03/01/2012
Des caravanes au tramway
L'axe des marchés
Couope transversale de l'artère principale
En quittant le méchouar; les trois portes qui donnent accès àla médina et à ses marchés
Les caravanes de Tombouctou arrivaient jusqu'au coeur de la médina
"Haddada"(le quartier des forgerons) en 1912
Il est claire que les jardins datent du Protectorat et ont disparus avec lui
Haddada du temps des caravanes au tramway!.
En 1910, on avait commencé les travaux du tramway qui devait relier à travers l'axe central de la médina, le port à l'embryon de la zone industriel au nord de la ville avec la tannerie Carel
Travaux du tramway à Souk Jdid en 1910
Rails du tramway traversant le marché
Khobbaza : le souk au pain
Les marchés
Au croisement des deux principeaux axes de la Médina
De part et d'autre de l'axe principal au niveau de souk Jdid, quatre petites places parfaitement symétrique: le marché au grain(la Rahba) et le marché de la criée(la Joutia) d'un côté et le marché de la laine (souk laghzel) et le marché au poisson de l'autre. Le marché au poisson se subdivisait en marchands de poissons et en marchands de fruits de mer(moules et oursins en particulier).Tout autour, il y avait les marchands de poteries et les écrivains publics pour la rédaction des actes notariés, les actes de mariage et de divorce.
De part et d'autre de l'axe vertical, les deux axes horizontaux débouchant à l'Est sur Bab Marrakech et à l'Ouest sur Bab Labhar donnant accès à la mer
Non loin des arcades de Souk Jdid, à l’entrée de la Joutia (le marché à la criée) vivait le tailleur traditionnel dénommé Abdellah Majjout (le chauve) célèbre dans tout le pays par son humour : il serait né à Essaouira à la fin du XIXesiècle, et mort assez vieux au milieu des années soixante. Il élevait deux rossignols déplumés qu’il chérissait tant et auxquels il ouvrait la cage pour qu’ils puissent bénéficier du soleil : les oisillons sortaient et rentraient à leur guise. Et voilà qu’un chat déroba l’un d’eux. Furieux Abdellah le chauve attira par des morceaux de viande le félin fautif et l’assomma d’un violent coup de bâton sur la tête. On lui dit alors selon la croyance qui accorde aux chats sept vies :
- Vous venez de tuer sept âmes !
Ce à quoi il répondit :
- Je n’ai tué qu’une seule âme : dites lui alors de vivre grâce aux six autres âmes que vous lui accordez!
Souk Laghzel : le marché de la laine
Une autre fois un client se présente à lui avec un magnifique tissu pour lui demander de confectionner une djellaba à nulle autre pareille. Il confectionna ladite djellaba avec un manche trop court et un manche trop long. Le client alla se plaindre au pacha borgne, et quand celui-ci le convoqua, Abdellah le chauve se justifia en ces termes :
- J’ai confectionné cette djellaba de la sorte parce que le vœu de ce client était d’avoir une djellaba qui n’a jamais existé…
L’un des apprentis d’Abdellah le chauve, dénommé « Kih », qui a fini sa vie ses dernières années à l’alimentation des goélands — dès qu’il paraît à l’horizon, une nuée d’« Aylal » comme on les appelle en berbère (c’est-à-dire ceux qui volent de leurs ailes) vient à sa rencontre — était un amateur de beaux garçons, notoire dans les années soixante. C’est à cause de lui que je tiens à raconter cette blague salace et significative, qu’on rapporte à propos d’Abdellah le chauve et que j’ai omis de rapporter par autocensure :
« Une fois, vers le coup de dix heures du matin un blédard est venu lui demander dans sa boutique de la Joutia :
- Combien coûte cette chemise ?
- 400, lui répond Abdellah le chauve.
- Et ce pantalon ?
- 1 000 réaux.
Le blédard fit le tour de la Joutia et revint à la charge :
- Combien coûte ce pantalon ?
- 400, répond Abdellah le chauve.
- Et la chemise ?
- 1 000 réaux
Le campagnard lui dit alors :
- Comment se fait-il qu’entre deux tours, vous avez fait monter la chemise et baisser le pantalon ?
- C’est pour t’enculer ! Lui rétorqua Abdellah le chauve.
Blessé dans sa virilité, le blédard alla se plaindre au pacha borgne, qui gouvernait la municipalité de Mogador à l’aube des années 1950 et à la veille de l’indépendance. Le coursier du pacha fit venir Abdellah au Pachalik sis à Derb- Laâlouj, dans l’actuel Musée d’Essaouira.
- Je sais pourquoi vous m’avez convoqué, dit Abdellah le chauve au Pacha borgne : s’il mérite d’être enculé, enculez-le vous-même !
La Joutia (le marché de la criée): l'une des quatre places qui ornent de part et d'autre Souk Jdid
Abdellah le chauve qui vivait en célibataire dans sa boutique de la Joutia est venu un jour demander au pacha borgne le droit de s’abriter dans l’ancien logis du canonnier au-dessus de Bab – Doukkala. Une requête auquel le pacha borgne répondit favorablement. Mais voilà qu’à l’approche du Ramadan, une délégation de notables se présenta au pachalik, réclamant l’expulsion d’Abdellah le chauve de l’ancien logis de canonnier, sous prétexte qu’il y reçoit des personnes à la moralité douteuse, et qu’à l’approche du Ramadan on doit préparer le canon qui annonce la rupture du jeûne.Abdellah le chauve qui voyait venir le complot et les comploteurs, s’empressa de se photographier sur les lieux : il avait la taille trapue, les jambes arquées, et les bras ballants et démesurés comme ceux d’un gorille. Impression renforcée par son teint foncé et ses petits yeux pétillant de malice.En voyant venir à lui, le Chaouch démesurément grand du pacha borgne précédé de son propre apprenti, à la fois chétif et de petite taille, Abdellah le chauve s’exclama :
- Voici venir le chameau guidé par une allumette ! (Ouqida)
C’est de là que vient le surnom d’« allumette » qu’on donnera à son apprenti, sa vie durant.
Quand le pacha fit part à Abdellah des recommandations des notables le concernant, il retira sa propre photo qu’il avait en poche et la remit au pacha en lui disant :
- Je sais que c’est mon célibat qui fait problème, mais si jamais vous trouvez une femme qui accepterait de se marier avec un tel individu, faites-moi signe !
Rahba : marché aux grain
Il était convaincu que ses disgrâces physiques lui interdisaient le mariage. En fait la plupart des hommes de sa génération, non seulement n’avaient pas accès à la maison close deJraïfiya, en raison de leur statut social et de leur pauvreté, mais avaient peu de chance de séduire une beauté locale en raison de la règle d’exogamie qui avait cours dans la ville. Les habitants se considéraient comme une même famille, si bien que les mariages intra-muros étaient considérés comme de l’endogamie : à Mogador, le mari idéal doit nécessairement venir de loin. Le mariage avec le voisin immédiat fait si peu rêver les jeunes filles, comme j’en ai fait moi-même l’expérience au début des années quatre-vingts. Je venais de terminer mes études en France, et j’enseignais la littérature au lycée de la ville. Un médecin interne de l’hôpital me pria alors de rédiger sa thèse sur les maladies vénériennes de la région. Un samedi après – midi je me rendis chez ce médecin interne pour lui rendre un chapitre. Une fois à l’internat, je dus traverser un immense couloir jonché de bouteilles de bières vides, où les internes qui se sentent exilés trompaient leur ennui. Il y avait là quatre ou cinq médecins, et surtout quatre jeunes filles dans la fleur de l’âge, avec des corps dorés de nymphe. L’une d’entre elles entraîna dans la cuisine le médecin qui m’accompagnait. Au bout d’un moment il vint vers moi et m’entraîna dehors en m’expliquant que la jeune fille m’ayant reconnu comme enfant du pays lui avait dit :
- Si jamais tu ramènes encore une fois parmi nous un type d’ici, c’est la dernière fois que tu nous verras parmi vous !
Tous les médecins étaient en effet des étrangers : or pour préserver leur réputation du qu’en-dira-t-on, l’amant doit être nécessairement un étranger ! Encore aujourd’hui, les plus belles filles de la ville partent maintenant à l’étranger avec le prince qu’elles ont choisi et qui est venu de loin. Comme pour les oranges ; les plus beaux fruits sont destinés à l’exportation !
« Le Marrakchi qui n’a pas d’amant n’est pas de Marrakech, et le Souiri qui n’a pas de maîtresse n’est pas d’Essaouira », me disait récemment un ami. La formule me rappelle le début d’Anna Karenine, mais elle n’est pas juste. Le point commun entre les deux médinas traditionnelles était le phénomène de « Liwate » : les artisans efféminaient les beaux garçons, selon la tradition du poète Abou Nuwâs, parce que la femme était recluse et voilée, et ne pouvait donc être accessible que dans le cadre légal du mariage. Conséquence ceux qui ne pouvaient pas se marier n’avaient de choix qu’entre la transe rituelle et le transfert sur les beaux « ghoulam », pour décharger leur bioénergie. C’était une société de mystification absolue refusant de nommer l’innommable, en dehors de cadre strictement codifié par la tradition. Une société de souffrance silencieuse instituée.
Rahba : marché au grain
Un Souiri invita un jour à Adellah le chauve à Casablanca et lui confia les clés de son appartement situé au quatrième étage d’un immeuble. Alors qu’il était seul dans l’appartement tout d’un coup la sonnette retentit. De la fenêtre il vit quelqu’un qui lui fit signe de descendre. Une fois en bas, le personnage s’avèra être un mendiant demandant l’aumône au nom de Dieu. Pour toute réponse Abdellah le chauve l’invita à monter : une fois là-haut il lui dit en lui claquant la porte au nez : « Que Dieu facilite les choses ! » (la formule rituelle qu’on adresse aux mendiants quand on n’a rien à leur offrir). Mais comme le disait Bergson le rire est difficilement traduisible.
Gravée sur pierre de taille, « Baraka de Mohamed », qui appelle la bénédiction du Prophète sur la cité, qu’on trouve sur les donjons de la Scala du port et de la mer, que les artisans utilisèrent comme devise d’Essaouira en l’ incrustant sur de petites plaques de thuya.
Souk Jdid au début du Protectorat : on venait d'y planter les premiers arbres
On voit clairement que les arcades étaient d'un seul côté.Mon père me disait que les arcades de Souk Jdid ont été édifiée en deux étapes comme en témoignent les gravures en pierre de taille : la partie Ouest d’abord, édifiée en 1858 a servi de modèle pour les arcades de la façade Est, édifiées en 1945 par Abdellah Ben Tahar, alias « Jmal » (le chameau). Soit à 87 ans d’intervalle.Ce qui veut dire qu’une fois le cadre général mis en place, à savoir les quatre portes et les remparts qui structurent l’ensemble autour d’un axe sous forme de croix, l’espace a été progressivement occupé par les nouveaux arrivants : arrivée des « Ahl Agadir », en 1773, construction de la nouvelle Kasbah en 1876, mise en place de Souk Jdid en 1858, etc
Année 1364 hégire, soit 1945 J.C.par Abdellah Ben Tahar
Juifs en noir et femmes en blanc à souk Jdid
Poteries, rue du marché avant qu'il ne soit planté d'arbres en 1913
Les jardins de Mogador
Sous le protectorat(1912-1956), Mogador était une ville-jardin : les plantations allaient tout le long de l'axe principal depuis le port jusqu'à Bab Doukkala! Ces jardins et plantations seront pour l'essentiel rasés à l'indépendance!...
L'axe principal qui relie le port au Sud à Bab Doukkala au Nord
Les jardins étaient fort bien entretenus et celui -ci comprenait même un aquarium!
Le même jardin entouré maintenant de marchands de grillades de poisson, et de parc automobiles : plus d'aquarium ni du joli édifice du syndicat d'initiative en pierre de taille rasé ...
Jardins du Mechouar et mosquée Ben Youssef
Deux axes traversent la ville et permettent ainsi de déplacer rapidement des forces militaires. Ces axes ont trois autres fonctions. l'une politique, la seconde économique et la troisième hygiènique /
- économique : à l'endroit où se croisent les deux axes majeurs, les souks se greffent de part et d'autre.
- politique : sur l'axe politique se trouve le méchouar et la mosquée; le pouvoir étant à la fois politique et religieux.
- hygiènique : La direction de l'axe est celle du vent dominant. Les vents soufflent durant la période d'été et peuvent ainsi pénétrer dans la ville pour la néttoyer et la rafraîchir. Depuis la fixation des dunes par les mimosas , genêts et tamaris, le climat s'est rafraîchi et l'action bienfaisante du vent s'est minimisée. Cependant aux XVIII è et XIX ème siècles , il avait limité les dégâts des épidémies qui sévissaient alors.
Des images qui accusent : Le méchouar contenait de très beaux jardins rasés depuis...
S'il y a un mérite à reconnaître à la gestion urbaine du temps du protectorat, c'est bien son grand intérêt pour les espaces verts : toute une armada de jardiniers proffessionnels s'affairaient jour et nuit et sept jours sur sept à l'entretien des espaces verts. Le derniers des jardiniers professionnels est Monssieur JOUAY, qu'enfants nous voyons sur sa byciclette courir du jardin ombragée de Bab Marrakech - aujourd'hui disparu - aux jardins du Méchouar et de la kasbah qui contenait un aquarium. Après l'indépendance tous les jardins de la ville ont péréclité d'une manière irrémédiable et n'ont plus retrouvé leur éclat d'antan, faute de soins, d'entretiens et surtout de goût pour l'esthétique: les équipes d'illétrés qui se sont succéder au conseil municipale ont favorisé l'anarchie urbain, le mauvais goût patent et l'incompétence criarde enfonçant la ville dans la ruraliusation et la laideur, détruisant le patrimoine bâti par les grands maâlem comme en témoigne la situation lamentables des marchés du centre ville actuelles qui n'ont plus rien à voir avec ce qu'ils étaient jadis tous plantés d'arbres: ce qui traduit une baisse de niveau catastrophique de la gestion urbaine d'après l'indépendance....
Mogador - Jardin du Mechouar
Depuis le départ des Français, jamais plus aucun jardin public n'a retrouvé une telle variété, une telle richesse et une telle densité de plantations: quand je me promenais en ville avec Georges Lapassade celui-ci me disait souvent: "Nous autres Français nous avons planté de beaux jardins et vous autres marocains, vous n'êtes même pas foutu de les arroser!"
Lyautey accordait le plus grand intérêt aux jardins publics: c'est lui qui avait imprté d'Amérique Latine les fameux arrocarias en les plantant dans toutes les villes côtières du Maroc. Malheureusement à chaque fois qu'un arbre de cette époque meurt on ne le remplace jamais par un autre et quand ces arbres sont malades; personne ne les soigne : on les laisse mourir dans l'abondon comme si les "responsables" municipaux n'avaient aucune conscience de la beauté d'un arbre dans la cité....
Le temps est passé et la ville s'est enlaidie : c'est triste de constater combien ces mêmes artères sont moins beaux à voire...L'esthétique urbaine est fondamentalement une affaire de démocratie locale et malheureusement ce n'est pas pour demain...
Ce n'était pas beau celà?! Malheureusement, depuis l'indépendance du Maroc, en matière de gestion urbaine, la "chaâwada"(le charlatanisme) l'a emporté sur les vrais compétences: il y avait pourtant de grand maâleme artisans à Essaouira qui souffraient en silence parce qu'on les a jamais associé aux affaires de leur cité. Pourtant Dieu sait qu'ils étaient un milliard de fois plus cultivés et plus civilisés que les soi-disant interlocuteurs des autorités de "tutelles" comme ils disent...Au Maroc l'urbanisme a souffert de l'arrivée aux affaires d'élus sans projet, sans vision, sans la moindre once de connaissances esthétique: résultat, des villes comme Csablanca avec son architecture Art Déco ou Essaouira avec ses beaux jardins se sont clochardisés depuis, offrant le visage dégligué de bourgades rurales dont on ne peut plus dissimuler la laideur et la saleté à coup de propagande : Lyautey associait les meilleurs savants pour mieux connaitre la civilisation marocaine en la respectant et en tirant le meilleurs d'elle-même et non comme maintenant en offrant les meilleurs poste de responsabilité à une horde de pillards hilaliens...
Le souk et la mosquée Sidi Hmad ou Mohamad
Souk Jdid était tout planté d'arbres !
On pouvait s'abriter du soleil au souk Jdid-photo de 1924
Quelle qualité de vie! Quelle clareté urbaine! Rien avoir avec la catastrophe urbaine sans tête ni queue qui s'est développée à partir des années années 1960, dans ces quartiers de la périphérie qui ont supplantés les anciens jardins potagers, ni avec cet habitat produit à "l'industriel" dans ce qui était le village de Ghazoua....
Maintenant, non seulement aucun arbre ne pousse plus à souk Jdid, mais on a défiguré ses arcades en les affublant de tuiles vertes unifornisantes et surtout en détruisant l'harmonie et la symétrie des quatre places qui faisaient le charme du centre ville(le marché au poissons, le marché de la laine d'un côté, le marché aux grains et le marché de la criée de l'autre): au début des années 1980, le buldozer est entrée en action pour mélanger laine et poissons avec une architecture en béton d'une laideur indescriptible et dire qu'on ne pouvait même pas lever le petit doigt pour dénoncer une atteinte évidante au patrimoine urbain : les destructeurs prenaient le silence pour de l'aprobation à leur forfait et à leur ignorance.On a été non seulement réduits au silence, mais ce qui est plus grave on s'est retiré de toute vie concernant la cité: les plus brillants d'entre nous se fondaient dans la masse silencieuse et anonyme : quel progrés que l'indépendance du Maroc...Les gestionnaires de la chose public n'ont de compte à rendre à personne...
On pouvait s'abriter du soleil au souk Jdid - photo de 1924
Arbres plantés en 1913, rasés en 1956
Traversée de l'axe principal de la médina en images: le méchouar, haddada, souk Jdid et khoddara; Sous le Protectorat, les arbres étaient plantés tout le long de l'axe principal de la médina.Ils ont tous été rasé à l'indépendance et malheureusement jusqu'à aujourd'hui encore, on continue de raser cette horloge biologique, ce témoins de l'écoulement des saisons que sont les plantes et les arbres..Le temps est passé et du coeur de la ville les arbres ont disparu
Même "khoddara"(le marché aux légumes) était ombragé d'arbres! Au premier plan les pilliers en pierre de taille qui abritaient la rangée des bouchers d'un côté et celle des marchands d'abats de l'autre: on les a détruit au début des années 1980 pour les remplacer par de lugubres arcades en béton armé surmontées de tuiles vertes uniformisantes, qui gomment et les spécificités locales en matière d'architecture et son ésthétique et cachent surtout les arrivages des quatre saisons! A l'origine le marché était ordonné par profession: les fleuristes avec les fleuristes, les bouchers avec les bouchers et les maraichers avec les maraichers: maintenant c'est du n'importe quoi: un marchand de pacotille vient élire domicile au milieu des bouchers et une téléboutique ouvre au milieu des marchands de volailles!. C'est tout simplement révoltant à force de ridicule et de mauvais goût! Non seulement les jardins allaient jusqu'à Bab Doukkala, mais donnaient en plus sur d'autres jardins : les fameux jardins potagers rasés à l'indépendance!
Arrivée de la procession des Hamadcha à Bab Doukkala, Roman LAZAREV
Bab Doukkala
Forteresses à Mogador et vieux cimetière marin
Les tombes qu'on voit au premier plan sont celles du vieux cimetières marin où on vient d'ênterrer l'écrivain marocain Edmond Amran El Maleh à sa demande (il avait réclamé aussi que son épitaphe soit rédigée en Hébreu, en Arabe, en Amazigh et en Français, les quatre idiomes utilisés au niveau national).David Bouhaddana m'écrit à propos de ce vieux cimetière marin : "c'est l'ancien cimetiere de mogador, qui est maintenant entouré d'un mur et qui est à ce jour bien mieux entretenu. C'est dans ce cimetiere que repose notre Rabbin Rabbi Haim pinto qui recois chaque annee par avion des centaines d'anciens mogadoriens.........ils viennent de France , des Etats Unis et d'Israel.....sous la reponsabilité de Rabbi david pinto "arriere petit fils du saint" pour quelques jours juste avant le debut de l'annee juive "roch hachana" (tête de l'annee ). Ce saint etait mort 3 jours avant la nouvelle annee."
Les Rabbins de Mogador au tout début du 20 ème siècle
David Bouhaddana m'apprend maintenant que ce cimetière marin a plus de 900 ans et qu'il était déjà complet après 400 ans.Il y a deux couches de tombes. C'est ce que m'a raconté Lahcen, le gardien mort il y a 15 ans. Cette histoire, il la tient de son grand père, qui la tient de son grand père...C'est une histoire de gardiens de cimetière de père en fils....
C'est dans ce cimetière que Rabbi Haïm Pinto est enterré sous la coupole
Le cimetière « rasé » de Bab Marrakech
Potiers à l'entrée du vieux cimetière de Bab Marrakech le nuit du destin
Hier,en passant devant le cimetière « rasé » de Bab Marrakech — il paraît que les musulmans ont le droit de raser les cimetières au bout de soixante-dix ans — et en particulier devant les trois palmiers où mon père disait qu’Abdessalam, son tuteur, était enterré ; j’ai passé plus d’un quart d’heure à lutter contre le trou de mémoire, pour retrouver le nom d’Abdessalam : trou de mémoire pour sépulture disparue. Devoir de mémoire envers mon père et ma mère. Le jour où je m’attaquerais à cette amnésie, ce jour-là, je pourrais peut-être m’autoproclamer « écrivain ».
La "Machina" : la minoterie Sandillon
Abdesslam l’homme à la sépulture disparue qui a élevé mon père vendait de la farine près de la minoterie Sandillon. Le nom de ce dernier figure dans la toute première alliance israelite de Mogador : les élèves de cette école étaient, en juillet 1905, au nombre de 206, dont un Français, le jeune Sandillon. Le local de l’école était au premier étage d’une maison de la nouvelle kasbah – l’actuel commissariat de police. La présence d’une seule école anglaise de filles créait une situation particulière aux enfants des autres nationalités qui étaient obligés de suivre ses cours, c’était le cas des filles de Mr Sandillon, le minotier français de la ville.
Au fond, Henri Sandillon, fils ainé de Ferdinand Sandillon avec maâlem Abdellah
Ce Sandillon, dont je me sens si proche parce qu’il avait fondé au début du XXe siècle, le premier journal que Mogador ait jamais connu. À la fin des années 1980, quand je menais des recherches sur l’histoire de la ville, j’avais retrouvé dans un fichier de la bibliothèque de Rabat, la collection complète de ce journal ! Malheureusement, à chaque demande, le bibliothécaire revenait les mains désespérément vides, me disant que le journal avait disparu. C’était au moment même où la minoterie vacillait sous la violence des vents avant de disparaître à son tour.
Dix ans auparavant la veuve de Sandillon est revenue dans le sillage des nostalgiques français de Mogador.Ils étaient conviés à un somptueux dîner aux langoustes, dans l’ancienne résidence du contrôleur civil qui avait été confisquée par le protectorat au caïds Anflous après sa reddition en 1912, et qui appartient désormais à ce président du conseil municipal qui a pour coloration politique, les oranges. J’ai alors servi de traducteur à ce président araophone dans le style du vieux Makhzen, qui disait comprendre l’émotion de ces revenants, pour qui les rivages de Mogador symbolisaient les temps à jamais révolus de leur jeunesse. Madame Sandillon m’a prise alors à part pour me dire :
« Quand nous sommes arrivés en haut du promontoire d’Azelf, à la vue d’Essaouira au bord de l’eau, je ne pus m’empêcher de pleurer de désespoir ».
Et combien je comprends sa douleur. Je lui disais alors que selon mon père, à l’instar de son mari, il y avait un homme qui tenait boutique de chimères au quartier des Boukhara — où résida la garde noire de Moulay Ismaïl — et qui tenait un journal quotidien de tout ce qui se passait dans la ville : intempéries, hausses de prix, arrivée de caravanes, naufrage de marins …
Les moulins de l'époque
Veux-tu bien que nous ajustions
Son axe au moulin,
Pour moudre en commun
Ton grain et le mien ?
Veux-tu bien qu’en un seul troupeau
Nous mêlions nos ouailles aux tiennes ?
Mais gardes-toi bien
D’y mettre un chacal !
Comment donc, de la plaine,
Surgirait Mogador,
Comment pourrait-on
Haïr qui l’on aime ?
Le vieux cimetière de part et d'autre de Baba Marrakech
À l’époque les quatre portes de la ville se fermaient la nuit, et en dehors des remparts, il n’existait que des jardins potagers et des cimetières. Pour se prémunir contre les caïds de la région qui la convoitaient, la ville tendait à développer une certaine autonomie, en disposant d’une citerne collective en son enceinte plus précisément dans l’actuel marché aux poissons. Au crépuscule un berger faisait rentrer les vaches laitières, que chaque maison possédait avant que les portails de la cité ne se referment.
Des vaches à l'entrée de Bab Marrakech
Un soir qu’il faisait très froid, deux colporteurs qui sillonnaient la région pour y vendre du tissu de melf importé d’Allemagne et des épices – au paradis le Prophète aurait aimé être marchand de tissu et d’épices – entraient en ville après leur tournée dans les souks de la région. Ils trouvèrent les portes fermées au crépuscule parce que c’était le temps de la Siba, le temps où les caïds étalaient le burnous sur la jellaba et faisaient parler le baroud. Le marchand qui resta immobile jusqu’au matin fut trouvé inanimé au pied des remparts, alors que son compagnon qui avait passé la nuit à rouler une grosse pierre, à la manière de Sisyphe, entra prendre son petit-déjeuner tout trempé de sueur en répétant : « Que le lit où coule le flot de notre vie serait étroit, s’il n’y avait le vaste espace de l’espérance ».
Des vaches à l'entrée de Bab Sbaâ
Le mogadorien David Iflah, le chantre du Malhun judéo-arabe qu'Alexis de Chottin cite dans son "Tableau de la musique marocaine", évoque les jardins potagers qui entouraient la ville en ces termes : La betterave provient du potager de Messan,de Bunnif le jardinier et son associé Dda Hammani, ainsi que les aubergines..Leur produits sont vendus sans être pesé et les jeunes de la ville s'y servaient gracieusement pour apaiser leur faim après chaque match de football se souvient maintenant Mr.Abdelkhaleq Louzani, gloire du football national: "Carottes , navets, choux, chou-fleur (bourass) poussaient aux jardins potagers qui étaient exploités aussi bien par les juifs que par les musulmans. On jouait des matchs de foot au « hangar » et au retour tout le monde a faim. On passait par ces jardins pour manger les carottes.
D'entre les jardins potagers (Bin Laârassi)
Mogador - Vue prise en avion au tout début des années 1900 : on reconnait les deux cimetières de Bab Marrakech et les jardins maraîchers qui entouraient la ville.Tout cet espace vert allait disparaître sous les constructions anarchique à partir des années 1960.
.Mogador - Vue général: au premier plan "Bin laârassi", d'entre les jardins(potagers)
Par Bab Doukkala arrivait aussi la fameuse menthe de "Chicht"
Mogador avant la construction de la jetée du port
C'est cette ville qu'avait quitté Eugêne Aubin, pour se rendre à Safi, le 15 novembre 1902 :
« Vers midi notre convoi commençant à s’ébranler par groupes successifs traverse la rue principale de Mogador et sort de la ville par la porte du Nord, qui donne sur la lagune entre des jardins maraîchers et des cimetières. La plage , bordée de dunes sablonneuses, s’étend tout droite et la vapeur d’eau qui vient des vagues noie les contours du paysage. Dix kilomètres plus loin, à la nzalade Chicht , toute la caravane se trouve réunie. Dans le lointain, Mogador forme une apparition très fantastique, s’élevant des sables et de la mer, avec ses grandes murailles crénelées, ses maisons blanches et les tours carrées de ses minarets. »
Jardins maraîchers longeaint les remparts du côté de Bab Doukkala
Les dits jardins se situaient sur la lagune qui entourait la ville et qui était connue sous le nom vernaculaire de "loughrad"(le terreux) .Le jonc y poussait avec abondance faisant ombre dense où nichaient les pics-boeufs: dans cette lagune qui entourait l'îlot sur lequel est bâtie la ville ; on enduisait ces joncs de suie fondue des chombre à aire des becyclettes et on attendait patiemment que vienne s'y prendre l'un de ces tendres oisillons convoités....
C’était au temps, où à la veille de la fête du sacrifice, les enfants chantaient encore la fameuse comptine dénommée Qûbaâ ( la pie ), qui fait partie de ce que Halbwachs appelait « les cadres sociaux de la mémoire »:
Pie, ahah !
Carrelée, ahah !
Viande fraîche, ahah !
Et n’égorge, ahah !
Et ne dépèce, ahah !
Jusqu’à ce que vienne, ahah !
Moulay Ali, le doré !
Il a bu une sangsue,
Aussi grande que l’astre !
Pour guérir ? Ahah !
Sueur d’ensens, ahah !
Où est l’ensens ?
Chez l’herboriste !
Où est l’herboriste ?
Dans la cithar !
Patronne de la maison
Par-dessus l’olivier !
Cette maison est la maison de Dieu !
Et les disciples, esclaves d’Allah !
Donne moi quelque chose,
Si non, je pars,
En rampant,
Comme le serpent
Providentielle ! Haw ! Haw !
Sur l’olivier! Haw! Haw!
Cette maison est la maison de Dieu !
Libérez-nous ! Providencielle ! Haw ! Haw !
La maîtresse de maison leur donnait alors un mélange de henné, de sel et d’orge, que le bélier devait avaler avant d’être sacrifier par Moulay Ali le doré. Actuellement ces comptines oubliées ne sont plus évoquées que par de vieux souiris, lorsqu’ils parlent des années folles de leur enfance. Après l’école coranique, les enfants étaient principalement déstinés à un travail manuel, la marqueterie, en particulier.
Pêche à la ligne au pied des remparts du côté du Mellah :" les enfants de Mogador se rendaient chaque vendredi aux jardins maraîchers qui cernaient la ville pour apaiser leur faim en croquant des carottes fraîches après un match de football puis à jarf lihoudi (le rocher du juif) au pied des remparts du mellah, pour la pêche aux crabes.Il y avait beaucoup de sarres qui arrivaient avec la marée montante et qu'on pêchait là-bas.Les juifs aussi pêchaient près de cet îlot qui porte leur nom» se souvient aujourd'hui M. Abdelkhaleq Louzani, gloire du football national.
Les produits des jardins maraîchers arrivaient chaque matin au marché par Bab Doukkala.
Dans l'un des fours d'Abibou, situé au coeur de l'ancienne kasbah offiçiait kadouche dont David Bouhaddanam'envoie la photo accompagnée de ce commentaire: "Abibou a fait le pain mais c'est kadouche qui s'occupait de la cuisson. En plus c'etait lui qui as cuit les dafinas de la pluspart des juifs.Meme messaouda de l'hotel atlantic et mira de l'hotel centrale etaient clientes chez lui."Le jeune David Bouhaddana (enhaut en campagnie de l'acteur Michel Piccoli lors du tournage au port dans les années 1970 de scènes de "La poudre d'escompettes"et Mustapha Khalili(en bas), le chantre du malhûn souiri et le digne successeur d'Abdellah Abibou qui s'occupait de la cuisson du repas du shabbat, dénommé skhina (de la racine "skhou"chaud); dont le professeur Joseph Chetrit m'envoie une qasida du genre malhun en arabe udéo - arabe, intitulée әl-qṣἱḍɑ d-әs-sxinä qu'avait consacré le chantre mogadorien, David Iflah à ce plat traditionnel.
Le chant du plat chaud du shabbat
de David Iflah (Mogador/Essaouira 1867-1943)
Le repas chaud du shabbat procure une jouissance suprême; parfaitement préparé. il offre tous les délices, dont se délectent les amis et les frères réunis.
Voici la description explicite de la marmite: elle est resplendissante, blanche et brillante, de taille largement suffisante, fabriquée à l’ancienne
Elle porte les gros pois chiches, qui baignent dans leur huile, formant une sauce alléchante, de couleur dorée.
Les grosses boules de viande, le pied et la langue, avec des poulets farcis et d’autres sans farce; ajoutez-y les pommes de terre du Yémen
Des œufs blancs comme un tissu de lin, achetés après avoir été choisis et sélectionnés par un européen averti, et payés bien plus cher.
Mettez-y des morceaux de viande bien gras, du faux filet, de la poitrine et de l’épaule, provenant d’un bœuf clément, et la base découverte ou voilée des côtes.
Les grains de blé couleur d’ambre, reposent bien cuits au milieu de graisses ruisselantes, provenant de la moelle des os.
Je l’ai vue passer en direction du four, sur les mains d’une servante décorée de henné, originaire du pays des Noirs.
Regardez ˤAkiku avec ses verres, affaissé et tout couvert de suie, de torchons sales, se vautrant tout nu dans la cendre.
Regardez Ben u-Hatta roulant son ivresse, se cachant exprès entre la fosse du four et les planches rondes à pains, surveillant les voleurs.
Les plats chauds des différentes communautés comportent des oignons, des coings et des fayots couleur de raisins secs, ainsi que des lentilles pareilles à des coraux.
Regardez les amis et les proches parents, qui se réunissent tous affamés pour [le repas du shabbat], accourant bien perspicaces au festin
Les fourchettes à l’ancienne, des serviettes et des nappes de soie fine, brillant de leurs fils d’or.
Son odeur réveille les souffrants, par ses épices et le fin safran, et par son apparence couleur d’or.
Dans le salon étincelant et joyeux, couvert de tapis, de matelas et de coussins en soie fine, nous avons réjoui tous ceux qui ont bu et ont resplendi de bonheur
Faites revigorer les esprits par des bouteilles, de maħya blanche et de maħya rouge couleur de perles, distillée par des fins connaisseurs.
Le vin coulant à flots, l’absinthe, le brandy et le gin purifient mes chants, avec l’anisette blanche de couleur
Le cognac calme les ardeurs, mais ne négligez pas le célèbre rhum des Bermudes flamboyant dans les verres, étincelant comme des éclairs.
Des conserves au citron remplissez des pots: cornichons, moutarde, ainsi que les alléchants piments au vinaigre, avec la salade aux tomates et au piment fort.
La betterave provient du potager de Messan, de Bunnif le jardinier et son associé Dda Hammani, ainsi que les aubergines.
Les câpres valent leur prix cher; ne manquez pas les olives cassées à la manière de Taroudant, ainsi que les citrons couchés à l’huile d’olive.
Les radis couleur d’or sont acompagnés d’une salade de gros concombres à l’oignon blanc, de carottes, de citrons confits et de figues jeunes.
Quand le plat est arrivé à la maison, le logis a resplendi; c’est le maître mets dont l’odeur m’enivre. Notre joie est complète et notre fortune a embelli.
Mon nom est livré ici explicitement: le maître Dawid Iflah, qui s‘y plaît bien; je l'ai composée contre les [mauvais] yeux des ennemis.
әd-dritkä
Le plateau de thé offre de la jouissance, avec les deux théières et les verres dont la couleur m’enchante, on dirait un parterre de coquelicots.
Voici le détail des verres: le bleu violacé, le jaune du genêt ainsi que le vert me ravissent; ceux qui ont la couleur du coucher du soleil raniment les esprits.
Ajoutez-y le rouge vif éclatant, ainsi que le violet vert et doré du cou de pigeon indien, avec le bleu ciel teinté d’or.
N’oubliez pas les verres couleur de poils de chameau et de corail, ainsi que ceux qui sont d’un jaune rosé des jujubes, avec en dernier ceux à la couleur beige de pois chiches tout comme ceux qui sont du beau jaune verdâtre des roseaux.
Installe ensuite la bouilloire en beau métal jaune sur son réchaud, dont les braises se consument d’amour et de passion pour le plateau et les verres
Mettez à la tâche deux petites servantes noires du même âge, portant carafes, serviettes et tasses, celles dont l’ancêtre était gouverneur du pays des Noirs.
Texte extrait d’une étude culturelle et linguistique, sous presse,que le Prof. Joseph Chetrit a consacré à ce poème intitulée: Délices et fastes sabbatiques.( Edition et analyse d'uneqaṣi:dajudéo-arabe d'Essaouira/Mogador sur le repas festif du sabbat)
Avant de commencer la journée, j'ai pris des baignées croustillons au « Sefnaj » - un mot arabe qui dérive du persan «isfanj » probablement parce que ces baignées sont originaires d'Ispahan - puis une soupe de fèves (bissara) à khobbaza, marchants de pain de seigle bien chaud en cette heure matinale, où d'habitude se retrouvent, à chaque aube naissante, les marins du vieux port, pour partager un bon thé d'absinthe (chiba) qui a la réputation de réchauffer le corps et les cœurs juste avant d'affronter les embruns et les frimas de haute mer. Mais aujourd'hui, aux cafés maures de khobbaza, rares sont les marins parmi la clientèle de l'aube : là aussi c'est signe qu'il n'y a pas de sortie en mer.
En sortant de la maison, je passais d'abord par le marché aux grains où j'étais ébloui par le ballet des pigeons autur des marchands de blé et de maïs:
Enfant, j’ai jeté tous mes cahiers à la mer
Et je suis revenu avec des coquillages et des îles
On me donnait zéro
Et mes yeux d’enfant me donnaient
Le point lointain de l’univers.
A l'aube je prends ma première image de l'artère de Souk Akka, où enfant j'achetais des baignées en me rendant à l'école;Au bout de cette artère de Souk Akka, à la sortie de Bab Marrakech, se trouvaient les deux plus vieux cimetières de la ville que Tahar Afifi, alors président du conseil municipal de la ville avait ordonné de raser dans les années 1980. J'ai appris plus tard que mon père s'accoudait au muret de ce vieux cimetière pour prier pour le repos de l'âme de ma grand mère Mina , pour notre aïeul Hajoub Nass Talaâ (surnommé "mi-pente" parcequ'il avait dit au caïd Rha qui inspectait les caisses d'amandes du port vers 3h du matin: "Ma gachette est à mi-pente"; que je suis éveillé; c'est lui qui aurait édifié le toit peint (Barchla) de Sidi Mogdoul en tant que maâlam Brachlya).
Le vieux cimetière de Baba Marrakech
Au fond les palmiers où mon père disait qu’Abdessalam, son tuteur, était enterré. L'espace entre les deux vieux cimetières était très animé surtout lors de la fête de âchoura Hier, en passant devant le cimetière « rasé » de Bab Marrakech — il paraît que les musulmans ont le droit de raser les cimetières au bout de soixante-dix ans — et en particulier devant les trois palmiers où mon père disait qu’Abdessalam, son tuteur, était enterré ; j’ai passé plus d’un quart d’heure à lutter contre le trou de mémoire, pour retrouver le nom d’Abdessalam : trou de mémoire pour sépulture disparue. Devoir de mémoire envers mon père et ma mère. Le jour où je m’attaquerais à cette amnésie, ce jour-là, je pourrais peut-être m’autoproclamer « écrivain »Abdesslam, l’homme à la sépulture disparue qui a élevé mon père vendait de la farine près de la minoterie Sandillon. Le nom de ce dernier figure dans la toute première alliance israelite de Mogador.À l’époque, il y avait encore des consuls européens dans la ville.Lambrojo, le consul d’Italie avait une minoterie en face de la maison où je suis né
Les vieux cimetières de Bab Marrakech
« Nous sommes nés d'une poussière d'atome etnous redeviendrons poussière. ». Cette formule usuelle indique que pour les musulmans, la dépouille mortelle n'est pas si importante ; et que ce qui importe est l'âme qui monte au ciel : « Ils t'interrogent au sujet de l'âme, dis : l'âme relève de l'ordre de mon Seigneur. Et on ne vous a donné que peu de connaissance. » (Sourate 17, verset 85). L'Islam fait ainsi le distinguo entre « Rûh » (l'esprit) que Dieu rappelle auprès de lui, qui est d'essence éternelle et la « Nafs » (le souffle vital), objet des désirs, qui est périssable avec le corps. Dans l'un de ses quatrains mémorables, Omar Khayyâm disait : « Allèges le pas car le visage de la terre est recouvert des dépouilles des morts. ». Ce qui importe ainsi pour l'Islam, c'est l'âme qui monte au ciel, attitude diamétralement opposée au Judaïsme qui accorde une grande importance à l'intégrité du corps après la mort et surnomme le cimetière « Beit Haïm» (la maison des vivants)
Mogador - Porte de Marrakech
Le commerce caravanier a continuer d'affluer vers Mogador bien après le déclin de la ville à la fin du 19è siècle comme on le voit sur ce clichet pris le 4 juillet 1927
Adossée au rempart, la chambre où on lavait les morts était juste à droite en sortant de Bab Marrakech.Pour apaiser le mort et réconforter la conscience endeuillie des vivants, l'oraison funèbre disait:
Sobhâna di lmoulki wal malakout
Sobhâna di lîzzati wal jabarout!
Sobhâna l'hay alladi la yamout!
Asabbouh, al qoddous, Rab al malaîkati wa ruh!
Jah n'bi qaddamnak, ya moulay tarhamna!
Grâce soit rendue à celui qui a la royauté de tous les royaumes!
Grâce soit rendue à celui qui a le pouvoir sur tous les pouvoirs!
Grâce soit rendue au vivant qui ne meurt jamais!
Le primordial, le sacré, le Dieu des anges et de l'âme!
Nous t'implorons au nom de ton Prophète, que ta clémence soit sur nous!
Cette oraison funèbre était déclamée sur le mode musical andalou dit "laghriba"(l'exilée au royaume de l'ombre), dite aussi "ghribt lahcen". Ce mode musical on le trouve également dans le malhûn chez les Hamadcha et les Aïssaoua.
Au bout de la nuit du destin Laylat El Qadr, les habitants se rendent au cimetière pour y déposer ces poteries sur les tombes de leurs proches. Et à la veille du 1er Moharram, jour de l’an musulman – annoncé par la nouvelle lune — le rythme de la Dakka envahit les rues de la ville. C’est le rythme à l’état pur. Au dixième jour de ce mois sacré, on chante le rzoun. Dans le carnaval de l’achoura, il y a enchevêtrement de pratiques sacrées et profanes.Le lendemain de la nuit chaude de achoura, au levé du soleil, on s’asperge d’eau de zem - zem et on se dirige vers les vieux cimetières de la ville pour les asperger à grande eau. Dans les cimetières, avec baba achour, on enterre pour ainsi dire l’année écoulée. On couvre les tombes d’eau de rose et de basilic sauvage (rihan). Un marchand qui vend cette plante du paradis aux abords du cimetière nous dit : « Hier, a eu lieu la nuit de la Dakka. Tout le monde y participe avec joie jusqu’à l’aube. Les gens se rendent au cimetière pour visiter les morts. Ils trouvent les figues sèches, le basilic sauvage, les palmes de palmiers, l’eau de rose, les poteries qu’ils mettent sur les tombes et les jouets qu’ils achètent pour leurs enfants. Après avoir visiter leurs morts, ils rentrent tout contents chez eux. » Durant la séquence de la Dakka, le clan Ouest de la ville, celui des Béni Antar se retrouvait à la porte de la mer (Bab Labhar), alors que leurs adversaires du clan Est des Chebanate se retrouvaient au seuil de Bab Marrakech. La première porte était dite hantée par Aïcha Qandicha, (la démente de la mer). La seconde porte se situait entre les deux vieux cimetières de Bab Marrakech (rasés au court des années quatre-vingt). Le tapage nocturne des uns vise à exorciser les génies, et celui des autres à réveiller les morts.
Ceux qui n'ont pas de respect pour les morts ne peuvent pas en avoir pour les vivants.Dans le monde entier, le rasage d'un cimetière est considéré comme une profanation, sauf chez nous où les morts doivent doublement disparaître pour laisser place aux speculations immobilières. On dit de la mort qu'elle est un scandale mais le véritable scandale est de ne pas tenir compte de la mémoire des vivants qui sont en fait des morts-vivants puisqu'ils n'ont aucun droit au chapitre quant aux affaires de leur cité : de facto "les élus" eux-mêmes sont considérés comme de simples représentants du Makhzen, c'est à dire de la volanté de Dieu sur terre.Ainsi donc le manque de démocratie nous prive du droit de nous recueillir sur nos morts en soustrayant leurs dépouilles à nos prières et à nos souvenirs....Le type reponsable de ce forfait en tant que président du conseil municipal, on le disait lui-même ancien gardien de cimetière du temps du Glaoui, avant de finir sa carrière de politicien comme ministre chargé des relations avec le parlement au nom de "l'Union Constitutionnel"! Ceux qui désapprouvaient sa profanation et sa politique municipale (c'est encore lui qui rasa les magnifiques cabines de la plage de notre enfance, qui s'ouvraient sur la mer comme des arrêts de poissons) se contentaient de l'appeler sous cape tantôt "le Boss" tantôt "le Cobra".... Le Conseil Municipal d'alors justifiait ce rasage de nos tombes en disant que l'Islam autorise la disparition d'un cimetière - soit une double disparition des disparus - après soixante dix ans de son existence. Ce qui n'est pas le cas des cimetières marins juifs qui existent là depuis les Romains et les Phéniciens. Pourquoi avoir touché à la tombe de Mina ma grand mère ? Une question douleureuse et lancinante qui me tarrode encore et toujours...C'est aussi, parce que nous autres les locaux, nous n'avons jamais eu de pouvoir de décision au niveau local. On est dans les petits métiers, d'artisans, de marins, d'instituteurs,dans une espèce de marge réduite de facto au silence; celui des morts-vivants, celui des marges indiscibles : c'est ce qui en moi attira la sympathie d'un autre illustre marginal, d'un marginal professionnel dénommé Georges Lapassade. Marge des marges : Je viens de découvrir que la pluspart des marchands de fruits et légume de la ville sont originaires des Ida Ou Gord, la tribu riveraine de l'oued Ksob qui, chaque hiver, déverse ses allovionnement sur ces rivages
The children holiday , the Aashourah swings
L’hiver, les étourneaux , ces oiseaux solaires qu’on appelle zerzour, forment un immense « boa volant », qui orne le ciel et se confond avec lui. Calligraphie céleste, noria tournoyante au crépuscule. Ces oiseaux sont les gardiens de l’île, ou peut être la réincarnation des âmes qui la hantent encore.
Y hasra ! Hélas! Les naoras de notre enfance!
Ces balançoires en bois qui étaient de toutes les fêtes jusqu'aux tout début des années soixantes en ville, étaient encore en usage en milieu rural jusqu'à une période récente comme j'ai pu les observer en participant au printemp des Regraga en 1984: De loin, on entend les baroudeurs inaugurer la nouvelle étape comme pour signifier que c’est d’abord en guerriers que les Regraga ont rendu visite à chaque tribu. Nous quittons « cette forêt mahométane » où Jean Genet voyait « des Bouddhas debout ». Le chameau qui porte les norias de bois nous dépasse ; le jeune chamelier écoute sur cassette une aïta des tribus côtières :
« Allons voir la mer
Restons face aux vagues jusqu’au vertige »..
Abdelkader Mana
06:34 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook
25/11/2011
Documentaire suspendu par 2M
Dans son Istiqçaâ, l’historien Ennaçiri, écrivait :« Face à l’Europe, nous sommes comme un oiseau sans ailes sur lequel fond l’épervier. » . Ils furent deux éperviers à fondre sur le Maroc en 1926, lors de l’offensive franco – espagnole dans le Rif.
Dans ses lettres à propos de l’offensive dans le rif en 1925, le lieutenant Joubert écrit :« Nous sommes très près des côtes comme pour mieux les voir. Je les connais déjà ces côtes rouges arides, sauvages, des rochers à pic sur la mer très bleue, nulle habitation que la maison du gardien du phare, c’est un paysage grandiose sous le soleil, un décore pour des contes fantastiques. L’air est doux, c’est le calme et la solitude.L’offensive a commencé le 12 avril 1925, par une souga chez les Béni Zeroual, à la zaouïa d’Amjout ; ils nous lâchèrent en partie. Abd el krim voulait le chemin de Fès. Vous pensez quelle victoire pour lui de prendre la ville sainte, la capitale intellectuelle. C’était la reconnaissance certaine de sa puissance, puis de son autorité ; c’était notre défaite. »
Les rifains ne relâchent pas leurs efforts. Dans la nuit du 30 juin 1925, des éléments avancés coupent la voie ferrée pendant quelques heures aux environs de Sidi Abdellah. C’est seulement l’arrivée des renforts de France et d’Algérie qui permettent de rétablir la situation.
La menace sur l’Innaouen se précise dans les derniers jours d’avril, les guérilléros d’Abd el krim pénètrent chez les Branès et multiplient leurs attaques contres les postes et les auxiliaires.
Quand Abd el Krim est arrêté par Lyautey devant Ouazzane et l’Ouergha ; il essaie de rompre les lignes françaises à l’Est, de manière à atteindre Taza.Dés le 23 juin 1925, Abd el krim entame une violente offensive à laquelle sont consacrés ses meilleures troupes. Les contingents des tribus sous domination française ne tardent pas à rallier les combattants rifains. Des Tsoul et des Branès, dont le territoire est occupé, passent du côté des combattants rifains, au début de juillet 1925.
Au début de l’attaque rifaine, en 1925, le colonel Combay ne dispose que de forces très réduites pour protéger Taza :« A ce moment, souligne –t-il, la situation est angoissante ; la communication avec l’Algérie semble sur le point d’être coupée. Kahf El Ghar a été pris par les rifains, le 19 juin 1925. Les postes de Bou Haroun et de M’sila sont encerclés et subissent de rudes assauts, le premier écrasé par le canon, tombe le 2 juillet, sans qu’on puisse lui porter secours. La dissidence gagne chez les Tsoul. On envisage un instant l’abandon de Taza, mais après un conseil de guerre tenu le 4, le général Lyautey ordonne de garder la ville à tout prix, quitte à évacuer la population civile.
Un des atouts de Lyautey est l’aviation : arme encore naissante qui trouve dans l’insurrection du Rif, un terrain d’expérimentation sans égal.Abd el krim menace Fès, dont il annonce la prise pour 1925. Le maréchal Pétain inquiet de cette poussée puissante du nationalisme, obtient le départ du maréchal Lyautey, hostile à une coopération avec l’Espagne.Lyautey avait espéré jusqu’au bout qu’il pourrait ramener Abd el krim dans le giron du protectorat. Pétain lui, voulait liquider militairement le soulèvement en liaison étroite avec l’Espagne.
Après le désastre d’Anoual, Lyautey écrit à d’Ormesson que ses craintes sur le Rif, forts anciennes, n’étaient que fort fondées :« D’un mot, écrit-il, sache que la chose est grave, c’est la caractère national qu’a pris le mouvement. Son chef Abd el krim est un Monsieur très européanisé, qui sait ce qu’il fait, tient son monde, dispose d’une vraie armée et déclare l’indépendance du Rif.Lyautey a compris le ressort dont joue Abd el krim, il ne s’agit pas d’un classique chef de tribu en rébellion contre les français. Il s’agit d’un nationaliste, formé à l’école de l’occident qui s’apprête à utiliser le levier des traditions locales non plus comme un facteur d’ordre – mais comme un facteur de désordre. Il est comme le négatif de Lyautey : un prestige foudroyant se dresse contre le sien.
Le maréchal Pétain reçoit très vite le commandement des opérations ainsi que des moyens et matériels sans précédents – l’ensemble des troupes françaises au Maroc atteindra 150 000 hommes.
Les conversations franco – espagnoles commencent le 17 juin 1925. Lors de la rencontre le 28 juillet entre Pétain et Primo de Rivera, le principe d’une riposte commune sévère est arrêté. La guerre franco – espagnole du Rif commence.
Tout le long de la frontière qui sépare la zone française de la zone espagnole, Pétain mobilise les casernes militaires établies par la France lors de son occupation du Maroc au début du 20ème siècle.Des renforts militaires arrivent de France et d’Algérie et prennent position aux portes du Rif ; à la kasbah de M’soun, à celle de Mérada au bord de la Moulouya d’où s’envolent les escadrilles, à Camp Berteaux, et camp Aïcha chez les Béni Zeroual. A Paris, le haut état major fait prévaloir une autre conception des choses ; la guerre totale, l’éradication d’Abd el krim. On n’est plus dans la logique du protectorat, mais celle des colons, de l’expansion impérialiste à l’ « Algérienne ».
"De son vivant, Abd el krim avait une prison. Ici même ! Nous raconte un rifain de Boudinar.Pour celui qui refusait d’aller combattre, et d’acheter armes et munitions de ses propres deniers. S’il ne s’exécute pas ; la prison ! La bastonnade ! Cela se passait là bas dans cette maison. La maison que vous avez vu et visité. C’est là ! Lui aussi, il avait un téléphone. Le téléphone le reliait d’ici à Sidi Driss. L’endroit dénommé Sidi Driss. Il parlait à ses adjoints. Mais son vrai téléphone, c’était l’homme : d’ici à Bou Dinar, de Bou Dinar à Anoual, d’Anoual à un autre endroit plus loin. Le message était porté uniquement par la voix humaine. Celui-ci rapporte sur celui- là. C’était un leader. Il avait combattu sur la voie de Dieu. Que Dieu ait son âme."
Abd el krim tentait la jonction entre le Rif et le Moyen Atlas via le couloir de Taza. Dans ses « Lettres du Maroc », le lieutenant Joubert écrit : « Vers le 23 mai 1925, nos premiers renforts arrivaient. Abd el krim avait perdu la partie. Alors, il changea d’objectif et concentra ses efforts en direction de Taza. Il essayait par là, de joindre les Béni Waraïne et les dissidents de l’Atlas. C’était un beau plan, nous étions pris entre deux mâchoires d’une tenaille et nos communications avec l’Algérie étaient coupées. Mais Taza, ne valait pas Fès. »
C’est le 18 avril 1926, à Camp Berteaux, aux confluences de l’oued Zâ et de la Moulouya, qu’eût lieu le premier contact entre les délégués rifains et les délégués français et espagnols, qui s’étaient rendus dans ce petit poste, tandis qu’une nuée de journalistes s’abattait sur Oujda.
Le général Henri Simon, chef des pourparlers, côté français, raconte :
« Dans deux entrevues préliminaires à Camp Berteaux et à El Aïoun Sidi Mellouk, dans la première quinzaine de mars 1926, l’Espagne et la France ont posé en principe qu’en aucun cas, elles n’entreraient en relations officielles avec les rifains si ceux –ci n’admettaient pas tout d’abord : la soumission au protectorat, l’éloignement d’Abd el krim, le désarmement des tribus, et la reddition des prisonniers.L’ultimatum expire le 1ermai. L’assentiment des rifains n’ayant pas été donné ; le 7, les troupes espagnoles et françaises reprennent leur offensive. Sur le refus d’Abd el krim, la parole est restée au canon. C’est tout. »
Du côté rifain la délégation était représentée par Azerkan, Chedid et le caïd Haddou. L’échec des pourparlers d’Oujda a entraîné immédiatement, l’offensive franco – espagnol : dés le lendemain, le 7, le général Bouchit, commandant des forces françaises marcha sur Targuiste.La liaison étroite s’affirme sur terre comme sur mer. Mais après les premières opérations la jonction des deux fronts ne se fait pas comme prévu : du 17 septembre au 18 octobre , le maréchal Pétain demande en vain, à trois reprises, à Primo de Rivera, de réaliser la soudure sur le Kert.
Le gaz de type moutarde fourni par la France, est utilisé pour la première fois par l’aviation espagnole contre les populations civiles du Rif.
Dés le 7 mai 1926, l’aviation entreprit sur tout le front des reconnaissances et des bombardements massifs sur les rassemblements et les centres importants.« Un nombre considérable d’avions nous survolaient, et bombardaient les positions des Moujahidines par des bombes à gaz asphyxiantes qui décimaient nos rangs par leur poison. » raconte Mohamed Azerkan, l’un des principaux lieutenants d’Abd el krim.Peu après le désastre d’Anoual, les espagnols avaient décidé d’utiliser les gaz toxiques, comme le rapporte le caïd Haddou dans une lettre à Abd el krim datée du 24 juillet 1922 :« Je t’informe qu’un bateau français a transporté 99 quintaux de gaz asphyxiant pour le compte des espagnols. »
« Lors des bombardements aériens, nous étions ici. On s’était réfugié là bas dans les grottes. Les avions nous bombardaient. Les bombes étaient petites. On ne pouvait rien faire. Et dans l’eau de l’oued, à la source de l’oued, où nous désaltérons, quand tu y laves tes mains ; l’eau est empoisonnée que Dieu nous préserve ! »
Rive droite de l’oued Amkran. On l’appelle « Amkran », c'est-à-dire, la grande rivière qui se jette en Méditerranée. Il y a par ici des grottes où se réfugiaient les combattants lors des bombardements aériens espagnols. Les bombes contenaient des produits chimiques rayonnant à effet néfaste sur leur santé et leur corps.
A l’heure où le marché du mercredi d’Ajdir grouillait de monde, les obus commencèrent à tomber depuis le rocher de Nokour. Le débarquement franco – espagnol dans la baie d’Al Huceima eut lieu du 6 au 8 septembre 1926. La division française de l’amiral Hallier, avec le cuirassier Paris, a été mise à la disposition du commandement espagnol. Elle bombarde les organisations de la côte orientale de la baie, pendant que l’escadre espagnole assure la protection immédiate du débarquement.
Selon le récit de Mohamed Azerkane : « Les espagnols débarquent près d’Ajdir au cap Âbed à la frontière entre les Béni Bouqiya et les Béni Wariyaghel. Il y avait soixante navires espagnols et français au large d’Ajdir. Et malgré toute cette force de frappe, l’ennemi n’a pu débarquer dans la rade du cap Âbed, que lorsque les 300 Moujahidînes l’ont dégarni sur ordre d’Abd el krim : vers 2 heures du matin, il a convoqué le caïd Allal Lamrabti – mort quand les espagnols ont commencé d’avancer vers Ajdir – pour lui ordonner de se diriger avec ses troupes vers les positions Gzennaya, menacées par l’avancée des français sur le front sud. »
Lors qu’Azekane lui fait part de cette erreur d’appréciation relative au système défensif rifain, l’émir a regretté amèrement cette décision qui a facilité le débarquement espagnol.
Vaincu, Abd el krim se réfugie à la zaouïa de Snada, et consent à traiter si la France s’engage à protéger sa famille et sa fortune.Le chérif chez qui il a trouvé protection avise en grande hâte le colonel Corap de cette importante résolution, qui expédie à Snada ses deux adjoints, le lieutenant de vaisseau Robert Montagne et le capitaine Suffren.
Abd el krim est un homme d’une intelligence et d’un caractère supérieurs. Même vaincu, acculé à la catastrophe, il demeure digne et grand. Il songe aux conséquences de sa capitulation, aux tribus qu’il a abandonnée. Il appréhende la colère de l’Espagne, avec laquelle il a de si terribles comptes à régler. Il cède enfin et écrit au colonel Corap cette lettre que l’histoire enregistrera :
« J’ai reçu la lettre par laquelle, vous m’accordez l’aman. Dés maintenant, je puis vous dire que je me dirigerais vers vous.. Je sollicite la protection de le France pour moi et pour ma famille. Quant aux prisonniers, je prie qu’on les mette en liberté demain matin. Je fixerai l’heure de mon arrivée demain, avant midi ou à midi. » Mohamed Ben Abd el krim El Khattabi.
L’homme qui me racontait la guerre du Rif, était âgé de 80 à 90 ans. Je travaillais chez lui comme maçon. Il me racontait l’offensive franco-espagnole chez les Metalsa et dans le Rif. Ils s’étaient préparé et mis d’accord pour exécuter le plan suivant : les français viendraient de Taourirt, et les espagnols de Melilla et de Nador, pour se retrouver ici à Aïn Zorah. Une fois arrivés sur place,les espagnols s’étaient établi à Talaïnt, et les français à Aïn Âmar.
Il me disait : une fois qu’ils nous ont occupé, nous n’avons pu plus rien faire. Etaient arrivés chez nous trois gradés ; l’un était capitaine et les deux autres des commandants. Ils nous ont dit en arabe :
- Que désirez vous ?
On leur a répondu :
- On est pour le « pardon ». On ne vous fera plus la guerre. Ni à la France, ni à l’Espagne.
Il nous a dit :
- O.K, tôt demain ou après demain, chaque foyer doit déposer ici ses armes. Et chaque arme doit être muni de 40 réals.
On lui a répondu :
- S’il vous plait, pour ce qui est des armes, on peut vous les remettre dés ce soir. Quant à l’argent, ce laps de temps n’y suffira pas. Il faut nous accorder un délais.
- De combien de temps avez-vous besoin ? Nous demanda – t – il.
Nous lui avons répondu :
- Accordez nous deux mois.
- Non, nous rétorqua –t-il. Je vais vous accorder cinquante jours.
Nous lui répondîmes :
- Ils ne nous suffiront pas.
- Ecoutez, nous dit-il, il ne faut plus revenir la dessus ! ça sera 40 jours ! Un réal pour chaque jour.
Nous avons commencé à rendre les armes, avec 40 réaux pour chaque arme. Et ceux qui refusaient de s’exécuter étaient torturés de cette manière : on enfonçait leur tête dans un récipient rempli d’eau salé, et on se mettait à les bastonner.
Le 26 mai 1926, Abd el krim anxieux, saute à cheval. Il court à Kemmoun pour préparer l’exode des siens. Une automobile les portera à Taza. C’est la dernière étape. On devine à quelles lamentations, il est en butte, et quel déchirement, il doit éprouver. La partie est grave.
Le 27 mai à 2 heures du matin, sous un magnifique claire de lune, dans la nuit toute embaumée de la senteur de cistes, Abd el krim monte à cheval. Les spahis l’entourent. Le silence est absolu. Il s’en va les yeux dans le vide...
Abd el krim dira plus tard, dans une interview accordée au Caire, en 1954 :« Notre combat a donné aux rifains une fierté, un espoir, une confiance en soi qu’aucune défaite ne pourra effacer. Aujourd’hui, en 1954, la guerre du Rif a 33 ans. J’en ai 73 ans. Mais ni elle, ni moi, j’en suis certain, n’avons épuisé notre vigueur. L’aspiration à la liberté et la détermination de notre peuple dureront au – delà de la puissance de nos oppresseurs. »
La suspension de « la musique dans la vie » par 2M
« La musique dans la vie » que je supervise pour le compte de la deuxième chaîne marocaine de 1997 jusqu’ sa suspension en 2008 portait essentiellement sur les rites de passage et les fêtes saisonnière d’une manière générale. Mais comme la chaîne a choisi à partir de 2006 de consacrer une série documentaire à la seule région de Taza, il se trouve que celle-ci est d’abord riche par son histoire. On n’y trouve pas en effet la profusion des rituels du Haut Atlas par exemple. Par contre, on y trouve toute l’histoire du Maroc concentrée dans ce qu’on appelait jadis « le couloire de Taza » : depuis les Almohades, en passant par l’homme à l’âne,Bouhmara, jusqu’à Abd el krim. J’étais donc obligé de m’orienter vers cette piste historique. Mais il n’est pas de mon ressort ni de choisir ni d’imposer ce qui est diffusable ou pas. Ma responsabilité se limite à la valeur ajouté de la conception. Or pour le moment, on ne sait même pas encore ce qui sera diffusable ou pas. Pourtant mes intentions étaient louables : mettre en exergue la naissance du nationalisme marocain dans l’ancienne « Tache de Taza ». Pourtant les documentaires sur le RIF ne seront jamais diffusé et j’ai perdu même mon job pour les avoir produit. Tout allait basculer un jeudi 13 décembre 2007 comme je le notais alors dans mon carnet :
8h59. Tout à l’heure je vais me rendre au service juridique de 2M pour y retirer la résiliation de mon contrat. Il y aura certainement un prétexte pour justifier la suspension de la série documentaire que je supervise pour le compte de la deuxième chaîne marocaine depuis 1997, sans avoir à annoncer la raison profonde de cette résiliation : le Rif comme région tabou. . Or je n’ai pas voulu traiter du Rif sciemment. Il s’est imposé à moi dans le cadre de mon contrat justement. Il est évident que tôt ou tard, en traitant de la trouée de Taza en tant que verrou de l’Oriental et en tant que porte du Rif, j’allais tomber un jour ou l’autre sur la question Rifaine. Et c’est ce qui est arrivé lorsque nous sommes parvenus à l’étape où il a fallu réaliser des documentaires sur les Metalsa, les Bni Bou Yahi et le grand Nador où la question rifaine devient inéluctable. Lorsque j’écris « nous », il s’agit de moi-même et Mustapha Benali, l’ex directeur général de 2M qui est originaire des Branès, l’une des tribu Jbalienne au nord de Taza …Metalsa, Bni Bou Yahi, ces creusets de l’émigration rifaine sont actuellement vidés de leur population masculine. Il y subsiste juste un soupçon de l’antique transhumance ; le seul intérêt qu’ils puissent susciter pour un éventuel documentaire, c’est leur participation à la guerre du Rif, comme me l’a signalé le président de la commune de Aïn Zorah, lors du repérage : « Ici, les gens souffrent encore des conséquences de la guerre chimique qu’avait subi le Rif lors de l’offensive franco-espagnole de 1926…. »
Donc , sans aucune arrière pensée de quelque nature que ce soit, nous avons pensé apporter notre modeste contribution à la vulgarisation de l’histoire du Maroc en produisant ces quatre documentaires non diffusés à ce jour :
1. La Bataille d’Anoual (1921)
2. La guerre du Rif : l’offensive Franco - Espagnole(1926)
3. Immouzer des Marmoucha (le 2 octobre 1955)
4. Boured (le 2 octobre 1955)
L’insurrection paysanne du 2 octobre 1955 (dénommée aussi « deuxième guerre du Rif », a contribué fortement à l’avènement de l’indépendance du Maroc).
Puis un beau jour, alors qu’on est déjà dans la phase du montage le directeur des programmes de la chaîne est venu me dire de « surseoir au montage de la guerre du Rif : Il ne fallait pas faire de documentaires sur la guerre du Rif, un sujet tabou » . Il fallait dire qu’à l’époque la rumeur circulait déjà sur le départ du directeur général pour des tas de raison dont faisait partie le fait qu’il ait autorisé la production de ces documentaires sur le. J’étais à dix milles lieues alors de penser que je venais de m’attaquer de bonne foi à un sujet tabou où je comptais d’abord mettre en valeur la naissance du nationalisme marocain. Preuve en ai, j’ai mis en exergue du premier documentaire sur Anoual et en épilogue du second sur la guerre du Rif la photo en noir et blanc de la rencontre d’Abd el krim et de Mohamed V au Caire, en l’accompagnant d’une citation de Hassan II, disant tout l’estime que le défunt souverain avait pour Abd el krim et sa famille.Abdelkader MANA
09:45 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook
22/11/2011
Ce documentaire que 2M a refusé de diffuser
La victoire éclatante d’Abd-el-krim à la bataille d’Anoual, fut partout interprétée comme une revanche non seulement du Rif sur l’Espagne, mais de tout le monde musulman opprimé sous le joug colonial . Jusqu’en Perse on applaudit à la ténacité de ses montagnards contre les troupes européennes.« La guerre du Rif » est l’un des évènements les plus importants signalés par la « chronique du 20èmesiècle » . On peut y lire à la date du 19 septembre 1921 :« La victoire militaire sur les espagnols en juillet, permet à Abd-el-Krim-el khattabi de constituer un pouvoir politique scellant l’union des différentes tribus. Fils de Cadi Abd-el-krim appartient à la tribu des Bni Wariaghel. Il prit la tête de la rébellion du Rif ; cette zone de dissidence traditionnelle, « Bled Siba », compte environ trois millions d’habitants. « cette victoire éclatante, fait trembler l’Europe et la chrétienté : elle sert d’exemple et constitue un encouragement pour tous les peuples musulmans opprimés. » écrit l’Algérien Messali Hadj. »
Abd-el-krim, le héros de la Bataille d'Anoual
Pour les milieux coloniaux, le désastre d’Anoual reste inexplicable. Le Libéral, du 23 septembre 1921 écrit :« On ne s’explique pas en Europe comment une armée de 24 000 hommes, avec son artillerie, ses aéroplanes, et ses mitrailleuses ait pu être maltraitée par une horde de montagnards. Le désastre d’Anoual a eu de telles conséquences, qu’on peut sans exagération aucune, le considérer comme un des évènements les plus importants de l’histoire de l’Espagne de ces cinquante dernières années. »
Pour le général Luque, il n’y a pas d’exemple dans toute l’histoire Espagnole, d’un désastre comme celui d’Anoual.Après ce désastre, Primo de Rivera parvint à la conclusion qu’Abd el krim est un danger pour la présence coloniale européenne dans tout le Maghreb.
« Lorsque mon vénéré père Mohamed V se trouva au Caire en 1960, il tint à visiter Abd el-Krim, devenu une sorte de personnage de légende, et l’émir du Rif en fut très touché. J’entretins moi-même d’excellentes relations avec la famille d’Abd el-Krim » a pu écrire Hassan II dans ses mémoires
Dans le dialecte marocain, Rif signifie rive, côte ou bordure ; on dit par exemple, « le rif d’un campement pour indiquer les tentes qui forment la bordure extérieure de ce campement, celles qui sont le plus près de l’ennemi et protègent le camp. Si l’on ajoute à cela que le mot Rif n’a été employé, pour désigner une partie de la côte de la Méditerranée, qu’ à partir du règne des Mérinides, on peut se demander si ce mot, n’était pas compris comme l’équivalent de ligne de défense, de boulevard de l’islam contre la chrétienté.Pour Léon l’Africain, le Rif « est une région du Royaume de Fès, qui s’étend en longueur des colonnes d’Hercule au Fleuve Nekour et en profondeur de la Méditerranée aux montagnes voisines de l’Ouergha. ». Depuis les Mérinides le terme « Rif » désigne, toute la côte Nord du Maroc faisant face à l’Andalousie reconquise par les chrétiens. Il semble que c’est à partir des Mérinides que la confédération rifaine s’est formée et que, devant les attaques des chrétiens par mer, a été constitué un Rif ; c'est-à-dire une ligne extérieure de défense pour couvrir Fès.
Comme ailleurs au Maroc, les paysans sédentaires rifains ont conservé l’usage de l’antique calendrier julien, le long duquel s’égrènent les actes et les rites de la vie agricole : l’époque magiquement propice aux labours, les périodes néfastes où il faut se garder de travailler le sol, le moment des bénéfiques pluies de Nisân, l’instant heureux des moissons , et enfin le jour de la « mort de la terre », après lequel tout est brûlé ; mort jusqu’à la résurrection aux premières gouttes de la pluie automnale.
le Rif se caractérise par des vallées compartimentées et surpeuplées, où les cultures ne suffisent pas aux besoins et contraignaient une grande partie des montagnards à l’émigration. On n’a pas ici de villages au sens habituel du mot, mais seulement des maisons dispersée « comme des étoiles dans le ciel ». Cette forme de la vie humaine matérialise sur le terrain, l’esprit d’indépendance et la fierté des Rifains.
Le cheikh Moussa est actuellement le plus célèbre à Nador. Il est accompagné de l’Azemmar, une sorte de biniou, munit de deux cornes d’antilopes. On appelle le chant rifain « izri « (pluriel ; « izran »). En voici un qui fut composé, en 1911, à l’occasion de la mort du Chérif Mohamed Ameziane, le chef de la résistance rifaine contre l’Espagne, au début du 20ème siècle :
Sidi Mohamed Ameziane est mort !
Nous ne pouvons honorer son tombeau
L’ennemi ayant emporté sa dépouille
Dans les villes pour la photographier !
Par Dieu ! Ô Mouh fils de Messaoud !
Rends nous son corps afin que nous le vénérions !
Sidi Mohamed Ameziane qui avait levé l’étendard de la guerre sainte contre les espagnols, tomba dans une embuscade avec trente de ses compagnons. Son corps n’ayant pas été retrouvé, le bruit couru dans le Rif que les chrétiens avaient emporter sa dépouille pour l’exposer dans leur pays et la photographier.
C’est le 15 mai 1912 qu’étant sorti, apparemment pour une reconnaissance, Mohamed Amezian se heurta à une troupe adverse qu’il ne pouvait, vu son grand nombre, ni affronter ni esquiver. S’avisant cependant que c’était des Rifains, de ces « régulares » enrôlés par l’Espagne, il se porta vers eux en faisant de grands signes, comme s’il se proposait de leur parler. Mais il tomba frappé à mort, avant d’avoir été ni reconnu ni entendu. Ce n’est qu’alors qu’un des « regulares », en s’approchant, l’examina et su que c’était lui. Identifié, le corps fut aussitôt porté à Melilla où, si l’on croit la tradition rifaine, on l’exposa publiquement. Et quelques jour plus tard, on l’envoya à Seghenghen pour son inhumation.
Combattants rifains de la tribu des Beni Saïd rendant les armes
On racontait aussi, dans les veillées comment, ayant franchi le Kert avec une grosse escorte, il s’était installé pour la nuit, dans un village, chez les Beni Sidel. Mais avisés de sa présence par un espion, les Espagnols, grâce à l’obscurité, affluèrent de partout, fermant le cercle autour de lui. Quand Amezian s’en aperçut, il rassembla ses hommes et demanda des volontaires pour mourir avec lui dans son dernier combat. Demeuré, avec eux, il acheva sa nuit dans la prière, puis, au matin, il se battit en attendant la mort. Quand l’ennemi vint relever son corps, il trouva, ô prodige, le cheval du héros qui pleurait sur son maître et qui ne voulait pas se séparer de lui. On dit aussi que rien, après sa mort, n’a jamais plus poussé autour du lieu où il tomba, car la Nature en deuil ne se consolait pas.
Abd el krim du temps où il vivait à Melilia
Mohamed – Si Mohand dans le Rif- était né en 1882. De ses années d’enfance et de jeunesse, on sait sans plus, qu’il les passa dans la maison d’Ajdir, à l’ombre de son père. Le grand tournant pour lui, fut à n’en pas douter, le séjour effectué à Fès. Après trois ans d’étude dans la mosquée Qaraxiyine, il était de venu en 1915, le na’ib du qadi qudat du Presidio espagnol de Melilla. Quand il quitta Melilla à la fin de 1èreguerre mondiale, pour n’y jamais retourner, et rentra chez lui, à Ajdir, il était déjà un protonationaliste marocain.
Abd el krim à Melilia durant une célébration Espagnole officielle: 1 Abd el krim, 3 capitaine Pomes, mort à Selouan, 4 capitaine Huelva mort à Aberran .Mohamed Ben Abd el-Krim venait chaque année fêter la fin du Ramadan et profiter de son congé pour épauler son père. Un officier turc, émissaire clandestin, vint voir Abd el-Krim à Ajdir, en novembre 1914. Le visiteur voulait savoir si l’on pouvait au Maroc même, espérer un appui pour une action contre la France, à partir des régions que l’Espagne, dans sa zone n’occupait pas encore. Il lui fut répondu, qu’avec l’aide matérielle fournie par la Turquie de Mustafa Ata Turk , il serait très facile de soulever le Rif.
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Au sommet du Jbal Qama,les rifains firent le grand serment de demeurer unis et de se battre jusqu’au bout. Les auteurs du serment d’El Qama, « frappaient » ainsi la première effigie du chef de guerre, qui deviendrait Abd el krim de l’histoire.
C’est le 27 février 1920 que le Cadi Abd el – Krim avait franchi le rubican comme l’annonce en quelques mots un télégramme de Nokour: « Si Mohand el Khattabi et son oncle Abdessalam avaient quitté Ajdir et faisaient route vers la « Harka », mot qui désignait les formations de Marocains en armes. Autrement dit Si Mohand et son oncle étaient montés au front. Désormais le Cadi Abd el-krim commandait au front. « Plutôt la mort, répétait Abd el-krim, que de se rendre aux espagnols ». Abd el-krim n’a réussi à grandir et à s’imposer qu’en prêchant la lutte contre l’Espagne.Depuis le début du mouvement le chef rifain a su imposer la paix intérieure grâce à son prestige : les guerriers des Beni Ouariyaghel ont fait preuve à la fois d’un parfait mépris de la mort et d’une réelle discipline.
Quasiment prisonnière dans sa ceinture de fortifications, Melilla, jadis, ne respirait que par la mer, d’où tout le nécessaire de la vie quotidienne devait lui parvenir. Mais en dix ans, grâce aux progrès de la conquête, elle était devenue capitale d’une région représentant, de l’oued Kert à la basse Moulouya, et du Guerrouaou à la pointe des trois fourches, plusieurs milliers de kilomètres carrés. Manquant de tout naguère, y compris l’eau courante, elle trouvait maintenant, dans cet arrière pays, les conditions lui permettant de se peupler et de s’étendre en vue de recevoir une forte armée d’occupation. Durant sept ans, entre 1912 et 1919, sous Jordana et sous le général Aizpuru, commandant de Melilla à la veille de la guerre du Rif, deux progressions eurent lieu vers le Sud : sur les étendues plates des Beni Bou Yahi et de leurs voisins Metalsa.
Le passage du train par Dar Drius en 1919
Le territoire conquis est maintenant parsemé de positions, de garnisons, de points de colonisation que reliaient, des routes, des pistes et même une voie ferrée, offrait pour la manœuvre toutes les ressources dont peut user la stratégie. Beranguer avait dès 1919, dressé un plan pour une occupation de la région de Tafersit ou la localité de Dar Drius servirait de pivot pour la manœuvre au Nord, tandis qu’à Ben Taieb, Tafersit et Azib Midar, des positions colmateraient sur son flanc gauche toutes les issues de la montagne qui menaçaient la progression. Ce fut le plan qu’en arrivant, eut à exécuter le général Silvestre. Le premier band prévu devait conduire à Sidi Driss, sur l’embouchure de l’Amekrane, à une dizaine de kilomètres vers le Nord d’Anoual. Situé sur la côte, la position à établir là bas formerait une base rapprochée, où lui viendrait ensuite, par la voie maritime, le gros de son ravitaillement.
Défilé à Dar Drius en 1919
Les espagnoles envisageaient de relier Melilla à la baie d’Al Huceima par voie de terre Pour leur barrer la route, fin janvier 1921, quelques centaines de combattants Beni Ouariyaghel vinrent s’établir sur la hauteur du Jebel El Qama. Ils faisaient face aux nouvelles positions espagnols, dont Anoual, la principale et la plus proche. C’est au Jbel El Qama , de février à mai 1921, que s’affermit le pouvoir de Mohamed Ben Abd el krim sur les tribus du Rif. Il imposa tant chez les siens, les Beni Ouariyaghel, que chez les Temsamane, une justice sociale qu’il exerça lui-même selon le « Chraa », loi de l’Islam.
Sylvestre, dont le quartier général était à Anoual
Pendant que le général Beranguer progressait sur la côte Ouest, le général Fernandez Silvestre avait pour mission d’avancer depuis Melilla vers Al Huceima.Dans une interview paru dans le « Telegrama » du 7 avril 1921, le général Silvestre déclare :
« Nous allons ce printemps franchir la ligne qui sépare les bassins de l’oued Nokour et l’oued Amekrane. Certaines fractions Beni Wariyaghel voudront probablement nous barrer le passage, et il faudra alors livrer bataille. Mais dés que nous aurons atteint l’autre versant, nous gagnerons très vite la baie d’Al Huceima qu’on peut considérer comme un fruit mûr. »
Bien au-delà de l’oued Kert, dans la tribu des Metalsa, où s’est replié le Chérif Mohamed Amezian, en novembre 1909, l’Espagne disposait de deux bases insulaires qui lui servaient d’observatoires : le rocher de Badis et celui de Nokour. De celui-ci surtout, au territoire des Beqqioua et des Beni Ouaryaghel tout proche, avait fini par s’établir ouvertement un va et vient de marchandises et de personnes qui, en plus des nouvelles qu’il permettait de recueillir, faisait,en soi, par ses fluctuation, office de baromètre de l’attitude Rifaine vis-à-vis de l’Espagne. La fraction Aït Khattab des Beni Ouariaghel se situe précisèment, autour de la bourgade d’Ajdir, exactement en facedel’îlot de Nokour.Les espagnoles avaient pénétré à partir du rocher de Nokour. A travers les Béni Wariyaghel. Ils ont aussi pénétré à partir de Melilla. C’est ce qu’on nous racontait. Lors de leur avancée, ils furent combattus par les Metalsa, les Temsaman, et les Béni Waryaghel. Tous combattaient les espagnols, d’après ce qu’on nous racontait. Ils les combattaient à chaque étape de leur avancée. Les envahisseurs s’approchaient de Aïn Zorah, et c’est là que leur avancée était brisée. Ce fut le cas aussi à Aruit. D’après ce qu’on nous raconte, Aruit fut un désastre pour les espagnoles. Un dicton dit : « Oued Aruit ruisselle de sang. »
Ajdir est aujourd’hui la résidence d’Abd – el – Krim , l’organisateur du soulèvement de juillet dernier. Que se passe – t – il exactement entre Abd – el – krim et le général Silvestre ? Le général, beau sabreur, n’avait que du mépris pour ses adversaires et on peut supposer que des prétentions à une autonomie plus ou moins étendue du Rif central, ne devait pas trouver auprès de lui un accueil très favorable ; Abd – el – krim l’apprit à ses dépends, on a même raconté que le général le malmena rudement. Le cadet fut rappelé précipitamment à Madrid et revint à la maison paternelle d’Ajdir.
C’est peut – être à ce moment là que germa, dans l’esprit d’Abd – el – krim, l’idée de s’opposer à la marche en avant du Général Silvestre d’abord, pour se venger des mauvais traitements qu’il avait reçu et aussi pour essayer de conquérir par la force ce qu’on lui avait refusé : l’indépendances des Bén Ouaryaghel et la libre disposition des richesses du sous sol, dont les Allemands lui avaient appris à apprécier la valeur.
Si les Espagnols veulent rechercher quelles sont les origines du soulèvement qui débuta par la défaite de Dhar Ouberran et eu son couronnement un mois plus tard, à Anoual, à Nador, à Selouane, à Mont Arruit, ils devront se donner la peine de remonter à une dizaine d’années, alors qu’ils marquaient le pas sur les rives du Kert et que les frères Manesmann, plus heureux prospectaient la région d’Al Huceima sous la protection du père d’Abd – el – krim.
Le caid Amar des Mtalsa et le général Aizpuru
On voit ici , le général Aïzpuru, commandant de Melilla, à la veille de la guerre du Rif, en compagnie du caïd des Metalsa.Durant sept ans, entre 1912 et 1919, deux progressions eurent lieu vers le sud : sur les étendues plates des Bni Bou Yahi et de leurs voisins Metalsa. Le territoire conquis est maintenant parsemé de positions, de garnisons, de points de colonisation que reliaient, des routes, des pistes et même une voie ferrée, offrait pour la manœuvre toutes les ressources dont peut user la stratégie. Beranger avait, dés 1919, dressé un plan pour une occupation de la région.
Quasiment prisonnière dans sa ceinture de fortifications, Melilla, jadis, ne respirait que par la mer, d’où tout le nécessaire de la vie quotidienne devait lui parvenir. Mais en dix ans, grâce aux progrès de la conquête, elle était devenue capitale d’une région représentant, de l’oued Kert à la basse Moulouya, plusieurs milliers de kilomètres carrés, lui permettant de recevoir une forte armée d’occupation.
Abd el Krim dirigeait alors à Melilla, la section arabe du journal El Telegrama del Rif, et reçoit la croix du mérite militaire.Durant toute la première guerre, il se montra grand ami d’Abd el-Malek, le fils de l’émir Abd el-Kader qui menait le combat contre le colonialisme français dans la trouée de Taza. C’est à cette époque qu’il rentre en rupture de ban, fait ses premiers séjours en prison à Melilla, se fixe pour finir dans un village écarté, muni d’une solide haine envers le système colonial. Après s’être évadé de la prison où le général Silvestre l’avait jeté, il gagne la montagne et soulève sa tribu guerrière des Beni Wariyaghel, qui sera bientôt suivie par les autres tribus du Rif.
A la veille de la bataille d’Anoual, on assiste au défilé d’une colonne Beranger, à Dar Driouch. A partir de cette position, les espagnols avaient le contrôle de l’oued Kert , où s’était replié le chérif Mohamed Ameziane, en 1919. Les Espagnols envisageaient de relier Melilla à la baie d’Al Huceima par voie de terre.. Pour leur barrer la route, fin janvier 1921, des combattants Beni Ouariyaghel vinrent s’établir sur la hauteur du Jebel El Qama. Un poème rifain de l’époque relate ces manœuvres espagnoles :
Le roumi fait souga, il a pris Tizi Azza.
Il veut faire le thé, avec de l’eau d’Oulma,
Moujahidines au combat ! À quoi bon la vie.
Le plan Beranger que devait exécuter en arrivant le général Silvestre, consiste en un premier bond qui devait conduire à Sidi Driss, sur l’embouchure de l’Amekrane, à une dizaine de kilomètres vers le nord d’Anoual. La position formerait une base rapprochée, où lui viendrait ensuite, par voie maritime, le gros de son ravitaillement.
Certains notables accueillant à Sidi Driss, les généraux Silvestre et Navarro, et le colonel Moralès.
Débarquement de l'artillerie espagnole à Afrau
Les premiers débarquements de l’artillerie eurent lieu à la plage d’Afraou à l’Est de Sidi Driss. A partir de cette position, les espagnoles prirent d’assaut, le piton de « Dhar Oubarran », qui surplombe à la fois les rivages et l’intérieur du pays.
Sur le « Abda », le navire qui le menait vers l’exile, Abd el krim, raconte en ces termes, l’épisode de « Dhar Ouberran », la première grande victoire des rifains :
« Les espagnols venaient d’occuper Dhar Ouberran, en pays Tamsamane, point stratégique et politique de toute première importance. Je me proposais sur le champ, de leur disputer cette position. La partie était risquée. Je disposais à cette heure, de 300 guerriers. Je revins me mettre à leur tête. Et malgré ma pauvreté en munitions, je déclenchais la contre attaque. Après un combat des plus durs, ma troupe réoccupa Dhar Ouberran. »
« Dhar Ouberran », montagne située dans la commune de Bou Dinar: son nom signifie « la huppe du perdreau », parce que seul son sommet est couvert d’arbres faisant penser à la tête huppée de cet oiseau..C'était la première position occupée par les espagnols dans le Rif. Cette montagne surplombe la Méditerranée d’un côté et le Rif de l’autre. A l’époque les espagnoles avaient cru qu’en occupant cette position, ils allaient dominer la région entière.
Quiconque occupe cette position, domine toute la région : c’est un balcon sur la Méditerranée d’un côté, et sur toute la province de Nador de l’autre. Une position stratégique très importante. C’est là que les rifains avaient récupérer les armes sur l’ennemi : les armes pris aux espagnols à « Dhar Ouberran » ont permis par la suite de mener la bataille d’Anoual.
C’est le général Silvestre qui dirigeait les opérations, côté espagnol.« Dans cette première grande bataille, relate Abd el krim, les Espagnols avaient perdu 400 hommes dont 2 capitaines et 4 lieutenants. Quant au butin, il fut précieux pour nous : une batterie de 65 de montagne, des fusils Mauser tout neufs, environ 60 000 cartouches, des obus, des médicaments et des vivres de campagne ! Et vraiment tout cela n’était rien encore en comparaison de l’effet moral de cette victoire. Notre succès était si imprévu, si peu vraisemblable, que les Espagnols ne s’étaient même pas fortifiés à Dhar Ouberran. Encouragées par la victoire, nos troupes, maintenant voulaient attaquer. Et si bien, que de leur propre initiative, elles dessinaient déjà une offensive en direction d’Anoual et de Sidi Driss.Ayant vu la débandade espagnole, les autres fractions Tamsamane, se joignirent à nous : le bloc rifain se constituait. »
Le lendemain de leur premier combat, les vainqueurs d’Ouberrane, s’étaient portés sur Sidi Driss, position avancée de Silvestre. Inaugurant une tactique qui deviendra la règle : tirailler le jour durant, puis monter à l’assaut la nuit. Mais soudain, vers trois heures du matin, ils cessèrent le combat. C’est qu’ils étaient pressés de s’en aller passer en famille, la nuit du destin, sacrée entre toutes.
La suite des évènements est racontée en ces termes par Mohamed Ben Abd el krim :« Les Espagnols avaient massé à Igherriben, au Sud d’Anoual, une colonne extrêmement forte qui constituait en quelque sorte les avants postes de l’armée Sylvestre, dont le quartier général était à Anoual. J’étais informé que le ravitaillement des troupes espagnoles était défectueux, que peut – être même il ne s’opérait déjà plus, et que celles –ci n’avaient que pour quatre jours de vivres. Je savais aussi à quelle inquiétude elle était en proie, s’attendant d’une minute à l’autre, à voir se soulever contre elle la population du pays qu’elle occupait. Pour accroître leur angoisse et rendre leu situation plus critique, je décide de couper leur communication avec Tizi Azza, leur base de ravitaillement. Et brusquement j’occupe la côte entre Anoual et Igherriben. Effrayé des conséquences de cette manœuvre, le général Sylvestre ordonne immédiatement d’engager une opération désespérée, à gros effectifs. Il met en ligne environ 10 000 hommes, avec cavalerie et artillerie. Je ne dispose, moi, que de 1000 guerriers, mais, en seconde ligne, j’ai maintenant des réserves et l’appoint de tout le pays. »
Le 22 juillet 1921, le général Sylvestre décide de se replier de la base d’Anoual, vers la base arrière de Ben Taieb. A la sortie du camp d’Anoual, les « Régularès », formés de mercenaires rifains, ouvrent le feu en tirant dans le tas. Un tirailleur espagnol raconte :
« A l’entrée du défilée, l’afflux des unités auxquelles étaient mêlés des cavaliers perdus, des attelages et des camions autos, ainsi que des mulets chargés de leurs blessés, créa dans cet étranglement, untel embouteillage, qu’il n’était plus possible d’organiser la marche.
Epuisés et privés de ressort, nombre de bêtes tombaient dans les ravins. Des véhicules tombaient en panne. D’autres étaient brisés sur les tranchés creusés par l’ennemi à travers la route.
Dans une mer de poussière, les rifains venaient tirer hors du chemin des mulets et des hommes, raflaient des armes, dont bien des nôtres exténués, se défaisaient d’eux- mêmes. Jusqu’aux femmes Mauresques, qui prenaient part à ce pillage et à ce rapt. »
La position de Tizi Azza, d'octobre 1922 à septembre 1925
La retraite dégénère en débandade. La panique s’empare des troupes démoralisées. Fernandez Silvestre, meurt – il est probable qu’il s’est suicidé – et plus de 14 000 hommes sont massacrés. Les renforts envoyés arrivent trop tard pour secourir les militaires espagnols encerclés.
La bataille d’Anoual va durer du 21 au 26 juillet 1921, menée par le seul courage et le bon sens. La bataille est acharnée. Chaque jour le général Sylvestre attaque, et de jour en jour avec plus de violence. Mais nos guerriers se sont fortifiés. Et ils ont un avantage capital : ils n’offrent pas de prises à l’ennemi, tandis que les Espagnols qui manoeuvrent en formations massives, éprouvent de lourdes pertes. Et tous les jours nous réalisons un riche butin.
Le 25 juillet 1921, manquant de tout, nos ennemis doivent évacuer Igherriben qu’ils avaient réussi à réoccuper un instant. La reprise de cette position nous procure des stocks imports d’armes et de munitions. Nous faisons là nos premiers prisonniers dans cette affaire, dix ou quinze, et nous ramenons des canons.Chacun des combats livrés au cours de ces journées est cruel pour les Espagnols. Car afin de sauver le plus possible de matériel, ils contre – attaquent en se repliant et, chaque fois leurs pertes sont sévères.Dans la matinée du 26, leur défaite apparaît inévitable. Le général Sylvestre donne l’ordre d’évacuer, non seulement Anoual, mais tous les postes de la région. Au fur et à mesure de notre avance, je me suis rendu compte qu’il avait dû y être condamné, sans doute moins par notre pression que par le soulèvement des tribus qui le prenaient à revers.En effet, durant cette évacuation, il n’y eut pour ainsi dire point de baroud. L’armée Espagnole battait en retraite, littéralement affolée, dans un désarroi si complet que nos guerriers eux – mêmes avaient de la peine, en progressant si rapidement, à croire à la réalité de leur victoire, à la catastrophe où sombrait l’ennemi. Plus de cents postes tombent ainsi entre les mains de nos soldats !
Partout la campagne est jonchée de cadavres et de blessés qui se lamentent et qui rient grâce.Les Espagnols se replient en désordre dans la direction de Melilla. L’enthousiasme de mes guerriers est à son comble, mais leur désir de vengeance est tel qu’il me faut les menacer de mort pour les empêcher de massacrer les blessés.Le désastre d’ Anoual nous rapportait 200 canons, 20 000 fusils, d’incalculables stocks d’obus et des millions de cartouches, des automobiles, des camions ; des approvisionnements en vivre à ne savoir qu’en faire ; des médicaments, du matériel de campement ; en somme l’Espagne nous fournissait, du jour au lendemain, tout ce qui nous manquait pour équiper une armée et organiser une guerre de grande envergure !
Nous avions fait 700 prisonniers. Les Espagnols avaient à déplorer 15 000 tués et blessés. Parmi les tués se trouvait un Espagnol que j’avais beaucoup aimé, le seul d’ailleurs qui m’eût compris : le colonel Moralès. Respectueusement, je fis transporter son corps à Melilla. On n’a pas manqué de dire par la suite, que c’était de ma part une habilité pour me rapprocher des Espagnols. Il ne s’agit là que du suprême hommage à un ennemi intelligent et loyal. Tout autre commentaire serait indigne de lui et de moi.Quant aux conditions de la mort du général Sylvestre, qui succomba au cours de la bataille avec son état – major, je ne les connais point. C’est un petit Rifain qui vint nous informé qu’il avait découvert le corps d’un général tombé au milieu de ses officiers, et il me remit son ceinturon et ses étoiles. Quand je parcouru le terrain, à la fin du combat, il me fut impossible sur ses indications, de retrouver le corps et d’identifier les restes du général.Nous dirigeâmes les prisonniers, partie sur Anoual, partie sur Ajdir.
Et durant les premiers temps de leur captivité, c’est grâce à l’énorme ravitaillement pris à l’ennemi que nous avons pu les nourrir et leur éviter des privations.
Le terrain fortement accidenté où s'est déroulée la bataille d'Anoual
Le 22 juillet 1921, le général Silvestre décide de se replier de la base d’Anoual vers Ben Taeb, base arrière située au – delà d’un chaînon montagneux, à une quinzaine de kilomètre à vol d’oiseau, à l’Est. A la sortie du camp d’Anoual, les « Regulares » formés de mercenaires rifains, ouvrent le feu en tirant dans le tas.
Un tirailleur commandant de batterie raconte :
« à l’entrée du défilé, l’afflux des unités auxquels étaient mêlés des cavaliers perdus, des attelages et des camions autos, ainsi que des mulets chargés de leurs blessés, réa dans cet étranglement, un tel embouteillage, qu’il ne fut plus possible d’organiser la marche ou de refaire les rangs. Epuisées et privées de ressort, nombre de bêtes tombaient dans les ravins. Des véhicules tombaient en panne. D’autres s’étaient brisés sur les tranchées creusées par l’ennemi à travers la route. Autant d’obstacles qui entravaient la marche. Or plus avant la route s’enfonça dans le creux d’un ravin sablonneux où les pas soulevèrent une mer de poussière. C’est là que fut atteint le comble du désordre. Les indigènes du voisinage avec certains de nos soldats rifains, venaient tirer hors du chemin, des mulets et des hommes, puis ils les emmenaient raflant aussi des armes dont bien des nôtres, exténués, se défaisaient d’ailleurs d’eux – mêmes. Jusqu’aux femmes mauresques qui prenaient part à ces pillages et à ces rapts. » Défection de tous les mercenaires, soit un bon tiers de l’effectif, passé à l’ennemi, et devenu son fer de lance. Ben Abd el krim dira qu’il retrouva parmi les morts, le corps de « son ami », le Colonel Gabriel Morales, mais non celui du Général sylvestre, dont plus personne n’a jamais retrouver la trace. Le régiment de cavalier fraîchement arrivé, fut lui-même entraîné par le flot qui déferle sur Ben Taieb. Delà il ne restait qu’une dizaine de kilomètres pour aboutir à Dar Driouch, position bien fortifiée, dotée d’une suffisante garnison, avec des munitions et de l’eau du Kert qui coulait à portée. Les fuyards n’étaient pas encore parvenus à Dar Driouch, que la rumeur de leur mésaventure avait déjà atteint chaque recoin du Rif et y sonnait comme un tocsin. La ligne défensive qui assurait la maîtrise de la tribu Beni Saïd et de la partie Nord de celle des Metalsa, se disloqua. Les autres positions jalonnant cette ligne, de Tleta Boubker, à l’extrémité sud , à Kendousi au nord, puis à Dar Kebdani, connurent également une fin tragique.
Au sortir de Driouch, la traversée de l’oued Kert ne pu se faire le 23 juillet 1921 que sous un feu nourri, au prix de grosses pertes. A Tiztoutine, à l’instar d’Anoual, les hommes de la Policia, embusqués maintenant sur les hauteurs environnantes, ils opérèrent contre les arrivants un mitraillage en règle. Pour tout le reste, ce ne fut plus qu’un sauve – qui – peut, avec pour seul but les murs de Melilla. Mais seuls y parviendraient, miraculeusement, de rares survivants. Les autres auraient fini ou massacrés, ou morts d’épuisement.
Dés le 23 juillet, la plus grosse position, celle de Dar Kebdani, chez les Beni Saïd, fut cernée de si près qu’elle demeura privées d’accès à ses points d’eau. Une fois sa reddition acquise, et les armes livrées contre la vie sauve, la garnison fut massacrée hormis les officiers. De même au sud dans la tribu des Metalsa, la garnison de Tleta Bou Beker fut attaquée dés le 23, par la population locale. Elle chercha son salut dans la fuite, vers la zone française toute proche. Elle parvint à y trouver refuge, même si durant son court trajet, elle dût abandonner des morts, des blessés et ses armes. Des dizaines d’autres positions connurent le même sort. En trois ou quatre jours la rébellion gagna Selouan et Nador, puis les faubourgs de Melilla.
C’est le 29 juillet, une semaine après la journée d’Anoual, que s’ébranla enfin depuis Batel et Tizoutine, la colonne conduite par Navaro. Quand au tiers du chemin, il atteint Jebel Aroui où restait en partie, l’élément espagnol de l’ancienne garnison, grossis déjà d’un certain nombre de rescapés divers. L’espoir était alors permis, derrière un parapet, de tenir bon jusqu’au moment où, une action de secours serait organisée. Elle ne le fut jamais. Trois à quatre mille hommes s’étaient enfermés avec le général Navaro, dans le camp deJebel Aroui. Sans eau, ni vivres, presque sans munitions, ils s’épuisaient sous la chaleur torride de l’été.
Le 1er août 1921, Abd el krim était prêt, à laisser Navaro achever sa retraite, pourvu qu’il déposa et qu’il rendit les armes. Il disait bien qu’il y aurait par contre opposition des deux tribus, Metalsa et Beni Bou Yahi, qui opéraient le siège. Metalsa et Beni Bou Yahi n’avaient connu de l’espagnol, que la violence de sa conquête et les abus de sa présence. C’était chez eux, dans la plaine du Garet, que s’était implantée presque exclusivement, la colonisation. D’où chez, plus qu’ailleurs, en territoire conquis, l’existence en grand nombre de paysans dépossédés. Les deux tribus se distinguaient en outre de l’ensemble rifain, par leur situation périphérique, par la nature de leur pays de plaine, par leur mode de vie déjà très pastoral, et par l’emploi dans le langage, non du berbère mais de l’arabe. Dés le début du sièe, Ben Abd El Krim a recommandé de capturer les armes, mais de laisser les hommes en vie. La réponse des Metalsa et des Beni Bou Yahi fut un « non » catégorique.
Franco fait partie des troupes appelées en renfort, pour défendre Melilla.De là, il assistera impuissant à la chute de Mont Aruit, le 9 août 1921. Le général Navarro assiégé à mont Aruit finit par se rendre. Les rifains pénètrent dans la place et font 3000 morts.On voit ici, le général Beranger en compagnie de ses collaborateurs dont le future Maréchal Franco.
Franco à gauche et le général Beranger à droite
Voici maintenant le témoignage de cet éleveur-agriculteur Metalsa :
"Les Metalsa est une grande tente du Maroc. Ils sont connus pour leur courage, leur Jihad, leur dignité. Ils sont agriculteurs et éleveurs. Abd el Krim était un homme de foi. Les espagnoles étaient venu occuper « Dhar Ouberran » avec une grande armée. Abd el Krim s’adressa alors à la communauté : « levez vous, le temps de la guerre sainte est arrivé ! ». Tout le monde l’avait suivi, personne n’était resté sourd à son appel.
Le future Franco dans la guerre du Rif
Quand l’Espagne sont arrivées à Aruit, ils y sont entrés grâce aux Guelaya et un frère des Aït Bou Yahi. D’ici étaient partis les Metalsa de Aïn Zorah. Les avaient rejoint à Aruit, les Aït Bou Yahi, en particulier leurs combattants d’Afsou. Ils avaient décidé d’interdire l’établissement des espagnols à Aruit, disant au Guelaya : établissez les espagnols chez vous, pas chez nous ! Celui qui s’était rallié aux espagnoles leur dit : laissez moi d’abord terminer mon déjeuner. Mais les Moujahidînes de Aïn Zorah lui coupèrent la tête( pour punir sa trahison ). Ils l’ont amputé d’une main qu’ils accrochèrent au bout d’un piquet aux tentes des combattants d’Afsou. Ils l’avaient piégé, ne lui laissant aucune chance (d’en réchapper). Les espagnols s’enfuyaient en se réfugiant au dessus des meules de paille, qu’on incendia. La rivière de Selouan ruisselait de sang.Lors de la bataille d’Aruit, y pénétrèrent les Guelaya et un frère des Aït Bou Yahi. Les combattants l’ont décapité. Les combattants Metalsa et Aît Bou Yahi, lui dire : ne reste pas ici, retourne d’où tu est venu(avec les espagnols). Il leur avait dit : laissez moi déjeuner avant de repartir.Ils lui dirent : d’accord, on te fera pas de mal. Dés qu’il avait déposé ses armes pour déjeuner, ils se jetèrent sur lui. Alors, la rivière de Selouan se mit à ruisseler de sang.»
Dés le début du siège, le 1eraoût 1921, Abd el krim a recommandé de capturer les armes, mais de laisser les hommes en vie. La réponse des Métalsa et des Bni Bou Yahi fut un « non » catégorique.Témoignage d'un rifain de la tribu des Mtalsa:
"Le colonialisme espagnol est arrivé chez nous le long du chemin qui relie Anoual à Driuch, et ils s’étaient établis dans l’actuelle commune de Bou Bker, où existe encore les vestiges de leur caserne. Là se trouvait effectivement un bataillon composé de 1200 soldats. Ordre leur a été donné de rejoindre la zone occupée par la France. Ils devaient quitter Bou Bker en longeant les montagnes, à l’ombre desquelles ils devaient se dissimuler pour fuir. Mais nos aïeuls et ancêtre étaient prêts à les affronter. Mon grand père est mort, ainsi que mes oncles, lors de cette confrontation. Nous eumes beaucoup de blessés dans notre famille.
Lorsque le bataillon espagnol s’est approché de la frontière qui séparait la zone espagnole de la zone française, la fraction des combattants de Tizrout Ouzak, s’est mise au travers de leur chemin. Aidées des nôtres, ils ont repoussé les espagnols dans un retranchement dénommé « Aqrab » (musette). Une grande étendue vide. De tout le bataillon espagnol, avec ses armements, rares sont ceux qui ont pu s’échapper : 50 à 60 soldats espagnols. Quant aux autres, tous les autres ont été massacrés. Du bataillon espagnol, environ 900 ont péris, et n’ont pu s’enfuir en zone française qu’une soixantaine. Depuis lors cette parcelle a été délaissée durant une quinzaine d’année : on n’y laboure pas, on n’y pâture pas. On n’est jamais plus repasser par là."
Le 9 août 1921, l’accord conclu entre Navaro d’une part et les Metalasa et Beni Bou Yahi d’autre part, stipule, que la garnison devait livrer ses armes, Moyennant quoi elle pourrait librement évacuer la position, et sa retraite s’effectuera sous bonne escorte jusqu’ à Melilla. Toujours est – t – il qu’à l’heure où l’on se mit à désarmer la troupe, tout un groupe d’officiers se forma autour du général, à la sortie du camp. Des notables rifains s’approchèrent et nouèrent avec eux le contact. Puis, en causant, et sans en avoir l’air, ils les menèrent en quête d’un peu d’ombre, vers une petite gare, seul lieu couvert des environs. Pourtant le vrai mérite des murs de ce refuge, fut de leurs épargner le spectacle fâcheux qu’aurait été pour eux la mise à mort de leurs soldats, tous leurs soldats, jusqu’au dernier. Quand à eux, officiers, avec leur général, pris en croupe par des cavaliers « maures », ils chevauchèrent, captifs, mais saints et saufs, vers un meilleurs destin. Un article publié le 17 août 1921 dans El Liberal, écrit sous le titre « le présent et l’avenir » :
« Nous sommes dans le Rif depuis le 24 juillet, dans une plus mauvaise situation que lorsque nous signâmes le traité de 1912. Nous avions comme gage de notre capacité de l’œuvre à accomplir, conjointement avec la France, tous ces territoires conquis durant les campagnes de 1909 et 1911, Guelaya, Kebdana,Bni Sicar. Aujourd’hui ces territoires nous sont complètement hostiles.
Les contingents espagnols qui se trouvaient à proximité de la Moulouya durent se réfugier à l’abri des postes français installés sur la rive droite. Et ces contingents nous ont été rendu, venant d’Oran, en un exode qui nous fait rougir. Les contingents de l’intérieur furent anéantis. Sur le cours moyen de la Moulouya et dans la région de Taza, une menace s’élève contre la tranquillité – relative si l’on veut- des Français. Pourrons nous, oui ou non faire honneur à nos engagements ? Aujourd’hui, notre idéal doit se limiter à doter Melilla d’un hinterland qui ne peut être que celui marqué sur les cartes par la ligne du Kert.»Un communiqué de l’armée espagnol annonce qu’ « on se trouve dans notre zone comme dans la zone française, devant un soulèvement général des tribus. »
L’attaque d’Igherriben précéda la débâcle d’Anoual.
Cadavres espagnols janchant le sol à mont Aruit
« A l’issue de la bataille de mont Arouit, raconte Abd el Krim, j’étais parvenu sous les murs de Melillia. La prudence s’imposait.Avec la dernière énergie, je recommandais à mes troupes de ne point massacrer ni maltraiter les prisonniers. Mais je leur recommandais aussi énergiquement, de ne pas occuper Melilla, pour ne pas créer des complications internationales. De cela, je me repends amèrement. Ce fut ma grosse erreur. Oui, nous avons commis la plus lourde faute en n’occupant pas Melilla ! Nous pouvions le faire sans difficulté. J’ai manqué ce jour là de clairvoyance politique nécessaire. Et à plus ou moins longue échéance, tout ce qui a suivi, a été la conséquence de cette erreur.
04:09 Écrit par elhajthami dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook