30/04/2012
TAFRAOUT
Au milieu des montagnes tourmentées de l’Anti – Atlas, le jour se lève sur Tafraout, toponyme qui figure parmi les plus fréquemment relevé en Berbèrie et qui signifie l’auge où les chèvres et les brebis viennent s’abreuver. Tafraout entourée d’un chapelet de villages aux maisons souvent vides mais auxquelles ses habitants d’origine restent attachés même s’ils ont réussi à faire fortune ailleurs. C’est à Tafraout que le Soussi oublie ses soucis, en retrouvant les parfums et les airs qui ont bercé jadis sa prime enfance. C’est là que chacun se réconcilie avec ses racines et son identité profonde.
A l’herbe des prés l’amandier en fleur a dit :
A quoi bon désirer l’eau ? Ô fleur voici l’abeille !
La trêve des idernane
Perché au sommet du djebel el kest , la plus haute montagne de l’anti – atlas, qui culmine à 2300 m , le village de Tagdicht fait partie de la fraction des Aït Smayoun, qui surplombe la vallée où coule par intermittence l’oued Ameln au pied de la muraille semi – circulaire de l’adrar el kest : c’est par rapport à l’oued qui coule au milieu de la vallée d’Ameln que se répartissent les douars. Il y a ceux en amont de la rivière qui appartiennent au domaine du haut, afella ou assif, et ceux en avale de la rivière qui appartiennent au domaine du bas, agouns ou assif. Les premiers formaient le long du djebel el kest une alliance des montagnards dénommée le leff des Tahougalt qui s’opposaient aux villages de la vallée qui formaient le leff de Tagouzoult. Ces deux leff antagonistes ne connaissaient de trêves que durant les fêtes des idernane, comme nous l’explique notre hôte au village de Tagdicht :
Lors de la fête nocturne les jeunes chanteuses ont la tête entièrement recouverte par un voile collectif qui les relie entre elles qu’on appelle chéch. Ce voile collectif semble être imposé par les vieilles zaouia et écoles coraniques de la région. Ce voile collectif imposé par les hommes limite l’expression chorégraphique des femmes. A cet égard, le Sous se répartit en deux sortes de tribus : celles dont l’ahouach (danse collective) des femmes se déroule sans voile et qui excellent dans la danse et le chant et celles qui dissimulent leurs corps sous un voile collectif de sorte qu’elles ne laissent paraître de leur beauté physique que les mains enduites de henné et recouvertes de bijoux (les jeunes nubiles se produisent ainsi pour les beaux yeux de l' éventuel future, les femmes mariées sont de simples spectatrices).Ici, le corps des femmes est marqué d’interdits ; on nous a même empêché de filmer les spectatrices. Et comme nous avions voulu filmer les traditions culinaires de cette fête des idernane ; on nous a promis par politesse d’accéder à l’espace intérieur réservé aux femmes, mais c’était juste une promesse qui n’a pas été suivie d’effet. De manière symbolique, le seuil, al-atba , marque la limite à ne pas franchir .
Résurrection des fleurs sauvages
Le poète Mohamed Kheir Eddine , né dans cette vallée d’Ameln, plus précisément au village d’azrou ouadou (le rocher du vent) s’était élevé à son retour d’exile contre ces traditions étouffante tout en exprimant de la nostalgie pour ces musiques naïves et attendrissantes qu’il a connu dans son enfance. Une enfance où il n’avait connu de la femme que son voile noire et son fagot de fourrages sur le dos :
La femme portant la montagne sur le dos
La femme naissant du creux moite de l’omoplate
Des moutons sacrifiés sur l’ardent miroir fauve
Mère ! Issue des plantes fourragères
Je vais par ce chemin abrupt atteindre tes yeux baies
Et très haut une lune peut – être qui pose ses nasses
Avec sa langue embrassant les étoiles
Morte ?! Non. Fatiguée de l’amour acre non consommé
C’est en ces termes que dans sa « Résurrection des fleurs sauvages », que Mohamed Kheir Eddine rend hommage aux femmes de ce pays qui est le sien. Et « on arrive dans son pays, écrivait – il , plein de bruits des mégapoles, de la furie des mers et baignant dans les espaces immenses. Quel miracle ! Après les vins forts de l’errance que les brocs de petit lait saupoudrés de teins moulu. On refait connaissance avec la moindre poutre, la moindre marche. On redécouvre les pièces visitées en rêve, exiguës et ténébreuses. On est véritablement à l’écoute des musiques de l’enfance. »
Les commerçants des villes bâtissent ici des villas en béton dont ils confient les clés à des allogènes et où ils ne viennent habiter qu’une quinzaine de jours par an, à l’occasion de mariages. Au pays reste la femme : c’est elle qui cultive la terre, c’est elle qu’on voit arracher de l’herbe en flanc de montagne. Curieuse économie à deux branches : l’agriculture et le commerce dont l’une, la complémentaire s’est développée au point de devenir la principale. Au pays d’Ameln, l’émigration a dispersé les hommes au point qu’on a du faire appel à l’ahouach des hommes de la tribu voisine d’Amanouz. Dans son improvisation poétique, le poète fustige l’avarice qui fait de l’accumulation de richesse le but ultime de la vie. L’avare ne peut s’adapter à la vie sociale : Dieu lui a interdit de goûter au miel des choses. Dans une fête où l’assistance est faite principalement d’épiciers et d commerçants ayant bâti leur richesse à force d’épargne, l’évocation de l’avarice paraît un clin d’œil qui ne manque pas de sel. Un simple recensement des invités nous convainque de leur origine social : tailleur à Tanger, buraliste à Casablanca, épicier à Rabat, restaurateur à Tafraout, propriétaire de supermarché dans la banlieue parisienne : ils sont tous revenus au pays à l’occasion de l’aïd el kébir et ont choisi de prolonger leur séjour pour participer au village, aux environs de Tafraout, à la fête saisonnière de l’Anti – Atlas. Contrairement au Haut – Atlas où nous pouvions interroger des femmes d dévoilées sur leur chant et leur danse, dans cet Anti – Atlas puritain, on a dû ruser pour filmer furtivement au loin, des femmes voilées.
Dans le Sous, la femme reste la gardienne de la culture et de l’agriculture. De tout temps la femme berbère a été pourvoyeuse des significations du monde. C’est elle qui inculque aux très jeunes enfants la culture ancestrale que l’homme trop paresseux quand il n’est pas occupé dans les mines d’Europe ou les épiceries de Casablanca ne leur dispense pas. Cette culture se donnait comme un travail de patience et de méthode qui consiste à nourrir le cerveau de l’enfant de la geste symbolique tout en lui faisant connaître les beautés diverses et immédiates de la terre.
Abdelkader MANA
15:01 Écrit par elhajthami dans Documentaire, Musique, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tafraout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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