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12/05/2010

Tournage chez les Ganga

Tournage chez les Ganga de Tamanre

 

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En pays berbère, le terme « ganga » désigne d'abord le tambour, puis par extension, il a fini par désigner aussi les Noirs adeptes de Lalla Mimouna qui vivent dans les campagnes et pour qui le tambour est l'instrument central, par opposition aux Gnaoua bilaliens des villes, pour qui c'est plutôt le guenbri, instrument à corde, qui constitue le principal inducteur de transe.
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Il y a douze ans de cela , en 1998, j'ai effectué ici-même à Tamanar le tournage d'un  documentaire que j'avais intitulé "le port de Tombouctou". On  m'aprend aujourd'hui - même que  OUISSAÂD, leur vénérable et corpulent chef , que nous avons filmé sur son mulet avec son grog tambour, sur fond de carte du commerce trabnsaharien reliant Tombouctou à  Mogador n'est plus . Il serait décé il y a déjà trois de cela: malheureusement pour nous. Je comptait beaucoup sur sa prestance, sa silhouette imposante, sa carrure et sa posture... impressionante pour ce tournage. C'est au cours de notre première rencontre d'il y a douze ans que j'ai découvert le riche repertoire de ces ganga de Tamanar. ILs nous avaient chanté alors ce très beau négro spiritual que nous publions ici en hommage à OUISSAÂD disparu. On y reconnait le métissage négro - berbère: tambours et crotales africaines, et N'dam(composition poètique de la haute montagne berbère), non seulement par l'emploi de la langue berbère mais aussi par l'utilisation du refrain lancinant que chante le chouer en réponse à chaque couplet déclamé en solo par le poète du groupe:

Chant négro spiritual ganga

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C'est au nom d'Allah, que  j'ouvre les livres et que je consulte les taleb

C'est par eux seuls que j'entame  ma parole

A peine ai-je ouvert la bouche qu'un flot de paroles poétiques coule de source

Je vous ouvre la voie, la porte du Seigneur, seul  mérite nos prières

C'est au nom  d'Allah que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb

C'est par eux seuls que j'entame  ma parole

Ô vous qui étudiez les mystères, puissiez vous nous  indiquez les chemins de l'au-delà ?!

Ici - bas, nous y sommes, mais l'au-delà, voilà toute notre  ignorance !

C'est au nom  d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb

C'est par eux seuls que j'entame  ma parole

Ce sont les taleb et les hommes des sciences qui nous guident sur les chemins de l'au-delà

A eux  je dis : connaîtrons- nous un jour un autre monde que celui- ci ?

C'est au nom  d'Allah que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb

C'est par eux seuls que j'entame  ma parole

Le taleb, Sidi khalil , et l'imam ont dit : ce bas monde est invivable sans entraide.

Sans prière, sans entraide, cette vie serait aussi sombre que la tombe !

C'est au nom  d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb

C'est par eux seuls que j'entame  ma parole

Retroussons nos manches pour cette vie, prions pour l'autre , la mort est inéluctable :

Celui qu'elle n'emporte pas tout jeune , elle l'emportera tout vieux

C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb

C'est par eux  seuls que j'entame  ma parole

Nous finirons tous par quitter ce monde, que le bon Dieu (rabbi) nous accorde sa protection ;

Car celui que protège « rabbi »(le bon Dieu), ne manquera jamais de rien

C'est au nom  d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb

C'est par eux seuls que j'entame  ma parole

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Ce bas monde (dounit) est un broyeur de pierre dont la roue moud le grain

L'autre monde en est le tamis qui séparera le bon grain de l'ivraie

C'est au nom d'Allah, que j'ouvre les livres et que je consulte les taleb

C'est par eux seuls que j'entame  ma parole

Poème recueilli et traduit du berbère par Abdelkader Mana

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A la rencontre des Ganga de Tamanar
Reportage photographique d'Abdelkader Mana
Le lundi 3 mai 2010, j'accompagne le réalisateur et son équipe au rendez vous que je leur ai pris avec les Ganga de Tamanar. On est ezst parti tôt le matin d'Essaouira pour arriver pour arriver une heure et demi plus tard à Tamanar situé à quelque 70 kilomètres plus au sud , à mi chemin entre Essaouira et Agadir.
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Le réalisateur Frank Cassenti disant au Ganga: "Attendez, je vais vous donner de quoi acheter le pain et le sucre pour la cérémonie "
Une fois à Tamanar, nos amis du Douar Laâbid (le hameau des esclaves au coeur de ce bourg même rural devenu "municipalité") sont déjà là. Notre ami Lahcen, qui vient de perdre son fils, les a averti la veille, jour du souk de notre arrivée. Ils sont tous pris par la moisson: ils vendent leur force de travail à cette occasion. Ils ont voulu reporter à plus tard notre tournage en raison de la saison des moissonneurs, mais comme je leur ai expliqué, que le report n'était pas possible parceque tout l'équipe du tournage doit prendre l'avion le soir même; ils ont préféré différer la moisson d'une journée pour être au tournage qui rapporte davantage.
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Tandis que l'un des ganga est allé chercher le pain et le sucre, on doit chercher le taxi qui doit conduire les Ganga de "douar laâbid", là haut dans la montagne chez les autres Ganga du douar Bounacer où se dérouleront la cérémonie et le tournage: il n'y a pas lieu comme prévu d'acheter le bouk du sacrifice à Tamanar, puisqu'il sera prélevé sur le troupeau du douar Bounacer où nous allons.
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Tandis que l'équipe s'impatiente en attendant la fin des préparatifs pour partir au village Bounacer où aura lieu le tournage chez les Ganga de montagne et où nous serons accompagné par  les Ganga de Tamanar, les Ganga du bas qui résident ici au hameau des esclaves (Douar Laâbid)
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Le coursier a fini par arriver, les Ganga du hameau des esclaves de Tamanar ont pris place au taxi collectif qu'on leur a loué et ils sont passés devant nous en éclaireurs. Le cameraman Jeremie se mit aussitôt à filmer des traveling: il n'y a pas une seconde à perdre et le tournage qui commence ainsi vers le coup de 10 heures du matin doit impérativement prendre fin vers le coup de 15 heures pour que l'équipe puisse récupérer ses affaires à temps à l'hôtel des îles d'Essaouira pour prendre ensuite la direction de Marrakech: il ne faut à aucun prix rater le vol vers Paris...
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L'équipe parisienne est éblouie, d'être plongée en si peu de temps ainsi au coeur même de l'Afrique: les moissons dorées au pied des rustiques arganiers donnent effectivement l'impression d'être au coeur de la savane avec les gazelles et les gyraffes en moins..
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Nous sommes au versant sud du mont Amsiten qu'on voit au loin: la principale montagne sacré du pays Haha. Elle fait office de barrière de séparation entre les Ida Ou Isarn au Nord et Imgrad au Sud. Tous deux faisant partie des 12 tribus du pays Haha. Nous sommes ici dans la tribu d'Imgrad dont fait partie le hameau Ganga des Bounacer vers lequel nous nous dirigeons.
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A côté de moi, Viola, la chargée de production semble très heureuse de faire partie de cette aventure d'aller à cette découverte que je leur ai proposé et que le réalisateur a accepté d'intégrer in fine à son synopsis initial : ça permettra d'aérer le film dira plus tard Jeremie...Pour cette raison me dit le réalisateur satisfait "on mettra le nom de MANA en grosses lettres dans le générique du film qui sera diffusé par ARTE; c'est promis...
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Plus au Nord, de l'autre côté du mont Amsiten, c'est la fraction de tribu Tlit, le pays de ma mère, de mes tantes maternelles et de mes oncle maternels, le pays où mon père nous amenait chaque printemps, le pays de notre heureuse et chaleureuse enfance où il nous amenait chaque été pour y écouter les chants des moissonneurs, accueillir les tournée aumônières qui y effectuait Haj Blal depuis sa maison de la vallée. Ils sont tous morts...Et brusquement j'ai eu un triste pincement au couer...Ils sont tous morts et moi je suis seul maintenant dans l'univers: au retour du tournage, je n'ai pas sanglotté, mais je n'ai plus pip^é mot; ils sont tous morts et je suis maintenant seul dans l'univers. Je n'ai pas sanglotté j'ai fait semblant de somnoler de fatigue: triste de moi, les miens ne sont plus là: c'est un autre film effectivement comme me l'a suggéré le réalisateur en me voyant lors de l'interview que je lui ai donné là haut sur le lieu même du sacrifice, faire une digression sur les mien touty en, lui parlant de la diaspora saâdienne des ganga. Mais à ce pays y manque du coeur dés lors qu'il y manque les miens..+
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Dans l'autre véhicule nous sommes devancés par les ganga du hameau des esclaves de Tamanar, situé entre les tribu Imgrad au nord et Ida Guilloul plus au sud en direction d'Agadir. Des tribus côtières où arrive la brise de l'océan: l'Atlas occidental en somme où s'approvisionnait en sel le haut atlas: troc entre sel gemme à la lisière de l'océan et du mont Amsiten et le noyer du Tichka , des Seksawa et du Toubkal. Le sel si important pour le bilad Souidan , le pays des noirs au point qu'au désert ils l'échanger contre de l'or. Le sel si important pour leur nourriture et pour celle des esprits qui les possédent. Pour apaiser ces divinités africaines, ces esprits invisible mais qui peuolent les océans, les désert, les forêts et les montagne; on jette quelques pincées de sel au seuil de chaque foyer...
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Tout en haut, on s'arrête à un troisième hameau d'Imgrad dont j'ignore le nom, juste le temps de récupérer un percussioniste Ganga pour repartir en trombe vers le plateau où se déroulera le rituel au pied de l'arbre sacré hanté par l'esprit de Lalla Mimouna protectrice des Ganga auquelle ils sacrifient à chaque fête saisonnière...
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A l'approche du hameau Bounacer d'Imgrad; nous découvrons des femmes en train de moissonner: elles prennent probablement le relais de leurs maris pris aujourd'hui par notre tournage: la moisson est déjà trop mûre et les grains ne peuvent plus attendre: d'habitude les Ganga organisent leur fête annuelle après la moisson: c'est pourquoi ils nous ont proposé de reporter le tournage dans une  semaine. Mais là on les a obligé d'interompre leurs travaux pour organiser une fête saisonnière artificielle en plein coeur de la saison des moissons...
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Et brusquement, nous voilà à ce hameau des heuteurs des Ganga Bounacer: il est composer, certes de plusieurs lignages mais il portent tous le nom de leur ancêtre éponyme Bounacer, l'esclave affrachi de la tutelle des caïd qui a eu l'idée de défricher ce lopin de terre et d'y bâtire sa maison au sommet de cette colline qui appartenaient probablement à ce qu'on appellait le "khla"; le territoire sauvage, le territoire non habité. Depuis lors le foyer isolé s'est agrandi en devanant ce hameau électrifié que surplombe maintenant une parabole; signe que les Bounacer sont maintenant ouverts sur le monde; l'un d'entre eux a comparé leur rythmique au Jazz....
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Au premier plan, la ruine du noyau primitif du hameau des Bounacer, en arrière plan une parabole: village enclavé, enraciné dans la haute montagne mais ouvert sur le monde...
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Au commencement était le tambour
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Quand nous sommes arrivés les femmes nous préparaient d'éjà le pain: pour elle , ce tournage sera véritablement une fête!
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Les femmes se chargent de beaucoup de choses: préparent le pain, s'occupent de la cuisine, élèvent la marmaille, effectuent des corvées de bois et remplace comme maintenant leurs maris pris pour ce tournage, pour les travaux de champ et de la moisson...Pour cette raison leur féminité est de courte durée: rapidement la plante de leurs pieds et de leurs deviennent aussi rêches qu'un carde à laine ou qu'une raquette de figues de Barbarie...
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Pour tendre leurs tambours les Ganga s'approchent du foyer à pain
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Au seuil de la maison qui nous accueille Messaoud Bounacer: sévère mais accueillant. A lui seul, il symbolise la présence de toute l'Afrique subsaharienne au coeur du pays Berbère, le pays Haha...
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C'est au moment où arrive le chevrau du sacrifice que je demande au cameraman de prendre cette photo souvenir
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En attendant le début de la cérémonie, l'un tien le chevrau, l'autre la natte bleue qu'on étalera au milieu du champs pour la cérémonie de thé et la danse collective...
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Tandisqu'on s'empresse de chauffer au braises le tambour; ce dieu des voix africaines
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Pour marquer le début du cérémoniel on jette quelques grains de sel sur les crotales et les tambours ainsi que sur le couteau du sacrifice: une manière de faire appel aux esprits et de les apaiser en même temps...
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Et que la danse de la roue cosmique et solaire commence! Elle se fera autour du chevrau sacré du sacrifice!
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Les Ganga de l'oued Noun, ceux de Sous Al Aqça et ceux du pays hahî, organisent chaque automne un  maârouf, en honneur de « Lalla Mimouna », entre fin septembre et fin octobre. Le sacrifice suivi de festins et de danses a lieu à tour de rôle chez les différentes communautés d'anciens esclaves qui peuplent les relais caravaniers de jadis, depuis « la porte du Sahara » au sud, jusqu'au bord de l'oued Ksob au nord. Ces Ganga berbères sont généralement des forgerons, des métayers -  khammas - ou des ouvriers agricoles dans les nouvelles fermes de la plaine de Sous.
Leurs hameaux et douars forment tout un chapelet d'étapes de caravanes, qui reliaient du temps du commerce transsaharien, Tombouctou à l'ancienne Mogador - qu'on appelait pour cette raison « le port de Tombouctou » - à travers le Sahara, le Sous et le pays hahî. Ces raisons historiques expliquent pourquoi Essaouira est la ville des Gnaoua par excellence. C'est la seule ville où les gnaoua disposent d'une zaouia alors que partout ailleurs ils pratiquent leur rituel à domicile comme me l'a expliqué un jour feu maâlem Goubani :

« L'édifice de la zaouia dédiée à Sidna Bilal, qui semble dater du XVIIIè siècle, servait de lieu de rassemblement aux esclaves qui y célébraient leur fête. Ceux-ci vivaient alors hors des murs, au nord de la kasbah, dans des cases bâties au milieu des dunes. On raconte que là vivait un maître du guenbri, maâllem Salem, qui appartenait à un négoçiant, Allal Jouâ, dont une rue de la médina porte encore le nom. Celui-ci vendait la cire et possédait au moins sept esclaves qu'il traitait comme ses propres enfants. Allal Jouâ n'était pas comme les autres commerçants qui obligeaient leurs esclaves à décharger les barcasses au port. Lui, il leur apprenait à travailler comme maçons et comme graveurs sur pierres. C'est ainsi que maâllem Salem était devenu une sorte d'ingénieur, un sourcier. S'il disait aux ouvriers de creuser à l'endroit qu'il leur indiquait, immanquablement ils tombaient sur de l'eau. On le nomma moqadem des gnaoua. Il entoura le lieu de culte, alors une simple mzara, de quatre murs. C'est ainsi qu'est née la zaouia de Sidna Bilal, au cœur même de la médina d'Essaouira, du côté de la mer. »

Une route directe reliait Tombouctou à Essaouira, via Tindouf, la Maison d'Illigh, l'Oued Noun et l'Ifran de l'Anti-Atlas, si bien qu'au XIXè siècle on  surnommait Essaouira « le Port de Tombouctou ». Les relations entre les deux villes sont restés vivantes dans la mémoire collective de part et d'autre du Sahara, comme en témoigne l'anecdote rapportée par le photographe Abderrazak Benchaâban qui, lors de sa visite à Tombouctou, en interrogeant les habitants de la ville sur la provenance du bois ayant servi à la construction des portes monumentales au milieu du désert, s'entendit répondre le plus naturellement du monde : « ça vient de Mogador, notre port ». Boujamaâ Lakhdar, père spirituel de la communauté artistique locale et ancien conservateur du Musée d'Essaouira, écrivait : « La culture souirie s'enracine profondément en Afrique où elle a toujours puisé ses ressources et ses énergies créatives nouvelles. Les artistes de notre ville sont d'abord des Africains. Ils sont plus influencés par tout ce qui est Afrique noire, du Soudan au Sahara, que par les autres civilisations. » Les caravanes en provenance de Tombouctou et qui longeaient la côte pour rejoindre Agadir puis Essaouira passaient soit par Guelmim à l'oued Noun, fief de la famille Bayrouk, soit par la Maison d'Illigh àTazerwalt, fief des descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa. D'ailleurs à la fin du XIXe siècle, Huçein Ou Hachemi de la Maison d'Illigh, comme le Cheïkh Bayrouk, disposaient d'une maison commerciale à la nouvelle kasbah d'Essaouira. C'était le négociant juif Afriat qui s'occupait des intérêts des Bayrouk au port de Mogador. Le cheykh Bayrouk de Goulimine disposait en effet d'un entrepôt où il déposait les marchandises en provenance de Tombouctou, et c'était le négociant Afriat, lui-même originaire de Goulimine qui s'occupait de ses affaires à Essaouira. Ces juifs de Goulimine avaient fini par aboutir dans cette ville saharienne, après leur expulsion d'Espagne, comme le prouvent les motifs des bijoux qu'ils produisaient et qui étaient à bien des égards similaires à ceux des orfèvres d'Andalousie. On se souvient encore aujourd'hui de la famille  Bayrouk qui habitait au début du siècle au quartier des gens d'Agadir (quartier d'Essaouira qui porte ce nom parce que ses premiers habitants étaient originaires d'Agadir) : les hommes travaillaient au port, tandis que leur marraine, une mulâtresse, était célèbre voyante médiumnique (talaâ) qui officiait lors des nuits rituelles des Gnaoua.
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Sur sa route vers Mogador Léopold Panet, le premier explorateur du Sahara, rencontre le cheïkh Bayrouk pendant son séjour à Noun, et assiste à une fête d'accueil d'une caravane en provenance de Tombouctou :

« Pendant mon séjour à Noun, j'y fut témoins d'une fête magnifique. C'était le 12 mai ; la veille, on savait qu'une grande caravane revenant de Tombouctou devait arriver le lendemain, parce qu'elle avait envoyé faire louer des tam-tams pour fêter sa rentrée. Dés sept heure du matin, les femmes des marchands arabes, qui composaient cette caravane, étaient parées de tout ce qu'elles avaient de beau en habis et en bijoux, et le tam-tam, dont le bruit assourdissant se répétait au loin, avait attiré autour d'elles une foule des deux sexes...Ceux au-devant de qui elles allaient, paraissaient à l'autre extrêmité de la plaine, laissant derrière eux leurs chameaux chargés et deux cent esclaves appartenant aux deux sexes. Le tam-tam résonna avec fracas, les drapeaux voltigèrent en l'air, les chevaux se cabrèrent de part et d'autre...La troupe forme deux haies qui reçoivent entre elles les chameaux chargés et les esclaves déguenillés, souvent nus. Les hommes continuent leur évolution guerrière avec le même enthousiasme, mais il y a moins de charme, moins de mélodie dans les chants naguère si harmonieux des femmes : elles ont tourné leur attention vers les esclaves et déjà chacune d'elles y a fait son choix. »Les maîtres de ces lieux de rassemblement de convois caravaniers, disposaient dans leurs citadelles de nombreux esclaves issus du commerce transsaharien. Les Noirs qui vivent aujourd'hui autour de ces vestiges du passé y célèbrent encore leur fête annuelle.S'ils vénèrent tous  Lalla Mimouna, et sont issus de la même origine l'ancien Soudan, le pays des Noirs des géographes arabes, qui correspond à la boucle du Niger , il n'en demeure pas moins que sur le plan culturel, chaque communauté  ganga s'est adaptée à sa manière au contexte, dans lequel, elle fut intégrée.

Lors d’un long séjour à Agadir, j’ai assisté en octobre 1995, à une fête nocturne des Ganga berbères. À l’époque, j’avais noté ceci :

 

Le disque d’or du soleil décline sur la marée basse d’Anza, et déjà, les feux de joie célèbrent la fête annuelle des Ganga. Là, le tambour cette voix des dieux africains  est roi. Il résonne au cœur même de la nuit, dans cette périphérie d’Agadir où se retrouvent les Ganga du pays hahî,ceux d’Aït Melloul, ceux d’Aït Baha, et ceux de Houara : chants et danses berbères, entremêlés de rythmes africains.Le maârouf a lieu dans ce quertier industriel d’Anza, chaque année, en cette période du début de l’automne.

Départ vers l'Assaïs, la place de la danse solaire et du sacrifice de Lalla Mimouna

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Les Ganga procèdent d’abord à une tournée aumônière dans tout le « bled » - Anza, Taddart, Tamraght – pour collecter de quoi acheter la « Dbiha » (la victime sacrificielle). Puis, un crieur public, le « barrah » annonce le jour d’ouverture de la fête annuelle.Les maârouf ganga sont organisés à tour de rôle dans chaque douar où résident des noirs, à travers tout le Sous, en particulier les relais caravaniers d’Illigh et de l’oued Noun et au pays hahî, généralement autour d’une ancienne demeure caïdale, comme la citadelle d’Azaghar du caïd El Hâjj Abdellah Ou Bihi chez les Aït Zelten, ou aux alentours d’anciennes sucreries saâdiennes. À chaque étape, le rite solaire se déroule en trois jours – samedi, dimanche et lundi – et on y veille jusqu’aux premières prémices de l’aube.

 

Le supporter gnaoui d’Hassania  l’équipe de football locale qu’on encourage au stade aux rythmes de l’Ahouach berbère et du tambour africain traverse le cercle magique des danseurs collectifs d’Anza. Les chanteurs aux crotales, des Noirs habillés tout en blanc, diseurs de « Ndam » (poésie en berbère), l’interrogent sur le score de son équipe favorite, et lui reprochent d’être venu sans ses instruments de percussion, pour participer à l’indispensable animation de leur fête annuelle qu’ils appellent  Maârouf . Il se confond en excuses et se mêle à la foule des curieux qui forment une immense halqa (anneau) tout autour de l’Assaïs, la grande place ouverte des fêtes négro-berbères, où se déroule le spectacle.

Le moqaddem d’Anza, un vieux Noir à la barbiche poivre et sel, porte un gros anneau d’argent à l’une de ses oreilles. Tandis qu’il sert le repas communiel aux Ganga qui marquent une pose, en jouant de l’outar et du nakoss , il m’explique :

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« Ma mère qui perdait ses enfants en très bas âge, m’avait mis sous la protection des Ganga. Ceux-ci m’ont percé l’oreille, et j’y ai accroché cet anneau ». Il est donc le signe distinctif d’une protection surnaturelle.

 

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Le souvenir de la traite des esclaves reste vivace chez leurs descendants marocains. Voici le témoignage d’un maréchal-ferrant noir, également grand connaisseur de l’amerg, chant poétique berbère :

« Les esclaves provenaient de la tribu Sharg du Sahara. Des marchands les amenaient de là-bas pour les vendre dans le Sous. Par la suite, leurs enfants étaient expédiés dans le pays Haha. On leur mettait la corde au cou pour les conduire sur la place où on les vendait comme des bêtes, en examinant leur denture pour distinguer le jeune du vieux. C’est ainsi que mon père fut offert au caïd des Ida ou Guilloul. En revanche chez les Neknafa, les esclaves noirs appartenaient à Israren, un caravanier qui échangeait les céréales de la région contre le thé, le sucre, et les esclaves de Sous. C’était le trabando (la contrebande). Cette traite des esclaves a cessé quand il a plu à Dieu de venir en aide aux Noirs. Une fois affranchis, comme ils ne possédaient pas de terres, ils ont dû devenir métayers pour subsister. Un jour, j’ai décidé de troquer le tambour contre le ribab et j’ai fait le tour des villages pour animer les fêtes de mariage. J’ai chanté l’amerg en tant que maître du ribaba pendant quatorze ans, mais quand mon père est mort, j’ai pris sa relève à la forge. »

 

Avant de traverser le désert des déserts, les caravanes faisaient halte au pays des moulatamoun, ces hommes voilés du désert, pour y faire provision d’eau. Quand les vents chauds tarissaient l’eau dans les outres, les caravaniers pour apaiser leur soif recouraient au stratagème suivant : ils prenaient avec eux des chameaux sans charge et les assoiffaient pour les faire boire une première fois puis une deuxième fois, jusqu’à ce que leur panse soit pleine. Quand le besoin d’eau devenait impérieux, les chameliers égorgeaient le chameau et se désaltéraient avec l’eau de sa panse jusqu’au point d’eau suivant. C’est ainsi que, recrus de fatigue, les caravaniers avançaient dans leur voyage jusqu’au lieu de rencontre avec les propriétaires de l’or.

Les liens entre le Maroc et l’Afrique noire sont forts anciens et multiformes ; toutefois ce ne fut qu’après la conquête arabe de l’Afrique du Nord, au VIIè siècle, que des routes commerciales régulières furent établies à travers le Sahara. Elles connurent ensuite une impulsion considérable sous les dynasties almoravide et almohade, au XIè et XIIè siècle. Il ne fait pas de doute que ce fut la quête de l’or qui fit traverser aux Maghrébins les vastes espaces sableux du Sahara pour rejoindre le pays des Noirs. Le précieux métal devint l’objet principal du commerce transsaharien, mais les caravanes transportaient d’autres articles exotiques de grande valeur, comme les plumes d’autruches, l’ivoire, le sel et les esclaves.

Les caravanes de l’or, du sel et des esclaves suivaient la route appelée tariq lamtouna, c'est-à-dire la route des gens qui se couvrent du litham (voile). Les moulathamoune, ces hommes voilés du désert, étaient des Sanhaja, une tribu berbère de la région mauritanienne, et leur territoire constituait un passage obligé aussi bien à l’allée comme au retour du pays des Noirs, car les caravanes s’y approvisionnaient en eau.

Vers la moitié du XIè siècle, le Sultan Abdellah ben Yacine fonda dans le bas Sénégal un couvent militaire (ribât), où ces nomades acquirent une discipline féroce. Le contrôle que les moulathamoun exerçaient sur le commerce transsaharien et leur ferveur religieuse furent déterminant pour l’affermissement et l’expansion du pouvoir almoravide.

Selon le géographe et historien El-Bekri, Ben Yacine ne périt qu’après avoir conquis Sijilmassa, Aghmat, le Sous entier, l’Oued Noun et le désert. Son successeur Ben Tachfine, puisera également ses forces au Sud du Sahara, puisqu’il sera le premier souverain marocain à avoir recours à une garde noire pour venir en aide aux principautés de l’Andalousie musulmane menacées par la chrétienté, comme le relate l’historien Ibn Khaldoun : « Lors de la bataille de Zellaqa, en 1086, ben Tachfine engagea en Espagne 4000 soudanais...En transperçant les chevaux, ces fantassins désorganisèrent complètement la cavalerie des chrétiens que commandait le roi Alphanse VI ». Sous la conduite de Youssef ben Tachfine, les Almoravides allaient faire la conquête du Maghreb et soumettre ensuite toute l’Espagne musulmane : leur empire s’étendra de la Mauritanie et du Maroc actuels à l’Andalousie, au Nord, et à la région de Tlemcen, à l’Est.

L’historien et géographe arabe el-Zouhri fait remonter la conversion des Gnaoua à la prise de l’ancien royaume du Ghana par l’Almoravide Abou Bakr en 1076. Il signale le passage en Andalousie de chefs du Ghana se rendant en pèlerinage à la Mecque. Le transit de personnes et de biens à travers le Sahara en direction de la Méditerranée était, à cette époque, affaire courante en temps de guerre comme en temps de paix.Un commerce caranier important s’était établi de l’Espagne jusqu’au bord du Sénégal et du Niger.

El-Bekri raconte que les familles aisées du Maghreb et de l’Andalousie achetaient des esclaves, parmi lesquels on trouvait des negresses cuisinières très habiles, dont chacune était vendue contre cent pièces d’or ou plus. « Elles savent apprêter des mets très appétissants, tel que le gateau de noix, les pâtisseries au miel, et toutes sortes de sucreries ».On acquérait également des esclaves qu’on employait pour la chasse. Ainsi, avant la prise de Ceuta par les Portugais, en 1415, el-Zouhri affirme avoir vu le gouverneur mérinide de la région « accompagné de deux esclaves noirs, vêtus de rouge et qui menaient chacun en lesse un lévrier muni de colliers précieux... »

Au temps de la conquête du Soudan par Ahmed-El Mansour Eddahbi(1590), les caravanes rapportaient un nombre particulièrement d’esclaves. C’est ainsi qu’aux premiers temps de la conquête, le prix de vente d’un esclave à Tombouctou  descendit jusqu’à 200 cauris, monnaie d’échange de l’époque. La traite n’épargna aucune population dans toute la région de la boucle du Niger et son importance fut telle qu’elle suscita des remous au sein de la société marocaine et de ses lettrés qui n’admettaient que des musulmans fussent réduits en escclavage. Dans un opuscule rédigé en 1614, un savant de Tombouctou condamne sévèrement « cette calamité de notre époque qui touche aussi bien les peuples convertis à l’Islam depuis longtemps que ceux dont la conversion est incertaine, mais dont l’esclavage n’est pas permis pour autant ».

Grâce à leur tradition familiale, beaucoup de Ganga ont gardé le souvenir de l’arrivée de leurs ancêtres avec les caravanes du Sahara. Haj Blal, qui habite la maison de la vallée, non loin de Smimou, se souvient aussi que son père était venu de Sous, de chez les Aït Baâmrane. Il prétend qu’on peut encore voir aujourd’hui l’endroit à Sidi Hmad ou Moussa où l’on vendait les esclaves.

 

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Les populations noires de la région sont venues en deux vagues. D’abord, pour travailler dans les sucreries saâdiennes, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. Ces anciens esclaves noirs se sont intégrés progressivement à la société berbère où on les appelle Isamgânes et leurs musiciens  Ganga. N’ayant pas de possessions foncières notables, leur principale ressource provenait des tournées aumônières, surtout pendant la période des moissons. À la fin de leur tournée estivale, ils organisent un  maârouf ou  moussem à Tiguemmi Louda (la maison de la vallée) avec les dons qu’ils percevaient, sacrifiant un veau à la mémoire de Lalla Mimouna. Dans la kasbah du caïd Abdellah Ou Bihi – qui contrôlait au XIXe siècle les étapes de caravanes en pays hahî – on dénombrait plus de 500 esclaves. Akenssous nous confirme que cette première vague d’esclave remonte à la période Saâdienne : « Les conditions dans lesquelles les Abids ont été réunis sont rapportés en détails sur le grand registre de Moulay Ismaïl...Toutefois le registre porte diverses catégories de nègres distinctes qui, aux yeux du Sultan, étaient indubitablement des esclaves d’El Mansoûr Essaâdi, et qui s’étaient dispersés dans les tribus, à la chute de la dynastie Saâdienne. »


La deuxième vague, celle des Gnaoua  bilaliens d’Essaouira, dont le rite est plutôt nocturne et le principal inducteur de transe est le guembri, date de la fin du XVIIIe siècle. Ils auraient été employés à la construction de la ville. Ce qui explique leur importance dans la ville. Dans leur chant Boulila (le maître de la nuit), on retrouve encore le souvenir du Soudan :

Kankani Boulila, ô Boulila !

Kankani Boulila, que Dieu ait ton âme !

Il était possédé par une Jania, ô Boulila !

Du Soudan, ils m’ont amené !

Ils m’ont amené, ô mes yeux Boulila !

O Boulila que Dieu ait ton âme !

Le Soudanais, le Soudanais, ôBoulila !

 

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Si les Ganga vénèrent tous  Lalla Mimouna, et sont issus de la même origine  l’ancien Soudan,  il n’en demeure pas moins que sur le plan culturel, chaque communauté  ganga s’est adaptée à sa manière au contexte dans lequel, elle fut intégrée. Ainsi à Guelmim, chez les Ganga de borj Bayrouk, on joue à la fois du tambour africain (ganga), que de la grosse timbale saharienne (tbal), ou du tambour à cadre berbère (bendir), spécifique aux rythmes des chaînes de l’Atlas. Ces Ganga se différencient de ceux de Sous et du pays hahî par le fait qu’ils chantent en arabe hassani, et non comme eux en berbère  tachelhit.

Ces Ganga de l’oued Noun, ont adopté le parler et la poésie hassanie, mais aussi le mode de vie nomade en général : ils travaillent comme bergers chez les chameliers et portent la tunique bleue et le voile des hommes bleus. La plupart de ces Ganga animent non seulement la fête annuelle qui leur est propre mais font aussi partie de la troupe locale  labchara qui joue de la guedra saharienne. À ce titre, ces Ganga de l’oued Noun connaissent aussi bien l’art du  Rguiss que la poésie hassanie.

Les Ganga sont donc à la jonction de deux cultures : celle de la diaspora noire à laquelle ils appartiennent, et celle soit des nomades arabes pour ceux de l’oued Noun  ou des sédentaires berbères  pour ceux du Sous ou du pays hahî au milieu desquels ils ont été amenés à vivre. Ce qui prouve que le Sahara n’a jamais été une frontière infranchissable entre le Maroc et  bilâd Soudân  (le pays des Noirs des géographes arabes du XIIe siècle), mais bien au contraire le lieu où s’est opéré le métissage culturel entre la négritude et la civilisation arabo-berbère.

Les Ganga n’ont pas seulement subi l’influence du milieu dans lequel ils ont été intégrés, mais ils l’ont également influencé à leur tour. Ainsi le  Raïs du somptueux Ahouach des Glawa reconnaît l’origine africaine du ganga, le gros tambour qui rythme les danses collectives qui se sont développées autour du col de Telwet, jadis lieu de passage obligé à travers le Haut-Atlas, entre le Sahara au sud et les plaines côtières au nord. Et quelle ne fut ma surprise cet hiver, en me rendant à Assif-el-Mal, pour y assister à la danse tiskiwin , lorsqu’un berger berbère me joue sur sa flûte de roseau un air gnaoui !


Abdelkader MANA

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04/05/2010

Télévision

Autant en emporte le vent

Autant en emporte le vent[1]

Le soir même du samedi où la télévision devait transmettre en direct d’Essaouira son show musical j’y ai fait un saut . Les musiciens de la ville m’ont parlé d’une seconde mort de Ben Sghir, le poète du malhûn de la ville. On m’a dit que Souhoum, grande autorité en la matière a supprimé la qasida de la « chamaâ » de Ben Sghir qui était prévue au programme. C’était une flamme qui s’était éteinte. D’autres ont invoqué le facteur temps pour expliquer cette suppression. Je me suis rendu compte du manque de culture de ces musiciens de la ville qui ne connaissent ni Ben Sghir ni son aurore (Lafjar). Ce qui les intéresse c’est d’apparaître à la télévision. Ils ont une vision commerciale de la culture. Ils n’ont pas l’amour du Malhûn comme l’ancienne génération qui vivait au temps où il n’y avait ni phonographe ni télévision comme le chantait le Rzoun de l’Achoura :

Pourquoi donc avez-vous remplacé,
Les chanteurs du malhûn par le phonographe ?

Nous avons demandé à M. Souhoum pourquoi il a supprimé le melhûn souiri du programme ? Et voilà ce qu’il nous a répondu :
- Le chanteur qui devait présenter la qasida a une voix faible : nous voulons ressusciter Ben Sghir, faire revivre le patrimoine mais sur la base de règles saines et de belles voix.
Khalili, un chanteur du malhûn local réplique :
- Essaouira, n’est pas seulement un simple entrepôt, c’est aussi une ville de culture qui a connu en son temps le malhûn. La raison qu’invoque Souhoum concernant la mauvaise voix du chanteur, ne justifie pas la suppression de la qasida. De toute manière, c’est au public de juger.
On veut faire connaître les provinces à travers la télévision, mais on étouffe la culture locale. On a finalement assisté à un show de variétés nationales avec les vedettes habituelles, mises en scène par le charqi (vents alizés) : le vent qui balaie les odeurs semblait balayer ce soir la mauvaise musique. Une soirée surréaliste, avec des images abstraites qui défilent de temps en temps sur l’écran, et quand c’est au pire on montre le lorgnon de la Scala. Si on veut présenter un défilé de variétés, ce n’est pas la peine de les déplacer à Essaouira ; ils seraient mieux dans un bon studio à Rabat. Jusqu’à 23 h 10, toujours pas de culture régionale.
On critiquait le vent d’Essaouira et maintenant, on s’en réjouit parce qu’il est devenu le vent de la critique qui balaie ce qu’il ne lui convient pas, c’est-à-dire ce qui échappe à sa culture. De même que le vent d’Essaouira n’existe que dans le microclimat d’Essaouira, sa présence frondeuse était la manifestation permanente de l’âme de la ville. Comme une sorte d’ironie permanente, de moquerie, un téléspectateur de la ville me dit en montrant la chanteuse étoilée avec le diadème de perles : « celle-là, vient du mellah ! »
Dans la ville, certains disent que Sidi Wâsmîn, dans sa sainte colère, faisait trembler le djbel Hadid pour secouer le pilon de la télévision, empêchait la transmission de la soirée. Cela donnait un spectacle étonnant sur le petit écran : les chants de nos vedettes nationales, cheveux au vent, étaient constamment entrecoupés de formes abstraites, de zébrures, et autres désordres. Puis réapparaît le lorgnon fixe de la Scala.
Mohamed El Idrissi nous chanta deux longues chansons dont l’une s’intitule : Mazal al hal (encore le temps). Le chanteur crispé sur scène, se voûtait sur son luth, chantant des paroles insipides, comme un défi lancé par l’ignorance des métropoles à la culture profonde du pays. On attendait l’Aïta des Chiadma et l’Amerg des Haha comme trésor culturel des plaines enserrées entre la montagne et l’océan. On ne soulignera jamais assez la beauté intense des vieux chants populaire de notre patrimoine.
Au lieu de faire apprécier le Rzoun plein de trouvailles poétiques, on nous déversa ce qu’il y a de plus plat dans le menu quotidien de la télévision. Quand on voit miauler et racler les violons orientaux ils font durement regretter le kamandja de Badenni chantant à khobbaza son éternel refrain :

 

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« L’amour, l’amour,
C’est pour toujours ».


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Quelqu’un me réplique :
- Mais non, Idrissi est très bon, et Badenni n’est qu’un sauvage du Mellah.
Grâce à Nass el Ghiwane, l’ambiance musicale change complètement. Tout a en effet changé vers minuit avec l’arrivée des jeunes Ahouach . Sidi Wasmin était très content dans sa montagne. Il arrêta le vent. Lalla Beit Allah tendit l’oreille à une musique aussi belle. Enfin, le décore est devenu sobre : on dirait que les cadreurs ont changé de regard ; ils ont retrouvé le port. On retrouve enfin Essaouira et sa musique. Mais les Hamadcha et les Gnaoua furent vite expédiés du plateau de la télévision.
La télévision a un pouvoir hégémonique fondé sur la technique. Je quitte l’écran pour aller au port. La ville est vide. Tout le monde est devant son écran. Enfin, on voit le port autrement que ce qu’à la télévision . L’œil de verre de la télévision impose sa vision des choses. Elle produit la nouvelle culture de masse, avec une « écurie » de chanteurs et chanteuses. La télévision se livre à un travail d’homogénéisation en éliminant les particularités locales, en imposant un système de valeur aseptisé et médiocre. À Essaouira comme partout, c’est la télévision en tant que monstre machinique qui a pris le pouvoir.
Le metteur en scène, expédiant rapidement les Gnaoua et les Hamadcha du plateau, les traite comme des sauvages . La culture pour eux, ce sont les permanents de la télévision. Ils sont à la remorque d’une égyptianisation que le mouvement folk des années soixante-dix n’a pas réussi à exorciser. Le pouvoir médiatique a tendance à figer la réalité en la momifiant. La télévision unifie la diversité des cultures locales en la gommant et en la folklorisant. La folklorisation est une muséification de la vie. Comme dans un musée, on a une espèce d’épouvantail à moineaux à la place d’un être vivant qui portait un costume au passé. De la même manière la musique locale est dévitalisée.
La méconnaissance des fonctionnaires déracinés des médias, à la fois du cadre et des acteurs de la culture locale conduit à une présentation décolorée et sans attrait du produit local. On expédie les Hamadcha en une minute, comme si on montrait dans une foire agricole une rondelle de saucisson à déguster. Pour eux, vu de Rabat, Essaouira est un petit patelin perdu avec des nègres qui font du tapage nocturne à l’aide de tambours et de castagnettes en fer. Ils opposent leurs violons monotones qui font regretter le Ribab des Raïs de la montagne. On retrouve là, la problématique soulevée au colloque de Taroudant sur le statut de la culture populaire où l’on a vu des clercs énoncer quelques énormités du genre : « Les chikhates et compagnie, ce n’est pas de la culture ».
La télévision crée un nouveau système culturel : une standardisation de la culture, une vedettarisation des acteurs et des chanteurs et un regard médiatisé. Exemple : au port, le beau décor était fait pour être fixé par l’œil de la caméra, pour des plans de coupe et non pour être regardé par les gens au port. La télévision domestique le réel. Elle l’ajuste aux exigences du récepteur. Et alors, ce qui ne rentre pas dans ce cadre est éliminé. Surtout la culture populaire qui est un spectacle total, qui n’est pas fait pour être directement appréhendé par la télévision.
La culture populaire doit être consommée sur place et sans médiation. Elle passe mal à la télévision, même modernisée comme le folk. Les cadreurs sont entraînés à prendre et à faire ressortir sur l’écran, les violons d’un orchestre de la Radio Télévision Marocaine. Alors qu’ils ne mettent pas en valeur ces instruments populaires. Une musique rituelle est massacrée par la télévision, parce qu’elle ne supporte pas d’être mise en scène par les autres, qu’il lui faut du temps pour faire monter le hal (transe). Le temps du rituel est cosmique, mesuré par les astres et non par les horloges. Mais le temps de la télévision est chronométré. On donne une minute aux Hamadcha qui ont l’habitude de créer un climat par une lente progression.
Un Souhoum expert en culture populaire est venu spécialement pour commenter ce spectacle, selon le projet de mise en valeur des cultures régionales, est lui-même éliminé avec sa verve au bénéfice dune starlette télégénique et stéréotypée, rodée à l’art de présenter les spectacles de variétés à la télévision. Cette série d’émissions voulait en principe valoriser les pratiques culturelles et musicales localisées. Mais tout cela est déclassé par un même spectacle de variétés qui se déplace d’une ville à l’autre. La part du lion revient ainsi fatalement à « l’écurie musicale » de la télévision.
Dans le port, samedi soir, certains spectateurs tournaient le dos à la scène pour regarder l’écran d’une télévision placée pour le contrôle. Ils regardaient alors et avant tout la « télévision ». Comme le dit McLuhan : « le message, c’est le médium ». Ce n’est pas le contenu du petit écran lui-même, en tant qu’il a capté et digéré l’événement. Tout devient spectacle télévisé contemplé par l’œil tyrannique de la caméra, qui vous impose son regard. On voit désormais les choses à travers l’œil de la télévision.
À Safi, pendant le festival, j’ai vu un halaqi sur une place populaire racontant les événements du jour. À un moment donné, il nous a dit :
- Maintenant, j’ai fini ma journée, je vais rentrer chez moi dire à ma femme de préparer le thé et regarder tranquillement les gens qui se tuent à la télévision. Il nous a confessé ensuite que, naturellement, il était trop pauvre pour avoir la télévision et que, s’il l’avait, il ne serait pas sur cette place à nous proposer son beau spectacle. Quand tout le monde aura la télévision, il n’y aura plus de halaqi, et bien sûr, plus de halqa. Abdelkader MANA



[1] Article paru à Maroc-Soir, le lundi 8 septembre 1986.



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La musique dans la vie

La musique dans la vie

Noces du Malhoune

Par Abdelkader Mana

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Roman Lazarev


O hôte d'Allah ! Soit le bienvenue

Avance sans voiles au pays des ardeurs inassouvis !

Pourquoi tiens - tu une arme à la main ?

N'aie pas peur, répond au salut de la paix.

Le poète s'adresse ainsi à sa bien aimée qui vient lui rendre visite la nuit déguisée en garçonnet. Ce poème rappelle étrangement « l'hôte » du Cheikh Jilali Mtired dont Al Andaloussi était le disciple. Dans les deux cas, il s'agit d'un bien aimé qui vient frapper la nuit à la porte du poète, non pour le soustraire à sa retraite studieuse, mais plutôt pour répondre à ses secrets désirs.

On découvre avec stupéfaction dans la qasida du Cheikh JilaliMtired, qui a servi de modèle, d'étranges similitudes avec le poème du corbeau d'Edgar Alan Poe. Dans les deux cas, il s'agit de la visite fantastique de l'esprit de la maîtresse disparue qui vient frapper la nuit à la porte de son amant.

C'est l'orchestre du malhoune de Salé qui nous chanta cette qasida sur l'une des barques qui assurent la traversée de Bou Regreg, avec comme fil conducteur Mustapha Khalili, comédien et grand connaisseur de ce genre poétique et musicale. On voit et on entend chanter Allal à la voix de ténor, aujourd'hui disparu.C'était en 1998, lors de la série documentaire « lamusique dans vie », consacré au genre Malhoune et qui nous conduisit depuis Rissani et les ruines de Sijilmassa dans le Tafilalet, en passant par Marrakech et Salé et enfin Meknès où nous avions rencontré le maître forge Laânaya, éminence grise du malhoune, aujourd'hui disparu ainsi que Huceine Toulali qui chanta pour nous la qasida du cœur dont il était malade avant de disparaître à son tour. Aujourd'hui je suis étonné de mon propre commentaire d'alors ; c'est pourquoi j'ai décidé de le publier sur « rivages de pourpre », pour mieux en apprécier et méditer la teneur, ce qui n'était pas le cas pour un média comme la télévision où la voix off semble dans une course effrénée avec les images qui défilent à toute allure sans possibilité de retour en arrière pour mieux apprécier tel ou telle trouvaille tant au niveau de la forme que du contenu. Retrouvons donc notre commentaire sur le documentaire de Salé :

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Voiliers occidentaux poursuivant les corsaires salétans, Roman Lazarev

 

On chercherait vainement de nos jours, parmi la paisible population maritime de rabat - Salé, d'authentiques descendants des corsaires du 17ème siècle. Notons cependant que certaines familles actuelles de Rabat comptent parmi leurs ancêtres des membres issus de l'ancienne entité morisque de Salé.

Les derniers survivants de la corporation des barcassiers qui exercent  de nos jours le dangereux métier de passeurs de l'oued, ou les rares pêcheurs qui ne quittent guère l'abris des jetées , n'ont en tout cas rien de commun avec les fameux Slaouis (Salétans) dont les exploits firent pendant près de deux siècles trembler la chrétienté. La venue des Andalous expulsés d'Espagne a joué un rôle déterminant dans le trafic maritime du fleuve.

A Salé, la Nzaha printanière dans les beaux jardins de l'antique CHALLA , celle des barques sur les berges du Bouregreg , sont autant de réminiscences du passé andalou de la ville. C'est ici que s'est opéré la jonction au niveau poétique et musical entre la qasida en tant que legs bédouin  et l'art andalous. On voit apparaître des modes de la Ala Andalouse - Al Maya, Lahgaz, Sika, Al Rasd, Al Istihlala - dans les mesures du malhoune. Nous suivons Mustapha Khalili, en tant que fil conducteur, pour les découvrir et mieux les connaître.

Seigneur, bénis soient les poètes - musiciens !

Comédien et grand connaisseur du malhoune , Mustapha khalili se rend dans une sorte de pèlerinage sur la trace des poètes errants en hauts lieux du malhoune ; le but ultime de sa visite à la ville des sept saints est de se rendre au mausolée de Sidi Bel Abbas le saint patron de la ville dans la pure tradition des poètes errants  qui vont chercher l'inspiration la nuit près du tombeau d'un saint vénéré. En ce sens sans le savoir il marche sur les traces de Sidi Qaddour El Alami qui faisait de fréquentes tournées de visites pieuses aux tombeaux des saints. Ainsi , lors de son long séjour à Marrakech, qui a duré vingt ans, il visitait lui tous les jours les tombeaux des sept patrons de Marrakech comme il lui arrivait à se borner à visiter le tombeau d'Abou el Abbas Sabti. Et c'est ce que khalili a l'intention de faire en commençant par la place de Jamaâ Lafna qui fut la place public où les chanteurs de malhoune venaient présenter sur le plan musicale les qasidas produites au cœurs de la médina. Maintenant que le malhoune en tant que musique a cédé la place de l'anéantissement aux voyantes, aux porteurs d'eau, aux charmeurs de serpents, aux conteurs et autres troubadours de Sous, Khalili sait que c'est seul au cœur de la médina qu'il doit aller à la rencontre des chanteurs du malhoune, ces musiciens - poètes qui prennent souvent l'air d'un dinandier, d'un maître forge ou d'un teinturier. Avec Fès , Marrakech était le principal aboutissement des caravanes en provenance de Sijilmassa et de Tafilalet raison pour laquelle les chantre s du Malhoune de Fès et de Marrakech sont presque tous originaires de Tafilalet.

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Roman Lazarev

Jusqu'à la découverte de l'Amérique, l'or du Soudan a joué un rôle prépondérant dans l'histoire monétaire mondiale. Avec les esclaves et autres articles exotiques le métal jaune était l'objet principal du commerce transsaharien. Un véritable trait d'union entre trois mondes, trois civilisations : l'Afrique Noire, le Maghreb et l'Europe qui souffrait d'une faim frénétique du métal jaune. Située dans un Oasis au sud du Haut Atlas, juste en face de l'actuel Rissani dans le Tafilalet, Sijilmassa occupait un emplacement stratégique entre l'Afrique du Nord  d'une part et Bilad Soudan, le pays des Noirs d'autre part. Tous les historiens s'accordent pour reconnaître en Sijilmassa la première cité islamique au Maroc.  Selon Ibn Hawkal qui a séjourné à Sijilmassa en 1151, la fortune de la ville a commencé quand les commerçants  fuirent les dangers de plus en plus grands sur la route qui reliait le Ghana à l'Egypte se sont dirigés vers la route septentrionale .Les caravanes ont commencé ainsi à se diriger vers Sijilmassa. Et les commerçants en provenance, de Bassora, de Koufa et même de Bagdad s'y installèrent en apportant dans leur sillage la poésie arabe. C'est en ce lieu qu'étaient venus se réfugier les tribus Zénètes qui ont fuit les Aghlabides de Kairouan vers l'an 705.Ils y fondèrent l'Etat des Banou Badrane .La dynastie régna pendant deux siècles  et son histoire était rapportée dans ses grandes lignes par Ibn Khaldoune.

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Roman Lazarev

Khalili : Sidi Abdelkrim, Allah, Allah, où est passé El Maghraoui dont le croissant continue à nous illuminer !

Abdelkrime : On dit dans le Tafilalet : « Toute haute taille est vide, sauf le palmier et El Maghraoui ».

Khalili : Que raconte-t-on  sur Abdelaziz El Maghraoui du Tafilalet ?

Abdelkrim : Il a vécu à Fès où il enseignait. Quand son heure avait sonné, il est  revenu au Tafilalet. Il est arrivé de nuit au ksar où il habitait. Les temps étaient mauvais et les gens se barricadaient contre les attaques nocturnes. Mais au lieu de frapper à la porte, notre poète  escalada un palmer qui s'élevait à côté du rempart et surplombait le ksar. Réveillé par le bruit son frère avait cru qu'il s'agissait d'un cambrioleur. Il s'arma alors de son poignard et rejoignait l'ombre qui s'agitait la nuit en haut du palmier. C'est son frère qui assassinat Sidi Abdelaziz El Maghraoui.

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Roman Lazarev

Ya Jamaâ El Bahyat (L'assemblée des belles enjouées)  est une qasida du registre lyrique  chantée ici sur l'un des modes musicaux les plus anciens du malhoune. Sur le plan poétique et musical, elle a servi de modèle  pour les poètes et les chanteurs ultérieurs. En effet, le malhoune est à la fois poésie  et musique, c'est-à-dire une poésie qui ne peut pas vivre en dehors de sa mise en œuvre musicale. Pour être compris, le poème doit être chanté, déclamé. Cette qasida nous fait penser aux poèmes épiques d'Antar, en ce sens où le poète y compare les tourments de l'amour aux batailles épiques :

Le prince de l'amour a dégainé son épée et s'est rué sur moi

Il a vaincu mon armée en m'entourant de toute part par les chevaux

Où est passé Maghraoui dont la lumière nous éclaire toujours ? Pour ceux qui savent en déchiffrer le sens sa poésie est pleine de perles lumineuses, c'est sur sa trace que nous marchons : Seigneur, bénis soient les poètes - musiciens ! Les premiers bardes du malhoune se faisaient accompagner du dûf, instrument à cadre entouré de peau de chameau pour déclamer des qasidas  dont les thèmes étaient similaires  à ceux des conteurs : la Sira du prophète mais aussi les épopées des héros légendaire ainsi d'ailleurs que les aventures de Qaïs et Leïla dont  le modèle inspirera Cheikh Jillali Mtired pour sa qasida sur la mer. On s'expliquera d'ailleurs pourquoi les qasidas du malhoune prennent souvent la forme de récits théâtralisés.

 

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Roman Lazarev

Le malhoune serait le chant par lequel les chameliers rythmaient le déhanchement des caravanes pour animer les soirées étoilées autour d'un gîte d'étape. « A ces chants de chameliers, nous dit Ghazali, même les chameaux sont sensibles, au point  qu'en les entendant ils oublient le poids de leurs charges et la longueur du voyage et qu'ainsi excités étendent leurs cous n'aillant plus d'oreilles que pour le chanteur : ils sont capable de se tuer  à force de courir ».

Or nous dit toujours Ghazalai, « ces chants de chameliers ne sont rien d'autre que des poèmes pourvus de sons agréables, aswat tayeba et de mélodies mesurées, alhan mawzouna. En effet,  cette poésie populaire qu'est le malhoune est aussi un art musical, plus précisément un tarab, cette émotion musicale qui aboutit à l'extase.

La poésie arabe s'est muée en arrivant ici d'arabe classique en arabe dialectale. Le malhoune  signifie d'ailleurs ; une poésie rythmée mais qui ne respecte pas les règles de la grammaire. C'est ce qu'Ibn Khaldoune  a voulu dire par  « Âroud el Balad », la poésie du terroir.

L'arrivée à Sijilmassa des Béni Hilal et en particulier des Béni Maâqil ainsi que des andalous au temps des Almoravides et des Almohades, du temps où  le Maroc et l'Andalousie ne faisaient qu'un seul et même pays a grandement contribué à la naissance du malhoune dans le Tafilalet puis sa diffusion dans le reste du pays. Du Tafilalet, cette poésie s'est propagée avec la remontée des dynasties, du commerce transsaharien et de pasteurs nomades vers les villes impériales du Maroc.

Un autre évènement majeur avait influencer le genre  malhoune sur le plan musical : l'expulsion des andalous d'Espagne qui essaimèrent sur tout le Maghreb et apportèrent entre autre la musique andalouse dont les modes musicaux auront une influence notoire sur la déclamation du malhoune

Le foyer lumineux des rays des taïfa  qui s'éteint en Espagne avec l'expulsion des Morisque en 1610, continuera à projeter sa clarté sur les cités du  Maghreb non seulement sur le plan  architectural mais aussi sur le plan musical.


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Roman Lazarev

Le malhoun tel qu'il est chanté actuellement est une synthèse entre la poésie en tant que legs bédouin et l'art musical andalou. Le mausolée d'El Moâtamid Ibn Âbbad (le fameux Abou Abdil de l'Alhambra de Grenade) à Aghmat dans le sud marocain est la trace tangible  de ces anciens apports culturels du paradis perdu de l'Adalousie musulmane.

L'un des plus grands poètes du malhoune au Maroc est sans conteste Cheikh Jilali Mtired qui serait né à Marrakech vers la fin du XVIIIème siècle, qui aurait vécu très vieux et serait mort vers le milieu du XIXème siècle ; Lui aussi considérait sa poésie comme un don divin qu'il aurait acquis après un pèlerinage à la zaouia de Sidi Bou Âbid Charki , le maître spirituel de Sidi Ali Ben Hamdouch, comme il l'affirme dans un poèmes :

L'inspiration m'a été donnée par les Charkaoua

C'est là que mes seigneurs m'ont fait don d'un breuvage sacré

Feu Mohamed El fassi qui rapporte ce dire, le commente en ces termes :

« Il se peut que cette visite à Boujaâd n'aie jamais eu lieu, car pour les gens du peuple, l'inspiration poétique est un don de Dieu. Il est nécessaire pour un très grand poète comme Jilali que ce don soit fait par l'intermédiaire d'un saint célèbre d'une  façon solennelle. D'autres d'ailleurs n'ont pas été satisfaits par cette explication et attribuent l'origine de l'inspiration  aux Jnounes. »

On raconte que le poète sortait  seul tous les jours avant le couché du soleil se promener en dehors de Marrakech. Il allait au Sahrij Bel haddad (littéralement le bassin du forgeron), endroit peu fréquenté où poussent des plantes sauvages et dans des marres stagnantes pleines de crapauds et de grenouilles. Mélancolique, il s'asseyait là pour méditer au milieu des coassements, quand une grenouille lui aurait adressé la parole en l'invitant à une fête de mariage. Quand il eut chanté, les djinns lui offrirent un tambourin d'or. La légende veut que ce soit à lui qu'on doive l'invention des tambourins !

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Roman Lazarev

Dans sa qasida sur la tempête de mer qui emporte le fou d'amour, on reconnait nettement l'influence de la littérature arabe classique dont le fameux « fou de Leila » qui a servi de modèle pour le prince des poètes arabes Ahmed Chawki en Orient et qui aurait inspiré par la suite en Occident « le fou d'Elsa » de Louis Aragon. Cheikh Jilali, humble marchand de légumes au XIXème siècle se montre ici, un précurseur :

Ô toi qui t'engage dans la tempête d'amour !

Reviens avant que ses vents mugissants ne t'emportent !

Et que son tumulte ne t'engloutisse

Sous ses abîmes de brouillard et son déluge,

De houles, de tonnerres et d'éclaires !

L'amour est un océan sans fin à l'abîme insondable

Aucun amoureux n'a pu un jour le conquérir !

Combien de corsaires y ont fait naufrage !

Ni mâts, ni voiles, n'ont pu les sauver !

Avant lui Qays, le pitoyable s'y est déjà aventuré

Mais loin des siens, il n'a connu, hélas que l' errance,

Au milieu des haillons et des bêtes sauvages...

 

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Roman Lazarev

Cheikh Jilali avait une boutique où il vendait des légumes à Riad Larousse et passait probablement tout son temps à composer des vers puisqu'il laissa après sa mort une œuvre immense dont une grande partie nous a été  conservée  soit dans des kounnachs, soit dans la mémoire des houffades (littéralement « les mémorisateurs »). Tous les poètes qui sont venus auprès de lui, le reconnaissent comme maître. Il mourut très vieux et fut enterré près de la Kutubiyya .

Au terme de son voyage initiatique, Khalili arrive enfin à Sidi Bel Abbas Sebti, où il est accueilli par un fauconnier féru de malhoune qui lui récite une qasida sur la ville des sept saints .

Abdelkader MANA

12:34 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : musique, poèsie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook