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09/05/2010

Arts:Texture de couleurs

Fadela Kanouni

Tableaux – caftans - miniature

Une texture de couleurs tout en nuances....


Les tableaux- caftans de Fadela Kanouni, racontent chacun à sa manière des histoires de femmes du Maroc, dans leur diversité culturelle. Travail fait main, broderies, brocard, passementerie, bijoux, textures de couleurs... Femmes toutes en nuances de couleurs ; jamais en blanc et noir. Mélanges inattendus de textures, de tissus, de couleurs. Expression ancestrale du travail artisanal renouvelé : Pli et repli, vagues dans les robes. Ton ocre, pastelle, couleurs des âges de la vie, du ciel, de la terre. Textures, bijoux et parures de toutes les régions du Maroc. Tissus anciens et modernes. Les mousselines vaporeuses entourent les bras comme autant de désirs de liberté : « Histoire de femmes multiples, celles que je connais, celles que je ne connais pas : le corps des femmes est habillé mais absent. Visage caché, parure en mouvement, membres mutilés, modes éphémères exprimées dans ces tableaux mettant en relief la féminité, la diversité, les aspirations des femmes, leur créativité. » C’est sa fille, par sa beauté, sa grâce et son amour du beau qui lui a inspiré sa première œuvre : « C’est vraiment par hasard que j’ai commencé à réaliser ces tableaux. Au départ, c’était juste pour faire un petit cadeau à ma petite fille. J’ai voulu lui offrir quelque chose d’original en me disant : C’est comme cela qu’elle va garder un souvenir de nos traditions. » Un caftan on le met x fois et on fini tôt ou tard par le jeter mais un tableau, ça reste pour toujours .


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Et comme ce premier tableau a plu, elle a continué à en faire. Voilà tout...une robe-caftan en soie couleurs pastels et drapée de soie perlée rose et nacre, de sfifa et soie bleue : le collier accompagne jade dans son mouvement continu. Un mouvement qui se situe entre tradition et modernité comme nous l’explique l’artiste Fadela Kanouni dans cet entretien. Il est important cependant de signaler, que Fadela n’est pas n’importe qui puisque son aïeul n’est rien d’autre que Abdelhay Kattani, le chef historique de la fameuse zaouïa Kettania, qui fait partie de l’aristocratie de Fès

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- Tu es née à Fès. Raconte-nous un peu, tes souvenirs d’enfance à Fès, les fêtes de Fès, les femmes de Fès...


- J’ai gardé un souvenir de Fès en fête. Des souvenirs extraordinaires de l’ancienne médina de Fès, où déjà petite je fabriquais des poupées de roseau. J’aimais déjà les belles textures. Je suis né à Fès où j’ai vécu jusqu’à l’âge de quinze ans. Ma sœur qui était couturière m’a appris la haute couture parce qu’elle était la première femme à en faire à Fès. J’étais toujours bien habillée par elle. Autour de moi il y avait des femmes avec de beaux caftans. Ma mère, c’est vrai, avait une culture traditionnelle. J’étais élevée aussi par ma sœur charafa, la couturière et par mes grands frères qui ont étudié en Europe. Donc, il y avait déjà ce mélange de modernité et de traditions. Mon père était présent sans l’être vraiment. J’étais entouré plutôt de femmes et de mes frères plus que de mon père. A l’âge de quinze ans, j’étais arrachée de cette ville ancienne et je me suis retrouvée à Rabat dans une belle villa tout entourée de jeunes hommes : mes frères qui m’ont appris à vivre la modernité. C’est grâce à eux que j’accepte en moi cette diversité culturelle comme une richesse. Jai vécu cette vie moderne à côté de ce que j’ai vécu à Fès, comme un enrichissement. J’ai jeté en l’air beaucoup de tabous qui me bloquaient. En même temps, dans cette modernité, je risquais de me perdre.

- Vous êtes issue d’une famille de Chorfa Kettani ?

- Oui, mes valeurs presque soufies, m’ont inculqué le respect de l’autre. C’est ce qui me permettait d’accepter cette modernité sans m’y perdre.

- Quelque part, dans ces tableaux, il y a un peu ce que vous étiez et un peu ce que vous êtes maintenant : Une harmonieuse synthèse entre tradition et modernité...

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- Dans notre culture, il y a beaucoup de choses extraordinaires. La vie m’a appris à m’enrichir de cette culture qui est en moi et en même temps de m’ouvrir à l’autre pour apprendre de lui. Dans la modernité il y a beaucoup de choses qui nous permettent de faire évoluer nos traditions. Ces tableaux sont l’aboutissement de cette évolution en moi. Ce n’est pas seulement des tableaux que j’essaie de vendre, parce que je m’en fous de les vendre à la limite, mais c’est des œuvres que j’aimerai que les autres apprécient. - Vous êtes donc de la zaouïa Kettania ? - Je suis de la famille de Si Abdelhay El Kettani : à la maison on recevait des tribus entières lors du moussem (fêtes annuelles de la zaouïa). Tout un cérémonial a lieu à cette occasion parce que les Chorfa avaient un impact sur ces populations. Maintenant, la zaouïa Kettania de Fès est un peu à l’abandon, malheureusement. - En matière de tissage, le savoir faire des artisans de Fès est fabuleux, en fil d’or, en fils d’argent, en soierie. Des tissages d’origine andalous d’un raffinement extraordinaire. Ce raffinement est également symbolisé par « les chants des femmes de Fès »recueillis par Mohamed El Fassi dans les années 1930. Vous êtes un peu l’héritière de tout ce monde disparu ou en voie de disparition et en même temps, vous êtes le signe et le symbole de l’ouverture : toutes ces très belles traditions vous les marier d’une manière harmonieuses avec la modernité dans vos oeuvres...

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Dans mes tableaux "j’évoque l’évolution des femmes. La richesse qu’on a dans tout ce qui est traditionnel et en même temps j’ai montré que les femmes essaient de s’en débarrasser : des fois elles y arrivent, d’autre fois pas. C’est comme moi ! j’ai appris avec le temps à me débarrasser de beaucoup choses qui me pèsent. Mais dans les traditions il y a de belles choses qui m’enrichissent qui font que j’ai cette identité plurielle." Fadela Kanouni


- Puisque vous évoquez « les chants de femmes de Fès », j’ai souvenir de ces après-midi de fêtes entre femmes, qui étaient toujours très bien habillées, très bien apprêtées, surtout ma mère : elle était toujours majestueuses, du matin au soir. Elle était toujours en caftans et avec ses beaux bijoux. Et quand elle s’arrêtait de travailler, l’après-midi , elle dansait, chantait avec tambours et gâteaux . C’était vraiment des après-midi de fêtes. Pour les femmes de Fès, tous les mariages, les baptêmes étaient des occasions pour se parer, se faire belles. Mes souvenirs de Fès, c’est cela. - Il y a aussi l’influence de votre sœur la couturière... - J’accompagnais souvent ma sœur, quand elle allait en médina, choisir les tissus chez les artisans. J’ai gardé le souvenir de belles textures. C’est là que j’ai appris le choix des couleurs, des matières, l’harmonie des tons. Chaque fois que je vais en médina, je me rappelle de Fès. Chaque médina me rappelle les souvenirs d’enfance et ceux de charafa qui m’a appris tout cala. Et quand on faisait une bêtise, pour nous punir, ma mère nous envoyait chez la âqada (fabricante de boutons en fils de soie pour fermer les caftans). C’est comme ça que j’ai appris à faire laâqad (boutons). Certes, en pleurant mais finalement, j’ai appris quelque chose ! Les punitions étaient une forme d’apprentissage. - Il faut dire que Fès grouillait alors de tisserands et de métiers à tisser... - Il y avait souvent un maâlem qui fabriquait des caftans pour maman à l’entrée de notre maison. Et j’allais m’asseoir à côté de lui et je le voyais travailler. Quand je descendais en médina, c’était les artisans qui travaillaient dans la rue ; qui filaient la soie. La médina de Fès est tellement riche d’artisans qui travaillent dans la rue et j’étais toujours là en train de les regarder. Quand je vais à Marrakech, c’est la même chose. Ils sont d’une dextérité, d’une finesse... - C’est avec les bouts de tissus que vous achetez aux tisserands que vous faites vos tableaux ? - Quand je vais chez les tisserands à Fès, j’achète des bouts de tissus faits avec d’anciennes machines à tisser : je trouve ça beau et j’ai envie de les mettre sur des tableaux. C’est chargé d’histoire. Ce n’est pas que des tissus. Chaque bout de tissus représente une région du Maroc. C’est cette charge culturelle qui est intéressante, que je met en valeur et que je retravaille à ma façon. - Mais en même temps votre démarche est éminemment moderne ne serait-ce que dans la forme même du « tableau » qui encadre ces caftans miniature? - Quand je vais en médina que ce soit à Fès ou à Marrakech, Rabat ou quand je vais dans les régions du sud ; j’essaie de retrouver cet artisanat qui est en train de se perdre et en même temps qui est en train de se rénover grâce à la modernité : l’ouverture sur l’autre a permis à nos artisans de faire des choses de plus en plus adaptées à la mode, aux niveaux qualité, design, couleurs, texture . Ils se modernisent quelque part. Chaque fois que je retrouve des choses anciennes faites main, je suis très heureuse. Chaque fois que je trouve des choses nouvelles, faites dans des tons nouveaux ; cela me fait également plaisir et je me dis : notre artisanat est en train de s’enrichir de la culture de l’autre. - Vous ne vous inspirez pas seulement de modèles fassis ? - Derrière le travail fait main, derrière ce que je fais pour montrer un Maroc pluriel, je ne suis pas que fassie : je suis un petit peu berbère, rifaine, européenne : je suis tout cela en même temps. Dans mes tableaux, il y a un peu de chaque région et c’est cette diversité qui fait la richesse du Maroc. Je ne parle pas seulement de la culture berbère, musulmane mais aussi de la culture juive qui fait aussi partie de notre culture. Nous sommes même ouverts à une certaine forme de spiritualité multiple . On n’est pas dans un pays fermé, heureusement. On est dans un pays qui a toujours connu un brassage de civilisations. Je ne pense pas qu’on puisse se limiter aujourd’hui à une unicité culturelle.

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- Votre œuvre est justement cette belle synthèse entre tradition et modernité. - Je n’ai pas eu à me confronter à la modernité : je l’ai vécu avec ma tradition. Dans le temps ma sœur faisait déjà des robes – caftans. Il y avait de la musique orientale et de la musique moderne. On dansait oriental et on dansait moderne. Il y avait le salon marocain et le salon européen. L’art culinaire marocain mais aussi européen. Ce mélange, on continue d’ailleurs à le vivre. Chez moi, il y a le petit coin marocain et le petit coin européen. Et quand je fais la cuisine, je mélange un peu les différentes recettes et dans mes tableaux, je mélange les différents styles. Cette diversité n’est pas que marocaine, elle est internationale. J’ai beaucoup voyagé à travers le monde, Et chaque fois que je vais quelque part, je suis curieuse de l’autre, curieuse de ce qu’il peut m’apporter pour mieux vivre. Finalement on cherche une certaine forme de bonheur, de sérénité de paix. - Dans quelle mesure la dimension spirituelle influe dans ta création ? - Je suis toujours dans cette quête de spiritualité. Mon père ne m’a jamais imposé la foi, j’ai donc cru surtout dans les valeurs universelles que je retrouve dans notre culture soufie : cette part du divin que nous avons en nous. Je me rappelle de mon père lisant le Coran tandis que je lisais Sartre. Il me disait : « tu sais, quelle est la meilleur façon de croire ? c’est de croire dans le respect de soi et de l’autre. Parce que la foi, je ne peux pas te l’imposer. » J’ai un tableau fait à partir de son selham (burnous en laine blanche et fine) , que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde. Il le mettait toujours pour aller à la mosquée. Pour moi, il est dans une forme d’humilité ; une manière d’être dans la simplicité et le dépouillement. Pour moi ce selham symbolise la recherche de la paix et de la sérénité. Une forme de prière. Ce selham qui était enfoui au fond de mon placard est maintenant une œuvre d’art expressive ; il me rappel mon père, ses prières, les valeurs dans lesquelles il nous a élevé : simplicité et sobriété. La beauté n’est pas seulement extérieure mais aussi intérieure : chaque être qui crée a cette beauté en lui. Il montre dans ces créations, ce qui lui fait mal, ses souffrances, ses désirs, ses aspirations. Il y a tout cela dans ma créativité.

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- On appellera le tableau de votre père « la prière de l’aube ». - J’aime beaucoup. - Parce que les femmes sont exclues de la religion officielle des hommes, elles se sont créées leur propre « religion » et Aïcha Qandicha est en quelque sorte la « déesse » de cette religion des femmes. Est-ce qu’il n’y a pas une spiritualité féminine qui est un peu occulté mais qui existe ? - Vous me parlez d’Aïcha Qandicha : c’est vrai que toutes petites, on a toujours entendu parler d’elle : c’est une femme qui a historiquement marqué son temps. Mais je dirai que la spiritualité musulmane ne peut pas être confondue avec des rites qui sont traditionnellement plutôt païens. Il y a les traditions berbères ancestrales qui sont millénaires et il est vrai qu’ici la religion musulmane n’est venue que depuis douze ou quatorze siècles. Donc, ce n’est pas très ancien. Et chaque fois que l’Islam est apparu quelque part, il s’est mélangé avec les traditions qui lui ont préexisté. Au Maroc, il y a un mélange entre culture musulmane et croyances magico-religieuses. La tolérance en Islam vient du fait qu’il accepte d’incorporer dans son universalisme les particularismes locaux.

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- Au Maroc, l’univers féminin est quand même un univers culturel et religieux, je dirai à part : c’est une façon qu’ont les femmes de s’approprier leur corps, leur esprit de manière à se distinguer de nous autres les hommes ? - Quand je me suis mariée, je me suis rendu compte qu’au Maroc, peu de couples vivaient dans l’équilibre, la sérénité, la paix. Et ça m’a poussé à réfléchir un peu, à décoder notre histoire pour comprendre. Pourquoi on est dans une situation de conflits plutôt que d’acceptation de l’autre, de recherche de paix entre hommes et femmes ? Cela n’a rien de naturel ; c’est à la fois culturel et historique. Tout ce que nous avons hérité du passé, si on arrive à le décoder et à le comprendre ; on peut le dépasser. On peut garder ce qu’il y a de bien. Si au Maroc, très souvent les femmes vont vers les saints, c’est parce qu’elles n’ont pas toujours vécues dans la sérénité, que ce soit avec leurs proches ou leur mari. Et comme on n’est pas habitué au psychologue, elles ont recourt aux saints, aux voyantes...C’est une façon pour elles de se retrouver. Avec l’âge, je suis revenue au soufisme pour retrouver la part du divin en moi. J’ai vu des européens adopter cette culture soufie où on n’est pas toujours dans la guerre comme c’est le cas actuellement avec les fanatismes de tous bords et un peu partout. La religion n’est pas une forme d’agression ; au contraire elle doit révéler la beauté qui est en nous. La foi est là pour nous apprendre à mieux vivre, à être en paix avec nous-mêmes, à aller vers plus de sérénité, plus de détachement. C’est ce qui me permet de me détacher par rapport à tout ce que j’ai été. Maintenant, devant mes tableaux, je me dis : j’ai la chance d’avoir une nouvelle vie.

Propos recueillis par Abdelkader MANA

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15:59 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

05/05/2010

Arrivée des Regraga à Essaouira

Arrivée des Regraga à Essaouira

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Le jeudi 1 avril 2010

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Reportage photographique d'Abdelkader Mana

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Avertissement: les photos ont bien été prises hier, jour d'arrivée des Regraga à Essaouira et non pas à la date érronnée inscrite en jaune en bas des images, du fait que l'horloge et le calendrier de l'appareil n'ont pas été configurés à temps avant la prise des photos : ces images dates en réalité du jeudi 1 avril 2010. Mais vous me direz  : quelle importance, puisque le rituel des Regraga se déroule de la même manière depuis toujours!...

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Reportage photographique d'Abdelkader Mana, réalisé à Essaouira le jeudi 1 avril 2010

23:10 Écrit par elhajthami dans Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

04/05/2010

Les Gnaoua : ceux qui travaillent avec l'invisible

Ceux qui travaillent avec linvisible

 

 

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Maalem Bossou

 

« Nous sommes des esclaves à la peau fraîchement marquée.

Soyez témoins de ces marques, elles ne s’effaceront jamais »

Chant Gnaoui

 

 

Le linguiste Kenneth Pike oppose le discours émique qui est le commentaire des gens ordinaires au discours étique ou savant qui tend à remplacer la théorie populaire de la chose. Pour donner un exemple directement appliqué à notre propos ; l’observation d’un possédé rituel en état de transe peut donner lieu à ces deux discours :

 

Dans le discours émique les gens disent que la transe est produite par la présence d’un être surnaturel. Le même comportement sera interprété de manière « étique » par un psychologue comme l’effet du rythme des tambours ou encore comme l’expression d’un tempérament hystérique, etc.

 

Dans une société où l’individu s’efface devant le groupe, on peut se demander si le transfert des concepts psychologiques des sociétés occidentales atomisées est légitime. A ce sujet une ethnopsychiatrie maghrébine aurait beaucoup à nous apprendre. Pour Géorges Lapassade : « La transe rituelle n’est pas une hystérie, c’est l’hystérie qui est une transe. Mais c’est une transe refoulée et oubliée dans les sociétés occidentales depuis le temps de l’inquisition ». C’est pourquoi cet auteur fait la distinction entre les sociétés à transe et les sociétés sans transe.

 

Nous sommes donc en présence de deux modes d’interprétation savant et populaire : Pour la psychanalyse l’origine de la maladie est endogène : « Ce sont les processus psychiques inconscients ». Pour le thérapeute traditionnel : l’origine du « mal » est exogène ; l’individu est « frappé » par une entité surnaturelle malfaisante ; la possession n’est donc pas le symptôme d’un état morbide. Ces deux modes d’interprétations impliquent deux attitudes : l’Occident rejette le « malade », le Maghreb accepte le « possédé ». Ces deux modes d’interprétations impliquent également deux modes de traitement : l’un vise à « expulser l’intrus », l’autre à mettre en évidence le traumatisme responsable mais oublié.

 

§ Visite à maâlam Bosso

 

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Dans le marché de la psychothérapie de Casablanca, le psychiatre s’entourant de la légitimité du savoir positiviste et du pouvoir institutionnel se trouve confronté  à la « concurrence » de la légitimité charismatique (Baraka) des zaouia et des marabouts. : la plupart des malades préfèrent encore, les nuits bleues de la transe, les khaloua au sein des grottes et au sommet des montagnes ; au divan du psychanalyste et à l’enfermement psychiatrique.

Les Gnaoua célèbrent deux fêtes principales, l’une obligatoire pour tous, le 15 du mois lunaire de Chaâbane, qui se déroule dans la maison à laquelle, ils sont affiliés, l’autre est un acte de soumission envers Sidi Abdellah de Tamesloht, auquel ils procèdent à l’occasion d’un pèlerinage, lors de la fête du Mouloud. Les Gnaoua célèbrent cet événement durant sept jours : ils iront d’abord à Moulay Abdellah Ben Hsein enterré à Tamesloht, puis à Moulay Brahim, enfin jusqu’au Sultan des génies, Sidi Chamharouch dans l’Atlas.

 

Le mercredi 20 août 1986, je publie un compte-rendu de ma visite à Maâlem Bosso, décédé récemment, sous le titre : « Ceux qui travaillent avec l’invisible, Maroc-Soir leur rend visite et fait parler le Maâlem Bosso ». Dans cet article, j’écrivais :

Lorsqu’on aime la culture populaire  un imaginaire autre que ce qu’offrent les cinémas et les vendeurs de rêve, on peut se demander : où est ce qu’elle réside dans ce Casablanca qui semble emporté par le courant universel des sociétés de consommation ? Pour tous ceux qui refusent l’hégémonie de l’industrie culturelle, il suffit de se diriger du côté de la vieille médina. Au-delà de son étalage d’objets sans prix ni vitrine où l’antique marchandage domine encore, au-delà de cette économie informelle ; il y a ceux qui travaillent avec l’invisible.

J’ai demandé, où sont les Gnaoua ? On m’indiqua par des ruelles tortueuses la demeure de Maâlam Bosso. J’y  pénètre : sous l’ombrage d’un figuier, des rossignoles et des tambours. Deux symboles qui ne trompent pas : On est chez un musicien, mais pas n’importe lequel. C’est un musicien qui a commerce avec l’invisible et c’est une musique qui a une fonction thérapeutique.

Le maâlam est un initié qui connaît les devises musicales, leur ordre de succession et leur efficacité selon le tempérament des malades qui tombent en transe. À ce sujet, voilà ce que dit maâlam Bosso :

- La plupart des Maâlam Gnaoui de Casablanca sont originaires de Marrakech. Certains étaient d’anciens esclaves de Caïds. D’autres viennent de Rabat. Parallèlement au « Gnaouisme », la plupart d’entre eux, pratiquent des petits métiers d’artisans .

- Mais vous-même Bosso, comment êtes-vous devenu maâlam ?

- J’étais encore tout jeune, lorsque je me suis rendu en pèlerinage à notre saint qui se trouve au sommet d’une montagne au sud de Marrakech. Je l’ai vu en rêve me tendre un guembri en me disant : « Prends la source de ta vie ». Le lendemain, j’ai joué au hasard un air musical, une femme tomba en transe, et refusa qu’un autre que moi puisse l’accompagner. Depuis, j’ai quitté mon métier de tanneur pour celui de musicien professionnel.

- Que pensez-vous de ceux des musiciens gnaoua qui sont devenus vedettes du mouvement folk ?

- Vous voulez dire Pako qui fait partie du groupe Nass el Ghiwane, et Baqbou qui a rejoint le groupe Jil Jilala ?

- Oui. Que signifie pour vous ce passage du sacré au profane ?

- Celui qui travaille dans le domaine des Gnaoua doit suivre la voie de la droiture et de la purification. Sinon, il risque d’être paralysé : on est parfois paralysé en travaillant avec des gens qu’on voit, alors que dire de celui qui travaille avec ceux qu’on ne voit pas ? », Conclut maître Bosso.

Avec plusieurs années de distances, ces propos prennent des accents prémonitoires : Pako, qui est le premier à sortir l’autel sacré de la zaouïa des Gnaoua d’Essaouira, pour le présenter avec sacrifice de bouc, au Living Theater, en 1968 ; Paco, le premier grand maâlam gnaoui à partir jouer sur scène avec son guembri, au sein du mythique groupe folk de Nass el Ghiwan, a fait récemment l’objet d’une attaque cérébrale avec perte partielle de l’usage de la parole ; a–t-il été frappé par l’invisible ? Pour les Gnaoua, la paralysie de Paco est certainement due à une faute rituelle commise à l’endroit des esprits dont il était le fidèle serviteur du temps où il était uniquement maâlam gnaoui, bien avant de devenir la célébrissime vedette du mythique groupe folk de Nass el Ghiouan. Pour les Gnaoua, l’attaque cérébrale et la paralysie partielle de Paco ont avoir avec l’invisible.

 

§ Le lila des Gnaoua

 

La lila est un rite de passage qui permet la transition de l’état d’angoisse à l’état de détente. Cette angoisse peut résulter de raisons diverses : c’est pourquoi la demande de la clientèle n’est pas motivée par une même raison comme nous l’explique Maâlam Bosso :

 

« Une femme m’a demandé d’organiser une lila chez elle, parce qu’elle veut déménager de la médina pour aller habiter Bourgogne. Une autre femme à El Jadida a organisé une lila pour commémorer le décès de son mari. Des travailleurs immigrés l’organisent avant leur départ en France. On fait aussi appel aux Gnaoua si quelqu’un est « touché » ou « atteint » par les djinns. Les lila ne sont pas limitées à la vieille médina : il existe une demande dans les autres quartiers populaires de Casablanca tels que Derb Sultan, Sidi Maârouf, Hay Mohammadi, etc ».

 

Le maâlam Hmida Bosso, porte le nom d’un melk marin qui le possédait lorsqu’il était jeune. Les Gnaoua chantent ainsi cette devise :

« Me voilà, ô Bosso !

Bosso au filet de pêche,

Bosso le pêcheur,

Bosso le poisson ».

 

Ce chant rituel a lieu au milieu de la  lila des Gnaoua, celle-ci  se compose de trois phases :

a) Une phase préliminaire qu’on appelle  Âada, ou la procession crépusculaire dans la ville avec tambours et crotales. Elle a pour fonction d’annoncer à la communauté tout entière qu’une nuit thérapeutique va se dérouler dans telle maison de tel patient ou patiente. L’événement prend donc une dimension publique et sociale. Ceci est très important dans le processus qui conduit à la guérison : généralement, l’entourage familial et social change d’attitude vis-à-vis du malade, le lendemain de la lila : désormais, on le considère comme normal, ce qui facilite sa réinsertion sociale.

Si le malade est guéri, il ne devient pas nécessairement un Gnaoui, c’est-à-dire un pratiquant de la musique rituelle. Mais un serviteur surnaturel des Gnaoua. Chaque année au mois lunaire de Chaâbane qui précède le  Ramadan où les djinns sont enchaînés, et  où se déroule le grand moussem, le serviteur doit sacrifier soit un coq bleu, s’il est pauvre, soit un taureau noir, s’il est riche.

 

b) Une phase liminaire qu’on appelle kouyou où l’on amuse l’assistance au début de lila (nuit rituelle). On se livre à des jeux énigmatiques, où le guembri guidant le chercheur d’anneau d’or – qu’on a soigneusement dissimulé parmi l’assistance – sur la voie des mystères ou « quête du chamelier ».

 

c) Ce n’est qu’au milieu de la nuit, moment des rêves, que commence le rite de possession qu’on appelle Lila, où la musique induit la transe chez les possédés rituels. Par exemple lorsqu’on arrive à la devise musicale d’Aïcha Kandicha ; celui qu’elle possède entre en état de transe et se couvre la tête d’une serviette couleur océan, tel cet unijambiste  qui me raconta un jour :

 

« Au milieu de la nuit, sous la voûte de l’herboriste, j’ai cru voir une prostituée sacrée. Mais lorsqu’elle se retourna, j’ai reconnu celle dont on parle dans tous les vieux ports marocains. J’ai perdu conscience et, plusieurs jours, l’usage de ma langue et de mes jambes. Une autre fois, elle m’a paru en rêve, et m’a ordonné comme condition à ma délivrance d’organiser une lila avec sacrifice[1] d’un bouc noir ».

En effet, seule une nuit rituelle un samedi soir, a pu sauver l’esprit boiteux de notre unijambiste, grâce à la remise en place et en ordre des sept couleurs de l’arc en ciel ! Le succès de la thérapie dépend de la nya du malade, c’est-à-dire sa bonne foi. Il faut que l’entourage soit préparé à recevoir le rite comme une délivrance providentielle.

Le bon déroulement de la lila exige, dépend de la bonne maîtrise du guenbri, le principal inducteur de transe chez les Gnaoua bilaliens de la ville. C’est un luth à trois cordes, en boyau de bouc ; celles-ci sont nouées par des lacets à l’extrémité du manche. La table d’harmonie est faite de peau de dromadaire, habituellement couverte de dessins au henné. Un guenbri mal accordé ne peut induire la transe : ce sont, dit-on, ses vibrations qui investissent le subconscient et, à force de répétitions, font naître une tension si forte qu’elle finit par toucher le centre vital du système nerveux, provoquant ainsi la transe.

Selon maâllem Goubani, le guenbri était à l’origine, c'est-à-dire à l’époque où il fut inventé au Soudan, fabriqué avec une courge géante séchée dont on vidait la coquille pour en faire une calebasse. N’ayant pas trouvé au Maroc une courge de dimensions semblables, les Noirs lui substituèrent le bois de figuier qui, une fois creusé, a la même tonalité musicale. Généralement le maître de la lila porte l’instrument au four pour que peau et cordes acquièrent une « résonance cosmique » suffisante pour atteindre l’invisible. Maâllem Boubker Guinéa précise que le guenbri taillé dans le bois de figuier est souvent dit meskoun (habité) et qu’il est donc nécessaire que celui qui s’en sert soit sûr de son art et sache le respect qu’il doit à son instrument. De nos jours, pour les soirées profanes on utilise un luth, nommé aouicha, sur lequel s’exercent les jeunes musiciens qui ont l’ambition de devenir maâllem du guenbri dans les nuits sacrées. Ce luth est taillé dans le bois blanc ou l’acajou ; la peau de mouton ou de bouc est tendue à l’aide de clous. Cela le différencie du guenbri ancien qui ne contenait aucun clou, la peau étant tendue par ses propres ligaments. Il ne s’agit pas de maîtriser une technique musicale, explique maâllem Guiroug, mais rien de moins que d’induire la transe, chose qui n’est pas à la portée du premier venu. Il y a la lila où le hal est présent et celle où il est absent, en raison d’une impureté, de mauvaises intentions ou tout simplement parce que le seuil n’est pas bon. Ces mauvaises vibrations font que le guenbri refuse de s’accorder. On a beau faire, c’est comme si on frappait dans un mur. Et il y a des fois, et des seuils, où le guenbri n’a même pas besoin d’être accordé. Il suffit de le frôler pour qu’il fasse vibrer l’assistance.

L’ouïe entend et le destin parle. Ce vertige de l’ouïe, qui conduit à l’étourdissement de l’âme, vient du tambour, la voix des dieux africains, et du guenbri, vibrations cosmiques de trois boyaux de bouc sur une écorce de figuier sacré. Ils font appel aux sept esprits surnaturels pour illuminer la nuit :

 

Les esprits illuminent la nuit

Les esprits soufflent dans le vent

Les esprits marchent dans les forêts et les déserts

Les esprits font trembler les montagnes

Les esprits marchent au devant de la tempête

Un cheval de vent règne sur la mer

Sur les crêtes écumantes de l’océan

 

Le rythme du tambour et les vibrations du guenbri accompagnent – à la charnière de l’amour, de la mort et du hal- la horde multicolore des possédés en transe vers la lumière éclatante du jour. Au début le hal est un art, on y va de son propre gré. A la fin, on succombe à sa possession, comme le taureau va au devant du sacrifice et de la mort.

 

 

 

§ Les voyantes médiumniques de Taesloht

 

 

Selon le témoignage de Procope au VI è siècle :

« Chez les Berbères, les hommes n’ont pas le droit de prophétiser ; et se sont au contraire les femmes qui le font : certains rites religieux provoquent en elles des transes qui, au même titre que les anciens oracles, leur permettent de prédire l’avenir. »

 

A l’occasion des fêtes du Mouloud qui commémorent la naissance du Prophète la talaâ se rend en pèlerinage au sanctuaire de Moulay Brahim, dans la montagne au sud de Marrakech, puis à Tamesloht, au sanctuaire de Moulay Abdellah Ben Hsein où elle organise des lila et procède à des sacrifices. Ses Gnaoua l’accompagnent en ces lieux. Dans la tradition religieuse des Gnaoua, ce sont les talaâ (ou voyantes médiumniques) qui instituent les situations dans lesquelles les musiciens vont intervenir.

Sous le patronage de Baba Tourougui et de Baba Mekki, ces voyantes font le pèlerinage à Tamesloht pour obtenir la baraka du Cheïkh. Chaque voyante offre un sacrifice et laisse sa tbiga à la belle étoile jusqu’à l’aube. Dès lors, elle est reconnue comme talaâ, dépositaire de la baraka du Cheïkh.

Le don de prédire l’avenir en état de transe, et de servir le maître de la nuit, suppose de la part de la néophyte une longue période d’incubation, au cours de laquelle elle passe d’une mort symbolique à une renaissance.

« Avant d’être reconnue en tant que telle, explique maître Guinéa, la talaâ est allée en pèlerinage à Sidi Chamharouch le sultan des djinns, dont la grotte se situe au sud de Marrakech-, à Moulay-Brahim, à Tamesloht, et à beaucoup d’autres lieux saints ».

Là, elle s’est imprégnée de leurs effluves sacrés et s’est isolée pendant un certain temps dans leurs khaloua, lieu de prière et de retrait, généralement une grotte qui préfigure le ventre maternel où s’accomplissent la mort et la résurrection symbolique de la néophyte. Généralement, elle se retire en prière pendant un mois, jusqu’au moment où le rêve divinatoire apparaît dans la dormition. C’est la raison pour laquelle la postulante a accompli son pèlerinage.

Si le rêve divinatoire n’est pas apparu cette semaine, il apparaîtra la semaine prochaine. Au cours de ce rêve, elle se voit devant un tribunal de génies présidé par leur sultan Chamharouch. C’est là qu’on lui ordonne d’accomplir tel ou tel autre rite : elle doit sacrifier telle victime, à tel endroit, et y organiser une lila. On lui demande d’accomplir beaucoup de rites, avant de lui accorder des dons particuliers, soit l’immunité contre le fer  ce qui lui permettra de danser en état de transe avec les couteaux sans se couper, la capacité de danser avec le feu sans se brûler, ou encore celle de danser sur les débris de verre sans se blesser.

 

 

Dans ce dernier cas, elle égorge un pigeon et fait couler le sang sacrificiel sur les débris, puis jette la dépouille dans un endroit totalement isolé, par exemple à la mer. Dès lors, elle peut danser sur les débris de verre sans danger pour sa peau. Grâce à son plateau de cauris, elle détermine l’origine du mal et prescrit le remède qui guérira : soit un pèlerinage à tel ou tel autre marabout, soit l’organisation d’une nuit rituelle. Si elle prescrit une lila, c’est elle qui avisera le groupe de Gnaoua avec lequel elle a l’habitude de pratiquer la thérapie traditionnelle.

 

§ Les voyantes médiumniques

 

Sous la thérapie des femmes se dissimule une religion. En effet, à Tamesloht, le moussem met en scène l’opposition entre deux groupes de pèlerins : les Chorfa et les Gnaoua. Pour les Chorfa descendants de Moulay Abdellah Ben Hsein, cette manifestation du Mouloud est celles des tribus liées à leur ancêtre ; les Gnaoua y viennent par l’effet d’une greffe tardive. Ils sont tolérés à condition de rester dans les maisons et de ne visiter les lieux saints que pour apporter leurs offrandes.

Les Gnaoua ont une tout autre définition de la situation. Pour bien comprendre ce qu’ils font ici, il faut d’abord constater, que ce sont les femmes qui organisent les manifestations de leur confrérie à Tamesloht. Les musiciens Gnaoua qui les accompagnent sont là à titre d’assistants qui louent leurs « services » à ces talaâ. C’est là, d’ailleurs, la véritable structure de leurs pratiques pour autant qu’elles restent fidèles à la tradition africaine.

Cela, certes, n’apparaît pas au premier abord. Le spectateur de leur rite nocturne de possession, fasciné par ce « spectacle » de la transe « habitée », est avant tout sensible au jeu musical de ses animateurs. Il est tenté alors, de conclure que chez les Gnaoua, ce sont les musiciens qui sont les maîtres du jeu. En réalité, ici, comme dans tous les rites de possession, la gestion de la situation est assurée par les prêtresses du culte. Et ici comme ailleurs, les femmes, parce qu’elles sont tenues en marge de la religion des hommes, se sont donné secrètement une autre « religion » : la religion des femmes.

 

Qui consulte les voyantes ? Des gens souffrant de troubles attribués à l’intervention maligne d’êtres surnaturels qu’il va falloir identifier. La première démarche consiste à identifier l’agent surnaturel du trouble. C’est en état de transe que la voyante médiumnique est elle-même possédée par son Melk, qu’elle est en mesure d’indiquer au « possédé », l’entité qui le possède. Pour se faire elle a besoin de tout un « bricolage » rituel. Outre la présence des instruments de musique, il y a celle des deux accessoires sacrés : la tbiga et le hmal.

La tbiga est une corbeille d’osier contenant des étoffes ornées de cauris ainsi que sept encens : le benjoin noir, le benjoin rouge, le benjoin blanc, du bois de santal, du persil séché, des clous de girofle et, enfin, une prise de tabac dont la finalité est de faire éternuer les danseurs qui font semblant d’être en transe, ceux qui n’ont pas le hal.

 

Le hmal est constitué de deux baluchons de foulards aux couleurs des esprits qui seront évoqués durant la nuit rituelle. Il comprend également des tuniques aux mêmes couleurs dont se revêtiront les danseurs et les musiciens animant la nuit rituelle. Il comporte aussi des cannes de cérémonie, des poignards, des aiguilles et des bols traditionnellement dessinés à recevoir un mélange à base de farine de blé tendre qui sera consommé pendant la lila. Parmi ces bols figure celui de Sidi Moussa le marin. On note enfin la présence d’une gargoulette dont on se sert pour la danse des pèlerins.

C’est une voyante, la talaâ, qui a la charge de préparer ses accessoires. Le Gnaoui est, en général, au service d’une talaâ, qui prend en main l’organisation pratique du rituel, s’occupe des préparatifs pour le sacrifice et des accessoires que l’on vient de décrire. C’est à elle qu’on fait appel si quelqu’un tombe malade.

 

Aïcha Karbal, la femme de maâlam Guinéa, était une grande talaâ. Elle a légué son pouvoir de divination à deux de ses filles. L’une d’entre elles, Zeïda, nous parle, assise devant son alcôve où se trouve l’autel des mlouk, caché par un rideau de mousseline. Il supporte sept bols contenant les nourritures du melk.

 

Zeïda utilise aussi des cauris pour la divination car ils indiquent de quel génie le patient est possédé. Je sais s’il est possédé par Lalla Mira ou Sidi Mimoun. Chacun a sa couleur, son encens, son jour de la semaine et sa planète. Il y a la femme stérile a qui l’on demande de se ceinturer d’un fil de laine, et il y a celle à qui on recommande un coq sans sel cuit avec de l’huile d’olive et juste ce qu’il faut d’eau.

« Au moment de la consultation, raconte Zeïda, je suis moi-même possédée par mon melk, Bouderbala, le saint à la tunique multicolore, je me couvre d’une serviette rapiécée, je prends sa canne de mendiant céleste et son couffin. Ma sœur, elle, travaille avec les maîtres de la mer, les moussaouiyines.

Pendant la lila, ma mère avalait sept aiguilles et buvait un litre d’eau parfumée de rose. Puis, elle éjectait les aiguilles, l’une après l’autre, chaque fois qu’elle prédisait son sort à quelqu’un dans l’assistance de la lila. Moi, j’ai à peine la maîtrise du feu. Les flammes de quatorze bougies me lèchent les bras et les mollets, et je ne sens rien ».

Zeida appartient à une famille de Noirs venus du sud du Sahara, elle a hérité de sa mère, Aïcha Karbal, le métier de voyante-thérapeute et tout le matériel qui va avec, notamment les autels des mlouk.

 

Fatima, par contre, n’est pas l’héritière d’une tradition africaine. Elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui à partir d’un ensemble de troubles dans lesquels un ethnologue reconnaîtra un « recrutement par la maladie ».

La même distinction quant au recrutement se retrouve d’ailleurs chez les chamans dont certains le deviennent à partir d’une maladie initiatique alors que d’autres ont hérité de la charge.

La talaâ doit accomplir régulièrement un certain nombre de rituels et si elle ne le fait pas, elle risque, dit-on, de perdre ses capacités professionnelles et de retomber dans la maladie si sa carrière a commencé par une « maladie ».

Ces voyantes médiumniques, ces talaâ sont les héritières d’une vieille tradition, comme le constatait  Édmond Doutté, au début du XXe siècle :

« J’ai retrouvé aux environs de Mogador, les devineresses qui prédisent l’avenir avec des coquillages, et que Diego de Torrès observait déjà en 1550. Ce sont des femmes berbères qui prétendent faire parler des térébratules fossiles ».

Léon l’Africain nous parle pour sa part de femmes qui « font entendre au populaire qu’elles ont grande familiarité avec les démons, et lorsqu’elles veulent deviner, se parfument avec quelques odeurs, puis (comme elles disent) l’esprit entre dans leur corps, feignant par le changement de leur voix que c’est l’esprit qui répond par leur gorge ». La fumigation de parfums, aux dires d’Ibn Khaldoun, met certains individus dans un état d’enthousiasme tel qu’ils prévoyaient l’avenir.


Abdelkader MANA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Le sacrifice d’une victime a pour objet de mettre en relation le sacrifiant avec le sacré. Entre profane et sacré, homme et Dieu. C’est ce qu’exprime le terme arabe de « Qurbân » (sacrifice), qui signifie l’action de s’approcher de Dieu.

 

12:45 Écrit par elhajthami dans Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique, psychothérapie, gnaoua | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook