21/04/2012
Un symbole de la tolérance
Notre ami bien aimé, Mustapha Anouar, l'Imam et le muezzin de la grande mosquée Ben Youssef d'Essaouira, n'est plus!De son vivant il s'arretait avec son éternelle bicyclette pour me saluer à chaque fois que j'étais de passage dans ma ville: il ne culpabilisait jamais au sujet de la religion, il comprenait parfaitement nos désirs et nos faiblesses humaines.Il était d'une tolérance et d'une ouverture d'esprit qui m'ont toujours étonné.Il était tout simplement comme la plupart des vieux mogadoriens tolérant parce qu'il a vécu dans une ville multiconfessionnelle où on avait pour voisins aussi bien des juifs que des chrétiens; auxquels on devait respect en tant que gens du livre ...
Si Mustapha Anouar était le digne successeur de l'Imam de cette grande mosquée comme me le relatait mon père à propos de cette anecdote sur la cohabitation des religions à Mogador: « Le prêtre de l’église locale avait l’habitude de se rendre tôt à la plage de Safi, au nord d’Essaouira. Un jour il perdit un gousset plein de louis d’or, non loin de Bab Doukkala. Le grand- père de Ben Miloud, qui était imam à la Grande Mosquée, et qui avait lui aussi l’habitude de faire sa promenade matinale au bord de la mer, découvrit le gousset de louis d’or. Le jour même, il fit appel au crieur public pour annoncer au travers les artères de la ville, que « quiconque avait perdu un gousset ; doit se présenter devant l’imam de la Grande Mosquée pour donner son signalement et son contenu, afin qu’elle lui soit restituée. Le prêtre se présenta devant l’imam et retrouva effectivement son gousset de Louis d’or intact ».
L'Islam tradionnel au Maroc était tolérant
Au sortir de la prière du crépuscule, un vieux Mogadorien me tend un jeton dont se servaient les barcassiers pour charger et décharger les marchandises entre la porte de la marine et les paquebots qui attendaient au large : côté face « Essaouira » en arabe, côté pile, l’étoile de David. Comme le soulignait si bien le peintre Adrien Matham, qui accompagnait en 1641, un navire hollandais :« Il est à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir celui des Maures : le vendredi ; celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche ».
Dans une ville, les cadres sociaux de la mémoire, ce sont aussi des êtres - aussi discrets que sont les Berbères d'Essaouira face au Makhzen- mais dont nous devons veiller à ce que leur souvenir ne soit pas effacé...Il en va de notre humanité - même en tant que vivants ,de veiller à la mémoire des morts, de nos morts...Dans la mesure où ils constituent les témoins silencieux de ce que nous sommes et de ce que nous serons...dans la mesure où leur disparition nous rappel à la part du divin qui git en chacun d'entre nous : cette part d'amour qui nous relie pour ainsi dire au ciel de la métaphysique et de la transcendance...Et certainement au caractère éphèmère de notre pèlerinage en ce monde et parmi nos semblables..
Si Hamid Bouhad qu'on voit ici en arrière plan des femmes en haik de la ville,que Dieu lui fasse miséricorde.En apprenant son décès ces jours-ci,j'avais tout d'abord pensé à son homonyme un commerçant de la ville .Mais progressivement les souvenirs remontèrent lentement en surface: il s'agit en fait de mon propre enseignant de mathématique au lycée Akensous au tout début des années 1970! Il n'a jamais quitté Essaouira depuis lors:on pouvait le voir quotidiennement déambuler dans ses ruelles avec son ami Ahmed Othmani le propriétaire du bain Papes: les enfants des Papes étaient nos amis de la plages dans les années 1960.On pourrait ainsi, partant de la figure emblématique de Si Hamid Bouhad retrouver tous nos souvenirs d'enfance et d'adolescence à Essaouira.C'est en fait une part de nous mêmes qui part ainsi avec ces souiris qui n'ont jamais vraiment vieillis malgré le temps qui passe: leur souvenirs rugira longtemps avec l’éternel vent qui balaye ses rivages...
La grande mosquée Ben Youssef dominait l'espace urbain: on la voyait de partout
Quand la forte houle venait à les surprendre, me dit ma mère, les barcassiers se réfugiaient en haute mer. Loin des récifs côtiers où se fracassent les vagues. Ils restaient là, le temps que la tempête s’apaise. En attendant, la ville retenait son souffle.
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Les vides de son hémorragie
Sont cousus par la montée écumante du sel.
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Ce qui te fait gronder ô mer
N’est pas la mer
Ce sont les blessures du martyr Hallaj
Quelle idée blessante fait tourner le sable ?
Mille et un clapotis de rames l’apaisent.
Tristesse, joie, tourments:en perdant ma mère, que Dieu lui fasse miséricorde, j'en perdis l’étoile du nord, j'en perdis l’axe du monde !J' en perdis la maîtrise de l’être...
Le temps qui passe que symbolisent aussi ces arbres disparus
La ville, ce n'est pas seulement des murs, mais aussi cet espace de sentiments et de souvenirs que nous avons partagé avec ses hommes et ses femmes par delà le bien et le mal...Parce qu'elle est d'abord constitué de suc humain, la ville part ainsi pierre après pierre comme si la voûte céleste elle-même allait s'effondrer sur nos têtes puisque selon une vieille légende berbère en cours dans ces parages : chaque fois que l'ame d'un être humain monte au ciel, une étoile en déscent.En tout cas c'est l'explication qu'on nous donnait enfant, du phénomène des météorites...
Les prières augmentent les lumières des étoiles, et jettent un pont par-dessus la mort.L’étoile polaire scintille à l’horizon. Violent mugissement, plainte pathétique de la houle qui gémit et qui pleure.Une étoile polaire scintille au dessus du rayon vert. Des ombres, tous les soirs, viennent sur les remparts contempler les îles. Frêle humanité qui semble surgir des temps antiques, accentuant l’aspect fontomatique de la ville. Lors de ma dérive au Haut - Atlas, j’ai laissé la porte grande ouverte sur les étoiles; Dehors, pleine lune, chiens errants, coassement de grenouilles, flûte enchantée du pays Haha : Au fond de la plaine qui s’assombrit, des hameaux s’allument ici et là, tandis qu’au firmament scintillent les étoiles. Spectacle sublime qui inspire au vieil Ijioui ces mots énigmatiques :
« Seuls les astronomes connaissent les étoiles, mais la poésie en parle à sa manière :
Celui qui a des frères, peut arroser les étoiles dans le ciel
Celui qui a des frères, peut semer le maïs parmi les étoiles.
Sur ce, le vieux poète détacha son âne de l’olivier sauvage et s’en fut par les sentiers fleuris au plus profond des montagnes. Du bord de la rivière d’Assif El Mal, on entend monter le côassement des grenouilles. Mystérieux, le potier-poète chuchote :
« La colonie d’abeilles a quitté sa ruche. Peut-être a-t-elle trouvé un verger fleuri ailleurs ? »
Ce à quoi son interlocuteur répond énigmatiquement :
« Qui peut l’attraper ? C’est dans le ciel que les abeilles se frayent leur chemin ».
Les poètes également.
Au Maroc, le calendrier agricol est fondé sur 28 mansions lunaires.Ce sont les vingt-huit manâzil . Plus complètement les manâzil al-kamar, sont les mansions lunaires, ou stations de la lune. Elles constituent un système de 28 étoiles, astérisme ou d’endroits dans le ciel près duquel la lune se trouve dans chacune des 28 nuits de sa révolution mensuelle. Le système des mansions lunaires a été adopté par les berbères, à travers des canaux encore inconnus, puisque le mot manâzil figure déjà dans le Coran (X, 5, XXXVI,39) Voici l’identification astronomique de quelques mansions lunaires citées à travers les dictons du calendrier agricol :
1. al-nateh, Arietis
2. al-boulda, région vide d’étoiles.
3. Saâd Dabeh, capricorni
4. Saâd al-Boulaâ, Aquarii
5. Saâd saoud, capricorni
6. Saâd Lakhbia, aquarii.
7. Batnou al-hout, andromedae...
Quand, en 1960, le tremblement de terre frappa Agadir, pendant plusieurs nuits de suite les gens ont dormi dehors : nous passions la nuit à la belle étoile,avec nos voisins, au marché aux grains ! De surcroit le desastre est survenu le jour de l’Aïd El Kébir,si ma mémoire est bonne : c’est cela « le déluge un jour de fête » dont parlait le Mejdoub !
La ville frémit comme un être vivant sous les fracas des houles. La prière des minarets se répand dans la lumière froide du crépuscule, en échos à la prière cosmique du firmament.
« Allons voir la mer
Restons face aux vagues jusqu’au vertige ».
Abdelkader Mana
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15/04/2012
Le thème de la Gadra dans la peinture marocaine
Majorelle La Guedra pastel
Sektou, la plus belle des voix !
Nul ne peut égaler son jeu de harpe
C’est sa belle voix qui ouvre les veillées musicales du désert
C’est à la digne héritière du grand Saddoun Wal N’dartou
Que je dédie mes poèmes !
Jacques Majorelle La guedra Huile sur toile
Le modèle des cantatrices du Sahara reste incontestablement la célèbre Sektou qu’évoque le poète. C’est au 18ème siècle que Saddûm Wall N’dartou allia la forme poétique de la qasida à un nouveau style musical divisé en deux voies, l’une blanche et l’autre noire :Le premier style musical est de caractère arabe, et le second est inspiré de la musique des noirs. La cantatrice accomplie se reconnaît à la parfaite homogénéité qui existe entre sa technique vocale et instrumentale. Non seulement sa harpe parle clairement, mais aussi elle imite parfaitement la harpe avec sa voix. Au Sahara, la harpe dénommée « Ardine » est du domaine féminin, et le luth dénommé « Tidinite »est du domaine des hommes.
Jean-Gaston Mantel La danseuse de Guedra Pigment et encre noire sur peau 75 x 60 cm 1978
O belle fille, remets – moi ma tunique bleue
Car moi aussi je vais me rendre à la grande fête de walata !
La fête autour de la grosse timbale est l’occasion de réjouissances et de danses, de R’guiss. Pour les femmes cette danse met particulièrement en valeur la gestuelle de la main et les envolées de la chevelure. Elle est généralement précédée par un rituel de henné et de tresse de chevelure en vue du r’guiss, la danse des bouts du corps, des doigts et des tresses : on prend particulièrement soins de la chevelure de la future mariée qu’on tresse à la manière africaine. Seuls peuvent prendre part à la danse les vierges, les jeunes veuves et les divorcées. Jamais une femme mariée. C’est une magnifique occasion pour les jeunes gens de choisir leur fiancée. C’est aussi l’occasion pour les hommes de parader devant les femmes et de montrer leurs talents de chanteurs et de poètes :
MANTEL Jean Gaston, 1914-1995 (France) Title : Les quatre saisons Huile sur toile 1972
Désert, comme tu es vaste !
Et comme pénible la traversée de tes immenses espaces.
Désert traversé par un jeune chamelier monté sur un méhari
Qui a vaincu la famine et la soif.
Quelle peine se donne ce jeune chamelier
Pour se rapprocher de celle qui m’a percé de ses cils
Elle a une chevelure abondante qui retombe sur sa poitrine
Avec des tresses comme des épis et des mèches qui s’éparpillent
MANTEL Jean Gaston, 1914-1995 (France) Title : danseuse de la guedra, 1963 Huile sur toile
Une chevelure tombant sur un sein qu’on devine sous une robe échancrée
Un désert où manque la fille de ma génération
Un désert aux immensités sans fin qui nous sépare
Des demeures de celle au double bracelet
Sa taille est celle d’un palmier femelle aux longues palmes retombantes
Nourri dans un terrain plat et bien travaillé
Où coule l’eau qui n’est pas gêné par le sable.
Un désert traversé seulement par un jeune homme
Qui se dit prêt à tout affronter pour rejoindre celle à la robe écarlate.
Le collier au cou comme un vaisseau dont on déploie les voiles
Sa monture va courir vers celle qui a les doigts teints de henné.
Un désert où nulle part aucun son ne se fait entendre
Aucune voix ne vient d’aucune dune
C’est cette étendue vide qui me sépare de ma bien aimée
Pour traverser ce désert, il faut un jeune homme
Monté sur un méhari bien dressé
Et l’étape est si longue qu’il doit la commencer la nuit.
Cette monture est un étalon dont la généalogie est connue pour dix générations
Et sa mère est une chamelle d’une race aussi noble
Que celle du père d’entre les plus belles chamelles
Ce méhari a été élevé dans une plaine
Où l’herbe a poussé dés les premières pluies
C’est un chameau qui allait paître parmi les gazelles
Ces maîtres l’ont amené à l’apogée de la canicule
Il court avec ardeur attiré par une flamme qui le brûle
Comme elle a brûlé son maître.
Son maître et lui ont partagé le même secret
Mon Dieu ! Raccourci la distance qui me sépare de l’ami !
Si tu avais la chance, la confiance et l’audace
Tu te jetterais dans les profondeurs de la mer !
Les deux toiles précèdantes sur la danse de guedra sont de Jean Gaston MANTEL et datent de 1964
Jean -François Clément qui me confie ces illustrations sur "le thème de la Gadra dans la peinture marocaine" me confie à ce propos: "Cette danse fut d'abord un strip tease (totalement étranger à la conception américaine du genre) qui est à relier à la gestion particulière très sublimée de la sexualité dans la région du Sahara occidental et qui est liée à l'importance des poésies arabes anciennes et notamment à la fascination pour les traces. Tous les tableaux présentant des poitrines dénudées ont été réalisés à partir de photos. mais l'important de cette danse comme dans le Kérala en Inde ou comme dans les danses de Bali est dans la position des doigts. C'est dans la comparaison avec ce qui se fait dans cette partie de l'Indonésie que se trouve la compréhension de cette danse."
Edouard Eddy Legrand 1892-1970,Danse de la Guedra.Huile sur toile
On raconte au Sahara l’histoire d’un vieil homme dont le goût pour la musique était resté si vif qu’il se glissait en cachette vers la tente où les jeunes gens se divertissaient avec les griots, tente où il ne pouvait apparaître publiquement en raison de son âge. Ne pouvant répondre directement aux moqueries de la jeunesse, il le fit par l’intermédiaire d’un quatrain qu’il donna à chanter aux musiciens :
Il m’a fallu aller vers la musique
Certes, ce n’est plus de mon âge
Je suis trop vieux, mais l’épée de pur acier
Le vent l’aiguise, la rajeunit
Semlali Acrylique sur Toile 135 x 100 cm 2002
Il est à remarquer que contrairement à la danse de la Guedra de l’oued Noun où la danseuse est tout le temps agenouillée balançant le buste et la chevelure, à la seguiet el hamra, les danseurs sont debout : le seul point commun entre les deux danses est la gestuelle des mains et des doigts. Cette danse dénommée r’guiss fait tellement partie de l’art de vivre saharien qu’il existe même une localité perdue dans le désert qui s’appelle tout simplement r’guiss, mot qui désigne la danse en dialecte Hassan.
La Ziza
Quand les nomades dressent leur tente et que devant celle-ci, les chameaux ruminent au repos ; on se met à traire les chamelles. Notre poète monte sur son chameau pour faire quoi ? Pour aller à la rencontre de sa bien aimée. Parce que celui qui aime chante aussi bien la beauté des chameaux que celle des femmes.Au cap Bojador où nous assistons à ces noces sahariennes, le poète Mohamed Lahbib Laâroussi, nous gratifia d’une qasida de son crû « en signe de respect pour les traditions du peuple et pour ses nobles principes ! ».Une qasida qui se rapporte à la terre, à ses noms de lieux, à ceux de ses animaux sauvages et aux gens qui l’habitent :
Oussman Gassem
Quand tes cheveux blanchissent ô vieillard,
Ne rumine pas trop, le temps qui passe !
Si les temps sont si durs pour toi cette année,
Soit patient, les difficultés finiront par se dénouer plus tard.
Sache qu’il n’y a pas de lieu que les biens aimés n’ont pas déserté
A chaque levé de campement ne reste que ruines et désolations
Les margelles du puit, crois – moi, je ne les oublierai pas
Ni les cours d’eau, ni les îlots de verdure au milieu du désert !
Mais j’ai peur de perdre à jamais la trace du bien aimé !
Celui que j’avais aperçu sortant de la tente poilue
Celui qui menait ses troupeaux d’agneaux vers les mirages
Celui qu’accompagnait la jeunesse tambour battant,
Vers la tente où se déroulaient nos fiançailles !
La ronde scandait avec harmonie des élégies au Prophète !
La ronde racontait l’errance nomade du bien aimé
Tous les fêtards s’adonnaient aux jeux préférés des nomades
Jeu d’Essig, jeu d’échec, jeu de pomme
Combats rituels visant des cibles imaginaires
Marcel BUSSON (né en 1913)
Trois danseuses de Guédra
Huile sur toile,
J.G.Mantel 1914-1995 DANSEUSES DE GUEDRA Huile sur toile 1981
MANTEL Jean Gaston, 1914-1995 (France)La Guédra gouache 1986
J.G.Mantel 1914-1995 La danse de la Guedra.Huile sur toile 1980
La danse de la gadra, est une pratique musicale et culturelle spécifique à la région de l’oued Noun. La considérer comme un simple folklore est une vision réductrice de la guedra en tant que culture. La gadra , en tant que marmite est aussi un instrument de percussion. C’est à l’origine un simple ustensile de cuisson ; il requière une double fonction lorsqu’il se métamorphose en instrument de musique. La gadra est en rapport avec le rite sacré symbolisé par le feu ; elle est liée au feu sacré en tant qu'élément fondamental de la vie célébré ici par un rite : à travers ces chanteuses qui « réchauffent » qu’on appelle hammayâtes, et ces chanteurs qu’on assimile au feu, appelé « nar ». La danse elle- même est circulaire et donc solaire.Abdelkader Mana
11:29 Écrit par elhajthami dans Arts, Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts, musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
14/04/2012
L’ Ifriqiya de Sidi Ifni
Le sanctuaire de Sidi Mogdoul
On retrouve des santons Regragui surtout en pays Chiadma mais aussi chez les Seksawa du Haut Atlas, à Massa dans le Sous, jusqu’ à la Seguia al hamra au Sahara, où dans un vieux cimetière voisin du Rio de Oro, sont enterré sept fœtus Ouled Bou Sebaâ, à côté d’un saint d’origine Regragui : selon la légende en cours chez les nomades, il serait parti des rivages d’Amougdoul, en jetant au loin une pierre et en la rejoignant ensuite à chaque horizon. D’horizon en horizon, il était parvenu ainsi, , jusqu’à la Seguia al hamra. On peut se demander d’ailleurs s’il ne s’agissait pas là de Sidi Mogdoul en personne. En effet, d’après une Ifriquiya : « Sidi Mogdoul razzia les terres soudanaises jusqu’à une ville appelée Tombouctou, puis revint au djebel Hadid en pays Chiadma. ».Tirant argument de la présence de leurs saints au Sahara, les Regraga participèrent, avec leur khaïma rouge, à la fameuse « marche verte ».
Mogador - 1860
Le manuscrit que je traduis ici, m’a été transmis par mon ami le chercheur Jean François Clément. Découvert à Sidi Ifni, il est écrit en l’an 1104 de l’hégire (1694), par un certain Moulay Ali Mohamed Regragui. Le manuscrit date donc de seulement deux ans après la mort d’al-Youssi en l’an 1102/1692.Hassan Abû Ali H’san al-Youssi, né en 1040 et décédé en 1102 (soit 1630-1692) est originaire du Fazaz, sur le revers sud du Moyen-Atlas. Il vécu au 16èmesiècle sous les règnes de Moulay Rachid et de Moulay Ismaïl, et serait selon la tradition à l’origine de l’organisation du culte des sept patrons de Marrakech.
Mogador-Vue prise de la plage
L’ Ifriqiya est le recueil des légendes dorées des Regraga transcrites par des fqihs .Voici donc la traduction de l'Ifriqiya de Sidi Ifni qui débute ainsi:
" Hassan al-Youss, que Dieu lui vienne en aide et nous accorde ses grâce (Amen), rapporte un dit authentique et bénéfique à propos de la rencontre de nos seigneurs les Regraga, les Béni Dghough et les Sanhaja, avec le Prophète, (sur lui prières et paix) : Ils ont cru en Jésus fils de Marie, et faisaient partie de ses ressuscités et de ses fidèles, jusqu’à l’avènement du meilleur des hommes, notre seigneur Mohammed (sur lui prières et paix).Preuve en est ces paroles du plus haut :« Il a dit : qui sont les alliés de Dieu ? Les apôtres répondirent : nous sommes les alliés de Dieu, en lui nous croyons, témoignes que nous sommes soumis. »
A l’avènement du Prophète, l’ange Gabriel se révéla a lui :
- Ô Mohammed ! Envois ces trois taïfa, Regraga, Sanhaje et Béni Dghough, au Maroc pour qu’ils le conquièrent et pour qu’ils fassent bénéficier ses habitants de l’islam. Lui ordonna-t-il.
Le Prophète (sur lui prières et paix), s’adressa alors aux trois taïfa en ces termes :
- Allah, le plus haut, m’a ordonné de vous envoyer au pays du soleil couchant (almaghrib=Maroc).
Les saints hommes lui dirent :
- Ô envoyé de Dieu ! Pourquoi veux-tu nous éloigner de toi, alors que nous sommes tes compagnons et tes frères ?
Arrivée d'une caravane à Mogador
L’’ange Gabriel descendit à nouveau du ciel pour révéler au Prophète cette parole divine :
- Si nous envoyons d’autres gens, ils s’éloignerons de toi et apostasieront leur Islam. Quant à ces trois taïfa,elles ont cru en toi quarante ans avant ton avènement. Leur sang et leur chair s’étaient déjà mêlés à l’Islam, comme le sel à l’eau de mer.
Le Prophète, prières et paix sur lui, leur ordonna alors de se diriger vers le pays du soleil couchant et nos saints bénits lui répondirent :
- Nous sommes à tes ordres, ô envoyé d’Allah !
- Celui qui vous aime, m’aime, et celui qui vous hait, me hait. Vous demeurerez mes représentants, au pays du soleil couchant, jusqu’à la résurrection.
Le Prophète, prières et paix sur lui, prit alors la main de Sidi Wasmine le Regragui et lui dit :
- Si Dieu le veut, tu seras leur chef
-Mais nous ignorons le chemin à prendre, Ô envoyé de Dieu !.
Le Prophète étendit alors trois doigts de sa main droite. De chacun , par la grâce de Dieu et de son généreux Prophète , une rivière de lumière jaillit. Les Regraga suivirent un oued, les Béni Dghough un autre, et les Sanhaja le troisième. Puis, ils pressèrent le pas jusqu’à la ville d’Alexandrie, où les fleuves de lumières pénétrèrent dans la mer. Les saints hommes crièrent à leur chef Sidi Wasmine :
- La lumière s’est enfoncée dans la mer !
- Suivez-la à la trace, si vous croyez vraiment en Allah, son Prophète et au jugement dernier ! Leur répondit-il.
- Mais vas-y Toi-même qui est notre chef !
Et le vénérable Wasmine d’ordonner à la Méditerranée:
- Mer, immobilises-toi!
Aussitot, elle s'immobilisa par la grace d'Allah et de son Prophète, alors les armées la foulèrent comme si c'était la terre ferme, jusqu'à ce qu'ils parviennent ainsi à ribat el fath.Delà ils se dirigèrent vers Safi, puis ribat Massa dans le Sous extreme et enfin la seguiet el hamra (Rio de Oro). Ils sont même allés, jusqu’au pays des maghafra(le Soudan ?).
L’émir Wasmine leur dit alors :
- Avant de revenir à notre pays incha Allah, il faut maintenant rendre compte de notre mission au Prophète. Je me chargerais de cette mission, avec Sidi Abdellah Adennas, Sidi Saïd Bou khabiya (le patron de la gargoulette), Sidi Saleh, Sidi Boubker, Sidi Allal korati, et Sidi Saïd Sabeq (le « devancier »).
Tous désiraient revenir au Hidjaz (le pays du grand pèlerinage). En cours de route, l’un de ces sept hommes, Sidi Saïd tomba malade. Il se couvrit lui-même d’un linceul, et se dissimula à leurs regards en s’enterrant lui-même dans le sable. Troublés de ne plus le voir à leur côté, ces compagnons se mirent à crier dans le désert. Comme aucun écho ne répondait à leur appel, ils prièrent pour la guérison du disparu :
- Nous te confions aux mains d’Allah et de son généreux Prophète.
Puis, ils repartirent en pressant le pas. Une fois à Médine, les sept hommes entamèrent leur procession, leur Dikr, et leur prière de la pluie :
On est venu vers vous, ô gens de vertu
Implorons à vos portes,
La générosité du Seigneur
Pour que de la baraka de vos bassins,
Nos vergers soient arrosés
Arrivée de la procession des Regraga à Mogador
C’est par cette prière de la pluie, que les Regraga ouvrent chaque nouvelle étape du Daour. Il y est fait allusion à la notion du Faïd, qui symbolise le débordement de l’eau des rigoles de la baraka. Pour cette vieille paysannerie berbère des rivages atlantiques, toute vie dépend de la pluie, et toute pluie dépend de la bénédiction divine et des étincelles de la baraka en tant que lumière prophétique.
Les voix étaient si belles, qu’arbres et montagnes en tressaillirent. Saisi d’effroi, les oiseaux se mirent à pleurer .Cette ferveur divine, s’empara aussi, des fils d’Adam et de tous les êtres de la création qui l’entendirent.
Une fois auprès du Prophète (sur lui prières et paix), ils le trouvèrent entouré de ses compagnons et le saluèrent. Celui-ci leur demande en berbère :
- Manza (où es) Saïd ?
- Il est resté (Ybqa) en cours de route.
Et le Prophète de le sortir dessous sa tenture :
- Il n’est pas, celui qui « reste » Ybqa ; il est, celui qui « devance » Sabeq.
Le Prophète, leur dévoila ainsi l’éclipse mystérieuse de leur compagnon de route, en leur apprenant qu’il les a « devancé » sabaqahûm . D’où son surnom de Sabeq (celui qui devance).
Ils prirent quelques jours de repos auprès de l’envoyé de Dieu, qui les chargea par la suite d’islamiser le Maroc, leur pays d’origine, en leur prodiguant ses conseil et en leur confiant une missive contenant la révélation. Ils revinrent alors par la grâce de Dieu, en pressant le pas jusqu’au riblât El Fath(l’actuel Rabat) où les trois taïfa les accueillirent avec joie.
Cette rencontre eut lieu donc au bord du Bou Reg reg : le fleuve dont le nom dérive de celui des « Reg-Reg », c'est-à-dire des Regraga. Dans cette hypothèse ils auraient rencontré au bord de Bou Reg-reg, le Prophète berbère des hérétiques Berghwata, dont le territoire s’étendait entre l’oued Tensift au sud et l’oued Sebou au nord. . Le Prophète dont il s’agit est probablement Salih Ibn Tarif des Barghwata qui aurait prêché le Coran en berbère et créer un embryon d’Etat en l’an 127 (744) .Rabat, fondé au XIè siècle, par les almoravides sur la rive Sud du Bou-Regreg. Ce ribâtétait alors occupé d’une façon permanente par de pieux volontaires mobilisés par le djihad contre les incursions des hérétiques Berghwatas.
Le cheikh Wasmine, voulu d’abord accorder l’oracle prophétique aux Béni Dghough, mais avait peur de mécontenter les Regraga. Il avait aussi peur de mécontenter ces deux derniers en l’accordant aux Sanhaja. Finalement il décida de l’enterrer à la saline de Zima, où les saints hommes le recherchèrent vainement. Ne rencontrant qu’une mer de sel, ils revinrent auprès de Wasmine, s’en quérir d’un tel miracle. Celui-ci leur dit :
- Pour le bien de la communauté musulmane, que cet océan de sel se métamorphose en huile d’olive !
Ils revinrent aussitôt à Zima , qu’ils crurent transformée sous leurs propres yeux en océan de miel, de beurre rance, et d’ huile d’olive. Mais ils durent vite déchanter, car ils n’avaient en face d’eux qu’un océan de sel. Le cheikh avait pourtant promis un océan de baraka pour le pays du soleil couchant !
Wasmine procéda alors, à la répartition du Maroc entre les trois taïfa : de l’oued sabra (l’euphorbe) du côté de la mer à oued chichaoua et au Qihra, en pays Seksawa, jusqu’à Massa, le Sous extrême et le maghafra (le pays des nomades et des noirs) ; c’est le pays des Regraga. Et de l’oued sabra, au djebel mékka, en passant par la verte montagne et le djebel Fazaz, au Moulouya, puis de là à Tamesna, Fechtala, Bzou, Demnate, jusqu’au oued El Qihra : tout ceci est le pays des Béni Dghough.... Trois séguias(aqueducs) et dans chacune d’elles coulent quatre sources...
Les Regraga sur les rivages de Mogador(à l'étape de Diabet)
On trouve des tombeaux Regraga, chez les Chiadma, mais aussi chez les Haha, les Mentaga, les Mjat, les Oulad Mtaâ, les Hmar,dans le Haouz, au Tadla, dans le Sous jusqu’au Sahara. On les trouve aussi en haute montagne et au pied mont. Leur miséricorde et leur baraka englobe tous, dans le mouvement comme au repos. » Ces seigneurs des ports, ces saints protecteurs des rivages et des marins dont les coupoles, telle des vigies de mer, jalonnent les rivages, les marins leur rendent hommage à l’ouverture de chaque saison de pêche. C’est le cas de Sidi Mogdoul, où jusqu’à une époque récente, procession, étendards et taureau noir en tête, les marins s’y rendaient pour qu’il facilite leur entreprise, comme en témoigne cette vieille légende berbères : « Sidi Mogdoul fixe les limites de l’océan et en chasse les chrétiens. Il secourt quiconque l’invoque. Fût-il dans une chambre de fer aux fermetures d’acier, le saint peut le délivrer. Il délivre le prisoner entre les mains des chrétiens et le pêcheur qui l’appelle au milieu des flots ; il secourt le voilier si on l’invoque, ô saint va au secours de celui qui t’appelle (fût-il) chrétien ou musulman. Sidi Mogdoul se tient debout près de celui qui l’appelle. Il chevauche un cheval blanc et voile son visage de rouge. Il secourt l’ami dans le danger, le prend et, sur son cheval, traverse les océans jusqu’à l’île. »
Sidi Bouzerktoun, le protecteur des marins
Les pêcheurs berbères de ces rivages invoquent aussi Sidi Ishaq, perché sur une falaise rocheuse abrupte qui surplombe une plage déserte où les reqqas échangeaient jadis le courrier d’Essaouira d’avec celui de Safi : « Lorsque les pêcheurs passent à travers les vagues, il leur arrive de l’appeler à leur secours, ils lui promettent d’immoler une victime et de visiter son sanctuaire. Sidi Ishâq avait un cheval blanc que son frère Sidi Bouzergtoun lui avait donné. Lorsque les Regraga se réunissent, ils vont à cheval visiter ce saint ; les marabouts – hommes et femmes assemblés – prient Dieu de délivrer le monde de ses maux. Lorsque les pêcheurs vont vers Sidi Ishâq, ils entrent dans son sanctuaire et après avoir fait leurs dévotions, il te prenne, ô huile de la lampe, et te la verse au milieu des flots pour les calmer. »
Et sur ces mêmes rivages, au Sud de cap Sim, les pêcheurs se rendaient en pèlerinage à Sidi Kawki où les berbères Haha procèdent à la première coupe de cheveux de leurs enfants : « s’ils sont surpris par la tempête, ou si le vent se lève alors qu’ils sont en mer, les marins se recommandent à lui. Avant de s’embarquer pour la pêche, ils fixent la part de Sidi Kawki, dont les vertus sont très renommées. On raconte qu’un individu y avait volé la nuit une bête de somme et bien qu’il eut marché tout le temps, quand le matin se leva, il se retrouva là où il l’avait prise. »
L'entrée des Regraga à Mogador(par Bab Doukkala) par Roman Lazarev
Retrouvés à Aglou dans le Sous, on peut lire dans les carnets d’un lieutenant d’El Mansour, qui portent la date de 988-1580 :"Nos seigneurs les Regraga appelés Hawâriyyûn,sont des marabouts dont le plus grand nombre est chez les Haha. Nos seigneurs les Regraga – que Dieu les favorise- sont les descendants des apôtres mentionnés, dans le livre de Dieu. Ils sont venus du pays des Andalous. Ils étaient quatre hommes, et c’était au temps du paganisme. Ils s’établirent au lieu dit Kouz, au bord de l’oued Tensift. Les gens leur firent bon accueil. Ils habitèrent là longtemps et y bâtirent une mosquée qu’on appela la mosquée des apôtres (Masdjid al- Hawâriyyûn). De là ils se dispersèrent. Les quatre firent souche et c’était : Amejji, Alqama, Ardoun et Artoun. Ils habitèrent : Amijji, à Kouz. Alqama, à Tafetacht. Ardoun, à Sekiat et Mrameur. Artoun à Aïn Lahjar. Puis ils apprirent la nouvelle de la venue du Prophète – sur lui la prière et le salut –et de son message. Ils allèrent à lui et ils étaient sept hommes. Ils reçurent du Prophète une grande baraka. Et on raconte qu’il y aura toujours parmi eux sept saints jusqu’au jour du jugement... »
Manuscrit traduit et annoté par Abdelkader Mana
11:45 Écrit par elhajthami | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : regraga | | del.icio.us | | Digg | Facebook