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30/04/2012

Les aventures extraordinaires de Sidi Ahmad Ou Moussa

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El Atrach

Au nom de Dieu, le Clément et le miséricordieux ; qu’il accueille en sa miséricorde notre Seigneur Mohamed. Voici ce que rapporte Sidi Ahmad Ou Moussa, le Samlali ; que Dieu lui accorde sa grâce.

« Nous étions un jour en train de jouer  à la balle quand soudain, arriva un vieillard aux cheveux blancs. Il portait sur la tête un panier de figues fraîches. 

- Qui parmi vous, nous dit-il, portera pour moi ce panier sur la tête ? Dieu l’élèvera en un rang supérieur à tout autre et lui fera parcourir un pays que jamais aucun prophète ni aucun saint n’a encore parcouru.

Je mis, (continue Sidi Ahmad Ou Moussa), ce panier sur la tête et accompagnai le vieillard jusqu’à sa demeure. Revenu chez mes compagnons, je m’assis et perdis connaissance. Je restais ainsi trois jours durant. Le quatrième jour, je sortis de ma maison et me dirigeai vers Marrakech où vivait le saint Sidi Abdelaziz surnommé et-tebbaa, que Dieu lui accorde sa grâce et nous fasse profiter de sa bénédiction, amen.

voyage

Roman Lazarev

Arrivé chez le saint, celui-ci me dit :

- Soit le bien venu, o saint envoyé par Dieu ; Dieu t’élèvera en un rang supérieur et te fera parcourir des régions que n’a jamais traversé aucun prophète et aucun saint.

Cela dit, il me frappa sur la tête et j’en demeurai étourdi pendant neuf jours. Le dixième jour, je quittai la demeure du Saint et je parti pour rendre une visite pieuse au tombeau de l’Elu ( le Prophète Mohamed), que Dieu lui accorde sa miséricorde et le Salut éternel. Arrivé  à Médine , que Dieu accorde sa Miséricorde et le Salut éternel  ceux qui y sont enterrés, je me mis  la recherche du saint plein de vertus  Sidi Abdelkader eljilali(saint mystique musulman qui vécu  Bagdad ; né en 470(1077-1078), il mourut en 561(1166), que Dieu lui accorde sa grâce après l’en avoir rendu digne. J’avais enduré beaucoup de fatigue à me rendre du tombeau du Prophète à la demeure de Sidi Abdelkader eljilali  . Aussi, ce dernier m’invita-t-il à enfourcher un roseau qu’il me présentait. Je m’y refusai et, le quittant , je marchais pendant dix sept jours dans la direction des arabes bédouins. (Etant arrivé chez eux) je passai la nuit chez une femme qui possédait douze ânesses de l’espèce asine particulière à ce pays. Je dînai chez cette femme de beurre et de lait. Mon hôtesse m’invitait instamment à manger en me disant :

-  Il faut que tu manges !

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 Trifis Abderrahim

Mais à la première bouchée, regardant vers le sol j’aperçus le bœuf qui constitue le socle sur lequel repose la terre(dans la cosmogonie traditionnelle musulmane, le buhmut, désigne non le taureau, mais l’énorme poisson qui le supporte. Dans les parlers berbères du Sud-Ouest marocain on appelle buhmut , une fosse profonde, un précipice, un abîme) . Puis tournant mes regards vers le Ciel j’aperçus l’Estrade et le Trône divin. Je quittai, ajoute Sidi Ahmad Ou Moussa, la maison de cette femme et pris la direction du levant. Je rencontrai un homme qui consacrait son temps à parcourir la terre. Je l’accompagnai pendant quatre nuits, puis le laissant , j’allai chez Mohamed – U- Yassin. Je le trouvai en train de paître des chameaux en compagnie d’Arabes bédouins. M’adressant à eux, je leur dit :

- Creusez le sol ici, vous y trouverez le tombeau d’un des Saints envoyés par Dieu.

Ils creusèrent à l’endroit indiqué, mais n’ayant rien trouvé, ils me frappèrent tellement que j’ai failli en perdre la vie. Cependant ayant creusé une deuxième fois, ils trouvèrent le tombeau. Je ne leur avais donc pas menti, mais c’était Dieu seul qui avait décidé de mon sort. Quelqu’un se dressa devant moi et me dit :

- Il te reste à recevoir une nouvelle bastonnade puis tu t’élèvera au rang réservé aux saint personnage.

-  Qui es-tu donc Seigneur ? lui demandé-je.

-  Je suis Abdellah Ben Brahim, fils de cet Abdellah al Jalil qui reçu le roseau (symbole d’initiation mystique) des mains de Sidi Mohamed Ben Sliman el-Jazouli, répondit-il.

voyage

Le piton rocheux de Sidi Mohamed Ben Sliman el-Jazouli,en pays Haha

(Ce propos échangé), je marchai pendant dix sept jours, sans autre nourriture que de l’herbe, dans la direction du levant. Le dix-huitième jour, mon âme (il s’agit ici de en-nefs al-ammara bi soua, l’âme qui incite au mal) concupiscente se révolta et me dit :

- Que signifie cette marche ?   

Nous rencontrâmes cependant des individus presque nus n’ayant que des peaux pour tout vêtement. Nous restâmes deux nuits chez eux sans manger autre chose que du fromage sec. Puis, les quittant, nous réprimes notre marche et traversâmes pendant douze jours, des forêts et des déserts, sans y rencontrer âme qui vive.  

voyage

 Arrivés chez les Barbares, nous rencontrâmes soudain un homme borgne paissant des moutons. Nous le saluâmes et il nous rendit notre salut selon les règles ordinaires. Lui ayant demandé l’hospitalité au nom de Dieu, il nous souhaita la bienvenue et nous conduisit à sa demeure. Nous entrâmes avec lui dans une grotte dont il ferma l’entrée d’un rocher que, seuls quarante hommes pourraient remuer et qu’il souleva et plaça, cependant, tout seul, sans aide étrangère.(Cela fait), il alluma du feu , égorgea un mouton à notre attention, le fit rôtir, et, lorsque nous en fumes  rassasiés, nous demanda si nous voulions autre chose :

- Ce que nous avons mangé nous suffit, répondîmes – nous. Il nous dit alors :

- Moi, je n’ai pas encore dîné, et je me demande ce que sera ce dîner. C’est l’un de vous qui en sera la matière.

- Mais Dieu te l’interdit lui répliquâmes – nous, et si tu es musulman, il t’a rendu la chaire humaine illicite.

-  Je ne suis pas musulman, nous répondit-il, mais infidèle, arrangez vous donc pour que l’un de vous me serve de dîner.

Chacun de nous  se proposa alors pour être la première victime dont cette brute dînerait. 

-  Je ne suis utile à personne, me dit mon compagnon, tandis que toi, selon nos vœux, dois servir à tous.

-  Que veux-tu dire par là ?

-  Je ne doute pas, que tu sois appelé à accomplir des actions agréables à Dieu.

voyage

 Maimoun Ali

Et aussitôt, il se rendit auprès de la brute qui, le saisissant par une épaule se mit à le dévorer. Lorsqu’il l’eut achevé, mon compagnon était mort, que Dieu l’accueille en sa Miséricorde !

La brute revint encore vers les restes du mouton qu’il avait égorgé pour nous. Il les mangea et il me dit :

- C’est toi qui demain de bonne heure, seras mon premier déjeuner.

Là - dessus il se coucha sur le dos et s’endormit. Je me levai, je pris la broche qui lui avait servi à nous préparer la viande rôtie, et je la mis au feu. Lorsqu’elle fut rouge, je l’enfonçai dans l’œil qui permettait encore à la brute de voir. L’œil éclata. La brute effrayée, me poursuivit en cherchant à m’atteindre. Je pénétrai, en m’éloignant de lui, au milieu des moutons. Il ne me trouva pas, mais il me dit :

-Par où sortiras-tu ? Demain je t’attraperai à la porte !

La nuit se passa. Le lendemain matin, la brute déplaça le rocher qui lui servait à fermer l’entrée de la grotte. Puis il s’assit et fit sortir les moutons tout en passant la main sur eux. Les moutons sortaient un par un et le brute les palpait dans l’espoir de mettre la main sur moi. Je me dit alors : « Comment ferai-je pour me tirer de ce mauvais pas ? » . Dieu voulant me protéger de brute, m’inspira alors un stratagème. Je revêtis la peau du mouton sans que sa main, Dieu en soit loué, me rencontrât. Je m’arrêtai et attendis qu’il eut fait sortir tous ses moutons.

- Où es – tu ? Me demanda-t-il.

- Je suis dehors o ennemi de Dieu, o le pire des ogres, lui répondis-je.

Et là-dessus, lui ayant échappé, je me mis en route dans la direction du levant et marchai pendant trente cinq jours. J’étais triste et soucieux en songeant à mon compagnon dévoré par l’ogre. Je ne mangeai en cours de route rien d’autre que de l’herbe.

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   Abderrahim Trifis

Le trente – sixième jour, mon âme concupiscente me dit : « Personne n’agit ainsi ; nous voici accablé de fatigue et mort de faim ; dirigeons – nous donc vers les pays des hommes ! » Je suivis son conseil et me remis en marche. « Tu vaux mieux que tous les hommes. » me dit alors mon âme. – Et toi lui répliquai-je, tu es inférieure à eux tous. » Et voilà que, soudain, des lions et des bêtes fauves se dirigent vers moi en rugissant. Mon âme me répète alors ses premiers propos et me donne le conseil suivant :

-  Si tu veux leur échapper, il est bon, avant qu’ils ne t’aient atteint, que tu montes sur ce pistachier térébinthe. Peut-être de cette manière, échapperas-tu aux lions.

Je lui répliquai en protestant que Dieu ne m’approuverait pas de chercher à fuir le sort qu’il avait décrété. Là – dessus, fauves et lions, arrivent sur moi, se frottent à moi, m’entourent de droite et de gauche, puis l’un d’eux, levant la patte, urine sur moi. Je dis alors à mon âme : « Ne t’avais-je pas dit que tous les hommes valaient mieux que toi ? Vois ce que m’a fait ce lion ? » C’est alors qu’un lion me saisissant par la tête l’introduit toute entière dans sa gueule et l’y garda un petit moment puis me relâcha. Je crus que ma vie sortant d’entre mes épaules m’avait quitté. Je me remis  marcher pendant huit autres jours. Le neuvième j’aperçu à la tombée de la nuit, dans un ravin, un nuage de poussière qui paraissait dù à des sauterelles s’abattant dans la gueule d’une énorme bête. Cette bête, ouvrait la gueule et avalait tous les volatiles qui se présentaient. Je demeurai là sept jours à m’emerveiller de ce spectacle.

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    Mohamed Tabal

Le huitième je repris ma route et pressai la marche en traversant douze jours durant, forêts et déserts. Je trouvai (alors) des hommes qui entraient, dans leur mosquée par tous les côtés. J’entrai avec eux. Ils me maudirent comme les hommes le font pour Satan. Puis l’un d’eux m’enleva du sol pendant qu’un autre lavait  grand eau l’endroit o je m’étais arrêté. Je me remis en marche en me dirigeant vers quelque chose qui me parut avoir la taille des palmiers. Je m’aperçus, en approchant, que c’étaient des femmes remplissant d’eau des outres faites de peaux de chameaux. Ces femmes, en se retournant, s’étonnèrent de ma petite taille. L’une d’elles me prit par sa main, me tendit  une de ses campagnes qui, à son tour, s’émerveilla. Une des femmes, enfin, me saisit, me plaça dans la paume de sa main et m’emporta vers sa demeure. Les gens arrivaient de tous côtés et de tout lieux et me regardaient avec curiosité pendant que les femmes ne cessaient de me faire passer de paume en paume et cela jusqu’à l’approche de la nuit . La femme qui m’avait emporté chez elle, égorgea un bouc et me dit :

-  O homme, que tu sois un être humain ou un démon, mange de la viande et jette les os sans croquer !

Oubliant cette recommandation, je croquai les os. Un homme alors se leva, m’empoigna avec une violence à faire mal et me jeta derrière leurs demeures, la main brisée et la tête fendue. Je restai là jusqu’au matin. Une femme me prit et me déposa dans une jatte à lait qu’elle recouvrit. Un moment après, je m’enfuis loin de la demeure. Huit ou dix jours après, mon âme concupiscente eut envie de chair de poulet et d’œufs cuits et assaisonnés de poivre. Je lui fais observer que nous n’en prenions pas la route. Je me dirigeai cependant vers les pays habités. J’aperçu une agglomération ; je l’atteignis à la fin de la nuit et je m’arrêtais à l’entrée d’un jardin. Ce jardin avait été pillé par les voleurs. C’est pourquoi, ses propriétaires s’emparèrent de moi, me rouèrent de coups de bâton, me ligotèrent en me disant :

-C’est toi le voleur !

Tout en me tirant par la barbe, ils répétaient :

- Ah ! voleur ; c’est toi qui ne cesse de piller notre jardin !

Ils me remirent enfin entre les mains d’un esclave des plus méchant appelé Maimoun(allusion à Sidi Mimoun, un des génie les plus important) et armé d’une baguette :

-   Laissez-moi, leur dit-il ; je vais lui donner une sévère bastonnade !

Et il se met à me frapper si violemment sur le ventre que j’ai crus qu’il éclatait. Après m’avoir retourné il en fit autant pour le dos. Mais bientôt il s’arrêta et dit à ses compagnons :

-J’entends une voix mystérieuse qui me dit : « O Maimoun, j’en atteste le Dieu le Puissant, si tu donnes encore un seul coup, à ce saint de Dieu, ta main seras, sans aucun doute, détachée de l’extrémité du bras.

On ne le crut pas et autre esclave s’emparant de la baguette, se mit à me frapper. Aussitôt ses mains et ses pieds, se détachèrent, arrachés des extrémités ( des bras et des jambes) auxquels ils étaient attachés. Ses compagnons l’emportèrent et me conduisirent chez le maître du jardin. Ce dernier me fit servir des poulets et des œufs cuits assaisonnés de poivre. Je mangeai et une fois rassasié, je dis à mon âme concupiscente : « Tu n’a obtenu ce dont tu avait envie qu’au prix d’une sévère bastonnade. »voyage

Je quittai ces gens-là et marchai pendant huit jours. Je rencontrai, me barrant le chemin, un serpent à sept têtes portant douze cornes. Ce serpent était velu comme un bouc et de ses yeux et de sa bouche le feu jaillissait. Pendant huit jours cette bête traversa la plaine sans que je puisse savoir où elle se dirigeait. Lorsqu’elle eut disparu, je me mis à mesurer les traces qu’elle avait laissées. Je constatai que sa largeur était de quarante - deux coudées ; quant à sa longueur, Dieu seul la connaît.Le mendiant céleste selon Tabal

  Je me remis en marche, mais pendant mon sommeil j’entendis une voix mystérieuse, inspirée par Dieu, qui me disait : « Sais-tu O Hmad Ou Moussa ce qu’était ce serpent ? – Non, répondis-je. – Et la voix ajouta : « C’était un des serpents qui peuplent l’enfer. »

Je repris ma route et cheminai de nouveau pendant quatre jours. J’arrivai dans un pays dont les habitants trayaient des vaches noires. Chacune de ces vaches portait au milieu de la tête une corne toute droite et semblable à un piquant de porc-épic. Les queues elles-mêmes avaient cette forme. Je restais sept jours chez ces gens sans manger autre chose que du fromage sec.

  Je me remis en marche et traversai, quinze jours durant, forêts et  déserts. Je rencontrai un homme en train de labourer ; derrière lui,(le grain semé). Je m’arrêtai à le regarder, lorsque sa femme arriva, la chevelure peignée, teinte au henné et parfumée :

-   Laisse-là ta charrue O un tel, et rentrons à la maison ; nous sommes de fête (littéralement de noce) aujourd’hui car ton fils est mort.

Le laboureur abandonna sa charrue et accompagna sa femme. Lorsqu’il eut enterré son fils il offrit un repas que les gens acceptèrent. Pendant ce temps j’avais pris la charrue et labouré quelque peu. Lorsque l’homme revint, il vit que mes sillons étaient restés jaunes et que rien n’y avait poussé ; au contraire, ce qu’il avait semé était sorti de terre et était tout verdoyant. 

-Que Dieu nous garde de ta présence, me dit-il ; tu es sans doute originaire de ce pays du Maghreb où les gens se lamentent à la mort de quelqu’un.

voyage

 Maimoune Ali

En quittant ces lieux, me voilà de nouveau en marche, traversant pendant vingt-deux jours, forêts et  déserts. Je trouvai enfin, des hommes, qui n’avaient pas d’autres demeures que des grottes, qui labouraient la nuit et fuyaient,le jour, la chaleur du soleil. Je leur demandai, au nom de Dieu, la permission de m’abriter chez eux de la chaleur du jour.

-  Soit le bienvenu O hôte envoyé par Dieu, répondirent-ils.

(Entrant) dans leur demeure, je levai les yeux et aperçus une profusion de serpent de couleurs différentes, des verts, des jaunes, des rouges et des blancs.

- N’aie pas peur d’eux, me dit une femme de ce peuple, ils ne font de mal qu’à celui qui leur en fait.

Cette femme, voulait aller traire des brebis, prit les ustensiles nécessaires à la traite, elle s’aperçu qu’un serpent avait pendu dans une jatte. Une autre femme survenant alors dit en s’écriant :

-  Cette façon de faire nous lasse.

Et elle brisa l’œuf du serpent en ajoutant à l’adresse de ce dernier :

-  Vous nous encombrez !

Le serpent lui fit observer que la jatte dans laquelle l’œuf avait été brisé et un serpent tué, contenait (désormais) du poison. Puis cette femme s’en alla traire mais, se souvenant qu’elle avait brisé l’œuf du serpent, elle lui demanda de l’en excuser en alléguant qu’elle ne l’avait pas fait exprès. Le serpent, cependant, montant sur la jatte à lait, la renversa en la vidant de son lait. La femme s’adressant alors à moi me dit :

- Que Dieu t’éloigne de nous et qu’il te maudisse, tu as renversé notre lait.

Je lui répondis que Dieu seul connaissait celui qui avait renversé le lait, que ce n’était pas moi mais bien le serpent dont elle avait brisé l’œuf.

voyage

Maimoun Ali

Puis m’éloignant de ces lieux je me remis en route et marchai pendant huit jours. J’arrivai chez des êtres humains – dont la bouche s’ouvrait dans le cou et les yeux dans les genoux ; les poiles dont leur corps était couvert étaient leur seul vêtement. Je saluai ces gens mais ils ne me rendirent pas mon salut. Je les interrogeai sur leur origine et ils me répondirent qu’ils étaient les diablotins du peuple des démons. Je restai sept jours chez eux, puis, les quittant, je repris ma route et marchai pendant six jours. Je rencontrai alors un oiseau vert ; lorsqu’il se posait sur un arbre cet arbre verdoyait, lorsqu’il s’envolait , l’arbre se desséchait mais redevenait verdoyant lorsque l’oiseau se posait à nouveau sur lui. Je me dis, en présence de ce spectacle : « Il n’y a d’autres divinités que Dieu ! Que vois-je là ? » L’oiseau me répondit en ces termes :

- O Hmad Ou Moussa, ces arbres sont comme les co-épouses d’un même homme ; l’arbre sur lequel je me pose verdoie pendant que l’autre se dessèche ; si je me pose sur le sol, les deux arbres verdoient ensemble. Il en va de même des deux femmes d’un même homme ; celle chez qui il passe la nuit est heureuse alors que l’autre est mécontente.

voyage

    Trifis Abderrahim

Je poursuivis pendant deux jours ma marche et le troisième jour j’arrivai chez des gens qui possédaient des chèvres blanches dont tous les boucs étaient noirs.

    Huit jours après (j’atteignis) une vallée où grouillaient serpents et scorpions. Je demandai le nom de cette vallée et on me répondit que c’était celle du Sind. Je restai là trois jours effrayé et perplexe. C’est alors que le Maître Sidi Abdelkader eljilali , se présenta à moi me remis le roseau dont nous avons déjà parlé et m’invita à l’enfourcher. C’est ce que je fis en survolant la vallée où grouillaient serpents et scorpions. J’atterris sur mon roseau chez les Ayt - Béni - Israël. Puis le roseau, m’emportant de nouveau dans les airs, me déposa aux abords du JebelQaf (dans la cosmogonie musulmane, c’est le nom donné à l’énorme montagne, inaccessible aux hommes, qui entoure le monde terrestre). Je trouvais là un homme dans le voisinage de cette montagne. Il me salua en disant :

-  Salut O Sidi Ahmad Ou Moussa ! Où vas-tu ?

Je lui demandai de me décrire cette montagne.

- Il faut, me répondit-il, neuf mois de marche , pour en atteindre le sommet, un temps aussi long pour en traverser le plateau supérieur et enfin neuf autres mois pour en redescendre le versant opposé. Et cela ne vaut que pour celui qui vole de ses propres ailes, quant à celui qui, comme toi, marche  pieds, personne n’en parle.

J’enfourchai donc mon roseau qui, m’emportant dans son vol, me déposa entre midi et le milieu de l’après-midi, au sommet de la montagne. Je trouvai là un autre personnage qui me dit :

- O Sidi Ahmad Ou Moussa, penses – tu avoir atteint les limites du Monde ? N’oublie pas qu’il y a encore sept autres mondes après celui-ci, et tous ces mondes ne sont habités que par les anges.

Alors, je tournai la tête et fit à Dieu acte de contrition.  

voyage

Trifis Abderrahim

    Sidi Ahmad Ou Moussa poursuivant alors son récit ajouta :

« Je trouvai au sommet de cette montagne une source d’eau claire et fraîche. Je souhaitai d’en boire en mangeant du pain d’orge que l’on cuit dans le pays des Ida - Ou - Samlal . Ce souhait était  à peine formulé dans mon esprit qu’une femme se présenta  moi et me remit un pain qui venait de sortir du four.

-De quelle tribu, demandai-je  la femme ?

-Des Ida - OuSamlal,me répondit-elle en repartant .

Je mangeai le pain, bus de l’eau fraîche en me disant : « Quelle aventure ! ». N’ayant pu rendre mes devoirs  cette sainte femme, je me levai, enfourchai mon roseau et suivis ses traces. J’arrivai soudain à Massa, dans la pays de Sous, entre midi et le milieu de l’après-midi. Je voulus m’informer de cette femme, mais je craignis que l’on ne se moquât de moi. Quelle signification pourrais-je leur donner ? Comment s’informer d’une personne dont on ignore et le nom et la demeure ?  Je restai donc sur place, ne sachant quoi faire. Je me résolus enfin  parcourir tout le bourg de Massa dans l’espoir de rencontrer la femme que je cherchais. Je venais  peine de me mettre en marche quand j’entendis me dire :

- O Sidi Ahmad Ou Moussa, passes par ici et suis moi.

J’avançai donc sur ses pas et la suivis jusqu’à sa maison. Elle entra et me fit entrer avec elle . Elle me servit à dîner, ainsi qu’à ses enfants. Le repas achevé, elle coucha ses enfants et attendit qu’ils fussent endormis ; elle me dit :

 -C’est moi la sainte taba-Teaazza des Ida Ou Samlal, lèves-toi que je te conduise dans un certain lieu.

voyage Je l’accompagnai. Nous entrâmes dans la mer et moi, la suivant par la grâce de Dieu nous cheminâmes sur les eaux comme on marche sur le sol. Nous atteignîmes enfin une île où se trouvaient des hommes. Elle leur dit :

 - Voici Sidi Ahmad Ou Moussa de qui je vous ai entretenu.

 Puis elle me laissa chez ces hommes qui me dirent :

 -Un tel, saint protégé de Dieu, vient de mourir ; nous te demandons  de prendre sa place.

 Je répondis  ces saints personnages que j’étais disposé  faire tout ce qu’ils attendaient de moi.

voyage

Roman Lazarev

 C’est ainsi que s’achève le récit , entendu par nous , des pérégrinations de Sidi Ahmad Ou Moussa. Ce récit a été rédigé par Brahim Ou Mohamed , originaire de la région du Sous, de la tribu des Ikounka, du village d’Ifrhel du clan des Ayt Bahman. Que Dieu le protège des maladies, de celles de l’âme comme de celle du corps. Ce texte a été traduit du Berbère par Arsène Roux qui a donné dans « Récist, contes et légendes berbères en tachelhit » (Rabat 1942) en version berbère quatre fragments de la légende de Sidi Ahmad Ou Moussa. Laoust en 1921, dans son « Cours de berbère marocain (dialecte du Sous, du Haut et de l’Anti-Atlas) » donne le texte berbère de deux épisodes de la légende du saint. La même année il publie dans « Hespéris » la traduction française de l’un de ces épisodes : L’aventure de « Sidi Ahmad Ou Moussa dans la caverne de l’ogre. »  Il reprend cette traduction dans ses « Contes berbères du Maroc » (Paris, 1949). Mais c’est le Colonel Justinard qui a étudié le plus abondamment et la vie et la légende du patron de Tazerwalt. Il l’a fait dans « Hespéris » année 1925, 2ème trimestre et surtout dans les Archives marocaines , vol. XXIX, année 1933 . Pour ma part,en 1998 , j’ai consacré un documentaire au moussem de Sidi Ahmad Ou Moussa et  la maison d’Illigh, intitulé « Les troubadours de Sous » diffusé la même année par la deuxième chaîne marocaine sous le titre « Les troubadours de Sous ». Dans cette même série documentaire intitulée « la musique dans la vie », j’avais produit deux autres documentaires sur cette même région de l’Anti-Atlas :  « Massa, Terre de légendes » et « Idernan la fête de l’Anti-Atlas ». Abdelkader Mana

15:06 Écrit par elhajthami dans Achoura, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voyage | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Acrobates et prestidigitateurs

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Sur la célèbre place de Jamaa Lafna de Marrakech, parmi les halqa(cercles) de montreurs de singes, de charmeurs de serpents, de bouffons, de musiciens, on remarque celle des acrobates et des équilibristes, descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa, patron du Tazerwalt et l'un des saints les plus populaire au Maroc.

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Les Oulad Sidi Ahmad Ou Moussa dans la médina de Casablanca

Ils voyagent organisés en petites troupes, donnant ça et là des exhibitions au carrefour des rues et sur les places publiques.Les curieux attirés par les tambourins et les flûtes se rangent en cercle autour d'eux: ils interrompent leur exercice d'acrobatie par des quêtes aumonières suivies d'invocations à l'adresse du saint.Ils sont parés d'un grand anneau d'argent pendant à l'oreille gauche et vêtus d'un vêtement à larges rayures blanches, noires ou rouges, rappelant assez le maillot des montreurs de tours des cirques.Ils emploient entre eux le berbère qui est leur langue maternelle et font usage d'un argot (ghoss) comme d'ailleurs la plupart des animateurs de halqa(cercle) que ce soit à Jamaa Lafna ou ailleurs.Ce sont des gens de voyage à l'image de leur légendaire ancetre.voyage

Quant aux voyages de leur saint protecteur et à ses courses à travers le monde, voici ce qu'en rapporte le grave auteur des Fawaid:

- J’entai un jour chez lui dans son Hermitage. Je le trouve exposé au soleil, les jambes étendues. Il regardait ses deux pieds et riait. J’ai cru qu’il riait de moi   :

-  Pourquoi ris-tu mon père ? Lui dis-je.

- Tu me trouve en train de regarder ces deux - là et je ris, me répondit-il en désignant ses pieds. Car tous les chameaux de la terre, en tout lieu du monde , auraient beau porter des charges , ils périraient avec tout leur chargement avant d’avoir franchi tout ce qu’ont franchi ces deux-là. » On rapporte encore au sujet de Sidi Ahmad Ou Moussa qu’un certain jour , regardant ses pieds, il se prit à dire : « Si on suppose un aigle volant si longtemps qu’il en perde ses plumes, puis recouvrant ses plumes et les perdant encore, reprenne son vol trois fois de suite(on peut affirmer)que cet aigle n’aura pas parcouru la distance couverte par les pieds que voici. »

voyage

Mohamed Tabal

 Ces pérégrinations de Sidi Ahmad Ou Moussa rappellent le pèlerinage du soufi à travers les sept stations que l’âme doit  franchir avant de s’anéantir dans le sein de Dieu.Sidi Ahmad Ou Moussa est un personnage historique du XVIè siècle,contemporain des sultans saadiens.Il est né à Bou Mérouan de la tribu des Ida Ou Samlal et il est mort en 971(1560),au Tazeroualt où son tombeau est vénéré.Nombreuses sont les hagiographies à son sujet qu'on appelle "manaqib".Selon l'une d'entre elles: « Parvenus aux confins du monde, Sidi Ahmad Ou Moussa et son compagnon de voyage accrochèrent à une étoile le petit sac de cuir renfermant leurs provisions de route. L’étoile disparut emportant le sac et les deux voyageurs se prirent de querelle. Un étranger que le hasard de la route conduisit dans leurs parages s’informa de l’objet de leur querelle et leur dit : « Ne vous disputez point ! Passez ici le reste de la nuit et quand, au matin, l’étoile réapparaîtra vous reprendrez votre sac ! » C’est ce qu’ils firent et, au matin, ils trouvèrent le sac avec ses provisions intactes.La nuit suivante,ils s’en furent demander l’hospitalité à un ogre(aguerzam) qui habitait dans une caverne profonde où chaque soir, venait s’abriter de nombreux troupeaux de moutons. « Soyez les bienvenus ! » leur dit-il. Et ayant allumé un grand feu à leur intention, il ajouta : « Que désirez vous manger ? » - « Ce que tu nous offriras » répondent-ils – « Je vous donnerai de la viande, mais vous m’en donnerez aussi ! » dit-il. Les deux hôtes se regardèrent et dirent : « Mais, où en trouverons-nous ? » S’étant consultés, ils décidèrent de manger et de s’en rapporter à Dieu pour le reste.Après le repas, l’ogre leur demanda : « Avez-vous mangé ? »-« Oui, dirent-ils »- « Et moi, non, répartit le monstre, donnez-moi l’un d’entre vous ! » - « Volontiers, dirent – ils, le sort va désigner celui que tu dévoreras de nous deux ! »

voyage

    Mohamed Tabal

Le sort désigna Sidi Ahmad Ou Moussa qui se prépara au sacrifice malgré les supplications de son compagnon qui voulait s’offrir à sa place. Mais, au moment où l’ogre s’apprêtait à le dévorer, Sidi Ahmad Ou Moussa, mit au feu la pointe de son long bâton de pèlerin et d’un coup violent le planta dans l’œil unique du monstre. Celui-ci rugissant de colère leur dit : « Vous êtes dans ma caverne et vous n’en sortirez pas ; je vais me poster à l’entrée et demain nous nous retrouverons ! »

   Le lendemain Sidi Ahmad Ou Moussa et son compagnon égorgèrent deux moutons et s’étant revêtus de leurs toisons ils se melèrent au troupeau qui partait  comptant et touchant ses brebis une à une ; il ne les poussait dehors qu’après les avoir reconnues.Cependant grâce à leur stratagème, les deux voyageurs réussirent à tromper sa vigilance et à échapper à sa vengeance. Quand ils furent sortis, ils enlevèrent leur toison et s’en servirent pour frapper le cyclope : « C’est ainsi, dirent-ils que tu traite l’hôte (de Dieu) qui passe la nuit chez toi ! » Puis ils s’enfuirent. »

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Photo Abdelmajid Mana : l'habitat au pays haha

 Ce récit a été rédigé par Brahim ou Mohamed , originaire de la région de Sous, de la tribu des Ikounka , du village d’Ifrhed du clan des Ayt Bahman.Que Dieu le protège des maladies , de celles de l’âme comme de celles du corps !Amen !

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Photo Abdelmajid Mana: l'habitat au pays haha

 La première partie de ce récit figure, avec des variantes nombreuses, dans d’autres légendes de saints. La seconde, par contre, est, je crois, jusqu’ici inédite. Qu’on remplace le nom de Sidi Ahmad Ou Moussa par celui d’Ulysse, qu’on donne à l’aguerzam berbère le nom de Kiklops, on aura dans ces épisodes essentiels toute l’aventure d’Ulysse dans la caverne de Polythène. Il n’est pas jusqu’au trait final du récit chleuh qui n’ait sa ressemblance avec le récit homérique : « kyklope », tu n’as pas mangé dans ta caverne creuse, avec une grande violence,les compagnons d’un homme sans courage, et le châtiment devrait te frapper,malheureux ! Toi qui n’as pas craint de manger tes hôtes dans ta demeure. C’est pourquoi Zeus et les autres Dieux t’ont châtié. » Mais par quelle voie le récit est-il parvenu jusqu’aux Berbères ?voyage

Photo Abdelkader Mana: La fiancée de l'eau, la jument blanche et son écuyer 

Dans mon livre sur les Regraga "La fiancée de l'eau et les gens de la caverne", à l'étape de Sidi Abdeljalil, le patron de Talmest – qu’on appelle aussi Moul l’Oued Lakhdar (le patron de la rivière verte) est un héros de la fertilité. En vertu de cela, les femmes vont se baigner dans ses eaux lustrales, offrant leur nudité au brouillard matinal azuré et aux regards indiscrets cachés dans les feuillages.

   On raconte une légende inspirée du cycle de Persée, celle de la jeune fille délivrée du monstre. Une légende très significative des anciens rites d’initiation :

    « Un âfrit (démon) qu’on appelait Mgharat Boutazart (la grotte du figuier en chleuh) vivait sur le mont Talmest. Il dormait une année et se réveillait l’autre. Sa caverne regorgeait des fruits de son errance en pays Chiadma. Un jour, il enleva Mammas, la fille de Sidi Saïd Ben Yahiya ; c’était l’ancien patron berbère de Talmest. Abdeljalil, un jeune théologien, lui promit de sauver sa fille en échange de la source de son jardin. Le chleuh accepta le contrat. Alors Abdeljalil se présenta devant la grotte maudite et provoqua l’âfrit en duel. Grâce à la lecture  du Diamiati, le grand livre de la magie, il transforma l’âfrit en abeille et l’enferma dans un roseau. Puis il ramena la jeune fille sur son cheval blanc. Comme l’exigeait le contrat, il devint le propriétaire de la source qu’il transforma en rivière. Depuis, toutes les terres bordant ses rives appartiennent à sa descendance. »

Abdelkader MANA

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TROUBADOUR

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Les troubadours de Sous

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« Ô aigle au beau plumage

Toi, l’étrange oiseau

À la lune tu porteras mon salut

Et tu lui diras : L’étoile polaire   désire te voire »

Le raïs Amarok

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La grande caravane chargée d’ivoire, d’encens soudanais, du tabac de Takrour arrivaient au premier jeudi du mois d’août, c'est-à-dire pendant la période du moussem de Sidi Ahmad ou Moussa, le saint patron des musiciens et des acrobates. On s’y approvisionne de tout et d’abord de baraka. Protecteur des troubadours chleuhs, Sidi Ahmad ou Moussa , mort le 10 octobre 1564, c'est-à-dire il y a près de 446. De Sidi Ahmad ou Moussa, lui – même on sait peu de chose. Mais autour de son nom devenu fabuleux sont venus se greffer un certain nombre de vieilles légendes.

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Patron de Tazerwalt, Sidi Ahmad Ou Moussa, est un des saints Berbères les plus populaires du Maroc. Plus d’une douzaine de moussem sont célébrés chaque année dans l’enceinte de son sanctuaire : celui des femmes, des anciens esclaves, des tolba et d’autres. Les musiciens viennent à ce moussem non pas pour gagner de l’argent comme ils le font ailleurs mais en tant que pèlerins en quête de la baraka du saint. Si les Rways de Sous considèrent Sidi Ahmad Ou Moussa comme leur protecteur, c’est certainement parce que l’ancêtre des trouveurs chleuhs , Sidi Hammou, est originaire de Tazerwalt, où est enterré Sidi Ahmad Ou Moussa.

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Tazerwalt, est une petite cuvette aride, située à 110 kilomètres au sud d’Agadir et à 40 kilomètres à l’Est de Tiznit. Qui aurait cru, en voyant la nudité de ce paysage aujourd’hui, que ce fut là, l’un des nœuds les plus féconds de l’histoire du Sous au 17ème siècle. À partir de la Maison d’Illigh, les descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa allaient rayonner sur le plan commercial jusqu’en Guinée vers le sud et jusqu’en Hollande vers le nord. Sidi Ahmad Ou Moussa, faisait partie de ces zaouïa sahariennes , situées au point de départ et d’arrivée des caravanes.

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Tout ce que l’on achète au cours de ce moussem , c’est du barouk, c'est-à-dire un objet qui représente plus que sa réalité déjà connue parce qu’il incorpore l’énergie mystique de la baraka. Il y ales produits à effet magique qui ont pour but d’attiser l’affection fléchissante du bien aimé ou d’éloigner les mauvais esprits des envieux : encens, cauris,plumes d’autruches,peau de panthère, toison d’hérisson ou pelage de chacal. Ce moussem est aussi fait pour le doux commerce d’amour. La variété de dattes qui est la plus estimée en ce moussem est celle du butube suivie de celle de bouscri.

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Dans ces confins avec le Sahara, le Sous produit des dattes au goût succulent. A Akka et Tata, le palmier – dattier est très petit mais extrêmement productif et quoique le fruit ne soit pas un article de commerce comme à Tafilalet ; il est d’un parfum exquis et possède des qualités variées. Dattes, amandes, henné, thym, romarin, miel : les plantes médicinales qu’on vend ici et qui font que le moussem sent bon la forêt ont déjà par elles-mêmes une fonction thérapeutique dont l’efficacité se trouve démultipliée en quelque sorte par l’effet du barouk que leur incorpore le moussem. Du haut Atlas viennent des chargements d’écorces de noyers (c’est la période du gaulage), dont les femmes se servent avec le khôl et autres produits cosmétiques naturels pour se faire belles.

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Une semaine avant le moussem, la rumeur public fit sensation en annonçant la participation du Raïs Amerrakchi :la bonne nouvelle fit le tour des tribus alentour et remonta même via le téléphone arabe jusqu’à la célèbre place de Jamaâ Lafna(la place de l’anéantissement) : une vedette de la chanson berbère moderne au moussem de Sidi Ahmad Ou Moussa ! Quelle aubaine ! Actuellement, sur le marché des disquaires, le raïs Amerrakchi connaît un franc succès parmi le public chleuh. Avec la Raïssa Tihihite , l’étoile d’origine, et le Raïs Aglaw, il fait partie de la nouvelle génération des Rways qui chantent l’amerg lajdid (la nouvelle chanson) qui, tout en se caractérisant par l’introduction d’instruments de musiques modernes,ne change pas pour autant l’identité musicale des troubadours de Sous.

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Le ribab est l’instrument central de cette musique berbère : c’est lui qui lui permet de garder son cachet original. Le joueur du ribab prélude de deux manières : soit en montant des gammes « tlouâ » , soit en brodant la note « Do » ; « Astara ». A la fois troubadours et trouvères, les danseurs chleuhs sont aussi des chanteurs qui interprètent les œuvres des poètes de la montagne : vieilles mélopées, chansons nouvelles. Aux tremblements d’épaules correspondent les trilles du ribab. L’introduction du ribab monocorde dans l’orchestre chleuh peut passer pour un trait de génie, tant il donne à cet orchestre un timbre original, une allure pittoresque, une force expressive qu’il n’aurait pas sans cet instrument. La corde vibrante est constituée par une mèche de quarante à cinquante crins de cheval (sbib). Les sons produits constituent un curieux amalgame de notes fondamentales et d’harmoniques. Il en résulte un timbre aigre – doux qui rappelle les sons de la flûte.

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Dans une société où la culture littéraire est d’un grand prix, où elle appartient à tous, où les poètes amateurs sont nombreux, bref, où l’on sait apprécier l’œuvre d’une belle venue ;le poète doit s’affirmer bon littérateur dés le début du poème. Le poème est un discours Awal écoulé dans une forme métrique N’dam. Une poésie où s’affirme la primauté de la musique sur les paroles, d’où le recourt au refrain lancinant pour rythmer chaque strophe. Dans tout chant, il y a un sens caché, une signification symbolique. L’intelligence du texte est aussi fonction de la culture du public comme le dit le poète chleuh : celui qui sait comprendre, comprendra !

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En nous accordant un entretien,à l’issue de soirée musicale à Sidi AhmadOu Moussa, le Raïs Aglaw était à peine audible : l’extinction de la voix est à la fois bénie par le saint et désirée par le chanteur, car elle symbolise la mort des vieilles cordes vocales indispensable à la renaissance d’une nouvelle voix,à la fois neuve et vigoureuse, pour le restant de l’année.

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Les troubadours de Sous, se produisent dans la plupart des moussem du sud marocain. Ils plantent généralement leur théâtre au parc forain qui constitue la partie ludique  et profane de la fête patronale. La Raïssa Amina dont le répertoire fait partie de la nouvelle chanson berbère en vogue, chante d’une voix naïve et belle les mots simples de l’amour du terroir et de ses symboles sacrés. Mais par delà leur voix, les Raïssa  apportent un plus avec leurs diadèmes magiques,leurs caftans bariolés et leur chorégraphie improvisée. L’improvisation musicale constitue , en effet, avec la participation du public, un des traits majeurs de cet art populaire.

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Grâce à l’effet cassette aussi bien audio que vidéo leur audience est infiniment plus grande. Cet exemple montre que la culture est toujours ambulante, déplacée et en mouvement. Soit que sa déambulation voyageuse se fasse comme autrefois en carriole, soit que la circulation de la culture traditionnelle empreinte la voie des ondes et des bandes magnétiques. En ce sens les Raïs sont les véritables unificateurs de la culture berbère.

La Maison d’Illigh

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La Maison d’Illigh est un des principaux pourvoyeurs de nègres acheminés par les caravanes à travers le Sahara. Une grande moitié des valeurs apportées du Soudan le serait sous la forme d’esclaves noirs. Ces esclaves transitaient par les moussem et particulièrement celui de Sidi Ahmad Ou Moussa. Un vestige de ce rôle se perpétue en ce qu’Illigh préside encore aujourd’hui la fête des esclaves en dou lqiâda en l’honneur de Bilal affranchi par Abou Bakr.

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Le fondateur de la Maison d’Illigh, Abou Hassoun Semlali (dit « Bou Dmiâ »), est l’un des descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa. Il serait arrivé dans cette région en provenance du Sahara. Selon la légende, il aurait choisi de s’établir à Tazerwalt parce qu’il avait trouvé le lieu « convenable » :

«  Abou Hassoun Semlali était à la chasse quand il s’est arrêté à cet endroit. Il a chassé une gazelle et après l’avoir immolé, il a suspendu sa carcasse à un arbre jusqu’au lendemain. Sa viande n’ayant pas été affectée par la chaleur, il dit à ses compagnons :

-         Cet endroit est convenable (Iliq, en arabe)

C’est ce mot arabe d’Iliq qui signifie « convenable) qui a donné le toponyme d’Illigh. »

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Vers 1638, Ali Bou Dmiâ , petit fils de Sidi Ahmad Ou Moussa, allait étendre le pouvoir de la Maison d’ Illigh, au port de Massa et à celui d’Agadir, en y établissant un comptoir commercial pour les échanges avec la Hollande, la France et l’Angleterre. A cela s’ajoutait son quasi monopole sur le commerce transsaharien avec la Guinée et le Soudan.

On date la venue des premiers juifs à Illigh vers 1620. L’extension du commerce nécessitait l’entremise des juifs. C’est lors de la grande épidémie de peste qu’on les a autorisé à enterrer leurs morts en arrière d’Illigh c'est-à-dire à l’Ouest de manière à ce que les musulmans d’Illigh ne fassent pas la prière tournés vers un cimetière juif. Il seraient originaires de l’Ifran de l’Anti – Atlas qui est l’un des principaux relais de l’axe atlantique transsaharien qui part de l’Oued Noun, seguiet el hamra, Oued Eddahab, traverse Waddane et Wallata pour aboutir à Tombouctou. Cette route célèbre est connue sous le nom de Tariq Lamtouna. En perdant sa fonction commerciale, de lieu de transit pour le commerce transsaharien,la Maison d’Illigh tomba en ruine.

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Depuis la construction des remparts de Tiznit par Hassan 1er et l’affirmation d’un établissement durable du makhzen dans cette ville, bon nombre de juifs des Mellahs de Sous y transférèrent leurs familles , leurs biens et leurs boutiques. Il est naturel qu’ils recherchent un maximum de protection. Ceci est le signe d’une substitution de prestige et de pouvoir d’Illigh à Tiznit. Le 28 avril 1886, Hassan 1er écrit à Hucein Ou Hachem :

« Nous vous envoyons le porteur, notre cousin Moulay Srour, pour accomplir en notre place le pèlerinage au tombeau du Cheikh Sidi Ahmad ou Moussa et à ceux des hommes vertueux aux qualités de piété, de générosité et de bonté qui sont enterrés là. Il est accompagné d’un intendant de notre entourage chargé d’acheter les animaux et de les sacrifier à titre d’offrandes à Dieu, auprès de ces sanctuaires vers lesquels se tournent dés le matin, les espérances. »

Le moqadem de la zaouïa nous invita la veille à filmer  l’invocation de clôture sur la montagne, au quelle notre équipe s’est rendue dés le levé du jour(c’était au mois d’août 1997). Après l’invocation collective sur la montagne, tout le monde a décampé pour se rendre ailleurs, jusqu’au prochain mousem.

Abdelkader Mana

15:03 Écrit par elhajthami dans Histoire, Musique, religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : tiznit | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

TAFRAOUT

I D E R N A N E
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La fête saisonnière de l'Anti-Atlas

Au milieu des montagnes tourmentées de l’Anti – Atlas, le jour se lève sur Tafraout, toponyme qui figure parmi les plus fréquemment relevé en Berbèrie et qui signifie l’auge où les chèvres et les brebis viennent s’abreuver. Tafraout entourée d’un chapelet de villages aux maisons souvent vides mais auxquelles ses habitants d’origine restent attachés même s’ils ont réussi à faire fortune ailleurs. C’est à Tafraout que le Soussi oublie ses soucis, en retrouvant les parfums et les airs qui ont bercé jadis sa prime enfance. C’est là que chacun se réconcilie avec ses racines et son identité profonde.

A l’herbe des prés l’amandier en fleur a dit :

A quoi bon désirer l’eau ? Ô fleur voici l’abeille !

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Lorsque les amandiers en fleurs donnent aux valets de l’Anti – Atlas leur aspect presque riant et au moment où commence le gaulage des olives, la fête des idernane a lieu juste après le jour de l’an du calendrier julien : c’est ras- el- âm, le jour de l’an berbère, cette porte de l’année agricole qui correspond au 13 janvier du calendrier grégorien, qui donne le départ à ces fêtes saisonnières qui permettent aux vallées de l’Anti-Atlas de sortir progressivement de la mort hivernale à la renaissance printanière. La fête des idernane commence en tribu Ida Ou Samlal le jeudi 15 janvier ; les autres tribus la célèbrent ensuite jusqu’à la mi – mars. C’est une fête qui dure trois jours : le jeudi, le vendredi et le samedi. Que sont les idernane ? Ce sont les baignés faits de patte que l’on cuit dans le plat à pain enduit au préalable d’huile d’argan. Ce jour – là on mange aussi les moules séchées achetées sur le marché : les villageois préparent les crêpes ainsi que les moules qu’on appelle waïl en berbère, bouzroug en arabe. Ils s’invitent entre eux et le soir venu a lieu la fête dans le douar. Au sommet du djebel el Kest, qui surplombe Tafraout ainsi que la célèbre vallée d’Ammeln, au tout début du mois de janvier 2004, nous avons assisté à cette fête du calendrier berbère qui a coïncidé cette année avec la fête lunaire du sacrifice abrahamique.
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La trêve des idernane

Perché au sommet du djebel el kest , la plus haute montagne de l’anti – atlas, qui culmine à 2300 m , le village de Tagdicht fait partie de la fraction des Aït Smayoun, qui surplombe la vallée où coule par intermittence l’oued Ameln au pied de la muraille semi – circulaire de l’adrar el kest : c’est par rapport à l’oued qui coule au milieu de la vallée d’Ameln que se répartissent les douars. Il y a ceux en amont de la rivière qui appartiennent  au domaine du haut, afella ou assif, et ceux  en avale de la rivière qui appartiennent au domaine du bas, agouns ou assif. Les premiers formaient le long du djebel el kest une alliance des montagnards dénommée le leff des Tahougalt qui s’opposaient aux villages de la vallée qui formaient le leff de Tagouzoult. Ces deux leff antagonistes ne connaissaient de trêves que durant les fêtes des idernane, comme nous l’explique notre hôte au village de Tagdicht :

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Jalahi Abed, le patriarche de Tagdicht, notre hôte
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Tagdicht
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« L’occasion des idenane, quelle en est la cause ? Les famines et les guerres ! Il y avait la famine et on guerroyait d’un village à l’autre, d’une tribu à l' autre. Les Oulémas de Sous se sont alors réunis à Igourdane et ils ont cherché à établir une trêve, pour que les gens puissent faire leur marché en paix. Ils ont donc appelé cette trêve « la trêve d’idernane » : deux représentants de chaque douar avaient signé ce pacte. De sorte que quiconque veut se rendre au douar ne puisse être muni d’armes, ne serais-ce que d’un simple couteau. Il peut ainsi se rendre au douar avec confiance. Et ils ont commencé à Igourdane. Le 8 janvier commence idernane à igourdane, suivi de Tagenza, la semaine d’après, puis  vient le tour de Tagdicht où nous sommes . Cette fête mettait ainsi fin à l’opposition entre les leff de Tahougalt et celui de Tagouzoult. Le leff de Tahougalt défendait son territoire et celui de Tagouzoult également. A partir d’Aït Smayoun à Ida Ou Samlal , c’est le leff de Tagouzoult. Et de Tazoult à Aferni , c’est le leff de Tahougalt. On fête idernane en recevant les invités avec les crêpes : les femmes arrivent le jeudi, les hommes le vendredi. Et on commence à danser l’ahouach l’après midi jusqu’à très tard le soir. »
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Lors de la fête nocturne les jeunes chanteuses ont la tête entièrement recouverte par un voile collectif qui les relie entre elles qu’on appelle chéch. Ce voile collectif semble être imposé par les vieilles zaouia et écoles coraniques de la région. Ce voile collectif imposé par les hommes limite l’expression chorégraphique des femmes. A cet égard, le Sous se répartit en deux sortes de tribus : celles dont l’ahouach (danse collective) des femmes se déroule sans voile et qui excellent dans la danse et le chant et celles qui dissimulent leurs corps sous un voile collectif de sorte qu’elles ne laissent paraître de leur beauté physique  que les mains enduites de henné et recouvertes de bijoux (les jeunes nubiles se produisent ainsi pour les beaux yeux de l' éventuel future, les femmes mariées sont de simples spectatrices).Ici, le corps des femmes est marqué d’interdits ; on nous a même empêché de filmer les spectatrices. Et comme nous avions voulu filmer les traditions culinaires de cette fête des idernane ; on nous a promis par politesse d’accéder à l’espace intérieur réservé aux femmes, mais c’était juste une promesse qui n’a pas été suivie d’effet. De manière symbolique, le seuil, al-atba , marque la limite à ne pas franchir .

Résurrection des fleurs sauvages

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Le poète Mohamed Kheir Eddine , né dans cette vallée d’Ameln, plus précisément au  village d’azrou ouadou (le rocher du vent) s’était élevé à son retour d’exile contre ces traditions étouffante tout en exprimant de la nostalgie pour ces musiques naïves et attendrissantes qu’il a connu dans son enfance. Une enfance où il n’avait connu de la femme que son voile noire et son fagot de fourrages sur le dos :

La femme portant la montagne sur le dos

La femme naissant du creux moite de l’omoplate

Des moutons sacrifiés sur l’ardent miroir fauve

Mère ! Issue des plantes fourragères

Je vais par ce chemin abrupt atteindre tes yeux baies

Et très haut une lune peut – être qui pose ses nasses

Avec sa langue embrassant les étoiles

Morte ?! Non. Fatiguée de l’amour acre non consommé

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C’est en ces termes que dans sa « Résurrection des fleurs sauvages », que Mohamed Kheir Eddine rend hommage aux femmes de ce pays qui est le sien. Et « on arrive dans son pays, écrivait – il , plein de bruits des mégapoles, de la furie des mers et baignant dans les espaces immenses. Quel miracle ! Après les vins forts de l’errance que les brocs de petit lait saupoudrés de teins moulu. On refait connaissance avec la moindre poutre, la moindre marche. On redécouvre les pièces visitées en rêve, exiguës et ténébreuses. On est véritablement à l’écoute des musiques de l’enfance. »

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Les commerçants des villes bâtissent ici des villas en béton dont ils confient les clés à des allogènes et où ils ne viennent habiter qu’une quinzaine de jours par an, à l’occasion de mariages. Au pays reste la femme : c’est elle qui cultive la terre, c’est elle qu’on voit arracher de l’herbe en flanc de montagne. Curieuse économie à deux branches : l’agriculture et le commerce dont l’une, la complémentaire s’est développée au point de devenir la principale. Au pays d’Ameln, l’émigration a dispersé les hommes au point qu’on a du faire appel à l’ahouach des hommes de la tribu voisine d’Amanouz. Dans son improvisation poétique, le poète fustige l’avarice qui fait de l’accumulation de richesse le but ultime de la vie. L’avare ne peut s’adapter à la vie sociale : Dieu lui a interdit de goûter au miel des choses. Dans une fête où l’assistance est faite principalement d’épiciers et d commerçants ayant bâti leur richesse à force d’épargne, l’évocation de l’avarice paraît un clin d’œil qui ne manque pas de sel. Un simple recensement des invités nous convainque de leur origine social : tailleur à Tanger, buraliste à Casablanca, épicier à Rabat, restaurateur à Tafraout, propriétaire de supermarché dans la banlieue parisienne : ils sont tous revenus au pays à l’occasion de l’aïd el kébir et ont choisi de prolonger leur séjour pour participer au village, aux environs de Tafraout, à la fête saisonnière de l’Anti – Atlas. Contrairement au Haut – Atlas où nous pouvions interroger des femmes d dévoilées sur leur chant et leur danse, dans cet Anti – Atlas puritain, on a dû ruser pour filmer furtivement au loin, des femmes voilées.grenier.JPG

Dans le Sous, la femme reste la gardienne de la culture et de l’agriculture. De tout temps la femme berbère a été pourvoyeuse des significations du monde. C’est elle qui inculque aux très jeunes enfants la culture ancestrale que l’homme trop paresseux quand il n’est pas occupé dans les mines d’Europe ou les épiceries de Casablanca ne leur dispense pas. Cette culture se donnait comme un travail de patience et de méthode qui consiste à nourrir le cerveau de l’enfant de la geste symbolique tout en lui faisant connaître les beautés diverses et immédiates de la terre.

Abdelkader MANA

15:01 Écrit par elhajthami dans Documentaire, Musique, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tafraout | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

AGADIR

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Les greniers collectifs de l'Anti - Atlas

Dans le Sous les régions  montagneuses  sont connues par leurs greniers collectifs (Igoudar , en berbère, pluriel d’ Agadir) . Le rôle que jouent ces greniers collectifs de l’Anti-Atlas s’explique aisément par les conditions de vie d’un pays où les hommes ne peuvent subsister qu’en amassant les provisions dans les années d’abondance en prévision des années de sécheresse et de famine. Jadis, on avait édifié également ces Agadirs pour que les femmes et les enfants s’y réfugient en temps de siba , d’anarchie et de guerres intertribales. Ces Agadir qui servent toujours de banque d’épargne, retiennent aujourd’hui notre intérêt pour leur architecture exceptionnelle : vieux de mille ans, leur beauté rustique en fait l’un des principaux patrimoine historique de la région de Sous.

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Au loin se profile le mont adrar qui surplombe à plus de 2000 mètres d’altitude l’assise territoriale de la tribu Touska aux environ de Tafraout. Entouré de trois villages telle une forteresse, voici le grenier collectif Tasguint où les villageois de la tribu mettent leurs moissons de blé et leurs récoltes d’amandiers. Maintenant la plupart des villageois sont épiciers à travers les villes du Maroc. Cette tribu de Touska comprend sept greniers collectifs : Dougadir, Tasguint, Agdil, Touliline, Tidza et Issil. Nous avons visité celui de Tasguint , l’Agadir millénaire qui a servi de modèle à tous les autres .
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Chaque tribu ou grande fraction a sa forteresse - grenier, souvent située sur des hauteurs imprenables. Elles est disposée à l’intérieur en forme de rue étroite sur laquelle s’ouvre sur trois ou quatre étages deux rangées de chambrées dénommées ahanou, où l’on met en abris récoltes et objets précieux de la famille. Une réglementation juridique  compliquée  qu’on appelle luh(table de la loi  parce qu’ elle était inscrite sur des planchettes au départ), fixait minutieusement les droits et les charges des usagers. De l’administration de ce makhzen (magasin) dépend chaque jour la vie matérielle des villageois.
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Comme tout autre Agadir de la région, celui de Tasguint ne peut être ouvert qu’en présence de deux clés se trouvant dans deux douars en contrebas. Sans le consentement des villageois concernés, ce grenier collectif ne peut être ouvert. Pour assurer le contrôle chaque douar dont les habitants disposent de chambre dans l’Agadir délègue des membres qui se relaient pour la surveillance de nuit : ils arrivent à six heures du soir et repartent à six heur du matin. Si quelqu’un enfreint la réglementation de l’Agadir on recourt aux notables qu’on appelle inflas en berbère : c’est eux qui ont rédigé les lois coutumières en vigueur et qui veillent à leur application jusqu’à nos jours. En cas d’infraction, les douze membres qui veillent sur l’Agadir se réunissent et prononcent leur sentence à l’encontre du contrevenant pour qu’il paie l’amende sans quoi l’accès lui est formellement interdit même s’il dispose d’objet précieux dans l’une des chambrée du grenier collectif. Les notables, en présence de l’amine et des gardiens assistent à l’acquittement de la dette par l’individu condamné, sous la forme d’une vache, d’une chèvre ou d’un bélier. Tout le monde reconnaît ainsi qu’un tel s’est excusé en sacrifiant.Au grenier collectif, on dépose les bijoux en argent, en or ou encore du miel; des objets dont on ne se sert qu’une à deux fois par an. Ce sont les objets les plus précieux qu’on dépose à Agadir.

Abdelkader MANA

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14:55 Écrit par elhajthami dans Arts, Histoire, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : agadir | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Légendaire Massa

Massa Terre de Légendes

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TABAL

Le poisson ne se lave pas le visage dans la mer

La mer est son visage lavé

Depuis le blanc- sel, depuis ce bleu- éternel

Moubarak Erraji

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Le toponyme de Massa est déjà indiqué sur la plus ancienne carte, celle de Ptolémée. Si on admet que les Phéniciens possédèrent cinq comptoirs commerciaux sur les côtes marocaines au sud du Cap Ghir, il est probable que le port de Massa fut choisi par ces navigateurs de la première heure. Sur ces côtes marocaines, les marins berbères s’accrochent au moindre abri pour y fonder de petits ports de pêche. Massa est traversée par l’oued sur environ 150 kms. Les villages avoisinants en profitent énormément. Ils se succèdent tout le long de la rive sud-ouest et de la rive nord-ouest. Sur les bords de l’oued se pressent une quinzaine de villages construits à mi-pente sur la falaise escarpée de la rive gauche. Le jonc prolifère dans le lit même de l’oued et fournit la matière première à l’artisanat du nattage qui fait de Massa le premier fournisseur en nattes des mosquées du  Royaume. C’est une activité ancienne qui se transmet de génération en génération. L’eau qui fait vivre la plaine provient soit de l’oued lui-même, soit des puits et des sources. L’eau de l’oued est très légèrement salée. Celle des puis et des sources est douces. Les champs irrigués prennent l’aspect de véritables fourrés où les sangliers de la montagne viennent se réfugier. Les livres d’histoire signalent que Massa produisait de la canne à sucre du temps des Saadiens. Au temps des disettes les gens venaient directement à Massa en raison de l’abondance de l’eau, celle de l’oued Massa et aussi en raison de nombreuses sources.

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Chaque vague est un ancien pêcheur

Mort de noyade

La vague peut-elle se noyer en elle – même ?

La mer est plus langue qu’une canne de pêcheur

Ce n’est pas moi qui le dis

Ce sont les fuites d’eau au travers les mailles du filet

Moubarak Erraji

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L’embouchure est très belle : la mer pénètre à des kilomètres en profondeur en amont de l’oued Massa. Il reste encore des vestiges et des traces de l’ancien port que se soit en amont ou en aval du fleuve. Les origines de ce port remontent aux Phéniciens, aux Carthaginois et aux Portugais. Il fut fréquenté jusqu’à l’époque Saâdienne et au début de la principauté de Tazerwalt. On accédait au port qu’on appelle al-Forda en arabe,par l’embouchure avant son ensablement, pour transporter soit les marchandises, soit les armes.

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Des sacrifices sont également offerts à cet oued surtout au niveau d’Oggoug, c'est-à-dire le barrage situé au niveau d’ Agdal-Massa. Chaque année on sacrifie à cet endroit , pour obtenir la baraka de la sainte lalla Riqya ,fille d’Ahmed Sawabi. On accorde ainsi leurs part aux saints patrons de Massa. Les anciens pêcheurs se souviennent encore des chants qu’ils clamaient lors de la pêche à la pirogue berbère du nom d’agherrabou . Le mot était connu sous cette forme de Cap Juby à Safi. Le mot a pu être rapporté au grec et au latin carabus . Les saints enterrés en bord de mer ont leur part de capture des agherrabou. Les pêcheurs ne peuvent ni vendre, ni partager les poissons, sans accorder leur part de poissons aux saints. Ils disent : « Voici le poisson de Sidi wassay ! » En le rejetant au loin sur le sable. « Cet autre poisson est pour lalla RahmaYoussef ! » pour qu’elle les aide face aux tempêtes maritimes. Ce n’est que par la suite que les pêcheurs peuvent vendre leurs captures.

Abdelhadi, le parolier des Izenzaren qui vient souvent en marin chercher l’inspiration à Sidi wassay chante :

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Me voici mettant ma pirogue face aux vagues

L’écume des vagues couvre ma pirogue

On ne sait ce qu’on va trouver

Derrière les vagues et derrière les îles

Le rouget, c’est en haute mer qu’on le capture

Au bout d’un filet qui vibre comme un rebab

 

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Dans les douars côtiers, c’est la pêche qui prime sur l’agriculture. La plupart des marins cultivent la terre pendant la mauvaise saison. C’est surtout la crainte de la houle qui paralyse la pêche pendant l’hiver. La vie maritime semble s’être retirée de Massa en raison de l’ensablement. Tifnit est maintenant le port où arrivent les pirogues chargées de poissons. C’est là qu’Oqba Ibn Nafiî s’est arrêté face à la mer. Le grand conquérant arabe avait prié son Dieu en ce lieu. Les princes s’y rendaient pour renforcer leur pouvoir. Ibn Khaldoun rapporte des légendes qu’on n’a cessé de répandre depuis qui représentent cette région comme le lieu d’où viendront l’imam el Mahdi et le Doujjal (l’antéchrist) :

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« Les gens disent que le Mehdi surgira au fond de quelques lointaines provinces au bout du monde civilisé, par exemple au Zab en Ifriqiya ou dans le Sous marocain. Des gens simples vont en pèlerinage au ribât de Massa dans le Sous. Ils espèrent le rencontrer là, persuadés que c’est là qu’il va apparaître et qu’ils lui prêteront serrement d’allégeance. Au début du 13ème siècle,  et sous le règne du sultan mérinide Youssef Ibn Yaâkoub, un soufi pratiquant vint au ribât de Massa. Il prétendait être le fatimide qu’on attendait. Beaucoup de Znaga et de Gzoula de Sous le suivirent. Il était sur le point de réussir lorsque les chefs des Masmoda craignirent qu’il ne vint à menacer leur autorité. L’un d’entre eux, de la tribu des Seksawa lui dépêcha un tueur à gage et l’assassinat. Ceci fit échouer toute l’affaire. »

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La sanctuaire de Sidi Wassay situé sur la rive sud de l’oued Massa, de son vrai nom Abderrahman Rondi par référence à la ville Andalouse de Ronda . Il aurait vécu au 13ème siècle. Il avait quitté l’Andalousie pour Fès et de là à la tribu berbère d’Issafen N’Aït Haroun. Il y laissa un enfant et vint s’établir à Massa où il fut enterré au bord de la mer pour que sa baraka produise des pêches miraculeuses et protège les rivages  des ennemis qui viennent de la mer. Le surnom de Wassay signifie d’ailleurs en berbère « celui qui protège des dangers de la mer ».

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Le rocher de Jonas est également l’objet d’un culte jusqu’à nos jours sur les rivages de Massa. Entre sable et eau le rocher est parfois recouvert par le flux des marées. Pour le professeur Bassir, originaire de Massa : « Ce n’est peut-être qu’une simple légende, mais il n’est guère hors de portée pour le Seigneur de faire advenir Jonas des rives orientales de la Méditerranée à ce ribât de l’Atlantique. Jonas fut avalé par une baleine pour une action blâmable envers Dieu. Et c’est sur ces rivages que la baleine l’engloutit d’une manière ou d’une autre . Un plant de courge poussa alors sur lui comme il est dit dans le Coran :

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« Et nous le jetâmes sur la terre, si maigre qu’il était et nous fûmes pousser sur lui un plant de courge. ». Le yaqtin , ce plant de courge qu’on appelle aussi « légume du Prophète », c'est-à-dire la plante qui a poussé au-dessus de Jonas.

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Selon Léon l’Africain, la mer rejetait ici des cétacés, en particuliers les baleines que les marocains appellent Gaga, comme le prouve leurs carcasses dont on s’est servi pour consolider les arcades et les toitures de la vieille mosquée de Massa. Il y avait un os de baleine à Sidi Wassay qui faisait l’objet de culte et auquel on se frottait pour se débarrasser de certaines maladies. La baleine que rejetait la mer , Léon l’Africain l’avait vu de ses propres yeux. Il raconte comment il a pu franchir sur dos de chameau une arcade faite d’os de baleine. Les baleines échouaient spécialement sur ces rivages, parce qu’à un ou deux kilomètres au large de Massa se trouvent des écueils acérés, à fleur d’eau : la baleine s’y blessait et finissait par échouer sur la plage.

Abdelkader MANA

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La Rihla et le Ribab

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La Rihla et le Ribab

Par Abdelkader Mana

Dites, honnête homme
Quel sol mes pieds n’ont pas encore foulé ?
Tindouf, Tata, Tiznit, Agadir
Ou le grand marché des chevaux
Des plumes d’autruches
Et des chameaux à Goulimine ?
Raïs el-Haj Belaïd

Le voyage comme pré - texte, Hâjj Belaïd, le vieux troubadour du Souss, qui errait dans tout le Sud avec son ribab, le savait aussi indispensable pour la poésie : il est la figure emblématique de Tiznit et du Souss. Pour rencontrer son fils, qui tient chaque soir Halqa aux pieds des remparts, nous avons quitté Taroudant et ses oliveraies pour rejoindre l’autre étoile du Sud, Tiznit, cette ville à dimension humaine où tout semble avoir été dessiné en miniature par un orfèvre de fibules berbères plutôt que par un architecte

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Haj Belaid avec son Ribab

Si mes pas me mènent encor de çà de là...[i]

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Allons ! Reprenons la charrue ! Au nom de Dieu !

Attelons la paire de bœufs. La terre familière

Du patrimoine, c'est elle que je cultiverai.

L'ami qui fut mon associé, peut-être

Me laissera-t-il une part de sa prospérité.

Fasse qui veut les jeux du diable,

Agissant sans tête ni cœur !

Amour, Dieu a fixé les liens par le destin.

O soleil de ma vie, ô fleur de juin,

O mon aimée, selon mon cœur et ta semblance.

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Ce poème fut composé par le raïs l'haj Belaïd, dont la renommée est grande. Originaire des Ida Ou Baâquil, tribu à l'E-S-E. de Tiznit, dans le Sous, il avait une soixantaine d'années en 1933. Sa mort semble être survenue après 1945. A son prestige de poète chleuh, maître d'un grand nombre de trouveurs qui firent leur apprentissage dans sa troupe et qui formèrent par la suite leur propre troupe, il ajoutait le prestige du lettré, qui avait étudié à la zaouïa de Sidi Ahmed Ou Moussa (grand marabout de Tazerwalt).

[i] Paulettes Galand-Pernet : Recueil de poèmes chleuhs. Chant de trouveurs Publié par le concours du CNRS aux éditions Klincksieck, Paris, 1972.

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Mokhtar Soussi l'auteur le plus prestigieux de Sous (1900 - 1963).Ses ouvrages disponibles uniquement en Arabe constituent une véritable mine d'informations ethnographiques sur le Sous,(Voir à la fin de cette note la présentation de sa vie et de son oeuvre)

À l’aube de l’indépendance, Mokhtar Soussi publie les quatre tomes d’À travers les Jazoula. Ce récit de voyage dans son pays natal, le Souss, s’inscrit dans la longue tradition littéraire de la Rihla, genre très prisé par les écrivains nomades arabes depuis le Voyage en Turquie d’Ibn Fadlane, en l’an 921, Ibn Joubaïr, le savant andalou (1114-1217) et surtout Ibn Battouta, type même du globe-trotter passé maître dans l’art de tenir un journal de route. Parti de Tanger un 13 juin 1325, Ibn Battouta alla jusqu’à la vallée de l’Indus et aux confins de la Russie et de la Chine.

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Au cours de sa Rihla du Souss, Mokhtar Soussi consigne dans son carnet de voyage tout ce qu’il voyait :

"J’ai ouvert mes yeux sur les lieux, et mes oreilles sur ce qui se dit. J’ai décidé de visiter Tiznit, Agadir, puis Taroudant et les environs de ces trois villes du Souss."

Trois villes qu’il traversa souvent à dos de mulet, en quête d’anciens manuscrits.


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Le defunt Hassan AGLAW et Raissa Kelly

À l’intérieur des remparts de Tiznit, la musique berbère scande, dans les échoppes, la vie quotidienne des cordonniers, des menuisiers, des coiffeurs, des commerçants, de tout un peuple de petites gens et de femmes voilées. Tableau insolite chez les photographes et les disquaires de la ville : l’affiche d’une jeune Française de dix-sept ans qui pose en chanteuse berbère et proclame, en prélude à l’un de ses « tubes » :
« Moi, Kelly, de père et de mère français, je suis tombée amoureuse de la chanson berbère ».

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Raissa Kelly

Au mois de mars, son passage fut une curiosité et son spectacle (elle était accompagnée du ribab du Raïs Aglaou) un franc succès. Une émigration en sens inverse, à la rencontre de l’autre rive et de l’autre vent.

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Par un heureux hasard, le poète même de Tiznit, Ouakhzan Ben Mohamed Sahili, est venu vers nous. Au milieu des palmiers et des chants de coq, non loin de la fameuse source bleue, il nous tint tout un discours de ferveur dans la kasbah du soleil et nous traduisit séance tenante de longs poèmes sur l’émigration du Souss.
L’un des plus anciens poèmes sur l’émigration est la Qasida de Paris, composée en 1936 par Raïs Belaïd le sublime (décédé en 1945, il avait prévu dit-on le séisme d’Agadir). Parti en bateau pour la France, le Raïs fut accueilli à Paris par les Marocains de là-bas :

Certains sont partis en Tunisie,
D’autres à Saint-Étienne,
Et d’autres encore à Paris.
Celui qui émigre pour sauver les siens,
La loi religieuse ne le condamne point.

Il loue l’aide qu’ils apportent à leurs familles restées au pays et les sacrifices qu’ils consentent pour les leurs, allant même jusqu’à s’endetter :

J’ai erré dans le Souss, au pays hahî,
Et dans les hameaux les plus reculés,
Je peux en témoigner :
Même les cimetières,
Ce sont les émigrés de France,
Qui les ont aménagés.
Par leur argent,
Ils ont réparé les coupoles des marabouts.
Par leur argent,
Ils ont entretenu les mosquées.
Beaucoup d’endroits n’ont été sauvés,
Que grâce aux mandats qui viennent de Paris.

Les chants des troubadours du Souss conservent la mémoire de l’émigration. Le travailleur émigré, voyageur professionnel par excellence, est hanté par la nostalgie ; sa poésie est le cri de l’arbre sans racines. En quête de cette mémoire, nous avons suivi l’itinéraire de Mokhtar Soussi qui, jadis, sillonnait sa région natale à la recherche de vieux manuscrits. Surtout nous avons marché dans les pas du Raïs el Hâjj Belaïd, le poète sublime des vallées et des montagnes, l’Andam Adrar qui composa en 1936 l’un des plus vieux poèmes de tradition orale sur la migration vers le Nord.

Ces hommes qui partent travailler dans les mines et les usines laissent derrière eux, femmes, enfants, et tribu. C’est pourquoi le thème de la séparation revient comme une lancinante litanie chez la plupart des Raïs du Souss qui chantent l’émigration.
Dans le poème Je ne te pardonne pas Paris, feu le Raïs Mohamed Damsiri (décédé en novembre 1989) s’identifie aux femmes du Souss qui voit leur mari partir à l’étranger et compare l’avion qui l’emporte à un cercueil :

Je ne te pardonne pas, Paris
Je ne te pardonne pas, Nord
Je ne te pardonne pas, Belgique
Vous nous avez pris les nôtres.
Ô téléphone, réponds-moi !
Je n’ai pas besoin de cadeaux,
La présence du bien-aimé est plus précieuse.
Je ne te pardonne pas, avion
Semblable au cercueil,
Tu emportes sans retour.
Que Dieu bénisse les Chleuhs
Qui travaillent dans les mines et les usines.
J’implore Dieu de nous les faire revenir.
Car les blessures de la séparation,
Rendent notre langue muette.

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Rais Bihti

Dans les campagnes du Souss il n’y a plus que des femmes, des vieillards et des enfants ; le Raïs Bihti, qui lui-même travaille chez Citroën (il est à trois années de retraite), vient pendant les vacances animer les soirées musicales dans le Souss. Militant du regroupement familial, il a bouleversé la communauté des immigrés, surtout à Aglou et aux environs de Tiznit, à telle enseigne que la plupart d’entre eux ont décidé d’emmener leurs épouses avec eux à l’étranger.
Il a, nous dit-on, ému jusqu’aux larmes la moitié des femmes d’Aglou, lors d’une soirée mémorable. Le Raïs Bihti les chante, les comparant métaphoriquement tantôt à une plante fragile qui réclame des soins, tantôt à la terre assoiffée ; il plaint les émigrés d’avoir failli à leur devoir conjugal :

Les biens de ce bas-monde,
M’ont perdu moi-même
Quand je joue du Ribab,
Mon esprit erre autour de la banque,
Et se demande combien d’argent, elle contient ?
Que peuvent pour nous qui partons, les poèmes ?
Nous avons laissé la terre couverte de fleurs,
Mais personne n’est resté pour les arroser.

Depuis lors, certains à Aglou ont choisi de faire venir leur famille en France, d’autres ont rejoint la leur au Maroc. En Occident « la figue de barbarie pourrit au bord des routes » chante Mohamed Damciri, pour qui l’exil est le symbole même de l’impureté :

Ô vent d’Est, ô vent d’Ouest,
Portez le salut à mes frères de l’étranger,
Ils vivent au pays perdu par les hyènes.
J’ai oublié Barbès et Pigalle.
Celui qui les visite restera impur,
Même s’il fait sa prière sur l’eau.


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Rais Amerrakchi

Dans un autre poème le Raïs Bihti évoque une voiture qui vient le chercher :

Quand le chauffeur m’a dit :
« Viens ô Raïs, ton mois de congé est terminé ».
Ma gorge s’est nouée,
C’est souvent ce qui nous arrive, ô mes chers immigrés !

Lui en parle, parce que sa poésie s’impatiente, mais les autres préfèrent s’enfermer dans le silence à force d’absence.

PICT0014.JPGNote sur Mohamed El Mokhtar Soussi

Il est né en 1900 au coeur du Sous. Plus précisement à Dougadir, village de la vallée d’Igli de l’Anti-Atlas, au sud de Tafraout. A partir de l’âge de 11 ans, iI a d’abord poursuivi ses études dans les medersas traditionnelles de Sous :

1911-1918 : Il étudie successivement dans les medersa suivantes de Sous : Illigh à Tazerwalt ; Ighchan au sud de Tafraout ; Bounaâman dans la tribu Aït Jerrar ; Tankourt, dans l’Ifran de l’Anti-Atlas .

1919 : Il rejoint l’université Ben Youssef de Marrakech.

1925 : Il rencontre le salifia Abi Chouâïb Doukkali.

1925-1928 : Etudes à l’université Karaouiyine de Fès.

1928 : Séjourne à Rabat durant un an.

1929 : Il repart vers Marrakech.

1929-1935 : Enseigne dans la zaouïa de son père à Bab Doukkala.

1937 : Enseigne à l’Université Ben Youssef de Marrakech.

1937-1945 : Assigné à résidence à Dougadir, par le Protectorat.

1946-1951 :   Enseigne à la medersa-université Ben Youssef et dans la zaouïa de son père à Bab Doukkala.

1952-1954 : Il est emprisonné dans les lointaines montagnes arides d’Aghbalou N’ kardous (province de Rachidia) en compagnie, entre autres, de Mehdi Ben Berka et de Mohamed El Fassi.

1956 : Il est nommé ministre des Affaires religieuses du Maroc indépendant.

1960-1963 : Il commence à publier ses ouvrages.

1963 : Il décède dans un accident de la circulation.

Mohamed Mokhtar Soussi nous a laissé une abondante littérature sur le Sous, qui est publiée en partie mais qui reste à l’état de manuscrits en une autre. C’est une véritable mine de connaissances ethnographiques sur le Sous , la Maison d’Illigh, les anciennes medersa et bibliothèques ainsi que leur trésor de manuscrits. Mais ses ouvrages n’ont jamais été traduits en Français. Les richissimes commerçants  de Sous sont très fiers d’El Mokhtar Soussi, mais ils sont incapables d’investir un centime dans la culture et encore moins dans la production d’ouvrages sur leur région. Parmi les ouvrages les plus connu d’El Mokhtar Sousi (ils sont disponibles uniquement en Arabe), on peut citer :

« Al maâsoul », paru en 20 tomes, entre 1960 et 1963.

« Sous Al – Âlima », publié en 1960 puis réédité.

« Min Afouah Rijal », en 10 tomes, Tétouan 1962.

Illigh qadiman wa haditan. Rabat, 1966.

Mouâtaqal Asahra. (Première partie), Rabat 1982.La deuxième partie est encore à l’état de manuscrit.

Madaris Sous Al Âtiqa, nidamouha wa Asatidatouha, Tanger, 1987.

Rijalat al îlm al ârabi fi Sous, Tanger, 1989.






14:33 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

26/04/2012

Le conteur de Marrakech

Le conteur de la Koutoubia

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Le comédien Mustapha Khalili

   Loin des bruits de Jamaâ Lafna, sous la paix et le silence de la Koutoubia, le conteur. Son public l’entour, comme les cils entourent les yeux. Au loin, les palmiers , les montagnes enneigées, le ciel bleu. La plaine lune scintille au milieu du jour. Ba-Miloud peut commencer :

- Quand le Calife du temps embrassa la terre pour la remercier des bienfaits qu’elle prodigue aux hommes, les maudits se taisent ! …Vous vous souvenez de ce passage ?

- Recommence depuis le début lui crie-t-on dans le public.

- Si le mensonge était une preuve, la vérité est plus salutaire

 Une meute de chiens aboie, un âne braie interrompant la narration.

- Voici l’âne, voici les chiens, il ne manque plus que le coq !...

poèsie

 Il y a constamment un va et vient entre le récit du conte et le commentaire de ce qui se passe tout autour.Ici, c’est le muezzin qui interrompt le conte par sa prière.Le conteur, c’est celui qui parcourt une géographie imaginaire, qui relate l’histoire des royaumes disparus, ou qui n’ont jamais existé. Le livre jaune reste un mort parmi les morts, s’il ne trouve pas de conteur professionnel qui peut le ranimer en donnant aux chevaux en cavalcade des sabots d’or :

poèsieJe ne lis pas, j’improvise avec mon propre style.Je dialectise l’arabe classique pour me aire comprendre des illettrés. Ce sont pour la plupart des artisans qui ont laissé leurs ouvrages au marché de la crié avant de me rejoindre. Je n’apprends pas par cœur :la parole est infinie, il n’est pas facile de la parcourir. Jamais huit tomes ne peuvent être racontés par une seule bouche. A moins d’être un Ibn Khaldoun. Chaque soir, je rapporte un épisode d’une légende qui peut durer plusieurs mois :j’exerce comme conteur depuis 1958 . Lorsque tu dis : « Ce conteur est mort », c’est la fin du conte :il en surgit un autre du milieu de la place…

   Une autre mémoire se substitue au néant. Cette durée de l’imaginaire n’existe que par la voix du conteur. Le conte est constamment recréé par la communauté de l’espace imaginaire, qui est d’ici et de nul part. La « Sira », c’est le temps à la fois figé et éternel du conte. C’est un voyage suspendu au souffle du conteur, qui transporte les auditeurs en dehors d’ici et d’eux-mêmes. Le conte se situe dans une durée rituelle entre deux prières : La « Sira » de l’étoile polaire et celle de Saladin.   Abdelkader Mana

Article paru à Téléplus, n°13, Mars 1991

 Repris in Cahiers d’études Maghrébines  N° 15, 2001, p143-145, Cologne.

 poèsieSur scène le comédien Mustapha Khalili donnant la réplique au dramathurge TAYEB SADDIKI

13:25 Écrit par elhajthami dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèsie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Carnaval de achoura

Le carnaval de Achoura[i]

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Le prestigitateur de Roman Lazareve

Par Abdelkader Mana

 

Au Maroc, le carnaval qui porte les noms du "Bsat" et de la "Fraja" est aux sources du prè-théâtre de la halka de Jamaâ el Fna et du théâtre moderne d'inspiration populaire inauguré en 1967 par "les quatrains de Sidi Abderrahmane el Majdoub", pièce de Tayeb Saddiki.

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Les comédiens Khalili et Salamat
de la troupe "masrah Ennas"(théâtre des gens) de Tayeb Saddiki

Les bsat dont traite cette pièce se rapportent tous aux personnages burlesques de Jamaâ lafna  des années 1950-1960 : Baqchich, M'sayeh , mais aussi le fameux  Charkaoui (l'homme aux pigeons) et son acolyte labsir(l'aveugle)).Dans "Al Fil Wa Sarawil" ("éléphant et pantalons", par référence à la mode du pantalon "patte-éléphant"), Khalili joue le rôle de  Baqchich et Salamat celui du msayeh.Dans une des scènes on assiste à l'échange suivant:

Baqchich :

Ô M'sayeh ! le poux est originaire d'où ?

M'sayeh :

Frère baqchich,  le poux, sveltesse et délices (par ses morsures !) est originaire d'Essaouira !

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Driss Oumami

Aujourd'hui, 10ème jour de Moharram, on fête en famille dans tout le Maroc l'achoura. On donne l'aumône au pauvre, on met comme le Prophète  Mohammed le khol aux yeux. On fait la paix avec ses ennemis. On offre aux enfants des cadeaux. C'est un grand rite de passage. Depuis maintenant 10 jours et 10 nuits, nous avons entendu dans nos rues le grondement des goubbahi. Hier soir, veille de l'achoura, certaines de nos médina ont résonnées des chant de malhûn et des brioula de poèmes qui mettent en scène la ville. Dans certaines de nos campagnes on a promené des mannequins masqués. Mille traditions recueillies au début de ce siècle par le sociologue Edmond Doutté, célèbrent cette fête. Ed. Doutté a consacré un chapitre de l'ouvrage qu'il publie à Alger en 1908 (et qu'on a réédité récemment à Paris) sous le titre « Magie et religion dans l'Afrique du Nord », au « Carnaval de l'achoura ». Il tente d'expliquer cette fête du début de l'an musulman à la lumière de quelques livres d'ethnologie dont « le Rameau d'or » de Frazer et de monographies écrites par des fonctionnaires du temps de la colonisation. Il postule une sorte d'équivalence entre la notion maghrébine de la fraja et celle du carnaval parce que dans les rites qu'ils décrivaient il y avait des gens masqués, des scènes comiques des rues et l'idée d'iun passage des saisons.
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Driss Oumami

Doutté nous invite a faire avec lui le tour du Maghreb et de la Méditerranée et nous amène finalement à Karbala. C'est un beau voyage de l'imaginaire carnavalesque et tragique à la fois. Ainsi, le jour de l'achoura, on se déguise à Ouargla , les gens se répondent dans les rues les visages couverts de masques. Ce général de carnaval et ses acolytes, qui jouent les pères blancs fait penser irrésistiblement au fameux film que Rouch tourna en 1950 en Côte d'Ivoire. Avec les « Maîtres fous » dans ce film, on voit des immigrés africains jouer les rôles des autorités coloniales Anglaises : ils cassent un œuf sur leur crâne et le blanc d'œuf qui s'écoule sur leur visage évoque la perruque des soldats de la reine  etc.... Un possédé en transe mime le mouvement d'une locomotive. Tout le décor du modernisme, s'installe dans le théâtre carnavalesque de la possession.

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Scènes du film "Les Maîtres fous" de Jean Rouch

Puis Doutté tente d'expliquer ces « curieuses pratiques ». Il y voit « les derniers débris » d'un meurtre rituel d'un dieu de la végétation. Il parle alors des sacrifices agraires, où l'on mettait à mort l'année écoulée pour faire place à la venue d'un « dieu végétant ». Ce rite de mort et de résurrection ; c'est le rite de passage de l'hiver au printemps. Cependant l'achoura tourne avec le calendrier lunaire musulman. Ce qui complique l'analyse : « Lorsque achoura devient une fête du calendrier lunaire, écrit Doutté, elle ne concorde plus avec les époques agricole ; elle  faisait le tour du calendrier solaire. Soit qu'elle eût jadis, réellement été une fête de renouveau, soit que son manque de consistance et son indétermination dans l'orthodoxie musulmane eussent contribué à la faire captation, des rites de l'année solaire qui ne coïncident primitivement avec elle qu'à des intervalles éloignés. Il était naturel d'ailleurs pour des populations qui s'islamisaient, de rattacher au début de l'année musulmane lunaire des cérémonies célébrées depuis un temps immémorial au début de l'année solaire ».

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Driss Oumami

Doutté  propose ainsi , sous le nom de Carnaval, une théorie de la fraja . Mais il y a un manque important dans le beau travail de Doutté. C'est la dakka par toutes les villes et les campagnes. A peine fait-il allusion aux taârija de Marrakech. Il manque aussi la tradition du chant rituel de l'achoura ; celui de Taroudant comme celui de Marrakech et Essaouira. La nuit de l'achoura sera ainsi le nécessaire complément au dossier ethnologique que Doutté consacre au début de ce siècle à cette fête. Voici donc, quelques extraits du travail de Doutté  sur l'achoura. Nous reviendrons demain sur la mise en scène des villes la nuit de l'achoura.

Florilège de l'achoura

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Boujloud
  • L'achoura à Ouargla

A Ouargla, comme dans le restant de l'Afrique du Nord, à l'occasion de la fête musulmane de l'achoura, c'est-à-dire le 10 du mois de moharram, qui est le premier mois de  l'année musulmane. Le soir venu, les habitants se répondent dans les rues, déguisés et le visage recouvert de masques. Ils imitent des types populaires, des animaux, le lion, le chameau ; on voit encore « un général à la poitrine garnie de décorations en fer blanc, aux rubans de couleurs variées, accompagné de son état - major ; il va faire sa visite à son collègue le commandant de la place : après un salut militaire réciproque, les deux officiers font mine de conférer gravement ». Un groupe d'indigènes affublés d'une immense barbe, revêtus d'une longue gandoura, coiffés d'une chéchia ou calotte rouge.

 

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Driss Oumami
  • Chez les Haha et les Chiadma

Dans les Haha , au Sud de Mogador, pour prendre un exemple, a lieu à l'achoura, un carnaval très analogue à ceux que nous venons de décrire : le chameau et le chamelier, le juif, le cadi, sont toujours es thèmes habituels. Mais le personnage caractéristique de la fête est un indigène revêtu d'une peau de bouc[ii], ayant souvent la tête dans une courge percée de deux trous et hérissée de piquants de porc - épic ; à son cou est un collier d'escargots ; il se promène et il danse sous les huées de la foule : on l'appelle «  herma guerga'a »,( le deuxième mot veut dire « noix sèche »), herma bou jloud, comme celui des Benis Snoûs. En même temps, on allume des feux de joie. Dans les Chiadma, au Nord  de Mogador, la fête est très semblable, mais on appelle plutôt herma du nom d'Ech Chouikh, c'est-à-dire « le petit vieux » ; de plus le carnaval a lieu tantôt à l'Aïd El Kébir, tantôt à achoura et le plus souvent aux deux à la fois.

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Boujloud d'Aglou
  • La fraja

La fraja , tel est le nom que l'on donne au carnaval marocain, au moins à Fès et dans le Sud du Maroc, n'est pas la seule réjouissance qui marque la fête de l'achoura à Marrakech : il y a encore pour la plus grande joie des gamins, entre autres distractions, les noua'âr, (pluriel de na'oûra « roue hydraulique », espagnole (noria) , sont de grandes roues en bois montées sur un axe horizontal  et dont la circonférence supporte des compartiments suspendus où peuvent s'asseoir une ou plusieurs grandes personnes : o met la roue en mouvement et les amateurs s'élèvent et s'abaissent alternativement. A Safi par exemple on traîne une carriole, un cheval en bois, sur lesquels on monte pour quelques flous.

  • Au Nord du Maroc

Dans le nord du Maroc, le carnaval paraît également très répondu : nous savons qu'il existe à Tanger ; on l'a signalé à Fès, enfin il a été décrit en détail pour le Rif, pour les Djbala et pour une tribu voisine de la frontière marocaine, les Zkâra. Dans le Rif on représente le Ba Cheïkh (mot qui veut dire, un chef et en même temps vieillard) : c'est un personnage âgé, avec une citrouille sur la tête, une peau de hérisson, en guise de barbe, deux défenses de sanglier de chaque côté de la bouche etc. à côté de lui sa femme est figurée par un individu déguisé, avec des fers à cheval en guise de pendants d'oreilles, un collier d'escargots au cou, un autre indigène représente l'âne, monture de Ba Cheïkh , derrière marche le juif, sordide caricature d'un fils d'Israël.

 

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Driss Oumami
  • A touggourt

A Touggourt, les hommes se tracent avec du henné une ligne qui va de la naissance du nez jusqu'au cou en passant par le sommet du crâne ; ils prononcent en même temps l'invocation suivante : « S'il plaît à Dieu, l'année prochaine je ferai achoura comme cette année ». Sur la question du koh'eul, il semble qu'il y ait quelques divergences d'opinions mais l'usage spécial du  parfums. Pourtant, on croit que celui qui se purifie ce jour-là par le koh'eul ou le henné est purifié pour toute l'année ; celui qui se baigne est exempt de maladie aussi pour toute l'année ; ce jour-là, on se rassasie en une sorte de repas rituel où dominent les fèves et les légumes, car si on ne se rassasiait pas à cette occasion on ne serait pas rassasié de l'année. A Touggourt, on prétend que celui qui ne serait pas rassasié ce jour-là serait obligé, dans l'autre monde, de manger les pavés de l'enfer pour remplir son estomac.

 

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Driss Oumami

 

  • Au Caire

Au Caire, les femmes se réunissent dans une mosquée spéciale le jour de l'achoura, la mosquée de  Hassan et Hussein et s'y livrent à diverses pratiques condamnées par l'orthodoxie ; or nous connaissons quelques rites carnavalesques où les femmes jouent le rôle prépondérant : dans le rite susmentionné, ce sont les femmes qui expulsent la mort ; dans le mythe d'Orphée qui représente probablement un souvenir de meurtre rituel, ce sont des femmes qui mettent en pièces le héros : dans beaucoup des mystères antiques les femmes avaient des cérémonies spéciales. On avait voulu donner de ces faits une explication totémique,, fondée sur ce que dans les sociétés exogamiques primitives, les femmes étant d'une autre classe que les hommes ont un totem différent et doivent sacrifier à part. Il ne semble pas resté des traces de ce rôle des femmes dans le folklore maghrébin : nous avons du reste déjà eu l'occasion d'observer que les traces du totémisme dans l'Afrique du Nord sont extrêmement frustes.

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Driss Oumami
  • Visite aux tombes

A Mazouna, il est d'usage de porter à cette occasion des rameaux de myrtes sur les tombes (rayhân, usage que nous avons aussi observé à Marrakech lors du tournage de « feux de joie » pour la série  documentaire « la musique dans la vie », à la fin des années 1990). A Marrakech, à Mogador, dans le sud du Maroc, on arrose les sépultures à grand eau. A khanga Sidi Nadji, on s'aborde le jour de l'achoura en se jetant de la terre ou de l'eau sur le visage. A Marrakech et dans certaines tribus des environs on allume ce jour-là des feux de joie, analogues à ceux de la ancera . Il en est de même à Tunis : l'orthodoxie réprouve aussi cette pratique. Ces rites du feu, comme les rites de l'eau, ne paraissent pas nécessairement spéciaux à achoura, mais ce sont pour ainsi dire « accrochés » à cette fête qui semble, comme nous le disons, un centre de cristallisation. Au contraire les rites suivants se rapportent tous aux cérémonies carnavalesques.

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Driss Oumami
  • Soltan Tolba

Passion des Dionysos, chacun sait comment le théâtre est sorti chez nous des mystères de la Passion qui se sont peu à peu mondanisés ; or nous savons pareillement que les carnavals du Maghreb ont engendré, nous l'avons vu, une sorte de théâtre rudimentaire, qui ne se borne plus au thème primitif, mais comporte, au Maroc par exemple, des représentations burlesques très variées. De semblables petites représentations sont rares en dehors de la fête de l'achoura et de la fête que nous avons seulement mentionné, du Roi des tolba, très analogue au carnaval et vraisemblablement d'origine semblable. Même la fête de l'achoura n'a pas , chez nos indigènes produit de véritable art dramatique : c'est à peine si on signale en dialecte zénatie les dialogues récités lors de la fête de l'achoura, du Ramadan etc. , par les membres du chaïb achoura, sorte de confrérie théâtrale et satirique qui a beaucoup de ressemblance avec les frères de la Passion et les Enfants sans soucis de la littérature française à la fin du Moyen - Âge.

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Driss Oumami

  • Karbala

On sait qu'Ali, H'oseïn et Ha'san devinrent « le déversoir des besoins mystiques de la Perse. Chaque année les chiites Perses célèbrent la mort de H 'oseïn à Karbala par une série de cérémonies  extrêmement curieuses et que nous ne pouvons décrire en détail ici. Les fêtes durent les dix premiers jours de Moharram : des  descriptions que nous ont laissé les voyageurs, il faut retenir d'abord de nombreux rites de deuil privé et public ; puis le service funèbre qui se célèbre plusieurs fois en grande pompe, au milieu d'une désolation générale : la présence de membres des confréries religieuses qui se tailladent le crâne, se donnent des coups de poings avec un fanatisme sauvage, au cours de processions conduites par un  mollah monté sur un âne et surtout les représentations théâtrales qui ont lieu durant toute cette période et qui ont donné lieu à une littérature dramatique spéciale. Les drames ont toujours pour sujet H'oséïn à Karbala et des épisodes accessoires. Il est remarquable qu'au milieu de ces fêtes on célèbre une cérémonie nuptiale, en souvenir, dit-on, du mariage de la fille de H'océïn avec Qâcim qui, suivant la légende, se maria le jour - même où il mourut à Karbala au côté de H'oséïn, en sorte que des cérémonies de réjouissances se mêlent aux lamentations.

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Karbala

Des rites analogues ont lieu chez les chiites de l'Inde , où des rites du feu se joignent aux autres cérémonies ; les rites de l'eau ne sont pas non plus absents, tant en Perse que dans l'Inde. Enfin, il parait qu'à Karbala même, un condamné à mort, destiné à jouer le rôle de Chemr, assassin de H'oséïn, est tellement malmené par la multitude qu'il est presque toujours lynché. Il n'est pas difficile de reconnaître dans ces cérémonies non seulement les principaux traits des carnavals, mais aussi les caractères d'une véritable Passion dont Ali est le Dieu. H'oséïn est le Christ et le khalife le Judas. Il semble également évident que les téaziés  se sont développées des cérémonies religieuses et ont abouti comme en Grèce, comme chez nous, à la production d'une littérature qui se laïcisera peut-être un jour. Une étude scientifique de la fête de achoura en Perse achèverait sans doute de démontrer ce que nous avons suggérer dans tout ce chapitre, à savoir que les cérémonies célébrées à cette occasion sont les débris d'un antique meurtre rituel, à l'occasion du renouveau : que ces cérémonies ont dégénéré en carnaval dans le folklore du Maghreb comme dans celui de l'Europe, mais qu'en Perse, elles ont failli se développer en rite de rédemption comme dans le christianisme.

·Tayeb Saddiki, le Molière marocain

Le théâtre de Tayeb Saddiki concilie les formes traditionnelles et les exigeances contemporaines: il a travaillé avec Jean Vilar et est un fervent admirateur de Molière. Son théâtre s'inspire aussi bien du patrimoine marocain avec les pièces de "Sidi Abderahmane El Majdoub" et d'"El Harraz" que du patrimoine arabe avec "Maqamat Badiî Ezaman El Hamadani". Il a également écris et joué des pièces dans la langue de Molière: "Diner de gala", "Les sept grains de beauté", "Nous sommes faits pour nous entendre". Il déclarait à propos de son recueil "l'auteur parle, le metteur en scène montre": "J'ai écris ces poèmes, parce que je sais ce que signifie la solitude du comédien. Quand il joue le rôle d'un roi avec un costume fabuleux, il quitte le théâtre après la représentation et se retrouve parfois seul dans son coin n'ayant plus que ses rêves". Chez Tayeb Saddiki, il existe un point commun entre le théâtre - son domaine de prédilection, où son génie s'impose à l'échelle du monde arabo- musulman(il a connu personellement le Shah, Saddam Hussein et Yaser Arafat)- l'écriture et la calligraphie: la mise en scène de la parole. La scénographie. La place de Jamaâ Lafna, lieu privillégié de la culture populaire où Tayeb Saddiki ouvrait symboliquement le prologue de sa pièce sur "Sidi Abderrahman El Majdoub". Sa calligraphie se caractérise par le dépouillement et la pureté des formes. Les traits larges, l'envolée du coup de pinceau de Tayeb Saddiki n'appartiennent qu'aux grands maîtres, qui savent marier la force et la vigueur, à la grande souplesse et à l'extrême douceur.
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Tayeb Saddiki, né le 17 décembre 1938 à Essaouira

Dialectique du clair et de l'obscure, du vide et du plein, où vient s'inscrire la parole du jour et le silence de la nuit. Lettres grandioses au sens énigmatique, descendant du ciel comme une manne ou une foudre, texte illisible où on déchiffre "il n'y a de vainqueur que Dieu". Ecriture fine sur un fond de rigueure géométrique, l'agencement harmonieux de la miniaturisation et de la géométrie en tant que traits fondamentaux de l'art islamique, prend ici une forme inédite, une création qui ne ressemble à nulle autre. Forme voluptueuse, parole infinie; une mémoire se substitue au néant. Théâtralité de la gestuelle, ambiguïté du signe: une alphabet arabe dansant sur une mélodie japonaise. Comme par une espèce de magnétisme invisible, les hommes qui "suivent" la parole divine, les signes aimantés par le nom d'Allah, tout se précipite vers ce foyer de lumière. Les hommes ett leur mémoire s'engouffrent dans le vide. Un vide qui n'est pas un néant, mais l'énergie d'où est né l'univers. De la parole divine est né lemonde, et après sa disparition, son "fana"; restera encore la parole de Dieu. Car elle est supérieure à la parole des hommes; c'est pourquoi elle émerge du tableau comme ces deux initiales "T.H" qui désignent le Prophète: "T.H.Nous ne t'avons pas envoyé le Coran pour te rendre malheureux". Tout commence et tout finit par Dieu; voilà le sens profond de cette calligraphie d'une exécution magistrale où Tayeb saddiki s'affirme, encore une fois, comme un pionnier au Maroc, de la réhabilitation du patrimoine ancien sous une forme nouvelle. Ces dernières années, par amour immodéré pour l'art dramatique, il s'est ingénié à construire le théâtre Mogador à Casablanca.Un théâtre privé ou plutôt "privé de moyens" comme il le dit avec humour.

Abdelkader Mana


[i] Article paru à Maroc-Soir du lundi 15 septembre 1986.

[ii] Boulebtaïn, en arabe et ilmen en berbère dont le pluriel est Bilmawn. Les deux termes signifient « homme vêtu de peaux ». Boujloud ou Bilmawn, ce sont successivement les noms des personnages masqués du carnaval de l'Achoura et de la fête du sacrifice : personnage central de la procession masquée répondant selon les lieux aux noms de Boulebtaïn, Boujloud,Herma, en ville arabophone ou encore de Bilmawn et Bou-Islikhen au Haut-Atlas berbérophone.  Ces processions et mascarades s'intercalent entre le sacrifice et le Nouvel An. Ils sont liés à la fête du sacrifice dans la campagne et à celle de l'Achoura dans les villes. Pour Emile Laoust ces mascarades masquées  constituent les débris de fêtes antiques célébrant le renouveau de la nature, capturée par le calendrier musulman :« Au Maroc, des fêtes carnavalesques d'un genre spécial s'observent partout à l'Aïd el Kébir ; le personnage essentiel s'y montre revêtu de peaux de moutons ou de chèvres. Le Berbère n'aurait - il pas établi un rapport si étroit entre le sacrifice du mouton, ordonné par l'Islam, et la procession carnavalesque d'un personnage vêtu de peaux qu'il aurait vu en ces deux rites, deux épisodes d'une même cérémonie...L'Aïd El Kébir s'est substitué, en Berbérie à une fête similaire qui existait déjà et au cours de laquelle les indigènes sacrifiaient un bélier et se revêtaient de sa dépouille. Si l'on y rappelle que le bélier fut autrefois l'objet d'un culte dont le souvenir s'est conservé tard dans le pays, on voudra peut - être voir dans les mascarades actuellement célébrées à l'Aïd El Kébir, la survivance de pratiques zoolâtriques dont l'origine se perd dans les âges obscures de la préhistoire. »

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Masques et mascarades

Chez les Aït Mizan du Haut Atla, ces peaux sont plaquées à même sur le corps nu du personnage masqué. Celle qui lui couvre les bras est disposée de manière à laisser les sabots pendant au bout des mains. Sa figure noircie à la suie ou avec de la poudre disparaît sous une vieille outre à battre le beurre qui lui sert de masque. Sa tête  est agrémentée de cornes de vache ou coiffée d'une tête de mouton dont les mâchoires écartées par un bout de roseau lui font faire la plus horrible grimace. Une orange garnie d'un bouquet de plumes est souvent piquée à l'extrémité de chaque corne ; des branches de verdure lui couvrent parfois la tête ou les épaules. Enfin deux ou trois colliers, un immense chapelet aux grains fait de coquilles d'escargots, et de puissants attributs de mâle complète l'accoutrement du personnage hideux.  Chez les Jbala on parle plutôt de Ba Cheikh, un vieillard lubrique à la barbe blanche, habillé de « haillons sordides », portant « une peau de bouc en guise de bonnet » et égrenant un chapelet de coquilles d'escargots. Ses organes génitaux sont bien mis en évidence : « une lanière de peau de mouton avec sa laine et deux aubergines entre les jambes, simulant les organes de reproduction ». Telles était les observations qu'avait noté Mouliéras au début du 20ème siècle, à propos de ce qu'il appelle le carnaval djebalien. Il décrit en ces termes les scènes burlesques des masques telles qu'elles se déroulaient devant chaque maison :

« Une fois par an seulement a lieu ce carnaval. Il dure trois jours et coïncide avec la grande Fête des Sacrifices. Le premier jour, les masques se répondent dans les villages, vers midi, et ils commencent leur tournée aumônière, s'arrêtant devant chaque habitation, rééditant invariablement leurs farces après laquelle ils reçoivent ce qu'on veut bien leur donner : du pain, de la viande, des œufs, des poulets, des grains. Inutile d'ajouter que tout le village est à leur trousse, les entourant, les admirant, hurlant de bonheur quand se produit une grivoiserie plus épicée que les autres. »

13:18 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

21/04/2012

Un symbole de la tolérance

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Notre ami bien aimé, Mustapha Anouar, l'Imam et le muezzin de la grande mosquée Ben Youssef d'Essaouira, n'est plus!De son vivant il s'arretait avec son éternelle bicyclette pour me saluer à chaque fois que j'étais de passage dans ma ville: il ne culpabilisait jamais au sujet de la religion, il comprenait parfaitement nos désirs et nos faiblesses humaines.Il était d'une tolérance et d'une ouverture d'esprit qui m'ont toujours étonné.Il était tout simplement comme la plupart des vieux mogadoriens tolérant parce qu'il a vécu dans une ville multiconfessionnelle où on avait pour voisins aussi bien des juifs que des chrétiens; auxquels on devait respect en tant que gens du livre ...

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Si Mustapha Anouar était le digne successeur de l'Imam de cette grande mosquée comme me le relatait mon père à propos de cette anecdote sur la cohabitation des religions à Mogador: « Le prêtre de l’église locale avait l’habitude de se rendre tôt à la plage de Safi, au nord d’Essaouira. Un jour il perdit un gousset plein de louis d’or, non loin de Bab Doukkala. Le grand- père de Ben Miloud, qui était imam à la Grande Mosquée, et qui avait lui aussi l’habitude de faire sa promenade matinale au bord de la mer, découvrit le gousset de louis d’or. Le jour même, il fit appel au crieur public pour annoncer au travers les artères de la ville, que « quiconque avait perdu un gousset ; doit se présenter devant l’imam de la Grande Mosquée pour donner son signalement et son contenu, afin qu’elle lui soit restituée. Le prêtre se présenta devant l’imam et retrouva effectivement son gousset  de Louis d’or intact ».

religion

L'Islam tradionnel au Maroc était tolérant

Au sortir de la prière du crépuscule, un vieux Mogadorien me tend un jeton dont se servaient les barcassiers pour charger et décharger les marchandises entre la porte de la marine et les paquebots qui attendaient au large : côté face « Essaouira » en arabe, côté pile, l’étoile de David. Comme le soulignait si bien le peintre Adrien Matham, qui accompagnait en 1641, un navire hollandais :« Il est à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir celui des Maures : le vendredi ; celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche ».

religion

Dans une ville, les cadres sociaux de la mémoire, ce sont aussi des êtres - aussi discrets que sont les Berbères d'Essaouira face au Makhzen- mais dont nous devons veiller à ce que leur souvenir ne soit pas effacé...Il en va de notre humanité - même en tant que vivants ,de veiller à la mémoire des morts, de nos morts...Dans la mesure où ils constituent les témoins silencieux de ce que nous sommes et de ce que nous serons...dans la mesure où leur disparition nous rappel à la part du divin qui git en chacun d'entre nous : cette part d'amour qui nous relie pour ainsi dire au ciel de la métaphysique et de la transcendance...Et certainement au caractère éphèmère de notre pèlerinage en ce monde et parmi nos semblables..

religion

 Si Hamid Bouhad qu'on voit ici en arrière plan des femmes en haik de la ville,que Dieu lui fasse miséricorde.En apprenant son décès ces jours-ci,j'avais tout d'abord pensé à son homonyme un commerçant de la ville .Mais progressivement les souvenirs remontèrent lentement en surface: il s'agit en fait de mon propre enseignant de mathématique au lycée Akensous au tout début des années 1970! Il n'a jamais quitté Essaouira depuis lors:on pouvait le voir quotidiennement déambuler dans ses ruelles avec son ami Ahmed Othmani le propriétaire du bain Papes: les enfants des Papes étaient nos amis de la plages dans les années 1960.On pourrait ainsi, partant de la figure emblématique de Si Hamid Bouhad retrouver tous nos souvenirs d'enfance et d'adolescence à Essaouira.C'est en fait une part de nous mêmes qui part ainsi avec ces souiris qui n'ont jamais vraiment vieillis malgré le temps qui passe: leur souvenirs rugira longtemps avec l’éternel vent qui balaye ses rivages...

religion

La grande mosquée Ben Youssef dominait l'espace urbain: on la voyait de partout

Quand la forte houle venait à les surprendre, me dit ma mère, les barcassiers se réfugiaient en haute mer. Loin des récifs côtiers où se fracassent les vagues. Ils restaient là, le temps que la tempête s’apaise. En attendant, la ville retenait son souffle.

Quelle idée blessante fait tourner le sable ?

Les vides de son hémorragie

Sont cousus par la montée écumante du sel.

Quelle idée blessante fait tourner le sable ?

Ce qui te fait gronder ô mer

N’est pas la mer

Ce sont les blessures du martyr Hallaj

Quelle idée blessante fait tourner le sable ?

Mille et un clapotis de rames l’apaisent.

Tristesse, joie, tourments:en perdant ma mère, que Dieu lui fasse miséricorde, j'en perdis l’étoile du nord, j'en perdis l’axe du monde !J' en perdis la maîtrise de l’être...religion

Le temps qui passe que symbolisent aussi ces arbres disparus

La ville, ce n'est pas seulement des murs, mais aussi cet espace de sentiments et de souvenirs que nous avons partagé avec ses hommes et ses femmes par delà le bien et le mal...Parce qu'elle est d'abord constitué de suc humain, la ville part ainsi pierre après pierre comme si la voûte céleste elle-même allait s'effondrer sur nos têtes puisque selon une vieille légende berbère en cours dans ces parages : chaque fois que l'ame d'un être humain monte au ciel, une étoile en déscent.En tout cas c'est l'explication qu'on nous donnait enfant, du phénomène des météorites...

religion

Les prières augmentent les lumières des étoiles, et jettent un pont par-dessus la mort.L’étoile polaire scintille à l’horizon. Violent mugissement, plainte pathétique de la houle qui gémit et qui pleure.Une étoile polaire scintille au dessus du rayon vert. Des ombres, tous les soirs, viennent sur les remparts contempler les îles. Frêle humanité qui semble surgir des temps antiques, accentuant l’aspect fontomatique de la ville. Lors de ma dérive au Haut - Atlas, j’ai laissé la porte grande ouverte sur les étoiles; Dehors, pleine lune, chiens errants, coassement de grenouilles, flûte enchantée du pays Haha : Au fond de la plaine qui s’assombrit, des hameaux s’allument ici et là, tandis qu’au firmament scintillent les étoiles. Spectacle sublime qui inspire au vieil Ijioui ces mots énigmatiques :

« Seuls les astronomes connaissent les étoiles, mais la poésie en parle à sa manière : 

Celui qui a des frères, peut arroser les étoiles dans le ciel

Celui qui a des frères, peut semer le maïs parmi les étoiles. 

Sur ce, le vieux poète détacha son âne de l’olivier sauvage et s’en fut par les sentiers fleuris au plus profond des montagnes. Du bord de la rivière d’Assif El Mal, on entend monter le côassement des grenouilles. Mystérieux, le potier-poète chuchote :

« La colonie d’abeilles a quitté sa ruche. Peut-être a-t-elle trouvé un verger fleuri ailleurs ? » 

Ce à quoi son interlocuteur répond énigmatiquement : 

« Qui peut l’attraper ? C’est dans le ciel que les abeilles se frayent leur chemin ».

Les poètes également.

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    Au Maroc, le calendrier agricol est  fondé sur 28 mansions lunaires.Ce sont les vingt-huit manâzil . Plus complètement les manâzil al-kamar, sont les mansions lunaires, ou stations de la lune. Elles constituent un système de 28 étoiles, astérisme ou d’endroits dans le ciel près duquel la lune se trouve dans chacune des 28 nuits de sa révolution mensuelle. Le système des mansions lunaires a été adopté par les berbères, à travers des canaux encore inconnus, puisque le mot manâzil figure déjà dans le Coran (X, 5, XXXVI,39) Voici l’identification astronomique de quelques mansions lunaires citées à travers les dictons du calendrier agricol :

1.     al-nateh, Arietis

2.     al-boulda, région vide d’étoiles.

3.     Saâd Dabeh, capricorni

4.     Saâd al-Boulaâ, Aquarii

5.     Saâd saoud, capricorni

6.     Saâd Lakhbia, aquarii.

7.     Batnou al-hout, andromedae...

religion

 Quand, en 1960, le tremblement de terre frappa Agadir, pendant plusieurs nuits de suite les gens ont dormi dehors : nous passions la nuit à la belle étoile,avec nos voisins, au marché aux grains ! De surcroit le desastre est survenu le jour de l’Aïd El Kébir,si ma mémoire est bonne : c’est cela « le déluge un jour de fête » dont parlait le Mejdoub !

religion

La ville frémit comme un être vivant sous les fracas des houles. La prière des minarets se répand dans la lumière froide du crépuscule, en échos à la prière cosmique du firmament.

« Allons voir la mer

Restons face aux vagues jusqu’au vertige ».

Abdelkader Mana

07:03 Écrit par elhajthami dans religion | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : religion | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook