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14/11/2009

Amine Maalouf

L’invité du lundi

 

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Amine Maâlouf

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Le Maroc est un pays qui a su préserver l’essentiel

 

 

Entretien réalisé par Abdelkader MANA

 

       «  où Léon l’Africain passe, la tragédie passe. Là où Léon l’Africain passe, l’histoire se fait. On a dit également cela de Malraux ». C’est en ces termes que Moulay Ahmed Alaoui, qui partage avec l’auteur sa passion pour l’histoire, avait conclu la soirée de présentation de l’ouvrage consacré à Hassan ben Mohamed Al Wazzan al Gharnati, al Fassi, dit Léon l’Africain. C’était en effet, un homme exceptionnel qui témoigne d’une époque exceptionnelle : la chute de Grenade, la naissance de la dynastie saâdienne, l’avènement de l’empire Ottoman , la renaissance italienne, le sac de Rome. Bref un tournant dans l’histoire de l’humanité. C’est beaucoup pour la vie d’un homme qui en vient à conclure à ses moments de contemplation et de promenades silencieuses : « Périssables toutes les cités, carnassiers tous les empires, insondable la province ».

 

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          Amine Maâlouf – journaliste de profession – ne veut pas être seulement l’historien de l’éphémère, il veut embrasser les profondeurs historiques du pourtour méditerranéen ; seule dimension qui mérite à ses yeux d’être éternisée par l’historien rationnel, le conteur oriental et le romancier occidental qu’il est à nos yeux. Donc, sur les traces de ce reporter avant l’heure – qu’était Léon l’Africain – Amine Maâlouf fait un long voyage à la fois imaginaire et réel : à travers les rayons de bibliothèques et des manuscrits qu’il ramène à la vie. Mais aussi à travers des villes comme Grenade, Fès, Constantinople, le Caire ou Rome. Il était devenu inutile d’aller à Tombouctou – autre lieu d’exotisme visité par Léon l’Africain – puisqu’elle était devenue méconnaissable à force de sécheresse.

 

       Cette enquête de près de quatre ans avait pour but de nous restituer, par la fraîcheur des images et la saveur des mots, un monde révolu qui fut le théâtre de bouleversements dont les conséquences se firent sentir jusqu’à notre époque. Dans cette entreprise de restitution ; Amine Maâlouf a tellement bien réussi son travail de « réanimateur » qu’on pourrait tirer de son livre, un film grandiose digne de ce qu’on avait fait de « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo, ou de « Guerre et Paix » de Tolstoï, un classique.

 

     Il nous montre à l’œuvre par le sublime de la poétique et le savoureux du verbe, la dérive des empires, leur grandeur et leur misère. Alors que la houle d’hiver s’élève majestueuse pour finir en écume, au bord du rivage ; il nous accueilla par le sourire serein de ceux qui ont l’habitude de sonder les profondeurs. En somme, c’est un enfant prodigue du Liban meurtri qui nous accueilla. Nous fûmes séduit, tellement son verbe est beau, tellement sa connaissance de l’histoire est profonde. Après l’interview, nous le quittâmes confondu ne sachant s’il faut admirer le chroniqueur défunt ou le romancier vivant.

 

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Cistre de l Alhambra de Grenade

 

Maroc – Soir : Léon l’Africain faisait « du terrain » comme on dit en ethnologie. Il a écrit un récit de voyage. Mais comment définir votre travail sur Léon l’Africain ?

 

            Amine Maâlouf : Léon l’Africain a essayé de faire une description de l’Afrique. Son œuvre s ‘intitulait « Description de l’Afrique tierce partie du monde ». Il voulait au départ faire une description de l’Europe, puis de l’Asie et le troisième volet devrait être l’Afrique. On ne sait pas s’il a eu le temps d’écrire ses deux autres ouvrages. Mais en tout cas, ce qui nous est resté, c’est « la description de l’Afrique ». J’ai essayé de raconter la vie et les voyages de ce personnage, en m’inspirant en premier lieu de ce qu’il a écrit lui-même. En me basant également sur les recherches qui ont été menés récemment, sur Grenade à la fin de l’Espagne musulmane, sur Fès et la vie quotidienne, sur le Caire, Tombouctou, Constantinople, Rome…

 

Maroc – Soir : Est – ce que vous avez visité ces villes ?

 

       Amine Maâlouf : Je connais en fait toutes ces villes à l’exception  de Tombouctou. J’avais envie d’y aller, un peu dans le processus de préparation de ce livre. Mais je n’ai pas eu l’opportunité, surtout qu’on m’a expliqué – les gens connaissant bien la ville ; les Maliens notamment – que la ville ne ressemblait en rien à ce qu’elle pouvait être au XVIè siècle, parce qu’elle a souvent été détruite depuis, par des incendies. L’un des incendies les plus dévastateurs s’est d’ailleurs passé pendant que Léon l’Africain visitait cette ville vers 1512 – 1513. Ce que j’aurai vu aurait été assez trompeur ; c’est donc la seule ville importante que je décris, parmi les grandes étapes de ce voyage, que je ne connaisse pas. Les autres je les connais, mais je ne peux pas dire que j’ai travaillé sur le terrain. Je me suis basé, chaque fois que c’était possible sur ses propres récits de voyages pour compléter et puis sur des études récentes.

 

  Maroc – Soir : Pourtant de votre travail se dégage l’impression d’un judicieux dosage entre l’exigence de la vérité historique, de la rigueur scientifique et l’impératif esthétique de la littérature. Vous ne tombez pas dans le discours rébarbatif comme on en a l’habitude dans les sciences humaines…

 

            Amine Maâlouf : J’ai essayé de raconter une histoire avant tout et de raconter une époque. C’est l’histoire d’une époque très mouvementée ; de grands empires se sont effondrés, d’autres se sont épanouis. Je pense que l’histoire et la vie quotidienne, peuvent être racontés d’une manière qui puisse être spécialisée. Tout est dans la manière de présenter.

 

Maroc – Soir : Comment s’est opéré chez vous le passage des sciences humaines à la fascination pour l’art et la littérature ?

 

           Amine Maâlouf : Je dois reconnaître que quand j’ai commencé à travailler sur Léon l’Africain – il y a quatre ans maintenant – il y a eu une sorte de fascination de la littérature et de l’art. Je dirai presque du jour au lendemain, subitement ; l’exoression littéraire n’était plus pour moi un moyen de dire les choses que j’avais envie de dire, mais elle était devenue presque un but en soi. Et j’ai senti qu’elle pouvait me procurer une satisfaction dans le travail. Et effectivement, j’ai consacré dans ce livre beaucoup plus de temps à la forme, au style, aux mots que dans le livre précèdent.

 

Maroc – Soir : Est-ce que vous vous situez dans la tradition du conteur oriental ou bien dans celle du romancier occidental ?

 

             Amine Maâlouf : Vous savez, moi, je pense que le lecteur ou le critique, peuvent donner leur opinion sur le travail d’un auteur, comme ils le voient, s’il est un conteur ou un romancier. Mais je pense qu’il serait maladroit de la part de l’auteur de se définir. Je pense qu’il vaut mieux ne pas trop théoriser ce qu’on est en train de faire, si non on risque d’arriver à une intellectualisation outrancière : si on a envie de raconter une histoire, on la raconte puis on verra si on l’a raconté à la manière d’un conteur ou d’un romancier.

 

Maroc – Soir : Il y avait souvent à grenade et à Fès, des mariages avec la cousine doublé d’un autre avec une convertie. Dans votre livre vous faites jouer entre ces deux concubines, un rôle important dans les conflits de l’Alhambra qui ont contribué à la chute de Grenade.

 

         Amine Maâlouf : Un rôle important ; non. C’était un des éléments de dissensions internes à Grenade : il y en avait continuellement des conflits qui ont été immortalisés par Chateaubriand dans son « Le dernier des Abencérajes ». il y avait toujours eu des conflits de sérail, j’allais dire. Mais ce n’est certainement pas l’élément essentiel. Il faut dire aussi, pour avoir une perspective historique, que le grand moment de l’Espagne musulmane , s’était arrêté pratiquement au XIIIè siècle. Ce qui est resté du XIIIème jusqu’à la fin du XVè siècle, était essentiellement un reliquat qui était la région de Grenade. Même Séville et Cordoue faisaient déjà partie de l’Andalousie espagnole et n’étaient plus musulmanes. Donc, c’était une petite région qui a survécu pendant deux siècles et demi ; ce qui est presque un miracle. Mais cette région avait quand même perdu la grandeur, à l’exception de l’Alhambra qui la sauve un peu du point de vue de l’histoire.

 

Maroc – Soir : Pourquoi ce recule du rationalisme en terre d’Islam ? Chez les chrétiens, il y a la découverte des armes à feu, il y a Christoph Colomb qui s’apprête à découvrir l’Amérique. Renaissance d’un côté recule de l’autre. Comment expliquez vous ce renversement de tendance?

 

              Amine Maâlouf : C’est une très grande question. Il y a un personnage en Andalousie qui est un peu un symbole de ce point de vue ; un symbole de ce moment  où il y a eu un arrêt, un grippage de la machine dans le monde musulman. Et ce personnage est Ibn Rochd (Averroès) ; selon la formule d’un ami qui a beaucoup travaillé sur Averroès : «  Averroès est musulman et l’Averroïsme est occidental ». Je veux dire qu’Averroès a développé et synthétisé la philosophie grecque et la pensée d’Averroès a été à partir du XIII è siècle à l’origine d’un mouvement intellectuel de première importance en occident. Pourquoi Averroès a développé la pensée en France, en Italie et n’a pas développé la pensée d’abord en Andalousie musulmane, puisque c’est là qu’il est né ? En réalité Averroès a été réduit au silence et n’a eu aucune influence. Je pense qu’il y a un lien entre la fermeture intellectuelle qui s’est opérée à ce moment – là et le moment crucial de la reconquista qui avait entraîné la défaite des petits Etats musulmans (Moulouk Atawaïf) dans toute la moitié Nord de l’Espagne et qui a provoqué par réaction l’arrivée des Almoravides puis des Almohades qui, l’un après l’autre, ont fait une tentative de réunification pour faire face à cette poussée chrétienne, qui ont réussi pendant quelque temps puis ont échoué. La date fatidique était 1212 : la bataille de Las Nadas de Tolosa, qui a pratiquement renversé une fois pour toute le rapport de force. Sous la pression tout se ferme, tout le mouvement intellectuel est stoppé. On dit : « Voilà, plus de voix dissonante, plus d’opinion exprimée en dehors de l’orthodoxie : nous sommes en état de guerre, nous sommes menacés ». Et effectivement, à partir de ce moment-là (le XIè siècle) et pendant les deux siècles qui vont suivre, qui vont connaître un renforcement de la guerre, il y a une fermeture : on n’ose plus s’épanouir et l’Espagne musulmane ne décollera plus intellectuellement, artistiquement. La même chose s’est produite à l’autre bout du monde musulman : Bagdad au XIè siècle, c’est également un très grand moment de développement intellectuel, artistique…Là encore arrivent les menaces extérieures : la première, c’est les Fatimides qui viennent du Maghreb, qui s’emparent de l’Egypte et du Proche Orient au XIè siècle. Menacé par cette poussée chiite qu’il n’attendait pas, le Califat de Bagdad arrête toute interprétation religieuse et discussion intellectuelle. Et cette pression ne va pas s’arrêter , puisque après les Fatimides, il va y avoir les croisades qui vont resté deux siècle et toutes sortes de menaces. Et pendant des siècles personne ne pourra s’exprimer, parce que continuellement, on lui dira : «  Attention ! Il ne faut pas sortir de la doctrine officielle parce que l’ennemi est à nos portes. Et l’ennemi restera suffisamment aux portes pour que tout ce foisonnement intellectuel s’éteint.

 

Maroc – Soir : On constate d’après votre livre, que les juifs vivaient en paix avec les musulmans, que ce soit à Fès ou à Grenade et qu’ils craignaient beaucoup plus l’inquisition des chrétiens.

 

              Amine Maâlouf : Il est certain qu’à l’époque, à la fin du XVè siècle, les juifs se sentaient beaucoup plus à l’aise à Fès ou à Constantinople que dans l’Espagne des Rois catholiques. Cela dit, il y a eu dans la longue histoire commune des phases de coopération qui ont été productives, très fécondes, là je pense à l’époque qui a donné  Ibn Rochd (Averroès), Maimonide, Ibn Tofaïl (Avanpas)et d’autres. Il y a eu également des périodes de tension.

 

Maroc – Soir : Mais il n’y avait jamais eu une inquisition semblable à ce qui s’est passé en Espagne ou en Allemagne nazie ?

 

              Amine Maâlouf : Je dirai que ce qui s’est passé en Espagne au cours de l’époque de l’inquisition, notamment au XVè et XVIè siècle avait une ampleur qui n’a jamais été égalée sauf par l’holocauste nazi. D’ailleurs, il y a eu des similitudes, puisque l’inquisition avait inventé cette notion parfaitement raciste qu’était « limpieta de sangre » ou la pureté du sang. On considérait toute personne qui avait parmi ses ancêtres un juif ou un maure, était un espagnol de seconde zone. Il fallait faire la preuve de sa pureté de sang jusqu’à plusieurs générations en arrière. On raconte une histoire merveilleuse à propos de Servantes, l’auteur de Don Quichotte : il avait fait une pièce où il racontait qu’un homme avait invité une foule en Espagne devant un théâtre vide où il leur avait dit : « Il y a une pièce qui va être jouée maintenant. Elle a la particularité de ne pouvoir être vue que par ceux qui avaient le sang pur. Et le théâtre est resté vide et tout le monde rigolait et battait des mains parce que personne ne voulait avouer qu’il ne voyais rien. C’est une histoire très symbolique de ce que pouvait être le climat à l’époque.

 

Maroc – Soir : On peut vous considérer, un peu, comme un spécialiste des guerres des religions : vous avez travaillé sur les croisés ; dans votre livre il y a beaucoup d’exemples de luttes qui ont pour fondement plus ou moins la religion : est-ce que vous faites un rapprochement entre ces guerres de religion qui ont secoué le passé et ce qui se passe actuellement à Beyrouth et au Liban ?

 

              Amine Maâlouf : Je ne fait peut-être pas un rapprochement. Mais il est certain que quelqu’un qui a vécu comme moi, une expérience libanaise, où les gens s’égorgent mutuellement sous des prétextes religieux, ne peut pas ne pas être sensible à des phénomènes historiques anciens au cours desquels il y a eu effectivement le même type d’attitude. J’ai un respect profond pour les gens qui sont prêts à se sacrifier corps et biens pour leur foi ; je n’ai pas beaucoup de respect pour ceux qui sont prêts à tuer sous le prétexte d’une apparence religieuse. Mais je pense qu’en évoquant des phénomènes comme les croisades et l’inquissition, il est certain que j’essaie d’une manière ou d’une autre d’évoquer des phénomènes plus proches qui nous touchent plus directement. Mais de les évoquer à la manière d’un chercheur qui essaie de comprendre les causes des haines qui peuvent être déchaînées plutôt que de la part d’un observateur qui est quand même mêlé, ballotté, surtout quand il appartient à un pays comme le Liban qui est l’œil du cyclone.

 

 

Maroc – Soir : A votre avis, en tant que chercheur, la religion n’est peut-être qu’un prétexte : peut-être que le fondement des conflits n’est pas purement religieux, pour parler en terme de facteurs ?

 

                 Amine Maâlouf : Je pense qu’il ne faut pas accuser la religion. Parce que la religion prône des idéaux qui visent à élever l’âme humaine. Mais la religion n’est pas responsable des actes de tous ceux qui s’en réclament. Les religions ont produit des saints et des assassins et chacun de nous à sa naissance, ou plus tard, reçoit un enseignement religieux, qui lui demande du dévouement, de l’effort, de la générosité. Et finalement , il y a quelques principes qui sont des principes d’amélioration de l’âme humaine qui sont prônés par les religions. Puis nous recevons cet enseignement, mais qu’est ce que nous en faisons ? Il y en a effectivement ceux qui suivent ces préceptes et qui se montrent d’une grande générosité d’âme, qui essaient d’améliorer le sort de leurs prochains, de s’élever eux-mêmes vers un plus grand détachement, une plus grande communion avec les idéaux les plus nobles. Et puis il y a d’autres qui considèrent leur religion comme une tribune, qui utilisent leur appartenance religieuse pour exclure d’autres, pour justifier ce qu’ils font. Je pense que chacun de nous reçoit sa religion et il en fait, ce qu’il peut, ce qu’il sait, ce qu’il veut. Propos recueillis par Abdelkader Mana



[1] Interview parue à Maroc – Soir, le lundi 22 décembre 1986.

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Croisades: massacre de prisonniers
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Averoes par Rafael

01:54 Écrit par elhajthami dans Entretien | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

23/10/2009

Prospérité éphémère

Une prospérité éphémère

 

 

Dans un article désormais fameux sur la vie urbaine dans le Maghreb précolonialStambouli et Zghal, développent l’idée, que par ses principaux traits urbains Mogador s’apparente au mode de production asiatique, où, la ville apparaît comme la projection dans l’espace d’un projet royal. Elle est construite selon un plan tracé au cordeau et prévoyant un ensemble de quartiers nettement délimités. La ville Chinoise – du moins jusqu’à la dynastie des Song (12ème siècle) où le modèle est encore parfait – apparaît davantage comme un centre de transactions commerciales contrôlées par le prince et à son bénéfice, plutôt qu’un foyer de création de richesses et un centre de mise en valeur de la région. Or constatent nos deux auteurs «  tous ces traits qui définissent la ville asiatique se retrouent d’une manière quasi parfaite dans une seule ville maghrébine précoloniale Mogador ». Pour étayer leur thèse  les deux auteurs évoquant les quatre traits distinctifs suivants :

 

1. Mogador est la concrétisation d’un projet royal, une ville créée de toute pièce selon un plan géométrique en damier et à quartiers bien délimités.

2. Le  Sultan par l’intermédiaire de sa bureaucratie contrôle la totalité des activités urbaines.

3. Le commerce qui constitue l’activité principale de Mogador, est monopolisé par le Sultan qui importe des populations, dont les étrangers (juifs et chrétiens) pour assurer le succès de cette activité. Tous les locaux sont la propriété du Sultan, qui les loue à son tour aux commerçants.

4. Enfin Mogador apparaît comme un centre de transactions par excellence et non comme un foyer de création de richesses économiques.

 

Et nos deux auteurs de conclure :

 

« Mogador apparaît comme un type urbain exceptionnel, non représentatif de la société urbaine maghrébine. D’ailleurs l’echec rapide de cette expérience souligne bien les limites d’un tel type ».

 

Une prospérité éphémère. En effet, à Mogador, progressiement, les négoçiants juifs prennent leur distance vis-à-vis du pouvoir central en se mettant sous la protection des consulats étrangers. Le système des protections des individus va s’emplifier tout le long de la deuxième moitié du XIXè siècle pour s’étendre comme un cancer au reste du corps social et aboutir au protectorat. Aymé d’Aquin, agent consulaire de l’époque, dénonce en 1868 « la protection exclusive et injuste » qu’on offrait aux israélites au détriment de l’intérêt des musulmans. Les plus exploités dans ce système étaient les ruraux, comme le notait le Tourneaux : « Le berbère est un perpétuel emprunteur, l’argent est à la ville ». La ville par le système de crédits abusifs et l’échange inégal, « pompait » en quelque sorte les richesses de la campagne ; d’où l’hostilité  latente des caïds de la région. En particulier celle du caïd Anflous.

 

Avec l’occupation de Tindouf par la France en 1896, les caravanes se faisaient de plus en plus rares, et avec l’invention de la propultion à vapeur, les navires pouvaient désormais aborder d’autres rivages sans tenir compte des barres maritimes. Casablanca se profilait déjà àl’horizon et ne cessait de prendre de l’importance par rapport à Essaouira : « C’est à Casablanca que le consulat de Mogador pourrait être utilement transféré » notait-on dés 1857. « Les principaux établissements français sont là et c’est là que nos intérêts commerciaux ont leplus besoin d’être soutenus ».  A la fin du règne de Hassan 1er , Essaouira avait déjà perdu son rôle de port international.

 

De port international autrefois, aujourd’hui Essaouira n’est plus qu’un petit port de pêche où les marins cousent des filets aux multiples couleurs, tandis que  les goélands tissent le ciel avec la mer.


Abdelkader MANA


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14:41 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, négoçiants du roi | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Medersa de la kasbah

Le sultan chez les Regraga

Au mois d’avril 1784, Sidi Mohamed Ben Abdellah, a rendu visite aux Regraga  en période du Daour.Accompagné de copistes, il offrit à cette occasion de nombreux ouvrages à la medersa de la kasbah. Dans son Istiqçâ, Ennâçirî Slaoui nous relate en ces termes les péripéties de cette visite royale :

« Au retour de Sijilmassa, le sultan Sidi Mohamed ben Abdellah (Dieu lui fasse miséricorde !) Demeura à Marrakech jusqu’au printemps. Il résolut alors d’aller à Essaouira, pour se rendre compte de son état et voir ses constructions, car il aimait cette ville qu’il avait fondée et en était satisfait. Il voulait en profiter pour visiter les saints Regraga dans le Sahel et recueillir la bénédiction de leurs tombeaux. Il effectuait ce voyage pour son agrément, pour le repos de son esprit et pour sa distraction. Il emmena avec lui un certain nombre d’oulémas et d’imâms de l’époque, auxquels il devait dicter des extraits des hadits du Prophète, et qui devaient les réunir selon ses indications.

Ces personnages lui tenaient compagnie : ils rédigeaient pour lui et mettaient en ordre tous les extraits qu’ils tiraient des livres de hadits qu’il avait fait venir d’Orient, entre autre le Mesned de l’imâm Ahmed , le Mesned d’Aou Hanîfa. Il avait également avec lui un très grand nombre de secrétaires habiles dans la rédaction et la correspondance.

Il sortit de Marrakech  pour cette excursion au printemps de l’année  1198 (1784). Au préalable, il fit dresser ses tentes autour de la ville, et les entoura du mur d’enceinte appelé Afrâg. Au centre de toutes ces tentes, était la grande qoubba que lui avait donné le despote des frendj . Elle était doublée de brocart ; les panneaux muraux, découpés en forme de  mihrâb, étaient de velours fin de diverses couleurs, ses garnitures en galon d’or, et les cordes qui les tendaient, de soie pure. On prétend que le despote avait dépensé, pour le faire fabriquer, près de 25 000 dinars. La preuve en est que la pomme  qui surmontait le poteau central, et qu’on appelle communément jâmour, était en or pur et pesait 4000 mitsqâls or. Le sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) s’en servit à cette occasion pour s’en réjouir la vue.

Les qâids, les secrétaires et tous ceux qui partirent avec lui emportèrent leurs tentes les plus belles et les plus riches. Dans ce cortège merveilleux, il visita les contrées pittoresques et les beaux sites qui sont agréables à la vue, qu’on est impuissants à décrire, qui dilatent l’âme et tiennent compagnie.

Après une excursion de deux mois employés à parcourir ces plaines, à satisfaire tous les délices, à se promener dans ces contrées, et à chasser le gibier de plume et de poil, il arriva à Essaouira. Quand il eut examiné la ville et réaliser entièrement le but qu’il s’était proposé, il reprit la route de sa capitale.

Il passa par le ribât Châker, qui est une des mzâra les plus célèbres du Maghrib, et qui est, depuis les anciens temps, le rendez-vous des saints. Dans le Tachaouf, Châker, qui a donné son nom à ce ribât , est indiqué comme ayant été un compagnon d’ Oqba ben Nâfî El-fihri, conquérant du Maghrib, et c’est là que se trouve son tombeau. A son passage dans cette localité, lors de ce voyage, le sultan Sidi Mohamed ben Abdellah ordonna de restaurer la mosquée et de faire des fondations et des murs nouveaux.

En revenant, il remonte le cours de l’oued N’fis, jusqu’à la ville d’Aghmât. Sa mhalla était installée en dessous de la ville. Lorsque son campement fut établi, un certain nombre d’habitants du pays vinrent, avec leur qâdi, lui apporter un superbe bélier et des vases contenant des rayons de miel.

Le qâdi fut introduit auprès du sultan, qui se mit à parler avec lui, et lui demanda quels avaient été ses professeurs. Celui-ci lui fit des réponses extravagantes. Se tournant alors vers le hâjib (chambellan), le sultan lui dit :

- Conduis ce qâdi à la tente du qâid Abou Zeïd Abderrahmân Ben Elkâmel ; c’est lui qui s’en ira comme qâdi avec la mhalla au Soûs, s’il plait à Dieu ! Fais-le installer dans sa tente et remets-lui ce bélier et ce miel.

Le hâjib conduisit le qâdi à la tente du qâid de l’armée Abou Zaïd ben Elkâmel, emmenant en même temps le bélier et le miel. Il recommanda à ce dernier de bien traiter le qâdi pendant la nuit  qu’il passerait chez lui.

Le lendemain, le sultan se mit en route pour regagner Marrakech. Arrivé à l’oued N’fiss vers le milieu de la journée, il fit dresser le pavillon de repos au bord de la rivière et convoqua le qâid Abou Zéïd et tous les secrétaires. Quand ils furent assis tous devant lui, il se mit à interroger le qâid pour plaisanter :

- Comment as-tu traité ton hôte pour le remercier de son bélier et de son miel ? lui dit-il.

Le qâid balbutia une réponse quelconque : il comprit que le sultan voulait le mettre dans l’embarras en lui posant une pareille question, bien qu’il n’eut cependant pas négligé son hôte d’une nuit. Le voyant embarrassé, le sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) lui dit :

- Je crois que tu ne l’as pas traité comme il fallait. Si tu lui avais fait son éloge au moins pour son bélier et son miel, tu aurais réalisé ce qu’on attendait de toi, et ta responsabilité eût été dégagée, car je ne t’ai envoyé ce qâdi qu’à cause de ce bélier et ce miel. J’ai passé toute la nuit sans dormir, me rappelant ce qui s’était passé entre Elmansoûr Essaâdi et ses secrétaires, à propos d’un incident semblable. Je vois bien qu’aujourd’hui il n’y a plus de secrétaires, plus de fins lettrés ni de princes. Je vais vous faire entendre ce qu’il survint à Elmansoûr lors de sa visite dans ce bourg d’Aghmât.

Il fit alors lire par son secrétaire le récit donné par Elfichtâli, dans les Manâhil Essafâ, du voyage que fit Elmansoûr Essaâdi à Aghmât pour y faire un pèlerinage et se distraire . Les poésies qui furent échangées entre le qâdi Abou Malek Abdelouâhed Elhamîdi et celui qui lui fit cadeau du bélier et du miel. L’auteur de Nozha cite les vers d’Elhamîdi. Quand le secrétaire eut fini de lire le récit contenu dans le livre d’Elfichtâli, le sultan leur reprocha l’insuffisance dont ils avaient fait preuve dans un incident semblable à celui dont il venait de leur être donné lecture. Je crois que le sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) leur ordonna de copier ce récit et de l’étudier, pour leur servir de leçon. Dieu sait quelle est la vérité ! »

L’auteur de kitab al-Istiqça nous confirme que la madrasa de la kasbah figure parmi les œuvres que Sidi Mohamed ben Abdellah avait légué à la ville : « Il fonda la ville d’Essaouira, avec ses mosquées, ses medersas, ses forts, ses batteries et tout ce qu’elle renferme. »

Les lettrés qui accompagnaient alors le Sultan, étaient originaires de Fès, Mekhnès, Rabat - Salé, et surtout de Marrakech.. C’est la configuration des agents du Makhzen établis alors à Essaouira, ce qui renforçait dés le départ son urbanité. Comme Ahmed ElMansoûr le grand sultan Saâdien se faisait accompagner de l’historien Elfichtâli, Sidi Mohamed ben Abdellah était à cette occasion accompagné de Belqâcem Ezzayâni, auteur du Boustân, titre qu’on peut traduire par « le jardin du savoir », un « savoir » qui couvrait d’une aura de prestige le pouvoir.

La bibliothèque de la madrasa, attenante à la mosquée de la kasbah d’Essaouira contenait les ouvrages de ces copistes, ainsi que des exemplaires du Coran et du hadits, qu’à l’occasion de cette visite royale de 1784, le sultan avait légué en main morte à la ville et à ses étudiants.

Le jeudi 23 octobre 2008, j’ai visité la bibliothèque de l’ancienne medersa de la Kasbah,qui ne contient plus que quelques 200 manuscrits, pour l’essentiel, légués en main morte par le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah. Le plus ancien de ces manuscrit, qui explication le Coran, remonte à 833/1430. Et concernant le dernier en date des manuscrits, le registre des Habous note : « Le précis d’Ibn Haroune est dans un bon état, sauf que sa calligraphie est si blafarde qu’elle fait mal aux yeux. Le copiste a achevé son écriture le 15 safar 1223 ».(Soit le 12 avril 1808).

On peut lire au tout début d’un des manuscrits : « Et nous avons envoyé des Prophètes avant toi… » Et au début d’un autre : « La science religieuse est la meilleurs des sciences après le Livre de Dieu et les Dits de son envoyé. Car c’est grâce à elle qu’on distingue le licite de l’illicite ».

Outre des dictionnaires de Faïrouz Abâdi, des précis de grammaire et de jurisprudence (Nawazîl), on relève parmi les manuscrites des œuvres d’Averoès, du Qadi Ayâd, ainsi que Dalil el Khayrât d’El Jazouli ; que le copiste avait établi en l’an 1196/1782, soit deux ans avant la visite royale d’avril 1784.

Le manuscrit d’Averoès  Al Bayan wa tahçîl (le savoir et la connaissance) commence ainsi : « L’homme est né d’un atome d’argile et d’une goutte d’eau, à qui Dieu insufla la vie en en faisant une créature parfaite et magnifique ».

Averroès y considère le Prophète comme « l’envoyé de Dieu à toute l’humanité » et s’y considère comme faisant  partie de ceux qui ont « revivifier la religion après sa mort ».

Après la mort d’Averroès à Marrakech, la pensée unique, imposera une interprétation dogmatique, rigide et immuable de la religion, qui se limitera au Maroc à des prières dont la plus illustre est celle de Dalil el Khayrât d’El Jazouli .On mettra davantage l’accent sur les  prières de ce dernier, qui ont eu la fortune que l’on sait au sein des confréries, que sur « le savoir et la connaissance » Al Bayan wa tahçîl d’Averroès.

Dans l’esprit de l’époque la madrasa de la kasbah devait être une réplique de celle de Fès et de Marrakech.La medersa Seffârine de Fès serait la première  en date, construite au quatorzième siècle par le Sultan mérinide Yaâqoub ben Abd el-Haqq,qui la pourvut d’une riche bibliothèque :

« Une des clauses du traité de paix qu’il conclut en 1284 avec le roi de Castille fut que celui-ci lui remettait tous les livres arabes qui se trouvaient dans les mains des chrétiens et des juifs de ses Etats...Sancho (le roi de Castille) lui envoya treize charges, composées de Korans, de commentaires comme ceux de Ben Athiya El Thâleby, et autres. L’émir des musulmans (que Dieu lui fasse miséricorde) envoya tous ces livres à Fès et les fit déposer pour l’usage des étudiants dans l’école qu’il avait fait bâtir, par la grâce de Dieu et sa générosité. »

C’est au premier étage  surélevée sur les boutiques des Seffarin (relieurs) et des Mechchatin (fabricants de peignes), que se trouvait la maisonnette Douiriya) où habitait Al Jazoula durant ses études à Fès. Cette Medersa Seffarin était fréquentée alors par les Ahl Sous principalement.


Abdelkader MANA


10:50 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook