28/02/2010
Le quartier du Roy
Le Quartier du Roy
Par Abdelkader Mana
Mon père disait qu’au XVIIIe siècle, Essaouira était une place militaire nécessaire, parce qu’une trop grande superficie demeurait sans surveillance. Sur la côte atlantique, la distance entre Safi et Agadir était trop grande. Ce long littoral n’était pas suffisamment protégé contre les puissances étrangères, qui pouvaient s’y installer à tout moment , comme l’avait déjà montré l’occupation portugaise avec la construction du Castello Real en 1506.
La position géographique de Mogador faisait d’elle un lieu envié au carrefour des routes marchandes, terrestres et maritimes. Dés sa fondation, elle fut menacée par l’Espagne comme le rapporte Höst :
« En 1765, après que le Sultan qui s’est rendu lui-même à Essaouira, eut distribué aux consuls les terrains à bâtir, un bateau espagnol se profila à l’horizon. Un navir de guerre espagnol armé de soixante-dix canons s’approcha, et comme Mohamed crut que les Espagnols avaient l’intention de déranger ses constructions, il expulsa le consul hollandais Demetri, l’accusant de connivance avec l’Espagne, en ajoutant qu’à l’avenir il ne voulait pas de Grec comme consul de Hollande, mais d’un Hollandais. Ensuite, il envoya au roi d’Espagne un cadeau composé de lions, tigres, chevaux, accompagné de trente esclaves espagnols, afin de lui mettre d’aimables pensées en tête, et lui laisser entendre que ce geste était un pas vers la paix. La suite montra d’ailleurs que ces agissements pleins de sagesse ne demeurèrent pas sans résultat. »
Le 15 décembre 1769, Louis Chénier, consul de France, souligne :
« L’Empereur est arrivé à Mogador au commencement du mois passé. Il a vu avec toute la tendresse d’un auteur la ville dont il a posé lui-même les fondements. Il a fait établir une batterie respectable à l’entrée du port, et fait réparer tant bien que mal quelques fortifications, que le temps avait déjà dégradées. Sa Majesté doit partir à la fin de ce mois pour retourner à Maroc. »
L’architecte français que Sidi Mohamed Ben Abdellah chargea de construire l’actuelle Mogador, donne des renseignements encore plus précis. Le château y est décrit sous les lettres :
« O Porte d’entrée.
« P Cour,
« Ancien château construit par les Portugais, qui est très peu de chose et qu’ils ont abondonné depuis 400 ans. L’épaisseur de ses murs n’ont que six pans dans ses quatre faces. Les Mores y ont fait depuis cinq ans un parrapet sur la platte forme, dont la bâtisse tombe d’elle-même et sur la face du côté ouest-nord, il a quatre pièces de canon de 12.
« Q Magasins très faibles, mauvaises voûtes, mauvais murs de 2 pieds d’épaisseur, où il y a dix mille barrils de poudre anglaise qu’ils ne sont point en sûreté. »
En 1767 rapporte Höst, arrivait à Marrakech un ingénieur français d’Avignon nommé Nicolas Théodore Cornut, ancien déssinateur des places fortes du Roussillon, passé à la solde des Anglais, que le sultan recruta à Gibraltar. C’est lui qui dressa le plan de la ville forte. De là ces fortifications à la Vauban, style XVIIIè siècle, qui furent armées avec des canons achetés en 1780 à la fonderie espagnole de Barcelone ou provenant de prises de mer.
La ville n’a pas émergé lentement des méandres du Moyen Âge ; elle est née de la volonté du prince. En effet, pour marquer son désir de faire d’Essaouira le principal port sur l’océan, Sidi Mohamed Ben Abdellah (1757-1790) commença par bâtir un mur sur les rochers au bord de l’eau. Il fit inscrire la bénédiction du Prophète en lettres coufiques sur la pierre de taille arrachée aux flancs de cette île qui n’est rattachée au continent que par une lagune.
l’inscription de de « Baraka de Mohamed » est gravée sur pierre de taille, appelle la bénédiction du Prophète sur la cité, qu’on trouve sur les donjons de la Scala du port et de la mer, que les artisans utilisèrent comme devise d’Essaouira en l’ incrustant sur de petites plaques de thuya.
En haut de la porte Est de l’ancienne Kasbah — connue du nom de son portier Mohamed Ben Massaoud, devenue depuis les années 1920 « porte de l’horloge » — l’inscription de la fondation de la ville gravée sur pierre de taille.La transcription s’étale sur six lignes qui s’énoncent ainsi :« À Dieu, je confie mon destin, à lui je m’attache puisque je n’ai que son aile protectrice et rassurante. Si les yeux de la miséricorde t’ont élu : dors tranquille, aucun danger ne peut t’atteindre. Tu peux alors mettre le Simorgh dans tes filets, et viser les gémeaux qui sont les yeux même du bonheur ».
Ces gémeaux — comme Romus et Romulus qui ont veillé à la naissance de Rome — sont sensés apaiser l’esprit des morts, assurer le renouveau des vivants, et veiller sur les échanges humains qui se déroulent toujours sous le signe permanent de la gémelle parité terrestre et céleste.
On peut lire aussi à la troisième ligne :
« Le victorieux par la grâce de l’envoyé de Dieu, même les lions se soumettent à sa volonté, dussent-ils le rencontrer dans leur tanière. Tu ne verras point de saint vaincu, ni d’ennemi qui ne soit défait. »
Il s’agit d’un couplet de la célèbre « Bourda »(élégie en hommage au Prophète) de l’Imam Al Bouceiri – poète mystique né en Bosnie en 1211 et mort au Caire en 1296, qui vivait de l’écriture d’epitaphes sur pierres tombales, de louanges et de sarcasmes – qu’on chante au Maroc, lors de rites de passage, sur le mode andalou dit « Al Istihlala » (mélodie d’ouverture), en particulier à la fête de la nativité du Prophète. On raconte que l’Imam Al Bouceiri, était malade lors de la composition de cette élégie de plusieurs centaines de vers, et qu’il a été guéri à la fin de la rédaction de la « Bourda » qui signifie littéralement « tenture du Prophète ».
La légende du lion auquelle se réfère le couplet est probablement à l’origine du nom de l’une des principale porte de la ville ; « La porte du lion ». D’après une tradition orale, Sidi Mogdoul aurait débarrassé la ville d’un lion qui se tenait à l’une de ses portes en le guidant au loin par une simple laisse, tel un inofensif caniche...Sidi Mogdoul est le saint patron de la ville qui lui doit son nom de Mogador.
Selon la transcription gravée sur ladite porte , le fondateur « a ordonné l’édification de ce havre de paix, en l’an 1178 de l’hégire », ce qui correspond à l’année 1760.
La Kasbah – ce « quartier du Roy » comme l’appelait Cornut – est le plus vieux secteur de la ville. C’était le lieu où résidait « le Makhzen » (l’administration royale), les vice-consuls des pays européens, et les « Toujar Sultan » (les négociants du Roi).
Rabins de Mogador
Le Sultan avait ordonné à tous les consuls de passer à Essaouira et d’y bâtir une maison. Comme le souligne le Danois Géorges Höst dans son journal de 1765 : Après que Mohamed se fût rendu lui – même à Souira et eût distribué les terrains à bâtir, il ordonna à tous les consuls d’aller là bas eux aussi et d’y faire construire à leur compte, chacun une maison importante et convenable ; tous les ambassadeurs devaient arriver là, tous les pirates devaient amener leurs prises dans la même Souira, et un chantier naval devait y être fondé.
Les douanes étaient perçues par les oumana nommés par le makhzen, qui résidait dans la kasbah. C’est la Kasbah qui contrôlait le port. C’est ce que symbolise la porte de la marine : le port est un passage entre la terre et la mer. Cette porte qui a l’air d’un décor avait une efficacité symbolique, parcequ’elle représente le pouvoir s’interposant entre la terre et la mer, prélevant des droits de passage en ce lieu de transit.
Le sultan pensait ainsi disposer d’un port bien défendu mais accessible toute l’année à ses navires, alors que les ports du Nord étaient pratiquement inabordables en dehors de la saison des pluies à cause de leur ensablement, comme le relate Ahmed Ennaçiri Esslâouî dans son Kitab Al-Istiqçâ :
« Après avoir terminé la célébration des noces de ses enfants, le sultan Sidi Mohamed ben Abdellah (Dieu lui fasse miséricorde !) se mit en route pour le pays où se trouve Essaouira, afin de construire cette ville et de la peupler. Il s’occupa de la tracer et de faire creuser les fondations, et laissa au travail les maçons et les divers artisans. Il donna l’ordre à ses gouverneurs et à ses caïds d’y construire leurs maisons. Il retourna ensuite à Marrakech. Dans sa Rihla, le sécrétaire Aboûl’abbâs Ahmed ben Elmahdi Elghazzâl dit, en résumé, que le motif de la fondation d’Essaouira fut le suivant : Le sultan Sidi mohamed ben Abdellah était passionné pour la guerre sainte. Dans cette pensée, il avait fait construire des corsaires de guerre qui, le plus souvent, étaient ancrés dans le port des Deux – Rives et dans celui d’El’arêïch. Pendant deux mois de l’année, au moment de la saison des pluies, ces navires ne pouvaient pas prendre la mer, parce que ces ports ne faisaient qu’un avec les rivières. Dans les autres saisons, il y avait trop peu d’eau et le sable obstruait l’embouchure des rivières, de telle sorte que les bateaux ne pouvaient les franchir.Le sultan ‘Dieu lui fasse miséricorde !), après avoir réfléchi aux moyens susceptibles d’assurer le voyage de ses corsaires à n’importe quel moment de l’année, s’appliqua à construire Essaouira, dont le port ne présentait pas de pareils inconvénients.
Un autre qu’Elghazzâl prétend que le Sultan décida la fondation d’Essaouira pour une autre raison. La place d’Agadir était le refuge de révoltés du Sous, comme tâleb Sâlah, entre autre, qui laissaient faire par là une exportation clandestine des marchandises et conservaient pour eux les bénéfices réalisés. Le Sultan pensa qu’il ne pouvait y avoir d’autres moyens de mettre fin à caette situation que de créer un autre port, également rapproché de cette région et du centre de l’Empire, afin de diminuer petit à petit les gains qu’Agadir procurait à ces rebelles, car personne n’avait plus intérêt à s’y rendre. Il fonda donc Essaouira, la construisit solidement et s’appliqua à en faire une ville bien bâtie. Il arma de canons les deux îles, la grande et la petite, qui forment comme l’enceinte du port, et fit élever un fort bien armé sur le rocher qui avance dans la mer, de telle sorte qu’on ne peut entrer dans le port sans être à porter des canons à la fois de l’île et du fort.
Quand la ville fut terminée, le Sultan y fait venir des négociants chrétiens pour faire du commerce et, pour les attirer, les dispensa de toute taxe douanière. Les commerçants affluèrent bientôt de tout côté et vinrent s’établir dans ce port, qui fut peuplé en peu de temps. L’abondon des droits de douane dans cette ville dura encore nombre d’années : plus tard, les droits de Sâka et autres contributions y furent établis comme dans les autres ports. Lamême situation existe encore de nos jours. Dieu sait quelle est la vérité ! »
Le 23 mai 1765, le consul danois Barisien écrit à Höst qui se trouvait à Marrakech : « A cet endroit, il n’y a que des pierres ,du sable et du vent. »
Le 20 juillet, il est reçu par l’empereur qui lui dit : « Maintenant, consul, tes affaires sont conclues, j’ai demandé à Moulay Idriss, de t’aider demain, afin que tu puisses partir après – demain. La construction à Souira doit continuer et Höst, qui habite là, doit y rester comme vice-consul. »
Les navires danois, anglais, espagnols, hollandais arrivaient avec des chargements de bois et les agrés nécessaires pour construire et armer les galiotes. Ainsi en 1766 arriva, selon Höst, un vaisseau suédois avec soixante mille piastres, cinq cent tonneaux de poudre, quinze canons, soixantes-cinq mâts, une grande quantité de rames, perches etc. Le Sultan fonda un chantier naval en même temps que le port et en 1768 sa flotte était composée de douze bateaux de taille différente, armés de deux cent quarante-et-un canons.
Dans une dépêche datée du 26 octobre 1766, Louis Chénier notait :
« Les deux frégates du Roi du Maroc, Monseigneur, qui conduisirent en août dernier la prise hollandaise à Mogador y sont encore. Elles sont observées par une frégate des Etats généraux, qui croisent à hauteur de ce port, et l’on suppose que ces deux frégates prendront le parti de désarmer et d’hiverner dans cette place. Mais cela me paraît hasardeux, attendu que le port de Mogador, formé par une île qui est à petite distance de la terre et à l’Ouest, n’est pas sûr en hiver, quand le vent règne dans la partie sud et sud-ouest, et les navires un peu gros y sont en risque. »
A l’extérieur de la ville, on peut rejoindre, à l’embouchure de l’oued Ksob, le palais ensablé « Dar Soltan el Mahdouma » qui date du XVIIIè siècle, et où le sultan éffectuait de fréquents séjours. Avant son ensablement et jusqu’en 1840, il comportait cinq pavillons. Il ne reste plus que les ruines d’un seul. De style andalou, il se distinguait par ses beaux plafonds en boiseries sculptés et peints.
C’est à « Dar Sultan », que le monarque recevait les négoçiants et les consuls. Le 8 avril 1773 Chenier note à ce sujet : « L’Empereur reçut à Mogador la visite des négociants de toutes les nations sans rien changer aux usages, mais il refusa de voir les vice-consuls d’Espagne, d’Angleterre, et de Hollande, qui résident dans cette place. Tous les négociants, Monseigneur, ont fait à ce souverain des représentations sur l’augmentation considérable du droit sur les huiles... »
A l’envoyé suédois qui disait un jour à Sidi Mohamed Ben Abdellah :
« - Les consuls sont inutiles ici, dès qu’ils n’ont pas l’honneur d’être admis par Votre Majesté... »
Il répondit :
« - Je suis très aise que les consuls soient ici, mais je ne puis point les voir. »
Les négociants juifs jouaient un rôle d’intermédiaire économique et politique : d’un côté, ils étaient « les négociants du Roi » et de l’autre, ils étaient représentants consulaires des puissances étrangères. En effet, pour contourner l’interdit de vente de céréales aux Occidentaux, Sidi Mohamed Ben Abdellah sollicita l’avis des Oulémas, leur demandant si l’on ne pouvait pas autoriser « l’extraction » du blé afin d’acheter armes et munitions ? Leur avis fut favorable. C’est ainsi que les juifs assumèrent les fonctions interdites aux musulmans : le négoce du blé, la bijouterie et la musique – on venait de tout le Maroc, pour consulter au mellah , David Iflah, le chantre mogadorien du malhûn, sur des modes disparus de la Ala andalouse. A titre d’exemple d’échange de céréales contre des munitions, une dépêche de Louis Chenier datée du 20 juillet 1767 nous signale :
« L’Empereur a mandé en dernier lieu aux négociants des différentes nations (établies à Mogador) que, s’ils désiraient avoir à l’avenir la libre extraction de blé, il fallait lui faire venir des cannoniers et des fondeurs pour travailler dans ses Etats. » Et d’après Jacksen, sur le bastion circulaire qui se trouve du côté sud de la ville « le sultan plaça le présent de Lord Heathfield : un canon sous la forme d’un lion. Un chargement de grains libre de droits fut offert par l’Empereur à celui qui lui a offert le canon. »
Dans l’esprit des Etats européens, ces hadiya étaient essentiellement destinées à obtenir des traîtés de commerce favorables, à se protéger contre les corsaires barbaresques et à faciliter le rachat des captifs. Outre les horloges, les montres et la vaisselle en porcelaine de Chine, étaient les canons et les fusils, la poudre, les bois et les cordages pour la construction et le gréement des navires de guerre.
Vu l’importance du négoce, le sultan créa un tribunal de commerce, et en 1775, un atelier pour la frappe des monnaies chérifiennes fut installé dans la Kasbah. Dans son corpus des monnaies alaouites Daniel Eustache, à la suite d’Ibn Zaïdane, la Kasbah d’Essaouira est citée comme atelier monétaire :
« On voit, dit-il, apparaître à la fin du XVIII è siècle, sur la monnaie d’or et d’argent, le fameux motif constitué par une rose à six pétales, dite « Rose de Mogador », inscrite dans un ou deux cercles linéaires moyens. C’est tout l’art des juifs d’Essaouira que résume cette belle composition décorative, qui figurait encore récemment sur les très beaux bijoux d’argent filigranés d’Essaouira. »
L’ancienne Kasbah était habitée essentiellement par les dignitaires du Makhzen et les consuls européens. Mais peu à peu les négociants juifs achetèrent aux musulmans les maisons où ils établirent leur commerce. Selon Jean Louis Miège :
« C’est avec les capitaux du sultan que trafiquaient Aflao et Corcos. Jusqu’en 1840, seuls les noms des censeaux juifs apparaissent dans les actes commerciaux. Ils jouent également le rôle d’interprètes pour les consulats européens. Nous touchons ici, aux premières origines du capitalisme juif au Maroc. »
Avec le début du XIXème siècle, ils prennent une place prépondérante comme le relate David Corcos : « l’épidémie de peste de 1799 qui fit tant de ravages au Maroc, frappa durement Mogador, où, d’après Jacksen, 4500 personnes moururent. Par la force des choses, les chrétiens partaient. Le commerce passa alors entre les mains des « Toujar Sultan »...Les juifs jouissaient d’une liberté exceptionnelle pour l’époque et dans le pays. »
Abdelkader MANA
Reportage photographique réalisé par Abdelkader Mana, le jour du Mouloud, soit le samedi 27 février 2010
17:22 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, la kasbah, cornut, sidi mohamed ben abdellah | | del.icio.us | | Digg | Facebook
La Tour de Feu (Borj el Baroud)
Castello Real
Un château en Afrique
« Il n’y a qu’un château que je connais où il fait bon d’être enfermé...Il faut plutôt mourir que d’en rendre les clefs,C’est Mogador en Afrique. »Paul Claudel:Les souliers de satin
Par Abdelkader Mana
Une erreur a été souvent commise concernant l’emplacement exact du Castello Real, la forteresse portugaise. On donne actuellement à Mogador, comme ruine de l’ancien fort portugais, un bastion rond situé dans les dunes, auprès de l’ancienne embouchure de l’oued Ksob, non loin du palais ensablé bâti au XVIII ème siècle par Sidi Mohamed Ben Abdellah.
La partie sud abritée des vents alizées de cette vielle ruine servait de refuge à marée basse aux hippies qui y venaient dans les années 1967-1973, du villages voisins de Diabet pour y prendre des bains de soleil en y pratiquant treep et nudisme.
Les ruines du château portugais de Mogador ne disparurent qu’aprè 1765, lors des travaux de construction du port. Les pierres du Castello Real servirent par la suite à la construction de la scala du port. A son emplacement s’élève maintenant la tour, ou bastion circulaire qui se trouve près du chantier naval et qu’on appelle Borj el Bermil (la tour du toneau).
Le Castello Réal, s’élevait au bord de la passe nord, sur la pointe rocheuse qui supporte le môle ouest du port actuel. Il figure à cette place, sur un plan levé, en octobre 1629, sur l’ordre du commandeur de Razilly et sur un autre plan daté du 25 octobre 1767, dû à Théodore Cornut.
Au moment de la construction des fortifications du port, les vestiges du Castello Real étaient encore debout. Avant la destruction, le Castello Real des Portugais devait ressembler en plus grand, à la bastide construite également par eux à Souira-Qdima. Orné de canons, il commandait la passe, et par la suite, l’accès à la rade.
Tout près de la mer, le pilote portugais Duarté Pacheco Pereira signale en 1506, sur la terre ferme « la ville de Mogador ».
De tout temps, les navigateurs venaient chercher ici cette eau douce et précieuse de l’oued Ksob, comme en témoigne Pacheco Pereira dans son Esmeraldo de situ orbi :
« Entre la rivière des Aloso – de l’oued Ksob – et l’île de Mogador, la distance par mer est de sept lieues, ...de cette île à la terre ferme, il y aura la distance à laquelle une grande arbalète peut lancer une flèche en terre ferme. Il y a beaucoup d’eau douce tout près de la mer, dans laquelle cette eau douce vient se jeter. La meilleurs entrée du mouillage et du port de cette île, est celle qui se trouve du côté Nord-Est...Par cette bonne entrée peuvent pénétrer des navires de cent tonneaux ; ils s’amarrent avec une ancre et un câble, ledit câble étant attaché à l’île même, et l’on sera par six ou sept brasses, fond net, bon et sûr. »
Ce texte daté de 1506, prouve qu’à cette époque, des navires de cent tonneaux fréquentaient le port et l’île de Mogador. Bien plus, lorsque Emmanuel 1er avait donné l’ordre en août 1506, d’y construire un « Castello Réal »(château royal), il y avait déjà une ville du nom de Mogador qui existait dans la baie , comme nous le signale Pachéco :
« L’année de Notre Seigneur Jésus – Christ 1506, Votre Altesse fit élever dans la terre ferme de cette ville de Mogador, tout près de la mer, un château qui s’appelle Castello Real, et que sur votre ordre construisit et commanda Diego d’Azambuja , gentilhomme de Votre maison et commandeur de l’ordre de saint Benoît de la commanderie d’Alter Pedreso, lequel fut combattu et persécuté, autant que leur puissance le leur permettait, par la mutitude de Berbères et d’Arabes qui se réunirent pour attaquer ceux qui s’en vinrent construire cet édifice ; enfin ce château se construisit malgré eux et la gloire de la victoire resta entre les mains de Votre Majesté sacrée...Entre le Castello Réal et l’île de Mogador d’une part et le cap Sim d’autre part, la côte court suivant la direction nord-sud, avec un quart nord-est et un quart sud-ouest et la distance par mer est de cinq lieues »
L’influence portugaise se heurta, devant Mogador, à une résistance dont l’âme fut l’organisation maraboutique des Regraga. Les affrontements entre Portugais et Berbères Haha devaient se poursuivre au delà de 1506.L’âme de la résistance locale à l’influence portugaise fut regraga, sous la direction du mouvement jazoulite dont le fondateur, l’imam Al Jazouli, s’établit au lieu dit Afoughal, près de Had – Draa, où il prêcha la guerre sainte contre les chrétiens, avec une telle foi qu’il eut bientôt réuni plus de douze mille disciples de toutes les tribus du Maroc.
Devant l’hostilité des tribus, le Castello Real, n’avait pu être bâti que de vive force. Il dut rester assiégé un certain temps et la situation de ses défenseurs fut un moment assez critique pour que Simâo Gonçalves de Camara, troisième gouverneur de Funchal, leur envoyât à ses frais, de l’île de Madère, un secours de 350 hommes.
Le plus ancien document relatif au Castello Real date du 5 septembre 1506 : c’est un alvara du roi ordonnant aux almoxarifes de Madère d’exécuter tout ce dont Diego d’Azambuja les requerra pour la construction de la forteresse de Mogador.On doit signaler aussi une quittance du 7 octobre 1507 qui indique « le biscuit, la viande, le bois, la chaux, la brique et les autres choses qu’on a achetées pour la construction du Castello Real que Diego d’Azambuja a fait par notre ordre à Mogador qui est au pays de Barbarie. »
Une quittance datée de Santarem, 24 octobre 1507, concerne les achats de blé faits en 1506, sur l’ordre du roi, au Castello Réal en Barbarie, par Pero da Costa, capitaine du navire Sâo – Symâo . Ces achats furent faits avant la fondation du château. Le 3 septembre 1507, Diego de Azambuja écrit de Safi à l’Almoxarife de Madère, pour le prier de remettre à Joâo de Rego, porteur de sa lettre, un certain nombre de choses pour le ravitaillement du Castello Réal, en particulier de l’orge pour les chevaux qui sont dans le château. La fourniture doit être prévue pour « vingt chevaux pendant huit mois ».
Le 14 octobre 1507, Joâo de Rego donne décharge de tout ce qu’il a reçu, à savoir :
Onze pipes de vin, deux de vinaigre, une d’huile, 15 muids de blé au lieu de l’avoine demandée pour les chevaux, qu’on n’a pas pu trouver, 20 autres muids au lieu de biscuits qu’on n’a pas eu le temps de faire, plus un bateau neuf à quatre rames et 3000 reis en argent pour les soldes de la garnison.
Nous pouvons encore citer deux documents où allusion est faite à Mogador : mention de 716 varas de toile de Brabant envoyées, en 1506, de Flandre au Castello Real en Barbarie ; et quittance du 3 janvier 1518 en faveur de Joâo Lopez de Mequa, qui fut feitor (facteur) du Castello Real pendant les quatre premiers mois de 1507 et devint plu tard, feitor d’Azemmour, puis de Safi.
Diego de Azambuja était à Abrantès le 27 juin 1507, et y reçut en don, d’Emmanuel 1er , le gouvernement du Catello Real de Mogador, en récompense de la peine que lui avait coûtée la construction de la forteresse « avec risque de sa personne et grande dépense de son argent ». Renvoyé par le roi à Safi, où il débarqua le 6 ou le 7 août 1507, Azambuja paraît y avoir ensuite résidé contamment jusque vers le milieu de l’année 1509. Son gendre, Francisco de Miranda, exerça par intérim, pendant ce temps, les fonctions de gouverneur du Castello Real.
Pendant les premiers mois de 1510, le gouvernement du Castello Real reste uni à celui de Safi, entre les mains de D. Pedro de Azevedo. Puis Emmanuel 1er, par lettre du 1er mai 1510, nomme Nicolau de Sousa capitaine et gouverneur du Castello Real, sa vie durant. Il est spécifié qu’au cas où le nouveau gouverneur obtiendrait la soumission de tribus dans un rayon de trois lieues autour de la forteresse, il percevrait à son profit les deux tiers des contributions versées par elles, un tiers étant retenu par le roi. D’ailleurs bien loin de soumettre les tribus des environs, Nicolau de Sousa, ne réussit même pa à conserver la forteresse.
Il semble que la place ait été évacuée le 4 décembre 1510, d’après une lettre de Nuno Gato Cantador écrite de Safi, le seul texte qu’on ait à ce sujet.
Reportage photographique réalisé parAbdelkader MANA, le dimanche 28 février 2010
17:07 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : histoire, mogador, castello réal, emanuel 1er, les portugais | | del.icio.us | | Digg | Facebook
26/02/2010
Les navigateurs mouillent à Mogador
Lorsque les navigateurs mouillaient à Mogador
« Il faut commercer avec les gens de Diabet»
Écrit Razilly à Richelieu vers 1630
Par Abdelkader Mana
Le Castello Real , n’avait pas été entièrement détruit après son abandon par le Portugal, car, en 1577, l’amiral anglais Francis Drake en avait parcouru les ruines :
« Ayant fait provision de bois et visité un vieux fort bâti jadis par le roi de Portugal, mais maintenant ruiné par le roi de Fès, nous partîmes... »
Dans sa relation, Francis Fletcher, qui prit part comme chapelain, au voyage de circumnavigation accompli par Francis Drake de décembre 1577 à octobre 1580, note :
« La flotte mouille à Mogador. Les indigènes viennent à bord. Pour obtenir des renseignements sur la flotte et ses desseins, ils se saisissent par stratagème d’un de ses hommes descendu à terre et l’amènent en hâte devant Abd–el-Malek. La flotte fait voile vers le Sud. »
Sir Francis Drake, fait aussi allusion à la présence du Roi saâdien Abd-el-Malek à Mogador :
« décembre 1577. La flotte de Drake arrive à l’île de Mogador. Réception des indigènes à bord. Craignant que les navires ne fussent les avant-coureurs d’une flotte portugaise, Moulay Abd – el – Malek fait saisir pour l’interroger un homme descendu à terre. Il le renvoie vers Drake avec un présent. Dans l’intervalle, la flotte a levé l’ancre après une vaine incursion de Drake à terre pour délivrer les prisonniers. Le roi renvoit celui-ci en Angleterre. La flotte passe devant Santa-Cruz-du Cap-de-Guir. »
Une année plus tard, le 4 août 1578, le Sultan saâdien Moulay Abd-el-Malek-el-Mouâtassim – Billah (1576-1578), emporta la victoire sur le roi du Portugal Don Sébastien à Oued El Makhazine. De lui Montaigne écrit:
« De sa litière, Abd-el-Malek, éssouflé, paralysé par un mal mystérieux, surplombe le champ de bataille. Il rassemble ses dernières forces, quitte sa litière, se fait apporter de force son cheval. Cet effort acheva d’accabler ce peu de force qui lui restait.On le recoucha. Lui, se ressuscitant comme en sursaut de cette pasmoison, toute autre faculté lui défaillant, pour avertir qu’on tût sa mort...expira tenant le doigt contre sa bouche, signe ordinaire de faire silence. Son dernier mot : marcher plus avant. » Son frère Ahmed-el- Mansour- Dahbi (le doré) fut aussitôt proclamé Roi.
Anglais, Français, Espagnoles convoitaient l’île de Mogador comme le montre une plaquette espagnole qui se trouve à la Bibliotheca Nacionale, de Madrid qui expose en 1621, la nécessité d’occuper la position de Mogador en ces termes :
« Dans la partie qui regarde l’Occident, face à la côte d’Afrique qui est battue par l’océan, près du cap de Ghir, entre celui-ci et le Cap cantin, se trouve le point et l’île de Mogador qui, bien qu’elle soit petite et peu connue (heureusement pour nous), est, au dire de tous les marins qui pratiquent cette côte et la route des Indes, un port très important pour la couronne d’Espagne, parce que, par sa situation, il commande ces rivages. Ce port est vaste, facile à défendre, d’une entrée et d’une sortie sûres pour les gros vaisseaux. On pourrait sortir, lors du passage ordinaire de nos flottes, et, s’il en est qui ne connaissent pas encore ce passage, il leur suffira une sortie dans ces parages pour le relever avec précision. Et si le Turc ou un autre ennemi avait cette place et cette sûre retraite, il tiendrait, comme on dit, le couteau sur la gorge à toutes nos entreprises pour les égorger ; et si cette position est importante pour eux, c’est une raison pour nous de l’occuper afin qu’ils ne l’acquièrent pas. Les ordre militaires pourraient très bien se charger de cette opération, avec le concours des navires qui croisent ordinairement devant les autres ports de la côte d’Afrique ; et même on pourrait confier la garde de cette place à l’un de ces ordres, de même que celui de Saint Jean à celle de Malte, qui lui a été donnée de nos temps par l’empereur Charles Quint . Car, à bien éxaminer, comme il est nécessaire de le faire, une chose si importante, si une autre nation occupe cette île, que l’on dit être par elle-même très désirable, outre la place et le port qu’elle contient, il y aura dans l’Océan, près de la route ordinaire d’ici aux îles Canaries, et non loin d’elles, un obstacle fort dangereux pour la sécurité de la navigation, sur lequel repose l’existence et la richesse de l’Espagne, et qui doit principalement maintenir cette monarchie pour sa conservation.
En effet, au dire de capitaines et marins expérimentés, Mogador occupée, c’est un Alger dans l’Océan, par sa situation, son port et sa retraite assurée, pour toutes les entreprises que l’ennemi turc ou hollandais tenterait contre nous, avec une sortie sûre et commode pour faire delà toutes ses courses et arrêter et inquiéter les flottes des Indes Orientales et Occidentales, qu’il rencontrerait forcément non loin de ce parage, quand elles passeront pour prendre hauteur ; et une fois que les ennemis auront occupé ce point, ils sont à même de détruire ou conquérir les Canaries, en coupant les communications de ces îles.
Si le Turc tient Mogador, il peut tenter d’étendre sa domination sur le Maroc, ainsi qu’il est devenu par Alger maître de Tunis, car celui qui est maître de la mer qui baigne un pays est fort à portée d’en conquérir l’intérieur en empêchant le peuple conquis d’être secouru par mer ; et tout ce qui établit les avantages que le Turc retirerait de ce point fait ressortir combien notre situation serait critique, s’il venait à l’acquérir...Dieu, moteur universel des choses, par la providence duquel elles se gouvernent, nous a fait la grâce que jusqu’à présent l’ennemi n’ait pas connu cette position. Autrefois les Maures n’usaient pas de vaisseaux de haut bord ; aujourd’hui, les prises qu’ils ont faites leur ont donné des forces et de la cupidité, car le gain et l’intérêt donnent de la vaillance,et c’est le profit qui nourrit les sciences. Ils voudront ne plus avoir besoin, pour opérer dans l’Océan de passer par le détroit, et voudront d’autant plus avoir un établissement sûr de ce côté-ci, d’où pourront sortir pour faire leurs prises ces corsaires Turcs si nombreux qui opèrent aujourd’hui, réunis aux Irlandais et aux Hollandais, dont nous devons nous méfier davantage. Ils se trouveront dans Mogador comme dans une tour ou un observatoir d’où ils sortiront pour fondre sur ceux qu’ils auront remarqué s’avançant sans précaution ; et maîtres de ce point, ils attaqueront tout.
Aussi pour éviter la longueur de la route et s’assurer gratuitement une meilleure position, en ayant sous la main un port à garder et vendre ses prises, caréner ses vaisseaux, et reposer et approvisionner ses équipages et flottes. Et cette maison se trouve au milieu du bois où il chasse, qu’y aurait-il d’étonnant à ce qu’il la dispose pour y passer la nuit en sécurité, sans payer le logement, y trouvant une place d’armes pour son ravitaillement et un dépôt pour ses marchandises, avec une entrée et une sortie large et sûre, causant à l’Espagne une crainte horrible et inquiétant delà toute la chrétienté ; car, si ce qu’aujourd’hui nous pouvons posséder avec sécurité est occupé par eux, il sera nécessaire de vendre les calices des églises pour les en déloger, et nous ne sommes pas certain du succès.
Et quand on considère tout ce qui vient d’être dit, il est très certain qu’il n’est pas besoin de la force ni du secours du Grand Turc pour prendre ce que personne ne défend, et que si les Hollandais s’établissaient en permanence à Mogador, y descendraient à terre, s’y installaient comme dans une tente ou une baraque, entrant et sortant sur leurs navires, ils créeraient là en peu de temps une place sûre et fortifiée, et c’est une miséricorde et un miracle exprès de Dieu qu’ils ne le fassent pas. Plus on fermera le détroit et l’on en fortifiera la sortie, plus il importe aux Hollandais d’avoir là-bas un point d’appui sur l’Océan et un port où ils puissent se réunir et, après s’être rassemblés de conserve en grosse et forte compagnie, sortir pour rompre notre défense, sans qu’il y ait pour l’empêcher d’autre que Jésus-Christ. Qu’il daigne, par les mérites de son sang, faire en sorte que cette gloire revienne à la noblesse d’Espagne et à ses ordres militaires, pour l’exaltation de sa foi et l’honneur de sa bienheureuse mère qui soit louée à jamais ! Amen. »
Cinq années plus tard, le 26 novembre 1626, Razilly adresse un mémoire à Richelieu, où il lui parle d’un plan d’occupation de l’île de Mogador, et des avantages commerciaux que la France retirerait de cette opération :
« ...Et du même voyage que l’on aura retiré les esclaves, l’on pourra laisser cent hommes à l’île de Mogador, située à poter de canon de la terre ferme,à 32° de latitude, île très aisée à fortifier. D’autre part, il y faudrait mettre six pièces de canons et laisser du biscuit aux cent hommes, et envoyer nombre de planches de sap pour y faire des maisons, car d’autres forteresses, il n’en est jamais besoin, d’autant que l’île est naturellement toute fortfiée. Il faudrait y étblir un commerce de toile, fer, drap, et d’autres mêmes marchandises , jusqu’à la somme de cent mille écus par ans. L’on aura de la poudre d’or en payement, dattes et plumes d’autruches. Et l’on pourrait tirer quelques chevaux barbes des plus forts et meilleurs de l’Afrique. Le profit de la vente des marchandises pourrait monter à 30 p. 100 de gain, d’autant que le voyage est fort court : car, des côtes de France, ayant bon vent, l’on y peut être en huit jours. C’est avoir un pied en Afrique pour aller s’étendre plus loin.
Il y a quelques français qui ont trafiqué dans la rivière de Gambye. Mais dans tous ces quartiers de Guinée, l’air est très mauvais. Et pour les habitations, il n’y a lieu en Afrique propre aux Français que l’île de Mogador et Tagrin (le cap de Tagrin, sur la côte de Guinée, près de la baie de Sierra-Leone), où les Portugais avaient en diverses années, armé des vaisseaux pour y dresser des colonies. Tagrine est onze degrés nord de la ligne. Les Portugais y ont été défaits par les Français. Le pays est fort agréable. Mais le reste de l’Afrique est très malsain et en beaucoup d’endroits stérile, dont je ne parlerais pas davantage. »
La silhouette du château portugais de Mogador devait, se trouver modifiée par des réfections, dont certaines dataient du règne de Moulay Abd-el-Malek ben Zîdân, qui y séjourna au mois d’août 1628 :
« Voulant voir Mogador, petite isle sur la mer Athlantique, entourée de rochers excessivement hauts, qui font des precipices espouvantables, y faisant séjour de quinze jours, son exercice fut de courir à la chasse des hommes, et, lorsqu’il en avait rencontré, les monter en haut de ces rochers et les précipiter dans la mer, en riant à gorge déployée. Et un jour se promenant en bateau autour de cette petite isle, le vent s’étant si fort eslevé qu’il estoit en danger de périr, ses alcaïds l’ayant mis à bord comme les plus experimentez de ses pilotes, pour salaire il les fit bien bastonner puis fouetter. Et après, les ayant fait boire avec luy, les prit pour compagnons, pour luy ayder au massacre de vingt deux pauvres barbares, qu’il tenoit enchaisnez auprès de luy. Sortant de ce lieu pour aller en chedma, où son frère Moulay el-Oualid lui fut livré entre les mains par un traistre, après en avoir fait les feux de joye, il luy feit mettre les fers aux pieds, le conduisant luy – mesme jusques à Marroque pour l’executer en temps convenable : celuy de la Pasque du mouton. Revenu qu’il fut en chedma, ayant envoyé au supplice plusieurs esclaves françois qui servoient à son écurie...De chedma, tournant vers Safy pour y faire quelque demeure, pour estre l’un de ses plus beaux chasteaux, en quatre mois qu’il demeura, il n’y eut jour qu’il n’y fist quelque massacre... »
Ce passage figure dans une biographie caricaturale, de Moulay Abd el-Malek ben Zîdan, écrite l’année de sa mort le 10 mars 1631. Elle semble avoir été composée, sinon par le père François d’Angers, du moins par quelque capucin de la mission du Maroc. On noircissait le tableau à souhait pour justifier les collectes d’argent, en vue de racheter les captifs européens retenus comme esclaves au Maroc, et pour occuper l’île de Mogador qui leur semblait situer sur une position stratégique le long du litoral africain.
A cette époque des Anglais étaient retenus en esclavage à Mogador par Moulay – Abd-el-Malek, comme le rapporte dans son mémoire du 8 octobre 1630 John Harisson :
« Si le Sultan Moulay Abd– el–Malek refuse encore de mettre en liberté, les Anglais qu’il retient en esclavage, Charles 1er devrait s’emparer de l’île de Mogador et y fonder un établissement dans les mêmes conditions qu’à la Mamora. Ces deux places attirent tout le commerce du Maroc et permettraient de constituer des approvisionnements en vue d’attaques contre des possessions espagnoles. »
Et on peut lire dans une lettre des esclaves français de Safi en Barbarie adressée en 1631 au Roy de France :
« ...le troisième château est Mogador, situé au bord de la mer. Le château est fort petit et foible, habité par quelques quatre – vingts hommes ; le Roy l’a fait réparer et habiter depuis trois ans (c’est-à-dire en 1628), pour empêcher le trafic des chrétiens avec les Arabes et le santon du païs qui lui sont rebelles. Il y a une isle inhabitée demi lieue à la mer : l’isle commande le château et le port, car elle est tellement située que d’un bout elle commande au dit fort et le peut battre en ruine, et de l’autre elle commande dans le port qui est la retraite ordinaire des forbans pendant l’hyver. Il a une rivière d’eau douce d’où les navires prennent de l’eau en dépit de tous les Maures ; lesdicts château et port de mer sont entre Safi et Ste Croix. Il faut aussi que le Roy y envoie des provisions par mer dans quelques petits bateaux, car les Arabes sont maîtres de la campagne.
Le Roy a beaucoup de païs à son commandemement et beaucoup de sujets qui lui rendent hommage, sans payer aucun tribut, si lui-même ne le va recueillir dans leurs douars et habitations, ce qu’il fait tantôt en une province, tantôt en une autre, menant avec soi une armée de 15 ou 20 000 hommes à cheval, car ils n’ont point d’infanterie en ce pays ; et, si ce Roy n’y aloit le plus fort, il n’auroit aucun tribut qui consiste en bled, orge ou froment, chevaux, moutons, vaches, chameaux et volailles, car pour de l’argent, il n’en tire point, si non des susdites places où il a des douanes et impots sur les marchandises. Les juifs faisant tout ce négoce. Il entretient sa maison et son armée par les moyens desdictes douanes et des autres commodités qu’il prend sur ses sujets, payant ordinairement sa gendarmerie de bœufs, moutons, bled etc. Il a de grands trésors d’or, argent et pierreries que lui ont laissé ses prédecesseurs... »
Le 24 mai 1629, Le père Joseph écrit à Razilly, pour que ce dernier fasse agrée r par Moulay Zidân l’occupation de Mogador :
« Le dessein de Mogador étant bien conduit, est celui seul qui peut avoir de la suite et donner fondement à plusieurs grandes choses, à quoi monseigneur le cardinal de Richelieu se porte constamment. Et contribuera tout ce qui sera requis auprès de Sa Majesté pour cette généreuse entreprise....Ne vous fiez pas à ce roy barbare que sous bon gage ; c’est ce qui me fait priser le dessein de Mogador, que je tiens bien plus sûr que la parole du Maure.....Que si on s’établit à Mogador, il est utile d’y mettre le Père Pierre pour supérieur, ayant grande expérience de ce païs – là, et peut beaucoup profiter aux occasions, pour le soulagement et le salut des âmes abondonnées....La perfection de votre ouvrage serait, après avoir pris Mogador, de le faire trouver bon au roy du Maroque, et qu’il l’agréât pour la sûreté du commerce, et lui faire voir le profit qui lui en arrivera pour la richesse et sûreté de ses Etats, apaisant sa colère par le present que vous lui portez, qui fait voir que l’on na va pas vers lui comme ennemi. Que si pour cette heure, il ne le veut pas consentir, il le pourra faire après par la force ou par amour. »
En réponse à cette lettre le Cardinal de Richelieu autorise Razilly à s’emparer de Mogador et à y laisser garnison :
Alais, 18 juin 1629
Suscription. A Monsieur le chevalier de Razilly.
Monsieur,
Si vous estimez, estant sur les lieux, que l’isle de Montguedor se puisse conserver et que la prise en soit utile, je vous laisse de la part du Roy la liberté de vous en saisir et d’y laisser cent hommes.Cependant, je demeure
Votre bien affectionné à vous servir.
Signé : Le card. De Richelieu
De Alais, 18 juin 1629
Du 8 au 23 janvier 1641, le peintre hollandais Adrien Matham, séjourna en rade de Mogador et dessina un croquis de la côte et du château. Il faisait état de l’existence d’une Kasbah, abritée derrière les rochers où vivaient les corsaires Béni – Antar :
« Le 8 janvier, au matin, nous nous sommes trouvés en vue de l’île de Mogador, et nous avons mis notre cheloupe à la mer pour voir si la rade était bonne pour nous. Nous y avons trouvé quatre toises d’eau, entre l’île aux pigeons et l’île de Mogador. Dans l’après midi, nous avons jeté l’ancre et tiré une salve de trois coups de canon, auxquels les gens de la kasbah ont répondu par un coup.
Le 9 au matin, notre cheloupe est allée à terre, par un vent nord-est, pour voir s’il y avait moyen de se procurer de l’eau fraîche, et aussi si nous pouvions trafiquer avec les Maures de la Kasbah. Ceux-ci ont accueilli amicalement nos gens et ils nous ont envoyé à bord leur interprète, un juif, en échange duquel, suivant leur coutume, un des nôtres devait rester à terre, comme otage, tant que durerait, des deux côtés, les visites de leurs gens à bord et des nôtres à terre.
La kasbah est munie de onze ou douze canons en fer, et, vue d’une certaine distance, elle a l’apparence d’un four à chaud hollandais ; mais l’île aux pigeons est inhabitée, sauf qu’on y trouve d’innombrables pigeons sauvages qui se nichent par milliers dans les rochers et qui sont si familiers qu’ils se laissent prendre avec la main. Il y avait dans un petit bosquet, à terre, un faucon qu’un de nos gens aurait pu prendre, s’il l’avait vu, car il faillit mettre le pied dessus, et c’est alors seulement que le faucon prit son vol. Pour parcourir cette île aux pigeons dans sa longueur, il faut une bonne demi-heure de marche environ : sa largeur ne dépasse pas dix fois la longueur de notre vaisseau ; mais elle est très élevée et sans eau fraîche. On trouve seulement entre les rochers de l’eau de pluie en très petite quantité.
Pour en revenir à l’île de Mogador, toujours est-il que nous avons pu y faire de l’eau. Le juif susdit nous fournit aussi du pain frais, des amandes, des raisins et des gâteaux d’olives qui avaient un goût excellent. Le costume des habitants est singulier : ils portent habituellement un long vêtement blanc – le haïk – qu’ils enroulent de diverses manières autour du corps. Le juif susdit nous a donné des renseignements sur leur mariage, etc.
Le 12 janvier 1641, c’était pour les Maures leur fête de Pâques – l’aïd es-seghir qui marque la cessation du jeûne du Ramadan- qu’ils célèbrent avec une grande dévotion. Dans l’île on trouve une espèce rare de grands oies. Nous en avons acheté à la kasbah de fort belles et fort grasses, à deux stuivers pièce. Quant à l’approvisionnement d’eau, il comporte ici de grands dangers, à cause des brisants, au point que notre petite chaloupe et les gens qui la montaient pour apporter de l’eau à bord ont chaviré deux fois, le 15 et le 16 de ce mois. Nos gens se sont sauvés à grand’peine, non sans courir de grands périls. Pour chaque tonneau d’eau on devait payer au caïd de la kasbah la valeur environ d’un écu de Hollande.
Il est aussi à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir, celui des Maures : le vendredi, celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche.
Le 23, nous avons fait tous nos préparatifs pour faire voile, avec l’aide de Dieu, vers Ste Croix, si le vent nous est favorable. Nous sommes sortis heureusement du port de Mogador par un vent est-nord-est et nous avons gagné la haute mer. »
Courant juillet et août 1688, des corsaires algériens, sous domination turque, avaient capturé des bâtiments français qui croisent depuis la Mamora jusqu’aux Canaries et fait deux cent prisonniers. Bostangi et quatre autres corsaires turcs qui les avaient faites prisonniers étaient de retour en septembre sur la côte du Maroc. Bostangi alla se ravitailler à Agadir et ses compagnons se rendirent pour caréner à Mogador, où ils débarquèrent les 60 français. Les corsaires craignant une attaque de l’escadre française, se retranchèrent dans l’île de Mogador, où ils construisirent des redoutes armées de canons, attendant un vent favorable pour franchir le détroit. En attendant ils ont relaché à Mogador soixante français, d’où ils les ont envoyé à Alger par voie de terre. A leur passage à Meknés, Moulay Ismaïl a racheté de force ces soixante hommes, comme le relate Pierre Catalan à tavers la note qu’il avait envoyée à Seignelay, depuis Cadix, le 8 novembre 1688 :
« Une tartanne française qui sortait de Safi en Barbarie le 28 du mois d’octobre est arrivée en cette baie le 4 de novembre. Le patron d’icelle a rapporté qu’il y avait quatre navires d’Alger à Mogador, deux de 40 pièces, un de 36 et l’autre de 24, avec une caravelle de 18 pièces ; que ces corsaires ont pris 13 bâtiments français sur le grand banc de Terre Neuve, qui sont de La Rochelle, Bordeaux, Havre-de-Grâce, Honfleur et un de Saint-Malo, et que sur la hauteur des Açores ont coulé à fonds un navire de Marseille, duquel les corsaires sauvèrent seulement dix hommes, qu’ils ont pris aussi à l’ambouchure de la Manche un navire de Dunkerque chargé de sucre, qu’ils ont amené et vendu à Mogador ; que de tous ces navires pris ; ils ont 200 hommes esclaves à leur bord. Desquels débarquèrent 60 hommes pour les envoyer par terre à Alger, leur faisant traîner deux charettes pour porter leurs vivres, qui, passant à Miquenès(Meknés), le roy du Maroc leur prit d’autorité ces 60 hommes esclaves, leur payant 45 écus pour chacun, et il fit une rude reprimande aux soldats d’Alger qui les conduisaient, de traiter si inhumainement les chrétiens. Ce patron m’a délivré le rosle inclus des noms de ces 60 hommes. Les 140 restants, les ont retenu à bord de leurs navires, dont ce patron a dit encore qu’ils croisent depuis la Mamora jusqu’aux Canaries. »
La prise de Santa-Cruz-du-Cap-de-Guir (Agadir), enlevée aux Portugais, le 12 mars 1541, par le chérif Mohamed ech-Cheikh, affermit l’autorité de la dynastie saâdienne. Tout le Maroc du Sud fut la contrée par excellence de la domination saâdienne, et la ville de Marrakech fut presque exclusivement leur capitale. C’est à Santa-Cruz, le port du Souss, c’est à Safi, le port de Marrakech, que les trafiquants anglais débarquent le plus souvent. Ce choix s’explique en outre, pour les trafiquants, par l’importance des opérations sur le sucre, car la culture de la canne ne dépassait guère au Nord le cours de l’oued Tensift.
Abdelkader MANA
Reportage photographique réalisé par Abdelkader Mana le vendredi 26 février 2010
17:47 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : histoire, diabet, richelieu, les saâdiens | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Répétitions en vue du Mouloud
Audition spirituelle en vue
des fêtes du Mouloud
A l'approche des fêtes du Mouloud qui commémorent la nativité du Prophète, les haddarates d'Essaouira et les jeunes de la confrérie des Darkaoua de la ville se sont retrouvés au restaurant "la Rencontre" de Latifa Boumazzourh pour des répétitions du samaâ, en vue de la soirée qu'ils comptent organiser au marché au grain à l'occasion de cette fête religieuse qui aura lieu cette année le vendredi 5 mars 2010. Etant convié à ces répétitions j'en ai profité pour les photographié in vivo. Le leader du groupe des jeunes M.Marina, dirige ces répétitions en compagnie de Rabia Haïl la haddara d'Essaouira.Ce qui m'a le plus surpris dans ces répétitions, c'est l'ardeur et le sérieux que les femmes mettent à scander et à comprendre les qasida d'un Shoshtari, le soufi andalous qui a chanté Meknès et qui errait avec son tambourins dans les souks marocains du Moyen - Âge. Il est considéré comme le maître incontesté du samaâ (l'oratorio). Les confréries religieuses sont finalement le lieu de sauvegarde de ces traditions musicales et spirituelles comme on le voit ici à Essaouira, une ville où le confrérisme semble résister encore à la raboteuse nivelante de la mondialisation en marche. Mais ce qui fait exception à la règle: c'est tout d'abord la mixité, ensuite ce lieu - même un peu insolite de "La rencontre", restaurant dévolu au départ aux rencontres amoureuses comme son nom l'indique. Je ne sais pas si toutes les femmes présentes lisent réellement dans le texte les qasida qu'elles ont sous les yeux, ou simplement par ouï dire, mais ce qui est certain c'est qu'elles y mettent une telle ardeur magique qu'elles finissent par forcer notre adhésion et notre respect, de faire montre d'une telle vénération pour la chose écrite comme on le voit sur ces images. Il est vrai que les traditions musicales et religieuses traditionnelles résistent mieux à Essaouyira et il est vrai que les confréries constituent ici un vértable conservatoire pour ces musiques et ces chants spirituels
Reportage photographique d'Abdelkader Mana
15:46 Écrit par elhajthami dans Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
25/02/2010
Tempête sur Essaouira
Le soir du mercredi 17 février 2010,je fais part à mon ami l'artiste peintre Abdellah Oulamine de ma volonté de continuer mon journal de route photographique en allant d'Essaouira à Sidi Kawki via cap Sim. Il me dit que les images ne seraient pas aussi spectaculaires que ceux des paysages ruraux que je viens de prendre aux amandiers et aux arganiers sous la grêle dans l'heureuse vallée de Tlit en pays Haha et que ce parcours côtier est archi connu des touristes qui le parcourent depuis déjà longtemps en CAD-CAD . Je lui fait remarquer alors que chaque jour est unique par sa lumière, son climat , les surprises qu'il nous réserve, et les nouvelles connaissances qu'on peut en tirer. Peut-être que j'y découvrirais d'autres espèces d'oiseaux que les goélands et les cormorans que j'y avait rencontré la première fois? Peut-être que les pêcheurs au filet et les récolteurs d'algues me raconteront des histoires inédites si jamais j'arriverais à les dénicher de sous leurs huttes de branchages par un pareil mauvais temps? Et puis, avec ces intempéries, on a affaire à un autre Maroc que celui déjà connu par son solei lumineux et son ciel perpetuellement bleu...
Le lendemain, jeudi 18 février 2010, je me prépare donc à entreprendre cette équipée côtière de vingt cinq kilomètres à pied, mais le vent est si violent et la mer si rougeâtre par les alluvionnements de l'oued ksob que j'ai rpréfèré renoncer à prendre un quelconque risque inutile.
Pour ne pas rester inactif , j'ai voulu alors changer mon fusil d'épaule en rejoignant les ruines du caïd Anflous en montagne Neknafa que je n'ai pas encore photographié jusqu'à maintenant et dont les seules images disponibles sont celles publiées récemment par Omar Lakhdar et qui datent pour l'essentiel du temps du protectorat. Or nous n'allons pas resté perpetuellement tributaires de ces anciens archives: c'est à nous d'en produire maintenant pour notre propre mémoire scripturale et iconographique, pour notre propre future.
Jusqu'ici, nous avons négligé l'image au profit du seul signe. Je me souviens à ce propos de ce qui me disait un jour mon ami le regretté Abdélkébir khatibi de la civilisation japonaise qui le fascinait: tant par sa capacité d'adaptation et par la rapidité avec laquelle elle a rejoint l'Occident en passant du signe à l'image: " Quand les Japonais, me disait-il ,débarquent au Maroc pour quelques jours ou quelques semaines; ils parcourent notre pays de long en large avec leurs appareilles numériques et accumulent en peu de temps des archives iconographiques considérables sur le Maroc, ses paysages, ses villes et ses hommes." C'est si vraie, que nous n'avons même pas parfois, les images de ceux que nous aimons, une fois qu'ils ne sont plus là! Nous en perdons jusqu'aux traces une fois disparus....Et quand j'étais journaliste à Casablanca; ce qui m'a le plus frappé, c'est de voir le peu de cas qu'on faisait des illustrations: on n'avait pas toujours le souçi d'illustrer l'évènement par des iconographies y affèrant : au dernier moment on cherchait une "image" qui peut "illustrer" tel papier ou tel reportage. D'ailleurs cette même image "momifiée" peut continuer indéfiniment à être ré-utilisée par le journal des années durant! Ce qui dénote de la volanté de figer le réel en une image immuable!Ce n'est pas tellement important l'image; ce qui compte, c'est le texte nous disaient-ils à la rédaction...Pauvre de moi, toute la mémoire visuelle des jours, des êtres et des choses que j'ai perdu, à commencer par les images de ma propre mère et grand-mère!
Une fois à la gare routière, je me rends compte que je n'avais pas pris avec moi de quoi prendre des note sachant que le dernier des Anflous à vivre au milieu des ruines est un personnage volubile qui a beaucoup de chose à raconter : décidemment la dérive ethnographique n'est jamais équipée comme il se doit: avant c'était pour le texte tout seul que je me déplaçais et maintenant je n'ai plus de yeux que pour l'image! Or une bonne ethnographie doit associer les deux. Je ne suis donc pas prêt de partir, en plus il ne cesse de venter et de pleuvoir des trombes d'eau !
Comme le paysage urbain ne m'inspire pas trop en ce moment, je décide donc de tout reporter à plus tard et de rentrer chez moi.
Mais voilà que vers 17 heures, une simple promenade routinière allait tout faire basculer. En allant faire un tour à la kasbah je découvre brusquement que le visage habituel de la ville avait complètement changé; comme si l'espace urbain s'était brutalement métamorphoseé en quelques heures de pluies déluviennes! Divine surprise: mon café habituel est fermé! Le vent qui souffle est si violent. que les serveurs ont préféré rentrer chez eux après avoir ranger sommairement les chaises de vannerie les unes sur les autres : la terrasse est vide de sa clientèle habituelle. Je me dirige alors vers Bab Laâchour où de nombreux mordus du foot , pour l'essentiel des marins n'ayant pas larguer les amarres en cette période de grosse tempête,regardaient à la télé un match entre deux équipes locales.
Après avoir pris mon café et une fois dehors, je suis brusquement pris dans une violente tempête de pluie : j'ai du me réfugier à la librairie toute proche de mon ami Joseph Sebag. Et quoique le trajet soit si court j'y parviens trempé jusqu'à l'os comme si quelqu'un aurait déversé sur moi un saut entier d'eau !
A la première éclaircie je quitte la librairie pour aller me changer. Mais une fois dehors ; je découvre une autre ville,toutes les places , toutes les rues étaient inondées . On dirait Venis sous les eaux, sauf qu'ici; ce sont des charettes qu'on utilise pour franchire les plans d'eau,en guise de barques! Pour traverser de l'autre côté de la marre, les gens devaient mouiller leurs souliers ou louer les services des charretiers pour les faire parvenir à sec à l'autre bout de la rue. Je décide alors de prendre une première photo et je me rends compte immédiatement de l'insolite de la situation : il me faut absolument faire un reportage photographique sur Essaouira sous les eaux. Et je dois faire très vite, car le soir tombe déjà et bientôt,il n'y aura plus assez de lumière pour prendre des images suffisemment contrastées pour être lisibles ! Finalement, on n'avait pas tant besoin que ça d'aller au bout du monde pour découvrir l'insolite et l'extraordinaire:il peut parfois surgir brusquement sous nos pieds voir nous tomber du ciel! Il fallait juste être suffisemment attentif et préparé - pour la prise des photos - pour découvrir l'incroyable métamorphose de la ville qui s'opère in vivo sous nos propres yeux!
22:30 Écrit par elhajthami dans Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
17/02/2010
Promenade sous la pluie
Amandiers et arganiers sous la grêle
Reportage photographique d'Abdelkader Mana
Le lundi 15 février 2010
17:58 Écrit par elhajthami dans Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
05/02/2010
Le nouvel an musulman
Le nouvel an musulman donne lieu à un carnaval masqué connu dans les vieilles cités marocaines du nom de Herma(le porteur de peau de mouton). Mais dans les campagnes ce carnaval masqué a surtout lieu lors de la fête du sacrifice et il est connu au Haut Atlas sous le nom de Bilmawn, comme dans ce reportage photographique réalisé par Abdelmajid Mana, lors d'une ballade à la vallée d'Assif Ou Aziz (littéralement la rivière des amoureux) en haut pays Haha. Reportage photographique réalisé le 1er décembre 2009
Selon les données de 1986, quelques 850 millions de musulmans à travers le monde célèbreront ce samedi le nouvel an islamique
(Actuellement, en 2009, les musulmans représentent près du quart de la population de la planète, soit 1,57 milliard de personnes dont près des deux-tiers vivent en Asie).
Une fête qui commémore le départ de la Mecque vers Médine du Prophète Mohammed ; contraint à l'exil par ses adversaires polythéistes. La fête de l'hégire qui signifie « émigration », marque le début de l'ère islamique. Ce samedi 6 septembre 1986, les musulmans rentreront dans l'année 1407. C'était l'année où cet article était paru à Maroc Soir . Mais cette année le premier jour du mois de Moharrem 1431, correspondra au vendredi 18 décembre 2009.Je suis en ce moment à Essaouira et j'entend en bas de chez moi les enfants jouer des tamboura en ce mois de décembre 2009 exactement comme ce fut le cas en 1986...
Déjà dans la médina de Casablanca, comme dans tout le reste du Royaume, on vend les tambourins- taârija et goubbahi. Pout Marcel Mauss, la notion d'art est intimement liée à la notion de rythme : »Dés qu'apparait le rythme, l'art apparaît. Socialement et individuellement, l'homme est un animal rythmique ».
Pertinence du propos de Mauss, aujourd'hui même, veille du jour de l'an musulman, et déjà dans les rues de la médina de Casablanca, avec les enfants, le rythme de la dakka s'est installé. C'est le rythme à l'état pur.
La tradition orale rapporte que ce tapage nocturne de la dakka, se perpétue depuis le roulement de tam-tam que faisaient les païens au moment de mettre le prophète Abraham au bûcher, on rapporte également que lorsque le prophète Mohammed, fuyait sa tribu païenne de Qoraïch, les habitants de Médine l'accueillirent triomphalement au son de nombreux tambourins avec le fameux chant qui commence ainsi :
La plaine lune nous est advenue
En signe d'alliance et de fidélité.
Dans les deux cas la violence de la dakka célèbre un passage difficile du polythéisme au monothéisme se terminant par la victoire de ce dernier. La fête dure du 1er Moharram jusqu'à la veille du 10 Moharram où elle se termine en apothéose avec la nuit de l'Achoura.
Il s'agit bien d'un rite de passage d'une année à l'autre. Or, pour Van Gennep :
« Les cérémonies de passage humain se rapportent au passage cosmique. Qu'elles soient d'un mois à l'autre(cérémonie de pleine lune comme en Islam) ou d'une saison à l'autre lié au calendrier solaire et agraire ».
La fête de l'achoura est à la fois sacrée et profane, associant la mort de l'année écoulée à la naissance de l'année qui vienne et que symbolise le rite du feux associé au rite de pluie : dans le feu c'est l'année écoulée qui se consume et le rite de l'eau vise à assurer de meilleurs récoltes pour la nouvelle année.
En effet, du fait que les femmes et les enfants s'aspergent les uns les autres, nous incite à voir dans cette pratique l'imitation au sens magique d'un phénomène favorable à l'homme, ici en particulier à la perpétuation de la vie.
La nuit de l'achoura, la tradition dit, qu'il faut manger jusqu'à complet rassasiement, faute de quoi, on se voit obligé de manger les pavés de l'enfer pour remplir son estomacs. Le repas du soir est souvent composé de la viande séchée et boucanée : le gueddid , qui provient de l'agneau de la fête du sacrifice ; font également partie du menu, les dattes, les figues, les noix, les gâteaux et les raisins secs. (Nous reviendrons ultérieurement sur le caractère carnavalesque de l'achoura).
Abdelkader Mana
[i] Article paru dans Maroc - Soir du vendredi 5 septembre 1986.
17:07 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
04/02/2010
Dérives au pays de l'arganier
Avant propos
Par Abdelkader M A N A
Avec le jour qui point, les gnaoua disent pour annoncer la fin de leur rituel nocturne de la lila : « Ban Dou » (la lumière est apparue).Et au moment de terminer ce livre,je me suis souvenu de cette nuit où une chikhate chantait :
Ton œil, mon œil
Enlace-la pour qu’elle t’enlace
L’aurore me fait signe
Le bien-aimé craint la séparation.
J ’ai J ai eu alors,le déclic de changer le titre initial de « Sociétés sans horloge », qui me semblait trop ethnologique, inutilement académique et quelque peu ambiguë, en choisissant finalement l’aurore me fait signe, qui correspond mieux à ma démarche ethno-poétique, qui s’apparente davantage à une « quête » qu’à une enquête. J’écrivais ainsi dans mon journal de route, du vendredi 22 mars 1984 :
Il fait encore sombre. Les baluchons et les peaux brûlées trahissent l’origine paysanne des voyageurs : « Vas-y pour changer d’air ; la forêt est le poumon de la ville ; elle réactivera en toi la joie de vivre et d’écrire ». Me dit mon père.
La route file droit devant nous ; vers l’Afrique ancienne, vers le Maroc de l’aube. Je cherche des idées neuves qui surgissent de ma pensée comme l’herbe fraîche au milieu de la rosée. Je me surprends à la recherche d’une langue inexistante pour échapper au « français ». Comment décrire ces envolées éliptiques d’une multitude de goélands qui déchirent un brouillard azuré au-dessus d’une plage déserte ? Mais je ne trouve pareil aux pierres, que des mots tellement usés...Mon âme est emmurée dans de vieux concepts, mon âme cherche une issue...Dés ma naissance ma langue m’était volée...Il faut tout recommencer, tout repenser...La dérive au pays des Regraga est une issue bénie...
Tout ce livre à pour démarche , la « dérive » : dérive vers le cap Sim, dérive vers le piton rocheux d’El Jazouli, dérive vers les rivages de pourpre en quête de cet aurore glorifié par Ben Sghir dans sa qasida de Lafjar (aurore) :
Vois le ciel au-dessus de la terre, source de lumière
Les habitants de la terre ne peuvent l’atteindre
Guerre des hommes, ô toi qui dort,
Vois le mouvement des astres
Ils ont éclairé de leur lumière éclatante, les ignorants.
Dé Derive enfin, vers ces couleurs que prend l’âme, à l’approche des énergies telleriques de la montagne, vers cette galaxie, où chaque peintre est un univers... Il est pourtant loin le temps où les femmes venaient se débarrasser du mauvais sort, recueillir au nouvel an, les sept vagues de l’aube....
Peut-être, en effectuant moi-même « le pèlerinage du pauvre » chez les Regraga, je ne faisais qu’emprunter la voie de mes propres ancêtres ? C’est cette dimension affective du temps qui resurgit de l’oubli, cette déflagration du souvenir, qui donnait sa dimension mystique à mon équipée. Mais déjà le centre solaire doré du mythe dérive avec ses pieds calleux et ses haillons dans la linéarité irréversible de l’histoire.
Casablanca,la nuit du destin 27 ramadan 1429 /Dimanche 28 septembre 2008
P.S. Comme il ne s’agit pas d’un recueil de poésie, mais d’un parcours à travers le Sud profond, « un parcours du dedans », il fallait contextualiser en sous-titre, avec « le pays de l’arganier »,l’arbre fétiche qui caractérise tout le Sud-Ouest marocain. L’arganier serait le dernier survivant de la famille des Spotacé répondu au Maroc à l’ère tertiaire à la faveur d’un climat chaud et tempéré. Ce qui en fait un véritable arbre fossile. C’est le seul arbre qui pousse tout seul !
Décrit pour la première fois en 1219, l’arganier porte le nom latin d’argania spinosa (l’arbre aux épines). Son nom vernaculaire est argan, appellation qui s’applique au fruit et à l’arbre. Arbre de très grande taille à tronc court et tourmenté, écorce en « peau de serpent », ramification dense, rameaux souvent épineux, feuilles subpersistantes. Ses racines peuvent être très profondes, ce qui lui confère des qualités de résistance à la sécheresse. On ne lui connait pas de maladie, et il pourrait vivre jusqu’à 250 ans.
11:26 Écrit par elhajthami dans Livre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poèsie | | del.icio.us | | Digg | Facebook