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01/05/2010

Printemps musical

Jour de musique classique à Essaouira

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Vendredi 30 avril 2010

Au programme d'aujourd'hui, J.S.BACH, F.CHOPIN, F.LISZT, Maurice RAVEL et Johannes BRAMS: les classiques de la musique classique. Rien de moins.En une seule journée avec des musiciens virtuoses à porter d'oreilles: au source de la musique la plus raffinée qu'à produit l'occident.

Reportage photographique d'Abdelkader Mana

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Dés l'heure du petit déjeuner, sur la vitrine du patissier Driss, l'affiche signée Hussein Miloudi, toujours renouvelée à chaque festival de musique classique, attire l'attention par ses couleurs chaudes, ses envolées élyptiques...
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Je prends la direction de "Dar Souiri" où se déroule la musique de chambre ce matin à partir de 11 heures: l'entrée est gratuite, ce qui est vraiment un privillège de voir ainsi des virtuoses et des ténors reconnus mondialement sans bourse déliée...Et pour le public assidu commencer une initiation à un art musical raffiné et élitiste.
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Sur la place de l'horloge, je rencontre l'écrivain Driss Khouri, un habitué du festival des alizés. Il me dit qu'il est en convalescence depuis qu'il s'est brisé une jambe lors d'une chute, il n'y a pas si longtemps: ce qui l'oblige à se déplacer à l'aide d'une canne qui n'a ainsi rien de diplomatique!
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L'auteur de Madinatou Tourab (poussière de ville), n'écrit plus assez souvent dans la presse arabophone comme au temps où on s'est connu tous les deux en tant que journalistes. C'était l'année 1986 où nous avons participé , lui en tant que reporter d'Al Itihad Al Ichtiraki, moi de celui de Maroc-Soir, que dirigeait alors le regretté Abdellatif Bennis, à la visite Royale d'Erfoud. Il me souvient surtout de ce repas pantegruéllique donné au palace de Ouarzazate, où Driss Khouri a failli être englouti sous une montagne de chocolat...
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La matinée débute par un Don Quichotte romanesque de Maurice Ravel, interprété merveilleusement par le ténor Belobo et la pianiste Larjarrige...
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André Azoulay et ses invitée trés attentifs à l'émotion maîtrisée qui se dégage de toute musique savante
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Le public très sélect du festival des alizés. La sélection se fait tout naturellement: le public est à majorité européen dont c'est la culture. Les marocains qui ont une culture participative ne voient pas pourquoi ils resteraient assis sagement tandis que les musiciens se produisent. Pour les marocaions la frontière entre musiciens et public doit être abolie. Ils ne se sentent à l'aise et en fête que lorsqu'ils participent bruyâment à la fête en aplaudissant, en trépignant, en poussant des you-you et des appels au Prophète. Il s'agit pour eux d'une décharge énergitique et biologique, en un mot d'une catharsise. Or là on exige d'eux l'écoute attentive, le silence absolu, le bien se tenir. Conséquence peu de marocains parmi le public: la sélection ne se fait pas ici par l'argent mais par l'habitus culturel.Ici comme ailleurs, le Musée du Louvre et la musique de chambre ne sont pas fréquentés par le premier venu: il faut une éducation particulière de l'ouir et du jouir...
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Se laisser transporter par cet Othello incarné, retrouver les émotion primordiales du compositeur d'il y a des lustres: une communion mi-religieuse, mi-mondaine.L'esthétique de la science des harmonie entre notes celestes et transport amoureux...
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Dieu seul sait que derrière cette apparente improvisation se cache des années de travail sur la voix et ses possibilités accoustiques; la voix en tant qu'instrument musical. Et puis qu'est ce que la musique si non ce mystère qui nous met au diapason des beautés celestes.
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On ne se rend vraiment compte de l'existence d'un langage musical qu'en écoutant les note translucide du piano qui emplii l'espace comme une pluie d'étoiles se deversant sur nos tête depuis la nuit eternelle du cosmos...
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On reconnait parmi le public Driss Khouri avec sa canne: il doit certainement faire le lien entre l'écriture musicale et l'écriture toit court: l'harmonie des formes celle-là même qui gouverne les sphères célestes selon les mystiques et les philosophes arabes du Haut Moyen âges et qui fait qu'un poème de Gongora ou d'Abou Tamam sont beau du simple fait que leur musicalité est harmonieuses et plaisante à l'oreille comme le chant d'un merle à l'aube du printemps; le printemps des alizés...
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La patience de l'écoute; un art que partagent mélomanes et diplomates: il faut beaucoup de patience et d'écoute attentive pour mieux savourer une sonate; beaucoup de patience et d'écouter pour dénouer les échevaux  complexes du monde en tant que jeu d'echec...
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Le cercle, l'anneau, l'écoute, l'apprentissage
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La passion entre les lignes, les colonnes
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L'ovation, l'hommage à la maîtrise musicale et à la passion vocale
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L'après midi, nous avons assisté à la soprano Jalila Bennani, accompagnée de la pianisteLajarrige interprétant, l'anamourée de HAHN, la nuit d'étoile de DEBUSSY, Lune d'avril de POULENC...
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Bien entendu toutes ces passions musicales ne sont possibles que grâce au mecenat d'entreprise, des banques en particulier et aux sponsors qui déploient à cette occasion leur logo tel des pavillons battus par les vagues et le vent  sur un navire d'Essaouira emporté par la houle des vents alizés. Mais sans l'intervention discrète mais certaine d'André Azoulay le bateau de la musique de ce festival comme des autres festivals et autres colloques n'auraient pas jeté l'ancre dans ces rivages ô combien beaux mais ô combien désargentés aussi...
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Le soir on passe de la musique de chambre au cancert musical, sous l'immense salle couverte du Méchouar. Au programme MOZART est à l'honneur à partir de 20 heures avec son Figaro et sa flûte enchantée
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Reportage photographique d'Abdelkader Mana, du vendredi 30 avril 2010

02:23 Écrit par elhajthami dans Musique, Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, photographie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

05/02/2010

Le nouvel an musulman

Le nouvel an musulman[i]

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Carnaval masqué au pays Haha

Le nouvel an musulman donne lieu à un carnaval masqué connu dans les vieilles cités marocaines du nom de Herma(le porteur de peau de mouton). Mais dans les campagnes ce carnaval masqué a surtout lieu lors de la fête du sacrifice et il est connu au Haut Atlas sous le nom de Bilmawn, comme dans ce reportage photographique réalisé par Abdelmajid Mana, lors d'une ballade à la vallée d'Assif Ou Aziz (littéralement la rivière des amoureux) en haut pays Haha. Reportage photographique réalisé le 1er décembre 2009

Selon les données de 1986, quelques 850 millions de musulmans à travers le monde célèbreront ce samedi le nouvel an islamique

(Actuellement, en 2009, les musulmans représentent près du quart de la population de la planète, soit 1,57 milliard de personnes dont  près des deux-tiers vivent en Asie).

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Une fête qui commémore le départ de la Mecque vers Médine du Prophète Mohammed ; contraint à l'exil par ses adversaires polythéistes. La fête de l'hégire qui signifie « émigration », marque le début de l'ère islamique. Ce samedi 6 septembre 1986, les musulmans rentreront dans l'année 1407. C'était l'année où cet article était paru à Maroc Soir . Mais cette année le premier jour du mois de Moharrem 1431, correspondra au vendredi 18 décembre 2009.Je suis en ce moment à Essaouira et j'entend en bas de chez moi les enfants jouer des tamboura en ce mois de décembre 2009 exactement comme ce fut le cas en 1986...

Déjà dans la médina de Casablanca, comme dans tout le reste du Royaume, on vend les tambourins- taârija et goubbahi. Pout Marcel Mauss, la notion d'art est intimement liée à la notion de rythme : »Dés qu'apparait le rythme, l'art apparaît. Socialement et individuellement, l'homme est un animal rythmique ».

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Pertinence du propos de Mauss, aujourd'hui même, veille du jour de l'an musulman, et déjà dans les rues de la médina de Casablanca, avec les enfants, le rythme de la dakka s'est installé. C'est le rythme à l'état pur.

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La dakka se déroule généralement du crépuscule jusqu'à minuit. Le mot dakka provient de la racine « frapper ». Les hommes frappent des tambourins nommés goubbahi ; cet instrument de percussion dont la base est faite d'une membrane de peau de bouc dite maâzi, est également utilisée en montagne pour rythmer les danses berbères. Quant aux femmes, elles frappent plutôt des tambourines, taârija, de taille plus petites et richement décorées de motifs magiques semblables à ceux qu'on trouve dans la tapisserie ou sur la main de la mariée : le fameux zouak au henné.

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La tradition orale rapporte que ce tapage nocturne de la dakka, se perpétue depuis le roulement de tam-tam que faisaient les païens au moment de mettre le prophète Abraham au bûcher, on rapporte également que lorsque le prophète Mohammed, fuyait sa tribu païenne de Qoraïch, les habitants de Médine l'accueillirent triomphalement au son de nombreux tambourins avec le fameux chant qui commence ainsi :

La plaine lune nous est advenue

En signe d'alliance et de fidélité.

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Dans les deux cas la violence de la dakka célèbre un passage difficile du polythéisme au monothéisme se terminant par la victoire de ce dernier. La fête dure du 1er Moharram jusqu'à la veille du 10 Moharram où elle se termine en apothéose avec la nuit de l'Achoura.

 

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Il s'agit bien d'un rite de passage d'une année à l'autre. Or, pour Van Gennep :

« Les cérémonies de passage humain se rapportent au passage cosmique. Qu'elles soient d'un mois à l'autre(cérémonie de pleine lune comme en Islam) ou d'une saison à l'autre lié au calendrier solaire et agraire ».

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La fête de l'achoura est à la fois sacrée et profane, associant la mort de l'année écoulée à la naissance de l'année qui vienne et que symbolise le rite du feux associé au rite de pluie : dans le feu c'est l'année écoulée qui se consume et le rite de l'eau vise à assurer de meilleurs récoltes pour la nouvelle année.

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En effet, du fait que les femmes et les enfants s'aspergent les uns les autres, nous incite à voir dans cette pratique l'imitation au sens magique d'un phénomène favorable à l'homme, ici en particulier à la perpétuation de la vie.

 

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La nuit de l'achoura, la tradition dit, qu'il faut manger jusqu'à complet rassasiement, faute de quoi, on se voit obligé de manger les pavés de l'enfer pour remplir son estomacs. Le repas du soir est souvent composé de la viande séchée et boucanée : le gueddid , qui provient de l'agneau de la fête du sacrifice ; font également partie du menu, les dattes, les figues, les noix, les gâteaux et les raisins secs. (Nous reviendrons ultérieurement sur le caractère carnavalesque de l'achoura).

Abdelkader Mana

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[i] Article paru dans Maroc - Soir du vendredi 5 septembre 1986.



17:07 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

23/11/2009

Les rythmes de Marrakech

Les rythmes de Marrakech

 

 

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En cette fin d’après-midi, l’air commence à fraîchir, et l’éternelle place  Jamaâ-Lafna à s’animer. Tous les jours, à heure fixe, un aveugle y joue de la cithare. Pure poésie. Il chante d’une voix vibrante l’Orient de toujours. Malgré ses cheveux grisonnants, il a ce duende, sans lequel l’auditoire de la halqa se disperserait aussi vite qu’une nuée de moineaux. D’où vient-il ? Probablement du côté de Sidi-Belabbès, ce quartier qui porte le nom de l’un des sept saints patrons de Marrakech. Un saint que l’on dit aussi protecteur des aveugles. Ceux qui écoutent avec les oreilles du cœur et qui voient avec les yeux de la miséricorde. Seraient-ils vraiment disposés à la musique ? En tout cas à Marrakech, nombreux sont les aveugles qui sont aussi musiciens.

 

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Je me dirige vers la Koutoubia, à l’ombre de laquelle se tient chaque fin d’après-midi la halqa du conteur. Les artisans y accourent de toute part pour écouter à l’ombre du vieux minaret la Sira de Saladin, les amours légendaires d’ Antar et Abla, ou encore les fabuleuses aventures d’ Hamza, l’acrobate et d’ Omar Ayar  dont le vol est si agile qu’il devance celui des oiseaux.

Le livre jaune des vieux contes reste un mort parmi les morts, s’il ne trouve pas de conteur professionnel qui peut le ranimer en donnant aux chevaux en cavalcade des sabots d’or :

« Quand le Calife du temps embrassa la terre pour la remercier des bienfaits qu’elle prodigue aux hommes, les maudits se taisent ! »

- Recommence dès le début ! Crie le public.

Une meute de chiens aboie, un âne braie interrompant la narration :

- Voici l’âne, voici le chien, il ne manque plus que le coq !

Il y a constamment un va-et-vient entre le récit du conteur et le commentaire de ce qui se passe tout autour. Une autre mémoire se substitue au néant. Cette durée de l’imaginaire n’existe que par la voix du conteur. Le conteur, c’est celui qui parcourt une géographie imaginaire, qui relate l’histoire des royaumes disparus, ou ceux qui n’ont jamais existé.

 

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Le conte est constamment recréé par la communauté de l’espace imaginaire, qui est d’ici et de nulle part. La Sira c’est le temps à la fois figé et éternel du conte. C’est un voyage suspendu au souffle du conteur, qui transporte les auditeurs en dehors d’ici et d’eux-mêmes. Le conte se situe dans une durée rituelle entre deux prières : la Sira de l’étoile polaire et celle de Saladin.

 

 

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À partir du foyer central que constitue la place Jamaâ-Lafna  un espace ludique qui tient à la fois du cirque , du théâtre et du carnaval  l’esprit de la fête semble gagner toute la ville. Le soir venu, en déambulant dans le labyrinthe de la médina, partout on croise des cortèges répandant leurs flots de musique et de lumière, précédé de vierges portant des cierges. Ces processions rythment tout événement heureux.

 

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On fait appel soit aux laâbates, littéralement les  amuseuses et Dieu sait si l’on s’amuse à Marrakech , soit aux tabbala[1] qui ont pignon sur rue, et qui, en plus de leurs « services musicaux », louent un cheval harnaché pour porter, tel un prince, l’enfant à circoncire. En temps normal, dix boutiques de tabbala répondent à la demande musicale à Marrakech. Mais lors que celle-ci s’accroît  comme en ce moment avec l’arrivée des pèlerins de La Mecque on en engage trente. L’orchestre des tabbala comprend deux tambourinaires, deux hautboïstes et deux trompettistes. Dans une procession, ils sont généralement relayés par les mouaznya qui rythment des mains, accompagnés de la darbouka, du tambourin et du trayère (petit cadre circulaire à sonnailles). Il ne faut pas confondre ces personnages hauts en couleur et bien dans le goût local, qu’on appelle mouaznya (équilibristes) parce que l’équilibre musical coule dans leurs veines, ou rchaïchia (applaudisseurs), avec les joueurs de tambourins de l’Achoura, les dquaïquiya, qui ne se manifestent qu’une fois l’an. Si la daqqa[2] est originaire de Taroudant, l’art des mouaznya est typiquement marrakchi, avec sa gestuelle et son humour.

 

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Un vrai musicien de Marrakech doit connaître tous les rythmes, maîtriser tous les instruments de musiques traditionnelles, et même savoir danser. C’est le sens des mots Bahja (esprit de la fête) et Hyala (esprit de la danse) : la joie qui habite le corps et l’esprit au printemps de l’âge - quand on a assez de musique en soi pour faire danser le monde.

 

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À l’origine, les tambourinaires et les hautboïstes étaient voués à une musique sacrée, ce n’est que par la suite qu’ils ont commencé à animer les fêtes profanes. Un vrai hautboïste est un artiste qui a reçu l’enseignement d’un maître, comme nous l’explique l’amin[3] des tabbala, dinandier de son état :

 

- La lira (flûte de roseau) est la mère du hautbois, en ce sens qu’on s’entraîne d’abord à jouer de la lira avant d’aborder le hautbois. Mais il faut surtout s’initier auprès d’un maître. Un hautbois n’est qu’in simple instrument à huit notes, c’est la tête du musicien qui lui insuffle la transe sacrée qui fait trembler le monde. Aujourd’hui, quiconque tient un hautbois se dit hautboïste.

 

Durant le Ramadan, « les djinns sont enchaînés ». Il n’y a ni transe, ni rituel de possession. Seul, du haut du minaret, le hautboïste lance des airs séraphiques. C’est une musique sacrée de recueillement, d’apaisement après l’épreuve du jeûne de la journée. C’est la seule musique sacrée qu’on entend pendant le Ramadan, comme si les autres instruments et répertoires des confréries étaient diaboliques.

 

 

Un cortège sans harmonie passe justement devant l’échoppe, et le dinandier-hautboïste de s’exclamer :

 

- La ville est devenue sourde et muette !

 

Dans l’ordre de la naissance mythique des instruments de musique, le souffle primordial du hautbois a précédé le rythme du tambour. C’est d’Ouazzane, foyer de mysticisme confrérique, que le hautbois se serait propagé au reste du pays. Comme le chant des oiseaux et le bourdonnement des abeilles réveillent la nature de son sommeil hivernal, « le souffle du hautbois a réveillé un djinn de son profond sommeil annuel. Ce n’est que bien après que le rythme du tambour a commencé à se répandre à travers le monde jusqu’à nos jours ».

 

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La magie de la nuit appelle le silence, la communion du groupe appelle la hadhra (présence divine). Dans la zaouïa, on boit le thé à l’écoute d’une lira (frêle pipeau de roseau) qu’accompagne une voix couverte comme d’un voile invisible :

 

Gloire à Dieu et à toi océan de lumière !

Ô patron d’Ouazzane ne m’oublie pas !

 

Le doux intermède de la lira prépare la phase chaude du hautbois. Les musiciens sont aussi des artisans, d’où la communauté du jargon aux deux espaces artisanal et musical. La partition musicale qui rend la présence du surnaturel possible s’appelle mramma, ou métier à tisser. C’est une juxtaposition de phrases musicales tissées par le hautbois sur la trame constante des instruments de percussion : la réussite de la partition musicale dépend du champ magnétique qui s’établit entre l’orchestre et les danseurs de la place sacrée.

 

 

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Dans une fête de mariage près de Sidi Belabbès, un orchestre de jeunes interprète les chants traditionnels des artisans d’autrefois, le melhûn[4], avec batterie et guitare électrique ! Après la pose, un trio de chikhates[5] de l’aïta[6] du Haouz se joint à eux. La polyvalence des musiciens et l’éclectisme de leur auditoire font que des instruments de musique rock rythment aussi bien un vieux chant citadin qu’une chanson rurale traditionnelle, et tout le monde y trouve son compte ! Un orchestre, en effet, est en perpétuelle recomposition ; ce qui explique l’existence d’orchestres mixte dans le domaine de l’ ala andalouse :

 

- Les musiciens juifs de Marrakech pratiquaient uniquement l’ala andalouse. Lorsqu’on avait besoin d’eux, ou qu’ils avaient besoin de nous, on travaillait ensemble, nous assure le doyen des musiciens de Marrakech Amine Al Moutribine qui tient une boutique de fabrication d’instruments en tous genres près des selliers.

 

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Les Moutribine sont ceux qui procurent le Tarab cette émotion musicale qu’une voix vibrante comme celle d’Oum Kaltoum pousse jusqu’à l’extase, et qui caractérise, entre autres, le melhûn depuis la dynastie saâdienne. L’art de chanter est un don de la jeunesse, et la mélodie des voix, un don de Dieu. Excellente définition du Tarab.

 

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Hâjj Belfatmi s’occupe des fêtes officielles et religieuses, interdit l’ivresse pendant celles-ci (sauf lorsqu’elle est provoquée par Al Moutribine, ceux qui émeuvent par leur voix), intervient quand un orchestre est mal payé et défend l’intérêt des chanteurs à la retraite. Combien de musiciens d’ala évoluant dans la capitale du Royaume n’ont-t-il pas été initiés au sous-sol de sa boutique, où l’on marchande, maintenant que l’Achoura approche, tambours et tambourins ! Cependant Belfatmi reste optimiste quant à l’amélioration du niveau musical à Marrakech : «  Maintenant, quand tu veux indiquer à quelqu’un le seuil d’ala, il t’en montre le fond de la demeure».  Une manière comme une autre de dire combien, grâce aux moyens de diffusion moderne, les disciples sont devenus plus savants que leurs maîtres.

 

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De musique rituelle et conviviale, le répertoire traditionnel est devenu, pour une part, un « produit » destiné à l’animation touristique. Mais si l’industrie touristique contribue à sa folklorisation, elle lui a permis, en contrepartie, de survivre. Marrakech est ainsi l’une des rares villes où reste bien vivante une musique issue de la culture d’antan.

 

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Ainsi la vieille corporation des Nfafriya (trompettistes) est toujours bien vivante, avec son doyen, ou amine, tenancier au Derb Dabachi d’un four public qui sert de siège à ladite corporation, et où il prépare de succulentes Tanjiya. El Hâjj Rahal veille à la répartition des trompettes et des trompettistes. Ils sont quarante-quatre à monter au minaret pour réveiller les jeûneurs du Ramadan à l’heure du sort et pour animer, le restant de l’année, les fêtes profanes.

 

 

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À l’origine du Neffar,[7] il y aurait eu, selon notre témoin-clé, une raison militaire - donner l’alerte surtout lors des attaques nocturnes - et un repentir religieux qui fait penser à la chute originelle après la consommation de la pomme interdite :

« C’est Lalla Aouda - enterrée à Meknès - qui est la patronne des trompettistes. Elle était fille d’un roi qui aurait rompu le Ramadan en mangeant une pêche et une grenade. Pour se faire pardonner on a recommandé, à ce roi, d’entretenir les trompettistes. Il y a des minarets à deux trompettes qui alternent les Taraouih avec un hautboïste, et d’autres qui n’en possèdent qu’une seule. Le souffle de la trompette réveille du sommeil de la nuit, comme le tocsin de la corne réveillera du sommeil de la mort, au Jugement dernier». Dès que la lumière s’allume au sommet du minaret, annonçant la prière de l’aube, le trompettiste interrompt sa communication céleste pour descendre à terre.

 

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Très démonstratif, l’amine des Nfafria nous explique qu’un neffar comprend trois parties :

1. Le tennor avec son embouchure, qui mesure une coudée (50 cm) et six doigts ;

2. Al wasti, le tube du milieu, qui mesure une coudée ;

3. Al fals, qui vaut une coudée et quatre doigts.

 

« Quand on met les trois pièces bout à bout, on obtient cette trompette de trois coudées (150 cm) et dix doigts, qui a fait le tour de tant de régions et de fêtes, à travers tout le Maroc. Nous avons appris ce métier rien qu’en soufflant dans la flûte de roseau. J’ai 84 ans et je souffle dans le neffar depuis l’âge de seize ou dix-neuf ans. Nos ancêtres n’accepteraient pas de nous voir souffler ainsi dans les trompettes ».

Le four public où se terre notre trompettiste est contigu à la boutique des dqaîquiya de la troupe de Baba. Ailleurs les dqaîquiya ne sont disponibles que lors de la fête annuelle de l’achoura, alors qu’ici, on se tient prêt en permanence à toute épreuve, en « tuant le temps » à jouer aux cartes dans cette boutique sise au derb Dabachi.

 

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La daqqa, c’est le rythme à l’état pur. Dans chaque quartier, quelque quarante joueurs de tambourin s’assoient en cercle : c’est le gor. Rythmée lentement par les battements des mains, la mélopée scandée par la moitié terrestre (Lafrach) monte au ciel, hésite en son milieu, avant d’être « saisie » par la moitié céleste (laghta) de l’orchestre. Les deux moitiés se font face, en demi-lune, alors qu’allant de l’une à l’autre, Maître Baba synchronise leur rythme avec son bendir[8].

Dans la compétition entre vieux quartiers de Marrakech - Al-Moqaf, la kasbah, Derb-Dabachi, Isbtiine,  qui se déroulait sur la place de l’anéantissement, Jamaâ-Lafna, les dernières années, c’est le gor des tanneurs qui a emporté le tambourin d’argent — sorte de trophée remis la veille des feux de joie (chaâla). Et au neuvième jour du nouvel an musulman, une procession carnavalesque a lieu, dans le sillage des sept saints, avec des personnages burlesques revêtus de peau de mouton et de chapelets d’escargots.

 

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On peut être illettré, poète et musicien. C’est la cas du Cheikh Jilali Mtired , figure emblématique de Marrakech dont une association de malhûn porte le nom. Simple marchand de légumes et de primeurs, dit-on, il vécut à la fin du XVIIIe siècle. : on doit à ce grand homme des poèmes, des modes de chant, et surtout al Harraz, imité par la suite en tant que mode et en tant que thème. Dans le milieu des artisans,  Jilali Mtired est considéré à Marrakech, comme le prince des poètes. Il prétendait être inspiré par les djinns : une grenouille lui aurait adressé la parole un jour, au bassin des forgerons à Bab Lakhmis, pour l’inviter à une fête de mariage. Quand il eut chanté, les djinns lui offrirent un tambourin d’or ! La légende veut qu’il soit l’inventeur des tambourins !

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Ailleurs, le marché de la musique est médiatisé par des objets - cassettes audio et vidéo. À Marrakech, c’est un marché vivant. Sa spécificité tient au fait que les musiciens professionnels sont disponibles d’une manière permanente. Dans les boutiques, où sont suspendus des instruments à anches, à percussion, ou à corde, il ne s’agit pas d’offrir un produit musical, mais rien moins que les musiciens eux-mêmes ! C’est une espèce de «mouqaf »[9] musical. Une sorte de marché du rythme à la disposition de toute fête organisée dans la ville. Et les instruments sont là, non seulement pour l’orchestre attendant d’éventuels clients, mais aussi pour être loués à des orchestres fantômes. Ce qui prouve que les musiciens « professionnels » ne forment que la partie émergée de l’iceberg : leurs clients se révèlent être parfois eux-mêmes des musiciens occasionnels. Un inoffensif aiguiseur de couteaux peut être à l’occasion un redoutable connaisseur de malhûn. Ainsi en est-il d’Abbas, l’authentique, qui depuis cinquante-quatre ans ne cesse d’aiguiser les couteaux et les mots. Pour lui, les gens sont comparables aux métaux - de l’or au vil alliage - mais le vrai frère, c’est le dirham !

 

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La diffusion massive des minicassettes constitue en soi un phénomène culturel de première importance. Tant pour la reproduction de la musique populaire locale que pour la musique venue d’ailleurs ; les minicassettes sont un nouveau moment dans l’évolution de la culture populaire et sa déstabilisation continuelle. La culture est toujours ambulante et en mouvement : soit elle déambule et voyage comme autrefois, et encore aujourd’hui, en carriole, soit elle emprunte la voie des ondes et des bandes magnétiques. Mais la musique populaire est d’abord une musique à vivre en communion, une musique de participation et de partage : aucune technique ne peut remplacer le plaisir de recueillir le chant des moissonneurs, d’écouter la cantilène d’une bergère à la margelle d’un puits ou de participer à un feu de joie au Haut-Atlas. Abdelkader MANA



[1] Les tabbala : les tambourinaires.

[2] La daqqa, C’est le rythme à l’état pur. À la veille du 1er Moharram, jour de l’an musulman – annoncé par la nouvelle lune — le rythme de la Daqqa envahit les rues de la ville.

Il semblerait que la daqqa — un véritable tapage nocturne qui relève à la fois du charivari et des mascarades carnavalesques — soit originaire de la ville berbère de Taroudant, d’où elle s’est diffusée avec le commerce transsaharien vers Marrakech puis Essaouira.

[3] L’amine : Le doyen des artisans, leur garant.

[4] Le melhûn, comme composante de l’identité culturelle des artisans des vieilles cités marocaines, est à la fois un legs bédouin sur le plan poétique et un legs andalou sur le plan musical. Beaucoup de mots de cette poésie populaire ne sont plus usités. Il serait le chant par lequel les chameliers rythmaient le déhanchement des caravanes.

[5] Chikhates : Chanteuses, danseuses. Chez les Romains, des prostituées sacrées vendaient leurs charmes au bénéfice de la divinité, dans son temple. Il est possible que les chikhate soient les héritières de cette antique tradition méditerranéenne.

[6] L’aïta (l’appel) est un genre musical, spécifique aux plaines atlantiques arabophones, céréalières et pastorales. Remontant à l’implantation des Béni Hilal et des Béni Maâquil, elle porte la marque des chevaliers errants tout autant que d’une sensualité ritualisée. Une aïta des tribus côtières dit :

« Allons voir la mer

Restons face aux vagues jusqu’au vertige ».

[7] Trompette annonçant les fêtes religieuses

[8] Tambour à cadre muni de sonnailles, permettant au chef d’orchestre de synchroniser la rythmique des percussionnistes. Ainsi au cours du carnaval nocturne de l’achoura, on chantait à Essaouira :

Vaillant compagnon, frappe ton bendir

La nuit est encore longue.

Vaillant compagnon, frappe ton bendir

Vois donc venir l’aube


[9] Mouqaf : Un lieu où l’on se tient debout pour offrir sa force de travail.

00:49 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook