12/02/2012
J’ai choisi l’errance
Raja Mohamed aux premiers escarpements du Haut - Atlas Occidental
Comme on disait jadis « Pline l’ancien », elle s’appelle Tihihite taqdimt(l’ancienne) . Elle réside en ce haut lieu du pays Haha qu’est Aït Daoud. Raja Mohamed, en parfait berbérophone m’a aidé à traduire son poème sur l’errance où elle répond à l’injonction de ce clerc qui lui interdit la musique et le chant, comme au temps des Almohades ! Elle y exprime sa révolte contre des traditions pesantes qui acculent la femme rurale aux travaux pénibles des champs et à la seule fonction de reproduction. Elle s’insurge contre l’asservissement dépourvu de tendresse et surtout contre l’humiliation faite à la femme de vivre sous le même toit que les autres co-épouse d’un mari polygame:
J’implore les miens de ne pas trop m’en vouloir
Les affres d’amour ont brisé mes os
J’implore l’indulgence des miens
Pour qu’ils ne pensent pas à mal ce que j’ai à vous dire..
Il y a maintenant des fous de Dieu qui vous disent :
« Il ne t’est pas permis de diffuser tes chants parmi les hommes ! »
J’ai choisi l’errance et la liberté
Puisque je n’ai pas trouvé le mari
Qui me couvrirait du voile de sa tendresse et de son foyer
Pour y trouver enfin repos et réconfort
Peu m’importe si je serai amener à y moudre les enclos d’épines !
Quand je m’endors, mon cœur s’embrase
Et quand je me réveille, je deviens folle
J’allume alors la lampe à l’huile
Et je me remets à pleurer en me disant :
« Il ne te convient pas de pleurer,
Mais si tu restes là où tu es, tu en deviendrais malade ! »
Dieu m’est témoins, que mes intentions sont pures en revenant au pays !
Je laboure, je moissonne, je colmate les brèches sur les terrasses
Je participe au ramassage du bois, au rinçage du linge au bord de l’oued
Je sue de tous mes pores, sans jamais me plaindre de mes peines.
Si un jour je me marie pour devenir une mère porteuse
Je serais incapable de supporter les contrariétés des co-épouses
Il m’est préférable d’errer avec joie, sur cette terre
Loin des soucis qui oppressent...
J’ai maintenant autre chose à faire
Rien ne peut plus me retenir :
Ni temps, ni argent, ni maison, ni terre
J’ai choisi l'errance et la liberté, puisque tôt ou tard la terre finira par nous avaler
Sur la route d'Aït Daoud, le célèbre souk du miel de thym et de romarin
Raja a proposé de me conduire tôt ce vendredi 10 février 2012 au souk hebdomadaire d’Aït Daoud, pour tenter de rencontrer quelqu'un qui puisse nous introduire auprès de Tihihite taqdimt. Mais une fois sur place on nous a appris qu’elle vit actuellement à Aït Melloul dans la banlieue d’Agadir : comme la plupart des chansonniers du pays Haha elle est ainsi attiré par Agadir qui constitue depuis de nombreuses années déjà, le cerveau musical du pays berbère..
Aux abords d'Aït Daoud des barbelés interdisent désormais le pacage dans l'arganeraie destinée à l'industrie cosmétique en lien avec l'huile d'argan commercialisée ces dernières années à l'international...
De nombreuses vallées demeurent inaccessibles : pour se rendre au souk, les habitants laissent leurs bêtes de somme au bord de la route la plus proche pour prendre ensuite le taxi à l'aller comme au retour: Raja me fait remarquer qu'on aurait pu accorder la priorité à ces routes rurales qui désenclavent le pays profond, au lieu d'investir des sommes colossales pour le future TGV. Il y a en effet, des endroits au Maroc où les gens continuent de vivre encore dans "les cent ans de solitude" de.Garcia Marquez ...Et on ne doit la survie des ânes et autres mulets de ces parages qu'à ce retard dans le programme des routes qui devaient normalement désenclaver ce monde rural, même si le peu de routes qui existent déjà demeurent désertent et on y circule encore quasiment tout seul comme ce fut le cas en Angleterre du temps de Dickens à la fin du XIXème siècle....
Dans cette économie montagnarde, peu monaitarisée et qui confine au troc, tout doit être soigneusement pesé: la moindre marchandise a ici une valeur d'usage et donc une valeur d'échange...
Pour faire leur marché ces montagnards viennent vendre leurs poulets de ferme et leurs oeufs beldi à un dirham trente la pièce...
Comme la plupart des montagnards nous avons acheté deux paires d'oeufs que nous avons fait faire frire à l'huile d'argane chez le cafetier rustique du coin: rien de tel pour réchauffer le corps en ces temps de frimas qu'une bonne et chaude galette de seigle trompée dans cette omelette accompagnée d'un bon thé à l'absinthe (chiba)...
Que vend-on encore pour faire son marché? Des pépins d'argan, des amandes récoltées l'été dernier, des olives...
Pour acquérir de la monnaie nécessaire à tout échange, le paysan vient vendre au marchand de menues quantités d'olives, de menues quantités d'amandes, de menues quantités de pépins d'argane...
Dans cette économie parcimonieuse d'autosubsistance montagnarde, il existe pourtant quelques "grossistes" qui se distinguent par leurs entrepots de marchandises...
Ici s'échangent le sel et les céréales de la plaine d'avec les dattes du désert et les noix de la haute montagne..
Les montagnards viennent surtout ici pour s'approvisionner en fruits et légumes
Le navet est particulièrement prisé en cette période de grand froid du fait qu'il a la réputation d'être "un aliment chaud" dans toute la montagne berbère...
Les fruits et légumes viennent tout particulièrement de la plaine de Sous et des Houara
Les légumes de Sous
Les agrumes des Houara
Artisanat rural, bric à brac et pacotille
De quoi se compose le panier du ménager rural? Car il n'y a pas de ménagère à vrai dire: la femme vient rarement faire le marché à ce souk des hommes.Il existe pourtant un souk des femmes dans le Sous.Mais dans les deux cas la mixité est bannie dans ces sociétés berbères puritaines et conservatrices...
Dans cette société pré-capitaliste où les structures tribales restent prégnantes: on prend le temps de vivre, de discuter de tout et de rien, car le temps n'est pas encore cette denrée rare, cet l'étalon à travers lequel on évalue toute marchandise...
Le temps de flâner sans raison apparente...
Le temps de peser le pour et le contre avant d'effectuer le moindre achat...
Le temps d'acheter de l'encens pour apaiser les esprits qui hantent les seuils et les foyers.
Ustenciles pour puiser de l'eau, rincer le linge..
Ferronnerie et poterie
Tagines et braseros
Clés, haches et soufflets
Charges d'âne ou chouari, tressé en palmes de palmiers-nain ou en plastique
Le palmier nain(doum) pousse avec abondance sur ces montagnes et favorise ainsi la vannerie
Recyclage de fourre tout à vendre...
Rien ne se perd: on réutilise les boutons d'un costume détruit, les braguettes d'un pantalon déchiré, et on se sert des vieux pneux pour confectionner des sandales(boumentel) capable de résister aux pentes les plus abruptes et aux terrains les plus accidentés...
Gros plan sur Boumentel , les sandalles les plus prisées par les montagnards...
Marchand de portables périmés
L'âne, l'inséparable campagnon..
Reportage photographique d'Abdelkader Mana
11:58 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poèsie, haha, haut-atlas | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Je vous complimente pour votre paragraphe. c'est un vrai charge d'écriture. Développez .
Écrit par : cliquez ici | 11/08/2014
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