04/05/2010
Les Gnaoua : l'exorciste et la possédée
L’exorciste et la possédée
L’éclairé est celui qui est emporté par la parole divine,
le possédé est celui qui est atteint par les djinns, et le fou est celui qui est atteint dans son corps.
Je rencontre ce soir mon cousin Ahmed, l’aîné de ses frères et qui fait partie depuis la fin des années 1960 de la Tariqa Boutchichia, dont le maître spirituel se trouve à Madagh dans la fertile plaine de Triffas à la frontière algéro-marocaine, là où l’émir Abdelkader s’était replié après l’occupation de l’Algérie par la France en 1830. Je dis à Ahmed :
- Pourquoi tu as délaissé la fille que tu avais eue avec ta première femme originaire d’Essaouira ?
- C’est sa mère qui a toujours refusé que ma fille rencontre ses demi-frères que j’ai eus avec ma seconde femme. Elle ne cesse de me jeter des mauvais sorts, en enterrant mon sort au cimetière.
- « Comment l’as-tu su, alors qu’elle vit à Essaouira et que toi tu vis à Casablanca ?
- Par l’intermédiaire d’un fqih de Marrakech et plus précisément par son « khabir »…
- Qu’est-ce que ce « khabir », ce n’est pas Élie le Khadir ?
- C’est le djinn qui lui chuchotte à l’oreille ce qui se trame contre moi dans les cimetières d’Essaouira ».
Le fqih a le même pouvoir de voyance, grâce au Khabîr — l’équivalent de l’agent de renseignement chez les jnûn, puisque le mot Khabîr dérive des Mokhabarates, l’équivalent du Mossad et de la C.I.A. dans le monde arabe - que la voyante médiumnique des Gnaoua, qui, en état de transe devient le médium d’une entité surnaturelle parlant par sa bouche pour indiquer aux possédès consultants le diagnostic et le remède.
J’ai connu dans les années soixante-dix Larbi, le menuisier de notre quartier qui était épris de football, et qui avait fini par errer pieds nus dans les ruelles de la ville, jusqu’à ce que sa famille décide de le rapatrier définitivement à son bled d’origine dans les environs d’Essaouira. On disait alors qu’il s’était amouraché d’une femme voilée, et que celle-ci avait emprisonné son âme en l’enterrant sous forme de tortue au cimetière. Pour qu’il puisse retrouver la raison il fallait absolument deterrer la tortue enterrée vivante au royaume des morts.
L’univers des djinns fait partie de ce vaste domaine, de l’imaginaire collectif où il est difficile de faire la part du fantastique de celle de la divagation mentale. Par analogie, il est le reflet de notre monde débarrassé des obstacles de la vie réelle et peuplé d’entités « volantes » qui se métamorphosent à volonté en toutes sortes d’identités animales parlantes.
D’après l’exorciste gnaoui, un chat n’est pas un chat et un chien n’est pas un chien :
« Là-bas près de la montagne où a disparu Chamharouch, il n’existe pas de vrai chat, ni de vrai chien : si tu vois un chien, sache que c’est un melk, si tu vois un chat, sache que c’est un melk, si tu vois un serpent, sache que c’est un melk ; présente-lui ton taslim (soumission) et tu n’auras rien à craindre ».
Dans la croyance populaire, toute maladie est due à une entité surnaturelle malfaisante qui s’introduit dans le corps : le possédé est le « cheval » de l’esprit possesseur (melk). Dans ce cas, on recourt soit à la musicothérapie du groupe et c’est une « transe de possession », soit aux soins de l’exorciste pour expulser l’intrus et c’est une « crise de possession ». Cet état de transe est induit, par contagion ou par imitation au cours de la séance à laquelle le possédé assiste. C’est une possession non pas par des « esprits impurs » mais par les mlouk qui sont sacrés.
La captation de ces effluves bienveillants a besoin d’une théâtralisation rituelle accompagnée de musique pour faire « monter » le « saken » (l’habitant surnaturel). On n’intervient pas lorsque quelqu’un est saisi de transe ; il faut aller jusqu’au bout ; au bout de quoi ? Au bout de la crise, au bout des nœuds qui sclérosent le corps et l’esprit. Cette forme de conscience altérée et frappée de mutisme ; la parole lui revient lorsque les instruments de musique se taisent. Qauant à la possession par les esprits impurs, elle fait appel au sriî (séance d’exorcisme) pour expulser l’intrus.
On appelle « sriî », l’opération par laquelle les spécialistes qui manient les « autres gens » expulsent le djinn qui « habite » l’individu. Cette expulsion se fait par la négociation qui est, en fait, une cure par la parole et par la flagellation. D’ailleurs, l’une des acceptions du mot Sriî signifie « battre », « vaincre » quelqu’un, ici, ce quelqu’un est le jinn possesseur qui s’exprime par la bouche du possédé. La flagellation a pour fonction de provoquer la détente en libérant les tensions (en les « dénouant » dirait le magicien).
Deux conditions sont nécessaires et suffisantes au déclenchement de la crise de possession : la rencontre de la nya et du horm. La nya est un concept à double signification ; c’est à la fois l’intention de guérir et la croyance en l’efficacité du « bricolage mythologique ». La nya vaut l’acte : comme pour Spinoza « la pensée de Dieu, c’est déjà Dieu », pour la thérapie traditionnelle :
« Croire qu’on est guéri, est déjà la guérison ».
Le bricolage mythologique et l’outillage rituel ont pour fonction d’ancrer cette croyance. L’exorciste ne peut à lui seul, déclencher une crise de possession sur commande ; il est tributaire du parvis sacré de la zaouïa : le horm qui fonctionne comme déclencheur de crise ainsi que le divan du psychanalyste. Dès que les possédés franchissent l’enceinte sacrée de Sidi Yahya qui commande aux génies aériens, dont il fait lui-même partie ils se tordent aux pieds des maîtres des lieux.
C’est ce à quoi nous avons assisté à Marrakech ; la patiente est étendue et, à califourchon sur son ventre, l’exorciste gnaoui est assisté, pour la maîtriser, par ses auxiliaires humains et surnaturels. Nous avons assisté à une véritable séance d’accouchement-vomissement du diable par la voie orale. Le silence de mort qui règne parmi l’assistance, révèle l’angoisse d’être contaminé par l’invisible ; cela met au bord de la transe à laquelle on n’échappe que par le subterfuge de la rationalité et de la dérision.
L’enjeu consiste à arracher l’invisible aux entrailles de la victime. Même si ce n’est pas un accouchement naturel, il préfigure l’angoisse de la naissance que l’espèce a connue à l’aube de la vie.
« Chamharouch, ordonne l’exorciste, travaille avec les divins qui ont peur d’Allah. Les choses de Satan sont « haram » (tabou), celles de Chamharouch sont « halal » (licites) ».
La sourate des djinns dit :
« Il y avait des mâles parmi les musulmans qui cherchaient la protection des mâles parmi les djinns et ceux-ci augmentaient la folie des hommes ».
Le Sriî n’est possible que si l’exorciste, comme le ou la « possédé(e) » n’est plus qu’une écorce « charnelle » (khachba) dont l’âme est le jinn possesseur, et l’exorciste ne peut officier qu’au moment où il est lui-même « rempli » par les « autres gens ». Alors il entre en négociations ardues avec le diable en recourant tantôt à la menace, tantôt aux promesses ; c’est une suggestion à large spectre.
Non, il n’offrira pas au djinn en contrepartie de son départ le repas salé, mais le miel sucré dont Allah seul connaît le procédé de fabrication, mais le sang d’une victime expiatoire à corne et de préférence de pelage noir, mais la semoule des premières moissons que les Berbères mélangent à l’huile d’argan.
Pour expulser « l’intrus », l’exorciste use du pouvoir suggestif des mots. Car tous les champs de l’activité humaine sont entraînés dans le cercle magique des symboles et des mots. « Je veux qu’on transcrive le nom du djinn, dit-il, pour pouvoir l’emprisonner au tribunal de Chamharouch et en délivrer la jeune femme qu’il tourmente ». En agissant sur le nom, l’exorciste compte agir du même coup sur le djinn qui le porte. Il n’y a pas de distinction possible entre signifié et signifiant : ils se confondent comme la valeur et la marchandise dans la théorie de la fétichisations. Le concept populaire de faksa évoque l’effet psychologique de certains mots : ainsi le terme h’chouma relève beaucoup plus de l’anthropologie pathologique que son équivalent honte qui se rapporte plutôt à l’individu. Un simple mot peut déclencher la joie ou faire régner la tristesse ; par des « négociations avec l’invisible », l’exorciste guérit et par des incantations magiques les Regraga font tomber la pluie ou éloignent le sanglier qui s’attaque au maïs, aux moineaux qui s’enivrent de raisins et de figues.
On connaît l’importance du verbe chez les peuples sémites : le verbe est puissance et de la parole divine est né le monde. Il est représenté par le calame dont nous parle le Coran :
« Noun, Par le calame et par ce qu’ils écrivent ! Grâce à la faveur de ton Seigneur, tu n’es pas un possédé ! »
Cependant la parole à elle seule ne suffit pas : « il faut être initié et dire la basmala (formule de conjuration) si l’on veut guérir par la grâce d’Allah tout ce qu’on touche ; sinon, on risque de se faire mal à soi-même, explique l’exorciste, depuis mon jeune âge, j’ai été élevé par les jnûn ; c’est au pèlerinage de Sidi Yahya guérisseur des possédés que j’ai perdu la vue en nageant dans son lac hanté. Depuis, j’ai voyagé dans toutes les contrées du Maroc ; lorsque lesdjinns ont décidé que je devais être leur serviteur, je le suis devenu malgré moi. Depuis, je fais partie de ce « hal » et je possède le secret de ces gens ».
Les propos sur les djinns, ombres fuyantes de l’imaginaire, nous renseignent beaucoup plus sur celui qui y croit que sur les djinns eux-mêmes.
Abdelkader MANA
12:43 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : psychothérapie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Télévision
LA MUSIQUE DANS LA VIE
Abdelkader Mana et le Maroc profond
Un travail télévisuel occulté
pour cause d’ « indigénat »[1]
Par JP Péroncel-Hugoz
Paradoxal Maroc ! D’un côté, la plupart de ses habitants se vexent si vous n’adhérez pas inconditionnellement à leur conviction selon laquelle le Royaume chérifien est « le plus beau pays du monde » ; d’un autre côté, nombre de choses de qualité made in Morocco - citons en vrac le cinéma, les livres édités ici, la médecine, les vins locaux, les vêtements de style occidental, etc. – sont méprisées par ces mêmes Marocains, alors que la production nationale peut en maints domaines aujourd’hui rivaliser avec les produits importés.
Cet autodénigrement, ce complexe d’infériorité expliquent que nombre de créateurs marocains soient obligés de s’expatrier s’ils veulent voir leurs talents reconnus sur leur propre terre – étant entendu qu’il se trouvera toujours une foule de leurs compatriotes pour leur reprocher ensuite d’avoir « déserté »... Pas étonnant que ce fin analyste de son peuple que fut Hassan II ait dit, à la fin de son règne, au journaliste britannique Stephen Hughues qui venait prendre congé au Palais, après cinquante ans passés au Maroc : « Oui, je sais, plus on vit parmi les Marocains, et moins on les comprend... »
Par exemple, il est incompréhensible, alors que des gestionnaires culturels marocains se plaignent sans cesse de la « rareté » de la production télévisuelle locale « de qualité », que des téléastes auteurs d’une œuvre de tout premier choix, déjà abondante, soient condamnés à végéter, à faire antichambre, à envoyer courriers et courriels auxquels aucun décideur ne répond, à voir programmer leurs films quand tout le monde dort... Je pense ici en particulier aux documentaires pour la télévision du sociologue rural et ethnosociologue ( pourtant formé à l’étranger chez les meilleurs maîtres du genre, notamment le professeur émérite Georges Lapassade !...) qui attendent dans les placards de 2M, et qui passent, si jamais ils passent, aux plus « mauvaises heures » ; documentaires qui n’ont même pas suscité la curiosité d’une chaîne comme Médi-1 Sat, pourtant grosse importatrice de reportages socio-culturels...
Soyons précis : je ne suis pas un ami ou un parent d’Abdelkader Mana. Je l’ai rencontré certes plusieurs fois lors de mes séjours nord-africains pour le Monde ou La Nouvelle Revue d’Histoire ou encore dans le cadre de la Bibliothèque arabo-berbère, collection de littérature orientaliste que j’anime depuis dix ans à Casablanca, chez l’éditeur Abdelkader Retnani. Cependant, ce n’est pas moi qui ai eu la chance d’éditer les ouvrages de Mana – car il écrit aussi, et bellement – sur les Regragas, Mogador, ou les Gnaouas.
Fruit d’une longue observation sur le terrain, de la réflexion née d’une authentique double culture arabo-européenne, l’apport écrit ou filmé de Mana à la création marocaine fait mon admiration et je m’en nourris chaque fois que je peux. Ainsi, afin de visionner chez 2M des œuvres inédites ou archivées de Mana, je suis allé jusqu’à affronter les diverses démarches bureaucratiques nécessaires pour obtenir une telle « faveur »...
Je ne l’ai pas regretté, ayant de cette façon pu enfin regarder quelques-uns de ceux des quatre vingt et un films de Mana que je n’avais jamais vus, sur la musique, la danse, les traditions, les pèlerinages, les terroirs, la cuisine, l’artisanat, l’architecture, la poésie, etc., etc.
Bref, le Maroc entier, depuis la Maison d’Illigh (déjà connue grâce aux recherches du regretté Pascon) jusqu’aux feux de l’Achoura, de la Grande Mosquée méconnue de Taza, au Rif non touristique, des Glaoua du Haut- Atlas, à la plaine atlantique et jusqu’au Sahara récupéré. Une œuvre chatoyante à plaisir, à la portée de tout public un tant soit peu captivé par le Maroc populaire réel, un espace resté vivant, loin des conurbations modernes où tout se délue et se corrode. S’ils sont bien conservés, ces films, tous guidés par la même idée de découverte et d’explication, feront sans nul doute partie un jour de la mémoire civilisationnelle du Royaume alaouite.
Dans tout autre Etat que le Maroc, les documentaires de Mana seraient déjà considérés comme appartenant de plein droit au patrimoine national, et on les vendrait au public dans des coffrets avec des textes du concepteur sur les sujets traités. C’est pitié de constater qu’il n’en n’est rien, qu’il faut veiller jusqu’aux petites heures si on veut attraper de temps en temps quelques images de Mana à la télévision. C’est archipitié de continuer pendant ce temps à entendre un tel ou une telle se plaindre étourdiment de l’ « indigence » de la création audiovisuelle marocaine...
Bon sang de bon sang, sortez donc de votre auto-dénigrement, donnez-vous la peine de vous pencher sur les productions « indigènes » ! Saperlipopette, elles en valent la peine. J’ai mis en exergue le seul cas Mana, car il m’a paru emblématique d’une situation particulièrement absurde – mais, bien sûr, ce cas est malheureusement loin d’être unique dans « le plus beau pays du monde »....
JP Péroncel-Hugoz[1] Article paru dans LIBERATION du Mardi 5 août 2008
La musique dans la vie”, une émission en voie de disparition sur 2M |
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Depuis 1998, et jusqu’à aujourd’hui, 2M diffuse et rediffuse, par intermittence, une série de documentaires ethnographiques sur les musiques du Maroc profond et inconnu. Cette émission intitulée “la musique dans la vie”, vise à restituer au Maroc musical, du Rif au Sahara, sa portée esthétique et identitaire en replaçant chaque genre musical, dans son contexte social, culturel et historique. Réduction Aujourd’hui, le constat amer est que feuilletons et autres sagas semblent avoir plus le droit de cité que les documentaires sur le patrimoine marocain. En effet, le nombre de documentaires planifiés en 2001 fut réduit de moitié -passant de 8 à 4 documentaires par an- et la rémunération par documentaire de l’ethnomusicologue qui en supervise la production fut également réduite de moitié. Illusion Le patrimoine marocain a droit à notre respect, et les téléspectateurs ont droit à un produit de qualité. La chaîne n’aurait pu maintenant rediffuser les anciens documentaires s’ils n’étaient pas de qualité. Or si jadis, on a pu produire des documentaires de qualité, c’est parce que la ressource humaine “pouvait s’épanouire localement sans avoir à chercher ailleurs”. Un documentaire a un coût, un temps nécessaire à sa production et une qualification requise de ses producteurs. En deça de quoi, on peut tout produire, sauf un documentaire. |
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Article paru à "Maroc-Hebdo" |
Le magazine de la deuxième chaîne ne signe pas les articles que je lui confie
et qui sont des extraits de mes commentaires à cette série documentaires
Documentaires diffusés par la 2M
La musique dans la vie: les cantatrices du désert
Sektou, la plus belle des voix !
Nul ne peut égaler son jeu de harpe
C’est sa belle voix qui ouvre les veillées musicales du désert
C’est à la digne héritière du grand Saddûm Wall N’dartou
Que je dédie mes poèmes !
Le modèle des cantatrices du Sahara est incontestablement la célèbre Sektou qu’évoque le poète. C’est au 18ème siècle que Saddûm Wall N’dartou allia la forme poétique de la qasida à un nouveau style musical divisé en deux voies, l’une blanche et l’autre noire.
Le premier style musical est de caractère arabe et le second est inspiré de la musique des noirs. La cantatrice accomplie se reconnaît à la parfaite homogénéité qui existe entre sa technique vocale et instrumentale. Non seulement sa harpe parle clairement, mais aussi elle imite parfaitement la harpe avec sa voix.
Au Sahara, la harpe, dénommée "Ardine" est du domaine féminin, et le luth dénommé "Tidinite" est du domaine des hommes.
le grand retour de l'émission "La musique dans la vie", à 2M
LE CHANT DES DUNES
Par Taieb CHADI
"La musique dans la vie" est de retour sur 2M. Lors de sa diffusion en ramadan dernier sur l'antenne de la deuxième chaîne, l'émission de l'écrivain Abdelkader Mana n'est pas passée inaperçue. Ce mois de mai, " La musique dans la vie" revient avec deux documentaires sur les musiques du Sahara marocain
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Le premier intitulé " Le chant des chameliers", consacré aux musiques de Oued Noun a été diffusé le 7 mai ; le deuxième, "Les poètes errants" qui rend hommage à la poésie nomade de Sakiet al Hamra, sera diffusé le14 mai prochain.
Abdelkader Mana et son équipe ont essayé de remonter la légende des chants des chameliers. Celle qui prétend que Oued Nouq ( La rivière des chameliers) était la porte du Sahara.
Au Sahara marocain, " Le chant des chameliers" est appelé "Al Hoaul". Ce vocable hassani désigne doublement le forte émotion et la terreur sacrée que provoque le sentiment d'esseulement et de solitude face au grand néant peuplé de dunes de sables et de silence éloquent. "Al Haoul", c'est donc cette poésie qui raconte et décrit, l'amour du chamelier pour sa bien aimée, nomade. Le "pauvre" chamelier se recueille religieusement devant ses vestiges. Il se rappelle, se lamente devant des ruines. Celles de sa bien aimée. ça nous rappelle " Al Atlal" , prologue classique des grands poètes de l'ère de Jahilia ( avant l'avènement de l'Islam). À ces chants, assure Ghazali, même les chameaux ne restent pas insensibles. En les entendant, ils oublient le poids de leurs charges et la langueur du voyage, "ils étendent leur cou et n'ayant plus d'oreilles que pour le chanteur (...). Ils sont capables de se tuer à force de courir".
À travers cette émission, Abdelakader Mana a sommairement retracé l'histoire des caravanes et des caravaniers. Il y a des années, hommes et troupeaux étaient obligés de parcourir jusqu'à mille kilomètres. Leur carrefour étaient Souk Mhirich qui se tient toujours chaque Samedi à Guelmime. Jadis, marché de dromadaires où les commerçants de la Mauritanie comme ceux de Mali troquaient leurs marchandises. Ce souk était aussi un lieu d'échange culturel ce qui a donné lieu à un métissage. Ce métissage est encore observable chez les Ganga de "Borj Bayrouk" ou l'on joue à la fois du tambour africain que de la flûte et du "bandir" berbère. Quant aux chants, ils sont scandés en dialecte hassani.
Sur le plan des instruments de musique, On distingue à Oued Noun la flûte oblique, appelée "Zozaya et la Gadra pour la percussion, tandis que à Sakiet al Hamra, on recourt à la flûte traversière, dite "Nifara" et la "Tidnite", instrument à corde typique aux griots de mauritaniens.
Donc entre la musique d'Oued Noun et Sakiet al Hamra, il y a au moins deux points en commun : la poésie hassani qui jouit d'un grand prestige, et le "Tbal", grosse timbale-instrument semi-sphérique qui peut atteindre un mètre de diamètre.
£"La musique dans la vie" offre aux téléspectateurs l'occasion d'aller à la rencontre de la poésie et la musique du désert.
MAROC-HEBDO
Numéro 322 du 9 au 15 mai 1998
Lundi 9 janvier à 15h20. Mardi 10 janvier à 01h55.
Aux premières approches du printemps, lorsque la température se fait plus douce, que les cols de l’Atlas sont débarrassés de leurs neiges et que les troupeaux, bien nourris, donnent un lait abondant, des troupes ambulantes de poètes berbères descendent des montagnes vers la plaine. La troupe se compose d’un boughanim (l’homme à la flûte), joueur de flûte, musicien, bouffon, baladin qui représente dans la troupe l’élément comique, et de deux Imdyaezn ou poètes ambulants sachant se servir habilement du tambourin à peau unique, allun.
Le répertoire des aèdes (Imdyaz) est intiment lié par son contenu à la vie agricole et pastorale :
L’amour m’habite comme une corvée des moissonneurs
Qui manient les grandes faucilles du Tadla
L’amour m’habite comme un attelage de chameaux
Laboureurs ou pâtres dressent leurs tentes
Mais restera sans foyer le tambourinaire
La vie pastorale scande ainsi les saisons et les jours depuis le Dir (Pièmont) à la charnière da la plaine du Tadla jusqu’aux cimes enneigées du Haut Atlas central. Souvent une même faction occupe plusieurs étages écologiques avec un territoire en montagne et un territoire en plaine. La maison en plaine pour la période des activités agricoles (semences, labours, moissons), et la maison en montagne pour le pastoralisme. Il a fallu aux français vingt ans d’opérations militaires pour assurer la pacification de la région la plus difficile, l’Atlas central, qui a constitué le foyer permanent de la dissidence anti-coloniale.
Partout où il neige, la vie devient impossible en hiver. Les montagnards descendent alors dans la zone plus basse de l’Azarar. La stratégie militaire de la colonisation française consistait à bloquer ce mouvement de va et vient séculaire entre la montagne et la plaine en empêchant les pasteurs nomades de descendre en hiver des zones d’alpage vers l’Azarar. Tandis que l’armée française occupait l’Azarar, les pasteurs nomades se réfugiaient avec leurs troupeaux dans le Haut-Atlas. Les moutons moururent ainsi par centaines pendant le rigoureux hiver 1922-23. Et c’est une population très appauvrie qui dut alors faire acte de soumission pour recouvrer ses terres de labour. Ces déplacements saisonniers, qui amenèrent les tribus à plus de 100 kilomètres de leur habitat, n’ont pas seulement un simple intérêt géographique puisqu’ils éclairent d’une vive lumière toute l’histoire du Maroc.
Pendant la phase initiale de la conquête militaire, les cavaliers marocains avaient constaté l’effet désastreux qu’avaient fait les obus d’artillerie sur la cavalerie lorsqu’elle chargeait en masse compacte, notamment dans le Tadla.
Quand explose la bombe en plaine
Les cavaliers s’enfuient au galop
Comme lorsque fond le chacal sur le troupeau
C’est la montagne qui t’informe, ô col du genévrier
Voilà le Roumi qui se dresse devant vous
Est venu le temps de le combattre
Deviens rebelle montagnard
Monte au delà, préférable est la gelée blanche
A la domination du chrétien !...
S’il ne sait mettre baïonnette au canon
Affectons-le donc à la garde des moutons !
Les deux principales danses de l’Atlas sont l’Ahouach et l’Ahidûs. A l’est et au nord de l’Atlas, c’est le pays de l’Ahidûs, à l’ouest et au sud, c’est celui de l’Ahouach. La frontière précise entre les deux types de danse passe par les sommets de Rat et de l’Ighil M’Gin, à l’est du pays des Aït M’Gun.
Ahidûs et Ahouach ne sont que deux des nombreuses formes musicales connues par les berbères de la montagne. Ahidûs et Ahouach ont en commun d’être de la musique du village, chantée par des chœurs, accompagnés par une batterie de tambours sur cadre et de claquements de mains.
Le boughanim (homme au roseau) des Aït Bouguemmaz qui nous a servi de fil conducteur, joue d’une clarinette double en roseau (aghanim) qu’il utilise pour la danse mais aussi comme instrument d’appel. En se rendant sur la place du village, il signale sa présence, ainsi que celle de ses compagnons aux gens du village et les invite à se rassembler. Les Imdyazen qui l’accompagnent sont à la fois poètes et musiciens. Ils sont issus pour l’un de la tribu des Aït Abbas et pour l’autre de la tribu des Aït Bouwali.
Chaque année, ils empruntent un des itinéraires traditionnels qui leur fait visiter les principales tribus de la montagne. Lorsque la troupe est arrivée au pied de l’Ighrem – qui sert à la fois d’abri aux habitants, et de grenier fortifié pour les grains et les provisions car les transhumants n’emportent dans leur déplacement hivernal que la plus faible partie de leur récolte, Boughanim vante les qualités et la générosité du maître des lieux. C’est que leur mémoire garde précieusement le souvenir de ceux qui, dans leurs précédentes tournées, auront eu la main large.
La musique dans la vie: Idernan, la fête de l'Anti-Atlas
Samedi 13 mai à 14h10.
"A l’herbe des prés, l’amandier en fleur a dit : A quoi bon désirer l’eau ? ش fleur, voici l’abeille !"
Lorsque les amandiers en fleurs donnent aux vallées de l’Anti-Atlas leur aspect presque riant, et au moment où commence le gaulage des olives, la fête des Idernan a lieu juste après le jour de l’an du calendrier julien. C’est "Rass El âm", cette "porte de l’année agricole" qui s’ouvre au premier jour du calendrier julien –correspondant au 13 janvier – et donne le coup d’envoi des fêtes saisonnières qui permettent aux vallées de l’Anti-Atlas de passer progressivement de la léthargie hivernale à la renaissance printanière. Comme les petites pousses en cette période ont besoin de pluie, ces rituels sont en fait autant de prières de rogations.
Pour assister à la fête des Idernan, nous nous sommes rendus au village de Tagdicht, au sommet de Jbel El Kest qui surplombe Tafraouat et la célèbre vallée d’Ammeln. Le village escarpé de Tagdicht fait partie de la tribu des Aït Smayoun qui fêtent les Idernan après Igourdan et Taguenza. Et voici, selon le chef du village, pourquoi cette fête commence à Igourdan : "Il y avait la famine, et on guerroyait entre villages, entre tribus. Les Ouléma du Souss se sont alors réunis à Igourdan.
Ils ont cherché à établir une trêve pour que les gens puissent faire leur marché en paix. Ils ont appelé cette trêve, la trêve d’Idernan. Deux représentants de chaque douar avaient signé ce pacte qui stipule que quiconque veut aller à un douar ne doit pas être porteur d’une arme. Cette fête mettait aussi fin à l’opposition entre le "leff" des Tahougalt et celui des Tagouzoult.
Ces deux "leff" ont toujours été en opposition dans le Souss. Idernan est donc venu comme une fête qui marque la fin des hostilités entre les deux "leff". On fête Idernan en offrant des crêpes aux invités. Les femmes arrivent le jeudi, les hommes le vendredi. On commence à danser l’Ahouach l’après-midi et on termine tard le soir."
Au jbel El Kest, les Aït Smayoun célèbrent la fête des beignets, une fête que célèbrent aussi, à tour de rôle, la plupart des tribus de l’Anti-Atlas ; les Ammeln, les Aît Souab, les Ida Ougnidif, les Ida Ou Samlal, les Ida Ou Baâkil... La fête des Idernan (beignets faits de pâte molle que l’on cuit dans un plat à pain enduit au préalable d’huile d’Argan) commence chez la tribu des Ida Ou Samlal le 15 janvier.
Les autres tribus la célèbrent à leur tour et cela dure jusqu’à la mi-mars. Chez les Aït Souab, on fête les Idernan le 12 février. C’est une fête qui dure trois jours : le jeudi, le vendredi et le samedi. Au second jour de la fête, la fraction se réunit en un lieu choisi et y fait Ahwach.
Après avoir mangé ses Idernan, la tribu se rend à la grande place d’Assaïs pour y chanter, danser et faire ses vœux. On dit alors : "S’il pleut au moment d’Idernan, l’année agricole sera bonne, parce qu’à cette époque, l’orge a soif".
Autre coutume de ces tribus de l’Anti-Atlas : la fête annuelle des R’ma, confrérie de tireurs. Les membres de chaque faction se réunissent chez leur chef et exercent leur adresse après avoir festoyé et psalmodié la prière d’usage. Cette tradition des R’ma est en voie de disparition parce que dans ce creuset de l’émigration, dans beaucoup de villages, il ne reste plus au pays que les femmes et les enfants.
Les hommes qui vivent du commerce dans le villes côtières et à l’étranger reviennent pour cette fête saisonnière pour marquer leur attachement à leurs racines culturelles, mais ils ne sont plus les dépositaires des traditions culturelles locales : Ils font appel pour l’Ahouach à des hommes venus de tribus qui sont restées plus attachés à la terre nourricière. Les femmes particpent à la fête en se couvrant du "Chach", ce voile collectif qui semble être une tradition inspirée par les zaouias et les vieilles écoles coraniques de la région. Ce voile collectif imposé par les hommes limite l’expression chorégraphique des femmes.
Le Souss se répartit ainsi en deux sortes de tribus : celles dont l’Ahwach des femmes se déroule sans voile et qui excellent dans la danse et le chant tel "Ighrem". Et celles dont l’Ahouach des femmes est recouvert d’un voile collectif comme on a pu le constater à Aït Smayoun. Ici le corps des femmes est marqué d’interdits. On nous a même empêché de filmer les femmes spectatrices ainsi que l’espace intérieur réservé aux femmes. De manière symbolique, le seuil (Atba) marque encore la limite à ne pas franchir.
Grâce à ce fabuleux voyage dans l’Anti-Atlas, pays des Agadirs et des Ighrems, greniers collectifs séculaires, nous rendons hommage à l’enfant prodige du pays : le poète Mohammed Khaïr-Eddine et au grand Mokhtar Soussi.
La Musique dans la vie: Au bord de la Moulouya
En ce mois d’août, une série de documentaires ethnographiques nous convie à découvrir le patrimoine musical de quatre régions du Maroc rural. En replaçant chaque fois ces musiques dans leur contexte historique et culturel, on découvre un Maroc à la fois mystérieux et attachant et, en fonction du mode de vie, les cadres sociaux de la mémoire changent d’un contexte à l’autre. Au bord de la Moulouya, dimanche 24 août à 00h10.
Echappée aux plis orientaux du Moyen Atlas où elle a sa source, la Moulouya irrigue de riches oasis, qui interrompent la monotonie désolée de ces steppes de l’Est, ce pays de l’armoise et du vent. C’est par ces paysages steppiques aux environs de Guércif, que commence véritablement, l’Oriental marocain, qui s’oppose par son aridité aux plaines verdoyantes et humides du Maroc atlantique. Ici, on ressent davantage, les vents d’Est de la steppe que les vents d’Ouest du Gharb.
C’est le territoire des Hawwâra Oulad Rahou, ces pasteurs nomades, attestés à l’Est de Taza, bien avant l’avènement des Idrissides. Ils firent partie des premiers berbères Zénètes qui accompagnèrent Tariq Ibn Ziad dans sa campagne de L’Espagne. Guercif n’est que le centre d’échange entre le Tell et les Hauts Plateaux. Son intérêt de lieu d’échange entre Maroc occidental et Maroc oriental prendra davantage d’ampleur avec la construction maghrébine.
Ce passage de l’Algérie au Maroc occidental, a été suivi par toutes les migrations en provenance de l’Est, y compris celle des Hawwâra Oulad Rahou, cet ilot arabophone d’origine Zénète. Gercif est un toponyme berbère qui signifie «Lieu de rencontre entre deux oueds»; celui de la Moulouya et celui du Melloulou, qui irriguent oliveraies et jardins potagers alentour.
La Musique dans la vie: TAZA SENTINELLE DU MAROC ORIENTAL
(1ère partie) Dimanche 6 juillet 2008, à 00h00
(2ème partie) Dimanche 13 juillet 2008, à 23h25
Taza est l'un des rares sitesoù l'on peut témoigner de la continuité de la présence humaine
depuis la préhistoire.Les grottes de Taza étaient habitées dés le néolithique, comme l'attestent
les fouilles de la caverne de Kifane el Ghomari.On peut parler ici, d'un véritable complexe
archéologique, comprenant des cavernes qui étaient habitées par l'homme ancien et que nous
appelons les troglodytes de Taza. Lorsque l'Islam s'implante au Maroc, Taza avait déjà un long
passé: elle était à tout le moins, l'Agadir et la nécropole d'une tribu ou d'un groupe de tribus berbères. La seule chose sûre est que Taza est antérieure à l'islamisation du pays, soit à l'an 800.
Taza existait déjà lorsqu'Idriss 1er s'installa dans le Maroc du Nord: il passera à Taza, peu avant sa mort, en 790.
Les traditions locales attribuent la construction de Taza aux Miknassa. Tous les historiens musulmans s'accordentà dire qu'à l'emplacement de Taza, il y a eut d'abord un Ribât. D'après Ibn Khaldûn, ce Ribât, sorte de forteresse aux frontières occupée par les volantaires de la foi, a été fondée par les Meknassa du Nord, sous le règne d'Idriss 1er(788-803) qui islamisa les Ghiata et autres tribus berbères de la région de Taza.Le Ribât de Taza qui a servit de fondement à la ville du moyen-âge ne devait comprendr, en fait de constructions, que l'enceinte en pierres et une mosquée, dont le minaret de Jamaâ el Kébir serait le seul vestige. Les pieux guerriers, chargés de défendre les frontières de la terre d'Islam, vivaient sans doute à l'intérieur des murs.Après la prise de possession par l'Almohad Abdelmoumen, le Ribât devient une ville qui porte le nom de Ribât de Taza.Les travaux auraient été ordonnés par Abdelmoumen, en 1135. du point de vue archéologique, le passage des Almohades est marqué à travers deux monuments historiques essentielles: la grande mosquée de Taza et le grand rempart qui l'entoure. L'enceinte enveloppante était selon les chroniqueurs, tel le halo encerclant la lune.
En berbère, le toponyme de Taza signifie: l'Agadir, le magasin collectif perché sur un éperon facile à défendre. Cet éperon rocheux, tout creusé de grottes, domine des plaines et des vallons riches en eau courante, a de très bonne heure retenu les hommes. Le seul passage étroit entre le Rif et le Moyen Atlas était le lit de la rivière Innaouen qui passe au pied du piton rocheux sur lequel on avait construit Taza. D'où l'intérêt stratégique de cette dernière qui conbtrôlait ainsi le passage entre le Maroc oriental et le Maroc occidental. Elle pouvait obsruer le passage à l'ennemi héréditaire venat de l'Est. C'est dans la région de Taza que se trouvent les premières tribus berbères arabisées et islamisées du Maroc, que sont les Tsoul, les Ghiata et les Branès.Ces derniers sont cités par Ibn khaldoun comme faisant partie des premiers berbères que sont les Botr et les Branès. Les Ghiata et les Béni Waraïn représentent les vieilles populations stables de ces montagnes.
LES BRANES AU TEMPS DES MOISSONNEURS
Dimanche 27 juillet 2008, à 23h35
L’oued Lahdar traverse tout le pays Branès, depuis l vallée de l’Innaouen jusqu’au mont de Taïnest. C’est l’un des principaux affluents qui se déversent depuis les contreforts rifains sur l’oued Innaouen au fond de la trouée de Taza. De même que le drainage rattache le couloir de Taza au Sebou du côté Ouest, il le rattache au Moulouya du côté Est. La vallée de l’oued Innaouen recueille ainsi toutes les eaux du pays au niveau du barrage Idriss 1er. Cette brèche est une ligne de partage des eaux.
La route et le chemin de fer de Fès à Oujda via Taza, passent par la voie de l’Innaouen. En 1914, pour obtenir, cette jonction entre Maroc Oriental et Maroc Occidental, il a fallu à la France, non seulement vaincre les obstacles naturels, mais briser par la force la résistance des nombreuses tribus environnantes dont celle des Branès.
Au moment de la conquête Arabe les plus importantes confédérations de tribus Branès sont, selon Ibn Khaldoun, celles des Awraba, des Houara et des Sanhaja, qu’on retrouve encore aujourd’hui au voisinage de Taza.
La tribu actuelle des Branès est un résidu de l’une des deux grandes familles qui ont constitué la nationalité berbère : Les Botr et les Branès. Ibn Khaldoune revient soouvent sur cette dichotomie, qui lui sert à la fois à classer les tribus et à ordonner l’histoire du Maghreb, lorsqu’il évoque les évènements de la conquête arabe à la fin du 7ème siècle. C’est à ce moment là qu’entre en scène le chef berbère Koceila qui appartient au groupe ethnique des Branès et à la tribu des Awraba. Koceila est l’un des trois héros de l’histoire de la conquête, avec Oqba et la Kahéna. Grisé par sa victoire, Koceila s’empara de Kairouan en 683. L’armée arabe le pousuivit jusqu’au Moulouya, et ses soldats Awraba ne s’arrêtèrent qu’à Volubilis. Beaucoup d’entre eux, iront par la suite s’établir dans la reégion de Taza où on les trouve toujours, dans cette contrée verdoyante du pré – Rif, où poussent drus l’herbe et le bois épais.
Ici, chanter, c’est semer la parole sage. Le poète, tel le journaliste de la tribu, traite de toutes les préoccupations de la vie quotidienne : cherté des prix « qui brûlent au souk », pénurie d’eau, sécheresse, ou encore conflit du Moyen-Orient.
ABDELKADER MANA
Article paru dans la page "Temps forts" du magazine de la deuxième chaîne.
Découverte | |
Le couloir de Taza, «route des Mérinides» | |
Une région stratégique et historique où s'est joué le destin du pouvoir suprême | |
Publié le : 15.08.2008 | 16h45 | |
| Par Abdelkader Mana* | LE MATIN *Ethnomusicologue |
Toute une série documentaire de «La musique dans la vie» est diffusée cet été sur 2M. Elle est consacrée au fameux « couloir de Taza » et à son arrière-pays ; une région stratégique et historique où s'est toujours joué le destin du pouvoir suprême des différentes dynasties qu'a connues le Maroc. C'est aussi le premier lieu de l'arabisation et de l'islamisation du Maghrib El Aqça. Le couloir de Taza, comme lieu de passage obligé entre l'Est et l'Ouest du Maghreb, en faisait aussi une étape où s'arrêtaient des personnages de renommée comme le poète Lissan Eddin Ibn El Khatib, qui y est venu d'Andalousie avec ses coutumes, ses traditions et sa culture. Ainsi que le célèbre séjour du grand voyageur Ibn Battouta, lors de son retour de Chine. Par Abdelkader Mana* | LE MATIN *Ethnomusicologue Publié le : 15.08.2008 | 16h45 | |
12:39 Écrit par elhajthami dans Télévision | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Télévision
Autant en emporte le vent
Autant en emporte le vent[1]
Le soir même du samedi où la télévision devait transmettre en direct d’Essaouira son show musical j’y ai fait un saut . Les musiciens de la ville m’ont parlé d’une seconde mort de Ben Sghir, le poète du malhûn de la ville. On m’a dit que Souhoum, grande autorité en la matière a supprimé la qasida de la « chamaâ » de Ben Sghir qui était prévue au programme. C’était une flamme qui s’était éteinte. D’autres ont invoqué le facteur temps pour expliquer cette suppression. Je me suis rendu compte du manque de culture de ces musiciens de la ville qui ne connaissent ni Ben Sghir ni son aurore (Lafjar). Ce qui les intéresse c’est d’apparaître à la télévision. Ils ont une vision commerciale de la culture. Ils n’ont pas l’amour du Malhûn comme l’ancienne génération qui vivait au temps où il n’y avait ni phonographe ni télévision comme le chantait le Rzoun de l’Achoura :
Pourquoi donc avez-vous remplacé,
Les chanteurs du malhûn par le phonographe ?
Nous avons demandé à M. Souhoum pourquoi il a supprimé le melhûn souiri du programme ? Et voilà ce qu’il nous a répondu :
- Le chanteur qui devait présenter la qasida a une voix faible : nous voulons ressusciter Ben Sghir, faire revivre le patrimoine mais sur la base de règles saines et de belles voix.
Khalili, un chanteur du malhûn local réplique :
- Essaouira, n’est pas seulement un simple entrepôt, c’est aussi une ville de culture qui a connu en son temps le malhûn. La raison qu’invoque Souhoum concernant la mauvaise voix du chanteur, ne justifie pas la suppression de la qasida. De toute manière, c’est au public de juger.
On veut faire connaître les provinces à travers la télévision, mais on étouffe la culture locale. On a finalement assisté à un show de variétés nationales avec les vedettes habituelles, mises en scène par le charqi (vents alizés) : le vent qui balaie les odeurs semblait balayer ce soir la mauvaise musique. Une soirée surréaliste, avec des images abstraites qui défilent de temps en temps sur l’écran, et quand c’est au pire on montre le lorgnon de la Scala. Si on veut présenter un défilé de variétés, ce n’est pas la peine de les déplacer à Essaouira ; ils seraient mieux dans un bon studio à Rabat. Jusqu’à 23 h 10, toujours pas de culture régionale.
On critiquait le vent d’Essaouira et maintenant, on s’en réjouit parce qu’il est devenu le vent de la critique qui balaie ce qu’il ne lui convient pas, c’est-à-dire ce qui échappe à sa culture. De même que le vent d’Essaouira n’existe que dans le microclimat d’Essaouira, sa présence frondeuse était la manifestation permanente de l’âme de la ville. Comme une sorte d’ironie permanente, de moquerie, un téléspectateur de la ville me dit en montrant la chanteuse étoilée avec le diadème de perles : « celle-là, vient du mellah ! »
Dans la ville, certains disent que Sidi Wâsmîn, dans sa sainte colère, faisait trembler le djbel Hadid pour secouer le pilon de la télévision, empêchait la transmission de la soirée. Cela donnait un spectacle étonnant sur le petit écran : les chants de nos vedettes nationales, cheveux au vent, étaient constamment entrecoupés de formes abstraites, de zébrures, et autres désordres. Puis réapparaît le lorgnon fixe de la Scala.
Mohamed El Idrissi nous chanta deux longues chansons dont l’une s’intitule : Mazal al hal (encore le temps). Le chanteur crispé sur scène, se voûtait sur son luth, chantant des paroles insipides, comme un défi lancé par l’ignorance des métropoles à la culture profonde du pays. On attendait l’Aïta des Chiadma et l’Amerg des Haha comme trésor culturel des plaines enserrées entre la montagne et l’océan. On ne soulignera jamais assez la beauté intense des vieux chants populaire de notre patrimoine.
Au lieu de faire apprécier le Rzoun plein de trouvailles poétiques, on nous déversa ce qu’il y a de plus plat dans le menu quotidien de la télévision. Quand on voit miauler et racler les violons orientaux ils font durement regretter le kamandja de Badenni chantant à khobbaza son éternel refrain :
« L’amour, l’amour,
C’est pour toujours ».
Quelqu’un me réplique :
- Mais non, Idrissi est très bon, et Badenni n’est qu’un sauvage du Mellah.
Grâce à Nass el Ghiwane, l’ambiance musicale change complètement. Tout a en effet changé vers minuit avec l’arrivée des jeunes Ahouach . Sidi Wasmin était très content dans sa montagne. Il arrêta le vent. Lalla Beit Allah tendit l’oreille à une musique aussi belle. Enfin, le décore est devenu sobre : on dirait que les cadreurs ont changé de regard ; ils ont retrouvé le port. On retrouve enfin Essaouira et sa musique. Mais les Hamadcha et les Gnaoua furent vite expédiés du plateau de la télévision.
La télévision a un pouvoir hégémonique fondé sur la technique. Je quitte l’écran pour aller au port. La ville est vide. Tout le monde est devant son écran. Enfin, on voit le port autrement que ce qu’à la télévision . L’œil de verre de la télévision impose sa vision des choses. Elle produit la nouvelle culture de masse, avec une « écurie » de chanteurs et chanteuses. La télévision se livre à un travail d’homogénéisation en éliminant les particularités locales, en imposant un système de valeur aseptisé et médiocre. À Essaouira comme partout, c’est la télévision en tant que monstre machinique qui a pris le pouvoir.
Le metteur en scène, expédiant rapidement les Gnaoua et les Hamadcha du plateau, les traite comme des sauvages . La culture pour eux, ce sont les permanents de la télévision. Ils sont à la remorque d’une égyptianisation que le mouvement folk des années soixante-dix n’a pas réussi à exorciser. Le pouvoir médiatique a tendance à figer la réalité en la momifiant. La télévision unifie la diversité des cultures locales en la gommant et en la folklorisant. La folklorisation est une muséification de la vie. Comme dans un musée, on a une espèce d’épouvantail à moineaux à la place d’un être vivant qui portait un costume au passé. De la même manière la musique locale est dévitalisée.
La méconnaissance des fonctionnaires déracinés des médias, à la fois du cadre et des acteurs de la culture locale conduit à une présentation décolorée et sans attrait du produit local. On expédie les Hamadcha en une minute, comme si on montrait dans une foire agricole une rondelle de saucisson à déguster. Pour eux, vu de Rabat, Essaouira est un petit patelin perdu avec des nègres qui font du tapage nocturne à l’aide de tambours et de castagnettes en fer. Ils opposent leurs violons monotones qui font regretter le Ribab des Raïs de la montagne. On retrouve là, la problématique soulevée au colloque de Taroudant sur le statut de la culture populaire où l’on a vu des clercs énoncer quelques énormités du genre : « Les chikhates et compagnie, ce n’est pas de la culture ».
La télévision crée un nouveau système culturel : une standardisation de la culture, une vedettarisation des acteurs et des chanteurs et un regard médiatisé. Exemple : au port, le beau décor était fait pour être fixé par l’œil de la caméra, pour des plans de coupe et non pour être regardé par les gens au port. La télévision domestique le réel. Elle l’ajuste aux exigences du récepteur. Et alors, ce qui ne rentre pas dans ce cadre est éliminé. Surtout la culture populaire qui est un spectacle total, qui n’est pas fait pour être directement appréhendé par la télévision.
La culture populaire doit être consommée sur place et sans médiation. Elle passe mal à la télévision, même modernisée comme le folk. Les cadreurs sont entraînés à prendre et à faire ressortir sur l’écran, les violons d’un orchestre de la Radio Télévision Marocaine. Alors qu’ils ne mettent pas en valeur ces instruments populaires. Une musique rituelle est massacrée par la télévision, parce qu’elle ne supporte pas d’être mise en scène par les autres, qu’il lui faut du temps pour faire monter le hal (transe). Le temps du rituel est cosmique, mesuré par les astres et non par les horloges. Mais le temps de la télévision est chronométré. On donne une minute aux Hamadcha qui ont l’habitude de créer un climat par une lente progression.
Un Souhoum expert en culture populaire est venu spécialement pour commenter ce spectacle, selon le projet de mise en valeur des cultures régionales, est lui-même éliminé avec sa verve au bénéfice dune starlette télégénique et stéréotypée, rodée à l’art de présenter les spectacles de variétés à la télévision. Cette série d’émissions voulait en principe valoriser les pratiques culturelles et musicales localisées. Mais tout cela est déclassé par un même spectacle de variétés qui se déplace d’une ville à l’autre. La part du lion revient ainsi fatalement à « l’écurie musicale » de la télévision.
Dans le port, samedi soir, certains spectateurs tournaient le dos à la scène pour regarder l’écran d’une télévision placée pour le contrôle. Ils regardaient alors et avant tout la « télévision ». Comme le dit McLuhan : « le message, c’est le médium ». Ce n’est pas le contenu du petit écran lui-même, en tant qu’il a capté et digéré l’événement. Tout devient spectacle télévisé contemplé par l’œil tyrannique de la caméra, qui vous impose son regard. On voit désormais les choses à travers l’œil de la télévision.
À Safi, pendant le festival, j’ai vu un halaqi sur une place populaire racontant les événements du jour. À un moment donné, il nous a dit :
- Maintenant, j’ai fini ma journée, je vais rentrer chez moi dire à ma femme de préparer le thé et regarder tranquillement les gens qui se tuent à la télévision. Il nous a confessé ensuite que, naturellement, il était trop pauvre pour avoir la télévision et que, s’il l’avait, il ne serait pas sur cette place à nous proposer son beau spectacle. Quand tout le monde aura la télévision, il n’y aura plus de halaqi, et bien sûr, plus de halqa. Abdelkader MANA
[1] Article paru à Maroc-Soir, le lundi 8 septembre 1986.
12:37 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook