ABDELKADER MANA statistiques du blog google analytic https://www.atinternet-solutions.com.

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/05/2011

Cap Sim

Les sept vagues de l’aube

652703131.JPG

Essaouira, le 9 août 2003

J’ai marché, marché à n’en pas finir, depuis la baie immense et lumineuse d’Essaouira, jusqu’au-delà du cap Sim, sans rencontrer âme qui vive, hormis quelques tourterelles perchés aux branchages squelettiques et desséchés des mimosas. Car les dunes de sable sont d’une brûlure insupportables. J’arrive enfin à la crique où finit le cap Sim et où commence la baie sauvage et préhistorique de Kawki. C’est à ce moment-là — après m’être baigné dans l’océan glacial d’un bleu turquoise – qu’au bruissement des vagues, et sous le soleil zénithal, j’ai enfin le déclic salvateur : je proposerai à la revue française Immédiatement un article sur la jeune poésie du zajal dans le Sud marocain. Le cap Sim et le Zajal. Béni soit le cap Sim pour m’avoir fait une telle offrande de poésie.

poèsie

 La mer

Je ne l’ai pas trouvée là où elle posait ses mains

Où est partie la mer ce matin ?

Était-ce un poète qui serait passé par là ?

La mouette

Il n’a pas trouvé sur quoi écrire son désarroi

Était-ce un poète qui serait passé par là ?

De deux coquillages,

Une pierre de sagesse me parvient

En se roulant vers moi

Était-ce un poète qui serait passé par là ?

Il se demandait le long du fleuve :

Était-ce

Un poète

Qui serait

Passé

Par

?

poèsie

 Je me suis rendu au cap Sim, puis à Kawki. Cela fait un trajet de vingt-cinq kilomètres à pied par une côte sauvage et magnifique. Bien entendu, je pense très fort à mon père décédé le 14 décembre 2002, qui est à l’origine de mon projet d’écriture : sauver de la ruine, les fragiles empreintes de ceux que nous aimons, c’est ne pas les perdre totalement. Et voilà, qu’à mi-parcours, je tombe sur un coquillage rare dans les parages, et pas n’importe lequel : une nacre . C’est le type même de ces coquillages avec lesquels mon père décorait les tables d’arar (thuya) durant toute sa vie de labeurs, de sueurs et de prières. Chez les Argonautes du Pacifique occidental aussi, la circulation des coquillages souleva (blanc) et mwali (rouge) signifie, d’une certaine manière, le retour de la mémoire des morts. Pour quiconque, une telle rencontre nacrée est simple coïncidence, pour moi, c’est l’esprit toujours vivant de mon père, qui m’envoie ainsi ce message cosmique pour apaiser ma désolation et ma solitude.

 

poèsie OUI, « l’instant est une coquille de nacre close ; quand les vagues l’auront jeté sur la grève de l’éternité, ses valves s’ouvriront. » Shoshtari

Un peu plus loin, au milieu du cap Sim, je découvre une plante médicinale du nom vernaculaire d’ajebbardou, que deux jours auparavant, ma mère m’avait réclamée : on malaxe cette plante charnue avec de l’huile d’olive et l’on s’en enduit le corps pour se débarrasser des mauvais esprits — les esprits du vent qu’on nomme ariah ou on la met sous l’oreiller d’enfants souffrant de cauchemars. Ma mère souffrait d’hallucinations dues à une tumeur au cerveau et elle en a besoin pour cette raison.

 Les deux messages cosmiques signifient aussi que mes racines profondes se trouvent dans ces lumineux rivages et que, partout ailleurs, je pourrais peut-être gagner plus d’argent mais serais toujours comme une nacre hors de l’eau, une plante hors de sa terre nourricière.

 Essaouira, le 10 août 2003

Face au crépuscule et au hadir (grondement de mer) mon ami Raji me fait de vive voix le récit de ses poèmes dont celui dédié à ces marins que les femmes attendent au rivage et qui ne reviennent jamais :

Chaque vague est un ancien pêcheur

Mort de noyade

La vague peut-elle se noyer en elle-même ?

La mer est plus longue qu’une canne de pêcheur

Ce n’est pas moi qui le dis

Ce sont les fuites d’eau au travers des mailles du filet.

poèsie

  Métaphore des espèces en voie de disparition en ces parages — algues, poissons, arbres, hommes, culture — la grande coupe de forêt à laquelle procèdent des bûcherons aux environs du cap Sim : des mimosas et des eucalyptus qui ne fleuriront plus cette année. Les bûcherons brûlent tout, sauf ce genre de thuya, qui pousse aux abords de l’océan, parce que contrairement au thuya de l’Atlas, dont se servait mon père en tant que marqueteur, il ne repousse jamais après la coupe.

poèsie Se faufiler au milieu des chèvres qui ruminent parmi les arganiers, voilà en quoi consiste la volupté sauvage du lieu. Mais pour combien de temps encore ce sanctuaire incarnera-t-il les rêves — poètes de notre farouche adolescence ? Déjà des gîtes d’étapes y sont aménagés, des dunes y sont labourées par des cohortes de touristes à motos, à chevaux et à faux méharis de cirque.

Entre les racines du cœur et l’esprit de la terre

L’arbre déteste la hache

Et le visage du bûcher

Il préfère le serpent multicolore

Qui glisse comme le désir sur sa peau

 Brûlure du midi au cap Sim, fraîcheur des algues à la lisière des eaux douces et des eaux salées, envol d’oiseaux de mer au gré des alizés esprit de la terre qui nous rattache aux morts, à nos morts ; brûlure des interrogations, déracinement des hommes.

 Lundi 18 août 2003

Journée lumineuse. Abondants arrivages au port. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Essaouira est port méditerranéen sur l’Atlantique. Non seulement en raison de son histoire ancienne de port-relais entre les caravanes de Tombouctou et les caravelles de la lointaine Europe, mais aussi en raison des mutations en cours : tout ce que compte la médina de beaux riads est désormais entre les mains de résidents venus de l’autre rive et de l’autre vent. Le pouvoir brutal et imperceptible de l’argent.

poèsie

  Un sentiment de dépossession semble s’être emparé des natifs de la ville vendue au plus offrant. Ils se sentent marginalisés, expulsés de leur propre ville. Hors jeux. Même la culture — ou plutôt ce qui en tient lieu, en termes de communication version marketing  y est désormais animée d’une manière extravertie. Le fait d’être un Ould Blad (enfant du pays), ne vous donne aucune légitimité pour bénéficier des substantielles prébendes du sponsorat que génèrent des festivals forcément internationaux. Au contraire. Tout ce qui dans le local ne peut pas rimer avec le global est exclu. Ainsi les Gnaoua riment avec les musiques du monde, par rapport à ces gens de l’ombre que sont devenus les Hamadcha, les Aïssaoua et autres musiques de l’extase. La reconnaissance de la culture locale est désormais tributaire de la mode et de l’esthétique dominante au niveau mondial. Tout ce qui n’est pas moderne dans le local est destiné au Musée de l’ethnographie, lui-même relégué aux oubliettes de l’histoire depuis 1989. Développement local sans la participation des locaux. C’est cela aussi, la mondialisation.

poèsie

 « On a vendu les clés de la ville », disait mon père.

On a vendu la ville tout court  et ô suprême dérision, au nom de la sauvegarde même de la ville ! Le tiers des maisons de la médina est désormais aux mains d’Allemands, de Bretons, d’Italiens, de Danois, d’Anglais, d’Américains. Il y a même une Zimbabwéenne blanche, toujours élégante, par-delà les âges.

Et la vente aux enchères continue ! Ici, les gens sont pauvres, m’explique un courtier de la ville, lorsqu’ils entendent cent millions de centimes, ils cèdent immédiatement leur maison. Des quartiers entiers sont maintenant occupés majoritairement par des Européens. Bientôt, il va falloir un visa aux Marocains pour accéder à la médina…

poèsie

 Pour le moment notre vieille maison n’est pas à vendre. Par le passé, elle appartenait au négociant Touf El Âzz, l’un des actionnaires du bateau à voile Le Prophète qui reliait Essaouira à Marseille.

Avec la bataille dite d’Isly, qui préfigurait au Maroc la pénétration capitaliste et coloniale, les habitants ont pu retrouver après l’accalmie leurs maisons et leur culture. Avec la mondialisation, les nouvelles règles du jeu édictées par l’OMC et l’argent - roi – tout est à vendre l’ethnopeinture des artistes « singuliers » comme les plus belles filles de la ville, les habitants risquent de ne plus retrouver ni leurs maisons, ni leur culture. Quand les écarts de niveau de vie confinent à la provocation, comment les échanges « psychologiques » peuvent-ils être équilibrés entre l’autochtone et l’allogène ? Des Souiris de souche disent qu’ils sont reçus avec moins d’égards que les résidents européens par les autorités de tutelle. Vraie ou fausse, une telle perception est la traduction d’un climat qui rappelle une urbanité de type colonial.

 Morts sont les gens du Rzoun, cette compétition chantée, ce charivari carnavalesque, qui opposait jadis, à chaque nouvel an, les deux clans de la ville : les Béni Antar, ces gens de la mer et de l’Ouest, aux Chebanates, ces nomades du désert, du feu et de la terre. Avec la disparition du Rzoun, c’est un peu des repères de la ville qui se perdent :

 Permettez-moi donc d’avouer

Les soucis qui m’oppressent

Et si je meurs, que personne ne me pleure

Mais quel est votre chef ô Chebanate ?

Osman à la tête bossue

Et à la bedaine serrée d’une cordelette ?

Et qui est votre chef Ô Béni Antar ?

Ali Warsas traînant au port son chien

Éternellement sur son âne ?

poèsie

 

 Le modèle culturel urbain est menacé de disparition, en tant que corporation d’artisans, en tant que confréries religieuses, en tant que communautés de voisinage et de sentiments.

Devant le chalet de la plage, une sculpture de Miloudi à la signification sans équivoque : « Main basse sur la ville ». Le patron du chalet de la plage n’en revient pas des spéculations en cours :

 " Les Européens arrivent ici avec un petit capital, achètent une maison, la transforment en restaurant, et la revendent quelques années plus tard à dix fois son prix. Et dire qu’ils sont venus « investir » !.

 De démographiquement majoritaires, les habitants de la ville sont devenus psychologiquement et politiquement minoritaires. Il est d’ailleurs significatif que  Dar Souiri ait été en même temps le siège du Centre culturel français, en attendant qu’il soit transféré à la vieille demeure où l’explorateur Charles de Foucauld fut reçu en 1884 par un orchestre andalou animé par des musiciens juifs et musulmans, dont le chantre mogadorien David Iflah… À Essaouira, les pouvoirs — à commencer par celui du Makhzen — sont toujours venus d’ailleurs.

Partout s’installent des bazaristes venus du Grand Sud. Dans une ville-bazar. Il n’y a plus d’artisans incrustant la nacre dans les essences de l’Atlas. Les artisans meurent, émigrent ou noient leur chagrin dans le vin.

poèsie

 Je passe devant l’atelier de mon père : fermé.

Celui d’Amseguine, le maître des rebouteux, également.

Celui de Ba Antar avec ses tables d’arar aux dessins géométriques et floraux complexes, aussi.

Les grands maîtres de l’artisanat local morts, ne reste plus qu’un immense bazar. Les Rifains en nouveaux seigneurs du port, les Sahariens pour les bazars, et les Européens pour les riads, voilà la nouvelle configuration du peuplement d’une ville où il faut être désormais du tourisme ou ne pas être.

poèsie

  De « carrefour culturel », Essaouira n’est plus qu’une station balnéaire, où la plage – le convivial taghart de notre enfance, jadis dédié aux compétitions sportives entre quartiers est désormais vendue aux résidents d’hôtels de luxes et quadrillée de policiers, à moto, à cheval et à pied, et le soir venu, violemment éclairé par de puissants projecteurs : surveiller et punir… Il est loin le temps où les femmes venaient se débarrasser du mauvais sort, aux sept vagues de l’aube, le temps où des devineresses berbères prédisent l’avenir en écoutant des térébratules fossiles, le temps où l’on n’osait pas s’approcher des vagues les nuits obscures, de peur d’être frappé par les déesses de la mer. Bref, il est loin le temps des ensorcellements et des mystères. Voici venu le village planétaire des marchandises… et des rencontres virtuelles des solitudes.

poèsie

 Seul le mellah, le quartier juif, taudifié et en partie effondré, échappe encore à cette balnéarisation mondialisée, parce que trop exposé aux embruns. Mais guère pour longtemps… Au mellah un flot de touristes est invité par un guide à visiter une vieille maison juive sur laquelle est écrit :

« Cette maison est à vendre : porte ouverte à l’acheteur ». C’est au pied de cette même maison témoin d’une période révolue qu’un jour, vers le coup de seize heures, alors que je m’amusais avec les enfants de Papes  qui possédait le bain maure du même nom, où en 1949 Orson Welles avait tourné des scènes d’Othello  que par un cri déchirant, j’avais découvert pour la première fois la séparation et la mort… La juive qu’on voyait toujours avec son mari au balcon, avait brusquement surgi à sa fenêtre, éplorée, se frappant la poitrine : elle venait de perdre pour toujours le compagnon de sa vie, et pour nous, le voisin d’une autre vie, d’une autre ville… Le mellah est maintenant mémoire béante ouverte sur le ciel et le vent, en attendant son improbable sauvegarde par l’UNESCO.

poèsie

 Le Mardi 19août 2003

Ni ciel, ni mer, un seul bleu éclat de lumière. Au fond de la baie, un pêcheur retire son filet vide de l’océan et de l’azur. De mon oncle paternel – Da Omar le coléreux poissonnier adepte de la confrérie disparue des Aïssaoua, mort une aube des années soixante-dix, il se souvient encore. Cela me rassure, que notre nom ne soit pas totalement éteint, puisque la baie s’en souvient toujours. Le vieux pêcheur fournissait mon oncle en captures d’une baie jadis poissonneuse :

- Au lieu-dit « Ma Lahlou » (eau douce, là où une source jaillit à la lisière des vagues, où se désaltèrent les récolteurs d’algues), je pouvais prendre dans mes filets, jusqu’à soixante-dix kilos d’ombrines et de loups. L’ombrine ne coûtait qu’un demi -dirham le kilo, et guère plus de trois pour le loup. La sargala (la bonite) qui a disparu des parages, on la jetait aux chats.

poèsie

 Sous la roue de sa bicyclette jetée à même le sable, gît l’unique capture du jour : une pauvre serelle. Où sont passés les poissons ?

- En vingt-quatre heures, je n’ai rien pêché. Mais celui qui a trouvé sa gana – terme utilisé par les artisans locaux dans le sens de « disposition d’esprit propice à la création » - en travaillant avec la mer, ne peut plus travailler avec les hommes.

Au moment de nous quitter, il m’offrit la serelle :

- Tu trouveras plus loin de quoi la griller.

 Je lui offre pour ma part une grappe de raisin. Cette année, les raisins sont certes aussi sucrés et charnus que d’habitude, mais leur taille est anormalement petite. La sécheresse en est la cause, mais aussi les rejets chimiques du complexe phosphatier de Safi, qui auraient affecté les oliveraies de la plaine atlantique et les fonds marins. Un ânier nous offre le feu :

 - Ne me remerciez pas, ne sommes-nous pas enfants de la même ville ?

- Nous sommes la ville elle-même, lui rétorque Raji. Nous sommes son sourire amer quand elle se dénude face au miroir. La ville, c’est du ciment mêlé au secret.

- Quel secret ?

- La peur du silence au fond de la nuit. Mon ombre et ton ombre effacées.

La mer gronde sous le vent et déjà l’homme à l’âne n’est plus que mirage au fil des dunes.

« Le monde est tout ce qui arrive », disait Watsenstein.

 Et ce qui nous arrive en ce moment est d’être là, face à nous-même et à ce fantomatique cormoran étalant ses ailes noires sur les rochers à la lisière des vagues :

- L’ombre s’efface, constate Raji. Mon ombre et ton ombre effacées. Nous ne sommes que des fantômes invisibles.

poèsie

  Lieu de communication et d’écriture, karkora, le tas de pierres sacrées que la mer couvre et recouvre au gré des marais et des saisons. Parole de récolteur d’algues :

- Il faut récolter une grosse quantité d’algues, pour avoir une galette d’orge.

Et pour retrouver la paix de l’âme, le violon bleu cherchera en vain la femme, pour jouer sur sa poitrine la musique des flux et des reflux des nouvelles lunes…Une musique douloureuse, sur la trace de ceux que nous avons aimés et que nous n’avons jamais retrouvés. La mer et l’amour ont l’amer en partage, m’écrit Falk. Et c’est le légendaire aède berbère qui le dit :

De tous ceux qui sont passés

Hélas, tu te souviens,

Tu connaîtras que la vie n’est rien qu’un chemin

Au port, le patron du restaurant  Coquillages un ami d’enfance  me promet une sortie en mer, avec un sardinier ou un chalutier, le vendredi ou le samedi prochain. Un Raïs rifain me recommande vivement le chalutier Azzam II (quelque chose comme « le deuxième souffle »), d’une part, parce qu’il parcourt plus de milles qu’un sardinier, et d’autre part, parce qu’on y mène une véritable vie sociale à bord. Une ultime raison me décide : le chalutier lève les amarres à l’aube.

poèsie

  Le vendredi 22 août 2003

Aux affaires maritimes, on ne voit pas d’inconvénient à ce que je sorte en mer avec le navire de mon choix, à condition qu’on m’enrôle sur la liste d’un équipage…

Quatre heures du matin largua d’ici éclate de rire Abahhû croisé à la porte de la marine, qu’on encensait jadis pour apaiser les esprits de la mer. Dans le subconscient maghrébin, la mer est toujours synonyme de mort.

- C’est quoi « largua » ?

- Larguer les amarres en espagnol.

- Te souviens-tu de sargala ?

- Nous l’appelions « poisson juif », parce qu’il était très apprécié au repas du shabbat. Les Français l’appellent « bonite », je crois.

- Ça fait des lustres que ce sargala a disparu ?

- On le retrouve plus qu’aux rivages du Sahara, du côté de la Mauritanie. Une espèce en voie de disparition au même titre que d’autres poissons migrateurs.

Raji s’enthousiasme pour mes projets d’écriture en haute mer :

Le poisson ne se lave pas le visage le matin,

La mer est son visage lavé.

Depuis ce blanc sel, depuis ce bleu éternel

poèsie

 Avant que les portes de la ville ne se ferment le soir, une femme grimpait au sommet du vieux figuier pour scruter à l’horizon l’improbable retour du bien aimé, mort de noyade. En vain, elle adressait ses folles suppliques à la nuit et à la mer :

La mer est le marin lui-même

Toi, la veuve, ton mari n’est point mort

Il est redevenu vagues

Car, terrien, il ne l’était que par erreur

L’âme de la lune attire la mer vers les vagues

Ton mari n’est pas mort

Il est revenu au bleu originel des vagues

Il est revenu au blanc-sel originel

À l’infini itinéraire des éternités

Ô veuve, ton mari n’est pas mort !

Terrien, il l’était par erreur

Seule la mer est à même de rectifier

Les généalogies et les origines

Pourquoi grimpes-tu donc au vieux figuier ?

Qu’il soit à Bab Marrakech ou à la porte de la marine ?

Les racines de cet arbre vont te murmurer ses nouvelles

Tel le vieux voyant de la ville

Qu’est moi-même avant de naître

L’arbre est le mirage de l’âme secrète

De la mer dans un coquillage

Ce qui scintille au lointain horizon

N’est pas la chandelle qui illumine ce cap Sim

Mais l’âme éternelle du marin

Au plus profond des vagues

 La peur du grand large, chacun l’exorcise à sa manière, moi par l’écriture, mon frère Majid par l’achat d’une arganeraie, juste avant son départ pour la France. L’écriture et la terre, c’est pour partir sans jamais partir.

poèsie

  Le samedi 23 août 2003

1 h 30. J’ai peu dormi. Le jeune mousse m’avait demandé de me présenter au port à 2 heures du matin. C’est la première fois que j’accompagne un chalutier en haute mer. Et si je n’en revenais pas ? Ces derniers temps un paquebot aurait heurté au Sahara un chalutier : tous les marins sont portés disparus. Je pars avec de l’eau, des raisins et des figues. Il va falloir se couvrir, car froide est la haute mer. La ville dort encore. Elle est silencieuse. Mais une fois franchie la porte de la marine, énormes grondements de moteurs :

Le grondement des navires lointains

Nostalgie de qui à qui ?

La plupart des équipages quittent les cales où l’on s’endort, allument les lumières, s’activent sur les ponts, mettent simultanément les moteurs en marche. Le port s’endort. Le port se réveille. J’arrive à temps : le chalutier Azzam II où je suis enrôlé est toujours à quai. Le jeune mousse vient me souhaiter la bienvenue à bord.

 - Tout l’équipage est au courant que je suis du voyage ?

- Bien sûr, on t’a enrôlé in extremis, alors que la Marine fermait déjà ses portes. Sans quoi vous seriez resté à quai

 On ne larguera les amarres qu’à l’approche de l’aube. On ira du côté de cap Sim, qu’on appelle aussi « trou espagnol », parce que les navires s’y mettent à l’abri des tempêtes. Si je retrouve ainsi le cap Sim, c’est signe que je suis en train de prendre le bon cap. En haut des mâts, j’entrevois le croissant de lune. Il fait sombre. De petites barques quittent le port. C’est pour la pêche à la langouste. Les mouettes survolent les bateaux en éternelles gardiennes du port. Et de Raji me survient ce poème :

 À l’oiseau couleur d’âme

Des battements d’ailes

En guise d’à-Dieu.

On ira loin, plus loin que le cap Sim.

Légère brise, « cette chevelure du vent » qui scella mon amitié au jeune poète :

 Pour apaiser ses gémissements

Elle peignait la chevelure du vent

Le coquelicot n’est que brise

Si son parfum n’était si fort

L’abeille amoureuse l’aurait dédaigné

Ô mon fils, lui a-t-elle dit

Quand on a annoncé au coquelicot

Qu’on doit lui couper la tête

Le coquelicot enlaça et embrassa son propre sang

Au coquelicot les rites funéraires furent des noces

Ô mon fils lui a-t-elle dit

La mer, sa magie et sa grâce

On a cru pouvoir l’enfermer dans un cercueil

Mais sa veine déborda d’une blessure salée

Et brisa le cercueil

La mer, ne la fait pas monter par une canne

Ne la fait pas monter au bord d’un hameçon

Laisse la mer à la mer

Laisse la mer à sa guise

 « Pour la pensée, les signes ont la même importance qu’eût pour la navigation, l’idée d’utiliser le vent afin d’aller contre le vent », écrivait le mathématicien autrichien Gottlob Frege. L’idée d’utiliser le signe pour aller contre l’amnésie et la mort. C’est en cette même heure sombre de la nuit, que mon père nous a quittés : il parvint dans un dernier souffle à prononcer le nom qu’il m’avait donné. Les prières augmentent les lumières des étoiles, et jettent un pont par-dessus la mort.

poèsie

  Quelle idée blessante fait tourner le sable ?

Les vides de son hémorragie

Sont cousus par la montée écumante du sel.

Quelle idée blessante fait tourner le sable ?

Ce qui te fait gronder ô mer

N’est pas la mer

Ce sont les blessures du martyr Hallaj

Quelle idée blessante fait tourner le sable ?

Mille et un clapotis de rames l’apaisent.

On s’active sur le pont. Hormis un marin autochtone Chiadma, tout l’équipage est d’origine rifaine. On prépare les filets, on actionne le treuil, on largue les amarres. Il est exactement 3h30, quand Azzam II s’engage dans la baie sombre. Derrière nous la ville dort encore. Mer calme tant que nous sommes dans la baie protégée de la houle par l’île au large. Mais une fois franchie cette barrière, vertige tant que durera le cap vers le sud. Au sombre firmament, le croissant de lune. L’équipage rejoint à nouveau la cale pour dormir. Le chalutier vogue par-dessus les grosses vagues, en draguant le filet à vive allure : racler les fonds marins de sorte qu’au passage les poissons se trouvent pris au piège.

Tel un cancre aveugle

Le marin libère la lune de ses filets

En point d’interrogation ( ?)

Maintenant la proue ne pense qu’à l’hameçon

La mer est un hameçon

Qui dort

Dans la tête

D’un homme bleu

Il lui arrive de pêcher, des poissons dont il ne connaît même pas le nom

La mer perdue,

La mer qui n’a laissé aucune trace,

Renaît en permanence sous forme de poèmes,

Qui lèvent leur chapeau à sa majestueuse étendu bleu

poèsie

 Au levé du jour, bleu d’azur, bleu profond, une caravelle se pose sur le mât. Une lourde charge ralentit le dragage. Était-ce une grosse prise ? Une de ces baleines qui hantent les parages ? De soixante-seize brasses de profondeurs, on retira finalement une énorme météorite. Des poulpes, des crabes, des coquillages, des dorades et des sérails frétillants. Le Raïs décide de rentrer au port. Entrer en mer, c’est mourir. En sortir, c’est renaître. De quelle lumière est l’horizon ? La mer l’a surpris de nuit, par un coup de pinceau couleur d’azur.

poèsie

 Le soir de mon départ pour Casablanca, la campagne électorale bat son plein. Elle ne me concerne point. J’apprends le décès d’Abdelaziz, le dernier infirmier des Béni Antar. Il vivait reclus depuis longtemps. On l’a enterré presque incognito, alors qu’il y a quelques années toute la ville aurait suivi son cortège funèbre. Avec lui, c’est un peu d’Essaouira de notre enfance qui meurt. Et puis ce terrible Haïkou de mon ami Raji :

 Dans les innombrables urnes

Un seul mort

Le pays

Cette terre où nous sommes nés, nous appartient-elle toujours ? Avant l’écriture et après l’écriture, le silence.

 Abdelkader MANA

poèsie

21:39 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poèsie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

28/09/2010

La porte du Sahara

Tariq Lamtouna : la voie des Almoravides

tariq.JPG

Maintenant encore, les lettrés se souviennent de l’itinéraire des Almoravides à Travers le Sahara. Itinéraire que suivra six siècles plus tard l’expédition de Moulay Ismaïl. C’est le tariq lamtûna , qui par Tindouf a mené le contingent Almoravide sur l’emplacement actuel de Chenguite, en Mauritanie. Abdellah Ibn Yacine impulsa le mouvement, mais c’est Youssef Ibn Tachfîne qui fut le véritable fondateur de la nouvelle dynastie qui, après avoir créer Marrakech en 1062, conquit le Maghreb et l’Espagne.Depuis les Almoravides, Tariq Lamtûna, la route transsaharienne, a toujours été le nerf de la politique des dynasties marocaines. Et les tribus nomades ont toujours traversé les immensités désertiques pour aller à la rencontre des sédentaires de l’oued Noun, de Sous et au-delà , des plaines côtières du Maroc. Depuis les Almoravides, Tariq Lamtouna , la piste impériale du désert fut parcourue par les marchands Arabes et Berbères, en particulier ceux de Sous pour propager l'Islam en Afrique Noire. Tariq Lamtouna qui traverse le pays des moulathamounes , les hommes voilés du désert, a toujours été le cordon ombilical qui relie le soudan au bassin méditerranéen à travers le Maroc, qui a toujours puisé ses énergies vitales de ses racines africaines. Ce n'est pas seulement la musique ou la naissance de ses dynasties, mais c'est des pans entiers de l'identité culturelle marocaine qui ne peuvent être intelligibles, sans la prise en considération de la dimension saharienne et africaine du Maroc
taghezza.JPG
Autrefois le commerce transsaharien était prospère chez les Tekna: il les menait par Smara, Tindouf sur Tombouctou et sur la côte par Adrar, Tichitte et Wallata au fleuve Sénégal. Cette dernière piste était surtout utilisée pour le trafic des chameaux. Et en direction du nord les Tekna fréquentaient les souks et les moussems du Bani et de l'Anti - Atlas; le Sous, Marrakech, Essaouira et même les plaines côtières.

oasis.JPG

oasis1.JPG

oasis2.JPG

Au milieu de paysages dénudés qui annoncent déjà le désert, des oasis sporadiques émergent ça et là, comme dernier refuge d’une culture qu’irriguent de multiples courts d’eau descendant des derniers contreforts de l’anti – atlas pour former le fameux oued Noun qui donne son nom à tout ce Maroc présaharien. Au-delà de l’anti-atlas , s’étend une vaste zone semi – désertique  où voisinent les montagnes et les oasis . C’est le Maroc saharien. Quelques greniers collectifs comme ceux d’Imtdi , fraction des Aït Harbile, reflètent la vieille tradition villageoise du Sous extrême. Ce sont des greniers à caractère de citadelles imprenables construites souvent sur un éperon rocheux. Ces Agadirs inaccessibles servent de magasins pour des tribus semi – pastorales. Ils se dressent encore émouvants à chaque piton rocheux du Bani dont la chaîne étroite et vive comme un arrêt, veille le long du désert.

g.JPG

g1.JPG

g2.JPG

crénau.JPG

te.JPG

Grenier collectif d'IMTDI, fraction de la tribu des Aït Harbile

C’était un rempart naturel , au lieu même où deux mondes se rencontrent ; celui des nomades avec les sédentaires. Les oasis du Noun et du Bani , constituent la limite et la frontière du pays des sédentaires et des nomades.Mais aussi le lieu de rencontres et d'échanges, comme en témoigne Brahim Assaka chez les Aït Harbile:

assaka.JPG

Mahfoud Amangar et Brahim Assaka chez les Aït Harbile

"Nos aïeuls allaient à Tindouf. Ils y vendaient sel et dromadaires. Ceux de là bas venaient pour acheter nos céréales et nos ovins. Mes parents que Dieu ait leur âme allaient au moussem de Tindouf. Le trajet nécessitait une dizaine de jours environ. Moi-même je me suis rendu à Tindouf, en 1968, 1969, 1970. On amenait nos légumes à ce moussem d'où on ramenait dromadaires, tissus et quincailleries. On y vendait, on y achetait. Tout allait bien. Le moussem de Tindouf avait lieu le mois de mai. Les gens s'y rendaient pour en ramener des marchandises. Il passaient par Assa, Zag et puis Tindouf.".

Amhirich au sud de Goulimine, le principal souk régional de l'oued Noun 

amhirich.JPG

amhirich1.JPG

carottes.JPG

amhirich4.JPG

Amhirich5.JPG

Amhirich au sud de Goulimine, est le principal souk régional nous assure Mahfoud Amangar de cette même tribu des Aït Harbil :« Les gens du Sahara s’y rendent ainsi que ceux de Mauritanie et du Mali. On y vient de Dakhla, de Smara et de Laâyoune. Ceux de l’intérieur s’y rendent aussi , d’Agadir et des Doukkala ».

chamelier.JPG

chamelier2.JPG

En déambulant dans ce souk, un nomade qui y vend tout un troupeau de camélidés nous déclare: " Ces dromadaires sont exportés vers l'intérieur du Maroc, vers Essaouira chez les Chiadma . Là, ils sont élevés, engraissés, puis on les ramène vers l'oued Noun. Le point de départ reste le Sahara, ce souk de Goulimine en particulier.Toutes les tribus Tekna viennent ici: les Aït Lahcen, les Rguibat, les Aït Oussa, Iggout, Oulad Tidrarines, Oulad Dlim, les Âroussiynes.

coq.JPG

coq1.JPG

coq2.JPG

coq3.JPG

coq4.JPG

Toutes les tribus font leur marché à Goulimine." C'est au cours de ces foires fréquentées par les Sahraouis et les tribus de l'Anti - Atlas que se font les transactions les plus considérables. En particulier sur les caprins et les bovins des Aït Baâmrane et les dromadaires du Sahara, à telle enseigne qu'on désigne Goulimine comme le souk aux chameaux par excellence.
Amhirich6.JPGAmhirich7.JPGAmhirich9.JPGEn effet, Goulimine, considérée comme la porte du Sahara est actuellement le marché le plus important où nomades et sédentaires échangent leurs produits. Tous les Tekna sont plus ou moins commerçants mais ce métier est surtout celui des Ksouriens et plus particulièrement des Aït Moussa Ou Ali, la tribu des Oulad Bayrouk. Les moussems annuels les plus connus de la région , outre celui des chameaux à Goulimine, il y a ceux d’ Asrir et du Ksabi, oasis qui avaient joué un rôle important de lieux d’échange entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne.

ksabi.JPG

La vallée de Noul et la ligne du Bani, servent de lieu de rencontre aux populations de l'Anti-Atlas avec celles du Sahara. Rien d’étonnant que les villes se soient succéder au cour de l’histoire dans cette vallée : Noul Lamta, des Almoravides, Tagaost à la fin du Moyen Âge, Goulimine au 17ème siècle ont été les grands centres du commerce saharien. Si toutes les tribus situées au nord du Noun et du Bani ont gardé leur parler Berbère, les tribus Berbères situées plus au sud, comme les Aït Oussa et Iggout el Ghozlâne, incessamment mêlés aux arabes Maâqil du désert depuis six siècles ont adopté le dialecte hassani . Abdellah Ibn Yacin , fondateur de la dynastie des Almoravides, qui avait entrainé dans son irrésistible équipée les Lamtouna vers l'unification du Maghreb et de l'Andalousie était lui - même un Guézouli, originaire du Sous extrême.

tour.JPG

Il suffit de parcourir 12 kms au sud de Goulimine pour arriver dans la palmeraie d’Asrir. Les historiens concordent pour dire qu'au dixième siècle, sur l’emplacement actuel d’Asrir, se trouvait la ville de Noul Lamta . Lorsqu’au 11ème siècle , les Berbères Sanhaja partirent de l’actuelle Mauritanie à la conquête du Maroc, où ils devaient créer l’Empire Almoravide et bâtir Marrakech, Noul Lamta fut prise et ses nouveaux maîtres y établir un atelier monétaire. C’était un gros marché où l’on fabriquait des boucliers réputés en peau d’antilopes et qui servaient de tête de ligne aux caravanes qui traversaient  le désert. C’est sans doute de cette lointaine époque que datent les qualités commerciales des gens de Noun. Une fraction Lamta, habite encore aux environs de Fès. Au début du 11ème siècle, ils semblent dépendre de Abdellah Ibn Idriss, le fils du fondateur de Fès. Venus de Tunisie, les Arabes Maâqil atteignirent leur pays en 1218. Les deux fractions Lamta s’incorporèrent alors à un groupe de la tribu Maâqil des Bni Hssan et l’ensemble prit le nom de Tekna. Selon diverses sources historiques, Noul Lamta aurait pris fin avec l’avènement des Almohades qui avaient ainsi éliminer les Lamta en tant que fer de lance des Almoravides.

noul2.JPG

noul3.JPG

Vestiges de Noul Lamta, l'Almoravide au Sud de Guelimine

Lorsque la ville de Noul Lamta l’Almoravide s’effondra au 12ème siècle sous les coups des Almohades, c’est Tagaost, qui existe encore sous le nom de Ksabi qui allait jouer un rôle important dans le commerce transsaharien . Léon l’ Africain qui séjourna treize jours dans cette ville en 1513 pour y acheter des femmes esclaves la décrit en ces termes :

noul1.JPG
Tagaost au sud de Goulimine
 « Les femmes de Tagaost sont très belles et gracieuses . Beaucoup d’hommes sont bruns parce qu’ils sont nés de blancs et de noirs. Tagaost est une grande ville, la plus importante qu’on trouve dans le Sous. Elle fait 8000 feux. Elle est construite en pisé. » Au temps de Léon l’Africain, les marchands de Tagaost, envoyaient à Tombouctou et Wallata des draps tissés avec la laine des brebis de la région. En s’introduisant dans le Noul, les Espagnols voulaient conquérir le monopole du commerce du Soudan coupant la route aux portugais qui, en s’installant à Massa paraissaient avoir, eux aussi, des visées sur le commerce transsaharien.

reste1.JPG

reste2.JPG

La danse de la Gadra, ou "Rguiss" est spécifique à l’oued Noun. La gadra , en tant que marmite est aussi un instrument de percussion. C’est à l’origine un simple ustensile de cuisson qu’on a métamorphosé en instrument de percussion. La Gadra est donc en rapport, avec le feu sacré en tant qu'élément fondamental de la vie célébré ici par un rite : ces chanteuses qui « réchauffent » qu’on appelle hammayâtes, et ces chanteurs qu’on assimile au feu, appelé « Nar ». La danse elle- même est circulaire et donc solaire.

Saline côtière qu'on appelle "Sabkha" au Saharasel.JPG
Les tribus nomades au sud de l'oued Noun troquaient le sel de leurs salines en contrepartie des cérales des tribus sédentaires situées plus au nord. Au marché de Tiznit ou celui de Tlat Lakhssas, dans le Sous extrême, une pesée de sel saharien valait deux pesées de céréales. Outre les salines côtières, il y a les Sabkha de l'intérieur telles celles de Teghazza et de Taoudenni dont le contrôle fut l'une des causes de la célèbre expédition saâdienne d'Ahmed El Mansour Dahbi vers Tombouctou. De là ce sel est transporté à Tombouctou. Ce troc de l'or contre du selest à l'origine même du commerce transsaharien.

sel1.JPGsel2.JPG

 Le territoire du Sahara Occidentale est en effet parsemé de nombreuses salines dénommées Sabkha fréquentées depuis toujours par les caravanes marocaines qui se rendaient de l’oued Noun à Tombouctou pour y acheter de l’or. L’antique saline de Teghazza est la plus connue des historiens. La grande monnaie d’échange pour les opérations commerciales en pays noires étant le sel, les caravanes y faisaient escale pour y acheter des plaques de sel gemme comme en témoigne le géographe arabe al-Qazouimi qui s’est arrêté à la saline de Teghazza où se trouvaient selon lui une ville aujourd’hui disparue :

sel3.JPG

« C’était une ville au sud du maghrib, le Maroc actuel, à proximité de l’Atlantique, construite avec des blocs de sel. Les plafonds et les portes étaient faites de plaques en bon état, recouvertes de cuire pour que les bornes ne s’effritent pas. Le sel dans le pays du Soudan est très apprécié : les marchands l’exportent de Teghezza dans tous les pays. La charge d’un chameau se vend à cent dinars. »
camel.JPG

En allant de Sijilmassa à Wallata , Ibn Battouta s’y est arrêté au mois de mars 1352. Selon le célèbre globe trotter tangérois :

«Les dalles de sel gemme extraites par les esclaves du Massoufite tributaires de l’Empire du Mali sont transportées au Soudan. La nourriture des mineurs vient à la fois du sud Marocain, les dattes et du Soudan, le mile. »

Ibn Battouta nous montre les Massoufite ancêtres des hommes bleus associés à la vie du Mali. Il n’est donc pas étonnant que certaines musiques soudanaises soient à la fois appréciées au Soudan et au Sahara. Si bien qu’aujourd’hui, la musique au Sahara semble composée d’un ensemble d’éléments négro-berbères tardivement arabisés.

reste3.JPG

reste4.JPG

reste5.JPG

Géographie humaine! Dans cette région cohabite l'ahouach Berbère des Aït Harbil

le Tarab Hassani des Aït Oussa et les Ganga de l'oued Noun!

 poètes oussa.JPG

"Azawane", L'orchestre des Aït Oussa en pays Tekna

poètes oussa1.JPG

La guitare électrique a remplacé la tidinit des griots de jadis

reste.JPG

Ce paysage austère et pluvieux revêt des allures poétiques pour l'épilogue d'un chant nomade :

Nos gîtes de campagne,

Sont dressés là - même où sont nos racines

Sur cette étendue désertique  frappée d'éclaires.

Doux rêve d'hiver, sous  la fine pluie et sous la tente

Parfum d'herbes sèches, s'évaporant du milieu des oueds.

Lointaines rumeur des bêtes sauvages.

Cérémonial de thé, entre complices de l'aube.

Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées

Et avec le jour d'hiver qui point

Chaque amant rejoint la tente des siens.

Vision du désert comme centre de rayonnement mystique et comme source d'inspiration

poètes.JPG

Les Ganga de l’Oued Noun

ganga.JPG

Les ganga de l'oued Noun, rappellent le temps où la kasbah du cheikh Bayrouk, était l'aboutissement des caravanes, en provenance d'Afrique. Lieu d'échange, l'oued Noun est aussi un carrefour culturel où on retrouve l'ahouach berbère de l'anti - Atlas, celui des Aït Harbile et des Aït Baâmrane, les rythmes africains Ganga, ainsi que la Gadra de l'oued Noun mêlée au tbal et au chant Hassani..

ganga.JPG

Les gangas de Guelmim (la porte du Sahara)se distinguent par un répertoire à forte influence bédouine notamment à travers le dhikr et le madih à forte connotation mystique. Dans leur chant on invoque la beauté de l’esclave m’birika (sobriquet qu’on lui donnait par référence à son maître le cheikh Bayrouk de l’Oued Noun) femmes que ramenaient les caravanes du Soudan :

Comme les filles du Soudan sont belles !

M’birika ô ma belle, on t’a amené du Soudan

On n’était pas fatigués et tu n’étais pas épuisée

M’birika ô ma belle,quand  on t’a amené du Soudan

En reliant St Louis au Sénégal à Mogador vers 1850, Léopold Panet, le premier explorateur du Sahara, décrit sa rencontre avec le cheïkh Bayrouk pendant son séjour à Noun, où il avait assiste à une fête d'accueil d'une caravane en provenance de Tombouctou :

« Pendant mon séjour à Noun, j'y fut témoins d'une fête magnifique. C'était le 12 mai ; la veille, on savait qu'une grande caravane revenant de Tombouctou devait arriver le lendemain, parce qu'elle avait envoyé faire louer des tam-tams pour fêter sa rentrée. Dés sept heure du matin, les femmes des marchands arabes, qui composaient cette caravane, étaient parées de tout ce qu'elles avaient de beau en habis et en bijoux, et le tam-tam, dont le bruit assourdissant se répétait au loin, avait attiré autour d'elles une foule des deux sexes...Ceux au-devant de qui elles allaient, paraissaient à l'autre extrêmité de la plaine, laissant derrière eux leurs chameaux chargés et deux cent esclaves appartenant aux deux sexes. Le tam-tam résonna avec fracas, les drapeaux voltigèrent en l'air, les chevaux se cabrèrent de part et d'autre...La troupe forme deux haies qui reçoivent entre elles les chameaux chargés et les esclaves déguenillés, souvent nus. Les hommes continuent leur évolution guerrière avec le même enthousiasme, mais il y a moins de charme, moins de mélodie dans les chants naguère si harmonieux des femmes : elles ont tourné leur attention vers les esclaves et déjà chacune d'elles y a fait son choix. »Les maîtres de ces lieux de rassemblement de convois caravaniers, disposaient dans leurs citadelles de nombreux esclaves issus du commerce transsaharien. Les Noirs qui vivent aujourd'hui autour de ces vestiges du passé y célèbrent encore leur fête annuelle.

josifa.JPG

Le moussem annuel de ces ganga de l’oued Noun a lieu au mois de juillet à  Guelmim : à la rahba (marché au grains) de Sidi H’sein où on vendait jadis les esclaves. Participaient à ce moussem annuel les gangas d’Asrir, de Tighmert, de la kasbah des Aït Baâmrane et du ksabi, lieu dit qui se trouve à l’emplacement de l’antique Tagaost.

Lieu de rencontre entre sédentaires et nomades, Guelmim, la porte du Sahara est la parfaite illustration de ce métissage culturel permanent à l’œuvre depuis des siècles dans tout le Sahara. Cela est clairement visible chez les ganga de l’oued Noun où l’on joue à la fois du tambour africain, le tambourin berbère tout en chantant en langue hassani. Ces ganga de l’oued Noun se différencient de ceux qui vivent en milieux berbère, par le fait qu’ils adoptent l’idiome et le mode de vie nomade. Certains de ces ganga travaillent comme bergers chez les chameliers et portent tous la tunique bleue typique aux nomades. La plupart des ganga du borj Bayrouk font partie de la troupe de la guedra de Guelimim qui pratique la danse du rguiss sur des airs de musique et de poésie hassani se disent originaires de Tombouctou. Ce qui prouve que le Sahara n’a jamais été une frontière infranchissable, mais bien au contraire, le lieu où s’est opéré le métissage biologique et culturel entre la négritude et la civilisation arabo – berbère.

Au Sahara existe deux types de flûtes : la flûte oblique du pays Tekna qu’on appelle zozaya et la flûte traversière de la seguiet el hamra , qu’on appelle nifara. La longue flûte oblique du berger saharien qu’on appelle zozaya est confectionnée à partir de la racine d’acacias dont on ne garde que l’écorce. Elle est ensuite recouverte de la trachée artère du bélier puis peinte de couleur écarlate. Cela permet d’un côté de donner des sons graves et mélancoliques à la flûte et d’un autre de consolider l’instrument. A Guelmim, la flûte porte deux noms : zozaya mais également tihihite pour souligner sa parenté avec la flûte enchantée du pays Haha. La nifara est la flûte du berger saharien par excellence. Cette flûte traversière est typique au chant Hassan de la seguiet el hamra.

rguiss.JPG

CIMG0727.JPG

Il est à remarquer que contrairement à la danse de la Guedra de l’oued Noun où la danseuse est tout le temps agenouillée balançant le buste et la chevelure, à la seguiet el hamra, les danseurs sont debout : le seul point commun entre les deux danses est la gestuelle des mains et des doigts. Cette danse dénommée r’guiss fait tellement partie de l’art de vivre saharien qu’il existe même une localité perdue dans le désert qui s’appelle tout simplement r’guiss, mot qui désigne la danse en dialecte Hassan.

Le Tbal (grosse timbale) est l’autre point commun entre le pays Tekna au nord et la seguiet el hamra au sud. Le tbal était d’abord voué au madih , louanges, dus au chef de la tribu. Il est aussi présent à toutes les fêtes. Au point que le mot tbal a fini par désigner non seulement l’instrument lui-même mais aussi les festivités qui se déroulent tout autour.Instrument de percussion fondamental auquel on recourt partout au Sahara. Cette grosse timbale , dont jouent essentiellement les femmes est un instrument semi sphérique pouvant atteindre un mètre de diamètre. Jadis, cet instrument appartenait au chef de fraction et de tribu comme symbole de commandement. Les hommes aussi bien que les femmes dansent au rythme du tbal. On y chante les guifân , pluriel de guef qui signifie quatrain à l’honneur de la générosité des hommes et des femmes des grandes tentes.

 

nuages.JPG

b.JPG

 

b1.JPG

b3.JPG

Tout le long de son histoire le Sahara s’est constitué à partir d’élément Sanhaja (les premiers habitants Berbères du Sahara) Soudanais,  et Arabes Hassan venus s’y établir à partir du 11ème siècle. Le dialecte arabe Hassan qu’on parle au Sahara comprend à côté de quelques mots soudanais, un grand nombre de mots et de toponymes Berbères, tel le lieu dit tagant(qui signifie forêt en berbère) berceau de la musique savante des griots sahariens en Mauritanie.

Abdelkader Mana

fin.JPG

12:55 Écrit par elhajthami dans Histoire, Musique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sahara | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

22/08/2010

Dédicace à Bouganim Ami

L'ami Bouganim

La tolérance vient d'abord de l'éducation: le fait que nous avons partagé le même banc d'école, les mêmes éducteurs, le même enseignement de l'Arabe et de l'Hébreux avait grandement contribué aux respect mutuel entre juifs et musulmans de Mogador.Paléstiens et Israéliens ne peuvent coéxister pacifiquement en Terre Sainte que  s'ils envoient leurs enfants étudier à la même école maternelle où on apprend l'hébreux aussi bien que l'Arabe , où on apprend à reconnaitre l'humanité de l'autre...De sorte qu'en grandissant on n'oserait plus le haïr et encore moins le tuer...

ouverture.JPG

Classe de première année de l'école pimaire de l'Alliance israélite de Mogador où étudiaient juifs et musulmans : 1961 - 1962

Je viens de publier sur mon blog une note sur le pays montagneux des Glaoua où il est question d'un saint judéo - berbère du nom de Moulay Ighi qui est situé dans la fraction Glaoua de Tisakht Ighi. Et ce matin je m'apprête à écrire une nouvelle note sur le Haut Atlas central mais j'hésite sur le titre: hier soir déjà je me disais que le titre qui conviendrait le mieux c'est celui du bouffon-musicien qui joue à la double flûte de roseau (aghanim en langue tamazight) qui porte de ce fait le nom de "Boughanim". Et juste avant de dormir j'ai fait le lien entre "Boughanim" et "Bouganim" et je me suis dit que peut-être ce rapprochement sémantique n'est pas le fruit du pur hasard....  Consulté à ce sujet; aujourd'hui; Bouganim Ami me réconforte dans cette hypothèse :

classe.JPG

L'élève Abdelkader Mana; premier en bas à droite

Très cher Albdekader,

J'ai toujours été un homme roseau. Frêle et délicat. Solidement enraciné dans mon terreau et résistant aux vents. Tous les vents. Philosophiques, religieux, poétiques. Je ne ploie pas, je plie. Puis je me redresse, comme le dit un midrash. Quand j'ai quitté Mogador pour Casablanca, je me suis retrouvé au théâtre du parc des jeux. J'étais à la fois prince et… clown. Ca n'a duré que deux ans, c'était assez pour me marquer pour la vie. Prince par-ci, clown par-là. Ne me posant pas en prince sans être pris pour un clown, ne me livrant pas à mes clowneries sans m'attirer des attentions princières. Mes souvenirs de théâtre sont consignés dans un livre intitulé Le Cid qui n'a pas encore paru, mes illuminations de roseau pensant et rieur sont consignées dans un dossier que je reprendrai peut-être un jour et qui s'intitule : "Ainsi parlait Derbala…"

Tu vois que n'es pas loin.

classe2.JPG

Entre-temps, je travaille sur mon manifeste poétique de Mogador. Tu es mentionné toutes les cinq pages environ. Sans parler de ton portrait. C'est te dire que je suis un des meilleurs connaisseurs de ton site. Peut-être passerai-je deux ou trois semaines en novembre à Mogador. Pour rencontrer Hussein Miloudi, découvrir l'arrière-pays, prendre des notes pour un roman que j'ai en tête et compléter le manifeste.

Me permets-tu de reprendre cette correspondance dans mon propre blog ?

classe1.JPG

Mais bien sûr et avec grand plaisir : à cause de ton frère cadet; Jojo mon copain de classe chez notre maîtresse Benssoussan, j'ai un rapport très mystérieux avec les Bouganim. Disant un rapport fraternelle . Quand tu m'avais conduit à la maison où tu étais né à Mogador ; il s'est trouvé que c'est dans cette même maison que j'ai passé les plus heureuses années de mon enfance...Quand plus tard j'ai pleuré d'émotion en lisant ton récit du Mellah...Maintenant que tout ce que nous aimons n'est plus là-bas, maintenant que nos retrouvailles avec notre villes sont peuplés de déceptions...Maintenant que le passage devant notre école et notre vieux cimetière ne nous fait plus frémire de nostalgie...Maintenant que la ville ne nous appartient plus. Maintenant... Abdelkader Mana

P.S. Ma tante maternelle habitait alors dans la médina d’Essaouira du côté de la Scala de la mer — la maison même où était né Bouganim Ami, l’auteur du « Récit du Mellah », comme il me l’a indiqué lui-même lors de son bref séjour de 1998. Une maison avec patio où la lumière venait d’en haut. Et moi tout petit au deuxième étage regardant le vide à travers des moucharabiehs et répétant la chanson en vogue à la radio :

Cest pour toi que je chante

Ô fille de la médina !

classe2.JPG
Comment de la plaine resurgirait Mogador
Comment pourrait-on haïr qui l'on aime?
Je t'aime Mogador, je t'aime!

A l’alliance israélite où j’étudiais, on m’accorda alors de beaux livres pour enfant, que je n’ai pu recevoir à l’estrade, mais que Zagouri, mon institutrice, me fit alors venir chez le pâtissier Driss, où j’ai eu droit et aux Beaux Livres et à un gâteau au chocolat ! Je lui ai menti, en lui disant que je n’ai pas pu assisté à la remise des prix parce que j’étais parti à Chichaoua ! En réalité l’appel de la plage et des vacances étaient plus forts, surtout quand les élèves se mettaient à chanter à la récréation dans la cour :

« Gai gai l’écolier, c’est demain les vacances...

Adieu ma petite maîtresse qui m’a donné le prix

Et quand je suis en classe qui m’a fait tant pleurer !

Passons par la fenêtre cassons tous les carreaux,

Cassons la gueule du maître avec des coups de belgha (babouches)

De cette vieille maison que nous avons en partage Bouganim Ami  écrit  :

" De Mogador, je conserve surtout le souvenir d'une maison lézardée qui menaçait de céder et de s'écrouler. Les marches étaient si vieilles qu'elles craquaient sous nos pieds. Les monter ou les descendre relevaient d'une prouesse acrobatique. L'escalier était si obscur, de jour et de nuit, hanté de gnomes, de démons et de génies qu'on ne savait qui l'on croisait. Les carreaux de la verrière, contre laquelle le vent s'acharnait, ne cessaient de casser et de s'écraser dans la cour. Les balustrades des fenêtres étaient si fragiles qu'il nous était interdit de nous y appuyer. Les portes et les volets ne cessaient de claquer, secouant toute la bâtisse. Les souris et les chats s'introduisaient librement par la porte entrouverte en permanence ; les hirondelles ne se glissaient malencontreusement par la verrière que pour se heurter aux murs en quête d'une introuvable issue de secours. Les mouches, les abeilles et les hannetons voltigeaient tout autour jusqu'à ce que, par distraction, ils échouent dans l'une des nombreuses toiles d'araignées qui dentelaient les coins. Pourtant, c'était le paradis, ça l'est resté, malgré la riche galerie des esprits ou grâce à eux, et à l'occasion du  tournage d'un documentaire sur Mogador, j'ai découvert sans grand étonnement que des promoteurs sagement avisés s'apprêtaient à en faire une maison d'hôte."

m3.JPG

Il y a quelque jours Marta , l'ami Française m'écrivait: "Vous Mana, vous êtes un intellectuel, un cérébral, et un érudit, et avec une ouverture d'esprit peu commune." Je crois savoir aujourd'hui que mon ouverture d'esprit me vient de mon passage par l'école Israélite de Mogador..

Avec la nostalgie d'une humanité pastorale, le souvenir d'une humanité tatouée, la hantise d'une humanité robotisée,comme l'écrit Bouganim par ailleurs , je lui dédierai le texte sur le pastoralisme du Haut Atlas que je suis en train d’écrire et que parcourent depuis toujours les Boughanim au son de leur double clarinette de roseau….Abdelkader Manamoi.JPG

 

arocarias.jpg

 

 

 

P

 

 

 

 

 

 

 

Pratiquement à la même fameuse allée des arocarias, qui borde l'alliance Israélite d'une part et le vieux cimetière musulman d'autre part, à des années lumières d'interval: l'auteur en 1961 et en 2009....

17:34 Écrit par elhajthami dans Mogador, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poèsie, mogador | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook