09/02/2012
Nabili dont j'ai perdu les traces n'est plus!
Le destin a voulu que Mohamed Nabili tel les sept crucifiés de l'espoir effectue en cette fête de la nativité du Prophète sa secrète hégire vers Dieu...Qu'il repose en paix...L'artiste que j'ai connu étudiant à Aix en Provence à la fin des années 1970, et que j'avais croisé à nouveau à Mohammadia après son retour au Maroc au début des années 1990, s'est éteind hier pour être inhumé par la communauté des artistes marocains, ce lundi 6 février 2012 à Benslimane où il s'était retiré pour travailler et où il était né orphelin le 4 août 1952.Discret et taciturne, je le croisais souvent en descendant du cinquième étage de l'Université d'Aix - Marseille I où j'étudiais l'éthnologie, alors qu'il étudiais le cinéma et la littérature au premier étage.Mais c'est à l'école des Arts et Métiers d'Aix en Provence que je l'ai connu en tant qu'artiste : il travaillait déjà sur les signe tifinagh gravés sur le sable avec les couleurs indigo et ocre du désert....Comme la plupart des étudiants marocains expatriés en France, nous avions en commun cette quête insatiable de notre terre et de notre soleil d'origine : je poursuivais les traces de nos caravanes aux archives d'Outre Mer et au Centre de Recherche et d'Etudes des Sociétés Méditérranéennes (CRESM), tandis que Nabili poursuivait cette même quête des origines, cette même nostalgie sur les traces de sable ..Pour l'orphelin - né qu'il était, cette quête devait revêtir une aquité existentielle autrement plus douleureuse puisqu'il ne lui restait de la figure maternelle et chaleureuse perdue que la langue Berbère dont les signes et les symboles sont disséminés sur les gravures rupestre de l'Atlas saharien où servant de marquage au fer ardent sur le pelage des chameaux pour en distinguer l' origine......
Le Tifinagh en pillier de la tente des transhumants Berbères : l'univers circulaire du calendrier Amazigh
Les notions de "seuil" et de "porte de l'année" chez les Berbères
Certaines oeuvres de Mohamed Nabili rappel étrangement le regard neuf et plein de tendresse que jette l'enfance sur notre monde troublé par la fureur et la folie des hommes...Au début des années 1990, je vivais avec ma femme et mon enfant à Mohammadia et je faisais la navette soit vers Rabat où je rejoignais l'équipe de la revue "Rivages", soit vers Casablanca où je faisais des reportages pour "Télé Plus". Et je me rendais souvent pour mes poses café à "Miramar", où en 1986, j'avais interviewé les historiens Jean Louis Miège,Germain Ayach, Haïm Zafrani et Michel Jobert dont j'ai appris la mort lui-aussi à Meknès au sortir d'une fête du Mouloud comme celle-ci, en 2002..En me rendant donc comme d'habitude à Miramar ,en 1994, un hiver comme celui-ci, une 4X4 bleu marine s'arrêta à ma hauteur et son conducteur m'invita à monter à bord.Je n'en croyais pas mes yeux: "Mais c'est Nabili!", m'écriais-je stupefié de voir un ancien étudiant comme moi exhibé ainsi un tel signe distinctif de richesse: Je me suis dit: "Décidemment, il vaut mieux sous HassanII être un artiste peintre qu'un simple littérateur: la peinture avec le cinéma, est l'un des rares domaines culturels ou l'artiste peut vivre avec aisance de son art, surtout quand celui-ci est bien coté sur le marché de l'art: être écrivain ne rapporte effectivement absolument rien dans un pays où les droits d'auteur n'existent pas...Un jour l'écrivain arabophone Driss Khouri m'a appris que la seule fois où il avait obtenu des droits d'auteur pour son livre "Ville de poussière et de sable", les dits droits ne lui avaient même pas permis de faire le plein d'essence pour sa déglinguée mobilette...
Mohamed Nabili en chantre de l'Amazighité
La timidité naturelle de Mohamed Nabili, cache au fond un écorché vif, constamment en marche vers les autres...Il a dédié son atelier à l'enfance orpheline et malheureuse comme celle qu'il a connu lui-même, pour que plus jamais, la misère et la rue n'empêche d'éclore le génie d'un possible Rimbaud; d'un possible Van Gogh ou d'un possible Mozart....Une fois à ses cotés Nabili me raconta alors qu'il avait beaucoup voyagé après son séjour d'études d' Aix en Provence et qu'il revenait des Amériques où il a étudié entre autre ,l'art des tribus amérindiennes ainsi que les signes et les symboles des civilisations disparues des Maya, des Inca.et des Astèques..D'emblée cette ouverture sur les arts Amérindiens et Européens, avec Miro en particulier, en faisait un artiste averti qui n'avait pour ainsi dire rien à voir avec les artistes autodidactes au fondement de l'art naïf au Maroc...Pour être reconnu de ses paires, Nabili disposait d'une solide culture académique: certes il explorait sa propre enfance pour se ressourcer aux rêves qui l'habitaient, mais sa technique n'a que l'apparence de la naïveté , puisqu'elle a pour substratum une solide formation aux arts plastiques grâce à ses longs séjours d'études en France, mais aussi aux Amériques et aux pays scandinaves où il avait pérégriné avant son retour aux bércailles où il vient de s'éteindre.
La peinture de Mohamed Nabili s'apparentait à l'écriture musical et s'accomodait parfaitement avec la "mise en quarantaine" volantaire qu'il s'est assigné au milieu des chênes liège et de l'air vivifiant de Bensliman : un isolement qui sied à tout véritable créateur a la recherche de soi dans un ressourcement en ses propres profondeurs, pour mieux être à l'écoute des subtiles notes de lumière émises par les sept couleurs de l'arc en ciel....Quand j'ai appris ce matin la brusque et brutale disparition de Nabili, je ne puis cacher ma profonde émotion, de perdre ainsi un ami à la fois lointain et proche, que je n'ai pu approcher qu'au cours de brèves rencontres et à chaque fois à intervalles espacés dans le temps.Mais à chaque rencontre il faisait montre d'une franche et heureuse sympathie comme si ma figure lui rappelait les temps des amours perdus de notre jeunesse à Aix en Provence...Mais comme il l'avait écrit lui-même quelque part, la vie, la mort demeurrent un mystère inexpliqué et inexpliquable, comme l'art qu'il nous a légué: des traces dont on n'explique pas toujours le sens, ni l'origine mais qui nous parlent de nos propre rêves enfantins, de nos propres racines et des archétypes de nos propres ancêtres.Nous devons, nous qui lui survivons en témoigner devant les hommes et devant Dieu.Qu'il repose en paix en cette fêtes de la nativité du Prophète où le destin a voulu qu'il effectue sa secrète hégire vers Dieu...Abdelkader Mana
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08/02/2012
Les couleurs du Maroc
L’ŒIL ET LA MAIN
Fatna Gbouri: La femme tatouée,1987
C’est au Maroc profond des plaines atlantique que Fatna Gbouri qui vient de s'éteindre à Safi, a vu le jour en 1924. Plus précisément dans la localité de Tnin el Gharbia aux frontières des Abda et des Doukkala. Paysanne elle y a longtemps moissonné pour subvenir aux besoins de sa progéniture avant d’aller travailler comme tisseuse à khouribga puis à Safi où elle allait côtoyer quotidiennement la colline des potiers mais aussi la place des conteurs à Sidi Boudhab, le marabout de l’or.
Fatna Gbouri: Femme et tapis, 1986
Aujourd’hui elle reconnaît trois sources d’inspiration à son travail ; le tissage, le tatouage et le dessin au henné :« Pour travailler le tapis, j’achetais les couleurs naturelles au colporteur : le jaune, le vert, le rouge, le bleu. Le médaillon central je le tissais en blanc. Dans mes tapis je reproduisais aussi des images familières : la théière, la bouilloire, le brasero ainsi que des fleurs. Le dessin au henné, je le reproduis sur des peaux de mouton. Je m’inspire aussi des tatouages de Zayan, car nous avons vécu là-bas un certain temps lorsque j’étais toute petite. Mon père, tailleur de son état que j’étais à confectionner les caftons, était quelque peu nomade, de sorte que nous avons vécu successivement chez les Doukkala, les Zayan, à khouribga et enfin à Safi.»
Une errance qui lui a permis de beaucoup apprendre sur les expressions visuelles traditionnelles de ces différentes régions. N’ayant plus la force de travailler au tissage, elle s’est mise à peindre des poteries qu’elle va vendre « aux marchands de tableaux » comme elle dit si joliment, pour signifier que ces marchands n’étaient pas des connaisseurs et qu’ils dévalorisaient ses ouvres en la destinant aux simples touristes de passage à Safi.
Mais cette expression des signes et des symboles associés à des images anthropomorphiques et floraux, fortement codifiée par des traditions millénaires, ne lui permet pas de se démarquer encore de la masse des tisseuses et des potières traditionnelles, en tant qu’artiste. Il a fallu attendre l’âge de soixante ans, pour qu’en 1984 son talent soit enfin révélé et reconnu en tant que tel. Une rencontre fut déterminante :« Cette année là, j’ai peins une tisseuse en train de carder la laine sur un plat de plâtre. Dés le premier coup d’oeil Boujamaoui reconnu immédiatement ce travail comme étant une œuvre d’art à part entière et le présenta en tant que telle à une exposition collective organisée alors par une association culturelle de Safi. »
Fatna Gbouri : Les deux moissonneuses, 1990
Dés lors, la paysanne anonyme de jadis sort de l’ombre et porte un nom célébré dans les expositions et les galeries. Une artiste est née. Dés lors, ce que le tissage traditionnel inhiba en elle , explosa dans un foisonnement d’images et de couleurs éclatantes, libérant son énergie créatrice. Dés lors, la peinture a « dénoué » en quelque sorte, sa créativité entravée jusque là par le tissage. Elle passa ainsi de l’artisanat à l’art. Et ce passage fut ressenti par elle comme une libération d’énergies contenues jusque là :« J’ai ressenti comme un soulagement, et une grande satisfaction à chaque fois que je termine un tableau. Je me suis mise à peindre de mémoire ce que j’ai vécu par le passé : une chikhate en train de chanter, le moussem de Moulay Abdellah Amghar d’El Jadida que j’avais visité il y a fort longtemps avec ses escouades de cavaliers, celui des Aïssaoua, ainsi que la femme de Sidi Rahal, que j’avais vu boire de l’eau bouillante en état de transe. »
Fatna Gbouri: Dresseur de singes 1986
Et ce sont toujours ses souvenirs d’enfance qui lui reviennent chaque fois qu’elle se met à peindre. Elle peint ainsi Taghounja, cette déesse de la pluie, qu’on habillait jadis comme une poupée, et qu’on promenait à travers champs, en période de sécheresse pour implorer la pluie :
Taghounja, Taghounja comme l’espérance !
Ô mon Dieu donne nous de la pluie !
L’épi est altérée, donnez lui à boire ô maître !
Les récoltes sont altérées, arrosez, ô vous qui les avez créées !
Elle se souvient encore de ce qu’on chantait dans son lointain village de Tnine el Gharbia en période de sécheresse :
Ô mère de l’espérance !
Demande à ton maître de nous accorder de la pluie !
C’est en souvenir de ces antiques rites rogatoires qu’elle a peint Taghounja, cette grande cuiller en bois de noyer qui sert à puiser de l’eau et qu’on habillait en poupée, avec « la vache noire », qu’on promenait également pour implorer la pluie, en chantant :
La vache a demandé la pluie
Demande à ton maître de nous accorder la pluie
Ô vache ! Pisse ! Pisse !
Accorde nous des épis....
Fatna Gbouri: L'âne,1987
De tout ce monde disparu, Gbouri se souvient et le reproduit de mémoire dans un plan unique sans considération pour les lois de la perspective en profondeur. Exactement comme elle faisait jadis avec la tapisserie. Tout ce qu’elle peint relève de la mémoire visuelle, et n’est nullement en rupture avec ce qu’elle avait appris tout le long de sa vie. Un parcours initiatique qui l’a prédisposé à la peinture. En effet, dans les arts populaires, seuls les tissages et les poteries, de villages ruraux comme celui dont elle est issue, reproduisent des représentations figuratives où s’opère une véritable transfiguration de la nature.
Fatna Gbouri: Deux paysans 1986
Le passage du tissage à la peinture libère ses énergies créatrices. Pour elle,, les couleurs sont un jeu au même titre que le tissage, la broderie ou le tatouage. Elle aime les couleurs gaies qui apaisent : le mauve d’amour, le bleu de la mer, le vert du printemps et de la forêt si proche, qui est un poumon pour la ville au même titre que l’océan, le jaune solaire, le rose nuptial. Par contre, elle utilise rarement le noir. Le noir, c’est l’ombre, et l’ombre, c’est l’âme même projetée en dehors du corps. C’est la puissance ténébreuse des choses.
Gbouri fut initiée à tout un ensemble de techniques du corps qui l’on prédisposée à la peinture : à la fois nakkacha, enluminant de henné les mains et les pieds, « tatoueuse », maquillant les visages, et enfin aidant son père à confectionner de beaux caftans bariolés, pour parer les mariées de leurs plus beaux atours, pour la cérémonie nuptiale de loghrama où elles sont couvertes de cadeaux de noce par les invités.
Fatna Gbouri: La mariée, 1987
La maîtrise de la teinture au henné, des formes symboliques du tatouage et l’art de parure des neggafa, ont inspiré ses premières peintures en particulier le goût des couleurs éclatantes des jours de fête. Toute sa démarche artistique est une transposition de ces techniques séculaires du corps, dans le domaine de la peinture. En troquant la seringue pour le pinceau, elle passe du tatouage des corps à celui des paysages, d’une technique du corps à une fête des couleurs. Une profusion de couleurs et de formes se générant les unes les autres, comme dans un jeu d’enfants sans perspective, mais avec beaucoup d’harmonie dans l’ensemble et une grande vitalité poétique intérieure. La surface de la toile lui impose une autre démarche. Au lieu d’embellir le vivant, elle réanime l’inerte : elle s’amuse avec les choses de l’imagination en peignant tout ce qui me passe par la tête. Au début, elle dessine une chose, mais aboutis à une autre. En particulier l’œil qui est le sens le plus important de l’homme, et la main qui protège du mauvais œil : « L’œil est précieux, nous dit Fatna Gbouri : l’œil chasse le mauvais œil. La main aussi chasse le mauvais œil. A l’occasion de la fête de l’aïd el kébir, on trompait nos mains dans un bol de henné et on les appliquait au dessus de la porte d’entrée, de manière à éloigner le mauvais sort. L’œil et la main on les reproduisait aussi dans le tapis traditionnel. Lors de cette grande fête, juste avant le sacrifice on faisait ingurgiter au bélier un mélange de henné et de blé en lui disant :Nous t’engraissons dans ce bas – monde / Pour que tu nous engraisse dans l’autre »
Fatna Gbouri: L'oeil et la main 1987
La main dont nous parle Gbouri est déjà représentée dans les peintures rupestres d’Afrique du Nord. Comme la main punique, la hamsa est bénéfique, presque sacrée : associée au chiffre cinq, elle en acquiert les vertus Une femme s’exclamant devant la beauté d’une mariée peinte par Gbouri ne dira pas qu’ « elle est belle » ! Mais « khamsa ou khmis » (cinq et jeudi sur elle !) ; jeudi étant le cinquième jour de la semaine. La hamsa protège de l’œil. Et la main protège contre l’œil, la langue et le destin.
Dans les derniers tableaux de Gbouri l’œil et omniprésent mais aussi la main : cette khamsaqui entraine dans les profondeurs du symbolisme de la fécondité, formulée d’une manière très variée suivant les civilisations. Ce thème apparaît dés les premières manifestations figuratives de la préhistoire, comme en témoignent les empreintes de mains sur les parois des grottes préhistoriques. Dans quelle mesure les symboles peuvent – ils traverser les millénaires en filiation continue ? On possède dans l’ancien monde de très nombreux témoignages qui joignent de siècle en siècle les confins de l’âge de bronze au monde actuel.
Fatna Gbouri: Sans titre 1987
Les signes et les symboles qui sont profondément ancrés dans l’imaginaire collectif, remontent spontanément à la surface de l’acte créateur, parce qu’ils constituent une composante essentielle de l’identité culturelle de l’artiste. Il s’inspire du stock de la mémoire visuelle des tapis et des bijoux berbères, mais aussi de la coutume qui consiste à se teindre les pieds au henné, en certaines occasions rituelles. Cette coutume remonte loin dans l’histoire : le nom par lequel les Egyptiens désignent les occidentaux qui les attaquaient souvent du 3ème millénaire au 15ème siècle, était Tahénnouqu’Ossendowsky traduit par « ceux du henné ». Les artistes s’inspirent aussi du tatouage qui était à l’origine une amulette permanente sur la peau. Ce qui prouve que le tatouage avait une signification magique de protection contre le mauvais œil.
Fatna Gbouri: Bleu d'absinthe, 1987
« Jaune » ou « bariolée » la mariée est omniprésent chez l’artiste, avec sa cérémonie du henné, entourée de fleurs, symboles d’amour et de renouveau, comme on le constate dans ce chant nuptial des plaines atlantique d’où est originaire notre artiste :
Nous sommes dans une nuit lunaire
C’est la nuit du bien aimé
Le henné tombe dans le lait
Nous sommes dans la nuit du parcours
Le henné tombe dans la cour...
Chante une chikhate. Un cavalier des Abda se lève alors et lui passe un collier de billets de banque au milieu des applaudissements puis se tournant vers ses compagnons, il entonne :
Ô gens des Abda aujourd’hui c’est la fantasia
Cette vie s’en va, c’est vers la mort qu’elle s’en va.
Jouissons doc du toast qui fait rougir les joues,
Jouissons donc du toast qui fait briller les yeux !
La chikhate lui réplique :
Ô mon cher, ne me ferme pas la porte de ton jardin,
Puisque c’est pour toi que mon cœur brûle de chagrin !
Fatna Gbouri: DANSE DU THE 1987
L’aïta (l’appel) est un genre musical, spécifique aux plaines atlantiques arabophones, céréalières et pastorales. Remontant à l’implantation des Béni Hilal et des Béni Maâquil, elle porte la marque des chevaliers errants tout autant que d’une sensualité ritualisée. Il faut avoir une oreille d’initié pour distinguer ces différents genres. On y accorde la plus haute importance à la parole proférée lentement, couplet par couplet, en imitant gestuellement, corporellement, le flux et le reflux des marées :
« Allons voir la mer
Restons face aux vagues jusqu’au vertige ».
L’aïta, c’est l’appel. S’agissait-il, dans quelques antiques origines, d’un appel aux divinités de la nature ? On retrouve dans les œuvres de l’artiste populaire Gbouri les mêmes saveurs qu’on découvre dans les chants des plaines côtières :
En éperonnant le fauve (al Bargui),
Elle m’a piqué au cœur.
Combien de porteurs d’étendards
Ont accompagné les chevaliers errants ?
C’est surtout lors des moussems-fêtes foraines à la fois commerciales et religieuses, réunissant plusieurs tribus autour d’un sanctuaire, généralement après la période des moissons - qu’ont lieu les manifestations collectives les plus éclatantes :
Fatna Gbouri: Au foyer,1986
Moi aussi, El Hâjj Bouchaïb
J’irai au moussem le cœur en fête
D’une tente immense, je planterai les piquets
Et de tapis multicolores, je couvrirai l’intérieur.
L’Oum Rbia, « la mère du printemps », s’il n’étanche pas la soif de la terre - il passe par la Chaouia sans l’arroser - n’en menace pas moins les hommes de son inondation :
Oued ! Oued ! Ô Oued
J’ai peur de tes inondations !
Zine, Zine, Ya ma !
J’ai peur de tes foudres !
Fatna Gbouri: Jeux de bergers, 1986
Il existe une aïta dédiée à Rabbouha, qui fut emportée par l’Oum Rbia. Sa sœur qui était une chikha s’est mise à se lamenter, en promettant ses charmes à celui qui la sauverait :
Et la chevelure de Rabbouha
Ondulant au milieu de l’inondation
Chaque tresse couvrant une vague.
Et les vaches de Rabbouha
Errant dans les territoires de l’État,
Que celui qui les reconnaîtra
Les emmène à l’abreuvoir !
On retrouve chez Gbouri des filles au bord de la fontaine pratiquant la corvée de l’eau, on voit des femmes-serpents dans un entrelacs inextricable – des croyances accordent au serpent des vertus de protection et des attributs sacrés – et surtout l’œil omniprésent répété à l’infini comme une prière tendant à remplir le ciel de la cosmogonie. Gbouri semble chanter avec cette chihate des plaines côtières :
Ton œil, mon œil
Enlace-la pour qu’elle t’enlace
L’aurore me fait signe
Le bien-aimé craint la séparation.
Fatna Gbouri: Thé, 1991
Les toiles de Gbouri sont aussi à leur manière un hymne à la beauté de ces plaines côtières si lumineuses dont elle est issue. Le tout baignant dans une profusion de couleurs à la fois chaude et éclatante. Abdelkader MANA
14:21 Écrit par elhajthami dans Aïta | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arts | | del.icio.us | | Digg | Facebook
07/01/2012
Nostalgie des origines
En ce début 2012,Mustapha BELKOUCH éxpose à Toulouse
L'artiste paysagiste mustapha Belkouch présente,en ce moment-même, une grande exposition de ses oeuvres à Toulouse : souhaitons grand succès à cette exposition qui ouvre l'année 2012, en même temps qu'une nouvelle étape dans la vie de l'artiste.
Le désert n'est plus un paysage, c'est la forme pure qui résulte de l'abstraction de toutes les autres.
Flamboiement de lumière, écriture cristalline
Les paysages de Belkouch me rappellent étrangement une visite au Sahara l'hiver. C'était à« Foum El Oued », le delta de la Séguier el Hamra, avec ses méandres d'eaux dormantes aux reflets d'acier serpentant vers la mer.. Ce paysage austère et pluvieux revêt des allures poétiques pour l'épilogue d'un chant nomade :
Nos gîtes de campagne,
Sont dressés là - même où sont nos racines
Sur cette étendue désertique frappée d'éclaires.
Doux rêve d'hiver, sous la fine pluie et sous la tente
Parfum d'herbes sèches, s'évaporant du milieu des oueds.
Lointaines rumeur des bêtes sauvages.
Cérémonial de thé, entre complices de l'aube.
Crépitement de flammes consumant des brindilles desséchées
Et avec le jour d'hiver qui point
Chaque amant rejoint la tente des siens.
Cette vision du désert comme centre de rayonnement mystique et comme source d'inspiration nous est aujourd'hui confirmé par l'artiste lui-même :
« Mon travail est comme une thèse en mouvement. La transformation et l'évolution se font dans le temps (pas d'arrêt sur un style ou de techniques particulières). La quête doit être totale, sans cesse remise en question et au fur et à mesure proposée au public. Je propose une expression de mon énergie intérieure, avec tout ce que cela comporte de tâtonnements, de recherches dans les rapports des formes par rapport au vide qui composent mes tableaux.L'idée de représenter le désert est un objectif car il est le représentant de tout ce à quoi j'aspire : la puissance, l'émotion à l'état brut. Cet extrait du livre Amérique de Jean Baudrillard i résume bien l'idée que le désert ne peut-être que le support idéal pour réaliser une œuvre abstraite) : l'émerveillement de la chaleur y est métaphysique. Les couleurs mêmes, pastels bleus, géologique, intemporelle. La minéralité du sous-sol y fait surface dans des végétaux cristallins. Tous les éléments naturels y sont passés à l'épreuve du feu. Le désert n'est plus un paysage, c'est la forme pure qui résulte de l'abstraction de toutes les autres. »
Ardence de glace et de feu, de Mustapha BELKOUCH
Il y a longtemps que j'ai rêvé de ce tableau que nous propose BELKOUH: ardente lumière soupoudrée d'or...Un art dense qui nous fait danser, penser, rêvasser. Danse de couleurs et de lumière.Musique du silence et des prières.De glace et de feu, d'ombre et de lumière le travail de Mustapha Belkouch est absolument étonnant et poétique. Ardeurs, ardence, ardentes amours.Flamboiement de lumière, écriture cristalline.Il me fait penser un peu à la gestalt théorie de ce magicien vers lequel m'avait conduit alors que je n'étais qu'enflant un dénommé Abdallah "jahel"(l'enragé), un type fort puissant tout en muscle qui avait fait le figurant dans le film de Massist. Il voulait savoir si sa femme ne l'avait pas trahi et le sorcier lui avait demandé de ramener un enfant au regard innocent pour déchiffrer son avenir. Une fois chez le voyant entouré des livres jaunes de la magie celui -ci s'est mis à enduire un œuf de smakh et à la fin il me l'avait mis entre les mains en me demandant de regarder attentivement au reflet de la lumière ce que signifie pour moi les ondoiement d'ombre et de lumière à la surface de l'œuf et j'y décelais comme sur les oeuvres de Belkouch, des montagnes, des paysages , des personnages...Et il m'avait alors suggéré de raconter le film qui se déroulait sous mes yeux à la surface de l'œuf! Tout ce dont je me souviens maintenant c'est que j'avais dit au Massist de notre quartier que je voyais sa bien aimée en train d'escalader une falaise et le sorcier de commenter qu'elle est certainement en train de voyager dans un monde imaginaire....
Le mercredi 23 décembre, j'écris à nouveau à Mustapha Belkouch :
J'ai retrouvé hier un autre souvenir d'enfance complètement oublié : c'est curieux de voir comment mon enfance se télescope avec ton travail...J'ai rencontré Fatima que j'ai connue dans mon enfance. Elle est maintenant une femme précocement vieillie s'adonnant assidument à la prière...Elle me rappelle un souvenir oublié en rapport avec sa mère que nous appelions affectueusement « Mouizigha » et qui n'est plus de ce monde probablement depuis fort longtemps. C'était une voisine et une amie à ma mère chez qui enfant je me réfugiais à chaque fois que je commettais une farce. Pour éviter d'être puni, je passais sous la chaleur de son toit hospitalier et affectueux, les nuits sombres de l'hiver.
Elle m'amenait souvent à son bled dénommé Ifran et situé à l'emplacement actuel de l'aéroport de Mogador. Fatima me dit maintenant : « Les voisines à qui nous faisions visiter notre Ifran n'en revenaient pas une fois sur place : « Nous croyons que nous allons visiter un Ifran de verdure, mais nous n'avons trouvé qu'un ifran de pierrailles ! » En effet, en berbère le terme ifran signifie l'oasis de rosiers et de lentisques qui se développe à l'ombre d'un vieux caroubier au voisinage d'un puits ou d'une source avec des laveuses de linges sur dalles de pierres lisses chantonant de beaux refrains au cliquetis de leurs bracelets mêlé au coassement des crapauds et des grenouilles. Une espèce de paradis d'ombre et de lumière semblable à ceux qui surgissent de l'inconscient de Mustapha Belcouch comme des souvenirs estompés à multiple interprétations. L'artiste retrouve aussi ses souvenir d'enfance à la volupté indéfinissable voir insaisissable : des montagnes bleutées, des ciels azurées, des vallées enflammées. Une nostalgie des origines : voila ce que nous révèle l'œuvre de Belkouch. On peut penser aux estompes asiatiques à l'ère glacière, moi son œuvre me fait revenir à mon enfance dans les montagnes berbères. A chacun sa lecture de Belkouch, une œuvre plutôt tournée vers les horizons intérieurs.Amoncellements de blocs de glaces bleu nuit au bord d'un précipice d'une faille...
Précipice et faille de glace..Mustapha BELKOUCH
Pour moi, l'ifran de pierrailles était plutôt un petit coin du paradis de mon enfance, oublié certes, mais où germe cette flamme poétique qui continue notre vie durant à nous insuffler cette ardeur intérieur, cette méditation des profondeurs, semblable à celle qui fait produire à Belkouch ces œuvres si énigmatiques et mystérieuses à travers lesquelles il tante de nous transmettre l'indicible qui l'habite : c'est de cet inconnu rêvé qu'il s'adresse à nous. Lui aussi, tente par sa peinture de retrouver le temps perdu de son enfance à travers ces couleurs chaudes, transparente à la légèreté éthérée ...Il y a longtemps aussi que j'ai rêvé que je me suis perdu dans de pareilles banquises que nous propose BELKOUCH: c'était à la suite de la vision de Charlie Chapline se débattant au - dessus du gouffre; sa pauvre cabane de bois menaçant à tout moment de se précipiter dans le sombre vide de glace ...
Ksours,Mustapha BELKOUCH
Jaune safran, aube dorée, trace de henné, sacrifice, rêve brumeux
« Une fois me raconte Fatima, Mouizigha avait acheté au souk des Ida Ou Gord, un petit âne au pris de 1200 réaux (60 DHS actuels), juste pour te permettre de gambader entre les enclos d'épines de nos champs...Tu passais ainsi la journée avec ton petit âne au point d'en attraper une terrible fièvre et de nous faire peur en nous disant au fond de ta sieur et de ton délire : je vais mourir, je vais mourir... » Vision cramoisie, enfiévrée du monde...
cet ifran de pierraille , cet ifran disparu sous le bitume de l'aéroport, représentait pourtant pour moi un petit coin de paradis que je parcourais accroché à la crinière de mon petit bourricot le regard rivé aux sentiers lumineux, entouré de palmiers nains, d'arganiers rabougris, de fleurs sauvages. « Tu mantais aux branchages d'un figuier pour en recueillir des figues à peine éclose, des figues loin d'être mûres ». Me dit Fatima. On devait être au tout début du printemps ou même au cœur de l'hiver comme maintenant.
Je crois que c'est de semblables souvenirs qui sont à l'origine de l'œuvre de Belkouch, une nostalgie indéfinissable qui l'habite en permanence et qu'il essaie d'exprimer par ces formes et ces couleurs d'une tendresse indéfinissable. On est caressé interpelé sans savoir exactement de quelle nostalgie des origines il nous parle, de lui-même mais aussi de nous...En ce moment il pleut et de la forêt voisine les paysans arrivent en ville avec des sacs plein d'escargot, ces mollusques ont aussi la couleur tendre et transparente des toiles de Belkouch. Ils ont aussi la couleur de notre enfance, lorsque sous la pluie battante nous parcourions les sous bois dense des eucalyptus et des mimosas, à la recherche des précieux escargots qui se meuvent en dehors de leur tanière sous les brindilles et au milieu des petites pousses. C'est à de semblables sensations liquides et chaleureuses auxquelles nous convie Belkouch, des sensations poétique et colorées comme un rêve qu'on ne peut reproduire par un franche figuratif...
Le soir du 23 décembre je fait le lien entre le travail de Belkouch et les rêveries poétiques de Bachelard sur l'eau, le feu et les quatre éléments des alchimistes ; Calligraphie japonaise, coulée de glace et de feu, montagne de neige tourmentée, jaune safran, aube dorée, trace de henné sacrifice, rêve brumeux. Ce n'est pas une pure abstraction, ce que nous propose Belkouch : sa peinture est une peinture de la mémoire faite traces qui suggère des formes concrètes en pointillé, et nous invite ainsi à la rêverie Bachelardienne au bord de l'eau et du feu... Des paysages, des traces humaines. C'est-à-dire un sens, des significations en même temps qu'une esthétique des formes et des couleurs ; Cette rêverie dorée et blafarde faite peinture porte sur le feu et l'eau, c'est-à-dire les éléments primordiaux de la création minérale et volcanique. Oui, harmonie des formes plastiques aux allures musicales.
Calligraphie japonaise, coulée de glace et de feu Mustapha BELKOUCH
Peinture du silence, de l'absence, du dépouillement, du vide et du plein. Ce n'est pas le silence du vide et de la mort, c'est celui du rêve et de la vie. Des trouvailles techniques dues au hasard des coulées plastiques ou le résultat d'une rêverie méditative ? Peu importe le regard ; une sensation poétique s'empare peu à peu de celui qui regarde ces reliefs primordiaux aux allures étranges et belles...C'est une forme d'écriture cristalline : des cristaux en équilibre...Un cheminement de montagnard en hautes alpages hivernales ...Une écriture de l'indicible qui invite au déchiffrement magique des sillons et des traces.
Dans mon enfance, j'ai connu aussi le déchiffrement magique des traces : je vois encore ma mère invitant une voyante nomade qui déambulait dans nos rues les jours de fête : une fois au patio de notre vieille maison, elle posait à même le sol un van d'osier et le saupoudrait de sable, puis traçait des rayures et des formes abstraites à l'aide d'une omoplate. Elle lisait à travers ces traces nos avenirs incertains comme on lit les destins à la forme particulière et unique de chaque empreinte de paume à la surface ouverte des mains. Sauf que les rayures et les formes tracés par Belkouch sont de glace et de feu...Il ne s'agit pas de nomadisme sur le sable mais de transhumance de haute montagne en hiver. De solitude et de silence. Donc d'une certaine forme de prière...que symbolise cette bétyle de glace dressée au milieu du silence de la solitude et de la nuit.
Le chant du pays se rythme au tambourin
Le rythme de Bou Iblân scintille au firmament
La danse pastorale est une ondulation de la montagne
Hautes sont les cimes, limpides sont les sources
Drues, les vallées de la montagne à Meskaddal
Où chaque année, on célèbre les pâturages d'été...
Vertes, les prairies de la plaine d'Azaghar
Où chaque année, On célèbre les pâturages d'hiver...
Ces cîmes eneigées me rappellent les hauts alpages de Bou -Iblân, le plus élevé sommet du Moyen Atlas Oriental, en arrière pays de Taza que j'ai visité l'hiver il y a trois ans de cela, pour les besoins d'un documentaire de "la musique dans la vie" .Le massif de bou iblan, est une zone enneigée et inhabitable l'hiver. Les quelques maisons qui y existent sont occupées l'été par les gardiens de troupeaux qui viennent y transhumer. Cette montagne constitue d'excellents terrains de parcours où tous les troupeaux des Bni Waraïn se retrouvent l'été. En cette haute montagne, où le paysage respire l'agréable fraîcheur des petits sites alpestre j'ai pu recueillir quelques légendes pastorales.Selon l' une d'entre elles recueillies auprès d'une chaumière du crû, sur cette montagne aux neiges éternelles, on découvre « une bergère et son troupeau pétrifiés au cours des 40 nuits les plus glaciales de la saison morte». Il s'agit des fameuses « liali Hyane », où selon un vieux dicton, il ne faut préparer ni chevreau ni agneaux qu'après le passage de leurs nuits froides et néfastes. En effet, durant cette période, on cesse de faire le beurre avec le lait des brebis qui a diminué. C'est probablement parce qu'elle avait enfreint ce tabou, que la vieille bergère fut pétrifiée sur la montagne avec son troupeau alors qu'elle était en train de préparer du petit lait avec une outre en peau de chèvre.
La vieille bergère disait au début :
- Je vous défie, ô les plus froides nuits de l'hiver ! Et j'escalade la montagne, avec mes ovins, mes caprins et mes chevreaux !
« hyan », l'esprit des nuits d'hiver demande alors à Mars :
- Ô Mars ! Prêtes mois le jour de mauvaise augure pour que je tue la vieille ogresse !
C'est ainsi qu'elle s'est pétrifiée au sommet de la montagne aux neiges éternelles avec son troupeau et son outre en peau de chèvre. .
Méditation lumineuse et assymétrique de Mustapha BELKOUCH
S'agit-il ici d'un gestuel calligraphique où de l'une de ces branches mortes de la cédraie millénaire, que j'ai vu surgir de la neige au sommet de Bou - Iblân comme un vieux fusils au bout d'un bras pétrifié de la première boucherie humaine de 1914 - 1918?
On n'arrive pas à replanter le cèdre disparu des flancs de Bou- Iblân, parce que, nous dit - on, les bergers se mettent à l'arracher dès qu'on l'a planté, croyant que la régénération de la forêt se fera au détriment des terrains de parcours. Les vieux de la région racontent que l'ancienne forêt dense du cèdre a disparu à cause des incendies. Ils rapporte même une légende pour appuyer cette affirmation :
Dans un temps à la fois mythique et lointain « vivait à Bou - Iblâne une monstrueuse créature, mi - boa, mi - jument, du nom de Targou : elle avait l'allure d'une grande jument entièrement recouverte de grosses poiles qui lui tombent jusqu'au sol. Un jour qu'elle fut foudroyée par l'éclaire au sommet de la montagne, sa farouche tignasse prit feu, et elle s'est mise alors à se frotter aux troncs d'arbres, provoquant un gigantesque incendie qui décima d'un coup des milliers et des milliers de cèdres millénaires. De sorte qu'il ne reste que quelques cédraies disparates ici et là, autour de Bou - Iblâne.
Souffle ! Souffle ô Bou - Iblâne !
Rafraîchit l'air du plat pays
Ô Bou - Iblâne ! N'était le froid,
J'aurai planté ma tente sur ton sommet !
En effet, dés qu'arrive la période des neiges , les transhumants s'empressent de rejoindre le plat pays et avec la belle saison ils reprennent d'assaut les hauts paquis. Mouvement oscillatoire et saisonier dont nous parle cette autre légende:
La vieille bergère se déplaçait vers Taïzirt avec son troupeau. Elle était accompagnée de son mari, d'un berger et des ses bovidés. Quand les sept nuits froides de Hyân sont arrivées, elle a dit à son mari :
- On ne doit pas rester ici, il faut qu'on monte en haut de la montagne.(ils avaient une maison à Moussa Ou Saleh).
- On ne quittera ici, que lorsque l'épis soit mûre, lui répondit son mari.
Elle dit alors au berger :
- Quand tu seras en pâture, là où on laboure, ramène avec toi une vieille épis pour que je puisse la montrer à mon mari, en lui faisant croire que l'été est déjà arrivé., et que nous devons donc décamper d'ici.
Après avoir tâter l'épis son mari aveugle lui dit :
- Il est temps de transhumer vers « Moussa Ou Saleh ».
Au bout de trois jours de leur séjour là -haut, Hyân est allé emprunter trois jours au mois de mars :
- Ô mars, toi qui préside la saison du printemps ! Peux - tu me prêter tes trois jours de mauvaises augures, pour que j'en pétrifie la vieille ogresses ?!
Et c'est ainsi qu'il lui accorda les trois jours de mauvais augures qui pétrifièrent le troupeau, la vieille bergère, son aveugle de mari, le berger et le troupeau de vaux. Le froid les a pétrifié pour avoir renverser le cycle de la transhumance.
« Moussa Ou Saleh » habitait à Tlemcen. Il possédait un cheval. Un jour une fourmi l'a piqué. Il l'a mise alors dans un étui en roseau et l'enferma avec un grain de blé tendre. Au bout d'un an , elle n'en n'a pu consommer que l'équivalent d'une tête de fourmi. Quand le Roi de l'époque le su, il demanda à ce qu'on fasse venir « Moussa Ou Saleh ». Une fois en sa présence, il lui dit :
- Pourquoi as-tu emprisonné la fourmi ? Toi aussi, tu sera emprisonné pendant un an.
- Ça sera comme vous l'aurez voulu, puisque vous êtes le Roi du Temps : jugez comme vous l'entendez, lui rétorqua Moussa ou Saleh.
Il demeura une année en prison, en demandant à sa mère de bien prendre soin de son cheval, de le nourrir de blé, en le gardant à l'ombre, loin du soleil.
- Quelle aliment choisiras - tu pour te nourrir ? lui demanda le Roi.
- Le lait dont je peux boire l'eau et manger le fromage, répondit - il. Et d'ajouter :
- Seigneur, il faudrait qu'on organise un jour une fête et une fantasia !
Le jour de la fête,il sella son cheval et se dirigea vers les remparts. Un observateur se mit alors à crier :
- Moussa est parti ! Faites attention, Moussa est en train de fuir !
En un clin d'œil, il parvint en effet, à enjamber le rempart avec son coursier.
A chaque fois que ses poursuivants demandaient aux gens :
- Un cavalier, est- il passé par là ?!
Ils recevaient invariablement cette réponse :
- Nous n'avons vu passer par ici qu'un corbeau portant une laine blanche à son bec.
Le cavalier blanc continua ainsi sur son coursier noir jusqu'à Taza, où il fit ses prières à la grande mosquée. Après quoi il se dirigea vers la plus haute montagne du pays, où deux fossoyeurs ont déjà creusé une tombe :
- Que faites-vous ici ? leur demanda -t-il.
- Nous venons de creuser la tombe d'un homme de votre taille, lui répondirent - ils. Veux - tu t'y mettre pour qu'on puisse mesurer si elle convient ?
- D'accord ! leur répondit - il.
Ils lui firent alors flairer une fleur sauvage, et il en mourut subitement.
C'est la raison pour laquelle, on appela désormais cette montagne du nom de « Moussa Ou Saleh ».
Le « Moussa Ou Saleh » qui élève sa cime à 3215 m. d'altitude, est le sommet culminant de la chaîne du Bou - Iblâne et de tout le massif du Moyen Atlas. Une jolie légende se rapporte à l'origine de son nom :
« Il y a de cela bien des siècles, Moussa Ou Saleh vivait réduit en captivité sur les Etats du puissant roi de Tlemcen. Mais un beau jour, déjouant la surveillance de ses gardiens, le prisonnier s'enfuit aux galops d'un splendide et fougueux coursier.A ses poursuivants qui demandaient des nouvelles du cavalier fugitif, les gens répondaient :
- Nous n'avons vu qu'un corbeau volant avec de la laine au bec !
Le cavalier blanc paraissait s'envoler sur son coursier noir.Et c'est en vain que les plus habiles cavaliers du roi de Tlemcen le poursuivirent à travers les monts et les plaine jusqu'aux derniers rayons du soleil couchant. Il fit la prière du crépuscule à la grande mosquée de Taza, avant de poursuivre sa folle chevauchée . Vers le soir, et alors même qu'il venait d'atteindre la gigantesque barrière de Bou - Iblâne, son cheval fourbu, s'abattit brusquement sous lui. Le fugitif cherche à reprendre haleine , mais un essaim furieux d'adversaires, l'entoure déjà :
- Vous me suivez plus haut encore ! les défie - t - il à leur approche.
Et dans un suprême effort, il se prend à gravir au devant d'eux, le flanc inhospitalier de la rude montagne. Mais il sentit peu à peu ses forces le trahir et en lui , la vie défaillir : en touchant au sommet , il tomba brusquement foudroyé par la mort,. C'est depuis lors, qu'on appela cette partie culminante de la montagne du nom de « Moussa Ou Saleh ».
Paroi préhistorique de Mustapha Belkouch
En faisant la par des embellissements inévitables où se complait l'imagination populaire, deux points sont à retenir dans ce récit :
Le nom du héros d'abord, et ensuite l'évocation de sa rivalité avec le roi de Tlemcen. Ils suffisent à nous découvrir le fond historique de la légende : moussa Ou Saleh, n'est autre , en effet, que le plus fameux d'entre les princes de la dynastie des Banou saleh, ces fondateurs du petit royaume de Nokoûr qui florissait sur la basse Moulouya aux environ du 10ème siècle. La renommée laissée par Moussa fut telle, que cinq cent ans après sa mort, il se trouve encore cité par Ibn Khaldoun au nombre des illustrations du peuple berbère et présenté par lui « comme un des ornements de sa Nation. » La lutte inégale qu'il soutint contre les lieutenants Tlemcéniens d'Obeid Allah le Fatimide n'est point sans doute étrangère au développement d'un pareil prestige.
C'est au sommet de cette montagne qu'on découvre encore aujourd'hui selon la légendeainsi , la vieille bergère pétrifiée au milieu des neiges éternelles avec son troupeau et son outre en peau de chèvre. Au plus haut sommet de Bou - Iblâne on trouve également une fiancée pétrifiée par la glace.
Abdelkader Mana
12:13 Écrit par elhajthami dans Arts | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : arts | | del.icio.us | | Digg | Facebook