image d’un chapelet oriental, avec deux suites encadrées de têtes de serpents, comprenant en tout soixante et un poèmes, qui sont les perles de collier dont Fatumeh est honorée en même temps que les grains de chapelet qui coulent entre les doigts de celui qui l’adore et qui adore l’image de la femme mystérieuse qu’on devine derrière ses traits ». C’est cet amour courtois qui est pour Louis Aragon, dans « le fou d’Elsa » ; « la raison et la déraison d’écrire ». le désir et l’amour sont en quelque sorte, le substratum du voyage ; le feu qui attise la foi du pèlerin.

 

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Abdelkébir RABI’

 

Une sorte de balafre dans le temps

Il faut que l ‘écriture épouse l’itinéraire sacré : qu’elle inscrive le rite dans son « cadre d’or ». il faut que la sensibilité de l’écrivain épouse le cercle du pèlerinage. Car la roue sexuelle et la roue du temps renvoient eux-mêmes aux symboles et à l’initiation érotique et saisonnière dont Mircia Eliade  écrit : « le sexe collectif est un moment essentiel de l’horloge cosmique ». Or aller vers l’autre, nous explique M.Khatibi, suppose quelque part « un jeu érotique ». C’est ce jeux érotique, qui pour Roland Barthes, dans son empire des signes, « fait circuler les signes, les signifiants, les rencontres ». « Cet érotique libère en moi, ajoute Khatibi, une énergie vitale rendu au silence par ma société qui m’a dressé selon la convention, l’ordre de ses convenances… » Il y a un lien entre l’état de l’orgasme et l’état de l’écriture : le retour à la vue et à la vie, au ouïr et au jouir après une longue incubation hivernale, libère l’écriture. Car le corps n’est pesant que par la douleur ; avec la douleur, la conscience elle-même devient « corps ». Par la magie de l’écriture, la conscience tente à nouveau de se dégager du corps. Elle n’est plus tournée sur elle – même obsédée par la blessure du corps : elle s’envole à nouveau libre et insouciante vers l’étranger ; elle voyage vers les territoires éloignés. « Grâce au voyage, nous dit Khatibi, mon énergie prend le large ; elle qui provient d’une circulation de désirs réprimés. Elle est désormais disponible à ce jeu de séduction entre étrangers ».

Un mauvais style n’est pas seulement dû à une mauvaise maîtrise des lois qui régissent une langue mais à l’obstruction du « corps écrivant » ; une espèce de constipation cérébrale : « Une phrase arythmique n’est pas dû seulement au défaut de la langue, écrit Khatibi, mais à une aphasie de muscles, des mains, des yeux et toute circulation émotive ». le corps acquiert ainsi « une souplesse poétique ». c’est en effet, le rêve de tout écrivain d’être justement « un corps artistique » c’est à dire « retrouver par ces moment de l’inouï l’intégrité imaginaire de son être.

 

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Mohamed Kacimi

· Le captif amoureux

S’agissant de Segalen, l’autre instrument de l’écrivain est son bâton de pèlerin : « Le bâton élevé au rang de sa dignité littéraire (qui) ouvre l’imaginaire du poète à la profondeur mythique, à sa transfiguration par l’art entre la prose de l’esthète et le balancement du marcheur ». La nouvelle esthétique d’exotisme que fonde Segalen fait coïncider l’art des randonnées avec les exigences de l’écriture : « Et la marche commence. Car tout ici est monumental, ne se met en valeur qu’avec le concours des pas, du déplacement avec cortège, par une sorte de dynamisme lent…Il y aurait une orchestrique de la pierre, de la brique, du bois chinois…et c’est la danse. C’est l’orchestrique de l’architecture, de ses immuables nomades…C’est moi qui me rendrait vers vous et l’ondulation de la marche dont chacun de vos parvis me sera une étape, vous rendra le rythme des épaules et ses oscillations par où l’on vous animait jadis. Je marcherai vers vous ». Appréciez la musicalité et la préciosité de cette « orchestrique de l’architecture » et la solennité respectueuse de ce : « Je marcherai vers vous ».

Cette exigence initiatique doit permettre à la fois d’achever le rite et l’œuvre. Car comme dit le mythe orphique : « Si les hommes meurent, c’est parce qu’ils ne sont pas capables de joindre le commencement à la fin ». Jean Genet a rempli cette exigence, donc, il n’est pas mort. Avant son décès il écrit :

« Cette dernière page de mon livre est transparente ». Khatibi nous dit : « Il faut lire dernière phrase du dernier livre…dernier livre ? Un livre certes posthume, mais Genet est mort pendant qu’il corrigeait les épreuves. Penché au seuil du néant, il disparut à la marge de son livre ».

Quelque part on écrit donc pour ne pas mourir : « L’œuvre doit résister au temps, c’est pourquoi l’écrivain peut rêver sa survie en tant qu’horizon de lecture », écrit khatibi qui termine son livre par le souvenir de Jean Genet martyre de l’exclusion, enterré à Larache en attendant d’être transformé en marabout vers lequel viendraient les bons fellahs organisant un moussem annuel fait d’effluvent poétiques de la baraka et de trots de chevaux labourant les champs de maïs par leur fantasia : « La publication récente du dernier livre de Jean Genet « Un captit amoureux » m’a été une grâce douloureuse, écrit Khatibi. Ce texte propose la construction d’une figure plus élaborée de l’étranger, celle de « l’étranger professionnel ». Ce dernier champ est l’horizon d’une migration littéraire admirable ». Une migration vers le peuple palestinien au sein de sa douleur : Beyrouth occupée, Sabra et Chatilla détruits… »

 

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Abdelkébir RABI’

Khatibi était l’ami de Jean Genet qu’il a rencontré à Rabat. Jean Genet lui écrivit entre autre ce mot bouleversant : « Je t’en prie, fais ton possible afin qu’on ne désespère pas les pauvres ». Khatibi était aussi l’ami de Barthes dont il nous dit : «  Par le mouvement de la double baguette japonaise, Barthes mettra en circulation la plume de l’écrivain et le pinceau du calligraphe ». S’agissant d’amitié entre écrivains – et écrivains déjà morts – le témoignage de Khatibi ne peut être qu’émouvant : « Il s’agit, écrit-il, de reconstituer le sillage d’une mémoire textuelle sous le regard de la poésie… ». L’auteur nous a doublement ému ; par le parfum des pensée qui jalonnent son œuvre et par le fait qu’il nous l’a envoyé comme on jette à la mer la bouteille contenant un message de poésie adressé à l’inconnu : cet autre qu’on aime parce qu’il est à la fois différent et fraternel. Voici donc au beau rivage, l’esquisse d’un dévoilement. Mais il restera toujours dans cet œuvre pleine comme un œuf, d’autres mystères que chacun peut déchiffrer à sa guise. Ce livre qui nous vient non pas avec « la saison des livres », mais avec la mue du printemps, tient le pari d’être à la fois beau et rigoureux.

Dans son roman Phantasia Abdelwahab Meddeb, manie l’écriture comme le peintre la palette des couleurs pour réaliser des toiles qui ne sont pas lisibles au premier abord pour tout le monde. On trouve là à la fois l’influence du nouveau roman, avec la volonté d’expérimenter la description en tant que telle – la quête du roman n’étant autre chose qu’une volonté de décrire le monde en ayant la certitude qu’aussi minutieux qu’on soit, cette tâche demeure infinie, car le monde échappera toujours – et du courant surréaliste. Non pas dans ce qui est le plus connu et le plus technique du surréalisme : il ne s’agit ni d’écriture automatique, ni du rapport entre réalité et rêve et comment dans ce rapport on aurait à atteindre cette surréalité qui est informée par les deux états de l’être (l’état d’éveil et l’état de rêve)-non pas cela. Mais dans le chapitre six ou sept de Phantasia , il y a une juxtaposition entre la promenade physique du narrateur dans la ville et un cursus culturel que suscite la ville et à partir duquel il y a certaines références culturelles très lointaines, d’habitude très écartelées. Une espèce de visite du musée imaginaire. On ne sait pas si ça a été pour l’auteur une réminiscence, une influence ; on n’en sait rien. Mais disant, qu’il y a une très grande proximité avec les travaux surréalistes. Le jeu du rapport entre la promenade et le cursus culturel dans des textes de Breton comme par exemple « Arcan 17 ». Mais aussi l’idée même de promenade comme le tissus du livre. C’est la promenade au sens strict dans la ville de Paris. C’est un livre de promenade, de flânerie, d’errance…C’est le thème de la flânerie poétique, qui a été entamé par quelqu’un comme Apollinaire, qu’on retrouve dans le premier Aragon et aussi dans certains textes de Breton. Dans  Phantasia , il y a les mots de « phantasme », « fantaisie », « fantasia » et il y a des calligraphies islamiques jetées comme dessins géométriques dans l’espace du livre qui tient à la fois du labyrinthe et du conte oriental. Mais il n’y a pas que la calligraphie arabe : il y a toute une série de graphes étrangers qui sont exhibés comme ça à l’intérieur même du corps du texte ; c’est beaucoup plus pour une question de visibilité ; des choses qui auraient à chatoyer l’œil et indiquer d’une manière immédiate, physique la présence du cursus culturel à l’intérieur du livre. Pour indiquer que le livre est écrit en Français, certes, mais il est toujours nourri par d’autres graphes, par d’autres langues. Car, dans son écriture, et c’est le propre de l’écriture, l’auteur part avant tout de soi-même, de nulle autre personne. Son point de vue, c’est le regard du moi jeté sur le monde. Donc, c’est forcément la maghribinité, l’islamité qu’il y a en lui qui, forcément interviennent. Parce que parlant de lui, il parle de l’espace maghrébin duquel il est originaire, de l’Islam duquel il est originaire. L’Islam et le Maghreb finalement comme mythologie personnelle avant tout, c’est à dire comme les matériaux de base.

Abdelkader Mana

Abdelkébir khatibi : « Figures de l’étranger dans la littérature Française ».éd. Denoël,1987,Paris.

Abdelwahab Meddeb: Phantasia, SINDBAD, Paris, 1987.

Le peintre Abdelkébir RABI’ est né en 1944 à Boulmane(Maroc).

Le peintre marocain Mohammed Kacimi, a disparu le 27 octobre 2003, à l’âge de 61 ans.

Article paru à Maroc – Soir le lundi 11 mai 1987 sous le titre «  Quand l’Afrique littéraire « critique » l’occident : « Figure de l’étranger » de Khatibi : une œuvre pleine comme un œuf ».

23:24 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook