21/12/2011
Cap sur le Sud
Texte Abdelkader Mana, images Jean François Clément
Agadir et d’une manière plus large le Sous est le cerveau musical de la poésie berbère : la donne linguistique centrale. On accepte en effet toutes les innovations possibles et imaginables, Agadir est une ville touristique internationale, mais on se ferme sur soi-même et sur sa communauté d’origine dés lors qu’il s’agit de la langue maternelle : elle constitue le socle non négociable autour duquel s’organise toute activité culturelle dans le Sous. Dans aucune autre région du Maroc on n’observe un tel attachement à la langue berbère. Il n’est d’ailleurs pas un hasard si Fatima Tabaâmrant ,la diva de la chanson chleuh soit en même temps membre à part entière du conseil administratif de IRCAM (l’Institut Royal de la Culture Amazighe). Comme son nom d’artiste l’indique, elle est originaire des Aït Baâmrane et a intégré le domaine de la chanson berbère en 1983, soit déjà une trentaine d’années :
Fatima Tabaâmrant
« Je suis d’abord une poétesse avant d’être chanteuse. Ma première qasida « qu’est ce qui t’arrive pour pleurer ainsi ? » parlait de ma situation d’orpheline : je n’ai pas connu ma mère que j’ai perdu en très bas âge. C’est la raison principale m’ayant poussé à écrire la poésie. Je m’inspirais des anciennes mélodies du Raïs Belaïd, du Raïs Mohamed Damsiri ou du Raïs Hmad Biezmawn. C'est-à-dire les leaders de la chanson amazighe que j’admirais alors.
Raïs Belaïd, l'aède des troubadours de Sous
A l’époque il n’y avait que la radio où j’écoutais les Raïssa Rqiya Damsiriya ou Fatima Tihihite En 1983 j’ai débuté en tant que danseuse dans la troupe de Jamaâ el Hamidi que Dieu ait son âme. Peu de temps après, j’ai rejoins la troupe de feu le Raïs Saïd Achtouk puis celle de Moulay Mohamad Bel Faqih. Depuis lors j’écris et compose mes propres chansons. Je n’interprète que ce que je ressens personnellement. Je n’ai jamais chanté les paroles de quelqu’un d’autre. Ma qasida préférée est celle qui traite de l’identité amazighe en Afrique du Nord. Auparavant on considérait comme simple produit de l’imagination le fait d’affirmer l’existence des amazighes au Niger ou au Mali. Dans ma qasida j’affirme :
C’est en Afrique que se trouve la terre des amazighes libre ;
Au Burkina Faso, au Mali, ainsi qu’au Tchad.
C’est là que s’enracinent leur poésie et leur parole.
Leur substratum, vital, tribal.
C’est la terre de Tamazight que je chanterai !
Pourquoi ne serais-je qu’une outre emportée par les eaux ?
J’ai un message qui fait pleurer
Mais je n’ai pas encore trouver de coursier pour l’expédier !
A l’humiliation je préfère me terrer sous terre.
C’est pour tamazight que je mène mon combat
Contre tous ceux qui voudraient renier notre langue …
Pourquoi je ne préserverai pas mon identité alors que les kabyles d’Algérie restent attachés à la leur ? J’ai un film sur la kahéna, l’héroïne berbère. J’ai également chanté une qasida qui parle de la mort de Matoub Lounès, ce grand pilier de la culture amazighe. Je lui ai dédié un chant funèbre où je le compare à une grosse pierre qu’on a arrachée à la montagne laissant un vide béant à sa place. Cette qasida parle de ceux qui militent pour l’amazighité et de ceux qui s’opposent à elle.
Je n’aime pas les masques : je préfère les traits naturelles. Pourquoi tous les pays d’Afrique du Nord préfèrent le masque ? L’art a une relation étroite avec la politique. Par le passé il était interdit de parler de l’amazighité dans notre pays. Et maintenant nous allons fêter l’an amazigh 2961. N’est-ce pas là un objet de fierté ? N’ai – je pas le droit d’être fiere de cette histoire plus que millénaire ? Je suis chez moi, je ne suis pas partie vivre au pays de quiconque. Les générations s’en vont mais la culture reste. La page écrite peut braver l’éternité, surtout si son contenu pèse lourd. Si nous voulons parler de la culture dans notre pays ; force est de reconnaître que nous avons des maisons de la culture mais qui n’abritent pas de culture. Le grand problème dont souffre la chanson amazighe est celui de l’information. Les médias audiovisuels avaient complètement exclu l’amazighité de leurs programmes. Beaucoup de nos Rways sont décédés : où est maintenant la relève ? Les programmes télévisuels consacrés aux jeunes talents ne comportent pas de participation amazighe. Nous devons sauvegarder notre patrimoine, car la chanson amazigh est une école en soit. Elle est riche en contenus. La chaîne amazigh manque encore de crédibilité et de professionnalisme à même d’imposer la chanson amazighe. Par exemple à Studio 2M, il n’y a aucune participation en langue amazighe. C’est notre droit d’avoir une participation amazighe. Nous avons pourtant droit à 30% des programmes des chaînes non amazighes. Cela est clairement stipulé dans le cahier de charge.
Ganga berbères de Tamanar
Les ministères de la culture et du tourisme ont toujours eu une perception folklorique de l’art amazighe. On vous met toujours dans un cadre folklorique où vous ne pouvez rien donner. Pour ces ministères la chanson amazighe est un simple produit folklorique pour touristes de passage au Maroc. Cependant j’apprécie beaucoup l’initiative du ministère de la culture relative au soutien à la chanson marocaine. Maintenant les jeunes écoutent les chansons orientales et occidentales de sorte que la chanson marocaine s’en trouve exclue. Parce qu’il n’y a pas du nouveau dans le domaine de la chanson. Nous vivons dans une époque où tout s’est perdu avec Internet, les paraboles, les cartes mémoire, le piratage ; le marché de la chanson s’en est trouvé perturbé. . Il ne peut pas y avoir de progrès dans le domaine artistique sans lutte contre le piratage. Le producteur ne tabler plus sur l’artiste, surtout quand celui-ci n’a pas de public. Les artistes connus s’épuisent. J’ai maintenant plus de trente ans de carrière ; il nous faut du sang neuf
Ammouri M’barek lors des training de l'UNESCO sur la musique et la danse
Training de l'UNESCO sur la musique et la danse à Agadir, janvier 2011
Ammouri M’barek, est l’un des fondateur du groupe folk Ousman dans les années 1970. Il a mis fin à son émigration et il est rentré au Maroc pour se mettre au service de la chanson amazigh moderne. Ousman était un groupe pionnier qui a donné par la suite naissance à tous les groupes folk berbères de Sous. Ammouri M’barek est représentatif de ces artistes berbère qui mélangent avec bonheur tradition et modernité . Il a beaucoup travaillé avec les associations kabyles en France : :« Mon expérience artistique a débuté à Taroudant à travers la création du groupe âssafîr (les birds en anglais) et le deuxième groupe que nous avons appelé « Sous 5 », par référence au nombre des musiciens qui composent le groupe. C’est de là qu’est née l’expérience du groupe Ousman, en 1975-76 à Rabat. Le mérite de la fondation de ce groupe revient à Brahim Akhyat, qui militait pour la reconnaissance des droits culturels et linguistiques des Imazighen. Je l’avais rencontré lors d’un mariage à Tiznit. Puis par la suite à Rabat avec Mr El âkkaf, le musicien qui est parmi nous et qui fait maintenant partie de l’IRCAM(l’Institut Royal pour la Culture Amazigh). Le but du groupe était de se mettre au service du patrimoine amazigh. Il s’agissait de sauvegarder l’authenticité tout en s’ouvrant sur la modernité. Je crois profondément au principe qui dit : « pour connaître un pays, il faut observer ses Beaux Arts. » Es-ce que ces Beaux Arts connaissent une accumulation ou bien sont-ils en voie d’extinction ?
Le corégraphe Abdeslam Michel Raji
Jusqu’ici j’ai pratiqué la musique en autodidacte. Je n’ai pas étudié la musique. Notre groupe d’Ousmanavait des principes et une vision. On avait un projet culturel et linguistique. Un projet artistique moderniste. On s’est inspiré de la musique et des rythmes traditionnels. Notre départ a eu pour cadre le Sous en tant que terroir des amazigh. Nous avons essayé de chanter également dans les autres dialectes berbères du Maroc : l’amazighe du Moyen Atlas ainsi que le rifain . Notre premier souci était de servir la chanson amazighe. Il s’agissait de la soustraire d’une certaine léthargie, de son repli sur elle-même : s’ouvrir, s’oxygéner, sans pour autant délaisser le chant et la danse traditionnels.
Agadir by night, photos Jean François Clément
Il ne faut rien toucher à cette expression ancestrale, expressions millénaires d’un peuple et d’une civilisation. Une histoire profonde et riche. Il n’y a pas longtemps j’ai rencontré des jeunes de Ouarzazate qui m’ont émerveillé en créant une troupe de danse traditionnelle de cette région. Mais il faut que les ministères de la culture et du tourisme mettent la main à la patte pour aider ces groupes. Car sans subventions, demain ou après demain on vous dira que la danse de la Guerrara au Sahara ou celle des gazelles des Houara ont disparu. On peut dire autant de la Daqqa de Taroudant, de l’ ahidus du Moyen Atlas ou de la Taqtouqa des Jbala.Une attention toute particulière doit être accordé à cet aspect du patrimoine.
Je peux dire que notre groupe Ousman a survécu. Il nous est arrivé la même chose que Tarek Ibn Ziyad lorsqu’il avait traversé le détroit de Gibraltar en brûlant voiles et vaisseaux pour que son armée ne puisse plus faire marche arrière. Toutes les portes ne nous étaient pas ouvertes. Toutes les institutions ne nous étaient pas faciles d’accès. Nous devons notre survie à notre foi en notre mission,en notre message et en notre rêve. C’est notre engagement vis-à-vis de notre public.
Il faut que les pouvoir publics permettent à ces artistes d’accéder aux médias publics avec équité. Sans clientélisme. Sans casting préalable. Car on est artiste déjà à la naissance. L’artiste ne doit pas passer par les médias pour ses beaux yeux ou ses beaux cheveux. La sélection se fait d’elle –même sans favoritisme : Celui qui a quelque chose à dire reste et celui qui n’a rien à dire fini tôt ou tard par disparaître.
Le groupe folk Ousman chantait le répertoire des poètes amazighes qui étaient engagés tels , Akhyat, Mestaoui ou Amarir. Les instruments étaient modernes mais le contenu traditionnel. La nouveauté du style plaisait à la jeunesse. Cette expérience a permis de dépasser le complexe d’infériorité dont souffrait l’amazighité. Dés la sortie de Taguendawt,le succès est immédiat : notre premier 45 tours s’est diffusé avec une grande rapidité. Les passants nous reconnaissaient et nous arrêtaient pour nous dire leur fierté d’avoir eux aussi des racines amazighes. Chose qui n’existait pas auparavant où on n’entendait pas de musique amazighes dans les lieux publics tels que les cafés ou les administrations. Avec les associations culturelles, le groupe Ousmana contribué à dénouer le complexe d’infériorité dont souffraient les amazighs. Cela a libéré l’expression de l’amazighité qui était contenue jusque là dans le domaine privé..
Le Raïs Anchad et le Raïs Belaïd sont pour moi les piliers de la chanson amazighe. Ces deux Raïs m’ont particulièrement influencé, du point de vue la créativité par leur mélodie et leurs paroles. Du point de vue des voix et du chant aussi. Jusqu’à présent il est difficile de rencontrer quelqu’un qui s’élève au niveau de ces Maestros. Déjà à l’époque le Raïs Belaïd avait composé des chansons qui ne dépassaient pas 3 à 4 minutes. Je n’ai jamais voulu briser cette beauté ancestrale, cette beauté traditionnelle. Les répertoires d’ Anchad et du Raïs Belaïddoivent être traités comme des classiques avec un grand orchestre philharmonique.
Je n’apparais pas à la télévision et je ne participe pas aux festivals parce que je suis marginalisé. Les producteurs sont tous des commerçants qui cherchent d’abord ce qui est en vogue. Ils ne cherchent pas l’art pour l’art. Nous n’avons pas de véritables producteurs : ce sont d’anciens marchands de fruits et légumes convertis brusquement en producteurs de cassettes. Ce sont des commerçants de la chanson : ils ne peuvent jamais contribuer à l’élévation du goût musical du public.
Timitar ,un beau nom. Il signifie « signes et symboles » en berbère. Ce festival a pour slogan : « les artistes amazighes accueillent ceux du monde ». Il faut dire l’inverse : « les artistes du monde accueillent les artistes amazighes chez eux. ». On invoque le concert de la tolérance. De quelle tolérance s’agit-il, alors qu’on n’invite aucun artiste d’ici ? ! Une part insignifiante des artistes autochtones participe à ce festival. Et on te parle de tolérance ! Pourquoi ne pas faire découvrir au grand public les Rwaysd’ici ? Pourquoi ne pas faire découvrir aux jeunes les anciens talents ?
On n’a jamais vu la deuxième chaîne, ni d’ailleurs la première consacrer une émission à un artiste amazigh..Il font de l’actuelle chaîne amazighe une sorte de « réserve d’indiens ». Il faut que la chanson amazighe soit diffusée par toutes les chaînes. Il ne faut pas la limité à une sorte de réserve. Il faut qu’elle soit présente sur toutes les chaînes.
Mohamed El Khattabi au téléphone
Plage d'Agadir
Des différentes formes d’Ahouach Mohamed El Khattabi, poète amazigh, né le 4 avril 1965, dans la commune d’Aït Ahmed, aux environs de Tiznit qui préside actuellement le syndicat marocain des musiques et des danses dans la région Sous – Massa – Dra, nous dit : « J’ai grandi en milieu rural où on pratique différents genres d’ahouach , tels ceux d’ Ajmak, d’Aghnaqar, d’Asdawl, ou de derst et bien d’autres encore. Le Sous est aussi connu pour sa poésie chantée en langue amazighe, surtout l’art des Rways qui m’a énormément influencé. J’avais formé une troupe de Rways au milieu des années 1980 et en 1988, j’ai formé un groupe folk berbère du nom d’Imoudal (les montagnes). Ce groupe s’est structuré autour du Rebab en y incluant des instruments modernes telle la batterie, le banjo et la guitare électrique. On animait ainsi fêtes officielles et privées. En même temps j’ai écrit un grand nombre de poèmes en langue amazighe : certains furent publiées dans les revues et journaux nationaux, d’autres ont été interprétée par des trouveurs chleuhs ou par des groupes folk berbères» A la fois troubadours et trouvères, les danseurs chleuhs sont aussi des chanteurs qui interprètent les œuvres des poètes de la montagne : vieilles mélopées, chansons nouvelles.
Depuis 2003, le syndicat des métiers de la musique et de la danse pour la région Sous- Massa- Dra, organise un festival à Tiznit autour de la figure emblématique du Raïs Belaïd nous’explique Mr. Mohamed El Khattabi, instigateur de cette manifestation :
« Le festival du Raïs Belaïd que j’ai fondé à Tiznit est maintenant à sa neuvième édition. Nous lui avons donné le nom de ce grand artiste, qui symbolise à lui seul la chanson amazighe. Nous comptons perpétuer son souvenir en décernant un prix en son nom lors de chaque édition de notre festival. Le délégué de la cultureà Tiznit, Mr. El Farz avait appuyé dés le départ l’idée d’ organiser cet évènement avec des moyens forts limités du ministère de la culture. Soit la somme de 3000 DHS. Parmi les stars de la chansons amazighe y ayant participé : Ammouri M’barek, Fatima Tabaâmrant ainsi qu’un grand nombre de poètes amazighes. Lors du colloque organisé à cette occasion nous avons recommandé de donner le nom du Raïs El Haj Belaïd au conservatoire de musique de Tiznit. Suggestion approuvée par le conseil municipal de Tiznit ; une plaque commémorative portant le nom de l’illustre Raïs fut accolée aussitôt à l’entrée du conservatoire de la ville.
Autre recommandation : nous avons adressé une requête à la délégation de la culture et au conseil municipal pour l’adoption de l’ enseignement de la musique amazighe au conservatoire, y compris le legs du Raïs Belaîd en tant que symbole culturel du Sous – Massa- Dra. Nous demandons également de baptiser l’une des artères de Tiznit en son nom . Au cours des neufs dernières éditions du festival, le prix Raïs Belaïd a été accordé successivement aux artistes suivants : Ammouri M’barek, Fatima Tabaâmrant, le Raïs H’mad Bizmawn, le groupe folk berbère d’Izenzaren , Rqiya Damsiriya l’artiste connue de tous, Fatima Tihihite mazzine, le poète Ali Chouhad doyen du groupe musical d’Archach, et enfin au Raïs Lahcen Ben L’moudden. Et si le bon Dieu le veut, ça sera le tour du grand artiste le Raïs el Hucein el Baz, d’obtenir ce prix en 2011. »
« Je ne suis pas prête à laisser mon job et mon salaire de prof d’Anglais pour un travail artistique qui n’assure aucune garantie. Il y a des conditions au professionnalisme qui n’existent pas au Maroc. De ce fait la chanson marocaine est en crise : elle vit sur son passé glorieux mais sans création nouvelle. Il n’y a pas d’institutions qui sélectionne et récompense le travail de qualité, comme c’est le cas des pays développés. » affirme une artiste présente à ces training organisés par l’Unesco pour la professionalisation des métiers de la musique et de la danse. Nécessité de sortir du cercle vicieux de la reproduction du répertoire traditionnel qui domine le marché marocains : on reproduit toujours les mêmes styles et les mêmes modèles sans réelle innovation. Selon un membre du groupe Toudert de Tiznit, les artistes se contentent de copier le style du Raïs Belaïd sans réel effort de créativité : On se contente d’imiter ce qui existe déjà en le commercialisant sous une forme soit disant moderne. On a souligné combien les artistes locaux sont marginalisés lors des festivals où sont surtout mis en valeurs les artistes invités. Les locaux sont infiniment moins bien rémunérés par rapport aux cachets accordés aux artistes étrangers…Comment peut-on encourager le professionnalismes des artistes locaux tout en les marginalisant ? La plupart des groupes à Aït Baâmran comme à Zagora, malgré le jeune âge de leurs membres, affirment s’être constitués en association pour préserver le patrimoine musical léguer par leurs ancêtres. Un groupe de jeunes musiciens du tarab hassani se plaint de l’absence d’espace pour les répétitions musicales à Zagora. Ces jeunes s’interrogent sur comment être médiatisé en dehors du cadre strictement local ? Besoin d’instruments de musique telle la guitare électrique. L’encouragement officiel à de telles initiatives est une attente importante des artistes de Sous qui ont soifs de reconnaissance et de considérations.Abdelkader Mana
12:16 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
20/12/2011
L’Oriental marocain
Texte Abdelkader Mana, images Jean François Clément
Le pays de l’armoise et du vent
Défini comme « blad chih oua rih » (le pays de l’armoise et du vent) dans la tradition populaire, l’Oriental Marocain, s’étend sur 82 000 km². Selon le découpage administratif, il se compose de cinq provinces, hors la préfecture d’Oujda - Angad : Nador, Berkane, Jerada, Taourirt et Figuigue. Limité par la Méditerranée au Nord et par l’Algérie à l’Est, l’Oriental Marocain, présente une étonnante diversité géographique et humaine, ainsi que de grandes richesses préhistorique : dans le majestueux massif des Béni Iznassen, les gorges de Zegzel recèlent, la fameuse grotte des pigeons où fut découvert « l’homme de Tafoughalt », vieux de plus de quinze mille ans.
La plaine de Triffa s’étend au pied du massif des Bni Iznassen qui atteint 1665 mètres au Jbel Afoughal. Cette plaine de Triffa, qu’irrigue le Moulouya avant de se jeter en Méditerranée près de Saïdia aux confins de la frontière algéro – marocaine comprend des douars d’origine algériens. Ils s’y sont établis vers 1830, sur les traces de l’émir Abdelkader, comme c’est le cas de ses descendants que sont les Oulad Sid Cheikh établis à Laâyoun Sidi Mellouk, après la fameuse bataille d’Isly. C’est dans cette grande plaine de Triffa, doucement ondulée aux terres si fertiles que la mise en valeur des fermes coloniales avait commencé au Maroc.
la plupart des algériens installés à Oujda avant 1907, et en particulier ceux qui avaient fui la domination française pour des raisons religieuses, sont aujourd’hui considérés comme marocains. En 1933, ils se sont regroupés en association amicale qui comptait 500 membres en 1937, représentant l’élite de la communauté algérienne d’Oujda. Le président de cette association joue officiellement le rôle d’un « Cheikh. »Il existe à Oujda deux confréries religieuses qui sont dirigés par des algériens, la confrérie des Aïssaoua et celle des Taïbia. Elles servent de trait d’union entre les Zaouïa similaires d’Algérie et du Maroc.
Des Oasis, comme celle de Figuig ou de Ich, viennent donner le contrepoint aux ports et aux stations balnéaires de la façade méditerranéenne, prouvant dans un extraordinaire contraste, la force et l’importance d’une séduisante variété.
Situé dans la zone frontalière maroco – algérienne , Figuig est classé parmi les oasis pré – sahariennes. C’est l’oasis magique des sept ksour et des quarante quatre saints. De nombreuses sources expliquent la présence de l’oasis dans ce coin de désert. Figuig se caractérise par les aspects suivants :
- Les sept Ksour avec leur originalité architecturale et organisationnelle.
- Le système d’irrigation traditionnel. Les sources thermales de 30°C, alimentent par ailleurs les lavoirs publics et les bains sous terrain.
- A 40 km de Figuig, des tumulus et gravures rupestres.
- L’artisanat est affaire de femmes :haïk, burnous, tapis.
- Les zaouia et leurs dépendances (medersas, bibliothèques), ainsi que le rayonnement culturel des quarante quatre marabouts.
A la saison de pollinisation, il y a des chants à l’intérieur des parcelles. Chants liés au palmier – dattier, mais aussi au travail artisanal. Il y a aussi le chant des femmes lié au tissage.
Depuis la préhistoire, l’Oriental Marocain, a été la porte d’entrée au Maroc des différentes civilisations venues de l’est, en faisant un lieu de métissage entre les musiques ancestrales, tel que Laâlaoui et les Reggada,d’une part et le Raï et le Gharnati de l’autre. Un art musical de métissage et de syncrétisme religieux, comme l’illustre, Sidi Yahya, le saint patron d’Oujda vénéré à la fois par les juifs et les musulmans. Saint patron d’Oujda, musulmans, juifs et chrétiens l’invoquent à l’unisson. Il demeure un lieu de pèlerinage privilégié pour juifs et musulmans. Au 19ème siècle,en cas de conflit, les chefs des tribus Angad, Mhaya et Béni Iznassen, se réconciliaient sur le tombeau de Sidi Yahya. Abou Hamid el Ghazali aurait écrit avoir lu dans le livre du Hakim al Rounani(le sage grec ?) qu’Abou Yahya Ben Younès était mort à Oujda et y avait été inhumé. C’était un des pôles du monde ; il adora Dieu pendant quatre vingt ans dans le jeûne le silence et la prière. Sa présence fit disparaître les lions qui infestaient les environs de la ville d’Oujda alors considérable. Sidi Yahya fut un précurseur ; il était contemporain du christ, mais il prédit la venue du Prophète cinq cent ans avant sa naissance ; il doit par conséquent être considéré comme musulman. Les juifs de l’Oriental ont vécu longtemps en paix parmi les musulmans en particulier à Oujda, Figuig et surtout Debdou, cité où les juifs étaient plus nombreux que les musulmans.
Debdou est située à 160 kilomètres au Sud – Ouest d’Oujda. A la suite des persécutions de la Reconquista au XVè et XVIè siècles, notamment les expulsions des communautés juives du Royaume d’Aragon et de Castille sur ordre d’Isabelle 1ère la Catholique (1474-1504), une communauté juive séfarade, originaire essentiellement de Murcie, s’y installa. Durant une longue période les israélites, en particulier les familles Cohen et Marciano, y exercèrent un commerce actif avec l’Algérie et Méllilia, faisant de Debdou une plaque tournante, « un port de steppes orano – marocaines ». Debdou est rangée maintenant dans la catégorie des petites villes déchues..Elle dépend de la province de Taourirt
Le géographe andalou, Oubeïd el Békri écrivait vers l’an 1068 :
« Les voyageurs qui partent des contrées orientales (de l’Afrique) pour se rendre à Sijilmassa et aux autres localités de l’Occident, traversent la ville d’Oujda et y suivent la même route lors de leur retour. » Cependant cette voie de passage pour le commerce était aussile « triq Sultan »(troué de Taza, seul couloir de circulation praticable entre Fès et Tlemcen) ponctuée par le Moulouya et la Kasbah des Msoun,qu’empreintaient les armées des Sultans du Maroc lorsqu’elles se portaient contre les Souverain Abdelwadides de Tlemcen. Oujda fut ruinée et relevée quatre fois au cours des guerres continuelles qui opposèrent les maîtres de Fès à ceux de Tlemcen.En 1084, l’Almoravide Yossef Ben Tachfîn, après avoir franchi la Moulouya , détruisit une première fois la ville. Puis, en 1272, ce fut le mérinide Abou Yousof Yacoub qui mit en pièce l’armée des Abdalwadides qui régnaient sur Tlemcen, à la bataille d’Isly Il détruisit Oujda de fond en comble et la rasa jusqu’aux fondements. Son fils Abou Yaâcoub qui avait repris la lutte contre les Abdalwadides fit raser encore une fois les fortifications qui avaient été relevés entre temps.Il donna ensuite l’ordre de relever la ville de ses ruines, d’y construire une Kasbah , un palais, un bain maure, et une mosquée Après une période de tranquillité, le Sultan mérinide Abou Saïd rouvrit les hostilités contre les maîtres de Tlemcen. Il donna l’assaut contre Oujda en 1314. La ville fut à nouveau assiégée en 1335, puis ruinée par le Sultan mérinide Abou el Hassan.
Au 16èmesiècle, où les turcs pénétrèrent jusqu’à Moulouya, d’où ils furent repoussés par les Saadiens vers l’Est, Léon l’Africain écrivait à propos d’Oujda : « Les murailles d’Oujda furent autrefois hautes et fortes, les boutiques et les maisons bâtis d’un industrieux artifice, les habitants riches, civiles et magnanimes. Mais elle fut saccagée et démolie par les guerres, qui survinrent entre les rois de Fès et ceux de Tlemcen, au nom desquels, elle voulu tenir bon. Puis , la paix faite, elle commença d’être habitée par des gens qui se mirent à édifier des maisons non en si grand nombre qu’autrefois, ni d’une si belle structure qu’elles avaient été par le passé, car il ne saurait y avoir aujourd’hui mille cinq cent logis habités. Et avec ce, des pauvres gens comme qui rendent un si excessif et démesuré tribut au roi de Tlemcen et aux arabes leurs voisins. »
Oujda fut fondée en 994, par Ziri Ben Atya, chef des Maghraoua, groupe de Zénètes nomades. Investi par les khalifes Omeyyades de Cordoue du commandement du Maghreb, Ziri Ben Atya , qui dut s’y imposer par la force, décida de s’installer au centre du pays qu’il devait administrer plutôt qu’à Fès ou à Tlemcen. Il résolut de créer une « capitale » au milieu de la plaine d’Angad, à proximité de la source de Sidi Yahya(le beau parc de Sidi Yahya qu’abritent les térébinthes séculaires ne fut qu’un cimetière) et de montagnes qui pourraient éventuellement lui servir de refuge. Mais le site d’Oujda se justifie aussi par le croisement qui s’y opère entre deux grandes voies commerciales : la voie nord-sud de la mer à Sijilmassa et est-ouest de Fès à Tlemcen. Située dans la plaine d’Angad,Oujda est à 14 kms de l’Algérie et à 60 kms de la Méditerranée. Les quatre portes de la médina d’Oujda correspondent aux quatre points cardinaux :
- Au nord Bab Oulad Amrane et la route menant chez les Béni Iznassen.
- Au sud Bab Sidi Aïssa, d’où convergent les routes menant chez les M’haya et les Zekkara .
- A l’Ouest Bab el Khémis, donne sur la route qui mène vers Aïn Sidi Mellouk et Aïn Sfa.
- A l’Est, Bab Sidi Abdelwahab, donnant accès au chemin de Marnia et de Sidi Zaher, ainsi qu’à la route de Sidi Yahya le saint patron d’Oujda.
Au 19èmesiècle,en cas de conflit, les chefs des tribus Angad, Mhaya et Béni Snassen , se réconciliaient sur le tombeau de Sidi Yahya. A la fin du 16ème siècle Marmol, raconte que la ville eut à souffrir d’une attaque de Barberousse, et ajoute :« Oujda s’est repeuplée depuis, de quelques mille cinq cent berbères…Les habitants sont tourmentés des turcs et des arabes du désert. »
Le Gharnati entre Fès et Tlemcen.
En matière artistique, les algériens concurrencent les fassis. La société de musique « Andaloussia », a été fondée en 1925 par deux fonctionnaires algériens, Si Rahal Mohamed interprète judiciaire, et Bensmaïn Mohamed, professeur au lycée. Elle a vivement intéressé S.M. Le Roi Mohamed V, lors de sa première visite officielle à Oujda. Le répertoire classique des Noubât Gharnati d’Oujda a pour source Tlemcen qui recueillit dés le 13ème siècle le legs musical andalou. Cité des grands maître de la musique arabo – andalouse, dont Al Maqqari Al Tilimçâni, l’auteur de nafhat – tîb qui raconte le cycle des nawba Gharnati – de Grenade – où les plus grands musiciens de Cordoue se retrouvèrent, avant de refluer vers le Maghreb, à la suite de guerre de reconquêtes catholiques en Espagne. La tradition Gharnati de Tlemcen a entretenu des contacts avec les villes d’Oujda et de Tétouan au Maroc. Tlemcen a été un centre de rayaunnement de la musique andalouse dans sa sphère culturelle avec à l’Ouest, le couloir de Taza et à l’Est, Bejaïa.
Cette musique andalouse est appelée Ala au Maroc, Gharnati à Tétouan, Oujda et Tlemcen, San’â à Alger, et Maâlouf au constantinois et à Tunis.La nawba fut mise au point dès le 9èmesiècle, à Cordoue, en Espagne musulmane. Vastes constructions mélodiques qui ont vaincu l’oubli et traversé le temps.
C’est Ziryab qui fut à l’origine du grand monument andalou, constitué par les vingt quatre nouba-s, un système qui se développa sous la forme d’un arbre symbolique, l’arbre des tempéraments, Shajarat al-toubou’, ou arbre des modes. A chaque heure qu’égrène le jour correspond un mode, un maqâm, c'est-à-dire un chant, une mélodie, qui exprime un état d’âme, une pensée, un sentiment. Si par exemple, le mode raml et raml el Maya, célèbre les chatoiements du crépuscule, le maya et rasd – eddil,saluent le jour qui point.
Le grand Ziryab ajoute une cinquième corde à son luth et fixe à cinq le total des mouvements essentiels de la suite musicale arabo – andalouse qu’on appelle nawba. Des vingt quatre modes que comptait l’ingénieuse et géniale classification de Ziryab et de ses disciples, quinze seulement subsistent au Maghreb. Et sur les 15, 12 seulement restent suffisamment connues pour offrir matière à la composition de nawba parfaites, c'est-à-dire de suites à peu près complètes.Vers 1800, à la demande du Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah, on rassembla dans le manuscrit du Hayk al Titouâni, les textes de tous les chants qui se chantent couramment sur les vingt quatre échelles modales ( toubou’) des onze nawbât marocaines.
Dans la nawba maghrébine héritière de la nawba andalouse, la musique, le chant et la poésie sont étroitement liés. Toute tentative de faire abstraction de l’une des composantes de la nawba aboutit à une analyse erronée. On ne peut donc parler du muwashah sans le mettre en relation avec la nawba dans laquelle il est chanté, et avec le mode tba’ qui en détermine souvent le contenu thématique et la forme stylisqtique. Les pièces vocales se composent aussi de Zajal et de qasaïd-s classiques. Et il arrive souvent qu’au cours du même mouvement on chante successivement un Zajal, un mûwashah et une qasida. Le muwashah qu’on peut traduire par « la parure poétique chantée » est né dans les jardins andalous. C’est ce genre poétique typiquement andalou qui serait derrière la poésie de « l’amour courtois » qui caractérisait au Moyen Âge les troubadours de l’Europe méridionale.
A la fin du 19ème siècle, Oujda était entourée d’une ceinture de jardins plantés de jujubiers. D’où le surnom de « médinet el Cédra » : citée des jujubiers. Suivant les époques, Oujda a été également surnommée médinet el Haïra(ville de la perplexité). Ceinture de jujubiers et d’oliviers, épaisse de mille mètres en certains endroits. Chaque jardin était enclos d’un mur en pisé de 1,80 m à 2m de haut percé de nombreux trous. Les espaces laissés libres entre les jardins formaient un dédalle assez compliqué de ruelles dans lequel on pouvait difficilement s’orienter, les oliviers arrêtant la vue. Les jardins constituaient un système de défense appréciable, qu’on avait renforcer dans les années 1880 par la construction du muraille en pisé de six mètres de haut, formant une enceinte continue percée de deux portes diamétralement opposées et doublé d’un fossé large et profond creusé pour construire le mur.
En 1885,J.Canal écrivait :
« Oujda se divise en six quartiers ou Houma, séparés entre eux par de grandes portes, placées en travers de la rue et fermées la nuit. Chaque quartier a ses mosquées, son Foundouk(auberge - écurie),ses bains maures etc.
Les six quartiers d’Oujda sont :
- Au nord ; Oulad Lahcen, Oulad Amrane, Ahl oujda,.
- Au centre ; le Mellah.
- Au sud – est ; Oulad Aïssa.
- Au sud – Ouest ; les Oulad el Cadi.
La kasbah se trouve au centre. Tous les soirs la ville est fermée par ses portes extérieures, lesquels sont fortement bastionnées et défendues par des remparts en maçonnerie. » La médina abritait les musulmans et les juifs marocains.Les deux tiers des juifs marocains vivaient dans l’ancienne médina intimement mêlés aux musulmans, partageant le même immeuble autour de la même cour, d’un seul puits, dans une même misère. Ainsi, les juifs marocains d’Oujda n’étaient pas comme dans d’autres villes du Maroc confinés dans un Mellah entouré de remparts.
La ville européenne s’était étalée au-delà des remparts, détruits durant les années trente, et remplacés par des avenues. Un certain nombre de juifs marocains enrichis, avaient quitté la médina pour la ville européenne. Celle-ci recevait également des familles de notables musulmans marocains et plus encore algériens.
Les principaux fonds de commerce appartiennent à des fassis et à des algériens et se trouvent à la grande Kissaria où sont installés les marchands.La période 1834 à 1844 est de relative prospérité. Ces années apparaissent comme les plus belles qu’ait connu Oujda. La conjoncture d’assez bonnes récoltes et d’un intense trafic commercial, en partie sous tendu par le ravitaillement pour l’émir Abd el Kader,par les négociants. Il faudrait aussi y voir les effets stimulants de l’arrivée des réfugiés algériens désireux d’échapper à la domination française. Il semble que date de cette époque,l’intérêt des familles des négociants fassi en plein essor. Les registres d’entrées et de sorties des marchandises du foundouk Nejjarînes de Fès pour ces années en témoigne.
Oujda à l’aube du 20èmesiècle
A l’aube du 20ème siècle, il existe certes un petit noyau de descendants de vieilles familles Oujdis, renforcés dans les années 1830 – 1840, par l’installation de familles algériennes fuyant l’occupation française et de quelques représentants de firmes fassiesvenant profiter du regain des échanges liés aux fournitures à l’émir Abd el Kader. Mais ces apports sont continus et multiples. Ainsi en 1882 une effroyable disette sévit dans le Souss. Sur les conseils du Sultan, les habitants viennent s’installer dans la région d’Oujda. La population juive passe de 10% à plus de 20%. Diversité, spécificité d’une part, mixité de l’autre. Et d’abord d’énumérer : arabes citadins et arabes campagnards, berbères, figuiguiens, juifs marocains et juifs français, européens aussi, moins rares qu’il n’a été dit, voir « levantins », gens à la langue dorée et à l’inspiration fertile. La cohabitation est heureuse de ces ethnies différentes, qui apparaissent vivant de façon beaucoup plus mêlés que dans les autres cités . A cette aube du 20ème siècle, dans les tribus voisine d’Oujda, l’opposition Angad – Mhaya parait une donnée structurelle de la politique locale. En 1906, la ville comptait un peu moins de 6500 habitants.Ils étaient 34 700 en 1938. Le recensement de 1994 a dénombré 354000 habitants en zone urbaine.
La « waâda » : la fête saisonnière de l’Oriental
Ces différentes formes de danses de l’oriental marocain, se manifestent traditionnellement lors des réjouissances saisonnières connus dans l’oriental sous le nom de waâdate (l’équivalent des fêtes patronales ou moussem du monde rural marocain). Originaire de la tribu des Béni Yaâla, Mr ;Abdelhamid Brahim, président de l’association Brahma pour le folklore de la région de l’oriental nous parle de cette fête saisonnière en ces termes :« Tout le monde participe à la waâda des Mhaya qui a lieu à la pleine lune du mois de juillet. Il y a la waâda des Béni hamlil, celle des Ahl Angad qui se déroule à Sidi Yahya le saint patron d’Oujda et la waâda des Bni Iznassen organisée par sa fraction des Oulad Mansour qui se déroule en une demi journée à Saïdia. Ppartout ailleurs cette fête a lieu en trois jours : la fantasia s’y déroule au malaâb » (terrain de jeu) autour duquel s’organise le campement des khaïma : là sont dressées les tentes louées ou achetées par la tribu organisatrice de la waâda. Ce lieut où ont lieu les sacrifice et où on présente les repas communiels on l’appel « hjir » : on y offre de somptueux repas aux invités d’honneur et aux simples « âbir sabil » (les gens de passage). En faisant montre de la meilleure hospitalité, chaque tribu est en compétition avec toutes les autres. On se dit : « Quelle est la waâda qui a attiré le plus d’invités ? Laquelle avait présenté les meilleures offrandes ? Es-ce la waâda des Mhaya, celle des Béni Hmil ou celle d’Ahl Angad ? Quelles sont les personnalités qui l’ont honoré de leur présence ? Y avait-il beaucoup de cavaliers ?Les cavaliers sont tous des hôtes : par exemple si deux à quatre serba (escouades) sont issus de la tribu organisatrice, les autres cavaliers sont des invités : on s’échange ainsi, à tour de rôle, les invitations entres les différentes tribus de l’oriental »
C’est pour cette raison que l’institution de la waâdase caractérise par la compétition entre les tribu. Cette compétition festive a pour fonction d’apaiser les conflits intertribaux qui naissaient des confits autour des pâturages et des points d’eau.
La « waâda » de Jerada
Depuis sa reconnaissance par les géologues en 1929 et son exploitation effective en 1936 , le bassin carbonifère de Jérada avait transformé cette région agricole en zone minière. En l’an de grâce 2001, le dernier puits est fermé, et le dernier mineur prié de redevenir le fellah qu’il a toujours été. Difficile reconversion, quand on sait que la mine a crée autour d’elle une communauté de destins, une identité propre à ceux qui ont partagé les joies de la fête, mais aussi les ruines invisibles de la silicose : inhalé au fond des galeries souterraines, le dépôt cristallin de poussière noire finit par durcir et obstruer l’appareil respiratoire, y étouffant progressivement la vie. Incurable est la silicose, parce qu’elle adhère irrémédiablement aux parois pulmonaires.
Par delà les collines dénudées et les amandiers en fleurs ; la traversée de l’oued Isly, connu pour la bataille éponyme qui oppose en 1844 un Maroc qui soutenait les incursions de l’Emir Abdelkader depuis le Rif jusqu’en Algérie qui venait alors d’être occupée par la France. Par delà les frontières, histoire commune, proximité géographique : ici –même le jeûne est rompu aux dattes d’Algérie. Par delà les étendues steppiques et les rivières partagées, mêmes goûts musicaux : le Raï d’Annaba est apprécié à Jérada et le Gharnati de Tlemcen à Oujda.
Une mosaïque de tribus
« Il y a encore des réserves de charbon pour un siècle, mais on a décidé de fermer les charbonnages, nous explique cet ancien ouvrier de surface. La mine ne faisait pas seulement vivre Jérada, elle profitait aussi à la ville d’Oujda. Après la fermeture, certains mineurs sont restés sur place, mais beaucoup d’autres sont retournés dans leur patelin d’origine dans le sud ou à Berkane ».
On me conseille d’aller rencontrer un certain Mohamed Lashab, un syndicaliste qui aurait participé aux négociations conduisant à la fermeture de la mine : «On est venu de Debdou où mon père ne pouvait plus vivre de la petite agriculture. Des membres de sa famille qui travaillaient déjà à la mine en 1945 l’avaient incité à les y rejoindre ». Le recrutement s’opérait souvent de la sorte : les mineurs originaires de régions rurales pauvres, une fois établis sur place, faisaient venir voisins et famille de leur village d’origine, leur servant dans un premier temps de « structure d’accueil ». C’est la cas d’Afenzy, né à Demnate en 1950, venu travailler comme mineur au début des années quatre – vingt « parce qu’il y avait des gens de Demnate qui travaillaient déjà ici ». C’est le cas d’Ahmed, né aussi en 1950 chez les Béni Lent, fraction Tsoul, dans la région de Taza, venu à Jérada en 1972 pour rejoindre son frère qui travaillait déjà dans la mine. Ainsi, de fil en aiguille, Jérada, mi-ville, mi-village, s’est composée de quartiers et de douars dont les habitants avaient pratiquement la même origine. Ce qui explique que les quartiers portent les noms de régions lointaines : Sous, Marrakech, Taza, Debdou, Demnate, Béni Yaâla, Oulad Sidi Ali, Oulad Âmer, Zekkara, Oulad Maziane. Il y a même des membres de la même tribu qui habitent des sous – douars : Laghouate installés au douar Oulad Âmer, Béni Guil au douar Oulad Maziane (ces derniers sont des éleveurs connus pour la qualité de leur mouton « Guilli »). Jérada était ainsi composée d’une mosaïque de tribus, comme en témoigne Malika El Kihal, fille de l’un des premiers mineurs : « De mon enfance, je garde l’image de la place centrale de Jérada où, à l’occasion d’une fête religieuse ou nationale, on pouvait assister à tous les folklores du pays. Le personnel organisait une fête saisonnière, l’Waâda , qui était à la fois un rite de passage et un pèlerinage » . Aux environs de Jerada et de Bouârfa chez les Béni Yaâla, les Zekkara et les Mhaya, on pratique surtout le genre Ssaff, cet ahidus arabisé partout présent chez les femmes de l’Oriental marocain
Jerada était structurée en fonction des activités de la mine : il y avait la cité ouvrière, la cité des agents de maîtrise et « la cité Russe » (édifiée dans les années soixante – dix par les Soviétiques venus monter la centrale thermique) où résident les ingénieurs. Du temps du Protectorat, se souvient-on, les agents qui occupaient la cité ouvrière n’avaient pas le droit d’entrer ni de se promener dans la cité des agents de maîtrise, alors occupée par les Français. En pleine activité, la mine produisait jusqu’à 700 000 tonnes de charbon par an et employait 7000 personnes. Ce qui faisait vivre jusqu’à 70 000 âmes. En raison des départs pour fermeture de la mine, la cité ouvrière – noyau primitif de Jérada – est actuellement en démolition. Dans les autres quartiers qui restent encore debout, on peut lire l’inscription « à vendre » sur les façades de nombreux taudis. Mais comme il n’y a pas d’acquéreurs, leurs propriétaires finissent par les abandonner.
Les Cheikh de Bab Sidi Abdelwahab à Oujda
A Oujda, Baba Sidi Abdelwahab est le lieu de rencontre permanant des cheikhs de l’Oriental. C’est là qu’on vient les chercher que ce soit pour l’animation des fêtes de mariage ou pour l’enregistrement d’un CD ou d’un DVD, vendus chez les nombreux disquaires de la médina et tout particulièrement l’allée commerçante de « Marrakech ». Même les Cheb du Rai de Guercif s’y rendent régulièrement car c’est à Oujda que se trouvent leur véritable clientèle. Voici ce que nous en dit le président de l’association Brahma pour le folklore de la région de l’oriental : «A Oujda, Bab Sidi Abdelwahab est le lieu de rencontre des Cheikhs comme il existe des lieux semblables à Aïn Bni Mathar et à Berkane..."
La troupe se compose de cinq Cheikhs :
- Achaîr, Le poète ou parolier
- Le « berrah » (crieur public) qui chante et qui sert de relais entre la troupe et sa clientèle
- Le ou les joueurs de bandir (tambour à cadre).
- Le ou les joueurs des instruments à vent : la « ghaïta »(hautbois) et la « gasba » (flûte pastorale)
- Le joueur du « gallal » (cylindre en terre cuite muni de peau de chèvre, instrument rythmique de base du genre Reggada).
- L’ Azemmar , sorte de biniou composé d’une peau de bouc munie de deux cornes d’antilope à l’aide desquelles le musicien gonfle l’outre et règle la sortie de l’air. Cet instrument q’utilisent les cheikhs de l’oriental a pour origine le Rif et tout particulièrement les régions de Nador et d’Al-Huceima.
B. Les danses de l’Oriental marocain:
1.L’ahidus arabisé dit Ssaff : il est pratiqué en berbère Zénète chez les Bni Waraïn et les Marmoucha au sud du couloire de Taza et en arabe chez les Branès et les Hawwâra Oulad Rahou de Guercif .Cet ahidus arabisé est partout présent chez les femmes de l’Oriental marocain où il porte le nom de Ssaff .On le trouve aux environs de Jerada et de Bouârfa chez les Béni Yaâla, les Zekkara et les Mhaya.
2.La « danse du baroud », qu’on trouve sous diverses appellations depuis le couloir de Taza (chez les Ghiata –Est, les Bni Waraïn – Est et à Guercif) jusqu’aux confins de l’Oriental marocain. Cette danse du baroud partout présente dans l’oriental marocain, porte à chaque fois le nom de la tribu dont sa variante est issue :
- « Laâlaoui » par référence à la tribu des Béni Yaâla des environs d’Oujda.
- Le « Mangouchi » par référence à la tribu des Béni Mangouche.
- « Reggada » par référence à la tribu des Reggada située entre Oujda et Berkane.
- « N’hari » par référence à la tribu des Oulad N’har à cheval entre l’Algérie et les environs d’Ahfir.
- « Loutatiya » par référence à Outat el haj.
3. Le genre bédouin dit de la « gasba », la grosse flûte traversière de la transhumance et du désert, porte plus nettement la marque des hauts plateaux de la Gaâda de Debdou et du Telle de la Meseta Oranaise.Ce genre est accompagné au niveau rythmique du Guellal dont les mesures ont été reprises par le Raï.
La grosse flûte du désert serait dû aux nomades qui s’étaient établis dans la région vers le dixième siècle avec l’avènement des Béni Hilal, comme nous l’explique le poète Mimoune, parolier issu de la tribu des Mhaya située au sud-est d’Oujda :« La tribu des Mhaya est une fraction des Béni Hilal. Elle s’est établie dans la région où elle nomadise avec ses troupeaux de caprins, d’ovins, de camelin et de chevaux. Tu temps de la colonisation Française, ces arabes hilaliens nomadisaient entre Taourirt au Maroc et Tlemcenen Algérie tout en étant ouverts sur le domaine saharien. Ces nomades aimaient la poésie, les qasida « talaliya » de atlal, ruines (qui pleurent sur les campements désertés, comme dans l’ancienne Arabie), les qasida du madh (louanges) et du ghazal (amour courtois). Du point de vue musical, ils recourt à la gasba (la grosse flûte des nomades) »
Le Raï entre Oujda et Oran
De même que le folklore musical des confréries religieuses et la poésie du malhûn ont donné naissance dans les années 1970 au mouvement folk de Nass el Ghiouan par l’introductions du banjo , du Tamtam et de la sonorisation et de la scène au sens des groupes modernes ; de même le folklore de l’Oriental marocain et de l’Ouest algérien a donné naissance dans les années 1980 au Rai avec utilisation d’instruments de musique modernes ( synthétiseur, orgue, guitare électrique, saxophone, batterie, basse etc) . Là aussi on s’est inspiré des rythme et des répertoires traditionnelles comme nous l’explique le chanteur du Rai Mr.Mohamed Imounachen, fondateur à Oujda du groupe « Man – X » en 1984 : « Nous avons produit une cassette en 1985 et un CD en 2010. Le producteur du studio Nawfal à Oujda, fait partie de notre groupe dont il est le parolier. Mais notre CD n’a pas eu de succès escompté comme c’est le cas du Cheb Ryahi d’Oujda, qui avait commencé sa carrière par la chanson à succès « A Ya Mina Beslama ! »(A Dieu Mina !). Chanson qui s’est fait connaître au cours de l’émission télévisée « Sibaq al Moudoune » (la compétition des villes). C’est en fait une vieille chanson du genre Ssaff des Ahl Angad. Les chanteurs du Rai recourent aussi au rythme dit « khmassi » (rythme bacchiaque à cinq temps) qui caractérise la danse des Reggada qui s’accompagne de la gasba et du gallal comme on peut l’écouter avec chikha Rimitti de la région oranaise et le cheikh Lyounsi de la région de Berkane qui influencé la nouvelle vague du Rai à Oujda, Guercif et Jerada. A partir des années 1980, les Cheb (jeunes chanteurs du Rai) ont repris le répertoire du genre Ssaff et le rythme du genre Reggada, en y intégrant des instruments de musique moderne : au gallal, bandir et gasba, on a ajouté ; synthétiseur, basse, guitare, saxophone, batterie et boite à rythme. Cheb Khaled et Cheb Mami en Algérie et Cheb Kamalel oujdi et Ryahi de Berkane ont développé le Rai à partir du genre Reggada. » Cette évolution ne peut se comprendre qu’à partir du contact permanent de ces jeunes chanteurs avec l’Europe : ils constituent de véritables passeurs entre les deux rives de la Méditerranée. Les chanteurs du Rai qui restent à Oujda ont peu de chance d’améliorer leur technique musicale et de se faire connaître contrairement a ceux qui se produisent dans les capitales Européennes comme on l’a vu récemment avec la chanteuse Hindi Zahra, franco - marocaine, influencée par les stars du Rai, qui vient d’être récompensée pour son album "Hand Made" par le prix Constantin qui distingue chaque année les jeunes talents de la chanson française. "Beautiful Tango", premier extrait de son album, a été salué par la critique jusqu'en Grande-Bretagne. Enfant du sérail née dans le nord marocain mais originaire des tribus berbères du sud du pays,
Hindi Zahra a été bercée par les grandes voix des divas de la musique orientale, du raï au châabi, d'Oum Kalsoum à Cheïkha Rimitti. Plus tard, elle a puisé dans les racines du groove afro américain, se nourrissant des standards d'Aretha Franklin et de James Brown, avant d'apprendre son métier en tant que choriste soul et hip-hop, entre deux écoutes des albums de A Tribe Called Quest ou 2Pac. La lauréate est actuellement en pleine tournée européenne. Elle s'est produite en Angleterre, en Allemagne, au Portugal, en Suisse, et bien sûr en France (prochaine date le 18 novembre à Villefranche-sur-Saône au Festival des Nouvelles voix). Elle effectuera aussi un crochet en Belgique (dernière date de la tournée le 19 décembre à Anvers). Son concert est retransmis le 19 novembre sur France Inter, le 22 novembre sur France 4 en deuxième partie de soirée et le 25 novembre sur France 2, en 3e partie de soirée. Le jeune chanteur de l’oriental marocain ne bénéficie ni de la même formation musicale, ni des mêmes techniques managériales et de communication du star système pour franchir le rubicon. Sans parler de l’absence de tout droit d’auteur.
Le succés du Rai auprès de la jeunesse
La fin des années quatre vingt a vu le Raï oranais s’imposer durablement au Maroc, et tout particulièrement à la ville – frontière d’Oujda. Le Raï a démontré le rôle de plus en plus essentiel de la jeunesse comme productrice de nouvelles pratiques culturelles. Comme le mouvement folk de Nass el Ghiouan au Maroc, il a expérimenté une manière nouvelle de s’approprier les matériaux de la culture populaire ainsi que des formes contemporaines d’expression musicale. S’établissant délibérément, dans les espaces non institutionnels, la chanson Raï va élargir son audience par le biais des mariages, des cabarets et des boîtes de nuit de la côte oranaise. Après sa reconnaissance, le Raï sera enfin diffusé par la radio – télévision – y compris la radio régionale d’Oujda – et à travers les festivals d’Oran, puis de Monte la Jolie. Ce n’est qu’au cours de l’été 2006, qu’Oujda organisera son premiers festival international du Raï.Si le Rai a incontestablement des racines bédouines il a pu néomoins facilement fusionner avec la World Music, ce qui explique son succès auprès de la jeunesse au même titre que les Gnaoua.Or toutes les musiques régionales ne se prêtent pas aussi facilement à cette fusion avec la world music comme a pu le constater au festival Alégria de Chefchaouen,le musicologue Mohamed Ben khazzou pour Taqtouqa Jabaliya par exemple : « Une américaine a joué du saxophone le maqam du higaz qui se distingue par l’emploi du mi bémol Diaz et par celui de si bimol.
On a alors senti un rapprochement entre son jeu du saxophone et notre Taqtouqa Jabaliya. Mais il était très difficile de rapprocher les rythmes parce que celui de Taqtouqa Jabaliya se fonde sur 9/4 difficile à exécuter par quelqu’un qui n’est pas habitué au Jabli.Un américain joueur de batterie n’a pas pu s’adapter à ce rythme connu sous le nom de « rythme boiteux ». Par conséquent nous avons ici une musique très spécifique qui fusionne mal avec les musiques du monde. ».
C’est sa préponsion à l’ouverture sur les autres musiques qui a assuré au Rai le succès auprès de la jeunesse et la diffusion mondiale qu’on lui connaît. D’ailleurs la plupart des chanteurs du Rai ont débuté leur carrière en Europe.Comme c’est le cas du Cheb Kader, qui a commencé sa carrière à l’étranger : « J'ai travaillé pour que le Rai devienne international en y injectant des sonorités funk, reggae, musique marocaine… A mon retour au Maroc en 2001 avec l'album « Mani », un ami est allé i voir la société Universal pour leur faire écouter mes titres.Une compilation de mes meilleures chansons dont « Dima Raï », qui est un espoir de réconciliation entre le Maroc et l'Algérie. L'album est un mélange de Salsa et de Raï, une reprise du tube Raina raï… J'ai toujours rêvé d'un style maghrébin, mais aussi international, qui soit reconnu comme tel aux USA, au Japon, en Europe… Mon album «Dima Raï», qui porte bien son nom, sort en Suisse et en Allemagne le premier janvier. L'album sort également au Maroc, où je serai en tournée tout l'été . Les contacts sont pris avec les grands festivals, (Casablanca, Oujda, Al-Hoceima…). J'ai eu envie, avec cet album de répondre à la demande de beaucoup de gens via Internet». Le modèle de tous ces jeunes est incontestablement la succès story du Cheb Khaled le roi du Rai qui vient de se produire, en cette fin d’année 2010 au festival des arts nègres de Dakar. Habillé d’un jean délavé et veste noire, Cheb Khaled n’a pas donné de répit à son orchestre composé de sept musiciens qui ont, sans fausse note aucune, exécuté des airs aux rythmes variés. Micro à la main et esquissant continuellement des pas de danse : quand Khaled entame « Didi Didi » et « Aïcha », la foule trémoussait dans une ambiance Rocker…., Succès universel qui fait que le genre Rai éclipse incontestablement les autres genres de musique et de danse dont la diffusion ne dépasse pas généralement le niveau local...Abdelkader MANA
Vues des trainings sur la musique et la danse organisés par l'UNESCO à Jerada au mois de janvier 2011 au profit des professionnels de la musique et de la danse dans l'oriental marocain
05:27 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
15/12/2011
Retour à Essaouira
Reportage photographique d'Abdelmajid Mana
08:48 Écrit par elhajthami dans Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
09/12/2011
Tabal, l'Africain
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : -On raconte qu’au nord d’Essaouira, existait un figuier hanté par un serpent auquel les femmes des gnaoua présentaient des offrandes. Elles organisaient une fête saisonnière sous cet arbre.
Mahmoud Guinéa : - C’est Sidi Abderrahman. Depuis l’âge de douze ans, je m’y rendais en pèlerinage avec tous les gnaoua d’Essaouira. Chaque année on y festoie durant sept jours à partir du septième jour de la fête du sacrifice. De leur vivant nous y accompagnaient les serviteurs, lakhdam, ainsi que la troupe des gnaoua . Il y avait un lieu où on dansait en transe, où on organisait cette fête annuelle, immolant sous cet arbre hanté par un grand serpent qu’on appelait Sid –El- Hussein. On l’encensait et on tombait en transe. Lors du rituel cette créature sortait mais sans faire de mal à personne. J’ai accompagné les Gnaoua près d’une vingtaine d’années à ce sanctuaire de Sidi Abderrahman Bou Chaddada.
Abdelkader Mana :- Parler de ce figuier nous amène tout naturellement à évoquer le gunbri . Ton père, que Dieu ait son âme, m’a appris deux choses à ce propos ; que les Gnaoua ont deux instruments à cordes : aouicha – qu’il fabriquait devant moi- et le gunbri. Et que celui qui n’a pas pratiqué aouicha, ne devait pas toucher au gunbri. Et votre père, que Dieu ait son âme, d’ajouter que les premiers Gnaoua confectionnait leur gunbra à base d’une grande courge évidée et desséchée. Mais quand ils ont découvert que le figuier donnait de meilleurs résonances ; ils ont commencé dés lors à en fabriquer leur gunbri.
Mohamed Tabal
Mahmoud Guinéa :-Dans le temps les premiers gnaoua étaient venus avec un gunbri à base de courge comme tu as dit, confectionné d’une manière africaine. Après quoi ils ont adopté le figuier pour sa belle résonance, sauf que sont instrument est habité, hanté, maskoun. Son maniement nécessite purification. On ne doit pas y toucher en état d’ivresse. Car le figuier s’est sanctifié par les nombreuses années qu’il est resté sur cette terre avant d’être coupé pour en faire le gunbri. Donc, elle est déjà habitée, hantée, maskouna. Le maâlem lui accorde toute son attention en l’encensant. Le gunbri vieillit aussi : passé quarante ans, il se met à résonner tout seul quand tu le suspend au mur. Il parle tout seul la nuit.
Malika Guinéa : -Tu sens comme si quelqu’un raclait ses cordes. Le tambour, bouge lui aussi. Tu entends sa résonance.
Mahmoud Guinéa : -Pendant longtemps les instruments des maîtres disparus sont restés dans la zaouïa comme des antiquités sacrées auxquelles personne n’osait toucher. On se contenter de les visiter pour en recueillir la baraka.
Abdelkader Mana : -Lorsque j’écrivais mon livre sur les Gnaoua, l’un des maâlem , Paka que Dieu le guérisse ou Guiroug, m’a raconté qu’enfants ils se rendaient à la zaouia de Sidna Boulal, où ils rejoignaient Mahmoud Guinéa et ils allaient ensuite confectionner aouicha, la petite guitare à table d’harmonie en zinc qui leur servait à s’exercer avant de jouer au gunbri.
Mahmoud Guinéa : -On était alors en période d’apprentissage : dés notre prime enfance, on était des amateurs de Gnaoua. On confectionnait notre instrument en se servant du zinc en guise de table d’harmonie et du nylon en guise de cordes. Et on se servait des boîtes de conserve de sardines pour confectionner les crotales. Et on allait s’amuser ainsi au village de Diabet. Une fois, alors que nous étions encore tous jeunes, la tombée du jour nous a surpris dans la forêt de Diabet où nous nous sommes mis à scander Charka Bellaydou, une devise des gens de la forêt. Très sérieusement, dés que nous avons entamé ce chant, nous apparu alors, surgissant de nulle part, une sorte de Kinko A l’apparition de cette énorme créature, nous prîmes la poudre des escampettes. Fil blanc, fil sombre était la lumière dans les jardins de Diabet, près de l’oued.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : -Au début tu accompagnais ton père , que Dieu ait son âme, en simple qraqbi (joueur de crotales) . Ton père jouait du gunbri et tu as commencé tout jeune en tant que qraqbi et en tant que jeddab (danseur rituel). Tu jouait Kouyou, la partie ludique du rituel. Un jour ils t’ont préparé une gasaâ(plat de couscous) pour te reconnaître en tant que maître de la nuit et du gunbri.
Mahmoud Guinéa : -A la zaouïa, ils m’avaient préparé une grande gasaâ, de couscous, semblable à celle des Regraga décorée de bonbons, d’amandes et de noix. Les Gnaoua étaient encore tous vivants. Ils m’ont béni et j’ai commencé à jouer. Mon jeu leur a plu. C’est de cette manière qu’ils m’avaient reconnu en tant que maâlem. Ce n’est pas le premier venu qu’on recrutait ainsi. N’importe quel profane, apprenant sur cassette, se prétend maintenant maâlem. Pour le devenir vraiment, il faut l’avoir mériter à force de peines. Maâlem , cela veut dire beaucoup de choses. Il faut être vraiment initié à tout ce qui touche aux Gnaoua : apprendre à danser Kouyou,à jouer du tambour, à chanter les Oulad Bambara , a bien exécuter les claquettes de la noukcha . Il faut savoir tout jouer avant de toucher au gunbri, qu’on doit recevoir progressivement de son maître. Maintenant, le tout venant porte le gunbri et le tout venant veut devenir maâlem. Sans le vouloir, je deviens un autre en jouant du tambour...
Mohamed Tabal
Malika (sa femme) :-Parce que la aâda (ou procession)est comme une invitation des esprits. Dés qu’on sort pour faire rentrer la procession à la maison ; on y amène en même temps les esprits avec soi. On les invite pour ainsi dire à la lila , la nuit rituelle, la nuit de transe : la plupart des gens rentrent en transe dés cette phase préliminaire de la aâda,où l'on joue uniquement du tambour, cette voix des dieux africains.Mahmoud a tout pris de son père : le gunbri, les crotales, les kouyou, la patience au moment de la transe, comment conduire la lila. Il a tout pris de son père.
Mahmoud :-Cela se pratique avec sérieux, avec cœur, et de bonne foi. C’est une énergie qui nous vient d’en haut. Un don de Dieu. Lui seul nous accorde cette force qui nous appartient. La transe n’est pas un apprentissage : c’est quelque chose qu’on a dans son sang, un don accordé par Dieu.
Malika :-Il vit cette musique depuis l’âge de sept ans. Il accompagnait son père quand celui-ci se rendait chez les moqadma , pour le sacrifice qui précède la lila . Il rentrait en transe. oui, dés l’âge de sept , huit ans. Depuis toujours, il a vu sa maman accueillir les possédés. Elle les reçevait à la maison pendant une semaine, quinze jours jusqu’à ce qu’ils guérissent . On organisait tout le temps des lila à la maison ….
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : Quel type de clientèles vous recevez ?
Malika :-Le premier cas est celui de cette femme qui fait des cauchemars la nuit. Elle n’acceptait pas les hommes qui la demandaient en mariage. Elle n’aimait pas du tout les hommes. Sa mère me l’a amené en consultation. Elle avait 28 ans. Les esprits m’ont indiqué que c’est eux – mêmes qui l’empêchaient de se marier pour qu’ils la possèdent. L’esprit qui la possède l’empêche de se marier pour qu’elle devienne son épouse. Nous lui avons organisé une lila mais son esprit a refusé en disant : « cette femme doit m’épouser ou me servir. » Mais elle refusait de servir. Elle a néanmoins organisé la lila en disant : « Je donnerais tout ce qu’on me demande, Le financement n’est pas un problème ".Elle a de l’argent. Elle fera tout ce qu’on lui demande pourvu qu’on la délivre et qu’elle se sente mieux. Elle n’aimait plus la maison : elle voulait s’enfuir, fuguer. La première lila est passée, la seconde et la troisième. Après quoi elle est guérie. Maintenant, elle est mariée. Elle a même deux enfants. Quand elle s’est mariée et qu’elle a eu le premier enfant ,elle l'a emmené à la tbiqa(l’autel des esprits). Pour le protéger on l’avait couvert des draps aux sept couleurs des esprits. Et quand elle a eu le deuxième enfant, elle l’emmena également. Maintenant elle m’envoie chaque année un sacrifice. Elle vit à Tanger. Elle est guérie.
Mahmoud Taba
Autoportrait réalisé par l'artiste au tout début de sa carrière en 1989
J’ai un autre cas, celui d’une femme mariée dont le problème est qu’elle n’enfantait pas alors que son plus ardent désir est d'avoir des enfants.Et même quand elle tombait enceinte, elle finissait par perdre son bébé dans les trois mois qui suivent. Alors, elle est venue me consulter et il s’est avéré que c’est Sidi Hammou qui l’a « frappé » au ventre en lui demandant sacrifice et lila. Elle ne voulait pas organiser la lila, chez elle : elle a honte de cette musique. Elle nous a donné l’argent et nous lui avons organisé la lila chez nous. Quand elle est redevenue enceinte, elle est venue me voir et je lui ai recommandé de porter durant neuf mois le « fil de laine autour du ventre» (comme ceinture protectrice). Suite à quoi, elle a donné naissance à une fillette qui a grandi maintenant. Elle aussi m'envoit offrandes et sacrifices à chaque nativité du Prophète..
Mahmoud Taba
Abdelkader Mana : - Comment es-tu devenue talaâ(voyante médiumnique)?
Malika :- Auparavant j’étudiais, comme tout un chacun rêve de s’instruire. J’ai obtenu mon bac, pour poursuivre mes études en section anglaise à l’étranger. Quand j’ai obtenu le bac j’ai eu un problème avec un Monsieur de notre fratrie : il m’a demandé en mariage alors que sa mère m’a refusé. Mais comme il est passé outre ce refus, elle m’a jeté un mauvais sort, pour provoquer notre séparation. C’est par ce mauvais sort, que les esprits me possédèrent .En enjambant cette magie j’ai commencé à tomber en transe et à me désintéresser de l’école. Je n’aimais plus les hommes, d’une manière générale. Les hommes, étaient devenus un problème pour moi. Je suis choquée à chaque fois que j’entends parler d’un homme qui désir demander ma main. Durant près de deux ans, nous avons consulté de nombreux docteurs psychiques. Ma maman, que Dieu ait son âme, m’amenait chez les médecins. Franchement, je n’étais pas élevée dans une famille Gnaouie. Chez nous personne ne dansait en transe. On était tout à fait loin des Gnaoua. Quand j’ai commencé à « tomber » (à devenir une possédée), les gens se mirent à nous dire : « Il faut voir les Gnaoua, organiser une lila ». Finalement, je ne croyais pas vraiment aux esprits. Il y avait alors dans notre voisinage une voyante qui organisait des lila. Un jour, alors que je dormais, j’entends au loin le rituel de la lila se dérouler chez elle. Quand ils ont entamé la procession aux tambours, je n’ai pu m’empêcher de quitter la maison en courant, pour rejoindre dame Jmiâ que Dieu ait son âme (Mon autel des mlouk comprend de vieux balluchons de couleurs que j’ai hérité d’elle.Même vieux et déchirés je ne puis les jeter. J’ai des serviettes toutes neuves, mais les anciennes qui lui appartenaient ; je les garde parce qu’elle me les a légué au moment de mourir). Je l’avais alors rejoins et je me suis mise à danser en état de transe. J’ai dansé alors sur les notes du grand maâlem Baqbou . En sortant de ma transe, je me suis endormie et elle m’a mis en isolation sous le voile : « Ma fille, me dit-elle, les esprits te réclament sacrifice et désirent que tu les serve. » Je n’ai pas compris tout d’abord qu’est – ce que « servir » veut dire? J’avais 17 ans.Je suis allée voir ma mère en lui disant que lalla Jmia m’a recommandé de « servir ». Une semaine après je suis « tombée en transe» à nouveau et j’ai commencé à pratiquer le parler en état de transe (kan’Ntaq). Les esprits se mirent à parler en moi : « nous lui avons ordonné de nous servir, disent-ils,d’organiser une lila pour devenir moqadma. » Je suis tombée malade et ma mère est allée voir cette voyante en lui disant : « Dame Jmiâ, viens voir ma fille elle s’est à nouveau évanouie." Elle est venue et a commencé par faire parler les esprits qui me possèdent, puis elle avait dit à ma mère : « Les esprits veulent qu’elle les serve. »
Mahmoud Taba
«Peut-on organiser la lila ? demanda ma mère, on vous donnera l’argent pour l’organiser. » ; La voyante lui répondit : « Ils veulent certes qu’elle organise une lila, mais ils veulent surtout qu’elle les serve. ».Nous avons effectivement organisé une lila . Je ne pouvais plus me lever , mais après la lila, je me suis sentie mieux. Un mois environ après la lila, j’ai à nouveau refusé de servir. Je suis tombée malade à nouveau. Les esprits lui dirent alors : « Elle ne veut pas de nous ; il faut qu’elle ait en pèlerinage. C’est ainsi que je me suis rendue à Moulay Abdellah Ben Hsein, à Chamharouch, jusqu’à ce que j’aie accepté. Je les voyais dans mes rêves et je m’écriais dans la nuit. Ils ont chamboulé mon sommeil : je dormais le jour et me réveillais la nuit. Je me mettais à prédire à quiconque me rendait visite : je tombais en transe et je voyais pour ceux et celles qui me rendaient visite sans qu’ils me le demandent. Petit à petit j’ai accepté l’idée de devenir talaâ(voyante médiumnique) celle qui fait monter les espritsen les faisant parler sur l'avenir des gens qui viennent consulter.
Mohamed Tabal
Je ne croyais pas d’abord aux saints, mais quand je suis tombée malade, je me suis mise à rendre visite à tout lieu saint en rapport avec les gnaoua : la grotte d’Aïcha à Sidi Ali , celle de Sidi Chamharouch où je me suis isolée durant trois jours : on mangeait là-haut, on buvait là-haut, on dormait là-haut. Après quoi, on est descendu vers Moulay Brahim où j’ai séjourné pendant une semaine. De là je suis descendue vers Moulay Abdellah Ben Hsein. Pendant quatre années, j’ai servie ainsi comme talaâ (celle qui fait parler les esprits). Une fois je me suis rendue en pèlerinage au moussem de Moulay Abdellah Ben Hsein comme ils m’ordonnent de le faire chaque année. C’est là que j’ai rencontré maâlem Mahmoud d’une manière tout à fait inattendue, que m'annocaient cependant les esprits lors d'une dormition :
- On t’autorise à te marier, à condition que ce soit avec un maâlem gnaoui et qu'il soit noir.
Je me suis dit : « Pourquoi dois-je chercher un homme qui soit de surcroît maâlem , gnaoui et noir ! Il est impossible de trouver un mâle qui réunit tous ces qualités ! »
Mohamed Tabal
Mais bien avant de le rencontrer, alors que je farfouillais dans mon autel des mlouk,je suis tombée sur une cassette qui contenait de la musique gnaoua. Notamment certaines devises de foufou-danba , du lait. Je me suis dit : « J’ai déjà écouté ce maâlem et sa musique comporte des devises qui n’existent pas chez les gnaua de Marrakech. " Je suis arrivée à Moulay Abdellah Ben Hasein en dissimulant cette cassette entre mes seins. C’est là que j’ai rencontré Mahmoud en campagnie de Hamida Bossou . Celui-ci m'invita à une lila qu'il organise en cette période du mouloud à Tamsloht. Parmi les invités, il y avait maâlem Mahmoud, son père et ses frères. On s’est connu de cette manière et je suis rentrée chez moi. Mon frère a rencontré par la suite le maâlem et l’a invité chez nous. C’est ainsi que je me suis retrouvée en tête à tête avec lui à l’intérieur même de ma maison ! J’ai alors ordonné à mon frère de nous faire écouter la fameuse cassette. Nous l’avons écouté sans que je sache d’où elle m’est venue. Mahmoud l’a reconnu : « C’est ma cassette » me dit-il.
Comment elle a pénétré à l’intérieur de ma maison ? Je ne saurais le dire . C'est de cette manière qu'il m'a découverte et épouser.
- Est-ce ta sœur ? Demanda –t-il à mon frère.
- Oui.
- Est-elle mariée ?
- Non.
C’est ainsi qu’en un très bref laps de temps, je me suis retrouvée fiancée et mariée . C’est maâlem Mahmoud qui m’a encouragé à poursuivre mon travail en tant que maâlma et en tant que voyante. Je suis originaire de Marrakech. Et du fait que j’organisais chaque année une lila, ma sœur dansait en transe, mon frère dansait en transe, ma fille dansait en transe. Cela remonte aux environs de 1985 que nous baignons en permanence dans ces rituels, au point que la musique gnaoua coule maintenant dans nos veines.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana: - Deux familles sont aux origines des Gnaoua d’Essaouira : les Guinéa et les Gbani, qu’Allah les aient tous en sa miséricorde. Je veux que tu me parles de ces deux familles. Ton grand père Guinéa était arrivé à Essaouira avec l’armée Française en 1914, d’après ce que m’avait dit ton père. Gbani , que Dieu ait son âme, m’avait dit qu’ils étaient venus de Bamako au Mali ou bien de Tombouctou , à travers le Sahara…
Mahmoud Guinéa : - Quand ils étaient arrivés à cette époque, le père de mon père s’appelait Da Méssaoud. Il était venu du Mali en passant par la tribu des Oulad Dlim au Sahara. Le père de ma mère, Ba Samba, était venu de Dakar. C’est eux qui sont à l’origine des Gnaoua d’Essaouira. Les ancêtres de la famille des Gbani sont également originaires du Soudan. Ces deux familles sont pareilles. Nous sommes tous venus d’Afrique. C’est de là qu’avait commencé le gnaouisme à Essaouira.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana :- Ton père m’avait dit, qu’il n’y avait pas de zaouïa des Gnaoua ici : ils habitaient juste sous des casemates du côté du quartier des Alouj(les convertis de l’époque). En arrivant ici, ils ont participé à l’édification d’Essaouira. L’un d’entre eux était sourcier : là où il leur disait de creuser, ils trouvaient de l’eau. C’est lui, d’après ce que me disait ton père qui leur avait ordonné d’édifier par ici la zaouïa des Gnaoua où ils s’étaient mis à se réunir chaque samedi. Ils parlaient alors le Guinéen…
Mahmoud Guinéa : - Au temps où ils habitaient dans les casemates, dont tu parles, ils n’avaient pas de zaouïa. Après quoi, un jeddab souiri (danseur de transe), de la famille Aït – el - Mokh, leur avait accordé un terrain, où ils pratiquaient leur rituel un certain temps, juste entourés d’une enceinte. Au bout d’un certain temps, les gens d’Essaouira, qui sont des jeddab (danseurs de transe) et des amateurs des Gnaoua, ont tous participé à l’édification de la zaouïa où se réunissent les Gnaoua
Malika Guinéa : - Pourquoi, leur avait – on accordé ce terrain ? A cause de ce fils qu’ils ont promené chez tous les guérisseurs sans qu’il soit guéri. Mais quant ils l’ont amené chez les Gnaoua, il s’est aussitôt rétabli. Ils ont alors accordé aux Gnaoua, ce terrain, en guise de don, comme le font chaque année, les bienfaiteurs qui viennent en procession à Sidna Boulala : la femme qui n’enfante pas, vient prendre la baraka et se remet à enfanter. L’homme qui a du mal à trouver du travail, recourt lui aussi aux Gnaoua. Quand ils ont vu que celui dont le fils est malade avait accordé le terrain, les autres ont financé : celui-ci a acheté le ciment, celui-là le fer, jusqu’à ce que la zaouïa de Sidna Boulal soit érigée. Nous ne pouvons pas dire que Sidna Boulal soit enterré à Essaouira : il est là-bas, en Orient. Ici, nous n’avons que sa baraka, son maqâm (mansion).
Mahmoud Guinéa : -Parce que le gnaouisme a pour origine le charisme de Sidna Boulal.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : - Ils se réunissaient chaque samedi, parce que la plupart d’entre eux travaillaient chez les négociants juifs. Or le samedi c’est jour de shabbat chez leurs employeurs juifs : c’est pour cette raison que les gnaoua organisaient leur rituel un samedi.
Mahmoud Guinéa : - A l’époque, ils ne travaillaient pas chez les juifs. Il y avait ceux d’entre eux qui étaient dockers. Il y avait ceux qui travaillaient comme artisans marquetant ce bois de thuya et il y avait parmi eux des marins.
Malika Guinéa : - Gnaoua, les vrais, ne travaillent pas le samedi. La nuit du vendredi au samedi est celle des esprits sauvages. Les Sabtaouiyne (ceux du samedi) sont mauvais. As – tu jamais assisté à une lila (nuit rituelle) des sabtaouiyne (ceux du samedi) ? Ils réclament des choses mauvaises. Ils peuvent par exemple te demander quelques choses des latrines, ils peuvent te demander du sang, ils peuvent te demander un cadavre. Tant qu’ils le peuvent les gnaouas qui prient pour le Prophète, comme tu sais, évitent cette nuit du vendredi au samedi. Ils lui préfèrent les jours du lundi et du vendredi, et évitent le mercredi porte malheur.
Abdelkader Mana : - Ce point concernant les esprits juifs du samedi, nous amène à parler de la religion des esprits possesseurs :il y a ceux qui sont musulmans, ceux qui sont juifs et ceux qui sont chrétiens. Et on dit que les esprits possesseurs juifs sont les plus difficiles à déloger ?
Mahmoud Guinéa : - Ce sont des êtres semblables à toi. Vous avez votre religion et j’ai la mienne. Et nous n’avons crée Adam que par la foi.
Mohamed Tabal
Mahmoud Guinéa :- C’est mon grand père qui avait amené ce bol de DAKAR : une ondée bénie des dieux…
Malika :-- Au plus fort de la transe, quand on invoque l’esprit de la mer le poisson apparaît tout seul au milieu du bol : sa baraka se manifeste de cette manière.
Mahmoud Guinéa : - C’est la pure vérité, il n’y a pas de mensonge…
Malika : -Ils remplissent le bol, présentent leur soumission aux esprits et se mettent à danser. Ils se rendent compte à l’issue de leur transe que le bol contient du poisson.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : - Est – ce le BOURI , ce poisson des rochers ?...
Mahmoud Guinéa : -Oui, il est tout petit ce poisson…
Abdelkader Mana :- On raconte que chez les Africains, il existe une divinité dénommée BOURI ?
Mohamed Tabal
Malika :-Pour ce qui est du sacrifice de Sidi Hammou, il est recommandé à celle qui fait des cauchemars, qui voit en rêve des hommes ensanglantés, qui se voit au milieu d’un abattoir, qui rêve de beaucoup de viande, de sacrifices, qui saigne en ouvrant les yeux. Bref, que du sang. Ou bien elle tombe atteinte par les génies : si elle ne voit pas le sang en elle-même ; elle le voit en quelqu’un d’autre, en assistant à quelqu’un qu’on a poignardé.Quand j’ai intégré la mida (l’autel des mlouk) et que j’ai accepté de servir les esprits ; je me suis rendue en pèlerinage à Sidi Chamharouch après avoir organisé une première lila. En redescendant de la grotte, je suis tombée sur du fer que j’ai pris. En arrivant à la maison, je suis tombée en transe . Quand les esprits sont « montés »(talaâ’ou) , ils m’ont demandé de danser avec le fer soit à l’invocation de Jilali , soit à celle du nuageux. C’est tout. Pour sanctifier le fer, j’ai organisé une lila avec sacrifice. Depuis lors, je ne peux plus danser à la devise de Jilali sans être munie de fer.
Mahmoud Guinéa : - BOURI ! Ô BOURI !
Abdelkader Mana : - Es-ce que cet esprit existe ? Es-ce qu’on l’invoque ?
Mahmoud Guinéa : - BOURI ! Ô BOURI ! Son invocation introduit les rouges.
Malika : - Il est le portier des rouges. L’ouverture des esprits rocheux. Du sang. C’est le BOURI !
Abdelkader Mana : - Ne croyez – vous pas que ce sont les Gnaoua qui ont donné le nom de BOURI, à ce poisson couleur d’algues qu’on trouve à marrée basse aux interstices des récifs d’Essaouira ? C’est un nom d’origine africaine ?
Mohamed Tabal
Mohamed Tabal
Mahmoud Guinéa : - C’est possible. BOURI, ô BOURI introduit les rouges. Et il y a BOURI, ô BOURI, des bleus.
Malika : - Il y a deux genres : ceux qui ouvrent les rouges et ceux qui ouvrent les bleus.
Abdelkader Mana : -Il y a aussi un melk, un esprit dénommé BOSSOU, une espèce de divinité des marins en Afrique. Il y a maâlem hamida BOSSOU, que Dieu ait son âme. Mais il y a aussi un melk chez les Gnaoua qui porte le nom de BOSSOU ?
Malika : - BOSSOU, n’est pas un nom de famille
Mahmoud Guinéa : - Hamida dansait à cette devise.
Malika : -Il est possédé par ce melk. Il jouait au gunbri , que Dieu ait son âme, mais une fois arrivé à la devise de BOSSOU, il tombait en transe.
Mahmoud Guinéa : -J’ai joué pour lui à Casablanca.
Malika : - Maâlem BOSSOU, que Dieu ait son âme, avait toujours besoin auprès de lui d’un autre maâlem , pour le relever au gunbri . Il ne jouait pas quand il n’y avait pas de maâlem pour le relever, même si la moqadema exigeait cette devise. C’est ainsi qu’on le surnomma hamida BOSSOU, du nom de cette devise.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : - Que raconte cette devise BOSSOU ? Es-ce que vous pouvez nous la jouer en se faisant accompagner du chant de nos amis ?Est – ce qu’on peut considérer Hamida Bossou comme faisant partie des esprits de la mer ou ceux des cieux. Il fait donc partie des bleus ?
Mahmoud Guinéa : - Il fait partie des gens de mer Haoussa. Lui était un Haoussa.
Abdelkader Mana : -Qui sont ces Haoussa ?
Mahmoud Guinéa : -Les Haoussa, ce sont les fils de la forêt de l’Afrique. La région où la forêt est proche de la mer. Cette devise musicale accompagne la transe de la forêt Haoussa, d’où est originaire Bossou.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : -Qui sont ces esprits possesseurs Haoussa ? Portent – ils la couleur bleue ?
Mahmoud Guinéa : -Non. C’est une cohorte des esprits noirs.
Abdelkader Mana : - Même s’ils évoquent lamer ?
Mahmoud Guinéa : -C’est que l’océan d’Afrique évoque la transe de cette contrée.
Abdelkader Mana : -Es-ce qu’on évoque ces esprits Haoussa avant ou après les esprits marins ?
Malika : - Avec les esprits marins.. On peut dire que Bossou est le plus fort des esprits marins. Ces derniers commencent avec la danse au bol rempli d’eau. Après quoi entre en scène Bossou qui danse avec un filet de pêche. Tous les autres esprits se dansent avec les draps à l’exception de Bossou qui se danse avec un filet de pêche, comme celles qu’on trouve au port. Mais c’est un filet orné de cauris.
Mahmoud Guinéa : - A l’invocation de cette devise musicale, on danse en faisant semblant de nager avec un filet de pêche.
Abdelkader Mana : - Quelle cohorte est invoquée après les esprits de la mer ?
Mahmoud Guinéa : - Les célestes.
Abdelkader Mana : - De quels esprits se composent ces célestes ?
Mahmoud Guinéa : - Ils expriment la transe céleste et tout ce que contient le ciel d’anges, d’étoiles, de lune et autres sphères cosmiques.
Malika :-A la maison on vit avec nos esprits. Et tout le temps, il y a un amour entre la femme et son mari. Même le maâlem a ses esprits . Il n’y a pas de maâlem sans transe ni esprit possesseur ; jamais. Il doit être possédé ou bien par les chorfa ou bien par les noirs ou bien par les moussaouiynes . Les esprits vivent entre la femme et son mari . Il y a la mida , ( l’autel des mlouk, les esprits possesseurs) avec lesquelles je travaille : même quand je dors les esprits sont tout le temps dans la mida avec leurs encenses leurs serviettes aux sept couleurs et tout. Mahmoud mon mari les respecte et leur fait des offrandes. Quand je prépare le tagine au charbon, il jette les encenses sur le brasier pour que les esprits soient toujours contents. Nous n’attendons pas la lila pour brûler le benjoins : nous le brûlons tout le temps chez nous ; si je ne le fait pas moi-même, c’est Mahmoud qui s’en occupe.
Mahmoud :-L’encens est présent en permanence à la maison, ainsi d’ailleurs que le lait et les dattes. La transe est omniprésente à la maison.
Mohamed Tabal
Abdelkader Mana : - Racontez – nous un peu la vie d’Aïcha Kabrane, votre mère que Dieu ait son âme : quel était son rôle ? Comment travaillait – elle avec les aiguilles ? Et comment prédisait – elle en état de transe ? Ce sont les esprits qui la possèdent qui parlent à travers sa bouche ?
Mahmoud Guinéa : - Les gens viennent la consulter et Dieu accorde sa guérison.
Abdelkader Mana ; - Que leur prescrit – elle quand ils viennent la consulter ? Es – ce qu’elle recoure aux cauris ? Raconte un peu avec détails.
Mahmoud Guinéa : - Les parents des possédés les amènent chez elle, et elle commence d’abord par la divination. C’est là qu’elle diagnostique le mal qui l’a frappé. Elle prédit grâce à un auvent d’osier contenant des coquillages et des cauris de la mer du Nil que mon grand père avait amené jadis avec lui. Elle les remue d’une main et avale deux à trois aiguilles de l’autre. Ce n’est qu’après qu’elle peut te dire quel djinn t’a frappé et pourquoi et comment. Puis elle l’encense en lui prescrivant le sucré et le salé.
Malika :- Elle appelle ces esprits pour qu’ils lui indiquent la raison pour laquelle ce monsieur ou cette dame sont venus la consulter. Elle ne préconise pas systématiquement la lila : il y a celui à qui on recommande le sucré et celui à qui on recommande le pèlerinage à Moulay Brahim, sidi Abdellah Ben Hsein ou Sidi Chamharouch : il doit effectuer ce pèlerinage avant de revenir lavoir pour quelle puisse deviner ce les esprits réclament. C’est à ce moment là que les esprits préconisent la lila. Elle doit alors jouer son rôle en se concertant avec son maâlem. Que demandent les esprits pour délivrer ce possédé ? Il sera enfin délivré ou bien il deviendra un serviteur des esprits. Car il y a le possédé à qui ils demandent qu’il soit leur serviteur en devenant moqadem.
Mahmoud Guinéa :- Malgré lui s’il le faut, même s’il refuse de devenir leur serviteur. Cela est déjà arrivé à de nombreux possédés.
Malika :- Que faire ? Elle fait alors appel au maâlem qui se trouve être son propre mari comme c’est mon cas. Elle lui dit : une telle ou un tel désire une lila préparée d’une telle ou telle manière. Et il vont faire le marché comme nous l’avons fait nous-même. Ils vont acheté tout ce dont ils ont besoin pour l’organisation de la lila. Au cours de cette dernière la cliente se livre alors à la danse de possession. Et la voyante médiumnique l’empêche de rentrer à la maison : elle doit rester en sa compagnie au moins une semaine, le temps qu’elle lui indique la manière dont elle doit servir. Et même quand elle devient moqadema, elle se doit d’organiser une lila , où Lalla Aïcha doit être présente. Ceci pour ce qui concerne l’initiation de celle destinée à devenir moqadma. Pour celle qui est possédée, elle reste chez elle ,voilée , isolée, consommant le sucré durant une semaine, dix jour voir un mois jusqu’à ce qu’elle va mieux. Après quoi, au cours d’une nuit du mois lunaire de chaâbane , elle doit se rendre en pèlerinage à Lalla Aicha avec un sacrifice en guise d’offrande.
Mahmoud Guinéa :-Elle doit régulièrement se rendre en pèlerinage et continuellement présenter des offrandes et des sacrifices.
Mohamed Tabal
Malika :-Il se peut qu’elle soit délivrée comme il se peut qu’elle soit à nouveau possédée. La mère de Guiné tombait en transe quand on invoquait le Jilali, les noirs et le soudanais. Chose qu’on ne trouve chez aucune moqadma que ce soit ici à Essaouira ou ailleurs. Ces devises lui étaient propres.
Mahmoud Guinéa :- C’est mon grand père qui avait amené du Soudan ces devises bien faites. Aucun Gnaoui en dehors de notre famille ne joue ces devises musicales. Personne ne danse à leur invocation à part nous autres.
Malika :- On ne les joue ni ne les danse ailleurs. Nous les respectons : la mère de Guinéa ne les jouait qu’au cours d’une lila qui lui était propre.
Mahmoud Guinéa :-On préserve ces devises pour que les autres Gnaoua ne les jouent ou ne les enregistrent.
Abdelkader Mana
15:09 Écrit par elhajthami dans Arts, Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts, psychothérapie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
07/12/2011
Mohamed Tabal et les voyantes médiumniques
Pour symboliser les deux grandes fêtes du calendier lunaire, Mohamed Tabal a peint cette fiancée au tatouage berbère avec un croissant de lune à un oeil et un béllier en dessous pour signifier la fête du sacrifice, et un croissant de lune pour l'autre oeil pour symboliser la fête du mouloud où les voyantes médiumniques des gnaoua se rendent en pèlerinage à leurs lieux saints.
A l’occasion des fêtes du mouloud, toutes les moqadma des Gnaoua se doivent d’organiser une lila. Une nuit de transe. Elles effectuent aussi le pèlerinage à leurs saints protecteurs. Leurs esprits et leurs djinns. A chacune ses esprits protecteurs. Il y a celles qui sont les protégées de Sidi Ali Ben Hamdouch et de Lalla Aïcha avec toutes ces variantes : Aïcha la Dghoughi, Aïcha la bleu ciel, Aïcha Kandicha. Elles effectuent le pèlerinage à tous ces lieux dés le premier jour de la de la nativité d Prophète. En ce moment, on trouve les pèlerins sur les routes du pèlerinage à Sidi Ali . Ceux qui sont les protégés de Moulay Brahim, y conduisent leurs sacrifice. Il s’agit des moqadmas qui doivent se rendre à Moulay Brahim. Et il y a celles qui se rendent à Tamsloht. Ce sont les trois lieux saints auxquels elles doivent se rendre en pèlerinage.Bien avant de rencontrer maâlem Mahmoud, Malika vivait à Marrakech où elle participait à des lila au mois lunaire de chaâbane et à la fête du mouloud.
« La moqadma n’est pas en charge de son seul état,nous explique-t-elle : elle se rend en pèlerinage accompagnée de ses malades. C’est ce que j’accomplis moi-même, depuis 1985 , année où j’ai intégré cet ordre des voyantes médiumniques alors que je n’étais encore qu’une jeune fille. Je soigne les malades psychiques qu’ils soient hommes ou femmes. J’ai soigné des femmes qui étaient folles et des femmes stériles. Des filles qui n’avaient pas de chance dans leur travail. Des hommes qui ne connaissaient rien au mariage. Ils avaient peur rien qu’à entendre parler du mariage !"
A la nativité du Prophète, elle prend son balluchon de tissus de couleurs, ses autres accessoires, benjoins et encens et prend la direction de Marrakech , pour y rencontrer ses possédés. Pour que ces derniers se portent bien, il faut qu’ils viennent accorder les offrandes promises aux divinités. Ces offrandes qu’ils présentent chaque année :
« Il y a celui qui offre un sacrifice de bouc, il y a celui qui sacrifie un bélier, il y a celui qui sacrifie de la volaille. Il y a celui qui offre l’habillement : tunique noire, tunique blanche, tunique verte. Selon. Il y a celui qui a pour offrande le sucre, les bougies et tous les accessoires de la lila. Il m’est indispensable d’organiser une lila à Moulay Brahim. Mes malades m’y apportent leurs offrandes ainsi que les dons en argent que j’offre au marabout. Je rends visite à Moulay Brahim accompagnée de mes malades. Il y a des personnes qui sont empêchées de se rendre à ce pèlerinage, parce que la femme travaille, parce qu’elle est mariée et n’a pas le temps ; elle accorde son offrande à la moqadma qui se charge de la porter au sanctuaire. Tel le sacrifice et autres dons en monnaie ou en semoule. En tant que moqadma je réuni toutes ces offrandes tout en demandant aux malades comment elles se sentent ? Comment elles se portent ? »
Pour les filles novices qui viennent d’intégrer l’autel des esprits ; il leur est indispensable d’accompagner leur voyante médiumnique à Moulay Brahim. Là haut elles louent leur logis et font leur fête. Elles y réunissent leurs dons qu’elles vont offrir au lieu saint. Tel les sacrifices. Elles effectuent une circumambulation autour de Moulay Brahim et accordent leurs dons aux descendants du saint :
« Après le sacrifice, les descendants du saint nous accordent uniquement la tête du bouc ou du bélier. Le soir on prépare le couscous avec cette tête et on accorde ainsi la baraka aux esprits. On prépare aussi le repas sans sel à base d’encens et de viandes fade. On prépare un autre plat de couscous autour duquel se réunissent les hôtes de Dieu de passage en ces lieux saints/ Chacun a droit à sa part de baraka. »
"Les descendants de Moulay Brahim nous accordent leur baraka , que nous distribuons à toutes les filles qui nous accompagnent ainsi qu’aux autres possédés et on garde même leur part à celles qui ne sont pas venues. Cela consiste en henné, en sel, en levure, et en encens. Après quoi nous descendons vers la plaine en direction de Moulay Abdellah Ben Hceine."
- Tout à l’heure, tu m’avais parlé de cette femme qui accorde le bouc rouge….
- Cette femme est « frappée » par Sidi Hammou : il désire qu’elle soit voyante et moqadma. Mais ses enfants en ont honte. Chaque année ils accordent un sacrifice au mois lunaire de Chaâban et un autre au mouloud. Au mois de Chaâbane on organise la lila chez moi : elle tombe en transe et tout le reste. Et au mouloud je l’emmène avec moi à Moulay Brahim. Elle y tombe en transe et doit y sacrifier et y boire du sang de son bouc. Elle reste avec moi à Moulay Brahim jusqu’à ce qu’on descend ensemble vers Tamesloht.
-Pourquoi doit-elle s’abreuver de sang ?
-Parce que l’esprit Sidi Hammou aime le sang. Comment a-t-elle été frappée pour la première fois ? Elle a était « atteinte » de nuit, en lavant du sang menstruel à l’égout. En y versant de l’eau chaude sans demander la permission des esprits des lieux. Sans verser du lait. Elle fut « frappée » au moment où elle pressait ses mollets au dessus de l’égout. Elle perd conscience sur le champ. Depuis lors et durant trois années, elle vomit du sang. Chaque fois qu’elle tombe en transe, elle ressent une envie irrésistible de se mordre la peau. Elle ne s’apaise qu’à la vue du sang jusqu’au jour où on me l’a amené : en faisant « monter » les esprits, ceux –ci lui dirent : c’est Sidi Hammouqui t’a frappé et voilà ce que tu dois faire pour te faire pardonner. Elle organisa une lila et s’est sentie mieux. Mais l’esprit demandait davantage : il voulait qu’elle soit sa servante. Elle n’était pas encore soumise à sa volonté. Nous continuons à négocier sa reddition. Chaque il lui faut danser en état de transe. C’est indispensable. Elle ne doit pas se contenter de faire ses offrandes et partir. Il lui est indispensable d’offrir ses faveurs et de danser en transe. Que ce soit au mois lunaire de Chaâban ou au mouloud. Et qu’elle achète le sacrifice, et qu’elle achète le benjoin rouge, et qu’elle achète les bougies rouges qu’elle allumera au cœur du sanctuaire.
"A Tamsloht on est rejointes par le maâlem. Selon dépend des moqadma. Nous autres les moqadma novices on va à Tamsloht uniquement avec nos accessoires. Au cours de nos « manipulations », les gens se mettent à tomber en transe. Une fois que nous avons terminé une lila, ils se mettent à nous réclamer une autre. Si bien qu’au lieu de rester une journée à Tamsloht, on y reste une semaine entière. Et au lieu d’y organiser une lila, on y organise trois à quatre, c’est selon."
- J’aimerai que tu nous entretiennes des symboles de la lila. Il y a le lait,le feu…
- Il y a le fer. Il y a le bol d’eau de mer.
- Explique nous la signification de ces symboles? Que signifient le lait, les dattes ?
- Pour ce qui est des dattes et du lait, ils sont les symboles de la paix : c’est par eux qu’on accueille les esprits. On leur souhaite ainsi la bien venue. Il y a les esprits mécréants et il y a les esprits croyants. Cela signifie qu’on les accueille par la fête , pour qu’ils soient heureux. La fête dont il s’agit, c’est la lila. Une rencontre propice au dévoilement de vos cœurs. Ceci pour le lait et les dattes. Après vient le bol des esprits marins : il est le symbole de la pureté. Car le bol des esprits marins est le symbole de la mer : quand quelqu’un est malade et se sent serré dans sa tête, il se sent soulagé en voyant la mer. Comme tu sais la mer contient beaucoup de vertus. Dans le bol on met de la menthe : cela veux dire qu’il ne faut pas que tu fermes tes yeux, le monde est vaste et ne se limite pas seulement ici. Vois combien l’univers est vaste, et combien l’espérance est grander renaît. L’océan est symbole d’espoir et la mer ne nous vient que du bien.
Double lecture : recto, fiancée de l'eau, verso, aigle des cîmes
En pratiquant le zoom-out, on s'aperçoit que nous avons affaire à "une femme - oiseau".Le tableau se prête en effet à une double lecture : oiseau d'un côté, femme de l'autre.Tabal se livre souvent à cette acrobatie, puisque certaines de ses oeuvres se prête même à une quadruple lecture : où qu'on tourne le tableau, on obtient une nouvelle lecture, un nouveau sens.Chaque détail du tableau est une oeuvre en soit.Une polyphonie de sens, une symphonie de formes et de couleurs : il y a le crocodille et il y a l'instrument à corde aux yaux grandes ouvertes qui constitue en même temps une amphore pleine des essences fortifiantes et vitales...Et je tais d'autres sensations encore...Plus on scrute le tableau, plus on en découvre de nouveaux détails et de nouvelle signications : le béllier du sacrifice, la calligraphie faite chose, l'oiseau étrange, les hommes vaquant à leur vie quotidienne en milieu rural....
Mohamed Tabal
On offre du miel à Sidi Hammou, en lieu et place du sang qui est quelque chose d’impure : si le sang était bon on l’aurait pas rincé de nos vêtements. Au lieu du sang, on te met du miel à la bouche. Au cours de la devise des rouge, il y a celui qui n’a qu’une envie : étrangler , mordre, manger de la viande crue. On lui substitue le sang par le miel : le mal par le bien. Ce qui est quelque chose de sucré et bon.
Vers la fin de la lila, on allume le feu pour éclairer les esprits sauvages. Quand on arrive à l’étape des esprits noires ; on opte pour le blanc, pour signifier que nous sommes encore sous la protection des esprits saints. Même si nous nous sommes possédés par les esprits noirs, nous expulsons ces mécréants par le feu et nous appelons les croyants en se couvrant des draps blancs. On distribue les bombons et les confiseries aux filles : cela veux dire que nous avons expulsé les esprits mécréants par le feu et nous accueillants les esprits croyant par les sucreries.
- Y-a-t-il un lien entre la lila et l’univers ? Entre la lila et les manifestations de vie et de mort ?
- Le lien réside en ce que Dien le plus haut a crée le monde, il a crée en même temps le djinn et l’humain. Ils ont leur vie et nous avons la nôtre. Pou la femme chaque enfantement est un traumatisme , après lequel elle n’a plus envie d’accoucher durant deux à trois ans. Mais le jour où elle tombe enceinte, son espoir renaît en ce monde. Psychiquement, elle n’accepte pas d’avoir un mort-né. C’est là qu’intervient le rôle des djinns. Elle pleure de jour comme de nuit. Au point que sa foi en Dieu faiblit. Elle en vient à se demander si les djinns ne lui avaient pas dérobé son bébé? S’il n’a pas été frappé par le mauvais œil ? Elle se sent possédée ; s’éveillant de nuit et dormant de jour. Et qui y-at-il dans la nuit ? La nuit est peuplée de djinns. Ce sont eux qui ont possédé cette dame. Elle commence à tomber en transe : elle crie. Elle ne trouve plus guère d’apaisements que dans la transe. Quand le maâlem joue les devises de « hadya », d’il n’y a de seigneur qu’allah ou encore celle de « ô koubayli, ils ont emporté les miens »…Le maâlem chante à ce moment précis la souffrance qui la taraude : elle se met à crier quand lui chante, parce qu’il atteint ses pulsations vitales. Son éros en souffrance. C’est le lien qui unit la danseuse au musicien.
Combien de femmes espèrent se marier mais à l’heure où le destin allait sceller la liaison tout se désintègre : le mari s’enfuit, le mari meurt, il s’est peut-être marié avec sa propre amie. Comme si le diable l’a « enveloppé » (katelbass). Son plus ardent désir est de quitter au plus vite sa situation de recluse à l’intérieur du foyer. C’est en le quittant qu’elle trouve l’apaisement. En se réfugiant dans une enceinte sacré tel Sidi Rahal ou bien Bouya Omar où résident les fiancée folles. Les sevrées d’amour. A Sidi Rahal elle trouve les Jilala, les maîtres de la transe : pour retrouver l’apaisement elle doit danser aux rythmes des Jilala.
L’homme qui paraît n’accorder aucun intérêt aux femmes est souvent possédé par Aïcha. Quand sa maman l’accompagne en consultation chez nous en nous disant : je désire le marier. Nous découvrons que son « problème » s’appelle Aïcha. C’est elle qui le ligote en créant des nœuds dans sa vie : mtaqfah. Il te dit lui-même qu’il désire se marier , mais en réalité, il ne passera jamais à l’acte. Il faut qu’il accomplisse les rituels nécessaires pour qu’Aïcha le délivre. L’homme doit toujours se frotter à la femme. Il doit toujours s’égailler de la féminité, ne jamais rester seul. Quand il reste seul, Aïcha le ligote. C’est elle la castratrice de beaucoup d’hommes. Le rôle de Sidi Ali est de les en libérer. Si nous avions un peu de temps, on se serait rendu à Sidi Ali. Les problèmes qu’on y rencontre sont ceux des hommes plus que des femmes. Des hommes castrés par Aïcha. Ils lui sacrifient dans sa grotte pour qu’elle les libère pour qu’ils puissent se marier et retrouver leur virilité et leur masculinité. C’est le genre d’hommes qui n’aiment pas se réunir avec les autres hommes. Ils préfèrent le boudoir des femmes et les jupes de femmes, où ils chantent et rient. Cela veut dire qu’ils sont possédés par Aïcha.
« Combien d’hommes j’ai reçu ici accompagné de sa mère, me disant qu’il veut se marier. Mais au moment où la porte est bien dressée sur sa poutre (expression qui veut dire : au moment où tout est prêt), il te dit : Non ! Il n’y a pas de fille qui me mérite ou que je mérite. En consultant l’autel des esprit je découvre qu’il est possédé par Aïcha !
En négociant avec elle, nous lui disant :
- Est – ce lui l’objet de ton désire ?
Elle nous répond :
- Cet homme, je le veux ! Je désire me marier avec lui ! Il mourra s’il désire une autre femme !
Nous lui demandons :
- Que veux – tu au juste ?
Elle nous répond :
- une vache à chaque moussem.
C’est son exigence pour le libérer. A condition que la femme avec laquelle il se mariera ne doit jamais lui interdire de rendre hommage à Aïcha. D’un samedi, l’autre, il doit s’encenser. D’un moussem, l’autre, il doit se rendre en pèlerinage. Il doit sacrifier. Quand une lila a lieu ; il doit y assister et y offrir ce qui est nécessaire à son déroulement. Aïcha peut lui rendre visite de nuit. Elle gâtera ses désires d’elle. Ce sont là ses conditions. Maintenant il a donné naissance à trois enfants et se porte à merveille.
-Il a trouvé la femme…
- Oui, une femme qui l’a accepté.
- Parce qu’auparavant les femmes n’en voulaient pas ?
- Il y a celles qui hésitent
- Il y a ceux que les femmes ne désirent pas
- Oui.
- Cela veut dire qu’Aïcha l’empêche et à chaque fois qu’il s’approche d’une femme..
- Elle s’empresse de le fuir. Quand il l’aborde pour la première fois, elle lui dit : « Oui ». Mais le lendemain elle lui dit : Non ! Je ne veux pas de toi. C’est un nœud, un tqaf. C’est comme si Aïcha effarouchait les autres femmes de s’en approcher.
- Y-t-il des lila particulières que les gnaoua et leurs possédés doivent organiser à des moments favorables, telles les nuits de pleine lune ou de demi lune. Y-t-il un lien..
- Avec les planètes ? Il y en a. Il y en a qui concernent Aïcha et il y en a qui concernent Malika. Ils ont une relation avec les planètes. Ils présentent leurs vœux en période de pleine lune. C’est du domaine de l’astrologie. Il y a celui dont le signe est de feu et il y a celui dont le signe astrologique est de nature terrienne. Le remède de chacune dépend de la nature de son signe astrologique. Voici ce qu’il faut faire et voilà le moment propice où il faut faire. Par exemple pour ce qui concerne l’homme, il doit s’abstenir de se raser les cheveux à certaines périodes particulières.
« Il faut compter les lettres qui composent ton nom. Savoir avec précision quand tu es né. Ton esprit libre. Des procédés magiques qui nous permette de te « lire » entièrement. C’est de cette manière qu’on arrive à identifier le djinn qui te possède. S’agit-il d’un mâle ou d’une femelle ? Que veulent de toi, ces esprits possesseurs ? Que te réclament-ils ? Te veulent-ils du bien ou du mal ? Nous on se contente de dire : je suis possédée par Aïcha, je suis possédée par Mira. Mais qu’est ce que tu as réellement ? Est-ce que cet homme te veut du bien ? Êtes vous d’humeur compatibles ? »
Mohamed Tabal
Les Gnaoua, les vrais, ne travaillent pas le samedi. La nuit du vendredi au samedi est celle des esprits sauvages. Les Sabtaouiyne (ceux du samedi) sont mauvais. As – tu jamais assisté à une lila (nuit rituelle) des sabtaouiyne (ceux du samedi) ? Ils réclament des choses mauvaises. Ils peuvent par exemple te demander quelques choses des latrines, ils peuvent te demander du sang, ils peuvent te demander un cadavre. Tant qu’ils le peuvent les gnaouas qui prient pour le Prophète, comme tu sais, évitent cette nuit du vendredi au samedi. Ils lui préfèrent les jours du lundi et du vendredi, et évitent le mercredi porte malheur.
- Ce point concernant les esprits juifs du samedi, nous amène à parler de la religion des esprits possesseurs :il y a ceux qui sont musulmans, ceux qui sont juifs et ceux qui sont chrétiens. Et on dit que les esprits possesseurs juifs sont les plus difficiles à déloger ?
- Ce sont des êtres semblables à toi. Vous avez votre religion et j’ai la mienne. Et nous n’avons crée Adam que par la foi. Nous répond Mahmoud Guinéa.
- On raconte qu’au nord d’Essaouira, existait un figuier hanté par un serpent auquel les femmes des gnaoua présentaient des offrandes. Elles organisaient une fête saisonnière sous cet arbre.
- C’est Sidi Abderrahman. Depuis l’âge de douze ans, je m’y rendais en pèlerinage avec tous les gnaoua d’Essaouira. Chaque année on y festoie durant sept jours à partir du septième jour de la fête du sacrifice. De leur vivant nous y accompagnaient les serviteurs, lakhdam, ainsi que la troupe des gnaoua . Il y avait un lieu où on dansait en transe, où on organisaient cette fête annuelle, immolant sous cet arbre hanté par un grand serpent qu’on appelait Sid –El- Hussein. On l’encensait et on tombait en transe. Lors du rituel cette créature sortait mais sans faire de mal à personne. J’ai accompagné les Gnaoua près d’une vingtaine d’années à ce sanctuaire de Sidi Abderrahman Bou Chaddada.
« Parler de ce figuier, poursuit Mahmoud Guinéa, nous amène tout naturellement à évoquer le gunbri . Ton père, que Dieu ait son âme, m’a appris deux choses à ce propos ; que les Gnaoua ont deux instruments à cordes : aouicha – qu’il fabriquait devant moi- et le gunbri. Et que celui qui n’a pas pratiqué aouicha, ne devait pas toucher au gunbri. Et votre père, que Dieu ait son âme, d’ajouter que les premiers Gnaoua confectionnait leur gunbra à base d’une grande courge évidée et desséchée. Mais quand ils ont découvert que le figuier donnait de meilleures résonances ; ils ont commencé dés lors à en fabriquer leur gunbri. »
Dans le temps les premiers gnaoua étaient venus avec un gunbri à base de courge comme tu as dit, confectionné d’une manière africaine. Après quoi ils ont adopté le figuier pour sa belle résonance, sauf que sont instrument est habité, hanté, maskoun. Son maniement nécessite purification. On ne doit pas y toucher en état d’ivresse. Car le figuier s’est sanctifié par les nombreuses années qu’il est resté sur cette terre avant d’être coupé pour en faire le gunbri. Donc, elle est déjà habitée, hantée, maskouna. Le maâlem lui accorde toute son attention en l’encensant. Le gunbri vieillit aussi : passé quarante ans, il se met à résonner tout seul quand tu le suspend au mur. Il parle tout seul la nuit.
- Tu sens comme si quelqu’un raclait ses cordes, me dit Guinéa. Le tambour, bouge lui aussi. Tu entends sa résonance.Pendant longtemps les instruments des maîtres disparus sont restés dans la zaouïa comme des antiquités sacrées auxquelles personne n’osait toucher. On se contenter de les visiter pour en recueillir la baraka.
-Lorsque j’écrivais mon livre sur les Gnaoua,lui dis-je, l’un des maâlem , Paka que Dieu le guérisse ou Guiroug, m’a raconté qu’enfants ils se rendaient à la zaouia de Sidna Boulal, où ils rejoignaient Mahmoud Guinéa et ils allaient ensuite confectionner aouicha, la petite guitare à table d’harmonie en zinc qui leur servait à s’exercer avant de jouer au gunbri.
- On était alors en période d’apprentissage : dés notre prime enfance, on était des amateurs de Gnaoua. On confectionnait notre instrument en se servant du zinc en guise de table d’harmonie et du nylon en guise de cordes. Et on se servait des boîtes de conserve de sardines pour confectionner les crotales. Et on allait s’amuser ainsi au village de Diabet. Une fois, alors que nous étions encore tous jeunes, la tombée du jour nous a surpris dans la forêt de Diabet où nous nous sommes mis à scander Charka Bellaydou, une devise des gens de la forêt. Très sérieusement, dés que nous avons entamé ce chant, nous apparu alors, surgissant de nulle part, une sorte de Kinko A l’apparition de cette énorme créature, nous prîmes la poudre des escampettes. Fil blanc, fil sombre était la lumière dans les jardins de Diabet, près de l’oued.
- Au début tu accompagnais ton père , que Dieu ait son âme, en simple qraqbi (joueur de crotales) . Ton père jouait du gunbri et tu as commencé tout jeune en tant que qraqbi et en tant que jeddab (danseur rituel). Tu jouait Kouyou, la partie ludique du rituel. Un jour ils t’ont préparé une gasaâ(plat de couscous) pour te reconnaître en tant que maître de la nuit et du gunbri.
- A la zaouïa, ils m’avaient préparé une grande gasaâ, de couscous, semblable à celle des Regraga décorée de bonbons, d’amandes et de noix. Les Gnaoua étaient encore tous vivants. Ils m’ont béni et j’ai commencé à jouer. Mon jeu leur a plu. C’est de cette manière qu’ils m’avaient reconnu en tant que maâlem. Ce n’est pas le premier venu qu’on recrutait ainsi. N’importe quel profane, apprenant sur cassette, se prétend maintenant maâlem. Pour le devenir vraiment, il faut l’avoir mériter à force de peines. Maâlem , cela veut dire beaucoup de choses. Il faut être vraiment initié à tout ce qui touche aux Gnaoua : apprendre à danser Kouyou,à jouer du tambour, à chanter les Oulad Bambara , a bien exécuter les claquettes de la noukcha . Il faut savoir tout jouer avant de toucher au gunbri, qu’on doit recevoir progressivement de son maître. Maintenant, le tout venant porte le gunbri et le tout venant veut devenir maâlem.
D’Afrique ils avaient amené avec eux la danse su sabre et des aiguilles. Ils dansaient également avec un bol rempli d’eau de mer contenant un petit poisson des rochers couleur d’algues dénommé BOURI. Cette danse s’effectuait quand on invoque la cohorte des mossaouiyne, les esprits de la mer…
Abdelkader Mana
14:02 Écrit par elhajthami dans Arts, Psychothérapie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts, psychothérapie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Mohamed Tabal en peintre de la vie rurale
Mohamed Tabal, le peintre-jardinier
Par Abdelkader Mana
Mohamed Tabal dont les oeuvres sont exposées ce dimanche 4 décembre 2011 à Casablanca refuse de s'y rendre : en cette période de gaulage des olives il prèfère rester dans son village de Hanchane pour s'occuper de la cueillette et de la trituration dans les antiques pressoires du pays Chiadma. En participant ainsi à la vie rurale, il en devient un observateur privillégié pour s'en inspirer et la peindre. Son atelier d'artiste se situe en effet au coeur de son village natal entouré de son jardin, de sa basse coure, de son souk et des carioles qui le sillonnent. Il y trouve surtout la paix, le silence et la lumière. Entouré de ses oeuvres en cours d'élaboration, il me montre accrochée au mur une sérigraphie délavée d'une oeuvre de Chaïbia que lui avait offert jadis un amateur d'art : "Depuis que cette artiste avait quitté son village natal au pays Doukkala pour s'établir dans la grande métropole de Casablanca, me fait-il observé, la vie s'est retirée de ses oeuvres moins colorées.." Il ne fera jamais cette erreure: il ne quittera pour rien au monde, cette vie rurale si simple et si poètique qui est maintenant la sienne : son poste télé est constament allumé sur une chaîne du Yemen qui diffuse en continu de la musique bédouine comme si rien ne se passait dans ce pays et une chaîne du Tchad où on montre surtout des pasteurs avec leurs boeufs, leurs calebasses de lait et leur danse africaine...De la sorte notre artite peut se consacrer tranquillement à son oeuvre sans être distrait par le flux continu des informations et la fureur du monde....
Mohamed Tabal
TABAL refuse d'être cet homme unidimentionnel, cet artiste prisonnier de l'image qu'on lui accole d'être seulement le "peintre des Gnaoua": certes ces derniers l'inspirent mais ils ne sont plus sa seule source d'inspiration.Il est maintenant un peintre multidimentionnel aux références culturelles multiples : africaines, berbères, arabes puisqu'il pratique la calligraphie à sa manière et s'inspire du zajal cette poésie populaire issue de la geste hilalienne, ces arabes nomades qui envahirent le Maghreb au Xème siècle telle une nuée de sauterelles... Il n'est pas non plus un peintre unidimentionnel au niveau de la technique puisqu'il pratique la peinture sur toile de jutte, le collage sur bois, la sculpture sur différents matériaux qu'il découvre au grè de ses promenades solitaires dans la nature. Les oeuvres qu'il commence à peindre à l'aube, il les a souvent esquissé la veille juste avant de dormir, car la nuit porte conseil et à l'esquisse d'hier s'ajoute souvent ce que le subconscient avait recueilli à l'insu du rêve...
Sanctuaire
Le zéro et l'infini de Mohamed Tabal
De cette œuvre complexe et énigmatique qui semble grouiller de djinns avec le sanctuaire au centre, voici ce que nous en dit Tabal : « Coupole au centre : une tortue sous une forme humaine. Couleur blanche et verte. La main droite est humaine et la main gauche est une tête de bouc. Le pied droit est une tête de chien alors que le pied gauche est humain. Au milieu un lièvre des forêts et un oiseau de l’espèce rapace.Il s’agit des oiseaux migrateurs africains. Au début ‘ai voulu appelé ce tableau le zéro et il est devenu infini. Quand on retourne le tableau, on voit des huttes africaines : c’est un tableau à quatre dimensions : on peut le lire des quatre points cardinaux. Avec les huttes, il y a les palmiers et les chameaux. Il y a aussi la chevalerie, la course des chevaux. Là, c’est une théière renversée et là c’est la calèche d’Essaouira, le fameux « koutchi » se dirigeant du côté de Jérifates(les petits rochers du bord de mer). Bab Doukkala, je l’ai peint en rouge alors que les gens sont en train de déambuler dans les rues du côté du boulevard de la « Massira »(la marche verte). Le maçon conduit sa brouette et les tentes du moussem des Regraga. Avec au premier plan la théière qui symbolise les fêtes et les réjouissances. Ce qui reste comme espace vide dans la toile je le rempli de fleurs »
La tisseuse qu'il vient de finir, représente sa mère qu'il a perdu il y a quelques années : "Tu te rappelle, me dit-il, le jour où tu nous a rendu visite il y a longtemps de cela, plus exactement en 1989 et où ma mère t'avait offert à ton départ une poule avec ses oeufs?C'est elle que j'ai représenté dans ce tableau où domine le mauve, symbole d'amour, une couleur que j'aime beaucoup..." Il a mis sa mère pour ainsi dire sous la protection du marabout du lieu : les oeuvres de Tabal sont aussi celle d'un conteur qui raconte une histoire.Autour du thème central, ici la tisseuse, se développent pour ainsi dire les thèmes qui ont marqués sa vie: sa visite au marabout, ses animaux domestiques. Et quand on demande à Tabal pourquoi il place toutes les scènes de la vie rurale au même niveau sans perspective, il répond : "C'est pour les rapprocher tous du regard du spectateur..."
L'autobiographie de la tisseuse se déploie autour d'elle, mais elle est aussi incorporéé à son propre corps : sur son bras gauche on voit son mari allant au souk avec son coufin pour y faire son marché, à hauteur de sa quenouille se trouve sa vache laitière, l'âne de la maison est incorporé à son bras droit, des poissons colorés entourent sa poitrine généreuse et partout des fleurs des champs constellent la toile pour ne laisser aucun espace vide...Les notions de proportions et de perspective sont battus en brêche.
Chaque détail est une oeuvre en soi, de sorte que chaque tableau en comporte plusieurs : le thème principal est certes"la tisseuse", mais pour relater "sa vie", il fallait peindre plusieurs scènes de sa vie quotidienne.On voit ainsi la tisseuse en train de traire sa vache laitière et juste à côté la même tisseuse en train de prendre son repas en campagnie de son mari qui vient de rentrer du souk comme on le voit en haut à gauche du tableau juste à côté du marabout : les différente scènes de la vie quotidienne que l'artiste dépeint ici et là sont interdépendantes les unes par rapport aux autres comme dans une bande déssinée qui raconte une histoire.......
L'âne est ainsi dépeint trois fois : se reposant sur le bras de la maîtresse de maison, transportant son maître au retour du souk en passant devant le marabout, et broutant de l'herbe en haut à droite de l'oeuvre.On voit ainsi l'âne évoluer dans sa vie quotidienne d'âne parallèlement à celle de la tisseuse..
En peintre - jardinier, il fleurit son tableau comme il fleurit son jardin.Il le traite aussi comme une tapisserie : la tisseuse en médaillon central et les scènes de la vie rural en éléments décoratifs. Les poissons et autres reptiles qui composent la poitrine de la tisseuse sont décorés par les motifs en zigzag de la tapisserie qui symbolisent l'eau dans l'imaginaire rural. Mais aucun objet n'est coloré tel qu'il existe dans la nature mais tel que l'aurait peint un enfant de l'école primaire qui imagine des oranges bleues ou des serpents verts..
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Mohamed Tabal
La tunique rapiécée : voeux de pauvreté comme parure et comme beauté
Ce qui est décrit est plutôt un univers mental, relevant de ce qu'on peut appeler un état modifié de conscience semblable à celui obtenu après la consommation d'adjuvants rituel ou de drogues hallucinogènes comme chez les indiens Yaki : du pachiderme surgit un corps humain et un signe de victoire...Cette prolifiration de sens, Tabal nous l'illustre magistralement avec son porteur d'eau.
En haut à gauche du chapeau de paille, on voit la femme berbère du porteur d'eau en train de moudre les pépites pour préparer l'huile d'argan...De l'autre côté de l'oiseau et du chapeau, on voit maintenant que la femme du porteur d'eau a réussi après trituration à produire trois littres d'huile d'argan que son mari peut vendre au souk pour compléter son maigre gain: "J'espère, me dit Tabal, que ce porteur d'eau réussira à étancher la soif d'art chez tous les visiteurs de l'exposition de Casablanca!".Alors que la femme du porteur est occupée au moulin, ses poules picorent tout autour d'elle créant une animation qui la distrait et lui permet ainsi de voire passer le temps plus rapidement et sans trop d'ennui...
Sur le bras droit repose l'âne qui transporte le porteur d'eau au souk : c'est l'arroseur, arrosé en quelques sortes!
L'outre du porteur d'eau est richement décorée de vieilles pièces de monnaie, de main protectrice contre le movais oeil, de coeurs de différentes couleurs etc.Comme chez les Regraga où existe un saint patron de "la rivière verte", l'eau que verse le porteur d'eau est de couleur verte parce qu'il contient de la baraka, c'est à dire plus que sa réalité déjà connue.Il est à remarquer que là aussi la notion de "proportion" est battue en brèche puisque la tasse est plus grande que la femme du porteur d'eau avec son brasero et son pot de fleurs réunis...
Juste en dessous de l'outre et de la besace du porteur d'eau, on voit sa femme en train de préparer le pain entourée de ses ustenciles :elle est peinte sur le pied gauche de son mari, laquelle est posée juste à côté d'un énorme poivron...
Au pieds du père la mère, mais depuis que celle - ci n'est plus là, elle s'est mise à squater les moindres interstices de la conscience et de l'imagination...
Dans "le porteur d'eau" où les tonalité écarlates dominent, Tabal a choisi d'agrémenter de couelicot son tableau, en fin observateur du printemps : lorsqu'il se repose au milieu des champs il ne voit pas le champs claircemé de coquelicots d'une manière général, mais son cerveau "photographie" en quelque sorte, chaque coquelicot en particulier et en fait un motif quasi mystique de la renaissance du printemps...
Le poème du coquelicot de Moubarak Erraji
Pour apaiser ses gémissements
Elle peignait la chevelure du vent
Le coquelicot n’est que brise
Si son parfum n’était si fort
L’abeille amoureuse l’aurait dédaigné
Ô mon fils, lui a-t-elle dit
Quand on a annoncé au coquelicot
Qu’on doit lui couper la tête
Le coquelicot enlaça et embrassa son propre sang
Au coquelicot les rites funéraires furent des noces
Ô mon fils lui a-t-elle dit
La mer, sa magie et sa grâce
On a cru pouvoir l’enfermer dans un cercueil
Mais sa veine déborda d’une blessure salée
Et brisa le cercueil…
La mer, ne la fait pas monter par une canne
Ne la fait pas monter au bord d’un hameçon
Laisse la mer à la mer
Laisse la mer à sa guise
L’abeille amoureuse
Comme les paysans au milieu desquels il vit, l'artiste associe l'abeille au nectare, aux fleurs et aux fruits de la terre : sans abeilles il n'y aura pas de fruits et sans nectare, le miel n'aura pas sa vertu curative. Pour l'artiste l'abeille est d'abord une réalité symbolique, comme métaphore de la vie et du printemps. C'est aussi une réalité coranique : il calligraphie en même temps le mot "AL-Nahla" qui la désigne dans la sourate du même nom:
Ton Rabb a révélé aux abeilles:
« Prenez demeure dans les montagnes,
les arbres ou les ruches. »
Elles consomment de tous les fruits
et suivent le sentier de ton Rabb, docilement.
Il sort de leur abdomen
une boisson de couleur changeante,
un remède pour les humains.
Les autres versets de l'abeille sont également une source d'inspiration pour Tabal parce qu'ils évoquent la vie rurale:
Il crée les ciels et la terre en vérité,
sublime au-dessus de ce qu’ils lui associent.
Il crée l’humain de sperme,
mais c’est un querelleur invétéré.
Pour vous, il crée les troupeaux
avec, par eux, vêture, services et nourritures.
Pour vous, que de beauté en eux,
quand ils reviennent au bercail
ou vont pâturer !
La possession comme dissociation du multiple en l'un
Ils transportent vos fardeaux dans les pays
que vous ne pourriez atteindre sans souffrance:
Le cheval, le mulet, l’âne
sont pour que vous les montiez ou pour la parade.
Le papillon de Mohamed Tabal
Il fait descendre l’eau du ciel
en boisson pour vous:
les arbres où ils pâturent croissent avec.
Il produit pour vous les céréales,
l’olivier, le palmier, la vigne et tous les fruits.
Il soumet pour vous la nuit et le jour,
le soleil, la lune, les étoiles soumis à son ordre.
Il a disséminé pour vous, sur terre,
les couleurs changeantes.
Il soumet la mer,
pour que vous vous nourrissiez de chair fraîche
et que vous y trouviez les joyaux de vos parures.
Tu vois la felouque y voguer,
à la recherche de bienfaits.
Du fruit des palmiers et des raisins
vous tirez du vin et une subsistance excellente,
C’est en cela un Signe, pour un peuple qui discerne.
Mohamed Tabal
Les troupeaux ont pour vous un enseignement:
nous vous abreuvons de ce qui, dans leur ventre,
entre chyle et sang, est du lait pur,
exquis pour les buveurs.
L'une des toutes dernières oeuvres de Tabal est celle consacrée au point d'eau dénommé "laghdir", au centre de la vie sociale du monde rural aussi bien chez les nomades que chez les sédentaires que ce soit en Afrique du Nord ou en Afrique noire.C'est à la fois un abreuvoire pour les animeaux et un lieu de rencontre pour les humains, y compris les rencontres amoureuses : c'est là souvent que le jeune soupirant qui vient puiser de l'eau pour son hameau, découvre pour la première fois sa future épouse en train de laver le linge sur des dalles en granite, chantonnant sous la lumière matinale,d'une voix à la fois douce et voilée , un de ces airs nostalgique du terroire: aux cliquetis de ses bracelets s'entrechoquant à chaque mouvement son coeur novice s'ouvre brusquement comme une fleur du printemps aux toutes premières confidences d'amour.Une douce musique s'élève alors comme un coup de tonnerre dans un ciel serein où voltige désormais le bonheur des jeunes tourtoureaux...
Mohamed Tabal
Rien ne symbolise mieux cette quête d'amour que le "haddaoui", ce mendiant céleste allant avec son herrazmystique d'un parvis sacré l'autre.
Mohamed Tabal
Lors des fêtes patronales qu'on appelle moussem, on le voit déambuler entre les pèlerins préparant leur repas et vaquant à leurs occupations au milieu de leurs tentes et de leurs animaux. Sa quête aumônière où il reçoit ziara et offrandes en contre partie de la baraka de Sidi Haddi dont il est porteur.Elle est représenté par cette bougie allumée qui symbolise à la fois la lumière du saint et in fine "la lumière prophètique" qui irradie sur tout saint homme en terre d'Islam, mais aussi la flamme d'amour qui brule dans le coeur des hommes...
Mohamed Tabal
La femme - théière
"Femme - aigle", "Femme-Théière", "Homme - oiseau", ces oeuvres de Tabal qui se prêtent à une double lecture prêtent aux humains les mêmes qualités que les animeaux et les choses auxquels ils sont associés : la femme appartient au mobilier de la maison au même titre que la théière, elle est associée à l'aigle qui symbolise son amant et le guerrier agile a les même qualité de force et de courage que le tigre et la même agilité à s'envoler dans les airs que l'oiseau auquel on l'associer. On retrouve cette démarche dans les arts premiers de nombreuses peuplades d'Amérique pratiquant le totemisme ou en Afrique chez celles pratiquant l'animisme.
L’artiste ne vise pas à reprendre un seul sens, le « sens unique », il brouille les cartes pour multiplier les sens possibles. L’art est proche de ces pratiques mystiques où l’on pensait que la perfection nominale consiste à conjurer les esprits des sphères et des astres. Plus une forme est belle, plus elle a de chance de faire sortir l’artiste de son île où souffle un vent de crabes, pour le livrer à l’univers éblouissant des idées.
L'homme - oiseau
A propos de "L’homme – oiseau", Tabal nous déclare : « C’est un tableau qui se lit recto – verso et qui a de ce fait un double sens. Il s’agit du poulet , volaille domestique élevée par l’homme au même titre que les brebis, les chameaux. Les yeux de l’homme sont un oiseau et un chat. Sa tête est un poisson. En bas un cheval avec un couffin plein d’avoine. L’espace vide laissé par l’oiseau et l’homme je le rempli d’une décoration florale. Le bec de l’oiseau est un four à pain décoré d’un palmier, d’un oisillon de caprins et de brouette. C’est un tableau à deux faces : pile, c’est l’aigle, face, c’est la tortue. »
Mohamed Tabal
Sur le visage de la mariée on voit des hommes préparant le carosse du mariage, le cavalier charmant arrivant à la fête où l'attent une fastueuse hospitalité symbolisée par la théière où même les oiseaux et les poissons sont heureux de participer au réjoissances tout en faisant de leur couleurs une magnifique parure pour la mariée...On voit en bas la maison de la future mariée avec son fiancé à son seuil : elle est surmontée de la dotte et d'une amphore symbole d'une vie conjugale à la fois féconde et prospère. Une future marié particulièrement fertile, une FUTURE fermière accomplie...La terre - mère, une Mère - nature: des volailles dans la tête, des poissons circulant dans le sang, une mémoire tatouée...Un art ihtifaliste fondé sur l'esprit de la fête...Quel est l'objet de toute quête d'amour? La fiancée de l'eau! Celle dont on promène l'effigie au milieu des champs assoifés pour faire pleuvoire le ciel desespéremment serein en y faisant advenir magiquement par des prières rogatoires des nuages gorgés d'éclaires de tonnerre et d'eau...
Mohamed Tabal
Totemisme
.
Par Abdelkader Mana
03:23 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts | | del.icio.us | | Digg | Facebook
02/12/2011
Le souffle du souffle
Morceaux choisis en hommage à Abdeslam MICHEL RAJI
Texte Abdelkader Mana, photos Jean François Clément
L’artiste et l’univers éblouissant des idées
L’artiste ne vise pas à reprendre un seul sens, le « sens unique », il brouille les cartes pour multiplier les sens possibles. L’art est proche de ces pratiques mystiques où l’on pensait que la perfection nominale consiste à conjurer les esprits des sphères et des astres. Plus une forme est belle, plus elle a de chance de faire sortir l’artiste de son île où souffle un vent de crabes, pour le livrer à l’univers éblouissant des idées.
Très cher Raji
La revue Horizons Maghrébin vient de me commander un texte sur ta chorégraphie : je pense à ta danse sur l'ahouachau quelle j’ai assisté à Tata à celle où tu t’est livré à la danse extatique des derviches tourneurs et des soufies, à Agadir et dans l’Oriental marocain lors des training de l’Unesco pour la musique et la danse auxquels nous a convié notre ami Jean François Clément, en cette année 2011.
J'ai besoin de m’appuyer sur ces images pour écrire sur ton art , ta chorégraphie mystique que tu appelle « chorésophie »…. Je ne peux pas écrire de texte valable uniquement de mémoire....Et voilà que tu me sort d’affaire en m’envoyant la thèse de Bruno Couderc intitulée : « L’improvisation en danse, une présence à l’instant ».Je lis, toute affaire cessante le chapitre intitulé « dialogue avec le souffle de Michel Raji »: je vous suis infiniment reconnaissant , à toi et à Habib Samrakandi, de m’avoir inspiré ce travail gratifiant qui me tire en plus de ma torpeur, de ma stupeur estivale: tant que le corps se porte mal, l'esprit ne suis pas . Seul un corps léger permet à l'esprit de danser à sa guise.... Si je ne me trompe, je crois que chez les mystiques soufis, la danse extatique permet d'élever l’âme vers Dieu...grâce au dhikr l'âme se libère ainsi de son écorce charnelle ....
De l’improvisation poétique
« L’improvisation dis-tu est une pratique qui se fait à l’instant où le danseur est dans une écoute intérieure ». Cependant l’improvisation demande un travail en amont, une préparation : se laisser transporter par cet Othello incarné, retrouver les émotion primordiales du compositeur d'il y a des lustres: une communion mi-religieuse, mi-mondaine. L'esthétique de la science des harmonies entre notes célestes et transport amoureux... Dieu seul sait que derrière cette apparente improvisation se cache des années de travail sur la voix et ses possibilités acoustiques; la voix en tant qu'instrument musical. Et puis qu'est ce que la musique et la danse si non ce mystère qui nous met au diapason des beautés célestes ? « J’ai toujours improvisé en dansant » nous dis-tu, car l’improvisation imprègne notre culture marocaine, où on ne peut écouter placidement la musique sans y participer activement : Les marocains qui ont une culture participative ne voient pas pourquoi ils resteraient assis sagement tandis que les musiciens se produisent. Pour les marocains la frontière entre musiciens et public doit être abolie. Ils ne se sentent à l'aise et en fête que lorsqu'ils participent bruyamment à la fête en applaudissant, en trépignant, en poussant des you-you et des appels au Prophète. Il s'agit pour eux d'une décharge énergitique et biologique, en un mot d'une catharsis. Or pour la musique de chambre, on exige d'eux l'écoute attentive, le silence absolu, le bien se tenir. Conséquence peu de marocains parmi le public au printemps des alizés : la sélection ne se fait pas ici par l'argent mais par l'habitus culturel. Ici comme ailleurs, le Musée du Louvre et la musique de chambre ne sont pas fréquentés par le premier venu: il faut une éducation particulière de l'ouïr et du jouir...
La musique dans la vie
J’ai retrouvé partout où je suis allé filmé les musiques et les danses du Maroc, cet esprit de participation et d’improvisation . Chez les Branès par exemple; où le chant accompagne les fêtes depuis toujours, où on appelle les déclamations « semence » ; on a un mélange improvisé de poésie et de danse. Quand le poète fait signe qu'un nouveau chant est prêt, on se tait, on s'arrête. L'improvisation poétique de Doukkali - ce Zajalpopulaire et savoureux - est une véritable chronique de la vie villageoise. La langue d'expression est l'Arabe, mais le style rappelle étrangement les déclamations poétiques des troubadours berbères du Haut Atlas. C'est que les Branès, situés aux premières marches du pré - rif , sont eux-mêmes d'anciens berbères précocement arabisés du fait de leur position à la lisière de la trouée de Taza,sur la voie des grandes migrations en provenance de l'Orient arabe. Le poète, tel le journaliste de la tribu, traite de toutes les préoccupations de la vie quotidienne : cherté des prix« qui brûlent au souk », pénurie d'eau, sécheresse, ou encore conflit du Moyen Orient. Ainsi, à Tafraout, dans son improvisation poétique, le poète fustige l’avarice qui fait de l’accumulation de richesse le but ultime de la vie. L’avare ne peut s’adapter à la vie sociale : Dieu lui a interdit de goûter au miel des choses. Dans une fête où l’assistance est faite principalement d’épiciers et de commerçants ayant bâti leur richesse à force d’épargne, l’évocation de l’avarice paraît un clin d’œil qui ne manque pas de sel.
« L'aurore que j'aime se lève la nuit, resplendissante, et n'aura pas de couchant ». La « Laylat el Hajr » de Hallaj paraissant viser la nuit de l'esprit, sous d'autres symboles : l'oiseau aux ailes coupées, le papillon qui se brûle, le cœur enivré de douleur, qui reçoit.
Chorégraphie improvisée chez les troubadours de Sous
Les troubadours de Sous, se produisent dans la plupart des moussem du sud marocain. Ils plantent généralement leur théâtre au parc forain qui constitue la partie ludique et profane de la fête patronale. La Raïssa Amina dont le répertoire fait partie de la nouvelle chanson berbère en vogue, chante d’une voix naïve et belle les mots simples de l’amour du terroir et de ses symboles sacrés. Le raïs Amarok évoque quant à lui "l’aigle au beau plumage" :
« Ô aigle au beau plumage
Toi, l’étrange oiseau
À la lune tu porteras mon salut
Et tu lui diras : L’étoile polaire désire te voire »
Mais par delà leur voix, les Raïssa apportent un plus avec leurs diadèmes magiques,leurs caftans bariolés et leur chorégraphie improvisée. L’improvisation musicale constitue, en effet, avec la participation du public, un des traits majeurs de cet art populaire.
Improvisation poétique chez les Glawa
Dans la poésie chantée qu’on appelle N’dam, les hommes ont un rôle prépondérant. Ce sont eux qui assurent l’improvisation poétique, devant les villageois rassemblés sur la place publique. On chante le N’dam en couvrant la bouche de son tambourin comme pour se protéger des puissances surnaturelles autant que pour mieux moduler sa voix. Un refrain montagnard, jeu de tambour, tambour de fêtes saisonnières. Voilà ce qui frappe le plus du point de vue musical au pays Glaoua que nous avons traversé à mi – chemin entre Marrakech et Warzazate ,à l’aube de cette nouvelle année agricole de 1998. Pour en finir avec l'improvisation dans l'ahouach, avant d'attaquer ta mystique, celle de Jean François Clément, ce fils de la miséricorde et mon regretté ami Boujamaâ Lakhdar pour qui l’art était un rite du silence qui anime les nuits de pleine lune. :
L’ ahouach d’assif el Mal qu’on appelle Idikel est également pratiqué par les tribus voisines de Mzoda , Aït Bou Yaâkoub et Douirane. C’est un ahouach d’un rythme différent de celui d’Imin Tanout et du pays Haha, même si ces derniers appartiennent au même ère linguistique chleuh. Ahouach Idikel se distingue surtout par la position centrale qui y occupe le chant solo, cette improvisation poétique et musicale qu’on appel arasal et qui est propre aux montagnards du Haut – Atlas. Pour orchestrer l’ahouach Idikel on recourt à trois tambours à cadre à tonalités différentes, selon qu’il s’agit d’un coup vibrant appliqué de poing au centre de la peau ou de coups secs obtenus par le choc de la main à plat sur bord. Le premier tambour, le trime, commence par jouer un rythme appelé hamz, le deuxième qu’on appelle amtarfo , parce qu’il occupe les marges, joue une autre variation rythmique appelée asidari, et le troisième soliste recourt à une technique de jeu appelée Amdil. Chaque soliste joue un rythme différent mais il doit être impérativement complémentaire des deux autres.
Le chant des femmes Jbala
Chez les Jbala on appelle Aâyouâ, le chant qui accompagne les travaux agricoles des femmes (moissons, gaulage des olives). On peut traduire ce mot par l’expression « échos de montagnes » : son ambitus extrêmement aigue et allongé porte au loin la voix des femmes Jbala. Elles s’en servaient, dit-on, pour signaler d’en haut des collines, aux guérilléros d’Abd-el-krim, les déplacements des colonnes françaises. Et aux fêtes de mariage, on se servait de ces voix de soprano pour faire parvenir le message à tous les participants sans avoir à recourir au haut parleur. Le hautboïste Mr.Aziz Zouhri, dont la troupe vient d’être invitée en France, nous rapporte ce couplet, que les femmes chantaient lors des fêtes saisonnières :
Warwar yâ limama, fal hjour dal ghoddana
La iâjbak chi zînak, hakdak kount hatta yana
Aux branches des figuiers, recoule ô colombe !
Ne soit pas étourdi par ta beauté , moi aussi j’étais belle !
Du point de vue mélodique, ce chant s’apparente au mode musical andalous dit « lahgaz » : de par leur position géographique sur la rive sud de la Méditerranée, les Jbala ont été influencé par la musique andalouse. Ce sont les fêtes de mariage qui ont permis à ce genre de se perpétuer, mais il est en voie de disparition : les femmes qui le pratiquent sont pour l’essentiel décédées. D’où la nécessité de mesures conservatoires pour l’enregistrer avant qu’il ne soit trop tard. Cette nécessaire documentation concerna aussi les deux autres genres que sont le haïtet Taqtouqa Jabaliya.
Ce que tu dis du corps, de l’instant et de l’éternité
Ce qui reste de Shoshtari, comme des maîtres spirituels qui lui ont succéder depuis, c'est cette actualisation poignante de l'instant, où ils veulent nous faire rejoindre l'éternel. « L'instant est une coquille de nacre close ; quand les vagues l'auront jetée sur la grève de l'éternité, ses valves s'ouvriront ». Il n'en disait pas davantage pour laisser comprendre qu'alors on verra dans quelles coquilles les instants passés avec Dieu ont engendré la Perle de l'Union. Ce à quoi fait échos NIYAZI MISRI, poète mystique turc du 17ème siècle :« Après avoir voguer sur la mer de l'esprit dans la barque matérielle de mon corps, J'ai habité le palais de ce corps, qu'il soit renversé et détruit ; » OUI, l'instant est une coquille de nacre close ; quand les vagues l'auront jeté sur la grève de l'éternité, ses valves s'ouvriront.
Le corps photographié d’Ameziane
Le cheikh Moussa est actuellement le plus célèbre à Nador. Il est accompagné de l'Azemmar, une sorte de biniou, munit de deux cornes d'antilopes. On appelle le chant rifain « izri « (pluriel ; « izran »). En voici un qui fut composé, en 1911, à l'occasion de la mort du Chérif Mohamed Ameziane, le chef de la résistance rifaine contre l'Espagne, au début du 20ème siècle :
Sidi Mohamed Ameziane est mort !
Nous ne pouvons honorer son tombeau
L'ennemi ayant emporté sa dépouille
Dans les villes pour la photographier !
Par Dieu ! Ô Mouh fils de Messaoud !
Rends nous son corps afin que nous le vénérions !
Pour Abdélkébir Khatibi, l’enfant né au monde en tant que corps dansant et parlant:
« Pour un conteur populaire lui dis-je une fois, le jour de la résurrection même les analphabètes retrouveront la faculté d’écrire ; l’indexe sera leur plume, la bouche leur encrier et le linceul la page blanche. Comme le miracle coranique avait commencé pour le Prophète par l’impératif : « Lis ! », le miracle de la résurrection commencera pour chacun d’entre nous par l’impératif : « écris ! ». Qu’en pensez-vous ? Ce à quoi il me répondit : « On peut interpréter de différentes manières. Je ne suivrais pas sa manière d’interpréter. Mais par exemple, symboliquement l’enfant apprend la langue, il naît au monde en tant que corps et puis il naît au langage en apprenant le premier mot, son nom propre, le nom propre de sa mère, son père, son entourage et il entre dans le langage comme naissance. Une résurrection dans ce sens là, parce qu’elle permet de rentrer dans un autre ordre du symbolique qui change les choses dans le sens où l’activité de l’écrit a sa loi propre. C’est une activité qui laisse des traces, qui durent et qui entrent dans une mémoire et dans une généalogie de textes, qui se transmet de siècles en siècle. Donc, la résurrection c’est la survie aussi de textes dans ce sens là. »
De la résurrection des corps
La légende des sept saints Regraga s’inscrit dans une vielle tradition méditerranéenne dont la source serait celle des Sept Dormants d’Ephèse en Turquie comme le soulignait en 1957 Louis Massignon : « En Islam, il s’agit avant tout de « vivre » la sourate XVIII du Qora’n, qui lie les VII dormants à Elie (khadir), maître de la direction spirituelle - et la résurrection des corps dont ils sont les hérauts, avant coureur du Mehdi, au seuil du jugement, avec la transfiguration des âmes, dont les règles de vie érémitiques issues d’Elie sont la clé. Ce culte a donc persisté en Islam, à la fois chez les Chiites et les Sunnites mystiques. ». En Bretagne, par où les sept saints Regraga, auraient passé à leur retour de La Mecque avant d’accoster par leur nef au port d’Agoz à l’embouchure de l’oued Tensift, Massignon notait : « En Bretagne spécialement, le nombre des Sept Dormants raviva une très ancienne dévotion celtique au septénaire, seul nombre virginal dans la décade (Pythagore), chiffre archétypique du serment. On est tenté de penser que c’est une dévotion locale aux sept d’Ephèse, qui a précédé et provoqué les cultes locaux aux VII saints en Bretagne. »
Le corps broyé par les vagues
Dans la clarté du jour la procession investit la cité du son grave du tambour, du martèlement des crotales.
Dis-nous, ô arbre immobile !
Entends-tu les sons graves qui
Accompagnent le taureau vers le repos éternel ?
Son sang va jaillir comme jaillissent en geysers de brume
Les chevaux marins de la houle violente.
Corps broyé par les vagues.
Rôde la mort, la mort sereine et brutale.
En échos à la prière cosmique du firmament,
Des ombres en oraison se répondent dans la pâle clarté du crépuscule.
L’esprit entre dans le corps
Léon l’Africain nous parle pour sa part de femmes qui « font entendre au populaire qu’elles ont grande familiarité avec les démons, et lorsqu’elles veulent deviner, se parfument avec quelques odeurs, puis (comme elles disent) l’esprit entre dans leur corps, feignant par le changement de leur voix que c’est l’esprit qui répond par leur gorge ». La fumigation de parfums, aux dires d’Ibn Khaldoun, met certains individus dans un état d’enthousiasme tel qu’ils prévoyaient l’avenir.
Pour B.Lakhdar l’art était un rite du silence qui anime les nuits de pleine lune.
Quand on a assez de musique en soi pour faire danser le monde…
Un vrai musicien de Marrakech doit connaître tous les rythmes, maîtriser tous les instruments de musiques traditionnelles, et même savoir danser. C’est le sens des mots Bahja (esprit de la fête) et Hyala (esprit de la danse) : la joie qui habite le corps et l’esprit au printemps de l’âge - quand on a assez de musique en soi pour faire danser le monde.
L’épuisement du corps
Le feu du soleil nous communique son ardeur. L’espace mythique parcouru à pied et à dos-d’âne est intensément vécu, arpent par arpent, jusqu’à l’épuisement du corps. La vitesse des villes engendre le stress, le déhanchement des chameaux nomme chaque arbre et chaque pierre. Tout seul, j’aurais vite abandonné, mais entraîné par l’endurance des pèlerins - tourneurs, j’apprends dans le sillage des chameaux, ce que signifie aller au-delà des limites assignées par la vie sédentaire. La sédentarité engourdit les os et sclérose l’esprit. Je jalouse ces nomades qui ont l’âge de la vieillesse et l’agilité des chèvres. Ce n’est pas seulement le temps qui produit la vieillesse, mais aussi la vie urbaine.
Le corps et les mauvais esprits
Au milieu du cap Sim, je découvre une plante médicinale du nom vernaculaire d’ajebbardou, que deux jours auparavant, ma mère m’avait réclamée : on malaxe cette plante charnue avec de l’huile d’olive et l’on s’en enduit le corps pour se débarrasser des mauvais esprits — les esprits du vent qu’on nomme ariah — ou on la met sous l’oreiller d’enfants souffrant de cauchemars. Ma mère souffrait d’hallucinations dues à une tumeur au cerveau et elle en a besoin pour cette aison. Les deux messages cosmiques signifient aussi que mes racines profondes se trouvent dans ces lumineux rivages et que, partout ailleurs, je pourrais peut-être gagner plus d’argent mais serais toujours comme une nacre hors de l’eau, une plante hors de sa terre nourricière.
Quel rapport entre tout cela et la danse fraternelle de Raji? Une complicité éternelle: Affaire à suivre...
Se réchauffer le corps et le cœur au soleil
Il y a par ici, de gigantesques caroubiers et de très beaux palmiers. J’ai l’impression de me promener dans le jardin d’Eden où coule une eau douce et bénéfique. Une balade qui pourrait bien être un remède pour les blessures de l’âme. Mon père aimait beaucoup marcher de la sorte, au printemps renaissant. Il y puisait une énergie vitale, le renouveau physique et spirituel. Se réchauffer le cœur et le corps au soleil. Partout les frais feuillages luisent sous le paisible soleil d’hiver.
Tous ceux que nous aimons
Maintenant que ceux que nous aimons ont disparus, qu'est ce qui nous retient encore à ce beau pays où les amandiers perdent déjà leurs fleurs sous la pluie? Mon corps est mouillé mais mes yeux sont desséchés d'avoir perdu tous ceux que nous avons aimés. Maintenant qu'ils sont tous partis, qu'est ce qui nous retient encore à ce beau pays où les amandiers commencent déjà à perdre leurs pétales mauves et blancs sous la pluie?
« J'écris sur ma toile, disait le peintre mystique Larbi Slith, en miniature, les mots qui ouvrent chaque sourate et qui représentent l'invisibilité et la puissance de Dieu. J'orne mes toiles d'un alphabet dansant, chantant, un alphabet qui parle, il parle d'horizons lointains, il parle de moi, embryon au milieu de la sphère tendre et chaleureuse. »
Du souffle
Vous avez raison, j'ai oublié le souffle qui joue un rôle central dans votre démarche:
Souffle ! Souffle ô Bou - Iblâne !
Rafraîchit l'air du plat pays
Car la belle n'est pas habituée à une telle chaleur !
Ô Bou - Iblâne ! N'était le froid, j'aurai planté ma tente sur ton sommet !
Le souffle d’Aïssa qui guérit les aveugles et les paralytiques…
À l’approche du sanctuaire, comme happé par les énergies spirituelles du seuil sacré ,le horm, hommes et femmes accourent pieds nus, chevelures au vent, souffle haletant, regard hagard. Humanité pathétique qui semble avoir laissé derrière elle, charrue et travaux des champs pour venir ici à la rencontre du divin. Pathétiques et néanmoins beaux, par leur quête du céleste et du sacré, sont ces paysannes disgracieuses et ces vieillards édentés aux pieds calleux, retrouvant en ce temps du pèlerinage, jouvence et nouvelles énergies. Au terme d’une course éperdue, ils s’accrochent au catafalque du saint pour y trouver réconfort et purification. Au cours de cette course effrénée, ils doivent enjamber le corps de pèlerins à plat ventre au seuil du mausolée, comme pour leur transmettre l’énergie bénéfique dont ils sont sensés être porteurs en ce moment de grâce. La croyance veut que par ce geste, ils contribuent à dénouer les entraves visibles et invisibles dont on cherche délivrance, auprès d’Aïssa le guérisseur des aveugles et des paralytiques.
Le souffle chez les Hamadcha
Souffler dans la ghaïta, souffler en dansant.
Le souffle du souffle
Ton homonyme mon ami le poète Moubarak Erraji:
Depuis que l’arbre est arbre
Tous les souffles sont vibrations d’ailes sur l’arbre
Le souffle de l’âme
Le souffle du saxophone
Le souffle du souffle
Faust et le feu sacré
Gloire à la mer ! Gloire à ses eaux environnées de feu sacré !
Gloire à l’onde ! Gloire à l’étrange aventure ! Le Faust de Goethe
Poème recueilli l'hiver 2005 au Sahara:
Nos gîtes de campagne,
Sont dressés là - même où sont nos racines.
Cette étendue désertique est frappée de l’éclaire du Sud-Est.
Doux rêve d’hiver, sous les nuages, la fine pluie et sous la tente
Parfum d’herbes sèches, s’évaporant du milieu des oueds.
Lointaines rumeur des bêtes sauvages.
Cérémonial de thé, entre complices de l’aube.
Crépitement de flammes aux brindilles desséchées
Et avec le jour d’hiver qui point
Chacun des deux amants rejoint la tente des siens.
La caprification
Un auteur n'écrit jamais à partir d'une page vide, mais à travers une accumulation et une « caprification », cet échange symbolique entre deux esprits d'où jaillit la lumière ou le rêve éveillé, c'est selon...
Casablanca le vendredi 10 juin 2011 Abdelkader Mana
L'auteur lors de la remise des prix à l'équipe du training de l'Unesco sur la musique et la danse par le gouverneur
de Tata
L'équipe des training de l'UNESCO sur la musique et la danse de gauche à droite: Jean François Clément, Belaïd Akkaf, le maire de Tata, abdelkader Mana, Michel Raji et Brahim Mezned
L'équipe du training de l'Unesco sur la musique et la danse au tout nouveau théâtre de Tata: Abdelkader Mana, Jean François Clément, Belaïd Akkaf et le chorégraphe Michel Raji
11:06 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts, corégraphie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
01/12/2011
Les Jbala et le Rif
Texte Abdelkader Mana, images Jean François Clément
Comme ailleurs au Maroc, les paysans sédentaires du pays Jbala et du Rif ont conservé l’usage de l’antique calendrier julien, le long duquel s’égrènent les actes et les rites de la vie agricole : l’époque magiquement propice aux labours, les périodes néfastes où il faut se garder de travailler le sol, le moment des bénéfiques pluies de Nisân , l’instant heureux des moissons , et enfin le jour de la « mort de la terre », après lequel tout est brûlé ; mort jusqu’à la résurrection aux premières gouttes de la pluie automnale.
Lieu d’échange entre la plaine et la montagne, Taounate est l’un des principaux marchés du pays Jbala, où s’échangent les produits de la montagne en contre partie de ceux de la plaine. Occupant la partie occidentale de l’ensemble rifain, limité à l’ouest par l’Atlantique, au sud par les plaines du Gharb et au sud-est par le Rif central, le pays Jbala s’étend depuis le nord de Fès jusqu’au haouz de Tétouan. A la suite de la reconquête de l’Andalousie par les Rois Catholiques à la fin du XVème siècle , beaucoup d’andalous viennent s’installer dans les principales villes du pays Jbala que sont Tétouan, Chefchaouen et Ouazzan. Ce qui n’est pas sans avoir un certain impact sur « Taqtouqa Jabaliya » influencée entre autre par le mode musical andalou dit lahgaz.
Taounat, en tant que marché Jbalien dépendant de Fès où s’établissent souvent ces tolba et ses musiciens, tel Mohamed Laâroussi actuellement, est connue par trois genres de musiques et de chants : Taqtouqa Jabaliya, le chant des femmes Jbala dit « aâyouâ » et le genre « haït » spécifique à la plaine du Gharb toute proche.
Taqtouqa Jabaliya de Taounate
Actuellement, en plus des instruments de musique traditionnelles que sont le violon, le luth, souisdi, le bandir (tambour à cadre), la darbouka et le trier, les musiciens de Taqtouqa Jabaliya, recourent également aux instruments modernes : la guitare, le piano et la batterie. Sous l’encadrement de Mohamed Laâroussi, le cinquième festival de Taqtouqa Jabaliya qui s’est tenu à Taounate en 2009 a réuni une centaine de musiciens de ce genre représentant les trois régions : Tanger et ksar Sghir, Tétouan et Chefchaouen et Taounate. Ce festival a été organisé par l’association Safir (ambassadeur) de Taounate. Les deux principaux maîtres de Taqtouqa Jabaliya sont Mohamed Laâroussi de Taounate et Abdellatif el khoms de Chefchaouen. Les œuvres de Mohamed Laâroussi sont les plus connus et les mieux diffusées à travers la radio – télévision et sous forme de cassettes et de CD. C’est la musique qui symbolise le mieux le pays Jbala,. Elle est présente dans les trois régions suivantes, avec d’infimes variations locales que seule une oreille exercée peut déceler :
a) La Taqtouqa Jabaliya de la région de Tanger et de ksar Sghir
b) La région de Tétouan et de Chefchaouen avec les Béni Ârous en particulier, d’où est issu Moulay Abdessalem Ibn Mashish du djebel Alam, descendant de Omar, l’un des douze fils d’IdrissII, le fondateur de Fès. Les musiciens de Taqtouqa Jabaliya sont très présents auprès des disquaires du moussem annuel de la naskha qui a lieu autour de la grotte et de l’arbre sacré de Moulay Abdessalam vers la mi – chaâban, le mois lunaire qui précède le Ramadan.
c) Enfin la région de Taounate avec les Mernissa et surtout les Bni Zeroual, d’où est issue Mohamed Laâroussi, actuellement considéré comme le chanteur de Taqtouqa Jabaliya par excellence. Les Mernissa pratiquent Taqtouqa Jabaliya et un genre de haït plus proche de l’oriental marocain du fait de leur position à l’Est des Jbala à la lisière de la tribu rifaine des Gzenaya ( des guerriers qui ne pratiquent ni danse ni musique)et des Tsoul, qui ont le même type d’habitat et de dialecte que les Jbala mais qui font plutôt partie du couloir de Taza.
Mohamed Laâroussi
Considéré comme l’une des grandes figures de taqtouq al jabaliya Mohamed Laâroussi est né le 14 janvier 1934 Taferrant chez les Bni Ârous, fraction Bni Zeroual , située à 40 kms de Fès. Il était né à une période où les esprits étaient encore marqués par l’offensive Franco – Espagnole de 1926 contre le Rif à partir justement des postes de Bni Zeroual et surtout ceux de Mernissa : Abd el –krime menaçait alors Fès dont il annonçait la prise pour mai 1925. Inquiet de cette poussée puissante de nationalisme, le maréchal Pétain obtient le départ du Maréchal Lyautey, hostile à une coopération avec l’Espagne. Les conversations franco – espagnols commencent le 17 juin 1925. Lors de la rencontre le 28 juillet entre Pétain et Primo de Rivera, le principe d’une riposte commune sévère est arrêté. La guerre franco – espagnol du Rif commence. Dans ses « Lettres du Maroc, l’offensive dans le Riff 1925, la Tache de Taza 1926 », édition militaire, 1930, le Lieutenant J.Joubert écrit : « L’offensive française a commencé le 12 avril 1925, par une « souga » chez les Beni zeroual, à la zaouia d’Amjot ; ils nous lachèrent en partie. Abd el-krim voulait le chemin de Fès. Vous pensez quelle victoire pour lui de prendre la ville sainte, la capital intellectuelle. C’était la reconnaissance certaine de sa puissance, puis de son autorité, c’était notre défaite. Trois Harka d’ Abd el-krim étaient formées pour investir la ville : leurs efforts convergeaient. Ils isolaient les postes et on les vit un à un tomber. On essayait bien d’aller au secours des assiégés, mais c’était difficile. D’abord, il y avait peu de bataillons disponibles, et l’ennemi montrait du mordant. Il y avait du matériel moderne. Les canons et les mitrailleurs des postes, ils les retournaient contre nous, car ils savaient parfaitement s’en servir. Il y a, je crois, chez les Rifains, des déserteurs de la légion, et aussi des aventuriers de tous pays. C’est une si belle poire à accueillir que ce Rif ! Ce qui rendait surtout la situation très critique, c’était le départ en dissidence de nos tribus soumises. Les unes après les autres, elles nous lâchaient, nos postes étaient ainsi complètement isolés. Il y a quelques semaines, les Tsoul et les Branès sont eux aussi partis en dissidence, et c’est un fameux bloc contre nous, surtout à cause de leurs terrains mamelonnés. »
En 1925, les guérilleros d’Abd el krim multiplient leurs attaques contre les postes Français et leurs auxiliaires chez les Branès, les Tsoul et les Bni Zeroual. Le mercredi 9 septembre 1925, le Maréchal Pétain en personne vint inspecter les avants postes d’Aïn Aïcha et de Taounate. Et c’est à partir de Mernissaentre autre que sera déclenché l’offensive du côté Français contre le Rif : L’échec des pourparlers d’Oujda avec les émissaires rifains a entraîné immédiatement, l’offensive franco-espagnole : dés le 7 mai 1926 l’aviation entreprit sur tout le front des reconnaissances et des bombardements massifs sur les rassemblements et les centres importants, notamment sur le poste de commandement du Khamlichi à la Zaouia de Bou Ghileb . Dés le lendemain le 8 mai les troupes françaises et les troupes espagnoles commençaient une offensive conjuguée : les secteurs espagnols d’Alhuceima et de Melilla marchèrent en même temps que l’ensemble de la ligne française. Celles-ci avançait sur plusieurs axes simultanément : à l’ouest depuis Ouazzan et Chefchaouen afin de couper les Jbala du Rif, et plus à l’Est depuis les Mernissa et Taza en direction du Kert.
Grandissant dans un contexte où la guerre du Rif revenait souvent dans les récits des chaumières de son enfance, Mohamed Laâroussi se souvient encore de ce qu’on lui racontait tout jeune des attaques désespérées des rebelles rifains contre les postes militaires Français de sa tribu des Bni Zeroual, tenus par les tirailleurs sénégalais et autres goumiers qu’ « on n’hésitaient pas, raconte-t-il, à pousser dans les fosses en les précipitant dans le vides des falaises. ». Et dans sa toute première chanson intitulée « le capitaine Soly » il se faisait l’écho du mécontentement des paysans Jbala contre les postes militaires qui se servaient gracieusement en figues, olives, poules, moutons et moisson. Mohamed Laâroussi débuta donc sa carrière de musicien en 1944, par cette qasida sur « le capitaine Soly » qui commandait les Bni Zeroual où il raconte les affres de la colonisation. Quand le capitaine Soly en eut vent, le 20 juillet 1946, il le jeta immédiatement en prison où il allait croupir pour dix ans, s’il n’y avait l’intervention d’un certain Mohamed Ben Taïb, traducteur, qui le tira finalement d’affaire au bout de neuf jours seulement. On lui interdit néanmoins de se rendre à Fès où il réside actuellement. Il a fallu attendre l’indépendance du Maroc pour voire finalement ses chansons diffusées à la radio à partir de 1958. Il a même connu une carrière de chanteur de Cour sous le Roi Mohamed V puis Hassan II . C’est un chanteur prolifique : depuis le début de sa carrière à nos jours, il a produit quelques 526 chansons : d’où la nécessaire de réunir et de publier ses chansons sous forme de recueil pour préserver cette mémoire, qui fait incontestablement partie du patrimoine populaire marocain menacé de disparition en ces temps de nivellement par la raboteuse de la mondialisation : enregistrer, traduire, le publier, préserver de l’oubli.
Le chant des femmes Jbala
Chez les Jbala on appelle Aâyouâ, le chant qui accompagne les travaux agricoles des femmes (moissons, gaulage des olives). On peut traduire ce mot par l’expression « échos de montagnes » : son ambitus extrêmement aigue et allongé porte au loin la voix des femmes Jbala. Elles s’en servaient, dit-on, pour signaler d’en haut des collines , aux guérilléros d’Abd-el-krim, les déplacements des colonnes françaises. Et aux fêtes de mariage, on se servait de ces voix de soprano pour faire parvenir le message à tous les participants sans avoir à recourir au haut parleur. Le hautboïste Mr.Aziz Zouhri, dont la troupe vient d’être invitée en France, nous rapporte ce couplet , que les femmes chantaient lors des fêtes saisonnières :
Warwar yâ limama, fal hjour dal ghoddana
La iâjbak chi zînak, hakdak kount hatta yana
Aux branches des figuiers, recoule ô colombe !
Que ta beauté ne t’étourdit pas , moi aussi j’étais belle !
Du point de vue mélodique, ce chant s’apparente au mode musical andalous dit « lahgaz » : de par leur position géographique sur la rive sud de la Méditerranée, les Jbala ont été influencé par la musique andalouse. Ce sont les fêtes de mariage qui ont permis à ce genre de se perpétuer, mais il est en voie de disparition : les femmes qui le pratiquent sont pour l’essentiel décédées. D’où la nécessité de mesures conservatoires pour l’enregistrer avant qu’il ne soit trop tard. Cette nécessaire documentation concerna aussi les deux autres genres que sont le haït et Taqtouqa Jabaliya. « Récemment, nous dit Mohamed Ben khazzou, nous avons essayer de recueillir les rites de mariage dans la ville de Taounate : les chants nuptiaux dont nous essayons d’enregistrer les mélodies et les rythmes. Ce projet sur lequel nous travaillons actuellement vise la préservation de ce patrimoine avant qu’il ne disparaisse. » Il existe également le carnaval masqué que pratique à Ghafsaï, la troupe des fantassins qui pratiquent la fameuse « tbourida »: un pré -théâtre populaire avec tambours et hautbois qu’on trouve avec force aux environ de Moulay Abdessalam Ibn Mashish. Ce carnaval masqué a surtout lieu à l’occasion de achoura..
Le genre haït des hyaïna et des Tsoul
Le genre dit le « haït » qu’on trouve chez les hyaïna et chez les Tsoul, a ses origines dans la plaine du Gharb : ce genre musical se manifeste surtout lors du moussem de sidi Bouzid qui a lieu au mois d’avril à Tissa chez les hyaïna , très connue par ses élevages de chevaux. Le haït arabophone de Taounat diffère de celui berbérophone d’El Huceima . Musique essentiellement instrumentale et rythmique Le haït se caractérisant par une césure rythmique de 9/4, raison pour laquelle les musiciens l’appellent « mizân aâraj » (mesure boiteuse). Comme instruments de musique caractéristique de ce genre : le hautbois, le bendir (tambour à cadre), le ciseau pour les sons aigus et agoual (sorte de tambourin allongé). A Taounat, les groupes connus de ce genre sont les suivants :
- Groupe « Noujoum Hyaïna »
- Groupe « Noujoum Tissa »
- Groupe « Ben Allal »de Taounat qui a été invité au festival des Arts Populaires de Marrakech.
Chez les Tsoul on joue du hautbois des Jbala. On trouve également chez eux des influences musicales venues de l’Ouest, en particulier le genre « Haït », caractéristique des plaines du Gharb. Chez eux la musique est toujours associée, au pré – théâtre burlesque de « Ba – Cheikh », avec son comique gestuel et ses accoutrements.Chez eux on trouve aussi les influences musicales venues de l’Est – tels les genres Reggada, Mangouchi et Laâlaoui, qui caractérisent particulièrement l’Oriental marocain. Chez les Tsoul, on ressent cependant davantage l’influence des Jbala comme nous l’explique l’un des habitants de leur village qui porte curieusement du nom des mérinides :« Ce douar qui fait partie desTsoul porte le nom des Mérinides. Jadis, les mérinides avaient campé ici avec leur Makhzen, et leurs troupeaux. Nous nous sommes établis ici après leur départ et nous avons gardé à cet endroit le nom des Mérinides ». Au début du 13ème siècle, au déclin de l’empire Almohade les Béni Mérine qui nomadisaient dans le pays compris entre Figuig, la Moulouya et l’oued Zâ, avaient l’habitude de passer l’été dans le Tell où ils étaient liés avec les tribus habitant les montagnes de Taza dont celles des Meknassa et des Tsoul. Dans cette région, quand les garçons veulent étudier, ils s’en vont chez les Béni Zeroual, L’jaïya, et Ouazzane. Ils étudient le Coran chez les Jbala. Ils y restent jusqu’à ce qu’ils l’apprennent par cœur : cela prend cinq à dix ans, après quoi ils reviennent ici pour y enseigner dans une école coranique. Leur formation aux sciences religieuses se fait chez les Jbala et à la Qaraouiyne de Fès. Une tradition qui remonte au plus prestigieux des Tsoul, Ali Ben Berri Tsouli, clerc, serviteur des mérinides. Son mausolée est le plus considérable de la plaine des tombeaux de Taza. L’édifice d’époque mérinide, se situe au dessus de « Triq Sultan » qui sortait de Taza et se dirigeait vers le sud. Sidi Ali Ben Berri a vécu au 12ème siècle, sous la dynastie Mérinide. Quand sa réputation et sa science se sont répandues, il fut choisi par Abû Inane le Mrinide, pour devenir son secrétaire particulier. Les cours d’eau de la vallée de l’Innaouen et du couloir de Taza ont toujours été un enjeu historique. : « Les Meknassa, nous dit Ibn Khaldoun, se composent de plusieurs tribus qui habitent les bords de la Moulouya, depuis Sijilmassa jusqu’aux environs de Taza et des Tsoul. » Ainsi, vers l’an 1045, les Ghiata, en entamant leur mouvement vers le nord, durent se ruer sur la vallée de l’Innaouen, repoussant peu à peu les Meknassa et les Tsoul sur les collines peu fertiles et moins arroses du Rif.
Musique et histoire du Rif
Musiciens rifains de Nador
Le Rif proprement dit va de l’oued Kert à l’oued Bni Gmil, et comprend les tribus côtières des Aït Ittef, Ibeqoien, Bni Wariaghel, Tamsaman, Aït Saïd. Le Rif oriental se situe entre l’oued Kert et la basse Moulouya, et les tribus suivantes : les Guelaya, et les kebdana. A cette énumération,il convient d’ajouter les tribus de l’intérieur : Bni Touzin, Aït Âmmert, Aît Oulikech, et les Gzennaya.Le Rif linguistique s’arrête à la frontière algérienne. On classe en effet dans le groupe des Bni Iznacen, les Bni Bou Yahi et les Mtalsa .
Du point de vue musical le Rif se distingue par l’Azemmar , sorte de biniou composé d’une peau de bouc munie de deux cornes d’antilope à l’aide desquelles le musicien gonfle l’outre et règle la sortie de l’air. L’Azemmar(pluriel izemmaren), désigne également le joueur de biniou, ou de flûte(tazemmart), qui dérive du mot arabe « zamar »(flûte). Le Cheikh Moussa qui chante Izri (poésie en rifain), accompagné d’azemmar est le plus célèbre actuellement à Nador. Traditionnelllement lors des fêtes de mariage les jeunes filles chantent Izran mais il est très difficile de les observer ou de les enregistrer dans un milieu sévèrement conservateur vis-à-vis de la gente féminine . Voici un izran qui fut composé, en 1911, à l’occasion de la mort de l’un des chefs de la résistance contre les Espagnols dans le Rif, le Chérif Sidi Mohamed Amezian :
Sidi Mohamed Amezian est mort !
Nous ne pouvons honorer son tombeau
Aboulissi(le policier) et le capitaine ayant empoté sa dépouille
Dans les villes pour le photographier !
Par Dieu ! Ô Mouh fils de Messa’oud !
Rends nous son corps afin que nous le vénérions !
Sidi Mohamed Amezian, qui avait levé l’étendard de la guerre sainte contre les espagnols, tomba dans une embuscade avec trente de ses compagnons. Son corps n’ayant pas été retrouvé, le bruit couru dans le Rif que les chrétiens avaient empotés sa dépouille pour l’exposer dans leur pays et le photographier.
C’est le 15 mai 1912 qu’étant sorti, apparemment pour une reconnaissance, Mohamed Amezian se heurta à une troupe adverse qu’il ne pouvait, vu son grand nombre, ni affronter ni esquiver. S’avisant cependant que c’était des Rifains, de ces « régulares » enrôlés par l’Espagne, il se porta vers eux en faisant de grands signes, comme s’il se proposait de leur parler. Mais il tomba frappé à mort, avant d’avoir été ni reconnu ni entendu. Ce n’est qu’alors qu’un des « regulares », en s’approchant, l’examina et su que c’était lui. Identifié, le corps fut aussitôt porté à Melilla où, si l’on croit la tradition rifaine, on l’exposa publiquement. Et quelques jours plus tard, on l’envoya à Zeghenghen pour son inhumation. On racontait aussi, dans les veillées comment, ayant franchi le Kert avec une grosse escorte, il s’était installé pour la nuit, dans un village, chez les Beni Sidel.Mais avisés de sa présence par un espion, les Espagnols, grâce à l’obscurité, affluèrent de partout, fermant le cercle autour de lui. Quand Amezian s’en aperçut, il rassembla ses hommes et demanda des volontaires pour mourir avec lui dans son dernier combat. Demeuré, avec eux, il acheva sa nuit dans la prière, puis, au matin, il se battit en attendant la mort. Quand l’ennemi vint relever son corps, il trouva, ô prodige, le cheval du héros qui pleurait sur son maître et qui ne voulait pas se séparer de lui. On dit aussi que rien, après sa mort, n’a jamais plus poussé autour du lieu où il tomba, car la Nature en deuil ne se consolait pas.
Le corégraphe Abdeslam Raji lors d'une démonstration à Taounate
S’inspirant du mouvement folk de Nass el Ghiouan dans les années 1970, le goupe rifain de « Tatouan », recourt à la même mise en scène et aux mêmes instruments de musique : tam-tam, banjo, centir etc. Vivant en Europe, ce goupe folk rifain s’est fait connaître surtout par la chanson Dhar Ouberran, le principal épisode de la bataille d’Anoul. Le nom de « Dhar Ouberran » signifie « la huppe du perdreau », parce que seul le sommet de cette montagne est couvert d’arbres faisant penser à la tête huppée de cet oiseau. C’est une montagne située chez les Tamsamane dans la commune de Bou Dinar . Le président de cette commune nous dit à ce propos : « Pourquoi le nom de cette montagne est souvent cité par l’histoire ? C’est parce qu’elle était la première position occupée par le colonialisme espagnol dans le Rif. Cette montagne surplombe la Méditerranée d’un côté et le Rif de l’autre, du fait qu’elle est assez haute. A l’époque les espagnoles avaient cru qu’en occupant cette position, ils allaient dominer la région entière. » A partir de cette position, les espagnols avaient, en effet,le contrôle de l’oued Kert , où s’était replié le chérif Mohamed Ameziane, en 1919. Ils envisageaient de relier à partir de là Melilla à la baie d’Al Huceima par voie de terre.. Pour leur barrer la route, fin janvier 1921, des combattants Beni Ouariyaghel vinrent s’établir sur la hauteur du Jebel El Qama. Un izri, poème rifain de l’époque, relate ces manœuvres espagnoles en ces termes :
Le roumi fait souga, il a pris Tizi Azza.
Il veut faire le thé, avec de l’eau d’Oulma,
Moujahidines au combat ! À quoi bon la vie.
Le plan Beranger que devait exécuter en arrivant le général Silvestre, consiste en un premier bond qui devait conduire à Sidi Driss, sur l’embouchure de l’Amekrane, à une dizaine de kilomètres vers le nord d’Anoual. La position formerait une base rapprochée, où lui viendrait ensuite, par voie maritime, le gros de son ravitaillement.Les premiers débarquements de l’artillerie eurent lieu à la plage d’Afraou à l’Est de Sidi Driss. A partir de cette position, les espagnoles prirent d’assaut, le piton de « Dhar Oubarran », qui surplombe à la fois les rivages et l’intérieur du pays. Sur le « Abda », le navire qui le menait vers l’exile, Abd el krim, raconte en ces termes, cet épisode de « Dhar Ouberran », la première grande victoire des rifains :« Les espagnols venaient d’occuper Dhar Ouberran, en pays Tamsamane, point stratégique et politique de toute première importance. Je me proposais sur le champ, de leur disputer cette position. La partie était risquée. Je disposais à cette heure, de 300 guerriers. Je revins me mettre à leur tête. Et malgré ma pauvreté en munitions, je déclenchais la contre attaque. Après un combat des plus durs, ma troupe réoccupa Dhar Ouberran.Ayant vu la débandade espagnole, les autres fractions Tamsamane, se joignirent à nous : le bloc rifain se constituait. » Les armes pris aux espagnols à « Dhar Ouberran » ont permis par la suite de mener la bataille d’Anoual. C’est la défaite des Espagnols à Dhar Ou Berran qui allait conduire en 1921 au desastre d’Anoul, après lequel Primo de Rivera parvint à la conclusion qu’Abd el krim est un danger pour la présence coloniale européenne dans tout le Maghreb. On comprend que le premier groupe folk rifain ait d’abord chanter Dhar Ouberran ! Le principal tournant de la légendaire bataille d’Anoual où quelques montagnards avaient mis en déroute une grande puissance coloniale de l’époque ! La musique est ici liée à une forte revendication identitaire, à la fois historique et linguistique.
Le Rif aux rythmes de la World Music
Le Rif se caractérise par des vallées compartimentées et surpeuplées, où les cultures ne suffisent pas aux besoins et contraignaient une grande partie des montagnards à l’émigration. Les jeunes musiciens rifains ne font pas exception à la règle. : tout en restant attaché à la langue et à la poésie rifaine, ils se sont formés en autodidacte aux instruments de musique moderne en terre d’immigration. C’est le cas de Choukri le jeune chanteur rifain qui chante izran avec la guitare et qui s’installe aux Pays Bas en 1990 : « Le rapport entre la musique traditionnelle rifaine et contemporaine a provoqué en moi des idées novatrices. » déclare-t-il. Invité à la radio télévison flamande, au mois de juin 1990, le groupe rifain « ithan » (les étoiles en Berbère) a chanté le drame des clandestins qui s’engloutissent au détroit de Gibraltar avec leurs pateras : « En dépit du nombre de tes habitants, ô mer, tu veux engloutir aussi les hommes ? » Chant auquel fait échos Zhimi Kamal d’El Huceima dans un autre album : « La mer, dis-moicombien d’hommes as-tu englouti ? La mer, quand laisseras-tu mes frères rejoindre l’autre rive ? ». Le groupe décrit son style comme étant « une musique moderne Amazigh ». : un art décrit comme un arbre qui plonge ses racines dans le patrimoine artistique et culturel et qui est « fécondé », en queque sorte, par la musique moderne. Le groupe « Ithran », dispose d’ailleurs d’un site officiel sur le Net faisant référence à la Belgique leur pays d’acceuil (www. ithran.be.). Le musicien khalid Yachou qui est né en 1969 à Melilla et qui s’est produit à Strasbourg, puise lui aussi dans les izri (poèmes rifains traditionnels), tout en étant « clairement influencé par les musiques africaines et méditerranéennes ». Ces « maquisards de la chanson berbère », pour reprendre une expression de Kateb Yacine, puisent ainsi dans l’héritage ancêstral rifain, tout en le modernisant sur les plans instrumental et musical, mariant les anciens rythmes Amazigh à la World Music. C’est le cas du groupe Timès qui réunit Rifains, Cubains et Belges qui semble avoir réussi un mariage subtile entre des sonorités de salsa, quelques notes de jazz et le style rifain. Ils ont réussi , d’après Tel Quel, à « conquérir des milliers de jeunes fans, pas forcément rifains, grâce notament à une musique moderne ouverte sur la World Music.» La plupart de ces groupes sont des autodidactes, n’ayant bénéficier d’aucune formation musicale particulière. Ils considèrent tous les festivals comme de véritables tremplins pour les jeuns talents et souhaitent être encouragés par les différents médias nationaux. .
La plupart des tribus rifaines, aux traditions guerrières pratiquent surtout la fantasia comme les Metalsa et n’ont parfois ni musique ni danse comme les Gzenaya qui considèrent la pratique musicale comme indigne de la virilité et du courage des hommes. C’est pourquoi ils font plutôt appel aux musiciens de leurs voisins Mernissa. Les jeunes musiciens Gzenaya sont obligés d’aller développer leur art à Nador. On peut dire de même des Bni Bou Yahi qui font appel aux joueurs de la guasba, la flûte des hauts plateaux de l’oriental marocain et du tell algérien, comme nous avons pu le constater à Saka chez les Bni Bou Yahi au nord de Guercif.Abdelkader Mana
07:40 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique | | del.icio.us | | Digg | Facebook