30/04/2012
Acrobates et prestidigitateurs
Sur la célèbre place de Jamaa Lafna de Marrakech, parmi les halqa(cercles) de montreurs de singes, de charmeurs de serpents, de bouffons, de musiciens, on remarque celle des acrobates et des équilibristes, descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa, patron du Tazerwalt et l'un des saints les plus populaire au Maroc.
Les Oulad Sidi Ahmad Ou Moussa dans la médina de Casablanca
Ils voyagent organisés en petites troupes, donnant ça et là des exhibitions au carrefour des rues et sur les places publiques.Les curieux attirés par les tambourins et les flûtes se rangent en cercle autour d'eux: ils interrompent leur exercice d'acrobatie par des quêtes aumonières suivies d'invocations à l'adresse du saint.Ils sont parés d'un grand anneau d'argent pendant à l'oreille gauche et vêtus d'un vêtement à larges rayures blanches, noires ou rouges, rappelant assez le maillot des montreurs de tours des cirques.Ils emploient entre eux le berbère qui est leur langue maternelle et font usage d'un argot (ghoss) comme d'ailleurs la plupart des animateurs de halqa(cercle) que ce soit à Jamaa Lafna ou ailleurs.Ce sont des gens de voyage à l'image de leur légendaire ancetre.
Quant aux voyages de leur saint protecteur et à ses courses à travers le monde, voici ce qu'en rapporte le grave auteur des Fawaid:
- J’entai un jour chez lui dans son Hermitage. Je le trouve exposé au soleil, les jambes étendues. Il regardait ses deux pieds et riait. J’ai cru qu’il riait de moi :
- Pourquoi ris-tu mon père ? Lui dis-je.
- Tu me trouve en train de regarder ces deux - là et je ris, me répondit-il en désignant ses pieds. Car tous les chameaux de la terre, en tout lieu du monde , auraient beau porter des charges , ils périraient avec tout leur chargement avant d’avoir franchi tout ce qu’ont franchi ces deux-là. » On rapporte encore au sujet de Sidi Ahmad Ou Moussa qu’un certain jour , regardant ses pieds, il se prit à dire : « Si on suppose un aigle volant si longtemps qu’il en perde ses plumes, puis recouvrant ses plumes et les perdant encore, reprenne son vol trois fois de suite(on peut affirmer)que cet aigle n’aura pas parcouru la distance couverte par les pieds que voici. »
Mohamed Tabal
Ces pérégrinations de Sidi Ahmad Ou Moussa rappellent le pèlerinage du soufi à travers les sept stations que l’âme doit franchir avant de s’anéantir dans le sein de Dieu.Sidi Ahmad Ou Moussa est un personnage historique du XVIè siècle,contemporain des sultans saadiens.Il est né à Bou Mérouan de la tribu des Ida Ou Samlal et il est mort en 971(1560),au Tazeroualt où son tombeau est vénéré.Nombreuses sont les hagiographies à son sujet qu'on appelle "manaqib".Selon l'une d'entre elles: « Parvenus aux confins du monde, Sidi Ahmad Ou Moussa et son compagnon de voyage accrochèrent à une étoile le petit sac de cuir renfermant leurs provisions de route. L’étoile disparut emportant le sac et les deux voyageurs se prirent de querelle. Un étranger que le hasard de la route conduisit dans leurs parages s’informa de l’objet de leur querelle et leur dit : « Ne vous disputez point ! Passez ici le reste de la nuit et quand, au matin, l’étoile réapparaîtra vous reprendrez votre sac ! » C’est ce qu’ils firent et, au matin, ils trouvèrent le sac avec ses provisions intactes.La nuit suivante,ils s’en furent demander l’hospitalité à un ogre(aguerzam) qui habitait dans une caverne profonde où chaque soir, venait s’abriter de nombreux troupeaux de moutons. « Soyez les bienvenus ! » leur dit-il. Et ayant allumé un grand feu à leur intention, il ajouta : « Que désirez vous manger ? » - « Ce que tu nous offriras » répondent-ils – « Je vous donnerai de la viande, mais vous m’en donnerez aussi ! » dit-il. Les deux hôtes se regardèrent et dirent : « Mais, où en trouverons-nous ? » S’étant consultés, ils décidèrent de manger et de s’en rapporter à Dieu pour le reste.Après le repas, l’ogre leur demanda : « Avez-vous mangé ? »-« Oui, dirent-ils »- « Et moi, non, répartit le monstre, donnez-moi l’un d’entre vous ! » - « Volontiers, dirent – ils, le sort va désigner celui que tu dévoreras de nous deux ! »
Mohamed Tabal
Le sort désigna Sidi Ahmad Ou Moussa qui se prépara au sacrifice malgré les supplications de son compagnon qui voulait s’offrir à sa place. Mais, au moment où l’ogre s’apprêtait à le dévorer, Sidi Ahmad Ou Moussa, mit au feu la pointe de son long bâton de pèlerin et d’un coup violent le planta dans l’œil unique du monstre. Celui-ci rugissant de colère leur dit : « Vous êtes dans ma caverne et vous n’en sortirez pas ; je vais me poster à l’entrée et demain nous nous retrouverons ! »
Le lendemain Sidi Ahmad Ou Moussa et son compagnon égorgèrent deux moutons et s’étant revêtus de leurs toisons ils se melèrent au troupeau qui partait comptant et touchant ses brebis une à une ; il ne les poussait dehors qu’après les avoir reconnues.Cependant grâce à leur stratagème, les deux voyageurs réussirent à tromper sa vigilance et à échapper à sa vengeance. Quand ils furent sortis, ils enlevèrent leur toison et s’en servirent pour frapper le cyclope : « C’est ainsi, dirent-ils que tu traite l’hôte (de Dieu) qui passe la nuit chez toi ! » Puis ils s’enfuirent. »
Photo Abdelmajid Mana : l'habitat au pays haha
Ce récit a été rédigé par Brahim ou Mohamed , originaire de la région de Sous, de la tribu des Ikounka , du village d’Ifrhed du clan des Ayt Bahman.Que Dieu le protège des maladies , de celles de l’âme comme de celles du corps !Amen !
Photo Abdelmajid Mana: l'habitat au pays haha
La première partie de ce récit figure, avec des variantes nombreuses, dans d’autres légendes de saints. La seconde, par contre, est, je crois, jusqu’ici inédite. Qu’on remplace le nom de Sidi Ahmad Ou Moussa par celui d’Ulysse, qu’on donne à l’aguerzam berbère le nom de Kiklops, on aura dans ces épisodes essentiels toute l’aventure d’Ulysse dans la caverne de Polythène. Il n’est pas jusqu’au trait final du récit chleuh qui n’ait sa ressemblance avec le récit homérique : « kyklope », tu n’as pas mangé dans ta caverne creuse, avec une grande violence,les compagnons d’un homme sans courage, et le châtiment devrait te frapper,malheureux ! Toi qui n’as pas craint de manger tes hôtes dans ta demeure. C’est pourquoi Zeus et les autres Dieux t’ont châtié. » Mais par quelle voie le récit est-il parvenu jusqu’aux Berbères ?
Photo Abdelkader Mana: La fiancée de l'eau, la jument blanche et son écuyer
Dans mon livre sur les Regraga "La fiancée de l'eau et les gens de la caverne", à l'étape de Sidi Abdeljalil, le patron de Talmest – qu’on appelle aussi Moul l’Oued Lakhdar (le patron de la rivière verte) est un héros de la fertilité. En vertu de cela, les femmes vont se baigner dans ses eaux lustrales, offrant leur nudité au brouillard matinal azuré et aux regards indiscrets cachés dans les feuillages.
On raconte une légende inspirée du cycle de Persée, celle de la jeune fille délivrée du monstre. Une légende très significative des anciens rites d’initiation :
« Un âfrit (démon) qu’on appelait Mgharat Boutazart (la grotte du figuier en chleuh) vivait sur le mont Talmest. Il dormait une année et se réveillait l’autre. Sa caverne regorgeait des fruits de son errance en pays Chiadma. Un jour, il enleva Mammas, la fille de Sidi Saïd Ben Yahiya ; c’était l’ancien patron berbère de Talmest. Abdeljalil, un jeune théologien, lui promit de sauver sa fille en échange de la source de son jardin. Le chleuh accepta le contrat. Alors Abdeljalil se présenta devant la grotte maudite et provoqua l’âfrit en duel. Grâce à la lecture du Diamiati, le grand livre de la magie, il transforma l’âfrit en abeille et l’enferma dans un roseau. Puis il ramena la jeune fille sur son cheval blanc. Comme l’exigeait le contrat, il devint le propriétaire de la source qu’il transforma en rivière. Depuis, toutes les terres bordant ses rives appartiennent à sa descendance. »
Abdelkader MANA
15:05 Écrit par elhajthami dans Voyage | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : voyage | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Je vous approuve pour votre critique. c'est un vrai boulot d'écriture. Continuez .
Écrit par : invité | 12/08/2014
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