ABDELKADER MANA statistiques du blog google analytic https://www.atinternet-solutions.com.

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/05/2010

LE MAROC par le bout de la lorgnette

« LE MAROC, par le petit bout de la lorgnette »

couverture Maroc.JPG

de Péroncel - Hugoz

bonne.jpg
Après une longue carrière de journaliste, où il a été souvent envoyé spécial du MONDE au Maroc, Peroncel - Hugo, coule maintenant une retraite studieuse et paisible à Mohamédia, ayant constamment sa belle baie sous les yeux, entouré de vieux bouquins qui remontent pour l'essentiel au protectorat(1912-1956), qui l'aident à mieux appréhender le « cursus plus que bi- millénaire du maghrib-al-aqça

( Maghreb extrême) qu'il traduit par «l'Occident de l'Orient ». Ce qui sous entend, que de tous les pays arabo - musulmans, et à l'instar de la Turquie ; le MAROC est le plus proche de l'Occident. Les lectures édifiantes des anthropologues du protectorat, l'aident ainsi à remonter aux origines berbères de ces Mahométans de Mohamédia, si j'ose dire. Car comme disait Jean Genet, cet autre « captif amoureux » du Maroc, qui s'est fait enterrer à Larache : « Au Maghreb ; je n'ai rencontré que des Berbères ! »

Mohammedia, ville - dortoir sans histoire ?  Pas si sûr rétorque Peroncel - Hugoz, « Ne commettons pas l'erreur d'Albert Camus (1913 - 1960), pied - noir algérien, prix Nobel de littérature 1957 et qui avait publié,son petit guide pour les villes sans passé ! Faisant commencer l'Histoire  d'Oran , de  Constantine et d'Alger, plus que millénaire, avec l'irruption des Français en Algérie vers 1830 ! L'histoire de l'ancienne « Fédala », toponyme aux origines mystérieuses, quoiqu'elle semble commencer elle aussi avec la plantation de ses araucarias importés d'Amérique Latine par Lyautey, remonte en fait à la préhistoire, puisque près de la noire et coupante falaise fédalienne on a découvert des outils en silex et non loin de la kasbah, une grossière enclume rectangulaire comportant quatre cupules.,.

Par touches successives, accumulation de détails pris alternativement au passé et au présent, finissant à la longue par faire système, Percel Hugoz, nous dépeint ainsi un visage, celui du Maroc d'hier et d'aujourd'hui, en partant de cette kasbah fédalienne, cette « ville faisant un peu penser à Toulon, violente lumière africaine en plus ». Un saut par-dessus les années, permet par exemple à notre auteur de relater le passage, en 1700, d'un convoi de 716 têtes rebelles coupées, du côté de Marrakech, qu'on avait fait rouler devant le sultan Moulay Ismail, «avant que ce Roi-soleil enturbanné,n'ordonne qu'on aille les exposer, pour édification du vulgum pecus, sur les remparts de Fès un peu agitée. Ça les calmerait ! »

Le cortège de vingt - quatre mules partit donc à marche forcée, suivant la piste impériale côtière, franchissant le déjà vieux pont mais toujours solide pont portugais sur l'oued Mellah, avant Fedala, dépassant cette kasbah où les douze hommes de l'escorte, commandés par un certain Abdellah el Roussi - le sultan lui avait dit qu'il répondrait sur sa propre tête de l'arrivée à Fès de la totalité des 716 chefs tranchés...- , n'eurent que le temps de demander nuitamment un peu de boisson et de nourriture à la garnison, avant de repartir dans un infernal nuage de mouches. En effet, pour aller vite, on avait négligé  de faire procéder, comme d'habitude, au salage préalable des têtes par des spécialistes juifs de cette tâche (c'est d'ailleurs pour cela que les ghettos marocains s'appelèrent mellah, « saloir », jusqu'à leur disparition, par quasi extinction du judaïsme local entre 1950 et 2000).

C'est dire que nous revenons de loin ! Rien dans cette Medina-el-Ouroud, cette cité tapissée de fleurs, ne semble  échapper, aux investigations de notre reporter émerite, à commencer par un Guide de Mohamédia , publié sur papier glacé, avec force coquilles et adresses périmées, mais qui est parfois utile pour retrouver le téléphone de la Française, boulangerie- pâtisserie depuis 1954(avec la Tour Eiffel pour emblème) ou de la Superette berbère de Monica-Plage.... Même si, ajoute-il, « on y chercherait en vain l'enseigne, pourtant plus que quinquagénaire, du tailleur Max Benaroch, lequel présente aussi l'intérêt d'être le dernier juif de Mohamédia » !

couverture Lyautey.JPG

Dans cette optique tout est important à relever et analyser : pour ce féru de littérature, il s'agit autant d'investigations journalistique que d'observation participante de longue durée - l'enquête sur fédala - Mohémadia, lui a pris cinq ans(de 2005 à 2010) - comme celle pratiquée en son temps par un Branislow Malinowski , plantant sa tente au beau milieu des îles Trobriands, pour mieux connaître « les Argonautes du pacifique Occidental ». L'auteur est très sérieusement documenté, en ouvrages remontant à la période Lyautéenne, qu'il collectionne en parcourant les marchés aux puces et dont il aime s'entourer , publiant ceux d'entre eux pour qui il a un coup de coeur dans « la Bibliothèque Arabo - Berbère » , collection qu'il dirige aux éditions la Croisée des Chemins à Casablanca. Sa dernière réédition en date est celle des « lettres marocaines » de Hubert Lyautey dont notre auteur est un fervent admirateur. Entre les deux guerres, celui-ci aurait saisi comme « ennemi » le vapeur allemand Mogador, pour renforcer la marine marchande de Fédala !

lyautey.jpg

Moulay Hafid signant le traité du protectorat à Fès en 1912, en présence de Lyautey, d'après Roman Lazarev

C'est delà qu'il s'embarque secrètement, de nuit, le 18 décembre 1916 (en pleine guerre 14-18 !) à partir de la nouvelle darse fédalienne sur un des sous-marins français, afin d'échapper à un éventuel torpillage allemand en quittant le très exposé Casa. Ce « film d'espionnage », se poursuivra durant la deuxième guerre mondiale avec la fameuse opération  Torch , immortalisée par la fameuse chanson de Hussein Slaoui -  « Les Américains ont dit : « OK ! OK ! Quand même  bey, bey ! » - et que commémore encore au grand parc de Mohamédia, un large bloc de pierre, posé à même le gazon, portant sur un de ces côté, une dédicace aux combattants en arabe et à moitié effacée.

moulay youssef.JPG

Le sultan Moulay Youssef (1912 - 1927) en compagnie notamment du maréchal Lyautey, résident général de France dans l'Empire chérifien (1912 - 1925)

Cette dédicace pratiquement invisible( pour une opération qui a failli tourner au drame : les Américains auraient littéralement rasé Casablanca, si les Français n'ont pas cessé de s'opposer à leur avancée au bout de trois jours...) m'a été signalé in situ, lors d'une visite amicale où j'étais reçu par l'auteur, entouré de ses vieux bouquins dont celui traitant de l' Empire de Maroc,paru en 1846, de l'historien colonial français oublié, P. Christian où celui-ci raconte, les sept années de vaches maigres qu'a connu le Maroc, sous Mohamed III, années où pas une goutte d'eau n'est tombé entre 1775 et 1782 :

« A Fédala, sur les bords d'une mauvaise crique, Sidi Mohamed fit commencer une ville et ordonna à tous ceux qui voudraient prendre part à l'exportation du blé contenu dans un grand nombre de puits coniques, appelés matmora dans le Maroc, seraient tenus de construire une maison dans le voisinage. Les maures élevèrent de mauvaises baraques en pisé, et les abandonnèrent quand tout le blé fut mangé...En 1779, une épouvantable famine se déclara ;les récoltes ravagées par des sauterelles venues du Sud attaquèrent de toute part ; et les malheureux habitants, vivant au jour le jour, sans greniers publics, sans épargnes, se trouvèrent aux abois. Les bestiaux mourraient de faim dans les plaines aridifiées. L'année suivante fut encore plus désastreuse .Les gens périssaient par milliers.... »

Les historiens du XXème siècle, fouillant le règne de Mohamed III, ont estimé,  que la population marocaine, autour de 1780, passa de cinq à trois millions d'âmes, car à la disette s'était , comme souvent, ajouté la peste. Malgré de rigoureuses prescriptions mahométanes, on vit même réapparaître le cannibalisme...Il faudra attendre la spectaculaire remonté démographique du protectorat, due aux prophylaxies modernes vite popularisées, pour retrouver les cinq millions de sujets d'avant Mohamed III et bientôt les dépasser, doubler ce chiffre vers  1956, année de l'indépendance recouvrée, dépasser enfin les trente millions au tournant du nouveau millénaire.

L'ouvrage grouille ainsi d'observations minutieuses, patiemment recueillies durant cinq années, de 2005 à la parution de l'ouvrage en 2010, qui confinent parfois à  l'insolite et au saugrenu, mises en forme par une écriture incisive, acérée et pleines de malices, révélant des aspects étonnant d'une cité -dortoir apparemment sans histoire où la plupart des habitants viennent juste y dormir  pour repartir le lendemain à leurs lieux de travail, soit vers Casablanca ou  Rabat, empruntant pour se faire la vieille gare Art -déco, qui vient de disparaître, au grand regret de l'auteur, fervent admirateur de Lyautey, remplacée par « une structure à peau grise de verre », vouée, selon ministres et journalistes, spécialistes en parler creux, à être « un repère au sein de l'agglomération, avec effets structurants et entraînement positifs sur l'économie régionale »...

Une région devenue au fil des dernières années, comme l'un des fiefs du wahhabisme violent au Maroc, alors même qu'elle est constellée de marabouts, symbole de ce soufisme populaire où la ferveur religieuse est d'abord une affaire de cœur. Une région dont les premiers habitants étaient les hérétiques  Berghwatas et les transhumants Zénètes qui s'y étaient établis avec leur troupeaux de race mérinos,ces moutons à la laine ultralégère, dont le nom rappelle la dynastie islamo - berbère des Mérinides(1260-1412), ces pasteurs venus de l'Est, sous lesquels on a appris à tirer le meilleurs de la toison de ces ovins, et qui s'étaient établis depuis dans ces rivages, comme en témoignent les toponymes de Zénata et de Benoussi, par référence aux Branès (ceux qui portent le burnous, se rasent la tête et consomment le couscous) qui constituent avec les Botr, les deux premières branches de la nationalités Berbères au Maghreb.

Tels sont les premiers habitants de l'arrière pays de l'ancienne Fédala, baptisée Mohamédia au retour de Mohamed V, sur suggestion d'Abderrahim Bouabid, dit -on, cette ville des fleurs et des « mille palmiers », menacée à terme d'absorption par sa grosse voisine du Sud où « Sa Majesté Chérifienne a signé en 2006 l'acte de naissance d'une ville nouvelle d'un demi million d'âme, Zénata, qui devrait combler et assainir la « zone » incertaine courant entre Mohamédia et Casablanca. »-  depuis son intronisation en 1999, le roi y est venu plusieurs fois insitu , souligne l'auteur :

« Le volontarisme de Mohamed VI qui, fait inouï et inédit, s'est rendu impromptu, sans escorte, en 2006, en un « quartier spontané » de la pire espèce, dans l'aire casablancaise, avec son frère cadet, l'émir Rachid, ce volontarisme royal, pourra peut-être aider à solutionner enfin une question lancinante, pendante quasiment depuis le début de l'industrialisation marocaine vers 1920, et de l'exode rural qui ensuivit ; question sur laquelle l'abbé Pierre vint lui-même, en 1956, plancher devant Mohamed V, avant de reconnaître son impuissance...Ces visites - éclair , ces « plongées » au pas de charge, ont été entouré de la même ferveur populaire, sexes et âges confondus. Afin de toucher le roi, pour capter un peu de sa baraka, les gens courent le risque de passer sous les roues de sa limousine : « Jadis, on avait peur du roi,maintenant on a peur pour lui ! » : waer, el malik dyalna ! « il est chouette notre roi » en parler marocain jeune. Jamais chef de ce pays n'a sans doute porter autant d'espoirs, autant de responsabilités, donc que Mohamed VI. Allah fasse que ces énormes attentes, du Sahara au logement, de l'emploi à la valorisation nationale de l'Islam ne soient pas déçues ! ».

Royale visite qui témoigne de la volonté politique d'en finir avec ces plaies urbaines où l'islamisme extrémiste recrute ses kamikazes ; tâche exaltante mais aussi humainement pathétique puisqu'elle semble pratiquement impossible :  le bidonville « résorbé » ici, selon la terminologie administrative,  réapparaît aussitôt ailleurs...Mais si l'Etat ne peut pas venir au secours de toutes les familles marocaine à coup de décrets abstraits et de décisions gouvernementales lointaines, au moins chaque marocain peut rêvé que le Roi en personne veille sur son cas particulier : sa souffrance ne peut pas durer indéfiniment parce qu'en haut lieu on est attentif à son cas grâce à un réseau de moqadem , ces agents de quartier, surnommés « google », pour la qualité de leurs renseignements, ad hominem....

Principal employeur de cette cité des fleurs, la Samir est aussi son principal pollueur, aussi bien des airs que de la mer : ses campagnes, tambours battants, en faveur des espaces verts, n'y changeront rien !.... Et justement à propos de cette entreprise de raffinage pétrolier, l'auteur nous rapporte, cette information étonnante : les gens d'affaires, « bien informés » assurent à Casa, que le « vrai » propriétaire (de la Samir)est un mystérieux milliardaire éthiopien mahométan, le « cheik » Mohamed Amoudi, à présent sexagénaire et classé par le magazine états-unien Forbes au 77è rang des fortunes mondiales, avec quelques 10 milliards d'euros...

Autre surprenante information de ce « MAROC par le petit bout de la lorgnette »,  On croit même que les restes de Ben Barka seraient enterrés à Mohamédia : ce qui a pu nourrir cette croyance de quelques Benbarkistes, c'est que de 1961 à 1967, Le Sphinx, cet établissement fédalien de plaisir, fut géré par le truand français Georges Boucheseiche qui joua un rôle important dans la disparition de Ben Barka. Sans le chercher sans doute, Jacques Brel a immortalisé le Sphinx, comme l'a fait Jean Genet pour la Féria de Brest, dans Querelle ; ou le romancier marocain Mohamed Laftah(1946 - 2008), dans ses Demoiselles de Numidie, pour les anciens claques populaires de son pays, les bousbir. Et l'auteur féru d'analyse toponymiques, qui ne prend jamais un nom de lieu pour de l'argent comptant ajoute que ce bousbir, vient du prénom de Prosper Ferrieu, prononcé à l'arabe, langue sans p ni e . Cet héritier d'une famille de négociants lainiers longuedociens établie à Casablanca dès 1839, donc la plus ancienne lignée française connue de la Ville blanche, attacha sans le vouloir son prénom à l'amour vénal en y louant, aux abords de la Vieille - Médina, des parcelles qu'il y possédait et qui, sous - louées, virent s'établir des prostituées indigènes se destinant aussi bien à leurs compatriotes qu'aux soldats allogènes...

L'établissement fédalien de plaisir, à l'enseigne du monstre mythique de l'Egypte pharaonique, la maison close la plus courue de tout l'ensemble colonial français, « le plus célèbre bordel de la Terre », aurait été fréquenté par un certain Oufkir, le fastueux Pacha Glaoui de Marrakech, né en 1875 et qui s'est fait inhumé au mausolée de Sidi Sliman el Jazouli, l'un des sept saints de Marrakech en 1956 ; Philippe Boniface, type -même du latin viril souligne l'auteur : il aurait organisé une réunion politique secrète au Sphinx avec ses alliés anti- Mohamed V, dont le Glaoui justement, venu spécialement de son fief de Marrakech.

Le seul client connu du Sphinx qui eut l'audace de reconnaître haut et clair y être allé pour « consommer » autre chose que des rafraîchissements, est Jacques Brel(1929 - 1978) ,nous dit l'auteur. C'est d'ailleurs là qu'il rencontra Miche, sa future épouse...C'est probablement au cours de l'une de ses premières tournées au Maroc, fin des années 1950 - début des années 1960, que le chanteur -compositeur belge pris l'habitude de fréquenter régulièrement le Sphinx, ne le quittant que pour aller donner son tour de chant aux Arènes ou au Rialto à Casablanca ou encore au Casino de Fédala - mohamédia, « qu'en 1960 ou 1982,Brel composa, au gré des virages, sa fameuse Valse à mille temps » indiqua plus tard sur Radio - Rabat l'ancien arrangeur de la vedette, François Aubert. Mieux, Brel, dans la chanson Jef va jusqu'à citer nommément une patronne du Sphinx, « la Madame Andrée », chez laquelle le chanteur, nouveau Villon, invite à « aller voir les filles, paraît qu'y en a de nouvelles...Allez, viens Jef , viens, viens ! »

Et notre auteur de conclure sur ce chapitre à la fois romantique et nostalgique que, Brel, c'est évident, trouva ici des moments d'oubli et sans doute même de bonheur :

Je veux mourir ma vie avant qu'elle ne soit vieille

Entre le cul des filles et le cul des bouteilles

Dans la même veine, notre ami Mohamed Laftah qui est allé mourir au pays du Sphinx écrit dans ses Demoiselles de Numidie :

« La bouteille de champagne a été débouchée dans toutes les règles de l'art, par le garçon portant une veste bordeaux, une chemise immaculée avec nœud papillon, un pantalon en velours côtelé noir (...) C'est vers son box que Rose dirigea ses pas ( j'utilise le terme de box pour désigner la chambre personnelle , la loge de Rose, car (on est) dans un boxon...) C'était une jeune fille âgée d'à peine 19 ans, à la figure avenante, tout sourire, mais derrière cette façade de douceur et de gentillesse se cachait un monstre de férocité, de sadisme même etc. »

Quand Brel, le fidèle client Wallon de Madame   Andrée meurt, à la veille des années 1980, c'est le moment où le Sphinx, sentant la réprobation sociale monter nettement autour de lui, n'a plus vraiment le cœur à l'ouvrage. Il se néglige, il néglige surtout de renouveler son blond troupeau...Maintenant, on est en train de transformer le ci-devant sanctuaire du sexe en un « hôtel de charme »...C'est le cas de le dire, conclut ironiquement notre auteur...mais, cette fois, Eros sera en principe absent.

On découvre de nombreuses similitudes entre Mogador - Essaouira et Fedala - Mohamédia : les deux sites ont été visité par les phéniciens, comme l'atteste certains passages du Périple d'Hannon, véritable « acte de naissance de l'histoire du Maroc » d'après Jérôme Carcopino (1881- 1970), auteur du célèbre Maroc antique (1943). Le noyau primitif que constitue la kasbah dans les deux villes comprenait une église portugaise, en ruine à Mogador, elle a été transformée en mosquée à Fédala, vers 1770, au moment de la reprise de la place par le sultan Alaouite Mohamed III. Ce sont les portugais qui auraient introduit, d'après notre auteur, les oranges au Maroc à leur retour de Chine et c'est pour cette raison que nous désignons depuis lors ce Citrus aurantium, par tchina et bortoqâl...Chine et Portugal...

Si la paisible baie de Mohamédia avait accueilli jadis les navigateurs antiques et les bourlingueurs portugais, elles fut aussi, nous rappelle Peroncel - Hugoz, une rade où les corsaires salétans se réfugiaient, soit contre le mauvais temps, soit contre les entreprises de l'ennemi. Durant plus d'un siècle, le nom de Salé fit trembler l'Europe entière jusqu'à la lointaine Islande qui commémore encore de nos jours le raid de 1627 au cours duquel trente six îliens furent tués en résistant aux Barbaresques débarqués par surprise de trois caravelles, tandis que 240 autres islandais étaient enlevés pour être vendus comme esclaves au Maroc ou en Algérie. Le lieu du drame dans la petite île d'Heimaey, s'appelle depuis lors l'isthme des pillards. Ce brigandage fumant ne fut qu'un épisode parmi des dizaines d'autres du même tonneau commis par pinques, chébecs, galiotes, tartanes ou flibot (de l'Anglais fly-boat,bateau - mouche) arborant en proue « les babouches propitiatoires du Prophète »...

J'ai connu pour la première fois Mr. Peroncel-Hugo au colloque sur la culture marocaine qui s'est tenu à Taroudant en 1986. Je lui avait alors exprimé toute mon admiration pour la pertinence de ses  articles incisifs au Monde, dont je ne ratais aucun, parce qu'ils avaient une profondeur d'observation et une esthétique littéraire qui dépassaient le seul cadre journalistique. Je savais déjà, étant étudiant en ethnomusicologie à Aix en Provence, qu'il était davantage qu'un simple journaliste : en 1983, le tout universitaire d'Aix bruissait de son «  radeau de Mahomet » qui venait de paraître. Trois ans plus tard, au colloque de Taroudant, il me donna une leçon d'ethnographie mémorable : il ne faut pas, me disait-il, se contenter de simples compte rendu journalistiques, il faut aussi enquêter sur l'arrière plan somptueux des méchouis qu'on nous offrait, sous les tentes caïdales, arrosés de citernes de jus d'orange, gracieusement offert par les immenses fermes du Sieur Boufettas des environs de Taoudant! Lui journaliste me renvoyait déjà à ma chère ethnographie, celle-là même qu'il appréciera plus tard dans mes documentaires sur le Maroc profond et méconnu !

Des années plus tard, j'ai retrouvé à Casablanca , avec un immense plaisir, l'ami Peroncel - Hugo, escomptant de sa part, un profit d'abord littéraire : :il n'est pas un écrivain à lésiner sur la langue Française sa pureté et sa rigueur. Chose qui nous manque, nous autres marocains, qui avons à ces yeux beaucoup de qualité mais qu'il préfère nous affubler d' « apeupréisme », comme il me l'écrit depuis Casa, ce mois de mai 2010  en dédicace aux « Lettres marocaines de Lyautey » qu'il vient de publier dans la « Bibliothèque Arabo - Berbère » qu'il dirige : « Mon cher mana,   je serai moins dur pour les Marocains que ton maître Georges Lapassade : certains d'entre vous, Hassan II par exemple, ont su à leur manière...- poursuivre la politique de Lyautey, au moindre mal à mon avis, car elle vous a évité la stérilité donneuse de leçons du « socialisme arabe » - et vous a rendu le Sahara...De toute façon même si le Maréchal vous a nui, il lui sera beaucoup pardonné, car il vous a AIME, y compris dans vos défauts, à l'exception d'un seul car il est la cause de tous vos échecs : l'apeupréisme.... »

Ce concept d'apeuprésme, dont il nous affuble, m'avait tellement impressionné par sa justesse que je l'ai mis en exergue à un manuscrit, non publié à ce jour, que j'avais intitulé « l'aurore me fait signe » où je notais entre autre : Les heures de prière, sont les seuls moments de la vie sociale où la ponctualité est requise : partout ailleurs, on trouve mille et une excuses, pour battre en brèche la ponctualité. C'est en cela que la société marocaine demeure « une société sans horloge », c'est-à-dire sans ponctualité. Le fameux incha Allah ! Or la ponctualité, c'est la modernité. Ce dérèglement de l'horloge sociale, qu'on rencontre partout y compris dans les entreprises les plus modernes (de la télévision qui suspend mes documentaires ne respectant pas ses engagements, au non respect du timing de diffusion, à l'avion qui ne décolle pas à l'heure), on peut l'attribuer à cette ambivalence, cette ambiguïté,  que mon ami .Penroncel -.Hugoz appelle « l'apeuprêisme » des marocains .Bref, l'intrusion de l'irrationnel y compris dans les institutions les plus modernes. Nous sommes entrés de plein pied dans les temps moderne mais sans régler notre horloge saisonnière sur les fuseaux horaires de la modernité. « Ce décalage horaire » est cause d'immobilisme, de perte de temps et d'argent, comme on le constate d'une manière flagrante durant ce mois lunaire du ramadan 1429 (septembre 2008), où toutes les activités humaine sont au « ralenti », où toute les décisions sont en « instance » c'est-à-dire reportées sine die, et où tout semblent suspendu à l'heure de la rupture du jeun, y compris le caractère lunatique des jeûneurs

En correspondant du Monde au Maroc, Peroncel - Hugo était plus qu'un journaliste ; il était un observateur attentif à nos us et coutumes, regardant « par le bout de la lorgnette », c'est bien le cas de le dire, l'arrière boutique marocaine, autant que ce qu'on lui met sous le nez et au devant de la scène : les préparatifs du potlatch et du méchoui l'intéressait autant que les recommandations sur la culture marocaine, qui ont vu le jour au colloque de Taroudant et dont aucune n'a été mise en œuvre : ce qu'il y avait de plus vrai et de plus solide, c'était donc ce potlatch somptuaire !. En cela Peroncel - Hugoz avait raison de me conseiller de m'appuyer dans mes enquêtes sur l'investigation ethnologique plutôt que sur les subterfuges du journalisme qui se fait abstraction élogieuse et vide pour ne pas dire vrai.

En observant ce MAROC  « par le bout de la lorgnette », Peroncel -Hugoz, prend pour ainsi dire le poule de toute une psychologie collective, de tout un climat social , de toute une histoire oubliée, méconnue...C'est ce qui donne à son ouvrage une teneur consistante et une portée plus général que la simple description d'une « bourgade sans histoire ». Loin des artifices des cités touristiques et de leurs manifestations pseudo - culturelles parachutées d'en haut le temps d'un week-end, Mohamédia se révèle être ainsi un observatoire idéal de ce qui se trame au cœur de tout un pays.

Essaouira, le lundi 24 mai 2010

Abdelkader Mana

reflexion.jpg

11:52 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : histoire, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

23/04/2010

Abd-el-krim le mystérieux

Abd -el-Krim le mystérieux

Abd_el-Krim.jpg

Mohamed - Si Mohand dans le Rif- Ben Abd-el-krim El Khattabi était né en 1882. De ses années d'enfance et de jeunesse, on sait sans plus, qu'il les passa dans la maison d'Ajdir, à l'ombre de son père. Le grand tournant pour lui, fut à n'en pas douter, le séjour  effectué à Fès. Après trois ans d'étude dans la mosquée Qaraxiyine, il était devenu en 1915, le na'ib du qadi qudat du Presidio espagnol de Melilla. Quand il quitta Melilla à la fin de la 1ère guerre mondiale, pour n'y jamais retourner, et rentra chez lui, à Ajdir, il était déjà un protonationaliste marocain.

Mohamed Ben Abd el-Krim venait chaque année fêter la fin du Ramadan et profiter de son congé pour épauler son père. Un officier turc, émissaire clandestin, vint voir Abd el-Krim à Ajdir, en novembre 1914. Le visiteur voulait savoir si l'on pouvait au Maroc même, espérer un appui pour une action contre la France, à partir des régions que l'Espagne, dans sa zone n'occupait pas encore. Il lui fut répondu, qu'avec l'aide matérielle fournie par la Turquie de Mustafa  Ata Turk , il serait très facile de soulever le Rif.

Sous le titre « Abd el Krim, le mystérieux », le correspondant du Bulletin de l'Afrique Française à Madrid, écrit le 5 septembre 1921 : « Le personnage devient de plus en plus énigmatique et on a bien du mal à comprendre comment le commandement de Melilla ne se préoccupe pas plus de le surveiller ou de s'en faire un auxiliaire.Des faits très caractéristiques permettent de se rendre compte qu'on ne se trouve pas en face d'un fanatique vulgaire, préoccupé surtout de rapines faciles, aidé de son frère, qui étudia durant trois ans, à Madrid, pour préparer son entrée à l'Ecole des Ingénieurs de Mines, il donne l'impression de s'efforcer de donner aux hordes rifaines une organisation inusité dans ces régions. Il tient à donner à ses adversaires l'impression qu'il est  au courant des usages de la guerre entre pays civilisés : les prisonniers sont bien traités et ont toute la liberté pour donner des nouvelles à leurs familles ; lorsqu'il rend le cadavre du colonel Morales ; avant de faire déposer son cercueil sur la petite plage de Sidi Idris, il le fait envelopper d'un drapeau espagnol et ordonne de saluer la dépouille mortelle du malheureux chef de la police indigène par des salves et les marins de la canonnière espagnole le voient s'incliner dans un dernier salut à celui qui fut son ami avant de devenir son adversaire. C'est à Abd-el-Krim et grâce à l'escorte qu'il envoya à Mont Arruit, que le général Navarro doit d'être encore vivant.»

C'est le 27 février 1920 que le Cadi Abd el - Krim avait franchi le rubican comme l'annonce en quelques mots un télégramme de Nokour[1] : « Si Mohand el Khattabi et son oncle Abdessalam avaient quitté Ajdir et faisaient route vers la « Harka », mot qui désignait les formations de Marocains en armes. Autrement dit Si Mohand et son oncle étaient montés au front[2]. Désormais le Cadi Abd el-krim commandait au front. « Plutôt la mort, répétait Abd el-krim, que de se rendre aux espanols ». Ces derniers envisageaient de relier Melilla à la baie d'Al Huceima par voie de terre[3]. Pour leur barrer la route, fin janvier 1921, quelques centaines de combattants Beni Ouariyaghel vinrent s'établir sur la hauteur du Jebel El Qama. Ils faisaient face aux nouvelles positions  espagnols, dont Anoual, la principale et la plus proche. C'est au Jbel El Qama , de février à mai 1921, que s'affermit le pouvoir de Mohamed Ben Abd el krim sur les tribus du Rif. Il imposa tant chez les siens, les Beni Ouariyaghel, que chez les Temsamane, une justice sociale qu'il exerça lui-même selon le « Chraa », loi de l'Islam.

Quasiment prisonnière dans sa ceinture de fortifications, Melilla, jadis, ne respirait que par la mer, d'où tout le nécessaire de la vie quotidienne devait lui parvenir. Mais en dix ans, grâce aux progrès de la conquête, elle était devenue capitale d'une région représentant, de l'oued Kert à la basse Moulouya, et du Guerrouaou à la pointe des trois fourches, plusieurs milliers de kilomètres carrés. Manquant de tout naguère, y compris l'eau courante, elle trouvait maintenant, dans cet arrière pays, les conditions lui permettant de se peupler et de s'étendre en vue de recevoir une forte armée d'occupation. Durant sept ans, entre 1912 et 1919, sous Jordana et sous le général Aizpuru, commandant de Melilla à la veille de la guerre du Rif, deux progressions eurent lieu vers le Sud : sur les étendues plates des Beni Bou Yahi et de leurs voisins Metalsa. Le territoire conquis est maintenant parsemé de positions, de garnisons, de points de colonisation que reliaient, des routes, des pistes et même une voie ferrée, offrait pour la manœuvre toutes les ressources dont peut user la stratégie. Beranguer avait dès 1919, dressé un plan pour une occupation de la région de Tafersit ou la localité de Dar Drius servirait de pivot pour la manœuvre au Nord, tandis qu'à  Ben Taieb, Tafersit et Azib Midar, des positions colmateraient sur son flanc gauche toutes les issues de la montagne qui menaçaient la progression. Ce fut le plan qu'en arrivant, eut à exécuter le général Silvestre. Le premier band prévu devait conduire à Sidi Driss, sur l'embouchure de l'Amekrane, à une dizaine de kilomètres vers le Nord d'Anoual. Situé sur la côte, la position à établir là bas formerait une base rapprochée, où lui viendrait ensuite, par la voie maritime, le gros de son ravitaillement.

Dans le numéro du Liberal du 23 septembre 1921, on peut lire :

« On ne s'expliquera pas en Europe comment une armée d 24 000 hommes avec son artillerie, ses aéroplanes et ses mitrailleuses ait pu être maltraitée par une horde de montagnards. Ceux qui comparent avec une légèreté inconcevable, pour nous consoler,l'évènement de Melilla à d'autres qui se déroulèrent dans la zone française, nous couvrent de ridicule. Précisément, en ce moment, a eu lieu un fait qui contraste rudement avec ce que les Espagnols lamentent : l'inauguration du chemin de fer de Taza à Fès qui traverse une vaste région peuplée par les tribus les plus guerrières de tout le Maroc. »

Ajdir est aujourd'hui la résidence d'Abd - el - Krim , l'organisateur du soulèvement de juillet dernier. Que se passe - t - il exactement entre Abd - el - krim et le général Silvestre ? Le général, beau sabreur, n'avait que du mépris pour ses adversaires et on peut supposer que des prétentions à une autonomie plus ou moins étendue du Rif central, ne devait pas trouver auprès de lui un accueil très favorable ; Abd - el - krim l'apprit à ses dépends, on a même raconté que le général le malmena rudement. Le cadet fut rappelé précipitamment à Madrid et revint à la maison paternelle d'Ajdir.

C'est peut - être à ce moment là que germa, dans l'esprit d'Abd - el - krim, l'idée de s'opposer à la marche en avant du Général Silvestre d'abord, pour se venger des mauvais traitements qu'il avait reçu et aussi pour essayer de conquérir par la force ce qu'on lui avait refusé : l'indépendances des Bén Ouaryaghel et la libre disposition des richesses du sous sol, dont les Allemands lui avaient appris à apprécier la valeur.

Si les Espagnols veulent rechercher quelles sont les origines du soulèvement qui débuta par la défaite de  Dhar Ouberran et eu son couronnement un mois plus tard, à Anoual, à Nador, à Selouane, à Mont Arruit, ils devront se donner la peine de remonter à une dizaine d'années, alors qu'ils marquaient le pas sur les rives du Kert et que les frères Manesmann, plus heureux prospectaient la région d'Al Huceima sous la protection du père d'Abd - el - krim.

Mémoires d'Abde el-krim[1]

Recueillies par Roger - Mathieu, sur le « Abda » qui le menait en exil :

« Mon père mourut à Ajdir. Son corps repose actuellement dans le sanctuaire de Sidi Mohamed Ben Ali...Les espagnols venaient d'occuper Dhar Ouberran, en pays Tamsamane, point stratégique et politique de toute première importance. Je me proposais sur le champ, de leur disputer cette position. La partie était risquée. Je disposais à cette heure, de 300 guerriers. Je revins me mettre à leur tête. Et malgré ma pauvreté en munitions, je déclenchais la contre attaque. Après un combat des plus durs, ma troupe réoccupa Dhar Ouberran.

Dans cette première grande bataille, les Espagnols avaient perdu 400 hommes dont 2 capitaines et 4 lieutenants. Quant au butin, il fut précieux pour nous : une batterie de 65 de montagne, des fusils Mauser tout neufs, environ 60 000 cartouches, des obus, des médicaments et des vivres de campagne ! Et vraiment tout cela n'était rien encore en comparaison de l'effet moral de cette victoire. Notre succès était si imprévu, si peu vraisemblable, que les Espagnols ne s'étaient même pas fortifiés à Dhar Ouberran. Et notre action avait été si rapidement menée que les troupes Rifaines ne comptaient pas plus de huit ou neuf morts, alors qu'ils en déploraient eux quatre cents. Encouragées par la victoire, nos troupes, maintenant voulaient attaquer. Et si bien, que de leur propre initiative, elles dessinaient déjà une offensive en direction d'Anoual et de Sidi Driss.

L'effet avait été considérable. Tandis que la population située dans la zone en retrait des troupes espagnoles, ayant vu la débandade de celle - ci s'apprêtait à la rébellion, toutes les autres fractions du pays Tamsaman se joignaient spontanément à nous. A cette heure commençait à se constituer le bloc rifain. Ne voulant pas succomber à l'erreur qui avait été funeste à nos ennemis, nous fortifions les positions conquises dont la ligne passe par Sidi Driss et devant Anoual et Tizi Azza.

Les Espagnols avaient massé à Igherriben, au Sud d'Anoual, une colonne extrêmement forte qui constituait en quelque sorte les avant postes de l'armée Sylvestre, dont le quartier général était à Anoual. J'étais informé que le ravitaillement des troupes espagnoles était défectueux, que peut - être même il ne s'opérait déjà plus, et que celles -ci n'avaient que pour quatre jours de vivres. Je savais aussi à quelle inquiétude elle était en proie, s'attendant d'une minute à l'autre, à voir  se soulever contre elle la population du pays qu'elle occupait. Pour accroître leur angoisse et rendre leu situation plus critique, je décide de couper leur communication avec Tizi Azza, leur base de ravitaillement. Et brusquement j'occupe la côte entre Anoual et Igherriben.

Effrayé des conséquences de cette manœuvre, le général Sylvestre ordonne immédiatement d'engager une opération désespérée, à gros effectifs. Il met en ligne environ 10 000 hommes, avec cavalerie et artillerie. Je ne dispose, moi, que de 1000 guerriers, mais, en seconde ligne, j'ai maintenant des réserves et l'appoint de tout le pays.

La bataille d'Anoual  va durer du 21 au 26 juillet 1921, menée par le seul courage et le bon sens. La bataille est acharnée. Chaque jour le général Sylvestre attaque, et de jour en jour avec plus de violence. Mais nos guerriers se sont fortifiés. Et ils ont un avantage capital : ils n'offrent pas de prises à l'ennemi, tandis que les Espagnols qui manoeuvrent en formations massives, éprouvent de lourdes pertes. Et tous les jours nous réalisons un riche butin.

Le 25 juillet 1921, manquant de tout, nos ennemis doivent évacuer Igherriben qu'ils avaient réussi à réoccuper un instant. La reprise de cette position nous procure des stocks imports d'armes et de munitions. Nous faisons là nos premiers prisonniers dans cette affaire, dix ou quinze, et nous ramenons des canons.

Chacun des combats livrés au cours de ces journées est cruel pour les Espagnols. Car afin de sauver le plus possible de matériel, ils contre - attaquent en se repliant et, chaque fois leurs pertes sont sévères.

Dans la matinée du 26, leur défaite apparaît inévitable. Le général Sylvestre donne l'ordre d'évacuer, non seulement Anoual, mais tous les postes de la région. Au fur et à mesure de notre avance, je me suis rendu compte qu'il avait dû y être condamné, sans doute moins par notre pression que par le soulèvement des tribus qui le prenaient à revers.

En effet, durant cette évacuation, il n'y eut pour ainsi dire point de baroud. L'armée Espagnole battait en retraite, littéralement affolée, dans un désarroi si complet que nos guerriers eux - mêmes avaient de la peine, en progressant si rapidement, à croire à la réalité de leur victoire, à la catastrophe où sombrait l'ennemi. Plus de cents postes tombent ainsi entre les mains de nos soldats !

Partout la campagne est jonchée de cadavres et de blessés qui se lamentent et qui rient grâce.

Les Espagnols se replient en désordre dans la direction de Melilla. L'enthousiasme de mes guerriers est à son comble, mais leur désir de vengeance est tel qu'il me faut les menacer de mort pour les empêcher de massacrer les blessés.

Le désastre d' Anoual nous rapportait 200 canons, 20 000 fusils, d'incalculables stocks d'obus et des millions de cartouches, des automobiles, des camions ; des approvisionnements en vivre à ne savoir qu'en faire ; des médicaments, du matériel de campement ; en somme l'Espagne nous fournissait, du jour au lendemain, tout ce qui nous manquait pour équiper une armée et organiser une guerre de grande envergure !

Nous avions fait 700 prisonniers. Les Espagnols avaient à déplorer 15 000 tués et blessés. Parmi les tués se trouvait un Espagnol que j'avais beaucoup aimé, le seul d'ailleurs qui m'eût compris : le colonel Moralès. Respectueusement, je fis transporter son corps à Melilla. On n'a pas manqué de dire par la suite, que c'était de ma part une habilité pour me rapprocher des Espagnols. Il ne s'agit là que du suprême hommage à un ennemi intelligent et loyal. Tout autre commentaire serait indigne de lui et de moi.

Quant aux conditions de la mort du général Sylvestre, qui succomba au cours de la bataille avec son état - major, je ne les connais point. C'est un petit Rifain qui vint nous informé qu'il avait découvert le corps d'un général tombé au milieu de ses officiers, et il me remit son ceinturon et ses étoiles. Quand je parcouru le terrain, à la fin du combat, il me fut impossible sur ses indications, de retrouver le corps et d'identifier les restes du général.

Nous dirigeâmes les prisonniers, partie sur Anoual, partie sur Ajdir. Et durant les premiers temps de leur captivité, c'est grâce à l'énorme ravitaillement pris à l'ennemi que nous avons pu les nourrir et leur éviter des privations.

A l'issue de la bataille de Mont -Aruit , j'étais parvenu sous les murs de Melilla[2]. Je m'y arrêtai. La prudence s'imposait. Avec la dernière énergie, je recommandais à mes troupes et aux contingents nouveaux venus de ne point massacrer ni maltraité les prisonniers. Mais je leur recommandais, aussi énergiquement, de ne pas occuper Melilla, pour ne pas créer des complications internationales. De cela je me repends amèrement. Ce fut ma grosse erreur. Oui, nous avons commis la plus lourde faute en n'occupant pas Melilla ! Nous pouvions le faire sans difficulté. J'ai manqué ce jour là, de clairvoyance politique nécessaire. Et à plus ou moins longue échéance, tout ce qui a suivi a été la conséquence de cette erreur.»

Au sommet du Jbal Qama,les rifains firent le grand serment de demeurer unis et de se battre jusqu'au bout. Les auteurs du serment d'El Qama, « frappaient » ainsi la première effigie du chef de guerre, qui deviendrait Abd el krim de l'histoire.

Abdelkader Mana

[1] Bien au-delà de l'oued Kert, dans la tribu des Metalsa, où s'est replié le Chérif Mohamed Amezian, en novembre 1909, l'Espagne disposait de deux bases insulaires qui lui servaient d'observatoires : le rocher de Badis et celui de Nokour. De celui-ci surtout, au territoire des Beqqioua et des Beni Ouaryaghel tout proche, avait fini par s'établir ouvertement un va et vient de marchandises et de personnes qui, en plus des nouvelles qu'il permettait de recueillir, faisait,en soi, par ses fluctuation, office de baromètre de l'attitude Rifaine vis-à-vis de l'Espagne. La fraction Aït Khattab des Beni Ouariaghel se situe précisément, autour de la bourgade d'Ajdir, exactement en face de l'îlot de Nokour.

[2] Un fait nouveau, que ni les chefs militaires en poste au Maroc, ni les autorités péninsulaires n'ont estimé à sa juste valeur, change les données de l'affrontement : la capacité de résistance des Rifains s'est décuplée avec l'entrée en jeu, après la mort de son père d'un nouveau chef de grande envergure, Abd el krim. Et bientôt se produit le desastre.

[3] Pendant que le général Beranguer progressait sur la côte Ouest, le général Fernandez Silvestre avait pour mission d'avancer depuis Melilla vers Al Huceima.

11:17 Écrit par elhajthami dans Le couloir de Taza | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le couloir de taza, histoire, guerre du rif | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

22/04/2010

La Bataille d'Anoual

La bataile d'Anoual

CIMG0656.JPG

La victoire éclatante d'Abd-el-krim à la bataille d'Anoual, fut partout interprétée comme une revanche non seulement du Rif sur l'Espagne, mais de tout le monde musulman opprimé sous le joug colonial. Jusqu'en Perse on applaudit à la ténacité de ses montagnards contre les troupes européennes.

La bataille d'Anoual a suscité l'intérêt des historiens du monde entier. C'est la bataille où une des plus puissantes armées de l'époque fut écrasée. Il faut savoir qu'au début du vingtième siècle le colonialisme espagnol était une puissance au niveau mondial. Malgré cela, les combattants d'Abd El Krim et de la région toute entière, ont réussi lors de cette bataille a apporter la preuve qu'on peut vaincre le colonialisme, en luttant  pour l'indépendance de son pays. Ce fut naturellement le cas aussi dans les autres villes et régions marocaines.

Pour les milieux coloniaux, le désastre d'Anoual reste inexplicable. Le Libéral, du 23 septembre 1921 écrit :

« On ne s'explique pas en Europe comment une armée de 24 000 hommes, avec son artillerie, ses aéroplanes, et ses mitrailleuses ait pu être maltraitée par une horde de montagnards. Le désastre d'Anoual a eu de telles conséquences, qu'on peut sans exagération aucune, le considérer comme un des évènements les plus importants de l'histoire de l'Espagne de ces cinquante dernières années. »

Pour le général Luque, il n'y a pas d'exemple dans toute l'histoire Espagnole, d'un désastre comme celui d'Anoual.

Après ce désastre, Primo de Rivera parvint à la conclusion qu'Abd el krim est un danger pour la présence coloniale européenne dans tout le Maghreb.

CIMG0653.JPG

Le Rif se caractérise par des vallées compartimentées et surpeuplées, où les cultures ne suffisent pas aux besoins et contraignaient une grande partie des montagnards à l'émigration. On n'a pas ici de villages au sens habituel du mot, mais seulement des maisons dispersée « comme des étoiles dans le ciel ». Cette forme de la vie humaine matérialise sur le terrain, l'esprit d'indépendance et la fierté des Rifains.

Dans le dialecte marocain, Rif signifie rive, côte ou bordure ; on dit par exemple, « le rif d'un campement pour indiquer les tentes qui forment la bordure extérieure de ce campement, celles qui sont le plus près de l'ennemi et protègent le camp. Si l'on ajoute à cela que le mot Rif n'a été employé, pour désigner une partie de la côte de la Méditerranée, qu' à partir du règne des Mérinides, on peut se demander si ce mot, n'était pas compris comme l'équivalent de ligne de défense, de boulevard de l'islam contre la chrétienté.

Pour Léon l'Africain, le Rif « est une région du Royaume de Fès, qui s'étend en longueur des colonnes d'Hercule au Fleuve Nekour et en profondeur de la Méditerranée aux montagnes voisines de l'Ouergha. ».

Depuis les Mérinides le terme « Rif » désigne, toute la côte Nord du Maroc faisant face à l'Andalousie reconquise par les chrétiens. Il semble que c'est à partir des Mérinides que la confédération rifaine s'est formée et que, devant les attaques des chrétiens par mer, a été constitué un Rif ; c'est-à-dire une ligne extérieure de défense pour couvrir Fès.

Comme ailleurs au Maroc, les paysans sédentaires rifains ont conservé l'usage de l'antique calendrier julien, le long duquel s'égrènent les actes et les rites de la vie agricole : l'époque magiquement propice aux labours, les périodes néfastes où il faut se garder de travailler le sol, le moment des bénéfiques pluies de Nisân , l'instant heureux des moissons , et enfin le jour de la « mort de la terre », après lequel tout est brûlé ;  mort jusqu'à la résurrection aux  premières gouttes de la pluie automnale.

Le cheikh Moussa est actuellement le plus célèbre à Nador. Il est accompagné de l'Azemmar, une sorte de biniou, munit de deux cornes d'antilopes. On appelle le chant rifain «  izri « (pluriel ; « izran »). En voici un qui fut composé, en 1911, à l'occasion de la mort du Chérif Mohamed Ameziane, le chef de la résistance rifaine contre l'Espagne, au début du 20ème siècle :

Sidi Mohamed Ameziane est mort !

Nous ne pouvons honorer son tombeau

L'ennemi ayant  emporté sa dépouille

Dans les villes pour la photographier !

Par Dieu ! Ô Mouh fils de Messaoud !

Rends nous son corps afin que nous le vénérions !

Sidi Mohamed Ameziane qui avait levé l'étendard de la guerre sainte contre les espagnols, tomba dans une embuscade avec trente de ses compagnons. Son corps n'ayant pas été retrouvé, le bruit couru dans le Rif que les chrétiens avaient emporter sa dépouille pour l'exposer dans leur pays et la photographier.

La bataille d'Anoual,  eut lieu en 1921. La stratégie utilisée par Abd El Krim durant cette bataille est un secret bien gardé. Encore aujourd'hui, l'armée espagnole mène des recherches sur les causes du désastre qu'elle avait subi à cette bataille . Ce désastre suscita une grande colère contre l'armée espagnole, de la part du gouvernement de Madrid, et du roi Alphanso. La stratégie qui avait conduit à la victoire d'Abd el Krim est considérée à juste titre comme un fait historique marquant du 20ème siècle.

Dans une interview paru dans le « Telegrama » du 7 avril 1921, le général Silvestre déclare :

« Nous allons ce printemps franchir la ligne qui sépare les bassins de l'oued Nokour et l'oued Amekrane. Certaines fractions Beni Wariyaghel voudront probablement nous barrer le passage, et il faudra alors livrer bataille. Mais dés que nous aurons atteint l'autre versant, nous gagnerons très vite la baie d'Al Huceima qu'on peut considérer comme un fruit mûr. »

Les espagnoles avaient pénétré à partir du rocher de Nokour. A travers les Béni Wariyaghel. Ils ont aussi pénétré à partir de Melilla. C'est ce qu'on nous racontait. Lors de leur avancée, ils furent combattus par les Metalsa, les Temsaman, et les Béni Waryaghel. Tous combattaient les espagnols, d'après ce qu'on nous racontait. Ils les combattaient à chaque étape de leur avancée. Les envahisseurs s'approchaient de Aïn Zorah, et c'est là que leur avancée était brisée. Ce fut le cas aussi à Aruit. D'après ce qu'on nous raconte, Aruit fut un désastre pour les espagnoles. Un dicton dit : « Oued Aruit ruisselle de sang. »

Durant sept ans, entre 1912 et 1919, deux progressions eurent lieu vers le sud : sur les étendues plates des Bni Bou Yahi et de leurs voisins Metalsa. Le territoire conquis est maintenant parsemé de positions, de garnisons, de points de colonisation que reliaient, des routes, des pistes et même une voie ferrée, offrait pour la manœuvre toutes les ressources dont peut user la stratégie. Beranger avait, dés 1919, dressé un plan pour une occupation de la région. On le voit ici, en compagnie de ses collaborateurs dont le future Maréchal Franco.

Un vieux rifain originaire de la tribu des Metalsa, partie prenante de la bataille d'Anoual se souvient:

- Les Metalsa est une grande tente du Maroc. Ils sont connus pour leur courage, leur Jihad, leur dignité. Ils sont agriculteurs et éleveurs. Abd el Krim était un homme de foi. Les espagnoles étaient venus occuper « Dhar Ouberran » avec une grande armée. Abd el Krim s'adressa alors à la communauté : « levez vous, le temps de la guerre sainte est arrivé ! ». Tout le monde l'avait suivi, personne n'était resté sourd à son appel.

A la veille de la bataille d'Anoual, on assiste au défilé d'une colonne Beranger, à Dar Driouch. A partir de cette position, les espagnols avaient le contrôle de l'oued Kert , où s'était replié le chérif Mohamed  Ameziane, en 1919. Les Espagnols envisageaient de relier Melilla à la baie d'Al Huceima par voie de terre.. Pour leur barrer la route, fin janvier 1921, des combattants Beni Ouariyaghel vinrent s'établir sur la hauteur du Jebel El Qama. Un poème rifain de l'époque relate ces manœuvres espagnoles :

Le roumi fait souga, il a pris Tizi Azza.

Il veut faire le thé, avec de l'eau d'Oulma,

Moujahidines au combat !  À quoi bon la vie.

Le plan Beranger que devait exécuter en arrivant le général Silvestre, consiste en un premier bond qui devait conduire à Sidi Driss, sur l'embouchure de l'Amekrane, à une dizaine de kilomètres vers le nord d'Anoual. La position formerait une base rapprochée, où lui viendrait ensuite, par voie maritime, le gros de son ravitaillement.

C'est ici, à Sidi Driss que certains notables avaient accueilli, les généraux Silvestre et Navarro, ainsi que le colonel Moralès.

Les premiers débarquements de l'artillerie eurent lieu à la plage d'Afraou à l'Est de Sidi Driss. A partir de cette position, les espagnoles prirent d'assaut, le piton de « Dhar Oubarran », qui surplombe à la fois les rivages et l'intérieur du pays.

Sur le « Abda », le navire qui le menait vers l'exile, Abd el krim, raconte en ces termes, l'épisode de « Dhar Ouberran », la première grande victoire des rifains :

« Les espagnols venaient d'occuper Dhar Ouberran, en pays Tamsamane, point stratégique et politique de toute première importance. Je me proposais sur le champ, de leur disputer cette position. La partie était risquée. Je disposais à cette heure, de 300 guerriers. Je revins me mettre à leur tête. Et malgré ma pauvreté en munitions, je déclenchais la contre attaque. Après un combat des plus durs, ma troupe réoccupa Dhar Ouberran. »

C'est le général Silvestre qui dirigeait les opérations, côté espagnol.

« Dans cette première grande bataille, relate Abd el krim,  les Espagnols avaient perdu 400 hommes dont 2 capitaines et 4 lieutenants. Quant au butin, il fut précieux pour nous : une batterie de 65 de montagne, des fusils Mauser tout neufs, environ 60 000 cartouches, des obus, des médicaments et des vivres de campagne ! Et vraiment tout cela n'était rien encore en comparaison de l'effet moral de cette victoire. Notre succès était si imprévu, si peu vraisemblable, que les Espagnols ne s'étaient même pas fortifiés à Dhar Ouberran. Encouragées par la victoire, nos troupes, maintenant voulaient attaquer. Et si bien, que de leur propre initiative, elles dessinaient déjà une offensive en direction d'Anoual et de Sidi Driss. »

En ce qui concerne « Dhar Ouberran », qui se situe dans la commune de Bou Dinar ;le nom de cette montagne signifie « la huppe du perdreau », parce que seul son sommet est couvert d'arbres faisant penser à la tête huppée de cet oiseau..

Pourquoi le nom de cette montagne est souvent cité par l'histoire ? C'est parce qu'il était la première position occupée par le colonialisme espagnol dans le Rif. Cette montagne surplombe la Méditerranée d'un côté et le Rif de l'autre, du fait qu'elle est assez haute. A l'époque les espagnoles avaient cru qu'en occupant cette position, ils allaient dominer la région entière.

« Ayant vu la débandade espagnole, poursuit Abd El Krim, les autres fractions Tamsamane, se joignirent à nous : le bloc rifain se constituait. »

Quiconque occupe cette position, domine toute la région : c'est un balcon sur la Méditerranée d'un côté, et sur toute la province de Nador de l'autre. Une position stratégique très importante. C'est là que les rifains avaient récupérer les armes sur l'ennemi : les armes pris aux espagnols à « Dhar Ouberran » ont permis par la suite de mener la bataille d'Anoual.

Au sommet du Jbal Qama,les rifains firent le grand serment de demeurer unis et de se battre jusqu'au bout. Les auteurs du serment d'El Qama, « frappaient » ainsi la première effigie du chef de guerre, qui deviendrait Abd el krim de l'histoire.

Deux rivières délimitent le Rif proprement dit : oued Kert, du côté de Driuch et de Bni Saïd , qui se déverse en Méditerranée, juste à côté d'El Huceima. L'autre oued est celui de  Nokour. Juste à côté de ce dernier coule une petite rivière du nom de oued « Bou Kidane », qui signifie « rivière de bois ». Selon un habitant du cru "Cette rivière a connue l'un des stratagèmes d'Abd el krim : des soldats espagnols qui tentaient de la traverser  s'y noyèrent avec leurs chevaux et mulets. On lâcha un barrage d'eau et de troncs d'arbres qui les renversèrent et les noyèrent avec leurs montures : depuis lors on appela ce oued « la rivière de bois ».

Le lendemain de leur premier combat, les vainqueurs d'Ouberrane, s'étaient portés sur Sidi Driss, position avancée de Silvestre. Inaugurant une tactique qui deviendra la règle : tirailler le jour durant, puis monter à l'assaut la nuit. Mais soudain, vers trois heures du matin, ils cessèrent le combat. C'est qu'ils étaient pressés de s'en aller passer en famille, la nuit du destin, sacrée entre toutes.

La suite des évènements est racontée en ces termes par Mohamed Ben Abd el krim :

« Les Espagnols avaient massé à Igherriben, au Sud d'Anoual, une colonne extrêmement forte qui constituait en quelque sorte les avants postes de l'armée Sylvestre, dont le quartier général était à Anoual. J'étais informé que le ravitaillement des troupes espagnoles était défectueux, que peut - être même il ne s'opérait déjà plus, et que celles -ci n'avaient que pour quatre jours de vivres. Je savais aussi à quelle inquiétude elle était en proie, s'attendant d'une minute à l'autre, à voir  se soulever contre elle la population du pays qu'elle occupait. Pour accroître leur angoisse et rendre leu situation plus critique, je décide de couper leur communication avec Tizi Azza, leur base de ravitaillement. Et brusquement j'occupe la côte entre Anoual et Igherriben. »

« Effrayé des conséquences de cette manœuvre, le général Sylvestre ordonne immédiatement d'engager une opération désespérée, à gros effectifs. Il met en ligne environ 10 000 hommes, avec cavalerie et artillerie. Je ne dispose, moi, que de 1000 guerriers, mais, en seconde ligne, j'ai maintenant des réserves et l'appoint de tout le pays. »

Le 22 juillet 1921, le général Sylvestre décide de se replier de la base d'Anoual, vers la base arrière de Ben Taieb. A la sortie du camp d'Anoual, les « Régularès », formés de mercenaires rifains, ouvrent le feu en tirant dans le tas. Un tirailleur espagnol raconte :

« à l'entrée du défilé, l'afflux des unités auxquels étaient mêlés des cavaliers perdus, des attelages et des camions autos, ainsi que des mulets chargés de leurs blessés, créa dans cet étranglement, un tel embouteillage, qu'il ne fut plus possible d'organiser la marche ou de refaire les rangs. Epuisées et privées de ressort, nombre de bêtes tombaient dans les ravins. Des véhicules tombaient en panne. D'autres s'étaient brisés sur les tranchées creusées par l'ennemi à travers la route. Autant d'obstacles qui entravaient la marche. Or plus  avant la route s'enfonça dans le creux d'un ravin sablonneux où les pas soulevèrent une mer de poussière. C'est là que fut atteint le comble du désordre. Les indigènes du voisinage avec certains de nos soldats rifains, venaient tirer hors du chemin, des mulets et des hommes, puis ils les emmenaient raflant aussi des armes dont  bien des nôtres, exténués, se défaisaient d'ailleurs d'eux - mêmes. Jusqu'aux femmes mauresques qui prenaient part à ces pillages et à ces rapts. » Défection de tous les mercenaires, soit un bon tiers de l'effectif, passé à l'ennemi, et devenu son fer de lance. Ben Abd el krim dira qu'il retrouva parmi les morts, le corps de « son ami », le Colonel Gabriel Morales, mais non celui du Général sylvestre, dont plus personne n'a jamais retrouver la trace. Le régiment de cavalier fraîchement arrivé, fut lui-même entraîné par le flot qui déferle sur Ben Taieb. Delà il ne restait qu'une dizaine de kilomètres pour aboutir à Dar Driouch, position bien fortifiée, dotée d'une suffisante garnison, avec des munitions et de l'eau du Kert qui coulait à portée. Les fuyards n'étaient pas encore parvenus à Dar Driouch, que la rumeur de leur mésaventure avait déjà atteint chaque recoin du Rif et y sonnait comme un tocsin. La ligne défensive qui assurait la maîtrise de la tribu Beni Saïd  et de la partie Nord de celle des Metalsa, se disloqua. Les autres positions jalonnant cette ligne, de Tleta Boubker, à l'extrémité sud , à Kendousi au nord, puis à Dar Kebdani, connurent également une fin tragique."

Au sortir de Driouch, la traversée de l'oued Kert ne pu se faire le 23 juillet 1921 que sous un feu nourri, au prix de grosses pertes. A Tiztoutine, à l'instar d'Anoual, les hommes de la Policia, embusqués maintenant sur les hauteurs environnantes, ils opérèrent contre les arrivants un mitraillage en règle. Pour tout le reste, ce ne fut plus qu'un sauve - qui - peut, avec pour seul but les murs de Melilla. Mais seuls y parviendraient, miraculeusement, de rares survivants. Les autres auraient fini ou massacrés, ou morts d'épuisement.

Dés le 23 juillet, la plus grosse position, celle de Dar Kebdani, chez les Beni Saïd, fut cernée de si près qu'elle demeura privées d'accès à ses points d'eau. Une fois sa reddition acquise, et les armes livrées contre la vie sauve, la garnison fut massacrée hormis les officiers. De même au sud dans la tribu des Metalsa, la garnison de Tleta Bou Beker fut attaquée dés le 23, par la population locale. Elle chercha son salut dans la fuite, vers la zone française toute proche. Elle parvint à y trouver refuge, même si durant son court trajet, elle dût abandonner des morts, des blessés et ses armes. Des dizaines d'autres positions connurent le même sort. En trois ou quatre jours la rébellion gagna Selouan et Nador, puis les faubourgs de Melilla.

Le 9 août 1921, l'accord conclu entre Navaro d'une part et les Metalasa et Beni Bou Yahi d'autre part, stipule, que la garnison devait livrer ses armes, Moyennant quoi elle pourrait librement évacuer la position, et sa retraite s'effectuera sous bonne escorte jusqu' à Melilla. Toujours est - t - il qu'à l'heure où l'on se mit à désarmer la troupe, tout un groupe d'officiers se forma autour du général, à la sortie du camp. Des notables rifains s'approchèrent et nouèrent avec eux le contact. Puis, en causant, et sans en avoir l'air, ils les menèrent en quête d'un peu d'ombre, vers une petite gare, seul lieu couvert des environs. Pourtant le vrai mérite des murs de ce refuge, fut de leurs épargner le spectacle fâcheux qu'aurait été pour eux la mise à mort de leurs soldats, tous leurs soldats, jusqu'au dernier. Quand à eux, officiers, avec leur général, pris en croupe par des cavaliers « maures », ils chevauchèrent, captifs, mais saints et saufs, vers un meilleurs destin.

Franco fait partie des troupes appelées en renfort, pour défendre Melilla.De là, il assistera impuissant à la chute de Mont Aruit, le 9 août 1921. Le général Navarro assiégé à mont Aruit finit par se rendre. Les rifains pénètrent dans la place et font 3000 morts.

Notre vieux temoins -cle Metalsa raconte : "Au Maroc, les Metalsa étaient des meilleurs. C'était des éleveurs et des cavaliers. C'était des gens hospitaliers. Ce sont des combattants fidèles. Tous les Metalsa étaient ainsi. Ils font de l'agriculture et de l'élevage.Quand les Espagnole sont arrivées à Aruit, ils y sont entrés grâce aux Guelaya et un frère des Aït Bou Yahi. C'est d'ici, de Aïn Zorah que les Metalsa étaient partis . Les avaient rejoint à Aruit, les Aït Bou Yahi, en particulier leurs combattants d'Afsou. Ils avaient décidé d'interdire l'établissement des espagnols à Aruit, disant au Guelaya : établissez les espagnols chez vous, pas chez nous ! Celui qui s'était rallié aux espagnoles leur dit : laissez moi d'abord terminer mon déjeuner. Mais les Moujahidînes de Aïn Zorah lui coupèrent la tête( pour punir sa trahison ). Ils l'ont amputé d'une main qu'ils accrochèrent au bout d'un piquet aux tentes des combattants d'Afsou. Ils l'avaient piégé, ne lui laissant aucune chance (d'en réchapper). Les espagnols s'enfuyaient en se réfugiant au dessus des meules de paille, qu'on incendia. La rivière de Selouan ruisselait de sang.Lors de la bataille d'Aruit, y pénétrèrent les Guelaya et un frère des Aït Bou Yahi. Les combattants l'ont décapité. Les combattants Metalsa et Aît Bou Yahi, lui dire : ne reste pas ici, retourne d'où tu est venu(avec les espagnols). Il leur avait dit : laissez moi déjeuner avant de repartir.Ils lui dirent : d'accord, on te fera pas de mal. Dés qu'il avait déposé ses armes pour déjeuner, ils se jetèrent sur lui. Alors, la rivière de Selouan se mit à ruisseler de sang."

Dés le début du siège, le 1er août 1921, Abd el krim a recommandé de capturer les armes, mais de laisser les hommes en vie. La réponse des Métalsa et des Bni Bou Yahi fut un « non » catégorique.

" Le colonialisme espagnol est arrivé chez nous le long du chemin qui relie Anoual à Driuch, et ils s'étaient établis dans l'actuelle commune de Bou Bker, où existe encore les vestiges de leur caserne, raconte le vieux temoinsMetalsa . Là se trouvait effectivement un bataillon composé de 1200 soldats. Ordre leur a été donné de rejoindre la zone occupée par la France. Ils devaient quitter Bou Bker en longeant les montagnes, à l'ombre desquelles ils devaient se dissimuler pour fuir. Mais nos aïeuls et ancêtre étaient prêts à les affronter. Mon grand père est mort, ainsi que mes oncles, lors de cette confrontation. Nous eumes beaucoup de blessés dans notre famille.Lorsque le bataillon espagnol s'est approché de la frontière qui séparait la zone espagnole de la zone française, la fraction des combattants de Tizrout Ouzak, s'est mise au travers de leur chemin. Aidées des nôtres, ils ont repoussé les espagnols dans un retranchement dénommé « Aqrab » (musette). Une grande étendue vide. De tout le bataillon espagnol, avec ses armements, rares sont ceux qui ont pu s'échapper : 50 à 60 soldats espagnols. Quant aux autres, tous les autres ont été massacrés. Du bataillon espagnol, environ 900 ont péris, et n'ont pu s'enfuir en zone française qu'une soixantaine. Depuis lors cette parcelle a été délaissée durant une quinzaine d'année : on n'y laboure pas, on n'y pâture pas. On n'est jamais plus repasser par là."

Sous le titre « Abd el Krim, le mystérieux », le correspondant du Bulletin de l'Afrique Française à Madrid, écrit le 5 septembre 1921 :

« Le personnage devient de plus en plus énigmatique et on a bien du mal à comprendre comment le commandement de Melilla ne se préoccupe pas plus de le surveiller ou de s'en faire un auxiliaire.Des faits très caractéristiques permettent de se rendre compte qu'on ne se trouve pas en face d'un fanatique vulgaire, préoccupé surtout de rapines faciles, aidé de son frère, qui étudia durant trois ans, à Madrid, pour préparer son entrée à l'Ecole des Ingénieurs de Mines, il donne l'impression de s'efforcer de donner aux hordes rifaines une organisation inusité dans ces régions. Il tient à donner à ses adversaires l'impression qu'il est  au courant des usages de la guerre entre pays civilisés : les prisonniers sont bien traités et ont toute la liberté pour donner des nouvelles à leurs familles ; lorsqu'il rend le cadavre du colonel Morales ; avant de faire déposer son cercueil sur la petite plage de Sidi Idris, il le fait envelopper d'un drapeau espagnol et ordonne de saluer la dépouille mortelle du malheureux chef de la police indigène par des salves et les marins de la canonnière espagnole le voient s'incliner dans un dernier salut à celui qui fut son ami avant de devenir son adversaire. C'est à Abd-el-Krim et grâce à l'escorte qu'il envoya à Mont Arruit, que le général Navarro doit d'être encore vivant.»

Un télégramme publié par le Temps de Paris du 22 août 1921, souligne que « les réfugiés espagnols continuent à franchir journellement la frontière par petits groupes. Beaucoup parmi eux sont blessés, et ceux qui ne peuvent pas être dirigés immédiatement sur Oran pour être rapatriés sont soignés dans les hôpitaux de Taourirt, de Guercif et d'Oujda. »

Un article publié le 17 août 1921 dans El Liberal, écrit sous le titre « le présent et l'avenir » :

« Nous sommes dans le Rif depuis le 24 juillet, dans une plus mauvaise situation que lorsque nous signâmes le traité de 1912. Nous avions comme gage de notre capacité de l'œuvre à accomplir, conjointement avec la France, tous ces territoires conquis durant les campagnes de 1909 et 1911, Guelaya, Kebdana,Bni Sicar. Aujourd'hui ces territoires nous sont complètement hostiles.

Les contingents espagnols qui se trouvaient à proximité de la Moulouya durent se réfugier à l'abri des postes français installés sur la rive droite. Et ces contingents nous ont été rendu, venant d'Oran, en un exode qui nous fait rougir. Les contingents de l'intérieur furent anéantis. Sur le cours moyen de la Moulouya et dans la région de Taza, une menace s'élève contre la tranquillité - relative si l'on veut- des Français. Pourrons nous, oui ou non faire honneur à nos engagements ? Aujourd'hui, notre idéal doit se limiter à doter Melilla d'un hinterland qui ne peut être que celui marqué sur les cartes par la ligne du Kert.»

Un communiqué de l'armée espagnol annonce qu' « on se trouve dans notre zone comme dans la zone française, devant un soulèvement général des tribus. »

L'attaque d'Igherriben précéda la débâcle d'Anoual.

Voici ce qu'on peut lire, entre autres, sur un document affiché, par les soins des Rifains, au nom de l'assemblée musulmane du Rif, dans la mosquée de Tanger, le 21 juillet 1921 :

« Si vous pouviez voir vos frères sur les champs de bataille, les uns morts, les autres blessés, vous verseriez des larmes de sang, vous n'hésiteriez pas à venir à leur aide. Nous voyons les Espagnols s'aider les uns les autres et ce sont des infidèles et des gens injustes, et nous ne voyons personne nous venir en aide, nous qui avons la vraie foi. Ne faisons nous pas la guerre dans la voie de Dieu ? Notre conduite n'est - elle pas conforme aux préceptes de l'Islam ? Notre dignité et la vôtre ne sont - elles pas une seule dignité, comme notre honte et la vôtre une même honte ? Où sont vos Oulémas ? Ô Oulémas, n'êtes vous pas les héritiers des Prophètes ? A quoi pensez vous ? Y - t - il quelques doutes au sujet de Dieu ? Comment vous excuserez vous demain devant Dieu, si vous êtes de ceux qui par crainte, négligent la guerre dans la voie de Dieu ...S'il vous est difficile de venir à notre aide, ô musulmans, adressez vous à l'émir des croyants, Notre Maître Youssef, pour qu'il nous fournisse les approvisionnements nécessaires à l'accomplissement de notre œuvre ; qu'il nous applique les lois qu'il voudra et par l'intermédiaire de quelle nation il voudra, sauf l'Espagne.. »

« A l'issue de la bataille de mont Arouit, raconte Abd el Krim, j'étais parvenu sous les murs de Melillia. La prudence s'imposait.

Avec la dernière énergie, je recommandais à mes troupes de ne point massacrer ni maltraiter les prisonniers. Mais je leur recommandais aussi énergiquement, de ne pas occuper Melilla, pour ne pas créer des complications internationales. De cela, je me repends amèrement. Ce fut ma grosse erreur. Oui, nous avons commis la plus lourde faute en n'occupant pas Melilla ! Nous pouvions le faire sans difficulté. J'ai manqué ce jour là de clairvoyance politique nécessaire. Et à plus ou moins longue échéance, tout ce qui a suivi, a été la conséquence de cette erreur.

Abdelkader Mana

13:57 Écrit par elhajthami dans Le couloir de Taza | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le couloir de taza, histoire, documentaire, la guerre du rif | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook