ABDELKADER MANA statistiques du blog google analytic https://www.atinternet-solutions.com.

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/11/2011

Trifis Abderrahim,le peintre de la métamorphose

arts

Trifis Abderrahim : Lila (nuit bleue) des Gnaoua

arts

Sacrifice (détail) où le diable réside dans le détail...

Le 28 novembre 1974,Trifis est né à Sidi Mokhtar étape entre Essaouira et Marrakech, dans une famille Oulad Bou Sbaâ, ces transhumants originaires du Sahara qui sont connu pour leurs tapis aux motifs nomades. Très tôt il a quitté l’école  en 1985-86 à l’issue d’ études primaires parce qu’à l’époque il fallait partir à Chichaoua, à 25 kilomètre de là pour poursuivre ses études au collège. Il a du donc s’adonner d’abord au commerce avant d’ouvrir son « salon » de coiffure au milieu du souk en 1990. Il peignait par vocation mais d’une manière sporadique.

arts

Trifis Abderrahim : Le "Bouraq" : l'ascenssion nocturne

L’une de ses premières œuvres  remonte à 1996 : elle lui a été inspiré par ces  images d’Épinal qui portent sur les légendes dorées des saints et des prophètes que des marchands ambulants vendent dans les souks et lors des moussems : elle représente l’ascension du Prophète sur le Bouraq  la nuit du destin. En Islam, le thème servant à exposer l’expérience mystique, c’est le cadre de cette ascension Nocturne :« On sait, écrit Massignon, le rôle central de cette « extase » où Mohammed crut être transporté de la Mekke, d’abord sur l’emplacement du Temple(détruit)de Jérusalem, puis, de là, jusqu’au seuil de l’inaccessible Cité Sainte, où la gloire de Dieu réside. Cette visite, en esprit, de Mohammed à Jérusalem, est mentionnée en ces termes par la passion du Hallaj :« Celui qui cherche Dieu à la lumière de la foi est comme celui qui guette le soleil à la lumière des étoiles » La « Laylat el Hajr »de Hallaj , cette « secrète hégire vers Dieu », paraissant viser la nuit de l’esprit, sous d’autres symboles : l’oiseau aux ailes coupées, le papillon qui se brûle, le cœur enivré de douleur, qui reçoit. « L’aurore que j’aime se lève la nuit, resplendissante, et n’aura pas de couchant », s'écrie Hallaj dans son « Diwan »..

arts

Trifis Abderrahim : sirènes

"La fiancée de l'eau" est un thème qui revient d'une manière récurente dans l'oeuvre de Trifis hantée par les sirènes...

     Un beau jour, ayant vu à la télévision une émission sur les peintres singuliers d’Essaouira, ces artistes autodidactes issus comme lui de l’arrière pays, Trifis décide d’aller lui aussi  tenter sa chance en présentant trois petits tableaux à la galerie Damgaard. C’était en 2005 juste avant que ce dernier ne se retire en retraite en bord de mer à Taghazoute. Trifis allait donc être la dernière découverte du critique d’Art Danois établi à Essaouira depuis le début des années 1980 . Et comme toutes les fois qu’il accepte les œuvres de ces artistes qui surgissent de nulle part, il ne s’est pas trompé cette fois - ci non, plus en acceptant immédiatement les œuvres que venait lui présenter dans un couffin  Trifis, comme on vient  vendre en ville ses poulets , ses œufs et autres produits agricoles. Il allait définitivement quitter son gagne pain de coiffeur de souk en 2008 , pour se consacrer désormais à plein temps à son art.Pensée sauvage qui ne met aucune frontière entre les composantes de l'univers qui se métamorphosent les unes en les autres aussi sûrement que la chenille devient papillon....arts

Trifis Abderrahim

 Cet artiste qui doutait encore de son art et qui vient ainsi rejoindre les autres artistes autodidactes de cette galerie qui s’est spécialisée dans l’ethnopeinture s’avèrera à la fois prolixe et créatif en puisant inconsciemment dans les archétypes de ses ancêtres nomades, ces transhumants Oulad Bou Sbaâ qui se sont sédentarisés dans ces étendues dénudées et moutonnières situées entre Essaouira et Marrakech. Un artiste qui allait s’inspirer de son  de  environnement, à la fois fauve et lumineux, à travers un imaginaire qui explore les horizons intérieurs :

Dans la solitude du rêve

Une voie aspire à naître,

Au royaume des mots.

Elle aura pour monture

Les horizons intérieurs

Et la fiancée de l’eau...

arts

 :Telle une partition musicale, l'agencement harmonieux des formes et des couleurs

arts

 L'amour comme offrande et le serpent comme beauté fécandante

Au Haut Atlas central le Boughanimi désigne le joueur de la double flûte de roseau munit de deux cornes  ainsi que le flûtiste lui-même : c’est une sorte de baldaquin à capuchon vert qui se livre à des pirouettes amusantes et qu’accompagnent deux imadyazen, poètes épiques rythmant leur prosodies avec cet allun, ce tambourin à la peau tendue et aux sons aigu. Au Rif la double flûte de roseau que prolonge deux cornes d’antilopes, cette sorte de biniou, porte le nom d’ Azemmar, et accompagne le chant rifain appelé  izri « (pluriel d’ izran). Et lors des fêtes villageoises du Haut Atlas Occidental, les aèdes de la montagne en compétitions poétiques se servent quant à eux des tambourins dénommés allun pour rythmer la mesure, mais surtout pour se voiler le visage au moment d’improviser un poème, comme pour se protéger contre le mauvais œil et les esprits malfaisants.

arts

      Les thèmes traités par Trifis s’inspirent de l’imaginaire, de la mémoire et du patrimoine  :  du joueur de flûte, de la danse collective et du coq sacré qui annonce l’aube . En effet, parmi les victimes souvent sacrifiées aux parvis sacrés, figure le coq qui chasse par son cri les mauvais génies de la nuit, puisqu’il est le symbole mystique de la lumière et de la vie.Mais le bélier est la victime du sacrifice par excellence. Son pelage, labtana, en arabe dont le pluriel est Boulebtaïnilm en berbère dont le pluriel est Bilmawn.Les deux termes signifient « homme vêtu de peaux ». Boujloud ou Bilmawn, ce sont successivement les noms des personnages masqués du carnaval de l’Achoura et de la fête du sacrifice : personnage central de la procession masquée répondant selon les lieux aux noms de Boulebtaïn, Boujloud,Herma, en ville arabophone ou encore de Bilmawn et Bou-Islikhenau Haut-Atlas berbérophone.  Ces processions et mascarades s’intercalent entre le sacrifice et le Nouvel An. Ils sont liés à la fête du sacrifice dans la campagne et à celle de l’Achoura dans les villes.

arts

 Féerie carnavalesque

arts

Trifis Abderrahim

Chez Trifis, un tableau en contient plusieurs autres : on s'en rend compte en zoomant sur les détails comme c'est le cas de ces parsonnages carnavalesquee entourés d'ornementations feerique déssinés sur peau à la manière des tatoueuses au henné qui couvrent ainsi la mariée le jour de fête..

arts

 Trifis Abderrahim

Pour Emile Laoust ces mascarades masquées  constituent les débris de fêtes antiques célébrant le renouveau de la nature, capturée par le calendrier musulman : « Au Maroc, des fêtes carnavalesques d’un genre spécial s’observent partout à l’Aïd el Kébir ; le personnage essentiel s’y montre revêtu de peaux de moutons ou de chèvres. Le Berbère n’aurait – il pas établi un rapport si étroit entre le sacrifice du mouton, ordonné par l’Islam, et la procession carnavalesque d’un personnage vêtu de peaux qu’il aurait vu en ces deux rites, deux épisodes d’une même cérémonie...L’Aïd El Kébir s’est substitué, en Berbérie à une fête similaire qui existait déjà et au cours de laquelle les indigènes sacrifiaient un bélier et se revêtaient de sa dépouille. Si l’on y rappelle que le bélier fut autrefois l’objet d’un culte dont le souvenir s’est conservé tard dans le pays, on voudra peut – être voir dans les mascarades actuellement célébrées à l’Aïd El Kébir, la survivance de pratiques zoolâtriques dont l’origine se perd dans les âges obscures de la préhistoire. »  

arts

      Trifis Abderrahim

Les peaux, les cuirs ont servi depuis des temps immémoriaux les besoins de l’homme. La peau a une histoire ancienne, qui remonte à Adam et Eve :  Après la chasse, l’homme dépeçait l’animal pour se vêtir de sa peau. C’est la raison qui a poussé notre artiste à choisir celle-ci comme principal matériau pour son travail. Il est évident qu’avant l’apparition du tissage, les hommes de la préhistoire usaient abondamment de peaux d’animaux sauvages ou domestiques pour satisfaire de nombreux besoins : les peintures et gravures rupestres de l’Afrique du Nord et du Sahara abondent en figurations de personnages masculins et féminins portant des vêtements, des boucliers ou autres attributs qui paraissent selon toute vraisemblance en cuir. Les égyptiens enveloppaient le corps mortel des hommes dans des peaux (auxquelles fut substitué plus tard le linceul) pour lui assurer le passage vers la lumière, c'est-à-dire vers l’immortalité.  

arts

Trifis Abderrahim

Comme avec le tapis nomade, il ne faut pas être obnubilé uniquement par l'amphore comme médaillon central : il faut aussi observer tout autour pour se rendre compte que ce qui est périphérique ne l'ai que lorsqu'on regarde l'oeuvre d'une manière distraite : plus on la scrute de près plus on est émerveillé par certains "détails"....

arts

La munitie de l'oeuvre se découvre ainsi à ces détails qui nous émerveillent et qui constituent une oeuvre dans l'oeuvre .Une œuvre polyphonique, polysémique en constante métamorphose…

arts

Le "détail" est parfois plus "parlant" que la vue d'ensemble

       Comme ses ancêtres travaillent sur les toisons de laine de leurs moutons pour en faire des tapis célèbres par leur médaillon central autour duquel s’organise d’une manire symétrique des motifs stylisés qui relatent l’errance de la vie nomade, Trifis travaille plutôt sur les peaux d’ovins et de caprins à la manière des artisans artiste du Sahara et de la Mauritanie. Des peaux tendues sur lesquelles il peindra en  pointillés et en reliefs.

arts

 Trifis Abderrahim

Au souk, il découvre que les peaux de caprins, d’ovins, de bovins et autres camelins, sont forts utiles non seulement à la vie quotidienne des paysans mais aussi à leur vie festive : la peau de bovins par exemple, servait à confectionner le grand tambour dénommé Ganga qui est la preuve que les amazighs étaient influencés par les rythmes africains. Le berbère se sert des peaux aussi bien pour ses babouches, ses selles, que pour ses instruments de musique (ganga -Gros tambour à peau de vache, d’origine africaine-allun, et ribab). Quand on veut commencer la danse collective de l’ahouach on dit : « sargh allun » (chauffe le tambourin). Il s’agit de tendre la peau de cette instrument de percussion fondamental chez les berbères en le chauffant aux flammes jusqu’à obtenir des tonalités aigues. Chez les anciennes familles du Sous ; les actes notariés dénommés  «  arraten » étaient également en peau. Le droit coutumier qui régissait les greniers collectifs qu’on appelle« Agadir » était  rédigé sur des parchemins en cuir. Ils  écrivaient aussi sur la canne de roseau qu’on appelle tighanimin et dont se sert notre artiste pour son travail de pointilliste. Son  travail  se fait à base de canne de roseau, de toisons de laine pour peindre sur peaux.

arts

Trifis Abderrahim

En visitant un jour la galerie, la première de ses œuvres a avoir attirer mon attention est une espèce de Cléopâtre aux traits berbères qui m’a immédiatement rappelé les bas reliefs égyptien, des traits  parfaitement symétriques révélant une image composite, puisqu’elle se compose de plusieurs autres images, comme un jeu de tirroire, qui ne se révèlent pas au premier abord mais qui exige des arrêts aux détailles comme autant d’étapes pour se dévoiler progressivement  à fur et à mesure que le regard flâne distraitement pour ainsi dire à la surface de l’œuvre pour en explorer les profondeurs. On découvre alors que les sourcils foncées de la belle forment en même temps les cornes de deux bouc qui s’entrechoquent, que le corps de ces boucs parfaitement symétriques sont formés en même temps de deux poissons aux écailles multicolores qui surgissent magiquement de deux lanternes d’Aladin , lesquelles lanternes sont tenues de part et d’autre par deux sirènes occupant une position parfaitement symétrique. Cinq danseuses forment en même temps le collier de cette reine de Saba aux allures pharaoniques. Tout en haut, en respectant toujours cette sempiternelle symétrie : deux poteries, d’où surgissent deux fleurs et deux oiseaux.

arts

 Trifis Abderrahimrrahim 

On retrouve là les éléments qui compose  l’univers agro-pastoral ou vit l’artiste, mais agencé d’une manière parfaitement  symétrique, comme un tapis nomade de ses ancêtres Oulad Bou Sbaâ,  tout en étant le produit de l’imaginaire singulier de l’artiste. Les formes et les couleurs s’autogénèrent les unes les autres dans un ordre à la fois symétrique mais dont le contenu est asymétrique quand on est attentif au détail, là où se cache le diable….Une manière de dire que les animaux, les poissons, les hommes et les plantes appartiennent à un même univers

arts

Trifis Abderrahim

 Comme les tisseuses  nomades qui l’ont engendrées l’artiste  commence par le médaillon central qui peut être une amphore  ou un musicien gnaoui, puis s’amuse avec les choses de l’imagination. Il peint tout ce qui me passe par la tête. Au début, il  dessine une chose, mais aboutit à une autre. Par exemple, il peint un chameau , mais il en sort des fleurs,des oiseaux, des rivières, l’œil qui est le sens le plus important de l’homme, la main qui protège du mauvais œil .Une profusion de couleurs et de formes se générant les unes les autres,comme dans un jeu d’enfants sans perspective, mais avec beaucoup d’harmonie dans l’ensemble et une grande vitalité poétique intérieure.

arts

     Trifis Abderrahim

Les espèces  s’auto génère les unes les autres parce que pour l’artiste, l’univers est une chaîne interdépendante de sorte qu’il n’y a pas de frontière entre les éléments qui les compose : d’un poisson peut naître une chèvre et de celle-ci une femme , un arbre, des fleurs et ainsi de suite. Les éléments qui composent l’univers que sont l’eau, le feu, le ciel et la terre, s’auto génèrent  dans un tourbillons circulaire à la fois symétrique au niveau de la forme et dissymétrique au niveau du contenu.

.arts

      Trifis Abderrahim

Dans le tapis nomade des Oulad Bou Sbaâ, les motifs sont parfaitement symétriques de part et d’autre du médaillon centrale qu’on appelle « hatta », c'est-à-dire « étape de caravane ». Ce principe d’un modèle symétrique organisé autour d’un médaillon central, Trifis s’y réfère d’une manière inconsciente comme un archétype ancestral dans la plupart de ses œuvre comme on peut l’observer avec l’univers grouillons de vie qui s’organise autour d’une amphore . Une œuvre tout en relief où chaque motif est modelé à la main à base de poudre de sciure, avant son polissage sa teinture et son vernissage. Technique que l’artiste emploie concurremment avec le pointillisme qui lui vient de ses du travail des tisseuse : « Avant de mettre en œuvre leur tapis sur le métier à tisser, se souvient-il,  elles en dessinent un croquis sur papier millimétré où à chaque petit carreau correspond un point. » Trifis aimait beaucoup ces croquis et s’en inspirera par la suite dans ses œuvres de pointilliste. On peut donc comparer son amphore au médaillon central du tapis nomade des Oulad Bou Sbaâ : de cette amphore  surgissent trois branche sous forme de poissons lesquelles « branches - poisson » sont transportés par un oiseau. On retrouve cette idée de régénération transvesale à tout l’œuvre : Des rappels de son environnement de nomades sédentarisés égaient l’ouvre : poignard berbère ou  dromadaire saharien.

arts

Trifis Abderrahim

Les couleurs chaudes ornent le dos d'une tortue - objet de pratiques magiques - ainsi que cette nuit rituelle des Gnaoua : lila aux couleurs de brasier et de transe....

arts

 Trifis Abderrahim

Le symbole du serpent revient également d’une manière récurrente : « Les gens ont de la répulsion pour le serpent à cause de son venin, mais moi, il me fascine par la beauté et la délicatesse de ses écailles multicolores. » Une œuvres où aucune couleur ne domine en particulier: l’artiste utilise toutes les couleurs de l’arc en ciel. Dans son « arbre de vie », le dur tronc de l’arbre se métamorphose en corps tendre de la nymphe dont les tresses de chevelures aériennes sont formées par les branches de ce même arbre : la femmes féconde comme ancêtre essentiel de l’humanité, d’où ces branches  aux allures de peau humaine. Une œuvre à la fois en relief et en pointillé pour exprimer l’idée coranique qui veut que toute vie est issue de la poussière et retournera à la poussière. C’est en effet  à partir d’un point, d’un atome de poussière que le potier suprême fait surgir  toutes les formes de vie avant de les réduire ensuite au néant ….   D’où la circularité de certaines œuvres qui expriment ainsi la circularité du temps cyclique des saisons.Le fantastique et l’imaginaire s’exprime à travers les couleurs qui comme « l’orange bleue » des surréalistes,ne correspondent plus aux couleurs des objets réels : famille de cerfs à la robe aux couleurs serpentines bleue et mauve de peau de lézard, arbre à l’écorce en ce rose claire de la peau humaine...arts

 Trifis Abderrahim

 Chez notre artiste il n’y a  pas de différence entre le « dehors » et le « dedans » : la fête de mariage  fait  en même temps partie du « corps » de la marié en fête ,  les danseurs constituent sa parure et son collier .chez l’artiste la femme est souvent liée  à l’œil,  protecteur magique de sa beauté. Il la représente souvent  sous les traits d’une sirène, cet être de légende qui baigne dans un univers aquatique peuplé d’hippocampes Là aussi on retrouve cette idée de symétrie parfaitement illustrée par cette autre sirène danseuse entourée de part et d’autre par des motifs identiques : oiseau, fleur, poisson,bélier, oeil bleu et autres arlequins. On observe également cette recherche de l’équilibre à travers les deux moitiés symétriques dans la fiancé portant aux deux amphores d’où surgissent des branches - serpents et où les seins de la nubile sont formés par les visages de deux femmes voilées : il s’agit de l’une de ses rêves nocturne où subliment en création artistiques les obscures pulsion qui se métamorphosent ici en œuvres d’art aux couleurs chatoyantes et aux formes suggestives.

arts

Trifis Abderrahim

Un autre principe appliqué par Trifis est celui de l’illusion optique née de la dissociation entre l’impression globale et le détail : à première vue on a affaire à un magnifique  poisson des profondeurs, mais à y regarder de près on découvre les personnages qui composent toute une famille . Cette illusion d’optique l’artiste l’expérimente aussi bien sur peau tendue que sous une forme sculptée. Double lecture donc voir davantage, selon le point de vue où l'on se place pour observer l’œuvre :  jeune femme verticalement, poisson horizontalement. L’autre aspect du travail de Trifis consiste en le remplissage de la toile en peau de bouc à la manière des tatoueurs au henné. L’organisation de l’espace en « surface » s’explique par la juxtaposition de motifs ornementaux, de haut en bas, sans « intervalle » et donc sans perspective. L’image semble s’enfoncer sur le fond parce qu’on peint un tableau comme on tisse un tapis, ou comme on tatoue la peau. Le remplissage de la surface, se moule parfois dans une géométrie rigoureuse et parfois il se perd dans un dédale d’entrelacs. Le labyrinthe, ainsi conçu se pose comme une énigme dont le contenu est une parole. Une parole qui se fait image, qui tournoie dans la tête de l’artiste comme dans un moulinet, avant d’être reproduit sur la toile. Abdelkader Mana

07:02 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

22/09/2011

Matière et manière

Matière et manièrehistoire,photographie

Tapis – Tableaux : L’art de l’indicible

    Des œuvres d’art, peuvent se faufiler à notre insu au milieu des objets utilitaires, jusqu’au jour où le regard exercé de l’expert vient les tirer de l’anonymat auquel ils étaient initialement destinées, pour nous révéler leur dignité d’œuvre d’art. Et c’est ce que nous propose  Frédéric Damgaard, en publiant en ce mois de novembre 2008 un très beau livre sur l’art des femmes berbères au Maroc.

arts

       Il faut, en effet, avoir le regard exercé par une longue fréquentation des formes et des couleurs pour dénicher chez la femme berbère le tapis -tableau qui renvoi à l’art contemporain. Comme jadis il avait découvert des talents d’artiste chez des autodidactes d’Essaouira et de sa région, le désormais célèbre critique d’art Danois, nous propose maintenant sa collection de tissage rurale comme autant d’œuvres d’art.. Après  Omar Khayam qui disait dans un célèbre quatrain :

« Allège le pas, car le visage de la terre est recouvert des yeux des biens aimés disparus », on a envie de dire désormais à quiconque foule un tapis : « Faites attention ! Vous êtes peut-être en train de fouler une œuvre d’art ! »

arts  En effet, au-delà de l’origine ethnographique de tel ou tel tapis ou tissage, ce qui frappe dans la collection du désormais célèbre critique d’art Danois, c’est d’abord la puissance d’expression des formes et des couleurs, qui séduit d’emblée le regard. On tombe immédiatement sous le charme magique de ces objets d’art, comme on reconnaît sans médiation la beauté d’un poème ou d’une partition musicale. Formes florales, anthropomorphiques, sinusoïdales ou géométriques, soupoudrées d’or, de rouge et de noire. Damgaard choisit volontairement de mettre en relief des détails pour souligner davantage la parenté explicite qui existe entre cet art des femmes rurales et l’art contemporains au Maroc et ailleurs. Tapis - tableaux qui se prêtent à une double lecture horizontale et verticale ou parfois même le « défaut » de fabrication ou l’usure du temps contribuent à ce caractère insolite et indicible de l’art rural, qui se caractérise par la gourmandise de ses formes et sa transgression de la sacro-sainte règle de symétrie de l’art citadin. Chaque niveau est différent du suivant et le même motif n’est jamais reproduit sous la même forme et la même couleur : variation sur la même note musicale. Et toujours cette harmonie mystérieuse qui anime la structure d’ensemble malgré les contrastes apparents et l’interpénétration de l’horizontal d’avec le vertical.

histoire,photographie

       Des couleurs chaudes comme l’amour et la tendresse féminine. Comme les noces d’été et les fêtes saisonnières. Comme les rêves au lendemain d’une nuit nuptiale. Et toujours ce bonheur de rêvasser sur ces surfaces chatoyantes comme au bord de l’eau et au voisinage du feu. Comme une traversée de champs doré parsemé de marguerite et de coquelicot. On a l’impression de surprendre non pas une tisseuse mais une rêveuse qui tisse par ses fils d’or et de soie, son paradis imaginaire, son jardin secret. La fraîcheur de son regard à la levée des aubes resplendissantes et son éblouissement par les couleurs du crépuscule. Énigmatique plaisir dont seul l’artiste a le secret. Qui oserait piétiner de tels œuvres, que pourtant la tisseuse destinait à un usage purement utilitaire, et à qui le regard expert d’un Damgaard, donne une dignité d’œuvre d’art.

arts

 Comme dans une rêverie créatrice, La tisseuse passe d’une forme à l’autre, d’une couleur à l’autre, pour nous offrir en fin de parcours un tapis – tableau que ne renierait pas l’artiste d’avant-garde le plus contemporain qui soit. Musique silencieuse, émerveillement, moment de grâce. En somme une invitation à la rêverie visuelle, où rien n’est définitivement délimité à l’avance, où les formes en suspens semblent suggérer une continuité vers l’infini au-delà du cadre limité du tapis- tableau. Un espace de prière et pour la prière. Un art sacré donc. Mais aussi un art festif : jaune d’or, mauve pâle…Mais dans l’ensemble on ne sait pas de quelle poésie, de quel mystère, de quelle beauté tout cela est le signe.. On se dit : comment es-ce possible qu’avec un nombre si limité de signes, de symboles et de couleurs, on en est arrivé à ce langage de l’infini ? Chaque tapis – tableau est si différent de l’autre. Et chaque tapis – tableau transcende d’une manière si surprenante les déterminismes ethniques de son origine pour atteindre une expression esthétique universelle. Beauté intrinsèque. Esthétisme qui opère magiquement et immédiatement sur le regard. On est là aux origines de l’art contemporain marocain : mémoire tatoué, transfiguration des saisons printanières d’un pays berbère aux luminosités solaires. Voici donc l’hommage de l’homme venu du grand Nord à l’art des femmes berbères du grand Sud marocain.

   arts Le point commun entre la plupart des tapis présentés dans l’ouvrage est d’appartenir soit à des transhumants, soit à des nomades : Béni Mguild, Béni Waraïn, la région de Boujaâd, lesRehamna, les Oulad Bou Sbaâ, les Chiadma et Sidi Mokhtar qui fournit la khaïma auxRgraga pour leur pérégrinations printanières. De là à déceler dans ces tapis berbères une influence saharienne, voire africaine, il n’y a qu’un pas que l’auteur franchit allègrement y compris à juste titre pour des montagnards sédentaires tel les Glawa dont le col de Telouatétait connu pour être un lieu de passage obligé entre l’Univers saharien et africain au sud et l’univers méditerranéen au nord. C’est principalement les deux courants culturellement marquant du monde berbère proprement dit. En effet, certains tapis présentés dans l’ouvrage évoquent  ces masques africains sous forme de croix superposées, des totem ou des scènes de chasse telles qu’on peut encore les voire aujourd’hui dans la grotte d’Agdez au Sahara, du temps où celui-ci était verdoyant et attirait pachydermes, autruche et chasseurs africains qu’on voit reproduit par des peinture rupestres. 

histoire,photographie
Mogadorien habillé en "Jabador"

       Un vêtir qui n’appartient nullement au Musée de l’histoire, et dont la fonctionnalité est loin d’être simplement folklorique. Et quand en ces hautes cimes de l’Atlas les tisseuses homériques d’Iswal en pays Glawa  se préparent aux rigueurs de l’hiver en  fredonnant de frais refrains tout en manillant l’antique quenouille – les chants des tisseuses accompagnent tout le processus du tissage – on obtient alors des objets esthétiques plutôt qu’utilitaires.Par delà les formes et les couleurs communes, les techniques du tissage au Maroc,concernent le tapis en laine du Moyen Atlas, en passant par le « Boucharouette » de la région de Boujaâd, le tissage broché Glawa , le tapis noué Aït seghrouchen, jusqu’au couvertures hanbel Zemmour. Et cela concerne des objets de la vie quotidienne aussi variés que le tapis de selle, le sac, le sacoche, le coussin,la tente des nomades et des transhumants. Cela concerne le  vestimentaire au féminin: telle la handira (cap de femme), la tadarrat (le voile de cérémonie), le tissus brodé d’Ighrem ou de Tata. Mais le vestimentaire se conjugue aussi au masculin : en commençant par la djellabah et la tunique de laine que portaient jadis les moines guerriers, en passant  par de très beau capuchons et bonnets de bergers de haute montagne.  Des vêtements en laine épaisse pour affronter les rigueurs de l’hiver qui caractérise aussi bien les cimes enneigées de Bou Iblân chez les Béni Waraïn du nord-est  que ceux des Glawaau sud –ouest. Là haut, il fait en effet très froid, de sorte que dés la tonte des moutons, les tisseuses berbères confectionnent d’épais tapis de laine pour isoler du sol, que des vêtements chauds pour protéger du vent glacial et sec qui balaie les cimes granitiques et dénudées. On fait alors des provisions de navets pour des couscous bien gras. Les berbères sont connus pour trois choses me disait mon père : le port du burnous, la consommation du couscous et les crânes rasés. D’où la nécessité de les couvrir de capuchons et de bonnets surtout quand il neige et quand il pleut. Mais que ces bonnets et ces capuchons soient hauts en couleurs !  Telle en a décidé la bergère à destination de son berger !  Abdelkader Mana

arts

 Les tableaux sont de Mohamed Zouzaf


 

 

 

 

 

01:37 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

02/06/2011

Le bélier d'or

Femmes voilées et dévoilées

arts

Jacky Belhaj

    Quand j’étais gamin, mon père était amine des babouchiers de la médina de Rabat. Dans mes tableaux, on retrouve les couleurs des babouchiers des années soixante. C’est là bas, chez les kharrazine de la médina de Rabat que je suis né. Les couleurs des blaghis que mon père amenait à la compagne...

 Il y avait les Oudaya qui étaient à côté de la mer, un lieu qui symbolisait pour moi, les lumières du printemps. J’étais bercé dans la peinture. À l’école, chaque fois qu’on étudiait le printemps, je mettais des oiseaux dans mes cahiers. Toute ma vie , j’ai dessiné. Je peignais sur les plats de poterie où on préparait les crêpes : l’farrah dial rghayf. La poterie se remet à vivre grâce aux pigments naturels de la peinture. Tout était naturel.

arts    Vivre au bord de la mer. Jouer avec les copains. Toujours la terre et les couleurs. Même la glaise noire avec les crabes. J’étais heureux de vivre avec ça et de façonner de petites sculptures avec de la patte à modeler. Fin des années cinquante, début des années soixante : je suis né en 1945. Ce Maroc là, ne m’a plus jamais quitté. Il ne peut pas me quitter, parce que c’est le meilleur moment de ma vie. Même à Paris, cela me manque et me revient constamment. Le bruit des mouettes. On adorait. Les couchers de soleil et leur reflet sur la mer. On ramassait les anguilles, les écrevisses. Les sardines que les pêcheurs ramenaient au port, on en faisait des grillades sur trois pierres au bord du Bou Regreg. De tout cela se dégage une poésie intense et féérique. Dans la grisaille parisienne, c’est tout ce monde féerique qui tournoyait dans ma tête et se transformait en ces créations fantastiques.

     Et puis je me rappelais les années de  ma mère. Une femme fêtarde qui recevait souvent. Et quand ces amies enlevaient leur djellaba et leur litham on découvrait des filles. J’étais gamin. Et puis, je ne peux oublier une chose extraordinaire, quand ma mère m’amenait au hammam des femmes. J’avais la tête qui tournait. Elles étaient toutes belles et toutes nues. Toutes heureuses. Le henné, le massage. Elle se faisait masser par deux femmes, et cela revient dans tous mes tableaux : les couleurs des yeux immenses , les seins généreux, la volupté du corps. J’ai découvert cela quand j’étais gamin, et ce paradis ne me quitte plus jamais. Le rêve, le sexe, la femme, la différence, la volupté, la beauté, la générosité des poitrines. Elles me prennent dans leurs bras et j’ai envie de téter leurs seins, de retomber dans la chaleur utérine, de redevenir bébé.

arts

    Dans ma peinture, la coupole symbolise à la fois le sein et le saint. On adore se mettre sous l’envoutement du sein et la protection du saint. Le sein de la femme est sacré. On a envie de redevenir l’enfant qu’on était. D’où la prédominance des couleurs féminines dans mes tableaux. Nous les hommes on n’a pas de couleurs.  C’est nous qui sont l’objet de la femme. C’est elles qui se jouent de nous. On est à leur merci. Je me mets à genoux devant elles. C’est elles qui nous dominent. Quand on est heureux, c’est elles qui nous rendent heureux. D’où l’argent et l’or dans mes tableaux. Les plus beaux bijoux au monde, ce sont les femmes. Tout homme se met à genoux pour offrir les plus beaux bijoux du monde, le plus beau diamant, le plus beau rubis pour honorer sa femme.

arts

    Un tableau, c’est un rêve que j’écris. C’est ma façon de m’exprimer. Pendant plus de 25 ans, je ne parlais plus. Je ne communiquais plus avec mon environnement. Et maintenant ma parole est libérée en commençant un tableau marocain, où je retrouve les souvenirs de mon enfance :

      Tikchbila Tiwliwla

     Ils ne m’ont pas  tué

     Ni ne m’ont laissé  vivre

     Ils  m’ont juste offert une coupe...

 Je n’arrive pas à faire des traits droits : mes peintures tournoient à la manière de   cette comptine de tikchbila tiwliwla.   Ah non ! On était gamins : haba fik chwini fik chantions nous, en jouant à cache - cache. Depuis la création d’Adam et d’Eve on joue toujours à cache - cache pour séduire nos femmes. Mais en réalité c’est elles qui se jouent de nous. On devient tout petit devant la beauté et le charme de la femme. On se déguise en chaton pour avoir droit à une petite caresse de leurs beaux yeux de sirènes de mer.

    Le mauve, le vert, le rose, le jaune, le bleu de mer et de la nuit. Eloge à la femme éternelle. Je suis heureux avec mes tableaux. Une maison sans tableaux est une maison sans âme. Il y a l’équilibre de la personne. C’est ma vraie famille. La chaleur. Cette peinture me console. C’est féerique. J’y intègre des matériaux de récupération : des fils électriques, du caoutchouc, un bout de ferraille, le musicien, le luth-saxo. Des trompes l’œil. La fille danse : Tikchbila Tiwliwla.. Le bélier offert à la princesse. Les perles. Je lui offre tout l’or du monde pour un simple regard. Des tatouages en diamants. Elle n’a pas besoin de se dévoiler. C’est quelqu’un qui te possède. Quand je sors le feu qui me dévore, elle me possède, elle me possède,  elle me possède, au cours d’une nuit sacrée ...

arts

       J’habitais derb Gnaoua à Rabat. Ba Mahjoub était le plus grand Gnaoui du Maroc. Les murs tremblaient quand il jouait. J’étais gamin. C’est des moments qu’on ne peut pas définir. Il y a des couleurs fantastiques. « Tutti  colori »: c’est le feu, l’atifice endiablé, imaginaire. C’est ce qui permet de ressortir la force endormie depuis trente ans d’exil, de solitude et de silence. les femmes rentraient en transe, les filles se déchaînaient en écoutant les chants de la diaspora noire qu’elles ne comprenaient même pas. C’est là que j’ai découvert le Blouse, le Jazz, la Gadra Sahraouie. C’est la musique qui est jouée dans les eglises par les noirs américains dans la période où les eclaves étaient enchaînés. Le gospel. Ils se sentaient enchaînés pour aller au pardis.

arts

    Quand je suis en transe, je ne suis plus là. J’ai l’impression d’être dans un nuage. Les merveilleuses. Quand je suis dans le noir, c’est le noir féérique. Mon grand prère est parti sept fois à la mecque à dos de chameau. En commerçant. Je suis fier d’être noir.

    Un voile en relief avec des yeux d’argent. Des yeux immenses avec des cils géants. C’est la beauté des yeux écarquillées. Elle te dévore avec ses yeux  qui dévorent tout son visage, au point qu’il n’y a plus de visage. Il n’y a que les beaux yeux. Comme dans le fantastique. Les couleurs bleus. Je suis très tendance mode. Le mauve, c’est la tendance. Ça fait caftan mauve. L’habillement marocain. Le caftan, c’est millénaire. Tu joue avec. Je suis né là dedans. Ma mère portait le caftan brodé à la main avec des doigts de fée.

 

arts   Le plus beau tableau du monde, la plus belle installation ; c’est toutes ces parures que ma mère a faite pour son trousseau de mariage. Le violé m’est resté. La broderie faite à la main. Fil de soie, fil d’or. C’est ce qu’on appelait à Rabat, Rqim. Tout un style. Le baldaquin brodé à la main. Je ne peux pas oublier que ma mère faisait ça. C’est la séduction. C’est la féminité. Les strass vert luisant, bleu luisant, argenté, doré. Comme ce que les jeunes filles mettent à leur jour de mariage : yeux argentés, yeux dorés, yeux avec des strass mauves. C’est le rêve. Quand elles nous regardent avec ces yeux, on est chaos.  La femme s’arrête au regard qui tue. On peut littéralement reproduire les tableaux en tissus précieux et l’offrir à la plus belle des marocaines pour avoir juste un sourire qui nous caresse, qui rentre en nous, qui nous transforme. Elle vit : elle te suit partout du regard.

      C’est la grande magie. On devient possédé. C’est un bélier en or pur. Le bélier revient toujours. Au Maroc, tout ce qui est festif s’accompagne du sacrifice du bélier. Mais mon bélier ne peut pas être sacrifié parce qu’il est en or. Si j’arrive un jour à le sacrifier, il sera fini et je ne pourrais plus le réinstaller. Il est à la fois divinité de Tanite, et dieu Baal. Je me transforme moi-même en bélier doré, parce que je veux me sacrifier pour elle. La femme en or, la femme voilée, mais toute dorée. On a peur de la toucher. C’est Cléopâtre.

     Elles ont ce voile qui augment le mystère. L’esthétique de la femme dérobée. On a des femmes – serpent, avec du venin dans les yeux et on aimerait bien qu’elles nous tuent avec le regard. Mais elles nous tuent quand même, qu’on le veille ou pas ; on est à leur merci. Elle te paralyse avec le doux venin de son regard. C’est géant. Ce sont de sacrés serpents non venimeux qui circulent en moi, que je transcris sur mes tableaux : œil – poisson, avec des cils en fils électriques de récupération. Les cils sont en même temps, la queue du poisson. C’est un poisson magique qui pétille, qui vit, qui n’est pas mort ! Il est immortel.

arts

     Ça tourne et ça retourne dans tous les sens. Et les couleurs et les mouvements. Ce sont les vagues. Car quand on rêve ; on est dans les vagues.

 Le hijab - talisman, le marabout pour la séduction. Serpent multicolore qui protège la femme. Poisson bleu qui sort de la tête. C’est un poisson en or. Le personnage se transforme en bélier pour essayer de séduire. Le bélier et la coupole, c’est magique.

   Le tableau métallique est une sculpture : une gigantesque installation. Avec des bijoux,  des strass, des perles rares. Le bleu émeraude. Des yeux persans qui te transpercent. Moummou Boukhorsa , c’est marocain, c’est mythique. C’est du métal et du bois. On peut appeler ça : « Métallique 1 ». C’est mes tripes qui sont là.

   arts La nymphe blanche sur fond rose, avec la femme – serpent aux yeux hypnotiques. Ses cils sont en même temps les bras de la victoire qui brassent l’air. De  grands mouvements autour des yeux. Un moment de bonheur. C’est plus que du fantastique : on a envie de la caresser. On la caresse des yeux, tellement elle est magique qu’on a peur de la toucher. La femme couleuvre c’est la femme mortelle, elle enlève ses lunettes, elle te regarde et te met chaos debout : c’est la déesse de la mer.

    Le diable qui me possède, j’essai de lui parler calmement. De communiquer avec lui. Mais il ne veut rien savoir. Il est en moi. Il vit en moi. On est inséparable.

      Triptyque onirique : multiplication des personnages, au niveau de la matière, des formes et des couleurs.. Multiplication du même personnage qui s’autogenèse sous des masques différent pour séduire la femme inaccessible.

       Elle est vivante dans l’espace et dans le temps. Elle est omniprésente.

 Elle est là , elle est là, elle est là . Éblouissante. Avec ses grands yeux, elle est sacrée. C’est ma divinité. J’ai beau me déguiser en sphinx, en mettant le marabout sur la tête, je lui tire chapeau : anta bayâ (à toi je présente mon allégeance). Elle est tellement forte que je reste scotché. Elle m’hypnotise. J’en rêve. Je suis à genoux. Je tombe par terre. Elle me met chaos debout.

  Je me demande comment j’arrive à faire des choses aussi magiques et à les maîtriser ? Il y a une dimension surnaturelle en moi que je n’arrive pas à expliquer. Je suis en transe chaque fois que je crée. C’est celui qui me possède qui fait ça. Je crois qu’il s’appelle Jacquy. Celui qui est en moi.

arts

   Aïcha Kandicha est magique. C’est elle qui domine la situation. La plus forte au monde, c’est Aïcha Kandicha. C’est une femme-fleur. Elles sont toutes des fleurs, les femmes. La terreur se transforme en pétales de rose. Le démon se transforme en ange dont on rêve.

    Jazz – Gnaoua. Le Bouderbala en transe dont les doigts sont des serpents. C’est la magie des doigts induits au henné dont la grâce rappelle la danse de la Guedra. Le Gnaoui, c’est sacré. :

 Le Gnaoui yaoui – yaoui

Le Gnaoui, Bouderbala

Le Gnaoui le maître de Yabori

Protège-moi, patron du port

 Face aux Oudaya et à Sala, la ville des corsaires, Sidi Yabouri est le saint patron des marins – pêcheurs.

    Je m’inspire de la mode, parce que j’ai habillé beaucoup de stars à Paris. Mais aussi des couleurs et des odeurs de Marrakech : ces tanneurs et leurs couleurs magiques, le souk des épices, celui de la menthe et de l’absinthe, ses ruelles tortueuses, ses murs ocres, ses portes monumentales, le Bab Gnaoua des Almohades, le Bab Aylal, et celui des cigognes avec ses multitudes de femmes voilées et dévoilées. Marrakech  la  ville où les odeurs ont des couleurs. Celles des saveurs d’ épices et des plantes médicinales au pouvoir sont fantastiques. Ça m’a amené à habiller des femmes du monde en pantalon – saroual marocain. J’ai ainsi habillé Miss Paris et Miss France avec les teintes et les tissus de Marrakech. Avec la complicité de NAF – NAF on est arrivé à être élu dans le monde de la mode « l’habit de l’année 78 ». Avec l’empreinte de Jacky Belhaj, le pantalon – saroual marocain entra  conquiert ainsi l’univers de la mode du prêt-à-porter en allant de Paris à New York, de Montréal à Londres et à Tokyo.

Il y a donc un rapport entre l’artiste peintre et le créateur de mode qui a transformé les produits marocains en vêtement à la mode traversant   le monde avec la complicité des grands couturiers parisiens, italiens et autres.

arts

     Mystique des couleurs : vert tendre, jaune canari, rose pastel. Légèreté des couleurs, poésie des formes. Rêverie projetée dans l’espace. Voyage à travers les légendes marocaines.

   Jacky Belhaj, peintre – installator. La couleur black est la meilleur au monde. Ce qui m’étonne , c’est que cette africanité refoulée depuis toujours en moi, refait surface maintenant après trente ans d’exile parisien. Ce retour au Maroc m’a boosté . Je n’arrive pas à croire à cette fantastique explosion de ma créativité, alors que j’étais frappé de mutisme. Je la doit à ce retour au Maroc et à mes racines africaines. Je suis fier d’être black. J’ai mis à l’entrée de ma maison un masque africain, que j’ai appelé « INSTALLATOR I », qui veille sur moi et me protège : deux cornes de buffle au dessus d’un cercle solaire dont les traits sont faits de cauris et de coquillages du Soudan. Je sculpte également des masques africains en bois. Le fer forgé de ma véranda représente des masques africains répétés indéfiniment : c’est  une chorale de chanteurs blacks africains. Ils me protègent. Il y a aussi l’araignée – tarentule  qui s’interpose entre ma maison et la vue sur mer. Et dans mon jardin , mon installation vélo en fer forgé triporteur de pots de fleurs. Et puis le lion en roches naturelles installé sur son cadre et qui veille également sur moi.

arts

      J’avais griffonné au Metro, Aïcha Kandicha l’ensorceleuse, que j’ai brodé par la suite en fils de fer. Elle m’a toujours fasciné depuis que j’étais gamin. On nous disait : « Il ne faut pas trop s’éloigner ; elle risque de surgir au bout de la rue. » Je suis subjugué par les femmes qui portent le henné, par l’invisible, visible.

arts

     Je m’amuse en peignant. C’est une fécondation. La toile est un fœtus. J’habille la toile. Tous les jours, je nourris mon bébé : ça fait référence à l’autel des Gnaoua où il s’agit aussi de « nourrir les Mlouk ».

   Des yeux verts entourées de perles rose-cristallin.

  Les mariées d’Imilchil sur fond de bronze. C’est une installation métallique.

   Le mouvement et la musique des vagues, les poissons invisibles, les escargots de mer, les goélands se prélassant au soleil matinal au bord de l’eau. Lumière sur lumière. Les taches blanches étoilées. Tout cela est intégré d’une manière spontanée dans les œuvres. Les influences de la mer.

 Propos recueillis par Abdelkader Mana

 arts

 

 

 

 

08:17 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook