01/12/2011
Les Jbala et le Rif
Texte Abdelkader Mana, images Jean François Clément
Comme ailleurs au Maroc, les paysans sédentaires du pays Jbala et du Rif ont conservé l’usage de l’antique calendrier julien, le long duquel s’égrènent les actes et les rites de la vie agricole : l’époque magiquement propice aux labours, les périodes néfastes où il faut se garder de travailler le sol, le moment des bénéfiques pluies de Nisân , l’instant heureux des moissons , et enfin le jour de la « mort de la terre », après lequel tout est brûlé ; mort jusqu’à la résurrection aux premières gouttes de la pluie automnale.
Lieu d’échange entre la plaine et la montagne, Taounate est l’un des principaux marchés du pays Jbala, où s’échangent les produits de la montagne en contre partie de ceux de la plaine. Occupant la partie occidentale de l’ensemble rifain, limité à l’ouest par l’Atlantique, au sud par les plaines du Gharb et au sud-est par le Rif central, le pays Jbala s’étend depuis le nord de Fès jusqu’au haouz de Tétouan. A la suite de la reconquête de l’Andalousie par les Rois Catholiques à la fin du XVème siècle , beaucoup d’andalous viennent s’installer dans les principales villes du pays Jbala que sont Tétouan, Chefchaouen et Ouazzan. Ce qui n’est pas sans avoir un certain impact sur « Taqtouqa Jabaliya » influencée entre autre par le mode musical andalou dit lahgaz.
Taounat, en tant que marché Jbalien dépendant de Fès où s’établissent souvent ces tolba et ses musiciens, tel Mohamed Laâroussi actuellement, est connue par trois genres de musiques et de chants : Taqtouqa Jabaliya, le chant des femmes Jbala dit « aâyouâ » et le genre « haït » spécifique à la plaine du Gharb toute proche.
Taqtouqa Jabaliya de Taounate
Actuellement, en plus des instruments de musique traditionnelles que sont le violon, le luth, souisdi, le bandir (tambour à cadre), la darbouka et le trier, les musiciens de Taqtouqa Jabaliya, recourent également aux instruments modernes : la guitare, le piano et la batterie. Sous l’encadrement de Mohamed Laâroussi, le cinquième festival de Taqtouqa Jabaliya qui s’est tenu à Taounate en 2009 a réuni une centaine de musiciens de ce genre représentant les trois régions : Tanger et ksar Sghir, Tétouan et Chefchaouen et Taounate. Ce festival a été organisé par l’association Safir (ambassadeur) de Taounate. Les deux principaux maîtres de Taqtouqa Jabaliya sont Mohamed Laâroussi de Taounate et Abdellatif el khoms de Chefchaouen. Les œuvres de Mohamed Laâroussi sont les plus connus et les mieux diffusées à travers la radio – télévision et sous forme de cassettes et de CD. C’est la musique qui symbolise le mieux le pays Jbala,. Elle est présente dans les trois régions suivantes, avec d’infimes variations locales que seule une oreille exercée peut déceler :
a) La Taqtouqa Jabaliya de la région de Tanger et de ksar Sghir
b) La région de Tétouan et de Chefchaouen avec les Béni Ârous en particulier, d’où est issu Moulay Abdessalem Ibn Mashish du djebel Alam, descendant de Omar, l’un des douze fils d’IdrissII, le fondateur de Fès. Les musiciens de Taqtouqa Jabaliya sont très présents auprès des disquaires du moussem annuel de la naskha qui a lieu autour de la grotte et de l’arbre sacré de Moulay Abdessalam vers la mi – chaâban, le mois lunaire qui précède le Ramadan.
c) Enfin la région de Taounate avec les Mernissa et surtout les Bni Zeroual, d’où est issue Mohamed Laâroussi, actuellement considéré comme le chanteur de Taqtouqa Jabaliya par excellence. Les Mernissa pratiquent Taqtouqa Jabaliya et un genre de haït plus proche de l’oriental marocain du fait de leur position à l’Est des Jbala à la lisière de la tribu rifaine des Gzenaya ( des guerriers qui ne pratiquent ni danse ni musique)et des Tsoul, qui ont le même type d’habitat et de dialecte que les Jbala mais qui font plutôt partie du couloir de Taza.
Mohamed Laâroussi
Considéré comme l’une des grandes figures de taqtouq al jabaliya Mohamed Laâroussi est né le 14 janvier 1934 Taferrant chez les Bni Ârous, fraction Bni Zeroual , située à 40 kms de Fès. Il était né à une période où les esprits étaient encore marqués par l’offensive Franco – Espagnole de 1926 contre le Rif à partir justement des postes de Bni Zeroual et surtout ceux de Mernissa : Abd el –krime menaçait alors Fès dont il annonçait la prise pour mai 1925. Inquiet de cette poussée puissante de nationalisme, le maréchal Pétain obtient le départ du Maréchal Lyautey, hostile à une coopération avec l’Espagne. Les conversations franco – espagnols commencent le 17 juin 1925. Lors de la rencontre le 28 juillet entre Pétain et Primo de Rivera, le principe d’une riposte commune sévère est arrêté. La guerre franco – espagnol du Rif commence. Dans ses « Lettres du Maroc, l’offensive dans le Riff 1925, la Tache de Taza 1926 », édition militaire, 1930, le Lieutenant J.Joubert écrit : « L’offensive française a commencé le 12 avril 1925, par une « souga » chez les Beni zeroual, à la zaouia d’Amjot ; ils nous lachèrent en partie. Abd el-krim voulait le chemin de Fès. Vous pensez quelle victoire pour lui de prendre la ville sainte, la capital intellectuelle. C’était la reconnaissance certaine de sa puissance, puis de son autorité, c’était notre défaite. Trois Harka d’ Abd el-krim étaient formées pour investir la ville : leurs efforts convergeaient. Ils isolaient les postes et on les vit un à un tomber. On essayait bien d’aller au secours des assiégés, mais c’était difficile. D’abord, il y avait peu de bataillons disponibles, et l’ennemi montrait du mordant. Il y avait du matériel moderne. Les canons et les mitrailleurs des postes, ils les retournaient contre nous, car ils savaient parfaitement s’en servir. Il y a, je crois, chez les Rifains, des déserteurs de la légion, et aussi des aventuriers de tous pays. C’est une si belle poire à accueillir que ce Rif ! Ce qui rendait surtout la situation très critique, c’était le départ en dissidence de nos tribus soumises. Les unes après les autres, elles nous lâchaient, nos postes étaient ainsi complètement isolés. Il y a quelques semaines, les Tsoul et les Branès sont eux aussi partis en dissidence, et c’est un fameux bloc contre nous, surtout à cause de leurs terrains mamelonnés. »
En 1925, les guérilleros d’Abd el krim multiplient leurs attaques contre les postes Français et leurs auxiliaires chez les Branès, les Tsoul et les Bni Zeroual. Le mercredi 9 septembre 1925, le Maréchal Pétain en personne vint inspecter les avants postes d’Aïn Aïcha et de Taounate. Et c’est à partir de Mernissaentre autre que sera déclenché l’offensive du côté Français contre le Rif : L’échec des pourparlers d’Oujda avec les émissaires rifains a entraîné immédiatement, l’offensive franco-espagnole : dés le 7 mai 1926 l’aviation entreprit sur tout le front des reconnaissances et des bombardements massifs sur les rassemblements et les centres importants, notamment sur le poste de commandement du Khamlichi à la Zaouia de Bou Ghileb . Dés le lendemain le 8 mai les troupes françaises et les troupes espagnoles commençaient une offensive conjuguée : les secteurs espagnols d’Alhuceima et de Melilla marchèrent en même temps que l’ensemble de la ligne française. Celles-ci avançait sur plusieurs axes simultanément : à l’ouest depuis Ouazzan et Chefchaouen afin de couper les Jbala du Rif, et plus à l’Est depuis les Mernissa et Taza en direction du Kert.
Grandissant dans un contexte où la guerre du Rif revenait souvent dans les récits des chaumières de son enfance, Mohamed Laâroussi se souvient encore de ce qu’on lui racontait tout jeune des attaques désespérées des rebelles rifains contre les postes militaires Français de sa tribu des Bni Zeroual, tenus par les tirailleurs sénégalais et autres goumiers qu’ « on n’hésitaient pas, raconte-t-il, à pousser dans les fosses en les précipitant dans le vides des falaises. ». Et dans sa toute première chanson intitulée « le capitaine Soly » il se faisait l’écho du mécontentement des paysans Jbala contre les postes militaires qui se servaient gracieusement en figues, olives, poules, moutons et moisson. Mohamed Laâroussi débuta donc sa carrière de musicien en 1944, par cette qasida sur « le capitaine Soly » qui commandait les Bni Zeroual où il raconte les affres de la colonisation. Quand le capitaine Soly en eut vent, le 20 juillet 1946, il le jeta immédiatement en prison où il allait croupir pour dix ans, s’il n’y avait l’intervention d’un certain Mohamed Ben Taïb, traducteur, qui le tira finalement d’affaire au bout de neuf jours seulement. On lui interdit néanmoins de se rendre à Fès où il réside actuellement. Il a fallu attendre l’indépendance du Maroc pour voire finalement ses chansons diffusées à la radio à partir de 1958. Il a même connu une carrière de chanteur de Cour sous le Roi Mohamed V puis Hassan II . C’est un chanteur prolifique : depuis le début de sa carrière à nos jours, il a produit quelques 526 chansons : d’où la nécessaire de réunir et de publier ses chansons sous forme de recueil pour préserver cette mémoire, qui fait incontestablement partie du patrimoine populaire marocain menacé de disparition en ces temps de nivellement par la raboteuse de la mondialisation : enregistrer, traduire, le publier, préserver de l’oubli.
Le chant des femmes Jbala
Chez les Jbala on appelle Aâyouâ, le chant qui accompagne les travaux agricoles des femmes (moissons, gaulage des olives). On peut traduire ce mot par l’expression « échos de montagnes » : son ambitus extrêmement aigue et allongé porte au loin la voix des femmes Jbala. Elles s’en servaient, dit-on, pour signaler d’en haut des collines , aux guérilléros d’Abd-el-krim, les déplacements des colonnes françaises. Et aux fêtes de mariage, on se servait de ces voix de soprano pour faire parvenir le message à tous les participants sans avoir à recourir au haut parleur. Le hautboïste Mr.Aziz Zouhri, dont la troupe vient d’être invitée en France, nous rapporte ce couplet , que les femmes chantaient lors des fêtes saisonnières :
Warwar yâ limama, fal hjour dal ghoddana
La iâjbak chi zînak, hakdak kount hatta yana
Aux branches des figuiers, recoule ô colombe !
Que ta beauté ne t’étourdit pas , moi aussi j’étais belle !
Du point de vue mélodique, ce chant s’apparente au mode musical andalous dit « lahgaz » : de par leur position géographique sur la rive sud de la Méditerranée, les Jbala ont été influencé par la musique andalouse. Ce sont les fêtes de mariage qui ont permis à ce genre de se perpétuer, mais il est en voie de disparition : les femmes qui le pratiquent sont pour l’essentiel décédées. D’où la nécessité de mesures conservatoires pour l’enregistrer avant qu’il ne soit trop tard. Cette nécessaire documentation concerna aussi les deux autres genres que sont le haït et Taqtouqa Jabaliya. « Récemment, nous dit Mohamed Ben khazzou, nous avons essayer de recueillir les rites de mariage dans la ville de Taounate : les chants nuptiaux dont nous essayons d’enregistrer les mélodies et les rythmes. Ce projet sur lequel nous travaillons actuellement vise la préservation de ce patrimoine avant qu’il ne disparaisse. » Il existe également le carnaval masqué que pratique à Ghafsaï, la troupe des fantassins qui pratiquent la fameuse « tbourida »: un pré -théâtre populaire avec tambours et hautbois qu’on trouve avec force aux environ de Moulay Abdessalam Ibn Mashish. Ce carnaval masqué a surtout lieu à l’occasion de achoura..
Le genre haït des hyaïna et des Tsoul
Le genre dit le « haït » qu’on trouve chez les hyaïna et chez les Tsoul, a ses origines dans la plaine du Gharb : ce genre musical se manifeste surtout lors du moussem de sidi Bouzid qui a lieu au mois d’avril à Tissa chez les hyaïna , très connue par ses élevages de chevaux. Le haït arabophone de Taounat diffère de celui berbérophone d’El Huceima . Musique essentiellement instrumentale et rythmique Le haït se caractérisant par une césure rythmique de 9/4, raison pour laquelle les musiciens l’appellent « mizân aâraj » (mesure boiteuse). Comme instruments de musique caractéristique de ce genre : le hautbois, le bendir (tambour à cadre), le ciseau pour les sons aigus et agoual (sorte de tambourin allongé). A Taounat, les groupes connus de ce genre sont les suivants :
- Groupe « Noujoum Hyaïna »
- Groupe « Noujoum Tissa »
- Groupe « Ben Allal »de Taounat qui a été invité au festival des Arts Populaires de Marrakech.
Chez les Tsoul on joue du hautbois des Jbala. On trouve également chez eux des influences musicales venues de l’Ouest, en particulier le genre « Haït », caractéristique des plaines du Gharb. Chez eux la musique est toujours associée, au pré – théâtre burlesque de « Ba – Cheikh », avec son comique gestuel et ses accoutrements.Chez eux on trouve aussi les influences musicales venues de l’Est – tels les genres Reggada, Mangouchi et Laâlaoui, qui caractérisent particulièrement l’Oriental marocain. Chez les Tsoul, on ressent cependant davantage l’influence des Jbala comme nous l’explique l’un des habitants de leur village qui porte curieusement du nom des mérinides :« Ce douar qui fait partie desTsoul porte le nom des Mérinides. Jadis, les mérinides avaient campé ici avec leur Makhzen, et leurs troupeaux. Nous nous sommes établis ici après leur départ et nous avons gardé à cet endroit le nom des Mérinides ». Au début du 13ème siècle, au déclin de l’empire Almohade les Béni Mérine qui nomadisaient dans le pays compris entre Figuig, la Moulouya et l’oued Zâ, avaient l’habitude de passer l’été dans le Tell où ils étaient liés avec les tribus habitant les montagnes de Taza dont celles des Meknassa et des Tsoul. Dans cette région, quand les garçons veulent étudier, ils s’en vont chez les Béni Zeroual, L’jaïya, et Ouazzane. Ils étudient le Coran chez les Jbala. Ils y restent jusqu’à ce qu’ils l’apprennent par cœur : cela prend cinq à dix ans, après quoi ils reviennent ici pour y enseigner dans une école coranique. Leur formation aux sciences religieuses se fait chez les Jbala et à la Qaraouiyne de Fès. Une tradition qui remonte au plus prestigieux des Tsoul, Ali Ben Berri Tsouli, clerc, serviteur des mérinides. Son mausolée est le plus considérable de la plaine des tombeaux de Taza. L’édifice d’époque mérinide, se situe au dessus de « Triq Sultan » qui sortait de Taza et se dirigeait vers le sud. Sidi Ali Ben Berri a vécu au 12ème siècle, sous la dynastie Mérinide. Quand sa réputation et sa science se sont répandues, il fut choisi par Abû Inane le Mrinide, pour devenir son secrétaire particulier. Les cours d’eau de la vallée de l’Innaouen et du couloir de Taza ont toujours été un enjeu historique. : « Les Meknassa, nous dit Ibn Khaldoun, se composent de plusieurs tribus qui habitent les bords de la Moulouya, depuis Sijilmassa jusqu’aux environs de Taza et des Tsoul. » Ainsi, vers l’an 1045, les Ghiata, en entamant leur mouvement vers le nord, durent se ruer sur la vallée de l’Innaouen, repoussant peu à peu les Meknassa et les Tsoul sur les collines peu fertiles et moins arroses du Rif.
Musique et histoire du Rif
Musiciens rifains de Nador
Le Rif proprement dit va de l’oued Kert à l’oued Bni Gmil, et comprend les tribus côtières des Aït Ittef, Ibeqoien, Bni Wariaghel, Tamsaman, Aït Saïd. Le Rif oriental se situe entre l’oued Kert et la basse Moulouya, et les tribus suivantes : les Guelaya, et les kebdana. A cette énumération,il convient d’ajouter les tribus de l’intérieur : Bni Touzin, Aït Âmmert, Aît Oulikech, et les Gzennaya.Le Rif linguistique s’arrête à la frontière algérienne. On classe en effet dans le groupe des Bni Iznacen, les Bni Bou Yahi et les Mtalsa .
Du point de vue musical le Rif se distingue par l’Azemmar , sorte de biniou composé d’une peau de bouc munie de deux cornes d’antilope à l’aide desquelles le musicien gonfle l’outre et règle la sortie de l’air. L’Azemmar(pluriel izemmaren), désigne également le joueur de biniou, ou de flûte(tazemmart), qui dérive du mot arabe « zamar »(flûte). Le Cheikh Moussa qui chante Izri (poésie en rifain), accompagné d’azemmar est le plus célèbre actuellement à Nador. Traditionnelllement lors des fêtes de mariage les jeunes filles chantent Izran mais il est très difficile de les observer ou de les enregistrer dans un milieu sévèrement conservateur vis-à-vis de la gente féminine . Voici un izran qui fut composé, en 1911, à l’occasion de la mort de l’un des chefs de la résistance contre les Espagnols dans le Rif, le Chérif Sidi Mohamed Amezian :
Sidi Mohamed Amezian est mort !
Nous ne pouvons honorer son tombeau
Aboulissi(le policier) et le capitaine ayant empoté sa dépouille
Dans les villes pour le photographier !
Par Dieu ! Ô Mouh fils de Messa’oud !
Rends nous son corps afin que nous le vénérions !
Sidi Mohamed Amezian, qui avait levé l’étendard de la guerre sainte contre les espagnols, tomba dans une embuscade avec trente de ses compagnons. Son corps n’ayant pas été retrouvé, le bruit couru dans le Rif que les chrétiens avaient empotés sa dépouille pour l’exposer dans leur pays et le photographier.
C’est le 15 mai 1912 qu’étant sorti, apparemment pour une reconnaissance, Mohamed Amezian se heurta à une troupe adverse qu’il ne pouvait, vu son grand nombre, ni affronter ni esquiver. S’avisant cependant que c’était des Rifains, de ces « régulares » enrôlés par l’Espagne, il se porta vers eux en faisant de grands signes, comme s’il se proposait de leur parler. Mais il tomba frappé à mort, avant d’avoir été ni reconnu ni entendu. Ce n’est qu’alors qu’un des « regulares », en s’approchant, l’examina et su que c’était lui. Identifié, le corps fut aussitôt porté à Melilla où, si l’on croit la tradition rifaine, on l’exposa publiquement. Et quelques jours plus tard, on l’envoya à Zeghenghen pour son inhumation. On racontait aussi, dans les veillées comment, ayant franchi le Kert avec une grosse escorte, il s’était installé pour la nuit, dans un village, chez les Beni Sidel.Mais avisés de sa présence par un espion, les Espagnols, grâce à l’obscurité, affluèrent de partout, fermant le cercle autour de lui. Quand Amezian s’en aperçut, il rassembla ses hommes et demanda des volontaires pour mourir avec lui dans son dernier combat. Demeuré, avec eux, il acheva sa nuit dans la prière, puis, au matin, il se battit en attendant la mort. Quand l’ennemi vint relever son corps, il trouva, ô prodige, le cheval du héros qui pleurait sur son maître et qui ne voulait pas se séparer de lui. On dit aussi que rien, après sa mort, n’a jamais plus poussé autour du lieu où il tomba, car la Nature en deuil ne se consolait pas.
Le corégraphe Abdeslam Raji lors d'une démonstration à Taounate
S’inspirant du mouvement folk de Nass el Ghiouan dans les années 1970, le goupe rifain de « Tatouan », recourt à la même mise en scène et aux mêmes instruments de musique : tam-tam, banjo, centir etc. Vivant en Europe, ce goupe folk rifain s’est fait connaître surtout par la chanson Dhar Ouberran, le principal épisode de la bataille d’Anoul. Le nom de « Dhar Ouberran » signifie « la huppe du perdreau », parce que seul le sommet de cette montagne est couvert d’arbres faisant penser à la tête huppée de cet oiseau. C’est une montagne située chez les Tamsamane dans la commune de Bou Dinar . Le président de cette commune nous dit à ce propos : « Pourquoi le nom de cette montagne est souvent cité par l’histoire ? C’est parce qu’elle était la première position occupée par le colonialisme espagnol dans le Rif. Cette montagne surplombe la Méditerranée d’un côté et le Rif de l’autre, du fait qu’elle est assez haute. A l’époque les espagnoles avaient cru qu’en occupant cette position, ils allaient dominer la région entière. » A partir de cette position, les espagnols avaient, en effet,le contrôle de l’oued Kert , où s’était replié le chérif Mohamed Ameziane, en 1919. Ils envisageaient de relier à partir de là Melilla à la baie d’Al Huceima par voie de terre.. Pour leur barrer la route, fin janvier 1921, des combattants Beni Ouariyaghel vinrent s’établir sur la hauteur du Jebel El Qama. Un izri, poème rifain de l’époque, relate ces manœuvres espagnoles en ces termes :
Le roumi fait souga, il a pris Tizi Azza.
Il veut faire le thé, avec de l’eau d’Oulma,
Moujahidines au combat ! À quoi bon la vie.
Le plan Beranger que devait exécuter en arrivant le général Silvestre, consiste en un premier bond qui devait conduire à Sidi Driss, sur l’embouchure de l’Amekrane, à une dizaine de kilomètres vers le nord d’Anoual. La position formerait une base rapprochée, où lui viendrait ensuite, par voie maritime, le gros de son ravitaillement.Les premiers débarquements de l’artillerie eurent lieu à la plage d’Afraou à l’Est de Sidi Driss. A partir de cette position, les espagnoles prirent d’assaut, le piton de « Dhar Oubarran », qui surplombe à la fois les rivages et l’intérieur du pays. Sur le « Abda », le navire qui le menait vers l’exile, Abd el krim, raconte en ces termes, cet épisode de « Dhar Ouberran », la première grande victoire des rifains :« Les espagnols venaient d’occuper Dhar Ouberran, en pays Tamsamane, point stratégique et politique de toute première importance. Je me proposais sur le champ, de leur disputer cette position. La partie était risquée. Je disposais à cette heure, de 300 guerriers. Je revins me mettre à leur tête. Et malgré ma pauvreté en munitions, je déclenchais la contre attaque. Après un combat des plus durs, ma troupe réoccupa Dhar Ouberran.Ayant vu la débandade espagnole, les autres fractions Tamsamane, se joignirent à nous : le bloc rifain se constituait. » Les armes pris aux espagnols à « Dhar Ouberran » ont permis par la suite de mener la bataille d’Anoual. C’est la défaite des Espagnols à Dhar Ou Berran qui allait conduire en 1921 au desastre d’Anoul, après lequel Primo de Rivera parvint à la conclusion qu’Abd el krim est un danger pour la présence coloniale européenne dans tout le Maghreb. On comprend que le premier groupe folk rifain ait d’abord chanter Dhar Ouberran ! Le principal tournant de la légendaire bataille d’Anoual où quelques montagnards avaient mis en déroute une grande puissance coloniale de l’époque ! La musique est ici liée à une forte revendication identitaire, à la fois historique et linguistique.
Le Rif aux rythmes de la World Music
Le Rif se caractérise par des vallées compartimentées et surpeuplées, où les cultures ne suffisent pas aux besoins et contraignaient une grande partie des montagnards à l’émigration. Les jeunes musiciens rifains ne font pas exception à la règle. : tout en restant attaché à la langue et à la poésie rifaine, ils se sont formés en autodidacte aux instruments de musique moderne en terre d’immigration. C’est le cas de Choukri le jeune chanteur rifain qui chante izran avec la guitare et qui s’installe aux Pays Bas en 1990 : « Le rapport entre la musique traditionnelle rifaine et contemporaine a provoqué en moi des idées novatrices. » déclare-t-il. Invité à la radio télévison flamande, au mois de juin 1990, le groupe rifain « ithan » (les étoiles en Berbère) a chanté le drame des clandestins qui s’engloutissent au détroit de Gibraltar avec leurs pateras : « En dépit du nombre de tes habitants, ô mer, tu veux engloutir aussi les hommes ? » Chant auquel fait échos Zhimi Kamal d’El Huceima dans un autre album : « La mer, dis-moicombien d’hommes as-tu englouti ? La mer, quand laisseras-tu mes frères rejoindre l’autre rive ? ». Le groupe décrit son style comme étant « une musique moderne Amazigh ». : un art décrit comme un arbre qui plonge ses racines dans le patrimoine artistique et culturel et qui est « fécondé », en queque sorte, par la musique moderne. Le groupe « Ithran », dispose d’ailleurs d’un site officiel sur le Net faisant référence à la Belgique leur pays d’acceuil (www. ithran.be.). Le musicien khalid Yachou qui est né en 1969 à Melilla et qui s’est produit à Strasbourg, puise lui aussi dans les izri (poèmes rifains traditionnels), tout en étant « clairement influencé par les musiques africaines et méditerranéennes ». Ces « maquisards de la chanson berbère », pour reprendre une expression de Kateb Yacine, puisent ainsi dans l’héritage ancêstral rifain, tout en le modernisant sur les plans instrumental et musical, mariant les anciens rythmes Amazigh à la World Music. C’est le cas du groupe Timès qui réunit Rifains, Cubains et Belges qui semble avoir réussi un mariage subtile entre des sonorités de salsa, quelques notes de jazz et le style rifain. Ils ont réussi , d’après Tel Quel, à « conquérir des milliers de jeunes fans, pas forcément rifains, grâce notament à une musique moderne ouverte sur la World Music.» La plupart de ces groupes sont des autodidactes, n’ayant bénéficier d’aucune formation musicale particulière. Ils considèrent tous les festivals comme de véritables tremplins pour les jeuns talents et souhaitent être encouragés par les différents médias nationaux. .
La plupart des tribus rifaines, aux traditions guerrières pratiquent surtout la fantasia comme les Metalsa et n’ont parfois ni musique ni danse comme les Gzenaya qui considèrent la pratique musicale comme indigne de la virilité et du courage des hommes. C’est pourquoi ils font plutôt appel aux musiciens de leurs voisins Mernissa. Les jeunes musiciens Gzenaya sont obligés d’aller développer leur art à Nador. On peut dire de même des Bni Bou Yahi qui font appel aux joueurs de la guasba, la flûte des hauts plateaux de l’oriental marocain et du tell algérien, comme nous avons pu le constater à Saka chez les Bni Bou Yahi au nord de Guercif.Abdelkader Mana
07:40 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
29/11/2011
Le modèle Andalous au Maghreb
Texte Abdelkader Mana, reportage photographique Jean François Clément
Les images ont été prises à Fès, capitale de l'ART ISLAMIQUE
La musique comme fait social
La culture est toujours ambulante, déplacée et en mouvement : soit que sa déambulation voyageuse se fasse comme autrefois et encore aujourd’hui en carriole, soit que la circulation de la culture traditionnelle emprunte la voie des ondes et des bandes magnétiques. Au Maroc, comme partout ailleurs à travers le monde, on est rentré maintenant dans la phase Internet qui permet de voir à volanté les musiques et les danses des hameaux les plus reculés, grâce aux vidéos amateurs postées sur Youtub.Un jeune marocain né en France, me signale ainsi la vidéo qu’il vient de poster sur Youtub : et qui porte sur la danse du baroud dans un mariage Ghiata , tribu dont il est originaire et qu’il a filmé lui-même grâce à une caméra amateur, au cours de ses vacances au Maroc.Des milliers de vidéos portant sur les musiques régionales sont ainsi postées sur Youtub. Les jeunes y expriment leurs goûts musicaux et leur attachement à leurs racines culturelles. La diffusion massive de la musique populaire via Internet est un phénomène culturel important pour la reproduction de la musique populaire locale comme pour la diffusion de la musique venue d’ailleurs. Le téléchargement de la musique sur le Web est une nouvelle phase dans le changement permanent de la culture populaire et sa déstabilisation continuelle.
Au cours de notre enquête sur le Rai à Guercif, nous avons constaté les changements des pratiques culturelles et de la sensibilité populaire par l’effet – Internet : tous les artistes semblent impuissant face au piratage et au téléchargement de leurs albums sur le web,mais tous aspire aussi à se faire connaître grâce à cet outil même s’ils n’ont pas toujours les compétenses et la formation recquise pour se faire connaître en créant leur propre site. C’est gâce en effet, à facebook, que le groupe du samaâ de Taza a pu être invité à un pays du Golfe persique et parfois à animer des fêtes de mariage en dehors de Taza.
- Fête de mariage et goûts musicaux
L’institution de mariage avec la nuit des cadeaux et deux jours plus tard, la nuit des noces, constitue une situation musicale spécifique. L’appel adressé à l’occasion des mariages à plusieurs groupes musicaux à la fois, correspond à la différence des classes d’âge, des couches sociales, des milieux urbains et rural qui s’y rencontrent : « Il en faut pour tous les goûts ; il faut des chikhates pour les uns et le Rai pour les autres. ».A Oujda et à Taza, on fait appel à divers groupes musicaux pour animer les fêtes de mariages :
a. Dans un mariage de familles Oujdies ou Tazies,on produit la musique Andalouse (Art noble).
b. Dans un mariage populaire on peut trouver les Cheikhs de Bab Sidi Abdelwaha qui chantent les genres « aroubi » ou une chikhate de Guercif qui chante le genre Ssaff (ahidûs arabisé) surtout si une partie des invités parents et amis viennent de la campagne. Dans ce même mariage à une autre phase de l’évènement on trouvera :
c. Un groupe de Rai local chez les invités de la mariée.
d. Un groupe de musiciens populaire (chaâbi) chez les invités du marié.
e. Pour ce même mariage, pour la plupart des mariages traditionnels, le cortège à travers la ville – avec la charrette aux cadeaux – fait appel à quatre musiciens : Deux tambourinaires et deux hautboïstes qui sont intégrés par ailleurs aux confréries religieuses locales tels les Aïssaoua de Taza.
L’analyse de la demande sociale permet de rendre compte du dépérissement d’un genre musical et du développement d’un autre qui lui succède sur le marché de la musique. Dans le passé les pratiques musicales étaient conviviales et la musique avait une valeur d’usage et non une valeur d’échange : c’était le cas du berger qui joue de la flûte ou du rituel de l’achoura qui était une pratique collective autogérée, auto – organisée et gratuite.Aujourd’hui, les festivals sont gérés, organisé et subventionné par les politiciens. Autrefois les musiciens bénévoles ne prétendaient pas vivre de la musique. Aujourd’hui, la nouvelle génération de musiciens se professionnalise et vend ses services musicaux, ses CD et ses clips. Les jeunes musiciens s’efforcent de se placer sur le marché porteur du Rai. La société marocaine, rejoint ainsi cette occidentalisation de la musique comme le constatait J.Maquet à propos de l’Afrique Noire : « La musique populaire des centres urbains, accuse une influence très forte de la musique de danse d’Amérique Latine et du Jazz ; la guitar est devenue l’instrument principal. » Cette pénétration de la musique Occidentale se fait par la diffusion des industries cultuelles et à travers Internet.
- Le Modèle Musical Andalous
« Notre jeunesse ne réagit plus à la musique Andalouse. Elle était pourtant la musique des châteaux du paradis perdu de Séville , de Cordoue, de l’Alhambra de Grenade et des châteaux marocains Alors que les parents apprécient cette musique, les jeunes s’en détournent. Cela est dû à l’impact de la musique orientale et occidentale à travers la radio et la télévision. » Musique de Palais mauresque de Grenade, Séville et Cordoue, née de la confrontation en Andalousie des apports oriental et occidental. Après la chute de Grenade, elle s’est répondue dans tout le Maghreb.L’autre élément de la culture médiniste est le malhûn ,poésie et musique populaire des artisans des cités Andalouses et Maghrébines. Le terme malhûn vient de la racine lahn qui désigne en arabe classique, aussi bien l’erreur de style et de grammaire que l’opération musicale qui transforme un poème en un chant. Les origines lointaines du malhûn seraient à la fois andalouse et bédouines. Dans toutes les Zaouia citadine on chante des mdah (louanges au Prophète) en forme de malhûn. Son origine bédouine est attestée par son instrument de percussion, le douf (peau de chameau couvrant un cadre en bois en forme carrée). Il émet des rythmes lents qui lui sont suggérés par la marche déhanchée des caravanes. Une autre preuve semble être le thème du « voyage » commun à la tradition poétique des nomades et des artisans. En effet, la narration d’un voyage à travers le désert où le poète s’arrête de temps en temps pour se lamenter sur des ruines (atlal) est un schéma classique de la qasida préislamique. Le même thème se retrouve chez les artisans sédentaire sous le vocable du warchan (pigeon – voyageur).Le porteur de message est prétexte à la description d’un itinéraire. Le malhûn était vivant autrefois dans les médinas de Taza et d’Oujda où il existait des chanteuses citadines qui le chantaient dont certaines étaient originaire soit de Tlemcen soit de Fès. Ce type de chikhates n’existe plus. Avec elles, c’est un pan de la culture traditionnelle médinie qui a disparu. Les quelques midinis connaisseurs du malhûn à Taza par exemple ne sont pas organisés en orchestre. Il ne reste que quelques nostalgiques de cette période, refusant la modernité et ceux qui l’adoptent. Chez les tribus d’origine de l’oriental, on pratique un malhûn bédoin, comme c’est le cas chez les Mhaya, fraction issue des Béni Hilal, établie aux environs d’Oujda. Du temps de la colonisation Française, ces mhaya nomadisaient entre Taourirt au Maroc et Tlemcen en Algérie tout en étant ouverts sur le domaine saharien du côté de Bou ärfa et de Figuig. Ces nomades pratiquent encore, le « malhûn bédoin », qasida qui pleurent les ruines du désert à la manière des anciens d’Arabie. Du point de vue musical, ils recourt à la gasba (la grosse flûte du désert». Les cheikhs de ces tribus nomades à cheval sur le Maroc et l’Algérie, ont fortement influencé les stars du Rai moderne aussi bien par leur repertoire poétique que par leur rythme musical.
- Le Modèle Musical Maghrébin
Il existe au Maghreb un modèle culturel commun aux médinas traditionnelles. S’agissant de la musique, comme d’ailleurs d’autres formes d’art, nous savons que le modèle est venu de la civilisation Andalouse ; c’est notamment Ziriab, l’oriental installé à Cordoue qui a contribué à la fixation des règles de la nouba. Dans toutes les médinas, par opposition à la campagne on trouve un modèle musical médiniste (MMM) qui se pose en s’opposant à la campagne. C’est le cas des deux principales médina de l’oriental marocain que Taza et Oujda, situées entre Fès et Tlemcen et ayant subi l’influence de ces deux anciennes cités maghrébine en matière de musique andalouse en particulier. Aujourd’hui, ces médinas, investies par la modernité et marginalisées par leurs périphéries, perdent à la fois de leur caractère communautaire et de leur culture traditionnelle. Les nouveaux apports de population avec de jeunes fonctionnaires et des ruraux, ignorent la culture médiniste et ne peuvent la reproduire. Cependant des associations y ont pris le relais des anciennes zawiyas et s’efforcent de faire revivre le patrimoine musical local.
Ø L’identité culturelle de la médina est à la fois universelle et spécifique. Il faut donc faire la part de l’universel (le Modèle Musical Maghrébin) et du singulier (Modèle Musical Local). Le modèle général du changement dans le (M.M.M) provient de la modernisation des biens culturels et de « l’industrie culturelle » (Adorno et Horkeimer).
Ø Sur le plan spécifique (M.M.L.), on notera l’influence au niveau local d’une particularité Maghrébine ; le mouvement musical du genre Rai A partir des années 1980, le Rai un développement spectaculaire dans la région oranaise avant d’atteindre Oujda, Berkane, Guercif et les principales villes du Rif, El Huceima et Nador. C'est-à-dire un creuset de l’émigration y compris clandestine,où les jeunes du Rif et de l’oriental vont à la rencontre de la World Music, sans pour autant renoncer à leurs racine : on les voit recourir au synthétiseur et à la boite à musique tout en chantant les izri (poèmes rifains) ou en recourant aux rythmes traditionnels de la danse du baroud ou de la flûte des transhumants de l’oriental marocain.
Ø Les midinis disent : « On a vendu les clés de la médina ». La ville, surtout après l’indépendance, a été envahie par la campagne environnante. La musique rurale fait maintenant partie intégrante de la vie musicale dans la ville. Elle constitue la plus forte vente des cassettes chez les disquaires à Oujda. Cette musique locale s’oppose à l’influence uniformisante de la radio. Les musiques rurales sont particulièrement appréciées par les éléments de la population de transplantation récente dans la ville. La classe paysanne et la classe ouvrière ont en commun non seulement le fait de « manier directement la matière » (Halbwachs) mais aussi d’avoir les mêmes goûts musicaux.
Il y avait au départ trois écoles de musique andalouse au Maghreb :
- La alaandalouse qui caractérise les vieilles médinas marocaines ramenée à Fès, par les migrants andalous surtout ceux de Valence et de Séville ; s’est progressivement diffusée en direction des autres médinas marocaines (Meknès, Salé,Chefchaouen, Tétouan,Taza, Marrakech, Essaouira) etc.
- Le tarab ghernati ou sanaâ, s’est diffusé quant à lui de Tlemcen vers Oujda et Alger et plus tardivement vers Rabat où l’avait introduit, Si Qaddour Benghabrite . Ce Tlemcenien d’origine, était, « naib sultani » (représentant du sultan) à Oujda. C’est ce personnage qui avait crée le cadre associatif de l’ Andaloussiya d’Oujda dont l’orchestre de tarab gharnatiallait représenter le Maroc au Congrès de la musique Arabe du Caire,en 1932. Benghabrite, qui deviendra par la suite recteur de la mosquée de Paris, n’est mort en 1954, qu’après avoir légué ce patrimoine grenadin à Rabat, où il reste encore vivant grâce aux familles Birou et Tazi .
3. L’école du maâlouf, qui s’étend de Constantine dans l’Est algérien à la Libye en passant par Tunis : cette école de musique andalouse est très influencée par la musique orientale.
A.La musique andalouse à Taza
Etre médini n’est pas seulement le fait d’habiter la médina au sens de ville traditionnelle, c’est aussi une conception du monde et une position dans la culture. Etre médini, c’est connaître de l’intérieur et pratiquer la culture traditionnelle de la médina. En tant que patrimoine commun des médini, la musique des médinas est un élément fondamental du système.
À Taza, les associations dévolues au samaâ œuvrent également pour l’épanouissement de la musique andalouse. Et cela d’autant plus que cette vieille médina maghrébine se prévaut d’une grande tradition dans ce domaine. Parmi les grands noms Tazis de la musique andalouse on peut citer entre autres, maître Haj Ahmed Labzour Tazi, mûnshid et joueur de Rebab qualifié. Il se distingua par sa contribution à l’enregistrement de l’intégralité du répertoire de la Ala, avec le concours de l’UNESCO, et par une tentative sérieuse de transcription, souligne Ahmed Guettat dans son monumental ouvrage intitulé « empreinte du Maghreb sur la musique arabo – andalouse ». Parmi les autres grands noms figure celui de feu Abdessalam Lbrihi, ce natif de Taza qui se trouve parmi les auteurs ayant contribué au recueil du Haïk qui fut publié sous les règnes de Hassan Ieret de Moulay Abdelaziz.
C’est d’ailleurs son fils Mohamed Lbrihi qui fonda, au tout début du XXe siècle, la première association de musique andalouse qui allait contribuer, d’une manière décisive, à la préservation de ce legs andalou au Maroc. Cet originaire de Taza, comme le mentionne un dahir de Moulay Abdelaziz, était devenu chanteur de Cour (moutrib al qasr). Il est mort en 1945. Il avait formé à la alaandalouse toute une génération de musiciens de Fès, à commencer par le plus fameux d’entre eux, El Hajj Abdelkrim Raïs. Les plus grands ténors de la musique andalouse ont donc été formés par un homme originaire de Taza. L’association qu’il avait fondée est actuellement présidée par son gendre Anas El Attar.
B.Le malhûn à Taza
L’un des grands noms du malhûn à Taza est le poète Mohamed Belghiti surnommé Btigua. Ce dernier animait régulièrement des soirées de ce genre poétique et musical à Fès et, dit-on, il connaissait par cœur quelque quatre cents qasidas, dont celle qui évoque la mort du Prophète ou encore « haoul lqiyama », le jour de la résurrection. Il avait composé des qasidas sur Taza dont l’une énumère les saints de la ville. C’est au cours de ces soirées qu’il organisait dans les Riad de Fès qu’il présentait ses nouvelles créations en matière de qasidas chantées du genre malhûn. Autre chantre du malhûn tazi, Belaïd Soussi, l’auteur de la qasida du ferran (le four public) et de cette chanson qui connaît encore un grand succès populaire (et que chante Mohamed El Asri) et qui a pour refrain :
Allah y l’ghadi l’Sahra jib li ghzal !
Ô toi qui s’en vas au Sahara, ramène-moi une gazelle !
Autre succès de cet auteur tazi « lgaâda f’jnan sbil » (villégiature au jardin de Jnan Sbil de Fès) et « Ya man bgha zine » (ô toi qui désires la beauté !). C’est encore lui qui avait composé cette chanson nationaliste à l’occasion du retour de Mohamed V de son exil de Madagascar :
Saâdi ziyant ayâmi, mahboub khatri jani !
Heureux sont mes jours, mon bien-aimé est arrivé !
Il avait également composé des chansons pour des vedettes de la chanson marocaine tel Fath Allah Lamghari. Taza faisait partie des vieilles cités marocaines, telles Salé, Safi et Meknès qui produisaient du malhûn. Mais elle ne dispose pas actuellement d’un orchestre de malhûn déplore M. Hamid Slimani. Pourtant les habitants de Taza restent encore attachés au malhûn. Certains musiciens font, de temps en temps, quelques tentatives pour faire revivre ce genre poético - musical. Le malhûn est actuellement exécuté par les orchestres qui animent les fêtes de mariage, mais il n’existe pas d’orchestre spécialisé dans le malhûnproprement dit.
C. Taza, bastion du samaâ.
Au Maroc, c’est grâce au samaâ (oratorio, chant soufi) qui se pratique principalement selon les modes musicaux andalous que les zâwiyyas ont joué un rôle fondamental dans la préservation du patrimoine musical andalou. Taza est l’un des principaux centres maghrébins où s’est épanoui le modèle musical andalou (M.M.M.) : samaâ, musique andalouse et malhûn. Dans la vieille médina de Taza, le samaâ est en effet un art vivant lié à la vie quotidienne. Il est omniprésent à toutes les étapes de la vie du berceau au tombeau : on y recourt pour tous les rites de passage depuis les berceuses, les baptêmes, les circoncisions et les mariages jusqu’aux oraisons funèbres qui accompagnent le mort à sa dernière demeure. Pratiqué traditionnellement par les adeptes des confréries religieuses, le samaâ est passé récemment à Taza de la phase des zâwiyyas à celle de jeunes associations qui en font la promotion sur Internet. Le nombre de ces associations est passé de deux en 2006 à plus d’une trentaine en 2010. Ce regain d’intérêt pour le samaâserait dû à l’impact de la télévision qui a consacré à ce genre des émissions diffusées quotidiennement par la deuxième chaîne marocaine tout le long du Ramadan en 2006 :
« Au début des années 1990, raconte M. Hamid Slimani, notre rencontre avec le grand maître du samaâ que fut le cheikh Abdessalâm Ben Mansour fut une étape décisive pour notre professionnalisation. C’est ce qui a permis la renaissance de cet art à Taza, sa valorisation et l’intérêt que lui porte la jeunesse de la ville. Il y a eu aussi l’impact de la télévision : en valorisant le patrimoine local, celle-ci a incité les jeunes à s’intéresser au samaâ en le pratiquant. Au point que nous avons maintenant à Taza, 14 associations comprenant 35 groupes qui pratiquent le samaâ alors qu’elles n’étaient que deux à le faire en 2006 ».
Ces groupes sont actuellement très demandés par les familles de Taza surtout en période d’accueil des pèlerins de retour de La Mecque. Leurs prestations varient en fonction de leur professionnalisme, leur qualification et leur réputation. Le chef de file de ce genre à Taza, M. Hamid Slimani nous confie à ce propos :
« Le samaâ a toujours existé à Taza, mais sa pratique était traditionnelle et spontanée. Lorsque notre génération est arrivée pour prendre la relève au début des années 1990, nous avons trouvé des personnes âgées qui pratiquent ce chant sacré sans en connaître les fondements. Pour acquérir une véritable formation dans ce domaine, il nous a fallu partir ailleurs. Notre initiation eut lieu principalement auprès de la zâwiyya herraqiya (l’incandescente) qui constitue la source du samaâ au Maroc puisque c’est elle qui anime les cérémonies de la nativité du Prophète au mausolée d’Idriss II à Fès. C’est surtout au sein de sa branche de Rabat que nous avons accompli notre apprentissage avec feu Si Abdessalâm Ben Mansour, maître incontesté au Maroc dans ce domaine ».
Notre interlocuteur vient d’ailleurs de poster sur Facebook une vidéo consacrée à l’hommage qui fut rendu à son maître au théâtre Mohamed V juste avant sa disparition. Le musicologue et conseiller Royal, M. Abbas El Jirari, y déclare, parmi d’autres déclarations, que le défunt était la référence absolue en matière de samaâ et de musique andalouse au Maroc. Que son grand-père maternel était le cheikh de la zâwiyya herraqiya à Rabat. Qu’il avait, de ce fait, une parfaite maîtrise des « toubaâ, angham et sanaâ » (« les modes musicaux andalous, leurs mélodies et l’art de leur déclamation »).
Qu’au cours des années 1970, il avait publié le haïk, recueil de qasida et de mouachah andalous où sont consignés, pour la première fois, certains modes musicaux andalous disparus. Et surtout qu’il avait formé de nombreux chanteurs dans ce genre en tant que fondateur d’une école du samaâqui constitue au Maroc la référence des références en la matière.
D.La chanson moderne à Taza
L’association marocaine des musiciens professionnels vient d’être fondée à Taza au mois d’octobre 2010. Elle se compose principalement de musiciens et d’enseignants de musique de l’Éducation nationale. C’est une association qui s’intéresse principalement à la chanson marocaine moderne, ce qui la distingue ainsi nettement de la musique patrimoniale telle que celle du samaâ ou du folklore. Elle est présidée par M. Qadaâ Lakhal, jeune professeur de musique, qui s’élève contre la retraditionalisation de la société que connote ici le renouveau du samaâ en tant que chant religieux : « Nous assistons à une nouvelle vogue de la musique religieuse qu’on appelle samaâ. Cela est dû, en partie, à la rediffusion de valeurs traditionnelles au sein de la société. Peut-être par réaction à la mondialisation ? Peut-être par réaction à la diffusion d’une culture permissive sur le web ? D’où l’intérêt d’une certaine jeunesse pour cette musique à connotations religieuses. En tant que jeunes intéressés par le domaine musical, nous voulons certes encourager la musique, mais en tant qu’art diffusant des valeurs humanistes universelles qui ne soient pas nécessairement des valeurs religieuses. En tant que jeunes, nous voulons contribuer à la diffusion de la musique marocaine, mais il est erroné de croire que nous allons accepter la musique marocaine dans son moule traditionnel qui est pauvre sur le plan musical. Les jeunes ne peuvent accepter cette musique présentée sous cet angle Par conséquent, nous prenons cette musique comme un simple moule que nous retravaillons d’une manière moderne. La musique est un puissant moyen d’intégration des jeunes permettant de les éloigner de l’extrémisme religieux aussi bien que de la délinquance et de la drogue. Les jeunes aiment bien le Rai du fait qu’il fait fusionner musique arabe et musique occidentale ».
La musique Andalouse dans l’Oriental
Oujda fut fondée en 994, par Ziri Ben Atya, chef des Maghraoua, groupe de Zénètes nomades. Investi par les khalifes Omeyyades de Cordoue du commandement du Maghreb. Ziri Ben Atya , qui dut s’y imposer par la force, décida de s’installer au centre du pays qu’il devait administrer plutôt qu’à Fès ou à Tlemcen. Il résolut de créer une « capitale » au milieu de la plaine d’Angad, à proximité de la source de Sidi Yahya(le beau parc de Sidi Yahya qu’abritent les térébinthes séculaires ne fut qu’un cimetière) et de montagnes qui pourraient éventuellement lui servir de refuge. Mais le site d’Oujda se justifie aussi par le croisement qui s’y opère entre deux grandes voies commerciales : la voie nord-sud de la mer à Sijilmassa et est-ouest de Fès à Tlemcen. Le géographe andalou, Oubeïd el Békri écrivait vers l’an 1068 :
« Les voyageurs qui partent des contrées orientales (de l’Afrique) pour se rendre à Sijilmassa et aux autres localités de l’Occident, traversent la ville d’Oujda et y suivent la même route lors de leur retour. » Cette voie de passage pour le commerce était aussi le « triq sultan »( seule voie de circulation praticable entre Fès et Tlemcen) ponctuée par le Moulouya et la Kasbah des Msoun, qu’empruntaient les armées des Sultans du Maroc lorsqu’elles se portaient contre les Souverain Abdelwadides de Tlemcen. Oujda fut ruinée et relevée quatre fois au cours des guerres continuelles qui opposèrent les maîtres de Fès à ceux de Tlemcen.
Située dans la plaine d’Angad, Oujda est à 14 kms de l’Algérie et à 60 kms de la Méditerranée. la ville d’Oujda fut rasée à deux reprises sous les règnes des Mérinides Abou Youssou Yacoub(1272) et Abou El Hassan(1335). Occupée en 1907, par l’armée coloniale française, la ville vit sa population augmenter avec l’immigration d’Européens et d’Algériens lors du protectorat. Durant la guerre d’Algérie(1954 – 1962), Oujda accueillit une vague de réfugiés et servit de base arrière pour la résistance algérienne, ce qui explique l’arrivée au pouvoir à Alger du « clan d’Oujda ». C’est ce que nous explique l’anthropologue Bader el - Maqri dont la famille est arrivée à Oujda vers 1820 :
« Les cousins de l’émir Abdelkader se sont établis à Oujda, lieu de métissage par excellence. Le club de football local, la « Mouloudiya d’Oujda » comprend 10% de joueurs d’origine algérienne. L’équipe du FLN où a-t-elle débuté ? A Oujda ! Toute l’élite algérienne était ici à Oujda. Il n’y avait pas de distinction entre ce qui est algérien et ce qui est marocain.. Au point que nos grands parents nous disaient qu’ils n’ont découvert que leurs voisins étaient algériens qu’après 1962, au moment où ils sont revenu en Algérie. C ‘est là qu’ils ont compris qu’ils sont d’origine algérienne ! »
Louis Voinot dans « Oujda et l’Amalat », 3 tomes, 1912, écrit ainsi à propos du métissage culturel à Oujda à l’aube du 20èmesiècle :
« Il existe certes un petit noyau de descendants de vieilles familles Oujdis, renforcés dans les années 1830 – 1840, par l’installation de familles algériennes fuyant l’occupation française et de quelques représentants de firmes fassies venant profiter du regain des échanges liés aux fournitures à l’émir Abd el Kader. Mais ces apports sont continus et multiples. Ainsi en 1882 une effroyable disette sévit dans le Souss. Sur les conseils du Sultan, les habitants viennent s’installer dans la région d’Oujda. La population juive passe de 10% à plus de 20%. Diversité, spécificité d’une part, mixité de l’autre : arabes citadins et arabes campagnards, berbères, figuiguiens, juifs marocains et juifs français, européens aussi, moins rares qu’il n’a été dit, voir « levantins », gens à la langue dorée et à l’inspiration fertile. La cohabitation est heureuse de ces ethnies différentes, qui apparaissent vivant de façons beaucoup plus mêlées que dans les autres cités. »
Sous le protectorat la médina d’Oujda abritait les musulmans et les juifs marocains. La ville européenne s’était étalée au-delà des remparts, détruits durant les années trente, et remplacés par des avenues. Les deux tiers des juifs marocains vivaient dans l’ancienne médina intimement mêlés aux musulmans, partageant le même immeuble autour de la même cour. Ainsi, les juifs marocains d’Oujda n’étaient pas comme dans d’autres villes du Maroc confinés dans un Mellah entouré de remparts. Un certain nombre de juifs marocains enrichis, avaient quitté la médina pour la ville européenne. Celle-ci recevait également des familles de notables musulmans marocains et plus encore algériens. Cette réalité sociale explique largement le caractère métissé de la musique andalouse à oujda. La société de musique « Andaloussia », a été fondée en 1921 par deux fonctionnaires algériens, Si Rahal Mohamed interprète judiciaire, et Bensmaïn Mohamed, professeur au lycée. Elle a vivement intéressé S.M. Le Roi Mohamed V, lors de sa première visite officielle à Oujda.
Le répertoire classique des Noubât Gharnati d’Oujda a pour source Tlemcen qui recueillit dés le 13ème siècle le legs musical andalou. Cité des grands maître de la musique arabo – andalouse, dont Al Maqqari Al Tilimçâni, l’auteur de nafhat – tîb qui raconte le cycle des nawba Gharnati – de Grenade – où les plus grands musiciens de Cordoue se retrouvèrent, avant de refluer vers le Maghreb, à la suite de guerre de reconquêtes catholiques en Espagne. La tradition Gharnati de Tlemcen a entretenu des contacts avec les villes d’Oujda et de Tétouan au Maroc. Tlemcen a été un centre de rayonnement de la musique andalouse dans sa sphère culturelle avec à l’Ouest, le couloir de Taza et à l’Est, Bejaïa. Cette musique andalouse est appelée ala au Maroc, Gharnati à Tétouan, Oujda et Tlemcen, San’âà Alger, et Maâlouf au constantinois et à Tunis.
La nawba fut mise au point dès le 9ème siècle, à Cordoue, en Espagne musulmane. Vastes constructions mélodiques qui ont vaincu l’oubli et traversé le temps. C’est Ziryab qui fut à l’origine du grand monument andalou, constitué par les vingt quatre nouba-s, un système qui se développa sous la forme d’un arbre symbolique, l’arbre des tempéraments, Shajarat al-toubou’, ou arbre des modes. A chaque heure qu’égrène le jour correspond un mode, un maqâm, c'est-à-dire un chant, une mélodie, qui exprime un état d’âme, une pensée, un sentiment. Si par exemple, le mode raml et raml el Maya, célèbre les chatoiements du crépuscule, le maya et rasd – eddil, saluent le jour qui point. Le grand Ziryab ajoute une cinquième corde à son luth et fixe à cinq le total des mouvements essentiels de la suite musicale arabo – andalouse qu’on appelle nawba. Des vingt quatre modes que comptait l’ingénieuse et géniale classification de Ziryab et de ses disciples, quinze seulement subsistent au Maghreb. Et sur les 15, 12 seulement restent suffisamment connues pour offrir matière à la composition de nawba parfaites, c'est-à-dire de suites à peu près complètes. Vers 1800, à la demande du Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah, on rassembla dans le manuscrit du Hayk al Titouâni, les textes de tous les chants qui se chantent couramment sur les vingt quatre échelles modales ( toubou’) des onze nawbâtmarocaines.
Dans la nawba maghrébine héritière de la nawba andalouse, la musique, le chant et la poésie sont étroitement liés. Toute tentative de faire abstraction de l’une des composantes de la nawba aboutit à une analyse erronée. On ne peut donc parler du muwashah sans le mettre en relation avec la nawbadans laquelle il est chanté, et avec le mode tba’ qui en détermine souvent le contenu thématique et la forme stylistique.
Les pièces vocales se composent aussi de Zajal et de qasaïd-s classiques. Et il arrive souvent qu’au cours du même mouvement on chante successivement un Zajal, un mûwashah et une qasida. Le muwashahqu’on peut traduire par « la parure poétique chantée » est né dans les jardins andalous. C’est ce genre poétique typiquement andalou qui serait derrière la poésie de « l’amour courtois » qui caractérisait au Moyen Âge les troubadours de l’Europe méridionale.
Le tarab ghernati entre Oujda et Tlemcen
Au Sahara, on parle de « tarab hassani », par référence à l’empreinte profonde, que procure à l’auditoire la notion de tarab chez les anciens d’Arabie. Un art musical et plus précisément un tarab, cette émotion musicale qui aboutit à l’extase et qui caractérise entre autre, le chant andalous de Grenade : « L’art de chanter est un don de la jeunesse, et la mélodie des voix, un don de Dieu ! ». Excellente définition du tarab. Les musiciens de Grenade avaient donc pour ambition d’aboutir à cette émotion musicale qui aboutit à l’extase d’où l’appellation de leur chant de « tarab gharnati ». A Oujda, comme à Tlemcen et Alger on se réclame de ce legs grenadin.
En 1492, avec la chute de Grenade, le dernier des sultans nasrides , Abou Abd el Ilah(le fameux Abou Abdil des chrétiens) a débarqué du côté de Ferkhana, à une centaine de kilomètres au nord d’Oujda, du côté de Nador, avant de se diriger vers Oujda. C’est dire que les relations entre Oujda et Grenade sont anciens. Il n’est donc pas étonnant que le tarab gharnati soit un élément essentiel de l’identité culturelle d’Oujda. Les relations culturelles entre Oujda et l’Andalousie remontent plus loin encore, à la dynastie Almoravide au XIème siècle comme l’attestent les relations de voyage relatives aux échanges entre Oujda et Séville, Murcie, Valence et Grenade.
Cette empreinte culturelle s’est davantage renforcée au XIV ème siècle avec l’émigration des juifs de Séville vers Debdou en 1392. Jusqu’à aujourd’hui existe à Debdou une source qui s’appelle « Aïn - Chbiliya » (la source de Séville).On ne peut pas parler du tarab gharnati d’Oujda sans évoquer le rôle de la communauté juive en particulier celui que jouèrent deux familles de Debdou : les Cohen et les Marciano, (de Murcie), en concurrence permanente y compris sur le plan artistique. C’est eux qui ont introduit certaines qasidas, celles par exemple d’Ibnou Sahl, un poète juif d’Andalousie. En Algérie, les turcs ont laissé des empreintes dans les manières de table, dans le vestimentaire et certainement aussi dans le domaine musical : « Il y a une influence certaine de la musique turc, sur le gharnati de Tlemcen qui constitue une référence pour Oujda, nous explique, le cheikh Mohamed Chaâban.Quand tu écoute la musique classique turc, tu a l’impression d’écouter le gharnati.Il y a une influence certaine de la musique turc sur le gharnati ! »
Pour l’étude des modes musicaux spécifique au tarab gharnati proprement dit, il faut signaler le kounnach el haïk, de l’imam Mohamed Ben el Ghamad el Oujdi , fikih et musicologue ayant vécu au XVIIème siècle. Maître Mohamed Chaâban, qui préside aux destinées de l’Association Andalousia, fondée en 1921 nous déclare à cet égard :
« Les juifs étaient très connus pour le tarab gharnati. Et qui avait réuni le recueil du gharnati, si ce n’est Edmond Yafil ?! Avant lui, le gharnati était dispersé : à chaque fois qu’un cheikh meurt, il emportait avec lui les nouba et les sanaâ qu’il maîtrisait. C’est Edmond Yafil qui les a recueilli auprès des cheikhs, en les publiant dans un petit recueil qui porte son nom de « Yafil ».J’en ai une copie. Après lui, les grands cheikhs d’Algérie, l’ont corrigé et augmenté en publiant des recueils plus volumineux. J’en possède trois volumes où ils ont traduit de l’hébreu beaucoup de sanaâ qu’on trouve chez Yafil. Ces recueil des 12 nouba du tarab gharnati qui prélude à chaque fois par ce qu’on appelle lamchaliya et touichiya .Cette dernière est plus longue que celle qu’on trouve dans la Ala andalouse. Et chacune des 12 noubas comprend cinq mesures ou mizân :
1. Première sanaâ, lamsadder qui est lent
2. Deuxième sanaâ, labtaïhi
3. Darj
4. N’siraf
5. MAkhlass(pour conclure)
C’est en ces cinq sanaâ que se compose la nouba. On y ajoute des fois ce qu’on appelle la qadriya, qui n’existe que dans les noubas de raml el maya, lahssin, et laghrib. C’est en cela que consiste la nouba complète. Ces dernières sont au nombre de 12 :
- Zidân
- M’janba
- Raml
- Dil
- Rasd Dil
- Maya
- Laghrib
- Lahssin
- Rasd
- Raml l’maya
- Sika
- L’mazmoum
Le tarab gharnati diffère de la ala andalouse au niveau du mizân (la mesure) : la maya de la ala n’est pas la même que celle du gharnati : la maya de la ala ressemble à la sika du gharnati sur la mesure de « Mi ». ET la maya du gharnati ressemble à l’istihlal de la ala ou à son rasd dil. C’est en cela que réside la différence entre la ala andalouse et le tarab gharnati. Il y a aussi des différences au niveau de la sanaâ et du mizân : le derj de la ala n’est pas celui du gharnati et on peut dire de même pour labtaïhi. La grande école du tarab gharnati est celle de Tlemcen : son gharnati est plus complexe avec des noubas plus longues. La première école du gharnati est celle de Tlemcen qui a fortement influencé Oujda. Jadis, on le chantait aussi à Taza.Malheureusement, le gharnati a disparu de Taza. A une certaine époque, les juifs chantaient le gharnati à Fès. Et il commence à décliner à Rabat.».
Il existait à Oujda un club féminin d’adeptes du tarab gharnati, où la chikha Titma de Tlemcen séjourna pendant cinq ans, entre 1920 et 1925, avant de s’en aller à Fès. Beaucoup de poètes de l’ouest algérien étaient venus à Oujda où on chantait leurs qasidas, lors des fêtes de mariage, sous le mode gharnati : Qaddour Ben Âchour Zerhouni, adepte de la zâwiyya taybiya mort en 1938 dont le recueil fut imprimé à Oujda en 1932.Autres poètes algériens ayant séjourné à Oujda : Lakhdar Ben Khallouf de Mostaganem, Ben M’sayb qui y composa « mon cœur s’est enflammé » ou encore Mustapha Triki Zengli. Au point que dans son encyclopédie du malûn, Mohamed El Fassi nous dit que les meilleures qasidas sont celle qui ont été composées à Oujda. Il ne pouvait pas y avoir de fêtes à Oujda sans cette fusion entre le gharnati et le malhûn. Ce métissage poético – musical qu’on appelle haouzi en Algérie, mêle aussi bien les chantres du malhûn d’Algérie que ceux du Maroc :
On chantait ainsi El Meknassiya de Sidi Qaddour El Alami, l’hôte de Dieu de Cheikh Jilali Mtired de Marrakech, Beautés de Fès, de Mohamed Ben Slimane (qu’interprète Cheikh el Hajj M’hamed el’Anka), le faucon et le corbeau d’Ahmed el-Ghrabli, Zhirou de Lili el-Abbassi et même la chandelle de Mohamed Ben Sghir d’Essaouira ! Ville-frontière, Oujda connaissait une telle effervescence poético - musicale, car en plus qu’elle se situe entre Fès et Tlemcen, elle était sur le chemin du pèlerinage saturé par la littérature de voyage : adab rahalat, aussi bien des occidentaux que des maghrébins. On peut citer Mustapha Ben Brahim, mufti de Sidi Bel Abbas, mort en 1854, qui était venu à Oujda où il a composé une longue qasida dénommée « el goumri » où il décrit en 1500 vers, sa « rihla » (récit de voyage) d’Oujda à Fès. A titre d’illustration également , on peut citer la « Qsida Ouajdiya » de Raymond Marciano qui vécut à Oujda dans les années 1940-1950, où il évoque Bab Sidi Abdelwahab, souk laghzel, Qissariyat Ben Attar…C’est le Cheikh Saleh , né en 1911 et mort en 1973, qui était allé loin dans cette fusion entre le malhûn et le tarab gharnatidonnant naissance à ce qu’il est convenu d’appeler la « Qasida Ouajdiya », très demandé aux fêtes de mariage de l’ouest algérien : M’askar,, Oran, Saïda,
Le cadre associatif du tarab gharnatià Oujda
Actuellement, il existe 11 associations de tarab gharnati à Oujda. Fondée en 1921, l’association andaloussiya est l’association – mère d’où sont issues toutes les autres :
- Association Andaloussiya
- Association Ahbab Cheïkh Saleh
- Association Mossoliya
- Association Ziryab
- Association Ismaïliya
- Association Nassim
- Association Nassim el Andalous
- Association des amateurs de tarab gharnati
- Association Jouq Salam
- Association la SICADA
- l’orchestre de la Wilaya d’Oujda
En arrivant à Oujda,le 29 mars 1907, parmi les premières choses que le Maréchal Lyautey avait entreprises , le règlement des associations qui permettait, entre autre, aux musiciens de se réunir administrativement sous un Dahir des libertés public. C’est en 1921 qu’a vu le jour à Oujda, l’association Andaloussiya, fondée par Mohamed Bensmaïn. Cet originaire de Tlemcen, décédé en 1947, exerçait à Oujda en tant qu’enseignant au lycée Omar C’est lui, le premier qui a eu l’idée de réunir les mélomanes Oujdis en association. Ce sont les membres de cette association qui ont représenté le Maroc en 1932, au Congrès de la musique Arabe au Caire, avec Mohamed Bensmaïn, Si Qaddour Benghabrite et Marzouqi qui était délégué de la douane à Oujda et qui est mort à la fin des années 1940. Et c’est encore l’association Andaloussiya qui allait représenter le Maroc à la foire coloniale de Paris en 1936, où l’orchestre du tarab gharnati comprenait 60 musiciens, dont un seul est encore vivant : Si Mohamed el Hachmi Sghir. L’association andaloussiya avait débuté un projet de musique andalouse avec nota qui est perdu malheureusement. Actuellement, c’est le professeur de tarab gharnati, Mr. Mohamed Chaâban , né à Oujda en 1948, qui préside aux destinées de cette association dont son père, le cheikh Saleh était membre fondateur comme il nous l’explique lui-même :
«Cheikh Saleh, mon père, était le disciple d’un très grand maître, le cheikh Larbi Ben Sari de Tlemcen, qui animait des fêtes de mariage à Oujda. Il allait jusqu’à Fès. Même mon grand père, Saïd Chaâban, jouait de la kamandja (violon) Il était né à Tunis. Au cours de la première guerre mondiale, il a traversé l’Algérie à l’âge de vingt ans et était venu s’établir à Oujda, où il a épousé une Tlemcenienne donnant naissance à mon père qui allait devenir mélomane grâce à Larbi Ben Sari. Celui-ci venait de Tlemcen pour animer des fêtes de mariage à Oujda. Il remarqua mon père en s’enquérant de sa filiation il découvre qu’un lien de parenté les lie tous les deux. Le voyant mélomane, il lui conseilla de rejoindre l’orchestre de Bensmaïn,le fondateur d’Andaloussiya en 1921.Sachant déjà jouer d’un instrument, mon père s’initia a la sanaâ auprès de Bensmaïn, jusqu’à ce qu’il devint l’un des meilleurs de ses élèves ainsi que le cheikh Abdelkader que Dieu ait son âme. C’est mon père qui a pris par la suite la relève de Bensmaïn. Mon père était surtout connu pour sa belle voix. Le cheikh Saleh a cessé de présider l’Andaloussiya en 1969. Tous les enseignants de musique des autres associations ont été formés dans cette association – même .Malheureusement, ils ne sont pas allés jusqu’au bout de leur formation. A peine ont-ils commencé leur initiation que déjà, ils s’en vont former leur propre association ailleurs. En 1921,l’association Andaloussiya a été créée par Bensmaïn, lui succèda cheikh Abdelkader,puis le cheikh Saleh, mon père. A sa mort, lui succéda Zemmouri, que Dieu ait son âme, puis j’ai succédé à ce dernier depuis 1976 à nos jours. »
El Fakir Ahmed qui a adhéré à l’association Andaloussiya en 1975 a crée l’association Ziryab en 1985 avec dix autres membre tous issus de l’association – mère. Ils sont maintenant dix membres en plus des juniors. Cette association a depuis participé aux 19 éditions du festival du tarab gharnati, qu’organise annuellement à Oujda le ministère de la culture, d’abord à Saïdiya et maintenant à Oujda. Le juré du festival se composait de Mr.Ahmed Aydoun, le délégué de la culture à Meknès, El Haj Birou et Mr.Agoumi. L’association était également invitée aux soirées du Ramadan organisées à Oran et Tlemcen. En 1999, l’association a participé à la onzième édition du festival de Babel en Irak et au Temps du Maroc en France, par une tournée intitulée « chant de traverse » où participaient également des musiciens juifs, dont la Française d’origine algérienne Françoise Atlan.
En 2005 l’orchestre « chant de traverse » que finance Serge Berdugo, anime une soirée à Madrid et anime une soirée musicale sur la deuxième chaîne marocaine avec comme vedette feu Sami el Maghribi. L’association fut également invitée, en 2009 à Essaouira au festival des Andalousies atlantiques. L’orchestre de tarab gharnati d’Oujda a ainsi accompagné Raymonne el Bidaouiya (la Casablancaise) et Haïm Louk venus pour cette circonstance de Loos Angeles. Il faut signaler que Mr. Fakir Ahmed qui chante à merveille en arabe , chante également sans problème en hébreux. Pour sa part, l’association Moussiliya a été invitée par l’Institut du Monde Arabe au mois de janvier 2010 et ira au mois de janvier 2011 à Nancy. Ainsi donc, quand une association de tarab gharnati est invitée à l’étranger, elle ne représente pas seulement Oujda mais tout le Maroc. Elle rentre dans le cadre de ce qu’on a convenu d’appeler « la diplomatie culturelle ».
Le samaâ dans l’Oriental : la tariqa Boutchichia
À la frontière algéro – marocaine, où la plaine de Triffa s’étend au pied du massif des Bni Iznassen, se situe la zaouia –mère de la tariqa Boutchichia actuellement le principal épicentre du samaâ au Maroc au vu du nombre considérable des adeptes qui s’y adonnent. Issu des Béni Iznassen, Sidi Mokhtar Boutchich, premier maître spirituel de la tariqa(voie soufie) vint s’y établir, à partir de 1907, plus précisément au village de Madagh qui va devenir le fief de la Tariqa avec le Cheykh Abou Mediane, mort à Madagh en 1955. Lui succédera alors jusqu’au début des années soixante dix, le Chaykh Sid El Abbas, le père de Sidi Hamza, le Chaykh actuel de la Tariqa.
Cette Voie se nomme « Qadiriya » par référence à Moulay Abdelkader Al Jilani, maître soufi qui vécu à Baghdad au 12ème siècle. A chaque fête du Mouloud, des milliers d’adeptes venus de toutes les régions du Maroc, mais aussi de Thaïlande, d’Europe, d’Amérique et d’Afrique , se retrouvent à Madagh, pour commémorer en présence de Sidi Hamza, leur maître spirituel vivant, la naissance du Prophète. Deux nuits soufies ont lieu simultanément : d’un côté celle des femmes, de l’autre celle des hommes, en présence de leur guide spirituel. Au cours de ces nuits soufies ont lieu des séances de samaâ animées surtout par le « groupe de Casablanca ». Ces « concert spirituel » ou « oratorio »(samâ’) ont pour but de développer la partie « affections » de la méditation collective.Abdelkader Mana
06:28 Écrit par elhajthami dans Arts, Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts islamiques, musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
16/10/2011
Fête du mouloud à Lalla aziza
Le sanctuaire de lalla Aziza est gardé de toutes parts par la sombre terre des Seksawa. Le ciel à qui lève la tête , n’apparaît que circonscrit par les cimes. Le reflet noir des schistes, l’éclairage venu d’en haut, tempèrent la scène d’une grisaille vibrante. Nous sommes ici en plein centre des Seksawa, à un foyer de rayonnement et d’attraction. Chaque fête du mouloud vient sceller la connivence du groupe et des puissances invisibles. Solidarité collective, rite saisonnier , recourt à l’au – delà se nouent sous le signe d’une héroïne d’historicité précise.
Sacrifice à lalla Aziza
Les Imtdan, fraction Seksawa, se composant de cinq douars, sont les desservants officiels de Lalla Aziza. Ce sont eux qui sont toujours chargé d’acheter le sacrifice de Lalla Aziza. Au Mouloud ils sacrifient une vache et au printemps une cote part d’ovins et de caprins. En effet, au premier jeudi du mois de mars du calendrier julien, ils se rendent en pèlerinage avec leurs enfants à Lalla Aziza. Là aussi, les cinq douars Imtdan font la fête. Selon les années, ils viennent avec trente cinq à cinquante têtes d’ovins et de caprins. Ils les sacrifient et font bombance pendant trois jours sur place. Une fête en partage entre les Imtdan et les habitants de Zinit. La viande est partagée en deux : on consomme une moitié sur place et on ramène l’autre moitié à la maison.On ramène par ailleurs en offrande à lalla Aziza, une cote part de toute la production agricole : maïs, amendes, noix, laine, abricot et figues sèches.
La vache nous l’offrons au Mouloud. C’est moi-même qui l’achète de mes propres deniers. Ce n’est qu’au matin du Mouloud qu’on me rembourse.On amène la vache sur l’ère à battre où les villageois sont bénis. C’est là qu’on se retrouve pour la quête aumônière. Chaque douar donne la somme d’argent qui lui revient. Le surplus par rapport au prix d’achat, je le garde par devers moi, pendant un an jusqu’à cette période. Avec cet argent, j’achète deux nouveaux sacrifices : l’un pour la fête patronale d’Ammern et l’autre pour la fête saisonnière qui ce célèbre avec l’équinoxe d’été.
Quand il n’y a pas d’eau, les Oulad Bou Sbaâ, apportent le sacrifice. C’est en ce lieu qu’ils sacrifient – une affaire de bonne foi – c’est alors que la miséricorde divine descend du ciel, c’est alors que la rivière se remet à couler...
Deux grands sacrifices se célèbrent à Lalla Aziza. L’un s’insère dans un calendrier naturiste déjà ouvert par toutes les perceptions de prémices, et dont il est en quelque sorte l’acte culminant. On l’appelle généralement tigharsiwin, « les immolations », et il a lieu le 15 de yulyuz, le juillet du calendrier julien. L’autre coïncide avec la nativité du Prophète, ce Mouloud dont l’institution au Maroc , et la généralisation systématique par les Mérinides vers le 15ème siècle, envahit peu à peu toute l’Afrique du Nord, et devint le support orthodoxe d’une foule de rites orgiaques.Au Mouloud, la victime est une vache, offerte par les Imt’ddan. Le victimaire est fournit traditionnellement par la famille des aït Baqqa de Tagounit(Imt’ddan). Suit l’interview du victimaire chargé d’acheter la vache.C’est aussi cette taqbilt qui fournit les flagellants.
La procession part d’aval, sous la mosquée, en entonnant une litanie prophétique : « en ton honneur, Moh’ammed ! C’est le Prophète que nous mettons à nôtre tête ! »
La victime est menée, le sacrifiant la tenant par la corne gauche, un poignard nu dans la droite, jusqu’à une aire sous « la maison de Lalla Aziza ». La maison a une cour interne, et une chambre haute ouverte en loggia. Les femmes sont assemblées sur les terrasses avoisinantes. Le tout infiniment bariolé.Des gens armés de triques précèdent de peu la vache. Ils lui font face, hurlant et brandissant bâtons nus ou rameaux d’olivier.
La victime est menée, le sacrifiant la tenant par la corne gauche, un poignard nu dans la droite, jusqu’à une aire sous « la maison de Lalla Aziza »
A l’arrivée de la vache une vieille l’a baisée entre les deux cornes. Dés que le sang jaillit, c’est la ruée : l’un en remplit une bouteille, l’autre s’en barbouille la figure, beaucoup les yeux. Simultanément sont égorgés deux moutons, l’un offert par Asettif, l’autre par Wanchkrir. Le degré de l’émotion, sensible dés le début, devient alors extrême. L’excitation parvient à son comble.
Le victimaire égorge la bête. Si celle- ci se lève dans un sursaut, bon présage. Cris, youyou et confusion parmi laquelle un marabout d’Asttif dit la fath’a , tandis que la victime est écorchée. Elle disparaît sous une grappe hurlante de fidèles qui se précipitent sous les coups pour arracher,à la main ou au couteau, du poile, de la viande.
Le paroxysme effectif résulte évidemment de la violence avec laquelle les fidèles déchiquètent et s’entr’arrachent la victime sous les coups.
La première interprétation, celle du cru, est naturellement rationaliste et pudique : les gens expieraient leurs pêchés par la mortification des coups de bâtons. Mais il est plus exact de mettre ce rite en rapport avec tant d’autres rites agraires comportant luttes ou violence. La flagellation est souvent liée à la notion de bouc émissaire, à rapprocher de cette description de rite égyptien antique :
« À la nuit, des milliers de personnes, armés de bâtons, veillent autour du temple ; les uns veulent empêcher qu’on réintègre dans son naos une statue de dieu...les autres veulent au contraire, faciliter l’entrée du dieu. Les acteurs qui sont sous le portique, refusent l’accès du temple ; la foule accourant au secours du dieu ; les frappe ; ils se défendent ; un violent combat à coups de bâtons s’ensuit, et maintes têtes est fracassée. »
La flagellation est liée aux notions de bouc émissaire et de purification.
Non loin, dans l’Atlas, à Moulay Brahim près d’Asni, une chamelle est pareillement égorgée et dépecée par les fidèles qui s’ent’arrachent sa chaire sous les coups. La tête de l’animal est ravie et disputée à la course par deux partis rivaux.
L’animal, enfin dépecé, est mis à cuire dans les grosses marmites qu’abrite la maison de Lalla Aziza. Dans une pièce attendent, luttées au dessus d’un four sommaire, quatre grosses marmites. C’est là que cuiront les morceaux de la victime.
« La maison de Lalla Aziza ». a une cour interne, et une chambre haute ouverte en loggia
Répartis en fragments, il sera emporté de tout côtés par les assistants. Un seul morceau suffisant pour conférer l’effluve bénéfique à tout le plat.L’aspect communiel que suggère la répartition de viande, éclate ici dans toute sa chaleur. Les Imt’ddan sont les desservants par excellence de lalla Aziza. Chaque foyer lui doit la première panerée de produits agricoles, à l’enlèvement de l’air(céréales) ou du tas(fruit). Ces offrandes prémicielles sont portés en pompe à Z’init’ le premier jeudi de mars ; c’est ce qu’on appelle une çadaqa, mais elle donne aussi lieu, avec les gens de Z’init’, à une tinubga. Les relations entre ces deux groupes sont en effet complexes : relations de coopération religieuses réglés jusque dans le détail. Si les Imt’ddan fournissent la viande pour le banquet, les gens de Z’init’ fournissent le pain. Le fait a même donné lieu à une légende étiologique :
Chacun apporte une barattée de beurre . le pain au blé tendre et à base d’orge est déposé au magasin de la maison de lalla Aziza où a lieu la cuisson de la viande dans des marmittes en terre cuite : la viande est mélangée au barattées de beurre lors de la cuisson. Le gras est recherché pour faire face au frimas de la haute montagne mais sans risque pour la santé pour des gens habituer à tout brûler en escaladant quotidiennement des pentes abruptes....
Au cours d’une expédition en haut Guedmiwa, les Seksawa se trouvèrent un jour en péril. Encerclés par l’adversaire, ils ne pouvaient plus espérer de secours. L’un d’eux eut l’idée de vouer à Lalla Aziza, pou le cas où il réchapperait, une rente de deux pains au jour du sacrifice. Aussitôt une nuée profonde, accompagnée d’averses et de tonnerre, se jeta entre les combattants, et abrita la fuite des Seksawa. C’est la raison pour laquelle les gens de Z’init’, le jour du sacrifice, donnent désormais 24 pains chacun, au lieu de 22 comme devant. Rythme et phases du sacré : ces renouements périodiques marqués par bombances, pompes, et sacrifices.
Ce nom de Z’init’ est curieux. On l’explique localement par un impératif, « se quereller, se disputer ». Il y a deux querelles dans la liturgie de la sainte : une querelle légendaire autour de son corps, selon un thème hagiologique courant ; et les coups prodigués au sacrifice du Mouloud.
Symbole d'abondante et de prospèrité pastorale,du beurre et de la viande à profusion
A "la maison de Lalla Aziza" ce sont les hommes qui s'occupent de la cuisson et de la répartition
Malgré l’atmosphère de transe, un schème cultuel se laisse, on l’a vu, reconnaître. Il appartient à une famille des Imt’ddan, si proche de la sainte, à qui ils attribuent, entre autres miracles la répartition des sources entre leurs villages.En somme le Mouloud de Z’init’ ressortit, avec une netteté et une richesse exceptionnelle à ces rites par lesquels les sociétés rurales opèrent une série ininterrompue de concentrations et de diffusions du sacré, dans le but d’assurer la continuation de la vie des choses, et de serrer les rapports de cette vie avec celle du groupe. Le patronage du Prophète justifiant , dans une intense débauche extatique, un vieux rite à la fois agraire, expiatoire et communiel.
L’animal, enfin dépecé, est mis à cuire dans les grosses marmites qu’abrite la maison de Lalla Aziza. Dans une pièce attendent, luttées au dessus d’un four sommaire, quatre grosses marmites. C’est là que cuiront les morceaux de la victime.
Répartis en fragments, il sera emporté de tout côtés par les assistants. Un seul morceau suffisant pour conférer l’effluve bénéfique à tout le plat.
L’aspect communiel que suggère la répartition de viande, éclate ici dans toute sa chaleur.
La dispute du Mouloud est mise en rapport, avec le nom même du lieu : Z’init’ qui veut dire « querellez vous ». Le rite lui-même n’est qu’un commentaire liturgique du nom. Si l’on met en relation un trait légendaire, celui de la rivalité pour le corps de la sainte, avec un trait rituel, la dispute pour le corps dela victime, une possibilité d’assimilation, toute classique, entre l’un est l’autre corps, vient à l’esprit. Cela entraînerait l’explication dans une atmosphère très antique. Elle aura le mérite d’achever de déployer les virtualités du rite, et son ample résonance religieuse, d’une richesse inusité au Maghreb.
Visitant les Seksawa au premier quart du 16ème siècle Léon l’Africain écrit :
« Secsiya est une montagne fort sauvage, haute et revêtue de grands boys, là où sourdent plusieurs fontaines, et pleins de neiges, au moyen de quoy la froidure n’y fault jamais : et ont coutume les habitants d’icelle de porter en la teste certaines perruques blanches. Là prend son origine la fleuve Assifilmal où se trouvent plusieurs cavernes larges et profondes où ils ont coutume de tenir leur bétail trois mois de l’années, qui sont novembre, décembre et janvier, avec du foin, quelques feuilles et ramées de grands arbres. S’ils veulent avoir des vivres, il faut qu’ils en pourchassent aux autres prochaines montagnes, pour ce que cette ci ne produit aucune chose. En la saison de primevère , ils ont du lait et beurre et fromage, et sont gens qui vivent longuement, parvenant jusqu’à l’âge de quatre – vingt et cent ans, avec une vieillesse robuste et totalement délivrée des mille et mille incommodités qui accompagnent les anciens, et jusqu’à tant que la mort les vienne surprendre, ils ne cessent de suivre les troupeaux des bêtes sans jamais voir passer, ni avoir la connaissance de personne que ce soit. Ils ne portent jamais de souliers, mais seulement quelque chose sous le pied qui les garde de l’âpreté et rudesse des pierres et graviers, avec certaines pièces entortillées autour de la jambe et gros bourres qui défendent de la neige. »
La première mention des Seksawa remonte à l’époque Almohade(12ème siècle), qui est la grande expansion mystique et guerrière des berbères du Haut Atlas. Il s’agit d’un haut lieu des Masmoda qui s’étend au pied du mont Tichka. Le nom du plateau de Tichka se ramène, comme le pense E. Laoust, au sens de « haut pâturage de montagne, alpage » . Le Tichka se compose d’une série de plateaux, de plans étagés et échelonnés : le N’fis, l’Assif el Mal, le Seksawa, naissent de ces paliers. Au dessus du dernier village Seksawa, Targa Ufella(la rigole suprême), les ravins charrient d’énormes blocs d’un classique granite, dit de « pierre du Tichka »(azrû-n’Tichka), et que l’on emploi à la fabrication des meules. L’éboulis se reconnaît jusqu’au bas du village d’Alus.
De ces hauts pâquis, la propriété éminente a été reconnue aux Seksawa. Ce sont eux qui ouvrent la campagne de pacage. Ce haut lieu géographique et pastoral est aussi un haut lieu de l’histoire berbère, à mettre en rapport avec les fastes Almohades. Pour Robert Montagne « le cœur dela Berbérie, ne bât donc pas à Tinmel. C’est au Tichka, dans la sainte vallée de lalla Aziza, ou encore dans les hauts villages perdus des Ida Ou Msatog, que des hommes courageux, aidés par le génie de l’adrar n’deren, ont veillé, jusqu’à ces dernières années, à sauvegarder le patrimoine berbère. »
Les gens de Zinit ont plusieurs types d’Ahouach. Car on y vient aussi bien des tribus qui rythment leur Ahouach à la main que des tribus qui rythment le leur au tambour.Nous avons l’Ahouach d’Assif ou Gadir. Nous avons l’Ahouach d’Aghbar. Et nous avons notre propre Ahouach de Lalla Aziza. En plus, nous avons Hammouda des Oulad Bou Sbaâ. C’est que nous recevons des variétés d’Ahouach à Lalla Aziza. Nous leur empreintons des séquences que nous exécutons par la suite.
C’est vers 1125, qu’Ibn Toumert s’installe à Tinmel, à une journée de marche au Nord – Est de Tichka. L’hégémonie des Almohades ne s’est guère soutenue qu’un demi siècle(1163-1213). Pendant un autre demi siècle, les mérinides leur disputent le Maroc, et finissent par leur arracher Marrakech(1269).
Près de cent ans après, vers le milieu du XIVème siècle, un homme de lettre hispano - musulman, vizir déchu, visite l’Atlas. C’est l’illustre « voix de la religion », lisân ad-Dîn Ibn Al Khatîb. Il va chez un émir des Hintata. Voici le témoignage du voyageur sur la montagne, au lendemain de l’épopée Almohade :
« Ces montagnes aux fiers cimes, qui ne cèdent qu’à la majesté de Dieu, et qui furent le siège de la doctrine unitaire... « Je ne crois pas » s’écrie – t – il , « que les fleurs de l’esprit pussent ainsi jaillir des roches ». Mais la montagne « est vaincue sans blessure : elle a accepté les ravages du feu,mais non la honte... »
Ces vers, ces émotions vous reportent sept siècles en arrière. Et ces lointaines impressions rejoignent celles qu’inspirent encore le haut atlas : majesté du cadre, nostalgie d’un grand passé, regret sur le gaspillage insensé que fit l’histoire des hommes au « visage de lion », devenu « cette armée nombreuse à l’abandon », dont les plus valeureux sont condamnés à l’inaction et à la défaite. »
L’impression d’Ibn Al Khatib servira de préambule à l’histoire de ce que l’on peut appeler, le grand siècle des Seksawa.On pense à l’opposition plaine/montagne. Siksawa/Chichaoua, toujours est-il que l’appartenance berbère initiale des Chichaoua est hors de doute, et que selon les historiens musulmans, il s’agit d’une ville masmodienne au même titre qu’Aghmat.Par un hasard pour nous providentiel, les Seksawa ont trouvé leur grand historien, en Ibn Khaldoune :
« De tous les peuples Kanfîsa, le plus grand des groupements masmodiens, les Seksawa sont les plus amples. Les autres s’étaient épuisés pour le régime, à soutenir sa cause et à nouer son allégeance. Ils y avaient gaspiller les hommes, tout comme avait fait pour le leur les nations passées. Cependant les Seksawa se faisaient une place et grandissaient en nombre et ascendant parmi les Almohades. Mais de génie bédouin, ils ne leur empruntèrent pas leur luxe, non plus qu’ils ne contractèrent leurs facilités.
Le massif qu’ils habitent fait partie du Deran . C’en est le dôme et le faîte. Il leur offre le refuge d’un château, sans pareil, hauteur aérienne, cime vertigineuse. Il touche de la main les planètes, ordonne les constellations sur son axe, reçoit dans ses pans, le choc des nuées, donne asile en ses airs à la furie des vents, à vue de ses crêtes surla Verte– Mer, recueille de son ouïe les propos du ciel, refoule de son dos le désert, hors du Sous, berce en son sein le reste de la chaîne.
Quant à la chute des Almohades, les Mérinides eurent réduit les Masmoda, ils leur infligèrent un système d’avanie telle que de leur imposer taille et tributs. Mais tan disque les autres s’humiliaient devant la puissance, voir lui prêter la main de la soumission, nos Seksawa se retranchèrent dans leur nid d’aigle inexpugnable, qui leur permet de narguer les vainqueurs. Ils ne se commirent pas à leur service, et ne répondirent ordinairement à leurs prétentions que par révoltes et dédain. Si une troupe leur venait sus, et commença à les presser, ils s’en débarrassent par une soumission protocolaire et des cadeaux de bon vouloir.
Aït H’ adduyws : des « fils de Roi »
Leur chef, au plus loin que l’on puisse remonter, fut à la chute des mérinides, Haddo Ben Yousef, mémorable par l’absolutisme et le mordant. Il mourut en 1282 sous le règne de Yaqûb Ben Abd-el Haq(1269-1286). Son fils Amir – le santon actuel- marcha sur ses traces. On l’appelait Aguellid, c'est-à-dire Sultan en leur langue. Il lutta contre les rois mérinides, bien au large de son hallier et du haut de son nid d’aigle, se tint en rébellion. Des soldats de Youssef Ben Yaâkoub(1286-1307) et de son frère Abou Saïd((1310-1321), l’investirent sans venir à bout de lui.
Féru de science, sa mémoire entassait livres et recueils. Il pouvait réciter des chapitres entiers de droit et savait par cœur, dit-on,la Mudawana, entre autre. Amateur de philosophie, il en lisait des traités et en poursuivait les applications, en Alchimie, magie littérale ou opératoire. Curieux de législations antiques et de livres révélés, y comprisla Bible, il tenait séances avec des docteurs juifs au point de faire douter de sa confession, et d’être taxé du désir d’abjurer.
Le Sultan Abû Al Hassan(1331 – 1351), une fois libéré de ses ennuis avec son frère Omar, quand se furent calmer la crise du Maghreb et le désordre des provinces, lui lança une armée sur son refuge, tandis qu’il occupait militairement sa plaine et le coupait sur ses arrières des arabes du Sous, vaincus, soumis et dissociés à l’aide de gouverneurs et de postes, Abdellah dut alors recourir à une soumission protocolaire, et donner son fils en otage. Il souscrivit au don d’hommage et à un échange de présents. Cela lui fut accordé, avec, par surcroît, le visage de la faveur. »
C’est « au bout du monde » qu’on se sent lorsqu’on est parvenu au dernier palier de la dernière impasse, au flanc même du Tichka. C’est le pays de « la séguia suprême », dont l’escarpement , entaillé dans le granit du vieux massif, vous mène en plein ciel, au pâquis silencieux du Tichka. Six mois de l’année, de novembre à mars, la neige le recouvre. Pendant les longs mois de l’hiver, les troupeaux du haut Seksawa transhument en plaine chez les arabes Ud Bessebâ. Outre le mouton, la richesse de ces vallées est le noyer, dont les feillages odorants, à partir de mai, font de chaque ravine un couloir de verte pénombre, en contraste violent avec les reliefs alentour, dévorés de soleil ou de frimat.
De ce belvédère le panorama est immense : Taroudant d’un côté, la plaine de Chichaoua de l’autre, la vallée se referme sur mur : le rebord du Tichka. La branche principale de la vallée descend vers le Seksawwa. Ses flancs sont parsemés de peuplement d’ « opuntia » Aknari, toujours ici associé à d’anciens habitats humains. La vallée s’ouvre en creux de plus en plus large sur un « entre-deux-torrents », là commence le pays de Aït H’adduyws. Le moindre des sommets qui l’enserrent, dépassent les 3000 mètres. Au pied du voyageur, le village d’Iguersafen « entre deux rivières » forme comme le centre d’un croissant fertile. La vallée s’épanouit en esplanades plus amples qu’on en rencontrera dans tout les reste du pays Seksawa. Le cirque est vaste. L’habitat monte jusqu’à 1950 m. d’altitude, la plus haute agglomération des Seksawa. Les cultures s’échelonnent de part et d’autre d’une rue de noyers. Au centre une coupole, celle d’un saint éponyme, ce Haddou Ou Youssef dont descendrait la taqbilt. Youssef serait le propre fils d’Ibn Tachfine l’almoravie. Belle invraisemblance qui camoufle l’histoire Almohade de cette partie de la montagne.
A propos de la poésie chorale comme document, Jacques Berque écrit :
Peut-être qu’à tout prendre, telles images, tels chants descendent plus profond qu’une étude bien déduite dans l’intimité des êtres et des choses. Toute cette réalité de l’atlas nous arrive en effet précédée, et peut-être soutenu de chants. D’où l’intérêt de rétablir le fond sonore si puissant de cette vie. Certes, chez les Seksawa, nous sommes dans le domaine chleuh, et la langue, la facture comme l’inspiration répètent ce qu’à travers Justinard nous entrevoyons de ce lyrisme à la fois étroit et délivré. Un souffle anthologique et familier y règne, exhalant un mince cri de cigale. Mais parfois quelque chose de plus fort y passe : l’accent d’une vieille culture communautaire, lente à mourir.
Ici , c’est plutôt l’âcreté et la ruse qui s’expriment et une conscience qui ne cille jamais, malicieuse ou virulente dans l’épigramme, équivoque dans l’éloge, toujours en éveil. Le chœur est le journaliste de cette société. Mais comment arrive-t-il qu’une matière aussi sèche se transforme en soudaine alchimie de fraîcheur ? Ce peuple compliqué et charmant rejette toute irresponsabilité,, fût-elle celle de l’aède, et maintient à la réalité amère une fidélité maligne dont le miracle est qu’elle sache devenir chant.
Cette poésie a ses inspirés, qui combinent la transe lyrique avec la précision du publiciste. Elle est, selon une expression familière, « la science des tripes »,’Ilm l-krucha. Une hiérarchie règne entre les poètes, les Ined’d’amen, selon leur plus ou moins de bonheur à improviser des sentences et équilibrer des rythmes. Certains privilégiés ont du vates l’aptitude mystérieuse à sentir les choses cachées, prévoir l’avenir. A un degré inférieur, le simple choryphée, rraïs, maître de la danse, animateur du jeu, l’inventeur de phrases dont quelques – unes deviendront célèbres. Plus bas encore, l’improvisateur de circonstance dont la voix propose au chœur un thème que tout l’ensemble reprendra. C’est là le genre dit de l’amarg . Une grande place dans cette poésie est occupée par l’actualité, sous forme de satire ou de panégyrique, tazzrart, plur. Tizrarin. Une affabulation peut intervenir, et c’est alors la légende romancée, ou le conte, lqiççt.
Dans ce dernier cas, on est arrivé à la récitation, ou plutôt à la psalmodie individuelle. Mais la plupart du temps, la figure et l’organe de cette poésie restent collectifs. C’est l’ah’wch, qui est avant tout une danse communale. Intensifier la vie du groupe, l’associer par le rythme à quelque circonstance importante, frairie, alliance, mariage etc., tel est son but, son occasion. Ce caractère social, laïc et courtois, , l’oppose par exemple aux danses extatiques de certaines confréries. Mais les gestes y sont les mêmes, et aussi l’exaltation qu’ils provoquent. Malgré un point de départ différent, une certaine compénétration de ces deux ordres de manifestations s’entrevoit.
Essentiellement l’ah’wach, consiste en un mouvement d’ensemble des hommes en ligne, accompagnés de dandinement rythmé d’avant en arrière, de pas simples et de battement de paumes. Un récitatif alterne avec le bruit incroyablement sec et nerveux de ces mains et de ces pieds.
Dans une forme plus riche, l’assga, il y a échange de dicts et de répons entre deux demi – chœurs d’hommes et de femmes. Car évidemment les femmes sont de la fête. Elles ne sont jamais absente de quoi que ce soit de cette vie municipale. Le blanc des jupes, le rouge des foulards et des ceintures, les frontons des pièces d’argent cliquetantes sur visages et poitrines animent la pénombre verte de l’asaïs, sous les gigantesques noyers.
Enfin dans plusieurs cantons d’un quadrilatère très défini : a.Châib et a.Bkhey, en Damsira, a.H’adduyws en Seksawa, gens de l’aghbar en haut Gedmiwa, la danse par excellence prend une forme particulière. C’est une pyrrhique, dite des tiskiwin, c'est-à-dire, si l’on veut, « des cornes à poudre », ou, plus subtilement, comme le veulent quelques uns, une danse du bélier, à souvenir rituel.Abdelkader Mana
17:05 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : haut-atlas, musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook