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17/09/2011

L'oued ksob et les îles purpuraires

Jour de pluie à l'embouchure de l'oued ksob 

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Le mercredi 3 mars 2010

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6h.Je quitte très tôt la ville alors qu'il fait encore sombre. La ville est entièrement inondée par les pluies déluviennes d'hier soir. J'ai du faire un long détour pour éviter les vastes marres qui relient maintenant le front de mer à l'ancienne lagune : entourant la ville de toute part, les eaux transforment la ville en un véritable îlot, ce qu'elle fut d'ailleurs à l'origine. J'ai du donc faire un long détour pour rejoindre la baie : le fameux « taghart » de notre enfance est entièrement jonché de branchages rejetés par la mer la nuit précédente. Entre de lourds nuages, la lune me fait signe. La rivière doit être en crue. Je dois y aller pour prendre quelques images au levé du jour. 

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 Au niveau de l'embouchure de l'oued ksob, une très violente pluie me fouette au visage. Les fines gouttelettes d'eau me font l'effet d'une tempête de sable. Un vent violent les porte d'Ouest en Est semble les arracher de la surface de la rivière en crue. Je me réfugie au milieu des dunes recouvertes de genêts : impossible de rejoindre en ligne droite le pont de Diabet qui semble pourtant si proche à vol d'oiseau. : des étangs emplissent la cuvettes, noyant le champs de genêts et de joncs noircis, brûlés, desséchés par le soleil brûlant de la saison d'été précédente.  Cela me rappelle les virées de notre enfance lorsque sous des pluies battantes nous récoltions des escargots dans ces mêmes parages...Dans notre enfance et notre adolescence, après  le vieux pont éfondré , on passait par l'allée ombragée d'eucaliptus où nous récoltions les escargots sous la pluie battante, juste en face de Diabet, là même où j'avais écrit un poème étrange et beau, inspiré du Lac de Lamartine! Puis nous traversions  sous l'autre  pont rose de Tangaro, avant de rejoindre à une encablure delà les fameux " trois palmiers", notre paradis secrêt, le lieu de nos pique-nique. Je ne sais pas pourquoi, à des années lumières de cette période heureuse de ma vie, je me suis retrouvé là en rêve, en présence de mes amis d'enfance et d'adolescence, pourtant disparus de ma vie depuis fort longtemps 

 

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Du nouveau pont de Diabet ; je découvre une image incroyable de l'île vue de l'embouchure.

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Le Ksob coule au pied du vieux village de Diabet sous la pluie

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Le nouveau pont est en plein traveaux pour relier la ville au nouveau golf : il est édifié en lieu et place du pont de Diabet qui s'est éfondré lors d'une violente crue du début des années 1920 

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 Le soir de cette même journée , je prends ces deux dernères images du coeur de la ville

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La ville semblait flotter dans l’air, nager dans l’eau.

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Sous le pont de Diabet, d'après Roman Lazarev

    De tout ce parcourt on n'allait guère plus loin que "les trois palmiers": au sud de la baie d'Essaouira on remontait l'amont de l'oued en passant par le chateau ensablé au milieu des tamaris(Dar Sultan el Mahdouma : le chateau en ruine du sultan), . Puis on allait s'amuser au Kow-boy sous le vieux pont de Diabet qui,à peine édifié en 1926  qu'il fut emporté une année plus tard par les innondations impétueuses de l'oued:.le lendemain  on retrouva l'architecte  Français qui l'avait édifié  suspendu sous le pont, une corde au cou! Il s'était donné la mort parce qu'il n'avait pas supporté que son oeuvre s'effondra si rapidement! Pourtant son bon vieux pont fut le décor de nos plus beaux souvenirs..... 

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    Les Trois Palmiers et les dunes de sablehistoire,photographie

  palais ensablé au sud de la baie avant le reboisement du début du Protectorat.Le vent et le sable ont ruiné "Dar sultan": Faute de bois protecteur ses tuiles et ses arcades ont vite fait de s'éeffriter au grè des tempêtes de sable..

 Autour de la ville, il n'y avait que du sable et du vent comme a pu le constater en 1804, un aventurier espagnole qui se faisait passer pour un turc au nom d'Ali Bey Al Abbassi :«… Le sable est d’une finesse tellement subtile, qu’il forme sur le terrain des vagues entièrement semblables à celles de la mer. Ces vagues sont si considérables qu’en peu d’heures, une colline de 20 ou 30 pieds de hauteur peut être transportée d’un endroit à l’autre. C’est une chose qui me paraissait incroyable, et à laquelle je n’ai pu ajouter foi que lorsque j’en ai été le témoin… ». Il fallait des matinées entières pour déblayer les portes de la ville du sable déposé durant la nuit pour pouvoir donner accès aux commerçants venus d‘un peu partout. Dans les années 1914, la situation décrite par les chroniqueurs de l’époque est alarmante. Rien ne paraît arrêter la progression de ce sable en mouvement continu et l’accès à la ville est devenu pratiquement impossible. La fixation des dunes et le reboisement ont commencé en 1918.

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Encore de nos jour, on procède régulièrement à la fixation des dunes par des plantations de genêts transportées à dos de chameaux : L'indispensable reboisement pour fixer les dunes de sable..

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Les dunes de sable menaçaient d'envahir la ville à chaque tempête.Il fallait attendre le début du XXème siècle pour voire fixer ces dunes par des plantations de genêt (connu sous le nom vernaculaire de "Rtem"), de mimosas et de tamaris...et de jeter par dessus l'oued ksob le pont rose de Tangaro qui permit enfin  d'éviter l'isolements que connaissait la ville à chaque crue hivernale .

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La ville était entourée de partout de dunes de sablehistoire,photographie

 En ce Sud – Ouest marocain , l’oued Noun est un terrain de pâturage particulièrement favorable aux chameaux. La légende prétend que son nom primitif était l’oued Nouq(la rivière des chamelles). L’introduction du chameau au Sahara fut un évènement majeur pour la survie de l’homme dans un milieu hostile. Sans les troupeaux, l’homme ne peut se maintenir au Sahara. Le dromadaire y joue le premier rôle. La grande histoire désertique commence avec lui. Le dromadaire a donné à l’homme la faculté d’exploiter des végétations sur des étendues de plus en plus vastes et variées.

  O troupeau de chameaux sans guide ni bride !

Presses le pas vers la bien aimée

Suit le zéphire qui souffle d’Est en Ouest

Va au devant des brumes maritimes

Et de leurs drus pâturages !

 

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L'architecte Marie, maître d'ouvrage du pont de Diabet dans sa résidence à "Aïn Lahjar"(la source de pierre): pour défendre son honneur il s'était pendu sous le pont qu'il a édifié le lendemain de son écroulement lors de la crue du 21 nov. 1927 .L'architecte Marie était le maître d'oeuvre des bâtiments importants de la ville : l'horloge inauguré par Lyautey en personne, le pont de Diabet, la poste, la C.T.M

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 La poste édifiée par l'architecte Marie , digne continuateur de l'oeuvre de Théodore Cornut qui établi le plan de la ville.

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Construction de la C.T.M. à Mogador par Marie

Les ouvriers employés étaient uniquement des femmes qui seraient payées par leur alimentation quotidienne en raison de la famine. En haut à gauche, Marie avec un chapeau supervise les travaux.histoire,photographie

Et il est bien évidamment l'auteur de l'emblèmatique horloge des deux kasbahs.... histoire,photographie

Vue de l'oued ksob et de la ville depuis Tangaro, avec le pont de Diabet enjambant l'ouedhistoire,photographie

Après la destruction du pont de Diabet en 1927,"un pont rose" fut construit près du lieu dit "Tangaro"

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 L'auberge Tangaro au sud de Mogador

  Le matin du vendredi 15 Rabiî II 1272, correspondant au 4 Janvier 1856, le ciel s'était couvert d'épais nuages noirs. Une violente tempête accompagnée d'averses s'était abattue sur la ville. La mer déchaînée, avait causé la perte du navire "le Prophète" chargé de marchandises appartenant au négociant Ahmed Bouhlal el Fassi. Le jour suivant, l'oued ksob était entré à son tour en crue. La mer devenue plus violente causa la perte de cinq autres bateaux appartenant aux négociants : Ratto dit Pepe ou Bibi, consul du Brésil à Mogador, l'anglais Akrich, les israeliens Corcos  le Marrakchi et Naftali, enfin Ben Mchich.histoire,photographie

 Les trois palmiers : The Palm Tree Hotel - Mogador 

 Pépé Ratto avait en effet entamé la construction de l’hôtellerie des « trois palmiers » vers 1890. Elle fut connue de tous les touristes qui faisaient escale à Essaouira. A la suite du siège de la colonne Massoutier à Dar ElCadi dans la localité de Smimou par les troupes du caïd Anflous et Guellouli ,les colonnes Ruef et Bellanger occupèrent successivement l’hôtellerie du 27 décembre 1912 jusqu’au matin du 20 janvier 1913, date du départ de la colonne du Général Brulard de Mogador pour délivrer les soldats français et châtier les caïds qui avaient participer au siège. L’utilisation par les français de cette hôtellerie comme fort militaire, fut interprétée par les habitants comme la collaboration de Pépé Ratto avec les troupes d’occupation. Devant la gravité de la situation, le propriétaire des lieux dut évacuer l’hôtellerie le 18 décembre 1913 pour retourner à Mogador. C’était ainsi que la Palméra ferma ses portes, et tomba dans l’oubli après avoir connu pendant plusieurs années, une grande renommée dans les annales de la presse européenne. Profondément déprimé, Pépé Ratto décéda en 1917 à Essaouira, la ville qui l’avait vu naître, grandir et s’épanouir. 

   Parente de ce Ratto, cité plus haut, Michèle Gaudon m’écrit maintenant depuis Toulouse : "Je suis très attachée à Mogador, ville qui a accueilli ma famille dès 1845 - Elle venait d'Andalousie pour certains, et de Gênes pour d'autres;Ma famille maternelle : RATTO - DAMONTE et BENITEZ et moi y compris, y avons vécu de 1845 à 1959. Mogador est dans notre cœur depuis toujours.Je suis, de loin, son évolution.son devenir...Les Souiris sont chers à mon cœur - tous, sans exception.J'ai connu l'époque où juifs, arabes et chrétiens s'entendaient -MM Desjacques et Koeberlé étaient mes professeurs... et j'étais là lors de leur découverte sur Juba II. Nostalgie.Cordialement."histoire,photographie

Landing Passengers - Mogador

Jadis , les touristes anglais débarquaient à Mogador puis  se rendaient au sanatorium à dix kilomètres au sud d'Essaouira avant de poursuivre leur chemince vers  Marrakech comme a pu en témoigner Eugène Aubin au mois de novembre 1902 : "Un Gibraltarien, très en avance sur son temps, a établi un sanatorium à dix kilomètres de la ville, sur un plateau rocheux recouvert de buissons, de genêts, de lentisques et d'arganiers qui s'étend entre la mer et les premiers contreforts de l'Atlas.Afin de se rendre à Palm Tree House, on quitte Mogador par la route du Sous pour suivre la longue plage circulaire qui entoure la rade et forme la promenade favorite des habitants. Une fois l'oued kseb passé à gué la piste longe le petit village de Diabet, tout enclos de murs qui s'élèvent sur de hautes dunes de sable pour trouver une ligne droite tracée à travers les genêts et conduisant directement au sanatorium.C'est une maison rouge sans étage, installée avec un confort précieux dans ces solitudes; les malades n'y viennent point encore mais elle reçoit de temps à autre, quelques hôtes anglais, en route pour visiter Marrakech ou en quête d'un bon terrain de chasse.Ceux qui recherchent ce sport sont servis à souhait, le plateau abonde en perdrix, lièvres, sangliers et porcs-épics."

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Une piste romaine reliait  Tangaro sur les hauteurs Sud de Diabet à « Karkora » au bord de lamer via une magnifique forêt de thuya, de mimosa grouillant de perdrix, de lièvres et de sangliers : aujourd'hui toute cette faune et toute cette flore a disparu sous le green du nouveau golfe qui occupe une superficie supérieure en hectares à celle de la ville. Cet immense espace aujourd'hui entièrement grillagé et interdit d'accès , était sauvage et servait depuis le XVIème siècle comme pâquis où venaient brouter librement les troupeaux  de Diabet et où les gens de la ville organisaient leurs « Nzaha » (pique - nique rituel) à l'ombre des ruine de Dar Sultan ensablée. Les marins de Diabet, avec leurs filets de pêche pour rejoindre le front de mer empruntaient jusqu'à une période récente cette lumineuse et sauvage piste blanche disparue sous le green. Cette ancienne piste romaine aboutissait à « Karkora », là où sont établies, sur le récif, les huttes des récolteurs d'algues. Cette piste blanche, disparue sous le green, reliait jadis l'antique puits de TANGARO aux digues de KARKORA , ces bassins de pierres dont se servaient jadis les Romains pour y piéger les poissons quand lamer se retire à marrée basse. C'est une technique qui est encore utilisée de nos jours, là où il y a de fortes marées : en se retirant , la mer laisse derrière elle les poissons, qui sont ainsi pris au piège par ces anciens bassins de pierres, dénommés ici « KARKORA », le féminin de « KARKOR », le tas de pierres sacrées en langage vernaculaire.

 

 Cet immense site des îles purpuraires abritait en effet deux fabriques romaines : l'une sur la plage de l'île au niveau du tertre produisait la pourpre à base du gland du Murex, coquillage auquel les romains donnaient le nom de Purpura Haemastom (d'où le nom des îles purpuraires que portait Mogador de Juba II). La seconde fabrique est celle du garum. Elle était située sur le continent à l'emplacement actuel du lieu - dit « KARKORA », des récolteurs d'algues, soit à mis - chemin entre la Tour de Feu Phénicienne ;le « Borj El Baroud » des Saâdiens et Cap Sim.histoire,photographie

L'éolienne de Tangaro

 

 Le garum est une sauce de poisson - pourri , dont les romains étaient friands, qui était concocté à la manière du Nyak -Nyam  Vietnamien. Une fois pris au piège au bassin de pierre de KARKORA, les romains transportaient ce poisson à dos de mulets et de chameau,à travers la piste blanche disparue sous le green, jusqu'aux hauteurs de Diabet où se trouvait le puits de « Tan - garum », devenu plus tard « TANGARO » où se situe l'auberge du même nom. Les romains puisaient là, l'eau douce dont ils avaient besoin pour se désaltérer et pour fabriquer le garum.Or en berbère le puits se dit « Tanout » : Imin - Tanout signifie la margelle du puits chez les sédentaires Masmoda dont font partie les Haha au Sud d'Essaouira et « Anou Ou Kchod » qui a donné Nouakchott, l'actuelle capital de Mauritanie, signifie le « puits du bois » en langue Sanhaja,

 

 les premiers nomades berbères du Sahara. Le toponyme de « TANGARO » dérive donc d'un mot composé du nom du puits en berbère Haha « Tan » et du poisson - pourri romain « Garum » ; ce qui donnera plus tard le toponyme de « TANGARO », lieu - dit situé à l'emplacement de l'auberge du même nom où trône d'ailleurs au milieu des cactus et autres genêt, une vieille éolienne dont les pales métalliques bruissent perpétuellement sous la fureur des vents alizés.

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DEUXIEME PARTIE

LES ÎLES 

PURPURAIRES


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 Depuis la haute antiquité le site est fréquenté, d'abord par les Phéniciens comme en témoigne la bétyle dressée au ciel qu'on a découvert sur l'île, ensuite par les Romains dont on a retrouvé, toujours sur l'île, entre autre les vestiges d'une villa, d'une mosaïque représentant un paon et d'une pièce de monnaie à l'effigie de Juba II. Et il y a encore peu de temps de cela, des marins ont remonté dans leurs filet deux amphores romaines entièrement intactes, recouvertes seulement de coquillages et d'algues. Et non loin des récifs de la Scala de la mer, où les anciens entrepôts de canons et de poudre sont actuellement occupés par les ateliers des marqueteurs, d'autres marins ont de leur barque entrevue au fond de l'eau, par temps calme et eau transparente, ce qui ressemble à une autre mosaïque romaine que celle déjà répertoriée sur l'île.

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 Tête romaine découverte en novembre 2006 à proximité d’Essaouira

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Bronze représentant Juba II trouvé à Volubilis.

Analysant cette découverte, Jean François Clément écrit :Provisoirement, nous pouvons conclure que la principale arrivée d’eau du canal d’adduction des maisons qui bordaient la plage d’Essaouira avait reçu du roi de Maurétanie, au cours du siècle qui précède notre ère ou du premier siècle de notre ère, un décor de marbre, donc un objet d’un très grand luxe. Le matériau et le modèle sont grecs. Il est possible que cet objet soit contemporain du roi hellénisé Juba II plutôt que de son père. Il pourrait aussi appartenir à l’époque de son fils Ptolémée. L’absence de ruban diadémé indique qu’on n’est pas en présence d’une figure royale. La bouche ouverte et l’absence de lèvres font donc plutôt penser à un Faune ornant une fontaine. Mais ce ne sont là que des hypothèses très provisoires que l’analyse chimique et physique de l’objet en question peut modifier.

 Le site d’Essaouira est habité depuis plus de vingt-cinq siècles. On trouve cette ville mentionnée sur la carte de Ptolémée, sans doute, sous le nom de Thamusiga (ou des îles de Cerné). Elle est située entre le cap Hercule et le cap Oussadion (sans doute en tachelhit d’aujourd’hui, cap U-Assiden ou des autruches). Ce terme de Thamusiga est un mot qui représente sans doute tama n-ousiga, c’est-à-dire « à côté du canal ». Cela peut signifier soit le canal qui, dans la mer, sépare la côte des deux îles, îles appelées tantôt Cerné, tantôt ïles puerpéraires, plus tard, île de Pharaon.

On peut signaler que ce « canal » pouvait facilement être traversé à pied jusqu’au début du XXe siècle, le chemin ayant même été relevé par des marins puisqu’il figure sur une carte. On peut donc penser qu’il y eut, comme au XIXe siècle, un canal liant l’oued Qçob à la zone où se trouvaient les anciennes villas des industriels et commerçants qui se trouvaient le long du rivage deux à trois mètres plus bas que le sol actuel recouvert depuis le XVIe siècle par des sables.

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  Le passage permettant de rejoindre à pied l’île de Mogador.

On n’a jamais retrouvé le site de cette ville antique. Les pêcheurs disent qu’il y a des mosaïques sous l’eau dans la baie, mais aucune recherche systématique n’a été faite. On peut imaginer que la ville était une agglomération tout en longueur située tout au long de la baie le long d’un canal d’amenée d’eau douce, ce qui expliquerait le nom de la ville, « celle qui est située le long du canal ». On pourrait peut-être même rapprocher les termes ancien de siga et moderne de seguia.

 

 

Rivages de pourpre 

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Coquillages par Roman Lazarev

Sur la plage de Safi, à deux kilomètres au nord d’Essaouira, les explorateurs ont découvert des amoncellements considérables de coquillages de Murex et de Purpura Haemastoma – le vent ne cesse d’en découvrir pour les recouvrir ensuite lorsqu’il remodèle les dunes –, confirmant que c’est bien ici que se situaient les îles purpuraires, où Juba II avait établi au 1ersiècle av. J.C. ses fabriques de pourpre.

D’après Pline, Juba II organisa une expédition sur l’archipel des Canaries à partir des îles purpuraires : « L’expédition organisée par le roi Juba II partit des îles purpuraires, c'est-à-dire de Mogador, et suivit une route qui atteste une réelle connaissance des courants et du régime du vent dans cette partie de l’océan : « les îles fortunées, écrit Pline d’après Juba, sont situées au midi un peu vers l’ouest des Purpurariae... »

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A propos de cette carte de Ptolémée trouvée en Égypte à la fin du XIXe siècle, Jean François Clément m'écrit:  "J'ai mis le nom d'Essaouira en face de Tamousiga (en grec pour transcrire tama-n-siga, à côté de la rigole d'alimentation en eau, à côté du canal en provenance de l'Oued Qçob qui alimentait les villas présentes en bord de côte, là où le passage vers l'île pouvait se faire à pied et là où vivaient les industriels faisant exploiter sur l'île par leurs ouvriers la pourpre) ."

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Libya interior sur la carte de Ptilémée

 Si l’on voulait aller de Mogador aux Canaries en droite ligne, on était pris dans un courant qui portait du large vers l’Est, donc vers la côte. Il valait mieux s’y soustraire, ce qu’on faisait en se dirigeant vers l’Ouest, une fois cet espace traversé les navires se trouvaient dans la zone des forts courants du Nord au Sud, produits par les vents alizés, certains de dériver assez sensiblement au Sud pour atteindre les Canaries. Le long du continent les vaisseaux de Juba II, ne semblaient guère avoir dépasser Mogador. La carte qu’Agrippa fit dresser à l’époque de Juba, n’indiquait pas de ports après portus Rhysadments, qui pourrait devoir être identifié à Mogador...Au second siècle de notre ère, les renseignements précis de Ptolémée s’arrêtent également à la région de Mogador. Dans son « libyca », l’ouvrage que JubaII consacre au pays natal, où il faisait usage du Périple d’Hannon...C’est sans doute dans ce traité qu’il mensionnait les teintureries crées par son ordre aux îles purpuraires. »

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 La pourpre était extraite de la glande du Murex. C’est une glande grosse comme le bout du petit doigt, un peu jaune soufre, jaune pâle, qui produit la pourpre. Exposée au soleil, elle devient d’abord verdâtre avant de virer au bleu, puis au violet et enfin au pourpre.

 Le Murex était recueilli à l’aide de nasses à une trentaine de mètres de profondeur, sur les fonds rocheux où ces molusques se fixent par leur pied ventral. Selon Pline l’Ancien, la pêche du coquillage purpura se pratiquait uniquement à ces deux périodes de l’année, « celle qui suit le lever de la canicule ou celle qui précède les saisons printannières. »

 C’est le long de la côte que les brouillards fréquents et les influences marines rendent le pâturage relativement abandon. Nous sommes à hauteur de l’île fortunée la plus importante des îles Canaries que certains archéologues identifient à la mythique île de Cerné. Cette île de Cerné située au large du Sahara occidental entre le cap Juby (Tafaya) et le cap Bojador. Sur ces rivages, la présence de monceaux de coquilles de purpura haemastoma  et de murex, répondant à ceux des environs de Mogador nous apportent la preuve d’une industrie très active sur toute la côte marocaine évoquée par les auteurs anciens lorsqu’ils citent « la pourpre Gétule ». On sait combien les romains recherchaient le précieux coquillage qui sécrète la pourpre et quelle teinture renommée ils fabriquaient avec ce produit. Les textes de l’époque romaine mentionnent des pêcheries et des ateliers sur divers points du littoral marocain, vraisemblablement sur l’île de Mogador et à l’embouchure de « la rivière dorée » (Oued Edahab). Horace et Ovide vantaient les vêtements somptueux teints de pourpre Gétule. On appelait « Gétules » les populations berbères nomades qui vivaient au sud  des provinces romaines d’Afrique. On peut donc admettre que la pourpre Gétule provenait de la côte atlantique du Maroc. Cette teinture dont les nuances allaient du rouge au violet et au bleu verdâtre dont on imprégnait les étoffes de laine et de soie était si estimée . Pomponius Mela nous dit à ce propos :  « Les rivages que parcourent les Négrites et les Gétules ne sont pas complètement stériles ; ils produisent le purpura et le murex qui donnent une teinte d’excellente qualité et célèbre partout où on pratique l’industrie de teinturerie »

      Le trafique transsaharien entre Gétules, les berbères du Maroc dont nous parlent les auteurs antiques et les Ethiopiens de Bilad Soudan remonte certes à l’antiquité mais il ne prit véritablement son essor qu’avec  l’avènement de la conquête arabe du Maghreb au VIIIème siècle. Il connaîtra une poussée considérable sous les Almoravides et les Almohades. Il ne fait pas de doute que c’est la quête de l’or qui faisait traverser au marocains le Sahara pour rejoindre le pays des Noirs. Cette route qui menait au Sénégal au royaume de Shanghai passait à travers les Regraga , les Gzoula et les Sanhaja

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En plein Sahara, bien au-delà du M'sied.

Peintures rupestres d'asgar filmées  en 2005, pour"la musique dans la vie",

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Peintures rupestres d'asgar

Les Berbères et les Noirs sont les premiers fondateurs d’oasis sahariens comme en témoignent les peintures rupestres découvertes récemment au-delà du Msied et du mont Tassoukt qui le surplombe. Le site préhistorique en question se situe sous un abri rocheux effondré qui surplombe l’ancien oued desséché d’Asgar. Sous le bloc effondré, l’abri principal du site recèle les peintures rupestres d’animaux de la grande faune africain . On distingue une antilope : c’est le mammifère saharien qui a le cuir le plus solide. Les Lamta se servaient jadis de la peau du mâle pour la fabrication des boucliers. Un peintre représentait des girafes. Il y a là aussi le mouflon, un bouquetin, une autruche, le plus grand oiseau africain. On peut admirer aussi la représentation d’un char à l'e(ncre rouge, représentation symbolique de la route des chars qui reliait le Maghreb à l’Afrique subsaharienne. Tout près de l’entrée de l’abri principal qui abrite les grandes arches, on a dessiné un petit éléphant brun. L’éléphant d’Afrique, le plus grand mammifère terrestre. L’éléphant fut certainement l’un des premiers animaux à occuper le Sahara dés l’établissement de conditions favorables. Il a peut-être été aussi, l’un des premiers à l’abandonner quand la tendance s’est inversée. Scène de la vie pastorale : la représentation d’un homme qui tient un arc à la main. Les animaux sauvages sont plus nombreux que les animaux domestiques. Ce sont les girafes qui apparaissent le plus souvent. Ainsi donc, le vaste désert qui est aujourd’hui le Sahara a connu il y a 8000 ans, un climat beaucoup plus propice au développement animal et à la présence anthropique. Les hommes qui vivaient à cette époque ont couvert de gravures et de peintures, les massifs rocheux depuis l’Atlas saharien jusqu’au Soudan.

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C’est que le Sahara a été non pas un obstacle mais plutôt un lieu de brassage et de métissage, entre les sédentaires Masmouda, les nomades Sanhaja, et le Soudan (le pays des noires), bien avant l’arrivée des moulattamoune ,ces porteurs de lithâm (voile), ces arabes maâqil Hassan, qui furent le fer de lance des Almoravide, et qui partirent à la conquête de l’Andalousie musulmane depuis les ribât, ces couvents – forteresses, du bord du fleuve Sénégal.

 

 

La petite histoire d’une grande découverte

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Jusqu’en 1950, on pensait que les Phéniciens et les Romains n’avaient peut-être pas dépassé le Nord du Maroc, alors que du côté de Luxus et Volubilis on avait les preuves évidentes de leur présence, il n’y avait rien de semblable au Sud jusqu’au jour où des enseignants, MM Desjacques et koeberlé allaient entreprendre des fouilles systématiques dans l’île de Mogador, qui prouvent que le monde antique allait en réalité beaucoup plus au sud que le fameux limes, plus exactement jusqu’à l’île de Mogador qu’on peut identifier à la mythique Cerné qu’évoque le périple d’Hannon .

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G.Lapassade à Essaouira, 1993 (ph.de Luigi Di Cristo, archives de Martino)

En 1985, Georges Lapassade profite du passage dans la ville de Desjacque et de sa femme pour les interroger à ce sujet, et publie le résultat de cet entretien sous le titre : « la petite histoire d’une grande découverte » :

« En 1950 Desjacques et Koeberlé enseignants à Mogador, consacraient leurs loisirs à la recherche des silex taillés de l’époque préhistorique. Cette recherche les conduisit dans l’île d’Essaouira où ils trouvèrent dans le sable des fragments de poterie, des pièces de monnaie. Des fouilles plus systématiques furent entreprises aussitôt. En creusant assez profondément du côté de la plage de l’île, sur le « tertre » on a mis à jour une couche phénicienne, la plus profonde, et des couches plus récentes en particulier celle des Romains du temps de JubaII. La petite histoire de cette recherche nous était jusque là inconnue. Desjacques nous l’a racontée, la voici :

- Comme il était interdit, raconte Desjacques, de chasser sur le continent en période de fermeture, la société de chasse locale Saint Hubert élevait des lapins dans l’île. Les lapins avaient brouté l’herbe et mis à nu le sol. Par le vent qui emportait le sable, par érosion, les pièces antiques étaient visibles à la surface du sol.

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  Mais il fallait pour éclairer la première découverte faite dans l’île une référence que Desjacques et Koeberlé connaissaient bien : le court récit dit du « périple de Hannon », sauvé de la destruction de Carthage dit-on, par un copiste grec. Ce document décrit le parcourt du navigateur chargé de retrouver et fixer les étapes d’un parcours maritime. Le contenu du texte interprété donna à Desjacques et Koeberlé la conviction d’avoir mis à jour la preuve d’une étape phénicienne dans l’Atlantique peut être Cerné « où nous fondâmes une colonie » écrit l’auteur du périple d’Hannon. Ils organisèrent alors un petit Musée pour leurs élèves et pour la ville à la Sqala :

- C’était une pièce minuscule qui abritait tout ce que nous ramenions de l’île : les débris de vases, les pièces de monnaies. Raconte Desjacques.

Les pièces sont maintenant au Musée d’archéologie de Rabat. Desjacques et sa femme vont séjourner en vacances chez des amis qui habitent à Agadir :

- Nos amis, demeuraient près du rivage de l’Océan, raconte Odette Desjacques. Un jour de grandes marées, à l’heure où la mer était retirée loin de la côte, j’ai vu des femmes ramasser des coquillages dans les rochers. Elles cassaient les coquilles, les broyaient, les lavaient à l’eau de mer et conservaient dans de grands couffins, la partie comestible. Je me suis approchée d’elles, et j’ai remarqué alors que leurs mains étaient violettes. Or nous parlions souvent, à Mogador, avec mon mari et Koeberlé de la fameuse pourpre de Gétules pour laquelle les Romains avaient installé dans l’île des « fabriques ». On ne savait pas comment la teinture était fabriquée. Et voilà que ces femmes d’Agadir nous apportaient la solution de l’énigme ! Je me souviens que nous avons mis quelques coquillages brisés dans un tissu de coton blanc qui a toujours gardé la couleur...Il y avait, dans le coquillage, une glande jaune au moment où on la recueillait en cassant la coquille. Puis la couleur changeait au soleil et devenait verdâtre, puis violette, plus précisément « pourpre »....Nous avons apporté quelques coquillages vivants à Mogador, nous les avons déposé dans les rochers à la « plage de Safi » pour essayer de les faire reproduire. Mais le sable les a recouvert. Or sur cette même plage, nous avons trouvé des coquillages pour être précis, les purpurae haemastomae, vides avec un trou dans la coquille. C’est par cet article qu’on extrait la précieuse glande. On pourrait probablement en trouver encore aujourd’hui au même endroit. Nous en avons fait identifier, à Paris au Muséum, les résultats ont été probants."

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 Le site de l’île comme lieu de fouilles a été trouvé on l’a vu, par hasard alors qu’on y cherchait des silex taillés...D’après Pline, Juba II organisa une expédition sur l’archipel des Canaries à partir des îles purpuraires :

  « L’expédition organisée par le roi Juba II partit des îles purpuraires, c'est-à-dire de Mogador, et suivit une route qui atteste une réelle connaissance des courants et du régime du vent dans cette partie de l’océan : « les îles fortunées, écrit Pline d’après Juba, sont situées au midi un peu vers l’ouest des Purpurariae... » 

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 Si l’on voulait aller de Mogador aux Canaries en droite ligne, on était pris dans un courant qui portait du large vers l’Est, donc vers la côte. Il valait mieux s’y soustraire, ce qu’on faisait en se dirigeant vers l’Ouest, une fois cet espace traversé les navires se trouvaient dans la zone des forts courants du Nord au Sud, produits par les vents alizés, certains de dériver assez sensiblement au Sud pour atteindre les Canaries. Le long du continent les vaisseaux de Juba II, ne semblaient guère avoir dépasser Mogador. La carte qu’Agrippa fit dresser à l’époque de Juba, n’indiquait pas de ports après portus Rhysadments, qui pourrait devoir être identifié à Mogador...Au second siècle de notre ère, les renseignements précis de Ptolémée s’arrêtent également à la région de Mogador. Dans son « libyca », l’ouvrage que JubaII consacre au pays natal, où il faisait usage du Périple d’Hannon...C’est sans doute dans ce traité qu’il mensionnait les teintureries crées par son ordre aux îles purpuraires. »

  Pour Vidal de la Blache, il ne fait pas de doute que nous avons à Mogador « le site où, d’après nous, Juba – après avoir entrepris des recherches dit Pline -, se décida à installer des ateliers de pourpre. »

   Selon le texte de Pline l’ancien : « les renseignements sur les îles de la Mauritanie ne sont pas plus certains. On sait seulement qu’il y en a quelques unes en face des Autololes, découverte par Juba, qui y avait établi des fabriques de pourpre de Gétulie. »

   La pourpre était extraite de la glande du Murex. C’est une glande grosse comme le bout du petit doigt, un peu jaune soufre, jaune pâle, qui produit la pourpre. Exposée au soleil, elle devient d’abord verdâtre avant de virer au bleu, puis au violet et enfin au pourpre.

   Le Murex était recueilli à l’aide de nasses à une trentaine de mètres de profondeur, sur les fonds rocheux où ces molusques se fixent par leur pied ventral. Selon Pline l’Ancien, la pêche du coquillage purpura se pratiquait uniquement à ces deux périodes de l’année, « celle qui suit le lever de la canicule ou celle qui précède les saisons printannières. »

  

TROISIEME PARTIE

Le mouillage d’Amogdoul

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La rade d'Essaouira est un port naturel pour les bateaux à voiles.Elle a toujours été un mouillage où hivernaient les bateaux ronds de l'Antiquité et du Moyen Âge. Non seulement les îles - en paticulier celle qui ferme la baie comme une baleine qui flotte, énorme sur la mer - la protégeaient de la houle, mais un banc de sable faisait obstacle aux courants marins , en reliant l'île principale à l'embouchure de l'oued ksob. Il est indiqué sur une ancienne carte que ce banc de sable " se couvrait et se recouvrait", ce qui laisse supposer qu'on pouvait rejoindre l'île à marée basse. Une tradition orale rapporte que les troupeaux de "Diabet" (le village des loups)allaient paître au milieu d'une nuée de piques-boeufs. Les marins y sacrifiaient taureaux noirs et coqs bleus à leur saint patron Sidi Mogdoul. 

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Les vestiges préhistoriques et antiques incitent à penser que la région est habitée depuis des millénaires. Sur l’île on a découvert un bétyle phénicien du nom de «Migdol ». C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. Pourquoi ne pas imaginer un ancien lieu de culte, là où se trouve maintenant le sanctuaire de Sidi Mogdoul ? Ce toponyme a donné au moyen âge, « Amogdoul », transformé en « Mogador » qui est une très ancienne transcription portugaise, d’un vieux toponyme berbère, attesté dés le XIè siècle par le géographe El Bekri :

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 « Les navires mettent trois jours à se rendre des parages de Noul jusqu’à Ouadi Souss (la rivière Souss). Ensuite, ils font route vers Amogdoul, mouillage trés sûr, qui offre un bon hivernage et qui sert de port à toutes les provinces de Souss. De là, ils se dirigent vers ce qui est le port d’Aghmat... »

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Au XIIIè siècle, un autre géographe, Ibn Saïd el Maghrabi,  nous dit lui aussi que le mouillage d’Amogdoul se trouve en pays Haha : « Là se trouve une petite île séparée du fleuve d’un mille. C’est un mouillage d’hiver pour les navires. Comme Tinmel est connue dans tout le Maroc pour la qualité de son huile, le pays haha est connu pour son miel blanc, ses taureaux puissants et son arbre à l’huile parfumée. A l’Ouest du pays haha se trouvent les Regraga où l’on tisse des couvertures fines et soyeuses que portent les femmes de la ville. C’est un pays au contact de l’Océan où coule la rivière ourlée des beaux grenadiers de Chiachaoua... » 

  Le mouillage d’Amogdoul servait donc à l’exportation des produits agricoles du pays haha, fraction des Masmoda qui sont, d’après Ibn Khaldoun, « les habitants du deren », qui vivent au voisinage de la mer. « Deren » est une déformation du mot berbère « adrar » qui signifie montagne.Cette montagne, a un nom berbère qu’elle porte sans interruption depuis l’époque romaine. C’est l’adrarn’idraren, la montagne des montagnes. A moins que ce ne soit la montagne du tonnerre de « nder», gronder, rugir : 

   Mer, gronde encore plus fort pour faire peur aux trembleurs !histoire,photographie

Voilier par Roman Lazarev

Une région qui dépend énormément des aléas climatiques, comme nous l’indique Andam Ou Adrar, le compositeur de la montagne, qui représente la conscience collective du monde berbère : « Le poète et la hotte sont semblables, peronne n’en veut s’il n’y a pas de pluie et donc de récolte. ».L’un des îlots qui entourent la grande île porte le nom de  Taffa Ou Gharrabou(l’abri de la pirogue en berbère).  L’embarcation berbère  Agherrabou, se prêtait remarquablement à l’accostage des plages parmi les rouleaux. L’avant de la pirogue se termine par une longue pointe effilée (toukcht) qui donne aux formes de l’avant beaucoup d’élégance. Appuyé sur cette pointe et penché en avant, le pilote cherche à découvrir le frétillement des bandes de tasargal (sorte de bonite) qu’on encercle sur les plages avec les filets.L’Agherraboest le véritable bateau de pêche chleuh. Le mot est connu sous cette forme du cap Juby à Safi. Le mot a pu être rapporté au grec et au latin Carabus. L’emprunt est intéressant : le mot et la chose qu’il désigne existait avant l’arrivée des conquérants arabes

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Il nous est impossible de fixer la date de l’installation des pêcheurs berbères à Mogador, mais tout porte à croire qu’elle est récente et postérieure à la création de la ville au XVIIIe siècle. Dans les années vingt, toutes les embarcations berbères de la région, entre Sidi Ifni et l’oued Tensift, étaient construites par un unique charpentier, le maâlam Ahmed ou Bihi El Aferni, dont le père était lui-même un charpentier réputé, il habitait chez les Aït Ameur, à vingt kilomètres au nord du cap Guir. Il se rendait dans les différents centres de pêche et construit en un mois son embarcation pour la somme de mille francs. Mais si la commande vient de très loin, de Sidi Ifni par exemple, et l’embarcation terminée, l’équipage, venu à pied en suivant la côte, l’emmène par mer. De Mogador est parti un curieux mouvement de colonisation berbère vers le nord. Le reis Mohamed Estemo, venu d’Agadir à Mogador, organisa progressivement la pêche berbère à Moulay Bouzerktoun, Sidi Abdellah El Battach, et Souira Qdima.

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Castello Real

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Castello Réal d'après le peintre Hollandais Adrien matham (1641)

Du 8 au 23 janvier 1641, le peintre hollandais Adrien Matham, séjourna en rade de Mogador et dessina un croquis de la côte et du château.Une erreur a été souvent commise concernant l’emplacement exact du Castello Real, la forteresse portugaise. On donne actuellement à Mogador, comme ruine de l’ancien fort portugais, un bastion rond situé dans les dunes, auprès de l’ancienne embouchure de l’oued Ksob, non loin du palais ensablé bâti au XVIII ème siècle par Sidi Mohamed Ben Abdellah.

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Ce fort n’a rien de portugais. Il s’agit simplement d’une batterie utillisée par le sultan pour fermer la passe Sud de la baie par des tirs croisés avec une autre batterie située juste en face sur l'île. C'est cette vieille ruines située près de Diabet à l'embouchure de l'oued ksob qu'on appelle "fort portugais".La partie supérieure est musulmane (1432), les gros blocs qui ont servis de base à la construction musulmane peuvent être les vestiges de "Mogdoul", la tour punique qui a dû être construite par Hannon au fond de la baie de Mogador et a fourni l'ancien nom d'Amogdoul cité par le géographe El Békri. Ils sont battus par les brèches à chaque marée par les vagues.

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Borj el Barmil, la tour en forme de tonneau l'ancien emplacement du "Castello Real"

Au moment de la construction des fortifications du port, les vestiges du Castello Real étaient encore debout. Avant la destruction, le Castello Real des Portugais devait ressembler en plus grand, à la bastide construite également par eux à Souira-Qdima. Orné de canons, il commandait la passe, et par la suite, l’accès à la rade.

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ISLE DE MOGADOR Ses Mouillages et son Port : "Banc de Sable qui couvre et découvre" permettant de rejoindre l'île à marée basse. L’emplacement du Castello Real des Portugais se trouvait au port(là où est écrit "chateau") et non pas à l’embouchure de l’oued Ksob où se trouveborj el baroud.

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 Plan de l'île de Mogador - 1763

Tout près de la mer, le pilote portugais Duarté Pacheco Pereira signale en 1506, sur la terre ferme « la ville de Mogador ». De tout temps, les navigateurs venaient chercher ici cette eau douce et précieuse de l’oued Ksob, comme en témoigne Pacheco Pereira dans son Esmeraldo de situ orbi :  «  Entre la rivière des Aloso – de l’oued Ksob – et l’île de Mogador, la distance par mer est de sept lieues, ...de cette île à la terre ferme, il y aura la distance à laquelle une grande arbalète peut lancer une flèche en terre ferme. Il y a beaucoup d’eau douce tout près de la mer, dans laquelle cette eau douce vient se jeter. La meilleurs entrée du mouillage et du port de cette île, est celle qui se trouve du côté Nord-Est...Par cette bonne entrée peuvent pénétrer des navires de cent tonneaux ; ils s’amarrent avec une ancre et un câble, ledit câble étant attaché à l’île même, et l’on sera par six ou sept brasses, fond net, bon et sûr. »

    Ce texte daté de 1506, prouve qu’à cette époque, des navires de cent tonneaux fréquentaient le port et l’île de Mogador. Bien plus, lorsque Emmanuel 1er  avait donné l’ordre en août 1506, d’y construire  un « Castello Réal »(château royal), il y avait déjà une ville du nom de Mogador qui existait dans la baie , comme nous le signale Pachéco : « L’année de Notre Seigneur Jésus – Christ 1506, Votre Altesse fit élever dans la terre ferme de cette ville de Mogador, tout près de la mer, un château qui s’appelle Castello Real, et que sur votre ordre construisit et commanda Diego d’Azambuja , gentilhomme de Votre maison et commandeur de l’ordre de saint Benoît de la commanderie d’Alter Pedreso, lequel fut combattu et persécuté, autant que leur puissance le leur permettait, par la mutitude de Berbères et d’Arabes qui se réunirent pour attaquer ceux qui s’en vinrent construire cet édifice ; enfin ce château se construisit malgré eux et la gloire de la victoire resta entre les mains de Votre Majesté sacrée...Entre le Castello Réal et l’île de Mogador d’une part et le cap Sim d’autre part, la côte court suivant la direction nord-sud, avec un quart nord-est et un quart sud-ouest et la distance par mer est de cinq lieues »

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Arrivée des Regraga avec le printemps à Essaouira au début du mois d'Avril

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L'arrivée des Regraga à Essaouira par Roman Lazarev

    L’influence portugaise se heurta, devant Mogador, à une résistance dont l’âme fut l’organisation maraboutique des Regraga. Les affrontements entre Portugais et Berbères Haha devaient se poursuivre au  delà de 1506.L’âme de la résistance locale à l’influence portugaise fut regraga, sous la direction du mouvement jazoulite dont le fondateur, l’imam Al Jazouli, s’établit au lieu dit Afoughal, près de Had – Draa, où il prêcha la guerre sainte contre les chrétiens, avec une telle foi qu’il eut bientôt réuni plus de douze mille disciples de toutes les tribus du Maroc.Devant l’hostilité des tribus, le Castello Real, n’avait pu être bâti que de vive force. Il dut rester assiégé un certain temps et la situation de ses défenseurs fut un moment assez critique pour que Simâo Gonçalves de Camara, troisième gouverneur de Funchal, leur envoyât à ses frais, de l’île de Madère, un secours de 350 hommes.

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          Une barque se dirige vers le Castello Real, estompe d'Adriaen Matham(1641)

Le plus ancien document relatif au Castello Real date du 5 septembre 1506 : c’est un alvara du roi ordonnant aux almoxarifes de Madère d’exécuter tout ce dont Diego d’Azambuja les requerra pour la construction de la forteresse de Mogador.On doit signaler aussi une quittance du 7 octobre 1507 qui indique « le biscuit, la viande, le bois, la chaux, la brique et les autres choses qu’on a achetées pour la construction du Castello Real que Diego d’Azambuja a fait par notre ordre à Mogador qui est au pays de Barbarie. »

       Une quittance datée de Santarem, 24 octobre 1507, concerne les achats de blé faits en 1506, sur l’ordre du roi, au Castello Réal en Barbarie, par Pero da Costa, capitaine du navire  Sâo – Symâo . Ces achats furent faits avant la fondation du château. Le 3 septembre 1507, Diego de Azambuja écrit de Safi à l’Almoxarife de Madère, pour le prier de remettre à Joâo de Rego, porteur de sa lettre, un certain nombre de choses pour le ravitaillement du Castello Réal, en particulier de l’orge pour les chevaux qui sont dans le château. La fourniture doit être prévue pour « vingt chevaux pendant huit mois ».

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          Vue de la baie de Mogador avec au bout le Castello Real

Le 14 octobre 1507, Joâo de Rego donne décharge de tout ce qu’il a reçu, à savoir : Onze pipes de vin, deux de vinaigre, une d’huile, 15 muids de blé au lieu de l’avoine demandée pour les chevaux, qu’on n’a pas pu trouver, 20 autres muids au lieu de biscuits qu’on n’a pas eu le temps de faire, plus un bateau neuf à quatre rames et 3000 reis en argent pour les soldes de la garnison.      Nous pouvons encore citer deux documents où allusion est faite à Mogador : mention de 716 varas de toile de Brabant envoyées, en 1506, de Flandre au Castello Real en Barbarie ; et quittance du 3 janvier 1518 en faveur de Joâo Lopez de Mequa, qui fut feitor (facteur) du Castello Real pendant les quatre premiers mois de 1507 et devint plu tard, feitord’Azemmour, puis de Safi.

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       Le Castello Real se trouve à la pointe gauche de la terre ferme(document de missionnaire espagnol anonyme, 2ème moitié du XVIII è siècle)

Diego de Azambuja était à Abrantès le 27 juin 1507, et y reçut en don, d’Emmanuel 1er, le gouvernement du Catello Real de Mogador, en récompense de la peine que lui avait coûtée la construction de la forteresse « avec risque de sa personne et grande dépense de son argent ». Renvoyé par le roi à Safi, où il débarqua le 6 ou le 7 août 1507, Azambuja paraît y avoir ensuite résidé contamment jusque vers le milieu de l’année 1509. Son gendre, Francisco de Miranda, exerça par intérim, pendant ce temps, les fonctions de gouverneur du Castello Real.

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   Plano del Puerto de Mogador(Missionnaires espagnols anonymes)où on reconnait le Castello Real

   Pendant les premiers mois de 1510, le gouvernement du Castello Real reste uni à celui de Safi, entre les mains de D. Pedro de Azevedo. Puis Emmanuel 1er, par lettre du 1er  mai 1510, nomme Nicolau de Sousa capitaine et gouverneur du Castello Real, sa vie durant. Il est spécifié qu’au cas où le nouveau gouverneur obtiendrait la soumission de tribus dans un rayon de trois lieues autour de la forteresse, il percevrait à son profit les deux tiers des contributions versées par elles, un tiers étant retenu par le roi. D’ailleurs bien loin de soumettre les tribus des environs, Nicolau de Sousa, ne réussit même pa à conserver la forteresse.

Il semble que la place ait été évacuée le 4 décembre 1510, d’après une lettre de Nuno Gato Cantador écrite de Safi, le seul texte qu’on ait à ce sujet.Les ruines du château portugais de Mogador ne disparurent qu’aprè 1765, lors des travaux de construction du port. Les pierres du Castello Real servirent par la suite à la construction de la scala du port. A son emplacement s’élève maintenant la tour, ou bastion circulaire qui se trouve près du chantier naval et qu’on appelle Borj el Bermil (la tour du tonneau).

Le dessein de Mogadorhistoire,photographie

                     Plan de l'île de Mogador 1763: le Castello Real au bout de la terre ferme.

A gauche le village de Sidi Bouzerktoune

« Il faut commercer avec les gens de Diabet»           

                                                              Écrit Razilly à Richelieu vers 1630

    Le Castello Real , n’avait pas été entièrement détruit après son abandon par le Portugal, car, en 1577, l’amiral anglais Francis Drake en avait parcouru les ruines :« Ayant fait provision de bois et visité un vieux fort bâti jadis par le roi de Portugal, mais maintenant ruiné par le roi de Fès, nous partîmes... »

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  Navires européens au large de Salé au temps des corsaires,Roman Lazarev

Dans sa relation, Francis Fletcher, qui prit part comme chapelain, au voyage de circumnavigation accompli par Francis Drake de décembre 1577 à octobre 1580, note :  « La flotte mouille à Mogador. Les indigènes viennent à bord. Pour obtenir des renseignements sur la flotte et ses desseins, ils se saisissent par stratagème d’un de ses hommes descendu à terre et l’amènent en hâte devant Abd–el-Malek. La flotte fait voile vers le Sud. »

 Sir Francis Drake, fait aussi allusion à la présence du Roi saâdien Abd-el-Malek à Mogador :

 « décembre 1577. La flotte de Drake arrive à l’île de Mogador. Réception des indigènes à bord. Craignant que les navires ne fussent les avant-coureurs d’une flotte portugaise, Moulay Abd – el – Malek fait saisir pour l’interroger un homme descendu à terre. Il le renvoie vers Drake avec un présent. Dans l’intervalle, la flotte a levé l’ancre après une vaine incursion de Drake à terre pour délivrer les prisonniers. Le roi renvoit celui-ci en Angleterre. La flotte passe devant Santa-Cruz-du Cap-de-Guir. »

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Esquisse de la bataille des Trois Rois par Roman LAZAREV

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La bataille des trois Rois, d'après Roman Lazarev

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Plan de la Bataille des Trois Rois

   Une année plus tard, le 4 août 1578, le Sultan saâdien Moulay Abd-el-Malek-el-Mouâtassim – Billah (1576-1578), emporta la victoire sur le roi du Portugal Don Sébastien à Oued El Makhazine. De lui  Montaigne écrit:« De sa litière, Abd-el-Malek, essoufflé, paralysé par un mal mystérieux, surplombe le champ de bataille. Il rassemble ses dernières forces, quitte sa litière, se fait apporter de force son cheval. Cet effort acheva d’accabler ce peu de force qui lui restait. On le recoucha. Lui, se ressuscitant comme en sursaut de cette pamoison, toute autre faculté lui défaillant, pour avertir qu’on tût sa mort...expira tenant le doigt contre sa bouche, signe ordinaire de faire silence. Son dernier mot : « marcher plus avant. » Son frère Ahmed-el- Mansour- Dahbi (le doré) fut aussitôt proclamé Roi.   

   Le 26 novembre 1626, Razilly adresse un mémoire à Richelieu, où il lui parle d’un plan d’occupation de l’île de Mogador, et des avantages commerciaux que la France retirerait de cette opération : « ...Et du même voyage que l’on aura retiré les esclaves, l’on pourra laisser cent hommes à l’île de Mogador, située à poter de canon de la terre ferme,à 32° de latitude, île très aisée à fortifier.   D’autre part, il y faudrait mettre six pièces de canons et laisser du biscuit aux cent hommes, et envoyer nombre de planches de sap pour y faire des maisons, car d’autres forteresses, il n’en est jamais besoin, d’autant que l’île est naturellement toute fortfiée. Il faudrait y étblir un commerce de toile, fer, drap, et d’autres mêmes marchandises , jusqu’à la somme de cent mille écus par ans. L’on aura de la poudre d’or en payement, dattes et plumes d’autruches. Et l’on pourrait tirer quelques chevaux barbes des plus forts et meilleurs de l’Afrique. Le profit de la vente des marchandises pourrait monter à 30 p. 100 de gain, d’autant que le voyage est fort court : car, des côtes de France, ayant bon vent, l’on y peut être en huit jours. C’est avoir un pied en Afrique pour aller s’étendre plus loin. Il y a quelques français qui ont trafiqué dans la rivière de Gambye. Mais dans tous ces quartiers de Guinée, l’air est très mauvais. Et pour les habitations, il n’y a lieu en Afrique propre aux Français que l’île de Mogador et Tagrin (le cap de Tagrin, sur la côte de Guinée, près de la baie de Sierra-Leone), où les Portugais avaient en diverses années, armé des vaisseaux pour y dresser des colonies. Tagrine est onze degrés nord de la ligne. Les Portugais y ont été défaits par les Français. Le pays est fort agréable. Mais le reste de l’Afrique est très malsain et en beaucoup d’endroits stérile, dont je ne parlerais pas davantage. »

L 24 mai 1629, Le père Joseph écrit à Razilly, pour que ce dernier fasse agrée r par Moulay Zidân l’occupation de Mogador :

 « Le dessein de Mogador étant bien conduit, est celui seul qui peut avoir de la suite et donner fondement à plusieurs grandes choses, à quoi monseigneur le cardinal de Richelieu se porte constamment. Et contribuera  tout ce qui sera requis auprès de Sa Majesté pour cette généreuse entreprise....Ne vous fiez pas à ce roy barbare que sous bon gage ; c’est ce qui me fait priser le dessein de Mogador, que je tiens bien plus sûr que la parole du Maure.....Que si on s’établit à Mogador, il est utile d’y mettre le Père Pierre pour supérieur, ayant grande expérience de ce païs – là, et peut beaucoup profiter aux occasions, pour le soulagement et le salut des âmes abondonnées....La perfection de votre ouvrage serait, après avoir pris Mogador, de le faire trouver bon au roy du Maroque, et qu’il l’agréât pour la sûreté du commerce, et lui faire voir le profit qui lui en arrivera pour la richesse et sûreté de ses Etats, apaisant sa colère par le present que vous lui portez, qui fait voir  que l’on na va pas vers lui comme ennemi. Que si pour cette heure, il ne le veut pas consentir, il le pourra faire après par la force ou par amour. »

    En réponse à cette lettre le Cardinal de Richelieu autorise Razilly à s’emparer de Mogador et à y laisser garnison :                                       Alais, 18 juin 1629

                                               Suscription. A Monsieur le chevalier de Razilly.

Monsieur,

  Si vous estimez, estant sur les lieux, que l’isle de Montguedor se puisse conserver et que la prise en soit utile, je vous laisse de la part du Roy la liberté de vous en saisir et d’y laisser cent hommes.Cependant, je demeure

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                      Votre bien affectionné à vous servir.

                 Signé : Le card. De Richelieu

                 De Alais, 18 juin 1629

 

 Mogador, comme un Alger dans l'océanhistoire,photographie

Dans la baie de Mogador 2 bateaux anglais de 20 canons et 145 hommes d'équipage.Ils sont interceptés par 2 autres bateaux marocains (avec drapeau rouge) de 24 canons et 300 hommes d'éuipage. Le Castello Real au premier plan.Document d'origine anglaise.

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      Anglais, Français, Espagnoles convoitaient l’île de Mogador pour sa position sur la route des indes comme le montre une plaquette espagnole qui se trouve à la Bibliotheca Nacionale, de Madrid qui expose en 1621, la nécessité d’occuper la position de Mogador en ces termes :

« Dans la partie qui regarde l’Occident, face à la côte d’Afrique qui est battue par l’océan, près du cap de Ghir, entre celui-ci et le Cap cantin, se trouve le point et l’île de Mogador qui, bien qu’elle soit petite et peu connue (heureusement pour nous), est, au dire de tous les marins qui pratiquent cette côte et la route des Indes, un port très important pour la couronne d’Espagne, parce que, par sa situation, il commande ces rivages. Ce port est vaste, facile à défendre, d’une entrée et d’une sortie sûres pour les gros vaisseaux. On pourrait sortir, lors du passage ordinaire de nos flottes, et, s’il en est qui ne connaissent pas encore ce passage, il leur suffira une sortie dans ces parages pour le relever avec précision. Et si le Turc ou un autre ennemi avait cette place et cette sûre retraite, il tiendrait, comme on dit, le couteau sur la gorge à toutes nos entreprises pour les égorger ; et si cette position est importante pour eux, c’est une raison pour nous de l’occuper afin qu’ils ne l’acquièrent pas. Les ordre militaires pourraient très bien se charger de cette opération, avec le concours des navires qui croisent ordinairement  devant les autres ports de la côte d’Afrique ; et même on pourrait confier la garde de cette place à l’un de ces ordres, de même que celui de Saint Jean à celle de Malte, qui lui a été donnée de nos temps par l’empereur Charles Quint . Car, à bien éxaminer, comme il est nécessaire de le faire, une chose si importante, si une autre nation occupe cette île, que l’on dit être par elle-même très désirable, outre la place et le port qu’elle contient, il y aura dans l’Océan, près de la route ordinaire d’ici aux îles Canaries, et non loin d’elles, un obstacle fort dangereux pour la sécurité de la navigation, sur lequel repose l’existence et la richesse de l’Espagne, et qui doit principalement maintenir cette monarchie pour sa conservation.

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En effet, au dire de capitaines et marins expérimentés, Mogador occupée, c’est un Alger dans l’Océan, par sa situation, son port et sa retraite assurée, pour toutes les entreprises que l’ennemi turc ou hollandais tenterait contre nous, avec une sortie sûre et commode pour faire delà toutes ses courses et arrêter et inquiéter les flottes des Indes Orientales et Occidentales, qu’il rencontrerait forcément non loin de ce parage, quand elles passeront pour prendre hauteur ; et une fois que les ennemis auront occupé ce point, ils sont à même de détruire ou conquérir les Canaries, en coupant les communications de ces îles.

   Si le Turc tient Mogador, il peut  tenter d’étendre sa domination sur le Maroc, ainsi qu’il est devenu par Alger maître de Tunis, car celui qui est maître de la mer qui baigne un pays est fort à portée d’en conquérir l’intérieur en empêchant le peuple conquis d’être secouru par mer ; et tout ce qui établit les avantages que le Turc retirerait de ce point fait ressortir combien notre situation serait critique, s’il venait à l’acquérir...Dieu, moteur universel des choses, par la providence duquel elles se gouvernent, nous a fait la grâce que jusqu’à présent l’ennemi n’ait pas connu cette position. Autrefois les Maures n’usaient pas de vaisseaux de haut bord ; aujourd’hui, les prises qu’ils ont faites leur ont donné des forces et de la cupidité, car le gain et l’intérêt donnent de la vaillance,et c’est le profit qui nourrit les sciences. Ils voudront ne plus avoir besoin, pour opérer dans l’Océan de passer par le détroit, et voudront d’autant plus avoir un établissement sûr de ce côté-ci, d’où pourront sortir pour faire leurs prises ces corsaires Turcs si nombreux qui opèrent aujourd’hui, réunis aux Irlandais et aux Hollandais, dont nous devons nous méfier davantage. Ils se trouveront dans Mogador comme dans une tour ou un observatoir d’où ils sortiront pour fondre sur ceux qu’ils auront remarqué s’avançant sans précaution ; et maîtres de ce point, ils attaqueront tout.

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     Aussi pour éviter la longueur de la route et s’assurer gratuitement une meilleure position, en ayant sous la main un port à garder et vendre ses prises, caréner ses vaisseaux, et reposer et approvisionner ses équipages et flottes. Et cette maison se trouve au milieu du bois où il chasse, qu’y aurait-il d’étonnant à ce qu’il la dispose pour y passer la nuit en sécurité, sans payer le logement, y trouvant une place d’armes pour son ravitaillement et un dépôt pour ses marchandises, avec une entrée et une sortie large et sûre, causant à l’Espagne une crainte horrible et inquiétant delà toute la chrétienté ; car, si ce qu’aujourd’hui nous pouvons posséder avec sécurité est occupé par eux, il sera nécessaire de vendre les calices des églises pour les en déloger, et nous ne sommes pas certain du succès.

     Et quand on considère tout ce qui vient d’être dit, il est très certain qu’il n’est pas besoin de la force ni du secours du Grand Turc pour prendre ce que personne ne défend, et que si les Hollandais s’établissaient en permanence à Mogador, y descendraient à terre, s’y installaient comme dans une tente ou une baraque, entrant et sortant sur leurs navires, ils créeraient là en peu de temps une place sûre et fortifiée, et c’est une miséricorde et un miracle exprès de Dieu qu’ils ne le fassent pas. Plus on fermera le détroit et l’on en fortifiera la sortie, plus il importe aux Hollandais d’avoir là-bas un point d’appui sur l’Océan et un port où ils puissent se réunir et, après s’être rassemblés de conserve en grosse et forte compagnie, sortir pour rompre notre défense, sans qu’il y ait pour l’empêcher d’autre que Jésus-Christ. Qu’il daigne, par les mérites de son sang, faire en sorte que cette gloire revienne à la noblesse d’Espagne et à ses ordres militaires, pour l’exaltation de sa foi et l’honneur de sa bienheureuse mère qui soit louée à jamais ! Amen. »

 

                                      Mogador du temps des saâdiens

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     La silhouette du château portugais de Mogador devait, se trouver modifiée par des réfections, dont certaines dataient du règne de Moulay  Abd-el-Malek ben Zîdân, qui y séjourna au mois d’août 1628 : « Voulant voir Mogador, petite isle sur la mer Athlantique, entourée de rochers excessivement hauts, qui font des precipices espouvantables, y faisant séjour de quinze jours, son exercice fut de courir à la chasse des hommes, et, lorsqu’il en avait rencontré, les monter en haut de ces rochers et les précipiter dans la mer, en riant à gorge déployée. Et un jour se promenant en bateau autour de cette petite isle, le vent s’étant si fort eslevé qu’il estoit en danger de périr, ses alcaïds l’ayant mis à bord comme les plus experimentez de ses pilotes, pour salaire il les fit bien bastonner puis fouetter. Et après, les ayant fait boire avec luy, les prit pour compagnons, pour luy ayder au massacre de vingt deux pauvres barbares, qu’il tenoit enchaisnez auprès de luy. Sortant de ce lieu pour aller en chedma, où son frère Moulay el-Oualid lui fut livré entre les mains par un traistre, après en avoir fait les feux de joye, il luy feit mettre les fers aux pieds, le conduisant luy – mesme jusques à Marroque pour l’executer en temps convenable : celuy de la Pasque du mouton. Revenu qu’il fut en chedma, ayant envoyé au supplice plusieurs esclaves françois qui servoient à son écurie...De chedma, tournant vers Safy pour y faire quelque demeure, pour estre l’un de ses plus beaux chasteaux, en quatre mois qu’il demeura, il n’y eut jour qu’il n’y fist quelque massacre... »

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  Ce passage figure dans une biographie caricaturale, de Moulay Abd el-Malek ben Zîdan, écrite l’année de sa mort le 10 mars 1631. Elle semble avoir été composée, sinon par le père François d’Angers, du moins par quelque capucin de la mission du Maroc. On noircissait le tableau à souhait pour justifier les collectes d’argent, en vue de racheter les captifs européens retenus comme esclaves au Maroc, et pour occuper l’île de Mogador qui leur semblait situer sur une position stratégique le long du litoral africain. A cette époque des Anglais étaient retenus en esclavage à Mogador par Moulay – Abd-el-Malek, comme le rapporte dans son mémoire du 8 octobre 1630 John Harisson : « Si le Sultan Moulay Abd– el–Malek refuse encore de mettre en liberté, les Anglais qu’il retient en esclavage, Charles 1erdevrait s’emparer de l’île de Mogador et y fonder un établissement dans les mêmes conditions qu’à la Mamora. Ces deux places attirent tout le commerce du Maroc et permettraient de constituer des approvisionnements en vue d’attaques contre des possessions espagnoles. »

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 Des nombreux oiseaux qui peuplent l'endroit, Adrien Mathan pouvait déjà témoigner en 1641.Il faisait état de l’existence d’une Kasbah, abritée derrière les rochers où vivaient les corsaires Béni – Antar :« Le 8 janvier, au matin, nous nous sommes trouvés en vue de l’île de Mogador, et nous avons mis notre cheloupe à la mer pour voir si la rade était bonne pour nous. Nous y avons trouvé quatre toises d’eau, entre l’île aux pigeons et l’île de Mogador. Dans l’après midi, nous avons jeté l’ancre et tiré une salve de trois coups de canon, auxquels les gens de la kasbah ont répondu par un coup.Le 9 au matin, notre cheloupe est allée à terre, par un vent nord-est, pour voir s’il y avait moyen de se procurer de l’eau fraîche, et aussi si nous pouvions trafiquer avec les Maures de la Kasbah. Ceux-ci ont accueilli amicalement nos gens et ils nous ont envoyé à bord leur interprète, un juif, en échange duquel, suivant leur coutume, un des nôtres devait rester à terre, comme otage, tant que durerait, des deux côtés, les visites de leurs gens à bord et des nôtres à terre.

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 La kasbah est munie de onze ou douze canons en fer, et, vue d’une certaine distance, elle a l’apparence d’un four à chaud hollandais ; mais l’île aux pigeons est inhabitée, sauf qu’on y trouve d’innombrables pigeons sauvages qui se nichent par milliers dans les rochers et qui sont si familiers qu’ils se laissent prendre avec la main. Il y avait dans un petit bosquet, à terre, un faucon qu’un de nos gens aurait pu prendre, s’il l’avait vu, car il faillit mettre le pied dessus, et c’est alors seulement que le faucon prit son vol. Pour parcourir cette île aux pigeons dans sa longueur, il faut une bonne demi-heure de marche environ : sa largeur ne dépasse pas dix fois la longueur de notre vaisseau ; mais elle est très élevée et sans eau fraîche. On trouve seulement entre les rochers de l’eau de pluie en très petite quantité.Pour en revenir à l’île de Mogador, toujours est-il que nous avons pu y faire de l’eau. Le juif susdit nous fournit aussi du pain frais, des amandes, des raisins et des gâteaux d’olives qui avaient un goût excellent. Le costume des habitants est singulier : ils portent habituellement un long vêtement blanc – le haïk– qu’ils enroulent de diverses manières autour du corps. Le juif susdit nous a donné des renseignements sur leur mariage, etc.

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 Le 12 janvier 1641, c’était pour les Maures leur fête de Pâques – l’aïd es-seghir qui marque la cessation du jeûne du Ramadan- qu’ils célèbrent avec une grande dévotion. Dans l’île on trouve une espèce rare de grands oies. Nous en avons acheté à la kasbah de fort belles et fort grasses, à deux stuivers pièce. Quant à l’approvisionnement d’eau, il comporte ici de grands dangers, à cause des brisants, au point que notre petite chaloupe et les gens qui la montaient pour apporter de l’eau à bord ont chaviré deux fois, le 15 et le 16 de ce mois. Nos gens se sont sauvés à grand’peine, non sans courir de grands périls. Pour chaque tonneau d’eau on devait payer au caïd de la kasbah la valeur environ d’un écu de Hollande.Il est aussi à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir, celui des Maures : le vendredi, celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche.Le 23, nous avons fait tous nos préparatifs pour faire voile, avec l’aide de Dieu, vers Ste Croix, si le vent nous est favorable. Nous sommes sortis heureusement du port de Mogador par un vent est-nord-est et nous avons gagné la haute mer. »

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  Courant  juillet et août 1688, des corsaires algériens, sous domination turque, avaient capturé des bâtiments français qui croisent depuis la Mamora jusqu’aux Canaries et fait deux cent prisonniers. Bostangi et quatre autres corsaires turcs qui les avaient faites prisonniers étaient de retour en septembre sur la côte du Maroc. Bostangi alla se ravitailler à Agadir et ses compagnons se rendirent pour caréner à Mogador, où ils débarquèrent les 60 français. Les corsaires craignant une attaque de l’escadre française, se retranchèrent dans l’île de Mogador, où ils construisirent des redoutes armées de canons, attendant un vent favorable pour franchir le détroit. En attendant ils  ont relaché à Mogador soixante français, d’où ils les ont envoyé à Alger par voie de terre. A leur passage à Meknés, Moulay Ismaïl a racheté de force ces soixante hommes, comme le relate Pierre Catalan à tavers la note qu’il avait envoyée à Seignelay, depuis Cadix, le 8 novembre 1688 :

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   « Une tartanne française qui sortait de Safi en Barbarie le 28 du mois d’octobre est arrivée en cette baie le 4 de novembre. Le patron d’icelle a rapporté qu’il y avait quatre navires d’Alger à Mogador, deux de 40 pièces, un de 36 et l’autre de 24, avec une caravelle de 18 pièces ; que ces corsaires ont pris 13 bâtiments français sur le grand banc de Terre  Neuve, qui sont de La Rochelle, Bordeaux, Havre-de-Grâce, Honfleur et un de Saint-Malo, et que sur la hauteur des Açores ont coulé à fonds un navire de Marseille, duquel les corsaires sauvèrent seulement dix hommes, qu’ils ont pris aussi à l’ambouchure de la Manche un navire de Dunkerque chargé de sucre, qu’ils ont amené et vendu à Mogador ; que de tous ces navires pris ; ils ont 200 hommes esclaves à leur bord. Desquels débarquèrent 60 hommes pour les envoyer par terre à Alger, leur faisant traîner deux charettes pour porter leurs vivres, qui, passant à Miquenès(Meknés), le roy du Maroc leur prit d’autorité ces 60 hommes esclaves, leur payant 45 écus pour chacun, et il fit une rude reprimande aux soldats d’Alger qui les conduisaient, de traiter si inhumainement les chrétiens. Ce patron m’a délivré le rosle inclus des noms de ces 60 hommes. Les 140 restants, les ont retenu à bord de leurs navires, dont ce patron a dit encore qu’ils croisent depuis la Mamora jusqu’aux Canaries. »

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    La prise de Santa-Cruz-du-Cap-de-Guir (Agadir), enlevée aux Portugais, le 12 mars 1541, par le chérif Mohamed ech-Cheikh, affermit l’autorité de la dynastie saâdienne. Tout le Maroc du Sud fut la contrée par excellence de la domination saâdienne, et la ville de Marrakech fut presque exclusivement leur capitale. C’est à Santa-Cruz, le port du Souss, c’est à Safi, le port de Marrakech, que les trafiquants anglais débarquent le plus souvent. Ce choix s’explique en outre, pour les trafiquants, par l’importance des opérations sur le sucre, car la culture de la canne ne dépassait guère au Nord le cours de l’oued Tensift. Au bord de l’oued Ksob, les Saâdiens avaient établi une ancienne Essaouira , « Souira Qdima », autour d’un pressoir de canne à sucre. Cette sucrerie qui a fonctionné régulièrement de 1576  à 1603, aurait élaboré du sucre roux (sukkar ahmar), qu’Ahmed El Mansour Dahbi expédiait en Italie en contre partie du marbre de Toscane, comme nous l’apprend « Nozhat el Hadi » d’El Ouafrani : « Le marbre apporté d’Italie était payé en sucre, poids pour poids. »

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La sucrerie saâdienne de l'oued ksob histoire,photographie 

On remontant en amont de l'oued ksob, on voit bien qu'à Essaouira se rencontrent l'olivier Méditérranéen et le palmier - dattier saharien: ce que souligne d'ailleurs l'histoire de cet antique mouillage où se rencontraient caravannes de Tombouctou et caravelles de la lointaine Europe..

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A l'embouchoure de l'oued ksob, les Saâdiens ont édifié leur "fort de poudre"( Borj et Baroud), sur les ruines   du sémaphore Phéniciens établi là pour orienter  les bateaux ronds de l'antiquité qui jetaient l'ancre à ce mouillage d'Amogdoul (mot qui dérive de « Migdol » qui signifie « petite rempart » en phénicien, mais aussi en hébreux et en arabe avec le toponyme de « Souira »), par les flammes qu'on y attisait par nuit sombre au fond de la baie.

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  Au XVI èmesiècle, avant la découverte des Amériques, au Maroc, les Saâdiens avaient le monopole du sucre en Méditerranée Occidentale. Et c'est essentiellement pour acquérir ce produit précieux et rare à l'époque que les Européens mouillaient  en rade de Mogador et au large de Santa - Cruz (Agadir) : ces deux port étaient le débouché naturel des sucreries Saâdiennes situées dans l'hinterland en amont de l'oued ksob de l'oued Sous et de Chichaoua. Au Maroc le sucre est lié au cérémonial du thé :

 - Viens que je te prépare le thé !

 - Laisse-moi, je ne veux pas de thé.

 - Viens ! L’eau est bouillante et les amandes sont grillées.

 - Laisses-moi, je ne veux pas de thé !

 - Combien de reproches nous avons supporté pour toi ?

 - Viens que je te prépare le thé ; je suis l’aigle qui fond sur le rocher !

                                                               (Chant du Raïs Aïsar des Haha)

 

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 On découvre les ruines de la sucrerie, près de Larbaâ des Ida Ou Gourd, au milieu des arganeraies où des dromadaires – qui semblent attendre depuis une eternité de nouvelles charges de sucre – broutent la cîme rutilante des arbres : l’arganier s’est substitué à la canne à sucre. Nulle route ne mène plus à cette ancienne fabrique saâdienne ; la voie du sucre est devenue terrain de labour et la forêt enserre les vieilles murailles en pisé.

    On voit encore l’emplacement de la chute d’eau et les traces de frottement laissées par la roue hydraulique. Sur de grandes distances, de splendides aqueducs (Targa) en pisé – actuellement desséchés – acheminaientt l’eau depuis la source chaude d’Irghane jusqu’à la sucrerie. L’eau qui faisait tourner la roue hydraulique était ensuite amené à grand frais vers « l’Oulja » du bas et distribuée aux planteurs suivant la règle des tours d’eau.

 Le broyeur principal se trouvait dans l’axe même de la roue hydraulique. Les deux broyeurs secondaires occupaient une position latérale. A la base de chaque broyeur prenaient naissance un canal d’écoulemnt destiné à recueillir les produits de trituration et à les acheminer vers la citerne en vue de la cuisson. On dénombre six fours à sucre qui servaient à la fabrication des moules en terre cuite d’une contenance de cinq kilos. Les débris de ces moules à sucre jonchent encore l’emplacement des anciens fours.

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La culture de la canne à sucre autour d’un système hydraulique complexe et étendu avait  réclamé l’utilisation d’esclaves, mains d’œuvre peu coûteuse : aux environs de la fabrique, il existe un cimetière d’esclaves (Roudat Laâbid) plusieurs hameaux d’Isemganes(« Les Noirs » en berbère) et on peut encore rencontrer les descendants des potiers noirs qui fabriquaient les moules à sucre en terre cuite.

Le souvenir de cette fabrique de sucre se perpétue encore de nos jours chez les riverains de « l’oued ksob » (la rivière de canne) sous la forme d’un mythe :

 « Parceque les abeilles vivaient de la fleur de canne à sucre, le Sultan Ahmed El Mansour Dahbi (le Victorieux et le Doré) ordonna la destruction de toutes les ruches de la région. Les soldats ont tout détruit, mais quelques essaims restèrent au milieu des plantations. L’emissaire du Sultan poursuivit à cheval une abeille jusqu’à une ruche cachée dans le silo de Sidi Brahim Ou Aïssa. Lorsque les soldats brulèrent cette dernière ruche, le saint se mit en prière dans les broussailles. Une vipère vint alors s’enrouler autour du cou du fils du Sultan doré qui fit appel aux Gnaoua, aux Aïssaoua et autres gens de transe, en vain. Terrorisé, le Sultan alla trouver Sidi Brahim Ou Aïssa et le supplia de sauver son fils. Le saint y consentit, à condition que le Sultan renonçât aux plantations de cannes et quittât le pays. » 

  Ce mythe met en évidence la contradiction entre Ahmed El Mansour Dahbi qui avait une option économique à caractère spéculatif – la production du sucre – et la production du miel qui constituait la nourriture ordinaire des gens du pays.Les Saâdiens avaient établi de nombreuses autres  sucreries au Maroc, notamment à Chichaoua  dans le Haouz de Marrakech, et le grand Sous. Des esclaves ramenés du Soudan y travaillaient, utilisés en particulier par les Saâdiens pour la construction à Marrakech du Palais El Badî.

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   Depuis la prise de Santa-Cruz-du Cap de Guir (1541), les esclaves chrétiens avaient introduit dans le Sous et le provinces méridionales du Maroc(Haha, Chiadma), les procédés de raffinage. Les chérifs saâdiens possédaient de nombreuses sucreries qu’ils affermaient aux juifs.

  La rénovation de l’industrie sucrière dans le Sous commence après la prise d’Agadir (1541), lorsque El Ghozzi Moussa - juif convertit à l’Islam - dresse des moulins à sucre à Tiout (vingt kilomètre au sud - est de Taroudant) avec l’aide de captifs faits par le cherif d’Agadir. Dés lors les marchands accourent de toute part, de Fès, de Marrakech, et du pays des nègres parce que le sucre de Sous est particulièrement fin (Marmol, II, 30). Selon une relation de James Thoma, datée des mois de mai / octobre 1552, les trafiquants anglais embarquaient du sucre depuis Agadir :

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 « Départ des trois navires commandés par Thomas Windham au mois de mai 1552. Arrivée à Safi après quinze jours de traversée, ils débarquent une partie de leur marchandise à destination de Marrakech. Ils se rendent ensuite à Santa-Cruz-du-Cap-de-Guir pour y décharger le reste : toiles, draps, corail, ambre, jais etc. Un navire français redoutant de leur part des hostilités, va se mettre sous la protection de la place, qui tire sur eux un coup de canon. Les Anglais ayant déclaré qu’ils sont déjà venus l’année précédante et qu’ils se présentent en trafiquants, avec l’agrément du chérif, on les laisse débarquer leur marchandise ; ils reçoivent la visite du caïd. Ils repartent après un séjour de près de trois mois, ayant embarqué du sucre, des dattes, des amandes, des melasses et du sirop de sucre. Leur nouveau commerce avec le Maroc mécontante les Portugais. Arrivée à Londre à la fin d’octobre 1552. » 

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Le fameux palais saâdien "El Badiâ"(le merveilleux) où le marbre de Toscane a été importé d'Italie à Marrakech en contre partie du sucre "poids pour poids" nous dit el ifrâni dans sa "nouzhat el hadi"

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Le sucre sous ses différentes formes (pannelles, mélasse, moscouades) était vers 1574-1576, et depuis les relations commerciales entre l’Angleterre et le Maroc, le principal produit importé de ce dernier pays. Les plantations de canne, les pressoirs, les raffineries (ingenewes, maseraws) étaient si nombreux sous Moulay Mohamed ech-Cheikh que le sucre se vendait à vil prix au Maroc(El Ouafrâni p.226). Les prix se relevèrent par suite des taxes mises sur les pressoirs (ibidem p.302). Mais le renchérissement du sucre sous Moulay Ahmed el-Mansour eut encore pour cause les spéculations du chérif et des juifs qui affermaient les sucreries. Ceux-ci profitaient de la concurrence que se faisaient les marchands anglais. On sait que les Maures avaient introduit en Espagne la culture de la canne à sucre et qu’il existait de nombreuses raffineries sur toute la côte, de Malaga à Valence. Les amandes furent, comme le sucre, l’un des produits le plus anciennement importé du Maroc en Angleterre» 

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  Le 6 juillet 1577, un édit de Moulay Abd-el-Malek est promulgué à Marrakech en faveur des marchands anglais. Edmund Hogan ayant exposé à Moulay Abd-el-Malek les plaintes des marchands anglais contre les juifs qui ont affermé ces sucreries, le chérif ordonna que lesdits marchands, jouiront des mêmes libertés de trafic qu’autrefois, que les trois qualités de sucre leur seront rendues au prix des années passées, pesées avec le poid de la dîme royale de Marrakech.Un mois plus tard le 7 juillet 1577, Moulay Abd-el- Malek promulgue un nouveau édit en faveur des marchands anglais. Les marchands anglais s’étant plaints d’avoir été lésés dans les marchés passés au Maroc pour les achats de sucre, le chérif ordonne aux juifs et autres personnes avec qui ces marchés ont été passés, de livrer dans le délai de trois ans ces commandes de sucre, à défaut de quoi, ils restitueront l’argent.

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  « Otland, 2 septembre 1577, dans sa lettre la reine Elisabeth remercie Moulay Abd-el-Malek du bon accueil qu’il a fait à Hogan et des mesures qu’il a prises en faveur des marchands anglais. Grâce à ces mesures, le commerce du sucre est libéré de toute entrave et le remboursement des sommes dues par les juifs fermiers des sucreries royales est assuré aux dits marchands dans un délai de trois ans. »

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 A chaque crue l'oued ksob grinotte sur ses rivages en emportant de la terre arables qui en se jetant dans l'océan donne ce rouge brique si caractéristique de la rade d'Essaouira chaque hiver  Les sucreries, qui étaient la base du commerce au Maroc une grosse source de revenu pour le roi, ont été détruites à la mort de Mouay Ahmed el Mansour en 1603. Une relation d’époque nous le confirme :histoire,photographie

 « On trouve au Maroc en abondance de l’or, du cuivre d’excellente qualité, du sucre, des dattes, de la gomme arabique, de l’ambre, de la cire, des peaux et des chevaux. Les articles étrangers qu’on y cherche le plus sont l’étain, les lames de sabre, les piques, les rames, le fer, le gros drap. La poudre d’or est importée du Soudan ; elle arrive en grande quantité après la conquête de ce pays par Moulay Ahmed el  Mansour en 1591.La culture de la canne à sucre fut extrêmement florissante au Maroc, notamment dans la région du Sous, jusqu’à la mort de Moulay Ahmed el Mansour en 1603, après laquelle les guerres civiles qui éclatèrent entre ses fils ruinèrent les plantations. » Effectivement à la mort de ce sultan saâdien, toutes les sucreries furent détruites probablement à la suite de révoltes d’esclaves.

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 En amont d'IGROUNZAR, à environ 60 kilomètres au sud d'Essaouira, on découvre, Ajegderj, un îlot de trois hameaux originaire du Dra, au milieu des Aït Adil (ceux de la vigne), antique tribu du pays Haha. 

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Ce que nous avons pris l'habitude d'appeler "l'oued Ksob", les géographes lui donnent le nom d'IGROUNZAR (toponyme berbère qui signifie "la source de la pluie"). Il prend sa source sur les hauteurs du plateau de Bouabout, en plein pays Mtougga avant de dévaler vers la mer, en traversant les multiples cuvettes au fond rocailleux du pays Haha, pour finir par se jeter à l'océan au sud de la baie d'Essaouira. Chaque trançon du fleuve porte le nom du lieu qu'il traverse pour finir par porter le nom de l'oued Ksob du fait que les saâdiens y avaient planté jadis de la canne à sucre.Tout le long d'Igrounzar, on découvre tout un chapelet d'oasis : là où il y a des sources l'habitant a établi tout un système d'irrigation pour les primeurs et les maraîchages: étant loin de toute route, les habitants en tendance à développer une culture d'autosubsistance. Si le lit de l'oued se déseche rapidement après les innondations d'hiver; le chapelet d'oasis quile borde ne manque jamais d'eau: c'est que sous le lit de surface, coule une rivière souterraine qui remonte de temps en temps à l'air libre sous forme de sources. 

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 Si ces anciens ksouriens du Dra, établis dans ces rivages depuis le temps du commerce caravanier au milieu du 19ème siècle, on adopté le dialecte dominant qu'est le tachelhit, ils ont par contre conserver leur allégeance confrérique et le mode de vie de leurs ancêtres de Tamgrout: élevage de camelins, culture de palmier-dattier, filiation à l'ordre confrérique de la Naçiriya, dont la zaouia - mère se trouve à Tamgrout au coeur du Dra.Leur habitat dénote d'ailleurs avec son environnement berbère par l'utilisation de l'ocre  saharien... De même la coupole de leur sanctuaire a des allures saharienne:s  elle a d'ailleurs pour charpente  des branches de palmier.

23:41 Écrit par elhajthami dans Histoire, Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, reportage photographique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

04/08/2011

Triste est la Norvège

norvège.jpg

Triste est la Norvège, triste est le monde : nous sommes tous des norvègiens!

Que vas-tu devenir, petit pays ?

Point de vue |dans le MONDE  | 04.08.11 | 14h34   •  Mis à jour le 04.08.11 | 16h34

par Erik Fosnes Hansen, écrivain

Un garçon de 11 ans se tourne vers l'assassin. L'arme est pointée sur lui, mais il le dévisage avec un courage enfantin. Il dit : "Ne tire pas. Tu as assez tiré, maintenant. Tu as tué mon papa. Je suis trop jeune pour mourir. Pourquoi ne nous laisses-tu pas en paix ?" L'assassin hésite, abaisse son arme. Puis il s'éloigne calmement, vers son prochain meurtre. Sans que personne sache pourquoi il épargne cet enfant, pourquoi il l'abandonne à sa perte et à son chagrin.

 Depuis trois jours, les Norvégiens pleurent sur des histoires de ce genre. Il y en a malheureusement beaucoup trop, et nous ne les avons pas encore toutes entendues. Notre colère a atteint des proportions que je croyais incompatibles avec la mesure norvégienne. Car nous ne crions pas en public. Nous ne pleurons pas dans la rue : ce n'est pas notre genre. Quand nous parlons de l'assassin, c'est avec de l'amertume et du mépris. Et à voix basse.

 Anders Behring Breivik : depuis que j'ai vu son visage et que j'ai lu son nom pour la première fois, j'ai su qu'il s'imprimerait pour toujours dans notre conscience collective. Comme l'incarnation du mal absolu, le pire criminel que notre pays ait connu depuis la seconde guerre mondiale. Le narcissisme des photos qu'il publie sur Internet, ridicules en d'autres circonstances, posant dans toutes sortes d'uniformes et de déguisements ; son sourire satisfait quand on le conduit en prison ; son héroïsme bricolé et son idéologie du surhomme : tout cela est insupportable.

 Au bout de seulement vingt-quatre heures, je ne pouvais plus entendre prononcerson nom. Impossible : il est partout. Un jour, mes parents, qui sont nés en 1920 et 1921, ont essayé de m'expliquer ce qu'ils ressentaient pour Vidkun Quisling (1887-1945), le "ministre-président" nazi de Norvège, allié de l'Allemagne de 1940 à 1945."Il est difficile, m'ont-ils dit, de t'expliquer à quel point nous le haïssions. Nous le haïssions chaque minute, chaque jour. Nous le haïssions, lui et ses collaborateurs. Presque plus que les troupes d'occupation. Tu ne peux pas comprendre à quel point nous l'avons haï, méprisé, détesté. Nous ne supportions même plus d'entendre son nom."

 Comme Breivik, ce "Führer" norvégien se sentait investi d'une grande mission européenne et, comme lui, il a commis des écrits médiocres, prétendument philosophiques et en partie illisibles. Le poète Arnulf Overland (1889-1968) écrivit ces deux vers pour lui :

 "Ce peuple que tu as trahi, Il oubliera jusqu'à ton nom."

 Maintenant, je peux dire que je comprends l'intensité de cette haine. Ces derniers jours terrifiants ont été une vraie leçon d'histoire, certes malvenue mais importante. Elle éclaire ce qu'ont vu et vécu nos parents, ce qui les a marqués et qui a marqué la société d'après-guerre, celle dans laquelle nous vivons aujourd'hui. Mais pas seulement. Elle porte également sur ce qui peut nous arriver à tous, dans n'importe quelle société, quand des idées extrémistes et des pensées violentes deviennent légitimes dans le cadre de petites sous-cultures. Même minuscules : il suffit d'une seule personne, nous le savons désormais. D'un Timothy McVeigh (1968-2001, principal responsable de l'attentat d'Oklahoma City en 1995) par exemple - ou alors d'un autre dont je ne veux plus dire le nom.

 Ma compagne, Erika Fatland, est écrivain, comme moi. Mais elle est aussi anthropologue et vient de passer six ans à travailler sur la tuerie de l'école n°1 de Beslan, où, le 1er septembre 2004, 333 personnes, enfants et adultes, ont perdu la vie à la suite de l'une des prises d'otages les plus violentes de l'histoire. Il s'agissait d'activistes tchétchènes et ingouches, cette fois.

 Pendant six ans, l'insupportable a rythmé notre quotidien : assassinats massifs d'enfants et terrorisme contre des civils. Ce mois-ci, son livre paraît enfin en Norvège. En Occident, il s'agit du travail le plus complet sur un acte terroriste et ses conséquences dans une petite société - rien de moins. Un thème qui n'est pas neuf, pourtant. Je me demande aujourd'hui si nous avons jamais imaginé cela possible en Norvège ? Dans notre petit pays heureux ? Dans la Norvegia felix ? Je ne crois pas. Je crois que, pour nous, les descriptions terrifiantes de Beslan ne se concevaient que dans le Caucase. Pas ici. En fait, partout mais pas ici. Pas dans notre petit pays instruit et paisible. Pas à Oslo, une ville verte, un peu ennuyeuse mais paisible.

 Pour un étranger, cela peut sembler inconcevable, comme un conte de fées d'une autre planète. Jusqu'à aujourd'hui mon petit pays et ma petite ville ont été si paisibles, et surtout - c'en est émouvant, tant d'innocence - si naïfs et si ouverts. Soumis à des mesures de sécurité minimales, vous pouviez vous promenerlibrement dans les bâtiments du Parlement et du gouvernement : à peine quelques bouts de métal symboliques et des personnels sans armes qui ne vous jettent qu'un regard confiant au moment d'ouvrir votre sac.

 Les ministres, à quelques exceptions près, vivent à Oslo, tout à fait normalement, dans des appartements ordinaires et sans surveillance. Après onze heures et demi, ils n'ont même plus de voiture : les chauffeurs sont rentrés chez eux. Et si l'un d'entre eux doit se déplacer, il prend le tramway. Ou alors il fait la queue pourprendre un taxi, comme n'importe lequel d'entre nous. Sans garde du corps. Ai-je dit que les ministres n'avaient pas de garde du corps ? Evidemment, ils n'en ont pas, à l'exception du premier ministre et du ministre des affaires étrangères. Les députés n'en ont pas non plus. Et même pour les personnalités du plus haut rang, dans notre petit pays heureux, les mesures de protection étaient plutôt invisibles.

 Ainsi, il y a quelques semaines, dans un parc près de chez moi, je rencontre le couple princier. Installés sur un banc avec l'un de leurs enfants, ils mangent des glaces au soleil. Comme nous nous sommes déjà croisés lors de réceptions officielles, je les salue et je m'entretiens un peu avec eux. Je jette un regard autour de moi, rapidement : il doit y avoir des policiers aux alentours - c'est toujours ainsi. Mais je ne vois personne. Peut-être ont-ils considéré la situation à ce point inoffensive qu'ils sont restés dans leur voiture, et laissent la petite famille mangerses glaces tranquillement. Après avoir pris congé, je me suis moi-même acheté une glace. Que j'ai mangée en me promenant dans les rues d'Oslo la verte et la paisible, légèrement ennuyeuse mais heureuse. La ville de mon enfance, le paysage de ma jeunesse. Et j'ai pensé : quel pays étrange en vérité... Et quelle chance nous avons !

 Norvegia felix. A d'autres points de vue également. Car économiquement le pays se trouve dans une situation proche du mirage pour beaucoup d'autres sociétés industrielles. Tandis que l'Europe affronte de nouvelles tempêtes économiques, en Norvège, il coule du lait et du miel. Ou plutôt du pétrole et du gaz : des millions de tonnes pompées depuis les fonds marins, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

 La Norvège est probablement le seul pays occidental qui puisse actuellement sevanter d'être solvable, de ne pas avoir de dette publique, et même de disposer d'un peu d'argent sur son compte en banque. Plus précisément de 3 102 milliards de couronnes norvégiennes (403 milliards d'euros), 620 000 couronnes par ressortissant - nourrissons et personnes âgées comprises. De l'argent que l'on garde pour financer l'avenir. Un énorme capital. Auquel s'ajoutent les revenus pétroliers qui irriguent le budget national, permettant à l'Etat norvégien des réalisations sociales et des équipements qui, dans le reste de l'Europe, ont depuis longtemps été mis au congélateur en attendant des jours meilleurs. Sous oublier, par ailleurs, la longue et paisible histoire démocratique du pays, seulement interrompue par la seconde guerre mondiale.

 Ainsi, la liberté d'opinion, qui remonte à 1814. Un pays parfait, donc ? Pas du tout. Souvent prosaïque et querelleur, parfois un peu provincial et étroit d'esprit. Mais en ce qui concerne un certain art de vivre dans un Etat de droit démocratique et libre, les Norvégiens - comme les autres Scandinaves - sont plutôt fiers. Et à raison. Certes, nous n'avons pas inventé la démocratie, mais nous l'avons rendue durable. C'est notre contribution à l'histoire.

 Et tout cela, tous ces acquis quasi utopiques, ce n'était pas assez bien pour cette personne dont je ne veux plus dire le nom. Que je voudrais oublier. Tout cela, tout ce que le reste du monde nous envie, pour lui, c'étaient les symptômes de la décadence, de la perte des anciennes valeurs (à la lecture de son "manifeste" insensé de 1 500 pages, il ne ressort cependant pas clairement de quelles valeurs il s'agit). L'immigration, avec les problèmes qu'elle pose, pour lui ne représentait qu'une menace, et pas un défi. Le libéralisme et l'humanisme de notre presse et du débat public dans son ensemble : une trahison. Mais de quoi, exactement ? Du pays ? D'un archétype norvégien ? Du peuple norvégien ?

 Près de 5 000 membres de l'élite norvégienne étaient sur sa liste des personnes àabattre. En fait, vraisemblablement tous ceux qui avaient eu une vie publique. L'élan de solidarité dans tout le pays montre qu'il aurait pu allonger cette liste de plusieurs milliers de personnes. Pour réaliser ce pays rêvé qu'il appelait de ses voeux, il aurait pu - il aurait dû - nous tuer, tous. Et il serait resté tout seul, peut-être avec une poignée de gens comme lui. Il aurait régné sur une Norvège déserte. Enfin proche son idéal : nettoyée jusqu'à l'os. Les chimères d'un jeune homme seul et un peu raté, en uniforme de gala dans sa chambre d'enfant, caressant des rêves héroïques et fous d'Europe nettoyée et qui finalement passe à l'acte, l'histoire en a vu d'autres.

 Et maintenant quoi, cher petit pays ? Cet attentat est directement dirigé contre notre façon de vivre. Une université d'été de jeunes gens engagés et idéalistes - il y en a pour tous les jeunes dans les partis politiques norvégiens - se transforme en champ de bataille sanglant. A Oslo, les bâtiments gouvernementaux sont plongés dans la nuit, comme des coquilles délavées aux lumières éteintes.

 Ma ville n'est plus paisible et ennuyeuse, elle n'est plus elle-même. Ces soirs de juillet, au nord de l'Europe, les gens sont dehors et sanglotent sans parler pendant que les bougies vacillent dans un jardin en fleur, devant la cathédrale. Que va-t-iladvenir de notre façon de vivre ? Allons-nous perpétuer nos valeurs et notre ouverture, renouveler notre contrat social ? Mon petit pays, que va-t-il advenir de toi ?

 Deux cent mille personnes, un tiers de la population d'Oslo, se sont rassemblées devant l'hôtel de ville : une foule qui rappelle le 7 juin 1945, quand le roi Haakon VII est revenu d'exil, après la guerre, pour restaurer la démocratie norvégienne. Dans un silence dense et digne, elles écoutent les mots du prince. A l'étranger, on le connaît surtout pour son mariage. Nous, en Norvège, nous savons qu'il est un homme cultivé, respecté et libéral. "Aujourd'hui, les rues sont pleines d'amour, dit-il.Nous avons décidé de répondre à la cruauté en nous rapprochant les uns des autres. Nous avons décidé d'affronter la haine tous ensemble (...). Personne ne nous prendra notre Norvège."

 C'est beau, c'est intelligent. Mais dit-il vrai ? Il adopte le même ton digne que les jeunes survivants d'Utoya, dans les heures qui ont suivi la tragédie, inconcevable de fierté juvénile. Le ministre-président Jens Stoltenberg a fait de même quand il a pris la parole. Des mots dignes et chaleureux. Mais encore ? Désormais, nous savons qu'une haine paranoïaque et oublieuse de l'histoire fleurit sur Internet - même s'il ne s'agit que de groupuscules.

Mais il suffit d'une infime minorité, d'une seule personne. Et même si nous l'ignorions auparavant, si nous n'y avions jamais pensé, nous le savons maintenant. Nous savons quel danger potentiel il y a à tolérer l'intolérable et la xénophobie. Le mépris des hommes politiques et la haine des autres, que l'on qualifie de "rats" ou de "traîtres". Il faut ouvrir un débat sur cette rhétorique de la haine, l'ensemble des partis politiques norvégiens doivent le faire.

 Le comportement, la mesure et le respect des motivations et de l'opinion de chacun sont le fondement et la condition de tout système social et de tout débat démocratique. Si ces vertus se perdent, c'est la porte ouverte à la haine. C'est quelque chose que nous savons depuis longtemps, en Europe. C'est notre expérience historique commune et amère.

 Les événements de Norvège nous rappellent ce que nous ne voulons plus revivre. Mais que doit-il advenir de la petite Norvège ? Les troupes en tenue de combat devant les immeubles officiels, nous les vivons comme une défaite - même si nous leur sommes reconnaissants. Les mitrailleuses ne font pas partie de notre idéal de société. Quand j'ai vu ces 200 000 roses tendues vers le ciel, j'ai cependant pensé : ça ira. Nous allons réussir. Notre société a surmonté la pauvreté, la lutte des classes et l'occupation. Quand je vois ces inconnus qui s'étreignent dans la rue en pleurant, je pense aux mots du poète Nordahl Grieg (1902-1943) en 1940 : "Nous sommes si peu nombreux dans notre pays. Chaque mort est un frère et un ami."C'est peut-être la force d'un petit pays. Cette distance si courte entre les uns et les autres. Quand je vois la photo de cette personne dont je veux à tout prix oublier le nom, je me demande si cette distance est assez courte. Comment cet individu qui n'a pas de nom a-t-il pu s'éloigner autant des valeurs qui l'ont entouré toute sa vie ? Il a vécu près de nous, à distance de nos bras. Est-ce qu'il y en a d'autres comme lui ?

 Je ne sais pas. Je m'inquiète et j'espère. Mais aujourd'hui, surtout, je pleure pour toi, ma petite ville, et pour toi aussi, mon petit pays bien-aimé et un peu ennuyeux.

 Texte traduit du norvégien par Nils C. Ahl.

 Ecrivain

 Né à New York en 1965, il a grandi à Oslo et s'impose dès son deuxième roman, "Cantique pour la fin du voyage" (Plon, 1997), comme l'un des principaux jeunes auteurs norvégiens de la fin du XXe siècle. Egalement critique et journaliste, il est membre de l'Académie norvégienne. Son dernier livre traduit en français, "La Femme lion", est paru chez Gallimard en janvier.

22:20 Écrit par elhajthami dans hommage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hommage | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

23/06/2011

Folk

L'héritage de NASS EL GHIWANE

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Omar Sayyed et Amina Aoucharihrai, directrice de l'IURS

Le mardi 21 juin 2011, journée mondiale de la musique, l'Institut Universitaire de la Recherche Scientifique, Madinat El Irfane, Rabat; là où Abdélkébir khatibi avait ses bureaux, a consacré une journée d'étude à "la chansson contestataire au Maroc:l'héritage de Nass el Ghiwan", en présence de Omar Sayed, l'un des membres fondateur du groupe folk mythique...

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Dans leur argumentaire, les organisateurs écrivent: les années 1970 ont vu naître un nouveau style musical dans un contexte de crise politique et sociale aggravée par de graves atteintes aux droits de l'homme, conjoncture baptisée depuis "années de braise" ou "années de plomb". Le chant des Ghiwane est alors apparu comme un cri , une réaction populaire qui exprime les aspirations de l'indiidu souffrant qui défend ses droits et sa liberté. Cette chanson contestataire qui, prêche le changement, devient rapidement populaire et s'impose même comme culture identitaire. Depuis la fin des années quatre vingt - dix et surtout au cours de la première décennie du XXI ème siècle, dans un contexte caractérisé par la transition démocratique, des jeunes artistes ont repris le flambeau de la contestattion , exigent l'élargissement des libertés et aspirent à l'emergeance d'une société nouvelle. Quel fil relie la chanson contestataire des années soixante-dix à celle d'aujourd'hui? LA achanson contestataire de ce début du 21 ème siècle se situe-t-elle dans le prolongement de la chanson des Ghiwan? Celle-ci a-t-elle était la matrice où se sont forgés les nouveaux styles musicaux? Quelle est l'influence musicale , poétique , thématique des Ghiwane sur la chanson actuelle?

musique

Avec le mouvement musical né à la fin des années 90, défini comme "underground", "engagé", puis rapidement baptisé "Nayda", la chanson contestataire au Maroc semble se développer d'une nouvelle manière. Des dizaine de groupes de fusion, de rap et de hip-hop, qui disent s'inspirer autant de "Bob Marley" que des "Nass el Ghiwane", chantent la corruption , la pauvreté, et dénoncent le système injuste et inégalitaire.Les textes des groupes ou chanteurs de la nouvelle scène ont souvent un contenu social large, avec des sujets portant sur les injustices sociales comme la corruption, les violences policières, la hogra, le hrig etc.

musique

Si les textes des Ghiwan qui s'appuient sur une "darija épicée" sont très elliptiques; les textes de rapp ont souvent été présentés comme de "la langue de rue" qui a néanmoins une portée poétique. La dernière chanson du groupe Hoba Hoba Spirit reprend un poème en arabe fusha du poète tunisien Abou el kacem Chabbi pour témoigner de leur adhésion aux idées du 20 février.

musique

A la manière des poèmes émouvants de Larbi Batma de Nass el Ghiwan, les texte de la NAYDA sont crus, simples et beaux. Ils sont exprimés également en darija comme ce texte de Muslim Machi intitulé "Ana li khtart" (c'est moi qui a choisi):

Chnou qimt lward melli yedbel?

Chnou qimt el ard bla jbal?

Chnou qimt sahra bla rmel?

Chnou qimt nahla bla âssal?

Chnou qimt bnadem bla âqel?

Chnou qimt lqalbila khâl?

Hît ila l'warda n'btat farawda

Ghatmout barda bin chouk

Que valent les fleurs quand elles se fanent?

Que vaut la terre sans montagne?

Que vaut le désert sans sable?

Que vaut l'abeille sans miel?

Que vaut l'homme sans esprit?

Que vaut le coeur s'il noircit?

Parce que si la rose fleurit dans un cimetière,

Elle mourra froide au milieu des épines.

musique

Pour sa part, le rappeur Bigg, décrit ainsi la déchéance dans "daret"(elle a tournée) :

Chta baqa katsob wana chad rokna

Lgarro li âmri ma kmitou walla hdaya m'rakken

Riht lmout wallat fiya chadda sokna

Natlob Allah aymta laqbar ijmaâni man had ddel.

Galex jiân b'hâl lmajhoum ma kitsanna gha lmoute

La pluie continue à tomber et je tiens le coin

La cigarette que je n'avais jamais fumé est là à côté de moi

L'odeur de la mort a commencé à m'habiter

Je demande à Dieu quand la mort me délivrera de cette indignité?

Assi affamé comme un chien bâtard, je n'attend plus que la mort

(ces textes sont cités dans la communication de Dominique Caubet intitulée "la Nayda par ses textes)

musique

Une journée de la musique et de la parole social libéréé. Une journée du souvenirs aussi,où Omar Sayyed était le seul a représenté le groupe mythique disparu : j'ai beau dit -il répéter un peu partout que feu Boujmiî était mort d'un ulcère, je n'arrivais jamais à arrêter la rumeure qui veut qu'il était mort parce qu'il chantait des poèmes contestataires....

musique

Reportage d'Abdelkader Mana

Rabat, le mardi 21 Juin 2011

20:50 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook