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23/06/2011

Folk

L'héritage de NASS EL GHIWANE

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Omar Sayyed et Amina Aoucharihrai, directrice de l'IURS

Le mardi 21 juin 2011, journée mondiale de la musique, l'Institut Universitaire de la Recherche Scientifique, Madinat El Irfane, Rabat; là où Abdélkébir khatibi avait ses bureaux, a consacré une journée d'étude à "la chansson contestataire au Maroc:l'héritage de Nass el Ghiwan", en présence de Omar Sayed, l'un des membres fondateur du groupe folk mythique...

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Dans leur argumentaire, les organisateurs écrivent: les années 1970 ont vu naître un nouveau style musical dans un contexte de crise politique et sociale aggravée par de graves atteintes aux droits de l'homme, conjoncture baptisée depuis "années de braise" ou "années de plomb". Le chant des Ghiwane est alors apparu comme un cri , une réaction populaire qui exprime les aspirations de l'indiidu souffrant qui défend ses droits et sa liberté. Cette chanson contestataire qui, prêche le changement, devient rapidement populaire et s'impose même comme culture identitaire. Depuis la fin des années quatre vingt - dix et surtout au cours de la première décennie du XXI ème siècle, dans un contexte caractérisé par la transition démocratique, des jeunes artistes ont repris le flambeau de la contestattion , exigent l'élargissement des libertés et aspirent à l'emergeance d'une société nouvelle. Quel fil relie la chanson contestataire des années soixante-dix à celle d'aujourd'hui? LA achanson contestataire de ce début du 21 ème siècle se situe-t-elle dans le prolongement de la chanson des Ghiwan? Celle-ci a-t-elle était la matrice où se sont forgés les nouveaux styles musicaux? Quelle est l'influence musicale , poétique , thématique des Ghiwane sur la chanson actuelle?

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Avec le mouvement musical né à la fin des années 90, défini comme "underground", "engagé", puis rapidement baptisé "Nayda", la chanson contestataire au Maroc semble se développer d'une nouvelle manière. Des dizaine de groupes de fusion, de rap et de hip-hop, qui disent s'inspirer autant de "Bob Marley" que des "Nass el Ghiwane", chantent la corruption , la pauvreté, et dénoncent le système injuste et inégalitaire.Les textes des groupes ou chanteurs de la nouvelle scène ont souvent un contenu social large, avec des sujets portant sur les injustices sociales comme la corruption, les violences policières, la hogra, le hrig etc.

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Si les textes des Ghiwan qui s'appuient sur une "darija épicée" sont très elliptiques; les textes de rapp ont souvent été présentés comme de "la langue de rue" qui a néanmoins une portée poétique. La dernière chanson du groupe Hoba Hoba Spirit reprend un poème en arabe fusha du poète tunisien Abou el kacem Chabbi pour témoigner de leur adhésion aux idées du 20 février.

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A la manière des poèmes émouvants de Larbi Batma de Nass el Ghiwan, les texte de la NAYDA sont crus, simples et beaux. Ils sont exprimés également en darija comme ce texte de Muslim Machi intitulé "Ana li khtart" (c'est moi qui a choisi):

Chnou qimt lward melli yedbel?

Chnou qimt el ard bla jbal?

Chnou qimt sahra bla rmel?

Chnou qimt nahla bla âssal?

Chnou qimt bnadem bla âqel?

Chnou qimt lqalbila khâl?

Hît ila l'warda n'btat farawda

Ghatmout barda bin chouk

Que valent les fleurs quand elles se fanent?

Que vaut la terre sans montagne?

Que vaut le désert sans sable?

Que vaut l'abeille sans miel?

Que vaut l'homme sans esprit?

Que vaut le coeur s'il noircit?

Parce que si la rose fleurit dans un cimetière,

Elle mourra froide au milieu des épines.

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Pour sa part, le rappeur Bigg, décrit ainsi la déchéance dans "daret"(elle a tournée) :

Chta baqa katsob wana chad rokna

Lgarro li âmri ma kmitou walla hdaya m'rakken

Riht lmout wallat fiya chadda sokna

Natlob Allah aymta laqbar ijmaâni man had ddel.

Galex jiân b'hâl lmajhoum ma kitsanna gha lmoute

La pluie continue à tomber et je tiens le coin

La cigarette que je n'avais jamais fumé est là à côté de moi

L'odeur de la mort a commencé à m'habiter

Je demande à Dieu quand la mort me délivrera de cette indignité?

Assi affamé comme un chien bâtard, je n'attend plus que la mort

(ces textes sont cités dans la communication de Dominique Caubet intitulée "la Nayda par ses textes)

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Une journée de la musique et de la parole social libéréé. Une journée du souvenirs aussi,où Omar Sayyed était le seul a représenté le groupe mythique disparu : j'ai beau dit -il répéter un peu partout que feu Boujmiî était mort d'un ulcère, je n'arrivais jamais à arrêter la rumeure qui veut qu'il était mort parce qu'il chantait des poèmes contestataires....

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Reportage d'Abdelkader Mana

Rabat, le mardi 21 Juin 2011

20:50 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

19/06/2011

Une guérite de tristesse

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La guérite de tristesse d'où l'on pouvait voir venir orages et tempêtes

17:46 Écrit par elhajthami | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèsie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

09/06/2011

Le Mogador du dedans

Le Mogador du dedans

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      Je me souviens d’un soir où je me promenais aux côtés de mon père à Essaouira, la ville de nos ancêtres.

      Je me sentais au cœur de mon histoire. Je caressais confortablement mes racines, ma terre sous mes pieds  et mon père à mes cotés. Rien ne pouvait avoir de secret pour moi, ni déranger mes souvenirs. Mais j’avais quinze ans  et ce n’était qu’une naïve impression.

      Dans une romantique nostalgie, je levai mes yeux au ciel pour compter les étoiles, comme je le faisais autrefois avec mes cousins. Mais la lumière violente des lampadaires me fit aussitôt fermer les yeux. Il n’y avait plus d’étoiles, seulement une lumière froide assez agressive pour les cacher. Ma ville avait changé, elle avait perdu toute sa magie ingénue que je lui connaissais. Jadis, les étoile. Jadis, les mouettes. Jadis, les araucarias avec les feuilles desquelles nous fabriquions des épées et qui sont désormais balayées.  

      Beaucoup d’entre vous me diront qu’aujourd’hui Essaouira est plus propre, plus accueillante. Ils me parleront des beaux Riad, des luxueuses plages privées et du nombre croissant de touristes.

     Je réponds alors que la ville spirituelle est devenue balnéaire, et tout le monde applaudit. Essaouira est une artiste prodige qu’on a maquillé et dénudé, et qu’on a envoyé danser dans un bar.

     D’aucuns iront jusqu'à me faire remarquer que la ville a besoin de la monnaie étrangère, qu’elle serait morte sans l’activité touristique. Je ne partage pas entièrement cet avis. Je demande à ces bienheureux s’ils ont déjà arpenté les petites ruelles de Mogador, s’ils ont déjà été accueillis dans la maison d’une humble mais généreuse famille Souirie , et surtout s’ils y ont vu une trace d’enrichissement , une évolution palpable .Moi, je n’en vois pas. Le Mogador du dedans tombe en ruine, en même temps que la façade est assidûment peinte…et repeinte.

           Le Mogador du dedans, c’est cette vieille dame que j’ai connu, enfant ; elle a vécu seule et dans le dénuement… elle est morte ainsi. Le Mogador du dedans, c’est ces enfants et adolescents qui quittent les bancs de l’école parce que l’activité touristique est plus intéressante que leur programme scolaire. Le Mogador du dedans, c’est ce noble personnage qui attend, devant la gare avec sa charrette, que nous veuillons bien qu’il transporte nos bagages ; ses « balak balak » raisonnent dans ma tête comme le son irritant de la misère.

       Ce serait malhonnêteté de nier cette misère dans le faste. Moi, elle me dégoûte. Ceci n’est pas l’histoire d’Essaouira seulement, c’est l’histoire du pays en développement qu’est le Maroc. Un développement superficiel et partial.  Ce vernis dont nous sommes tellement fiers finira un jour par se craqueler… mais, entre temps, nous aurons perdu nos étoiles, nos mouettes et nos araucarias.

  Sarah MANA

21:50 Écrit par elhajthami dans Mogador | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mogador | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

08/06/2011

Poème de la mer

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Poème de la mer

Poème du Raïs Belaïd, pionnier de l’amerg qui a introduit le rebab

(Traduction de Saïd Khalil, faculté des lettres et sciences humaines, Agadir)

Ceci est un poème que je viens d’écrire

Poème à propos de tassort (Essaouira) et de ceux qui s’y promènent.

Ô Sidi Mogdoul ! Je t’implore !

Ne me laisse jamais seul au milieu des mers.

Ô tassort(Essaouira) ! Combien ta mer est dangereuse !

Si nombreux sont ceux qui y sont disparu !

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Toute ta mer n’est autre que vagues immenses, insurmontables.

Montagnes au sein même des flots !

Sont pris pour néant, ceux, malheureux qui y voguent.

Ce bout de monde de tassort à Agadir

N’est autre qu’un monde des ténèbres

Seule l’eau y prend parole.

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Ce bout de monde de tassort à Agadir,

Qui d’autre aurait l’audace de le traverser

Si ce n’est l’aventurier insensé ?

Cette mer emporta bateaux et ce qui s’y trouvait,

Cette mer emporta barque et poisson.

Elle mit son ancre en pièce pour l’ensabler.

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De même, matelots qui s’y trouvaient ont tous péri.

Laissant derrière eux, épouse et femmes seules

Faire faces seules, à leur propre sort.

Ô ensorcelé par les charmes de tassort !

Amoureux de plage et de ceux qui s’y baladent,

Des allées, et de ceux qui s’y promènent,

Ne prends plus jamais le large !

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Vois-tu ces navires entrants, que tu prendrais pour le retour à midi,

D’un troupeau de petit bétail ?

Le début d’une tempête peut les disperser toutes et les faire disparaître

Seraient alors réduits à néant tous ceux malheureux qui s’y trouvaient !

Eau de mer et vie ne vont point de pair,

Et point ne tient à la vie celui qui s’y attache encore.

Mieux vaut pour lui, commercer « même » de la menthe,

Se contenter du bonheur d’un pain d’orge au repas,

Ne pas s’empresser de faire fortune

Et prendre garde à errer, de crainte enfin de s’égarer.

Poème du Raïs Belaïd, pionnier de l’amerg qui a introduit le rebab

(Traduction de Saïd Khalil, faculté des lettres et sciences humaines, Agadir)

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Eloge à mon Rebab

Du Raïs Aïsar du pays haha

Poéme traduit du berbère par Abdelkader Mana assisté de Raja Mohamed

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

Le banjo et le luth t’ont privé de ton sel

Ta déchéance retombe finalement sur moi

A force de t’accompagner aux  fêtes champêtres:

Je n’ai pu être parmi les miens ne serais-ce qu’une semaine

Seigneur ! Sauvez la langue tachelhit de son état déplorable !

Où sont passés ceux avec qui, j’ai la parole en partage ?

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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Je suis le parieur qui ne perd jamais

Si le sommeil vient à nous manquer

On peut toujours récupérer

Et si je meurs, c’est cette parole que je vous lègue

Je la transcris dans les livres

S’il y a quelqu’un pour la lire

S’il n’existe pas aujourd’hui

Il existera demain

Celui qui la lira priera pour ma miséricorde

Il saura alors quels effrois m'ont fait périr

Je te dépose ô Rebab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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Seigneur ! Venez au secours de ma pauvre pirogue

Car nous ne saurons nager,

Au milieu de la houle qui s’avance  à vive allure

Et des eaux agitées

Si nos mains et nos pieds en viennent à geler

De quel secours pouvons-nous, nous prévaloir,

Avant que les poissons ne nous dévorent?

Dieu seul voit clairement en ces profondeurs insondables

Mon Dieu venez donc au secours de cet orphelin

Car la mère qui prodiguait consolations n’est plus

C’est désormais à toi seul qu’il s’en remet.

Je te dépose ô Ribab puisque personne ne veut plus de toi

Et si tu es fatigué,  moi aussi je n’en peux mais

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Reportage photographique d'Abdelkader mana

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Essaouira, jeudi 26 mai 2011

11:22 Écrit par elhajthami dans Reportage photographique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

07/06/2011

Le mouvement folk berbère

LES JIL ET LA MUSIQUE FOLK

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"MASRAH ENNAS"  de Tayeb Saddiki,à l'origine du mouvement folk au Maroc

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       On appelle FOLK au Maroc, les groupes qui existent depuis 1970. Sur la scène internationale des jeunes, le terme FOLK a désigné depuis les années 1960 un mouvement mondial de retour aux sources. Contre la musique commerciale, les jeunes sont partis à la recherche des traditions pour y puiser de nouvelles inspirations. C’était souvent un mouvement écologique et politique. Au Maroc, ce mouvement est issu du nouveau théâtre de la fête (ihtifalia) dans lequel la chanson (malhûn notamment) occupait une place importante. Deux groupes ont alors ouvert cette voie : NASS AL GHIOUAN et JIL JILALA . Ils ont eu partout des imitateurs au Maroc. Depuis 1980, moment du déclin de ce mouvement, le ministère de la jeunesse et des sports encourage les groupes Folk locaux amateurs. En 1980 il a organisé à Rabat le premier festival national de la musique Folk.

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Maâlem Gnaoui, PAKA fera successivement partie des mythique groupes folk de Nass el Ghiwan et de Jil Jilala

      Ces groupes étaient apparus au théâtre Tayeb Saddiki a Casablanca en pleine période hippie a Essaouira où Paka était le premier à sortir la "tbiga"(autel des Mlouk, des esprits) de la zaouïa des Gnaoua pour organiser une lila avec sacrifice pour le living theater en bordure de mer dans une villa des coopérants français. Ces groupes étaient apparus au Maroc au moment où y faisaient un tabac , dans le sillage du mouvement hippie, les Roling Stone, Bob Dylan, les Beeteals et Elvis Preley . Ce métissage musical se manifestera plus clairement encore avec le festival des "Gnaoua et musique du monde", où on assistera a une fusion entre la musique de "la religion des esclaves" et les musiques venues d'ailleurs....

           Apparus dans les années 1970, deux groupes mythiques folk  ont fait partout des émules au Maroc: Jil Jilala et Nass El Ghiouane. Il y avait aussi les Izenzarnes pour le monde berbère. Le succès de ces groupes folk auprès de la jeunesse vient de la modernisation du chant traditionnel que ce soit le malhum pour Nass El ghiouane et Jil Jilala, ou le chant des trouveurs chleuhs pour les Izenzaren et les Oudaden berbères: Introduction de nouveaux instruments de musique(banjo, guitare électrique, tam-tam) ou réutilisation de la musique et du répertoire des confrérie (guenbri des Gnaoua, Herraz des Hamadcha et des Haddaoua etc.), dans un contexte moderne: utilisation de la scène  avec micro et projecteurs, chevelure en bataille et Jean troué a la manière des groupes Rock, préférence pour les thèmes chers à la jeunesse :révoltée contre les injustices, remise en cause des pesanteurs normatives. Chant en position debout avec des intonations modernes aux accents de Rockers. ..

  Les groupes folks Berbères

musiqueBelaid Akkaf : guitare acoustique, piano, oud, percussion
Dès les années 70, il participe à un tournant décisif de la musique berbère avec le groupe Ousmane en interprétant pour la première fois le répertoire traditionnel avec des instruments modernes.Devenu depuis professeur renommé, chercheur à l'Institut Royal pour la Culture Amazighe du Maroc, compositeur de musique de film maintes fois primé, Belaïd Akkaf a multiplié les expériences musicales.

Le groupe OUSMAN

       Dans les années 1970, Ammouri M’barek, est l’un des fondateurs Ousman, groupe pionnier qui a fortement influencé tous les groupes folk berbères de Sous. Pratiquant depuis toujours la musique en autodidacte, il est représentatif de ces artistes berbères qui mélangent avec bonheur tradition et modernité. En France, il a beaucoup travaillé avec les associations kabyles: « Mon expérience artistique a débuté à Taroudant par la création du groupe âssafîr (les birds en anglais) et un deuxième groupe que nous avons appelé « Sous 5 », par référence au nombre de  musiciens qui le composent .C’est de là qu’est née à Rabat l’expérience d’ Ousman, en 1975-76. Le mérite de la fondation de ce groupe revient à Brahim Akhyat, qui militait déjà pour la reconnaissance des droits culturels et linguistiques des Amazighes.  Je l’avais rencontré lors d’un mariage à Tiznit. Par la suite à Rabat en compagnie de Belaïd el âkkaf, qui est parmi nous et qui est membre de l’IRCAM. Le but du groupe était de se mettre au service du patrimoine amazigh. Il s’agissait de sauvegarder l’authenticité tout en s’ouvrant sur la modernité. Le groupe Ousman chantait le répertoire de poètes amazighs engagés tel, Akhyat, Mestaoui ou Amarir. Les instruments étaient modernes mais le contenu traditionnel. Le style était nouveau et plaisait à la jeunesse. L’expérience du groupe avait permis de  dépasser le complexe d’infériorité dont souffrait l’amazighité. Notre premier 45 tours, Taguendawt, s’est diffusé si rapidement que les passants nous arrêtaient pour nous dire combien ils étaient fiers de nous et de leurs racines amazighes. Chose qui n’existait pas auparavant : on n’entendait pas de musique amazighes dans les cafés et on ne parlait pas amazigh dans les administrations. Le groupe Ousman a contribué à dénouer le complexe d’infériorité dont souffrait l’amazighité.      Notre groupe avait des principes et une vision. On avait un projet culturel et linguistique. Un projet artistique et moderniste. On s’est inspiré de la musique et des rythmes traditionnels. Notre départ eu lieu à partir de Sous en tant que terroir amazigh. Nous avons fait des essais pour chanter dans les autres dialectes amazighs du Moyen Atlas et du Rif. Il s’agissait de soustraire la chanson amazighe d’une certaine léthargie, de son repliement sur elle-même : il fallait s’ouvrir, s’oxygéner, sans pour autant délaisser le chant et la danse traditionnels. Le but étant la sauvegarde des danses et des chorégraphies traditionnelles. Il ne faut rien toucher à ce legs ancestral, cette expression millénaires d’un peuple et d’une civilisation. Une histoire profonde et riche. Il n’y a pas longtemps j’ai rencontré des jeunes de Ouarzazate  qui m’ont émerveillé en créant une troupe de danse traditionnelle de cette région. Mais il faut que les ministères de la culture et du tourisme mettent la main à la patte pour aider ces groupes. Car sans subventions, demain ou après demain on vous dira que la danse des Houara a disparue.  On peut dire autant de la Daqqa de Taroudant, ou encore d’ ahidus , Taqtouqa Jabaliya, ou encore la danse de la gadra au Sahara. Une attention toute particulière doit être accordé à cet aspect du patrimoine.

      Notre groupe a survécu. Il nous est arrivé la même chose que Tarek Ibn Ziyad  qui avait préféré lors de sa traversée du détroit de Gibraltar brûlé tous ses voiliers plutôt que d’avoir à revenir en arrière. Toutes les portes ne nous étaient pas ouvertes, tous les domaines ne nous étaient pas faciles d’accès : c’est notre foi en notre mission, en notre message et en notre rêve, qui nous a permis de survivre. Cette foi vient de notre engagement vis-à-vis de notre public. Il faut permettre à nos artistes d’accéder avec équité aux médias publics. Sans clientélisme ni casting préalable. Car un artiste est artiste à la naissance. Il ne doit pas passer par les médias pour ses beaux yeux ou ses beaux cheveux. La sélection se fait d’elle –même : celui qui a des choses à dire reste et celui qui n’a rien à dire disparaît.  

     Je n’apparais pas à la télévision et je ne participe pas aux festivals parce que je suis marginalisé. Les producteurs sont tous des commerçants qui cherchent d’abord ce qui est en vogue. Ils ne cherchent pas l’art pour l’art. Nous n’avons pas de véritables producteurs : ce sont d’anciens marchands de fruits et légumes qui se sont brusquement convertis en producteur de cassettes. Timitar est un beau nom. Il  signifie « signes et symboles » en berbère. Le slogan du festival Timitar est « les artistes amazighes accueillent les artistes du monde ». Il faut l’inversent : « les artistes du monde accueillent les artistes amazighes chez eux ! ». Il faut y ajouter le concert de la tolérance. De quelle tolérance s’agit-il ? Alors qu’on n’invite personne  d’ici ! On invite 0,05 de participation autochtone. Et on te parle de tolérance ! Pourquoi ne pas faire découvrir au grand public les Rways d’ici ? Pour faire découvrir aux jeunes les anciens talents. Il ne faut pas faire de l’actuelle chaîne amazighe une sorte de « réserve d’indiens ». Il faut que la chanson amazighe soit diffusée par toutes les chaînes. Il ne faut pas la limité à une sorte de réserve. Il faut que la chanson amazighe soit présente sur toutes les chaînes.

 Les Izenzaren

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       Le 10 janvier 2011, dans le cadre d’une mission de l’UNESCO , sur les musiques et les danses au Maroc, j’ai rencontré Mohamed Bayri  l’un des principaux fondateurs du groupe Izenzaren en 1974. Il  a cessé de produire, il y a de cela une vingtaine d’années et vit et travaille actuellement à Inezegan  en tant que gérant d’un cyber qui porte le nom de « tayought » (la vague en berbère). Le groupe existe encore et serait en train de préparer un nouvel album qui verra le jour en 2011. L’absence des Izenzaren est due au fait que chacun des membres du groupe était obligé de chercher son gagne pain ailleurs que dans la musique. L’âge a également joué : les membres du groupe sont maintenant des octogénaires. Ils  ont servi de modèle aux groupes folk berbères qui restent très actifs dans le Sous tel le groupe Izem de Dchaïra ou le groupe Imazzal . Il y a même  des groupes d’ Amerg – fusion, genre qui utilise la poésie berbère mais dont l’orchestration est entièrement calquée sur le modèle des  Rocks de cabarets et de boites de nuit ou le seul instrument traditionnel qui subsiste est le fameux Rebab des Rways. Le chanteur Ali Faïq est représentatif de cette nouvelle vague. Le groupe folk des Oudaden fait aussi parler de lui : son style différent de celui des Izenzaren.  Maintenant, les jeunes pratiquent le Rap et  hip – hop.

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Laqdam, premier groupe folk de Sous

        Mohamed Bayri. ce natif d’ Inezgan en 1957 , nous relate la naissance du mouvement folk berbère en ces termes :   

 « Au sein du groupe Izenzaren, j’étais percussionniste : joueur  de tambourin (bandir) .Auparavant je faisais partie du groupe « laqdam » (cadeau de mariage en berbère). C’est le  groupe fondateur du mouvement  folk dans le Sous. Nous avons fondé ce groupe en 1972. Au mois de mars 1975, le groupe de « laqdam » a été remplacé par les Izenzaren, mot qui signifie « rayons de soleil » en berbère. Cette appellation dérive d’un poème qu’on chantait alors : « artalla tafoukt mou izenzaren f’wayour ayli ghtamans »( le soleil aux rayons dorés pleure pour que la lune soit à ses côtés). C’est à partir de ce vers que nous avons pris ce nom d’Izenzar. Le groupe a été lancé en 1975. Certaines chansons sont empruntées au patrimoine des trouveurs chleuhs mais la plupart des chansons ont été produites par Hanafi, parolier du groupe. Notre versification s’apparente à la poésie libre et n’obéit pas à la métrique de la poésie des trouveurs chleuhs traditionnels qu’on appelle les Rways. Ces derniers se réfèrent à la versification traditionnelle  dite de Sidi Hammou. Les Izenzaren adoptent un nouveau style avec de nouveaux rythmes et une versification plus libre. Les années 1970, ont été marquées par la naissance du mouvement folk de Nass el ghiwan et par le mouvement hippie. Les Bétels,  Carlos Santana  et les Ping Floyd, nous ont aussi influencés…Le théâtre du dramaturge Tayeb Saddiki  qui a donné naissance à Nass El Ghiouan et Jil Jilala, nous a également influencé. Il y avait aussi l’influence du genre qu’on appelle dans le Sous « lahdart ou sarag” (l’amusement du patio) : quand la troupe des Rways termine son numéro, on aborde l’ahouach,puis le pré-  théâtre chanté appelé « lahdart ou saïs ». C’est un chant semblable au Bsat que chante la troupe de théâtre de tayeb Saddiki. C’est une troupe qu’on appelle Aït lamzar qui pratique  dans le Sous ce genre d’incantations chantée  qu’on appelle « lahdart ou sarag ». Compétition chantée sous forme d’opérette. Pré – théâtre chanté qu’on  pratique à la kasbah Tahar à quatre ou cinq kilomètres au nord d’Aït Melloul. Nous n’aurions pas pu nous inspirer de leur style s’il n’y avait pas le phénomène de Nass el Ghiwan. Nous avons repris en quelque sorte ce « Bsat de Sous ».Nous imitions alors Nass el GHIWAN et Jil Jiala au point de chanter en arabe. Notre parolier a repris ces paroles de Nass el ghiwan : « goulou lakhlili ila mchit bellil » (dites à mon bien aimé que je suis parti de nuit) dont il a imité le rythme mais en utilisant cette  version berbère  : laqdaminou katiwigh nakkin ar darun laqdaminou katiwigh nakkin at hennagh » (mes présents je vous les apporte  ; mes présents, je vous les offre pour m’apaiser). On a chanté ces paroles berbères sur les rythmes de Nass el Ghiwan. . C’est ainsi que nous avons commencé à chanter en berbère. C’est par ces chants qu’avait débuté le groupe Izenzaren. Au festival des arts populaires qui s’est tenu à Agadir en 1974, on était le seul groupe a chanter en amazighe. Au vu de notre tenue vestimentaire, pantalon blanc, chemise noire, gilet rouge, chevelure en boucle et en bataille, les organisateurs ont cru que nous allions chanter Nass el Ghiouan, mais furent pris de court quand nous leur avons affirmer que nous allons chanter en berbère. Quand nous sommes montés sur scène, le public s’est mis à nous huer croyant que nous sommes des Rways d’Inezeggan. A l’époque l’art des Rways stagnait véritablement. Mais quand le rideau s’est levé le public était agréablement surpris par la modernité du groupe. Au bout de la troisième chanson le public s’est enflammé et s’est mis à réclamer davantage de ce nouveau répertoire qui répond mieux à ces attentes. »

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         Izenzaren                                                                  Laqdam

  .      Les Izenzaren qui ont connu l’apogée de leur carrière dans les années 1980, sont toujours populaire et ont un public de toutes les catégories sociales et classes d’âges                                                                      

 O U D A D E N

    musique Membre du groupe folk « Oudaden »(les mouflons en berbère), Mohamed Jmoumakh est né en 1960 à Ben Sergao, commune d’Agadir issue de l’exode rurale. Par sa beauté mais aussi par son endurance, le mouflon symbolise la vie montagnarde. Il a le même caractère endurcie des montagnards berbères : il n’accepte pas l’humiliation, supporte la faim et vit dans le milieu rude et sec. Le groupe a débuté en 1978, mais n’a été vraiment connu qu’à partir de 1984 avec son premier album, paru à la maison de production « Maârif » d’Agadir. Ils eurent un second album à « Sawt al Ahbab » (voix des amis) de Casablanca. Vinrent ensuite « Disco production » et enfin « Box music ». Ils ont reçu un prix forfaitaire qui équivaut à une cession de droit. Donc sans droit d’auteur selon les exemplaires vendus, ni d’ailleurs pour ce qui concerne les chansons diffusées à la  radio. Leurs chansons, ils les puisent dans le patrimoine du Sous mais présentées dans un style nouveau. Celui du mouvement folk : « En s’inspirant du Raïs Saïd Achtouk et d’un genre d’Ahouach d’Agadir qu’on trouve seulement à Ben Sergao,Tarrast,Tikiwin , Dchaïra et Ihchach. Nous avons repris cette danse traditionnelle en la développant à notre manière. On appelle ce genre « lahdart ou sarag » (le pré -théâtre du patio). C’est ce rythme que notre groupe avait repris : alors qu’ils se pratique traditionnellement avec les tambourins et le nakoss, nous l’avons amélioré  par l’ introduction  d’ instruments  utilisés par les groupes folk tel le banjo,le tamtam et plus  récemment un danseur gnaoui. Nous avons repris le rythme  musical de ce  pré -théâtre accompagné de musique qui se produit dans les patios lors des fêtes de mariage Les izenzaren et le groupe archach ont adopté le style Nass el ghiwan,  en chantant en berbère. Ce qui est  le cas aussi des Oudaden qui ont repris  le banjo et le tamtam en ajoutant la guitare électrique et la derbouka mais avec un rythme accéléré. Dés lors  qu’on utilise ces instrument on fait partie  de ce mouvement folk né avec Ness el Ghiwan au début des années 1970. »

       Le groupe Oudaden a vu le jour à la fin des années 1970. D’une manière générale, il chante le genre « ghazal », chansons d’amour et autres problèmes du couple. Le style Oudaden se caractérise  par un rythme rapide inspiré de la fameuse danse des houara oulad Taïma, îlot arabophone au bord de l’oued Sous.  Alors que chez les Izenzaren le rythme est plus lent et le thématique  portant plutôt sur la contestation sociale : « Nous avons grâce à Dieu des poètes et des zejal chleuhs. Oudaden ont intégré le rythme des houara dans leur style musical : le rythme et les paroles sont houari, notre apport consiste seulement en une modernisation instrumentale. Nous avons également recourt à « amarg ou sarag » (la poésie du patio). »

Les gens ont aimé les anciens rythmes présentés ainsi sous une forme moderne. C’est la définition même du mouvement folk. Actuellement le groupe se produit davantage en dehors de Sous : animation des fêtes de mariage à Casablanca où sont établis la plupart des commerçants originaires de Sous. Mais aussi à l’étranger où le groupe est invité à participer à des festivals internationaux. En 1986, ils organisent leur première tournée en Tunisie. En 1998, ils ont organise une deuxième tournée aux Etats-Unis. En réponse à la demande de la communauté marocaine qui y réside, les soirées organisées par le groupe en Europe sont légion. Leur dernière participation est celle de la rencontre des musiques du monde qui a eu lieu à Marseille en 2000 - 2001. Sur les quarante groupes sélectionnés, Oudaden figurent en troisième position  après les espagnoles et les indiennes. Ils ont été invités au festival de Mali, celui de Zanzibar en Tanzanie, en Malaisie. Le style musical du groupe a été plébiscité par l’OMX de Copenhague, marché international de la musique.  Après le  Danemark, le groupe a participé à des rencontres musicales au Brésil : Rio , San Paolo, Brasilia et Salvador. Ils ont participé également à un festival en Tchécoslovaquie. Le groupe est également invité en Argentine. Sans oublier leur participation au festival Timitar où les artistes amazighs accueillent chaque année  les musiques du monde à Agadir.. Agadir le lundi 10 janvier 2011

Abdelkader MANA

musiqueL'auteur en compagnie du compositeur belaïd Akkaf avec les musiciens de l'oriental lors des training organisés par l'UNESCO à Jerada.

20:05 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

06/06/2011

Agadir

Le primat de la langue Amazighe

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Agadir et d’une manière plus large le Sous est le cerveau musical de l’amerg, la poésie chantée en langue Amazighe. Ici, tous les emprunts sont  permis  sauf l’escamotage de la langue amazighe : la donne linguistique centrale. On accepte en effet toutes les innovations possibles et imaginables, Agadir est une ville touristique internationale, mais on se ferme sur soi-même et sur sa communauté d’origine dés lors qu’il s’agit de la langue maternelle  : elle constitue le socle non négociable autour duquel s’organise toute activité culturelle dans le Sous. S’il y a eu à un certain moment une forme de concession à la darija sous l’influence du mouvement folk de Nass el Ghiwan, les groupes folk berbères de Sous se sont vite repliés sur leur identité linguistique et musicale. Dans aucune autre région du Maroc on n’observe un tel attachement à la langue amazighe. Il n’est d’ailleurs pas un hasard si Fatima Tabaâmrant ,la diva de la chanson chleuh soit en même temps membre à part entière de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM).

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         Le samedi 8 janvier 2911 nous avons assisté à la grande soirée organisée par l’association Talilte d’aide médicale aux artistes, à l’occasion du nouvel an Amazigh 2961. La soirée eut lieu à la salle de la fantasia située à la sortie d’ Inezeggan en allant vers  Aït Melloul Un dîner de gala  y fut donné sous une immense tente à quelques 7000 invités: chaque table est réservée nominativement  à une famille  particulière à raison de 150 DHS par personne. Toutes les grandes familles de Sous étaient là : on est venu du pays Haha, des Ida Ou Tanane, d’Aït Abdellah, d’Ida Ou Baâkil, d’Ida Ou Gnidif, des Chtouka, d’Isaffen et même des Mtougga. Toutes les tribus de  Sous –Massa – Dra étaient représentées. Des femmes en caftans bariolés sont souvent arrivées accompagnées de leur conjoint à bord de 4x4 et autres voitures de lux appartenant à de richissimes commerçants de Sous.  Toutes les musiques et  danses de la région étaient également représentées : danses traditionnelles de l’Atlas, Raïs et Raïssat de Sous, jusqu’à « l’amerg – fusion » le dernier style en vogue à Agadir : le chant est berbère mais le style musical est celui des  Rockers.

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       Les grandes stars de la poésie et de la musique amazighe étaient là : Ammouri M’barek et  Ali Faïq en Brel et Brassens de Sous. Ces derniers représentent la modernité chez les trouveurs chleuhs tout en maîtrisant la tradition des grands maîtres du genre. Leur style musical et vestimentaire- jean et chemise décontractés, lunettes d’intellectuels, pas de danse sur scène avec micro au bout du bras- est  représentatif de la nouvelle génération des  Rways. Celle des modernes qui ont longuement trempé dans l’émigration en Europe. Amouri M’barek a ainsi chanté une qasida d’Abou Bakr Anchad, ancien trouveur chleuh, dont il est, dit-on, le seul  à savoir reproduire style et répertoire. Il chanta aussi la qasida  où le Raïs Belaïd faisait l’éloge de la kasbah de Tilouine du temps où celle-ci était sous commandement Glaoui.. . Quasiment tous les grands Rways étaient là réunis en  un seul orchestre surnommé la « symphonie des Rways »…Ammouri M'barek  nous déclarera par la suite: " Le Raïs Anchad et le Raïs Belaïd sont pour moi les piliers de la chanson amazighe. Ces deux Raïs m’ont particulièrement influencé, du point de vue la créativité dans la mélodie et les paroles. Du point de vue des voix et du chant aussi. Jusqu’à présent il est difficile de rencontrer quelqu’un qui s’élève au niveau de ces Maestros. Déjà à l’époque le Raïs Belaïd avait composé des chansons qui ne dépassaient pas 3 à 4 minutes. Je n’ai jamais voulu briser cette beauté ancestrale, cette beauté traditionnelle. Anchad et le Raïs Belaïd doivent être traité à la classique avec un grand orchestre philharmonique."

En attendant le début de la soirée, le public eut droit à quelques morceaux d’ « Amarg – fusion » . En guise d’hôtesses, de jeunes filles habillées en haïk blanc avec caftan bariolé( rouge,noir et blanc) et  bijoux berbères en argent massif : on affirme ainsi avec force l’identité berbère. Celle – ci se décline  sous tous les registres : linguistique, musical, vestimentaire et culinaires. Sous-Massa-Dra, comme bloc identitaire s’affirme ainsi par le référent amazigh qui est ici omniprésent comme nulle part ailleurs au Maroc  …

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       La grande soirée s’ouvre par l’ahouach d’« Ajmac – Sous »  en tout similaire à celui du pays Haha. La flûte du berger appelée awada y joue un rôle central. Pour émettre des sons aiguë, cette flûte est confectionnée dans un roseau femelle Car le roseau est mâle et femelle. La flûte oblique dont il s’agit est percée de sept trous. Son accord ressemble à celui du rebab. Elle donne un air qu’on appelle « âsra Gnaouia » : celui de la gamme pentatonique.. Pour le Raïs Belaïd, l’aède des troubadours de Sous, l’esprit de la musique et du chant qu’on appelle hawa au pays Chleuh serait né de la flûte enchantée du pays Haha. C’est l’air du pays de l’arganier, du vent et de la mer. Nostalgie des origines. Au pays chleuh, l’awada est indispensable à chaque fête. On dit que les chevaux de la fantasia sont très sensibles aux airs de cette flûte de berger par excellence. Sans sa présence, ni la danse atlasique qui l’accompagne ; ni  la fantasia ne seraient réussies. Pour le Raïs Mohamed Lamzoudi :« Les Chtouka de Sous sont surtout connus pour leur outar. Ils sont doués pour cet instrument à corde. Les Haha, le sont pour leur aberdag, trépignement et leur awada, flûte. Cet instrument à vent est né chez eux. Les Mtougga, eux, sont réputés pour leur rebab. Comme les autres tribus de Sous, ils produisent beaucoup de poésie. ». L’ouverture avec l’ahouach  fut  un grand  moment : Prestige de la musique. Le rythme à l’état pur.

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    Des différentes formes d’Ahouach Mohamed El Khattabi, poète amazigh, né le 4 avril 1965, dans la commune d’Aït Ahmed, aux environs de Tiznit qui préside actuellement le syndicat marocain des musiques et des danses dans la région Sous – Massa – Dra, nous dit : « J’ai grandi en milieu rural où on pratique différents genres d’ahouach , tels ceux d’ Ajmak, d’Aghnaqar, d’Asdawl, ou de derst et bien d’autres encore. Le Sous est aussi connu pour sa poésie chantée en langue amazighe, surtout l’art des Rways qui m’a énormément influencé. J’avais formé une troupe de Rways au milieu des années 1980 et en 1988, j’ai formé un groupe folk berbère  du nom d’Imoudal (les montagnes). Ce groupe s’est structuré autour du Rebab en y incluant des instruments modernes telle la batterie, le banjo et la guitare électrique. On animait ainsi fêtes officielles et privées. En même temps j’ai écris un grand nombre de poèmes en langue amazighe : certains furent publiées dans les revues et journaux nationaux, d’autres ont été interprétée par des trouveurs chleuhs ou par des groupes folk berbères»  A la fois troubadours et trouvères, les danseurs chleuhs sont aussi des chanteurs qui interprètent les œuvres des poètes de la montagne : vieilles mélopées, chansons nouvelles.

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      À droite de la scène,  sur écran électronique, défile maintenant l’inscription : « L’association talilite d’aide médicale aux artistes vous souhaite la bien venue ». Le symbole de ladite  association est tout naturellement le Rebab : en argent, il trône au beau milieu d’un tableau  grand format sur fond velours noir. Le rebab  est en effet, l’instrument central de cette musique  : c’est cet instrument qui lui permet de garder son cachet original.Le joueur du rebab prélude de deux manières : soit en montant des gammes « tlouâ », soit en brodant la note « Do » ; « Astara ». Aux tremblements d’épaules correspondent les trilles du rebab. L’introduction du rebab monocorde dans l’orchestre chleuh peut passer pour un trait de génie, tant il donne à cet orchestre un timbre original, une allure pittoresque, une force expressive qu’il n’aurait pas sans cet instrument. La corde vibrante est constituée par une mèche de quarante à cinquante crins de cheval (sbib). Les sons produits constituent un curieux amalgame de notes fondamentales et d’harmoniques. Il en résulte un timbre aigre – doux qui rappelle les sons de la flûte.

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      L’un des grands moments de la soirée fut incontestablement la montée sur scène de « la symphonie des Rways » sous la direction du Raïs Lahcen Id Hammou : les grands maîtres du Rebab de Sous, accompagnés d’un joueur de guitare électrique et surtout de nombreux joueurs d’outar. Parmi les grands Raïs présents on peut citer : Mohamad AchtoukHmad Darkaoui, Brahim Ou TiznitAkherrazJam’ou TaddartIdder,  Amghar Mazzi , Amghar Maqqor,Moulay Ahmad Ihihi,  Ahmad Amentag, Lahcen el Fatouaki, et Boubakr Achtouk , disciple de feu le Raïs Mohamad Damsiri . On a joué en premier lieu des airs du grand maître du Rebab que fut le Raïs Belaïd dont tous les trouveurs chleuhs se réclament. Originaire des Ida Ou Baâquil, tribu à l'E-S-E. de Tiznit, il avait une soixantaine d'années en 1933. Sa mort semble être survenue après 1945. A son prestige de poète chleuh, maître d'un grand nombre de trouveurs qui firent leur apprentissage dans sa troupe et qui formèrent par la suite leur propre troupe, il ajoutait le prestige du lettré, qui avait étudié à la zaouïa de Sidi Ahmed Ou Moussa, grand marabout de Tazerwalt, et .saint protecteur des Rways qui se rendent en grand nombre à son pèlerinage annuel, où ils chantent jusqu’à  l’extinction de leur voix : effet bénie par le saint et désirée par les chanteurs, car la voix éteinte symbolise la mort des vieilles cordes vocales indispensable à la renaissance d’une nouvelle voix,à la fois neuve et vigoureuse, pour le restant de l’année.

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        Depuis 2003, le syndicat des métiers de la musique et de la danse pour la région Sous- Massa- Dra, organise un festival à Tiznit autour de la figure emblématique du Raïs Belaïd nous explique Mr. Mohamed El Khattabi, instigateur de cette manifestation :

« Le festival du Raïs Belaïd que j’ai fondé à Tiznit est maintenant à sa neuvième édition. Nous lui avons donné le nom de ce grand  artiste, qui  symbolise à lui seul la chanson amazighe. Nous comptons perpétuer son souvenir en  décernant un  prix en son nom lors de chaque édition de notre festival. Le délégué de la culture à Tiznit, Mr. El Farz avait  appuyé dés le départ l’idée d’organiser cet évènement  avec des moyens forts limités du ministère de la culture. Soit la somme de 3000 DHS.  Parmi les stars de la chansons amazighe  y ayant participé : Ammouri M’barek, Fatima Tabaâmrant ainsi qu’un grand nombre de poètes amazighes. Lors du  colloque organisé à cette occasion nous avons recommandé de donner le nom du Raïs El Haj Belaïd au conservatoire de musique de Tiznit. Suggestion approuvée par le conseil municipal ;  une plaque commémorative portant le nom de l’illustre Raïs fut accolée aussitôt  à l’entrée du conservatoire de cette ville. Autre recommandation : nous avons adressé une requête à la délégation de la culture et au conseil municipal pour l’adoption de l’ enseignement de la musique amazighe au conservatoire, y compris le legs du Raïs Belaîd en tant que symbole culturel du Sous – Massa- Dra. Nous demandons également de baptiser l’une des artères de Tiznit en son  nom .  Au cours des neufs dernières éditions du festival, le prix Raïs Belaïd a été accordé successivement aux artistes suivants :  Ammouri M’barek,  Fatima Tabaâmrant, le Raïs H’mad Bizmawn, le groupe folk berbère d’Izenzaren , Rqiya Damsiriya l’artiste connue de tous,  Fatima Tihihite mazzine,  le poète Ali Chouhad doyen du groupe musical d’Archach, et enfin au Raïs Lahcen Ben L’moudden. Et si le bon Dieu le veut, ça sera le tour du  grand artiste le Raïs el Hucein el Baz, d’obtenir ce prix en 2011. »

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     Quand la Raïssa Fatima Tabaâmrant est montée sur scène, la salle s’enflamma. Avec fierté elle chanta l’amazighité qui remonte, selon elle à plus de 5000 ans d’histoire :

« Ô amazigh ! Libres sont vos  ancêtres et vos descendants ! »

Pour elle l’art est en relation avec la politique :

«  Par le passé il était interdit de parler de l’amazighité dans notre pays. Et maintenant nous allons fêter l’an amazigh 2961. N’est pas là un objet de fierté ? N’ai – je pas le droit d’être fierté de cette histoire plus que millénaire ? Je suis chez moi, je ne suis pas partie au pays de quiconque. Les générations s’en vont mais la culture reste. La page écrite peut braver l’éternité, surtout si son contenu pèse lourd. Si nous voulons parler de la culture dans notre pays ; force est de reconnaître que nous avons des maisons de la culture mais qui n’abritent pas de culture. Le grand problème dont souffre la chanson amazighe est celui de l’information. Les médias audiovisuels avaient complètement exclu l’amazighité de leurs programmations. Beaucoup de nos Rways sont décédés : où est maintenant la relève ? Les programmes télévisuels consacrés aux jeunes talents ne comportent pas de participation amazighe. Nous devons sauvegarder notre patrimoine, car la chanson amazigh est une école en soit. Elle est riche en contenu. La chaîne amazigh manque encore de crédibilité et de professionnalisme à même d’imposer la chanson amazighe. Par exemple à Studio 2M, il n’y a aucune participation en amazighe. C’est notre droit d’avoir une participation amazighe. Nous avons pourtant droit à 30% des programmes des chaînes non amazighes. Cela est clairement stipulé dans leur cahier de charge. Les ministères de la culture et du tourisme ont toujours eu une perception folklorique de l’art amazighe. On vous met toujours dans un cadre folklorique où vous ne pouvez rien donner. Pour ces ministères la chanson amazighe est un simple produit folklorique pour touristes de passage au Maroc. Cependant j’apprécie beaucoup l’initiative du ministère de la culture relative au soutien à la chanson marocaine. Maintenant les jeunes écoutent les chansons orientales et occidentales de sorte que la chanson marocaine s’en trouve exclue. Parce qu’il n’y a pas du nouveau dans le domaine de la chanson. Nous sommes dans une période où tout s’est perdu avec Internet, la parabole, les cartes mémoire, le piratage de sorte que le marché de la chanson a été perturbé. Le producteur ne peut plus tabler sur l’artiste, surtout quand celui-ci n’a pas de public. Or on ne peut pas  continuer à tabler uniquement sur les artistes connus : ils s’épuisent. J’ai maintenant plus de trente ans de carrière ; il nous faut du sang neuf. Il ne peut pas y avoir de progrès dans le domaine artistique sans lutte contre le piratage. »

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      De son vrai nom Chahou Fatima, née en 1962, dans l’ifran de l’anti Atlas. C’est là qu’elle a encore ses attaches familiales. Mais pour sa vie d’artiste, elle s’est établie comme la plupart des trouveurs chleuhs à Dchaïra.  Comme l’indique son nom d’artiste, elle est  originaire des Aït Baâmrane. Elle a  intégré le domaine de la chanson berbère en 1983, soit déjà une trentaine d’années :

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  « Je suis d’abord  une poétesse avant d’être chanteuse. Ma première qasida « qu’est ce qui t’arrive pour pleurer ainsi ? » évoquait ma situation d’orpheline : j’ai perdu en très bas âge. C’est la principale raison d’être de ma poésie. Je m’inspirais des anciennes mélodies d’El haj Belaïd ou de celles d’El Haj Mohamed Damsiri ou encore de  Hmad Biezmawn. C'est-à-dire les leaders de la chanson amazighe que j’admire. A l’époque il n’y avait que la radio ;  où j’écoutais les Raïssa Rqiya Damsiriya ou Fatima Tihihite. J’ai débuté en 1983 avec la troupe de Jamaâ el Hamidi que Dieu ait son âme. J’ai intégré sa troupe en tant que danseuse. Peu de temps après, j’ai rejoins la troupe de feu le Raïs Saïd Achtouk. Puis j’ai rejoins la troupe de Moulay Mohamad Bel Faqih. Depuis lors j’écris et compose mes propres chansons : je n’interprète jamais ce que je ne ressens pas personnellement. Je n’ai jamais chanté la qasida de quelqu’un d’autre. Ma qasida préférée est celle qui traite de l’identité amazighe en Afrique du Nord. Son  territoire porte le nom de Tamezgha, c'est-à-dire l’Afrique du Nord. Auparavant on considérait comme simple production de l’imagination que d’affirmer l’ existance des amazighes au Niger ou au Mali. Mais ma qasida a montré qu’il y a des amazighes au sud du Sahara. C’est en Afrique que se trouve la terre des amazighes libres ; au Burkina Faso, au Mali,  ainsi qu’au Tchad. C’est là que s’enracinent leur poésie et leur parole. Leur substratum, vital et  tribal. C’est la terre de Tamazight que je chanterai ! Pourquoi ne serais-je  qu’une outre emportée par les eaux ? J’ai pris le message qui me fait pleurer mais sans trouver de coursier pour le transmettre . A l’humiliation je préfère me terrer plutôt que de me taire. C’est pour tamazight que je me bats contre tous ceux qui renient notre langue … Pourquoi je ne préserverai pas mon identité alors que les kabyles d’Algérie restent attachés à la leur ? »

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      Fatima Tabaâmrant évoque ensuite le personnages mythique de la kahéna . L’antique héroïne berbère du Maghreb portait en fait un nom arabe :  kahéna signifie en arabe « devineresse », manifestement en rapport avec les dons prophétiques que prêtent à la reine les auteurs musulmans à partir d’Ibn Abd al-Hakam (mort en 871). Ibn khaldoun indique que la kahéna avait d’abord été « la reine de l’Aurès » avant de devenir « la reine des berbères de l’Ifriqiya ». Les Berbères se rallièrent à elle après la mort de Koceila leur chef en 688. Al Wakidi, écrit qu’elle se souleva « par suite de l’indignation qu’elle ressentit à la mort de koceila». L’historien arabe El Maliki rapporte à son propos ce curieux détail : « Elle avait avec elle une énorme idole de bois qu’elle adorait ; on la portait devant elle sur un chameau. » Des siècles après la reine de l’Aurès fait encore rêver, comme en témoigne les illustrations qu’en fait aujourd’hui l’artiste El Oumami ou ce qu’on disait une brochure anonyme de 1890 qui s’achève ainsi : « Sparte eût inscrit son nom dans ses temples. Homère l’eut célébré dans ses poèmes immortels». Cette « force amazigh » est aussi symbolisée par les antiques aguellid (ces anciens rois berbères) : Juba II, Massinissa, Jugurtha. Le plus illustre est Jugurtha qui apostropha ainsi  Rome après avoir distribuer son or aux membres de la classe sénatoriale : « Ville à vendre et condamnée à périr si elle trouve un acheteur ! ». Tabaâmrant, l’érige aujourd’hui en modèle de l’amazighité  : «  J’ai un film sur la kahéna, l’héroïne berbère. J’ai également chanté une qasida qui parle de la mort de Matoub Lounès. Car c’était un grand pilier de la culture amazighe. Je lui ai dédié un chant funèbre où je le compare à une grosse pierre qu’on aurait arrachée, laissant un vide béant sur les flancs de la montagne. Cette qasida parle de ceux qui militent pour l’amazighité et de ceux qui s’opposent à elle. Je n’aime pas les masques : je préfère les traits naturelles. Pourquoi tous les pays d’Afrique du Nord préfèrent le masque ? »La soirée s’est poursuivie avec les groupes folk de la région dont nous avons interroger deux éminents fondateurs.

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    La soirée s’est achevée par Tagoulla, le repas qu’on offre à l’occasion de la fête saisonnière d’Idernane. Lorsque les amandiers en fleurs donnent aux valets de l’Anti – Atlas leur aspect presque riant et au moment où commence le gaulage des olives, la fête des idernane a lieu juste après le jour de l’an du calendrier julien : c’est ras- el- âm, le jour de l’an berbère, cette porte de l’année agricole qui correspond au 13 janvier du calendrier grégorien, qui donne le départ à ces fêtes saisonnières qui permettent aux vallées de l’Anti-Atlas de sortir progressivement de la mort hivernale à la renaissance printanière. La fête des idernane commence en tribu Ida Ou Samlal le jeudi 15 janvier ; les autres tribus la célèbrent ensuite jusqu’à la mi – mars. C’est une fête qui dure trois jours : le jeudi, le vendredi et le samedi. Que sont les idernane ? Ce sont les baignés faits de patte que l’on cuit dans le plat à pain enduit au préalable d’huile d’argan. Ce jour – là on mange aussi les moules séchées achetées sur le marché : les villageois préparent les crêpes ainsi que les moules qu’on appelle waïl en berbère, bouzroug en arabe. Ils s’invitent entre eux et le soir venu a lieu la fête dans le douar.

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La fête des Idernan à Tafraout

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Dans le Sous, la femme reste la gardienne de la culture et de l’agriculture. De tout temps la femme berbère a été pourvoyeuse des significations du monde. C’est elle qui inculque aux très jeunes enfants la culture ancestrale que l’homme trop paresseux quand il n’est pas occupé dans les mines d’Europe ou les épiceries de Casablanca ne leur dispense pas. Cette culture se donnait comme un travail de patience et de méthode qui consiste à nourrir le cerveau de l’enfant de la geste symbolique tout en lui faisant connaître les beautés diverses et immédiates de la terre.                         

                                                          Agadir le lundi 10 janvier 2011

                Abdelkader MANA

 

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05/06/2011

Musique andalouse et thérapie de l’exile...

Le modèle musical andalous

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Dans tout le Maghreb, les zaouia citadines, ont servi de conservatoire pour le Modèle Musical Médini d’origine andalouse. Ce modèle a été introduit à Essaouira par les artisans d’origine andalouse aussi bien musulmans que juifs. Il semblerait qu’on venait de loin à Mogador pour consulter David Iflah et David El Qayem sur les noubas andalouses disparues. Et mon père me racontait comment le grand chantre du samaâ d’Essaouira – le père d’Abderrahim Souiri – s’asseyait dans sa jeunesse aux escaliers des maisons juives où avait eu lieu un mariage pour écouter les modulations vocales des pyutims juifs de Mogador, qui sont l’équivalent des bayteïnes dans l’oratorio des confréries de l’extase..Les Zaouïa comme réceptacle du legs Andalous en particulier pour le samaâ (l’oratorio).Gardiennes de la tradition,la plupart des zaouia se présentent comme le centre d’épanouissement pour l’art musical à un tel point que leur répertoire respectif est devenu la norme à partir de laquelle se juge la compétence des musiciens. La majorité d’entre eux leur doit d’ailleurs leur formation professionnelle.

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 Veillée de samaâ à Fès, organisée à Moulay Idriss par la zaouia Hérraqiya

C’est en effet dans les zaouïas de l’extase que le soufisme s’accomplit selon Mawlânâ « dans la musique, le chant et la danse ». Elles furent les gardiennent de la musique andalouse. Le lieu de prédilection reste les réunions du dhikr (remémoration) et du samaâ (oratorio). Ce sont des séances collectives de litanies et de danses extatiques. Cette tradition musicale qui remonte à l’Espagne musulmane n’a pu s’épanouir et se perpétuer que grâce aux séances du samaâ dans le cadre du soufisme populaire des confréries religieuses. En Occident musulman, la musique andalouse fut composée, selon le modèle du soufi Abou Al Hassan Al Shushtâri, de toubouâ( tempéraments) et des nûba (modes musicaux) : tab’ al dhîl, raml al mâya, asbahân, sika, mazmûm, rasd, asba’ayn etc.

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Orchestre de musique andalouse de Fès

La musique andalouse a connu ses premiers développements à Fès, grâce aux apports Cordouans et Kairouanais dont les deux quartiers (rive gauche pour les premiers, droite pour les seconds) existent encore. L’influence musicale andalouse au Maghreb est en rapport direct avec les mouvements migratoires vers la rive sud, depuis le XIIème siècle, en passant par la chute de Grenade(1492), jusqu’à l’expulsion générale des Morisques et des Hornacheros en 1610. Fès accueillit ainsi sous les Mérinides, des réfugiés de Valence et sous les Wattassides, nombreux étaient ceux qui avaient rejoint Tétouan, Chefchaouen et Alger, après la chute de Grenade. Avec l’expulsion générale de 1610, un grand nombre se dirigea vers Fès et Tlemcen.

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 L’influence culturelle des émigrants Andalous fut considérable surtout au Maroc qui n’a pas connu de domination turc. La musique andalouse a ses racines à Bagdad, où Ziryâb fut le disciple d’ Ishâq Al-Mawsili, maître incontestable de l’école des ûdistes. Après un passage à Kairouan, la capitale de l’Ifriqiya sous les Aghlabides, il se dirigea vers Cordoue en l’an de grâce 822, où l’aristocratie arabe réserva le meilleur accueil à cet émissaire de l’esthétique orientale. Il fut le fondateur des traditions musicales de l’Espagne musulmane. Il légua à l’Andalousie, selon Ibn khaldoune , « un répertoire de chants immense qui se propagea jusqu’à la période des tawâ’if et, comme un océan, submergea Séville pour gagner ensuite les autres provinces andalouses, puis le Maghreb ».

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On surnomma Ziryâb de « merle noir » parce qu’il avait diton le teint très brun :« La fluidité de son parler, ainsi que la douceur de son caractère lui valurent le surnom de Ziryâb par comparaison avec un merle noir. Même aux derniers jours de Grenade, les poètes continuaient à voir dans sa gloire un thème séduisant ».

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Les deux chantres du samaâ d’Essaouira et du Maroc: Abdelhay de la zaouia kettaniya et Abdelmajid Souiri, présents à toute les cérémonies religieuses du Palais Royal

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    Pour al dhiki, XV ème siècle , si la musique arrive par moment à nous détacher de toute préoccupation terrestre,matérielle comme temporelle ; elle offre une plus grande liberté à l’âme pour se détacher de l’obscurité du corps.On avait l’habitude d’utiliser une fois par semaine la musique comme thérapie. Les personnes s’adonnant à la musique, remarque Ibchihi, XIVème siècle, soutiennent qu’une voie harmonieuse s’infiltre dans le corps comme le sang s’infiltre dans les veines.Abdessalam Chami nous dit à cet égard : « Si nous voulons évoquer les origines de l’art du samaâ, du début de son développement au Maroc,notre mémoire nous ramènera loin. A des siècles révolus.D’après les historiens, la tradition de fêter la nativité du Prophète où l’on chantait les qasida du madih (louages au Prophète) a pris naissance à Ceuta. C’était du temps où cette ville était dirigée par la famille al assafi. C’est à cette époque, aux environs du cinquième, sixième siècle de l’hégire qu’on avait commencé de fêter la nativité du Prophète en chantant les louanges de l’envoyé de Dieu.Après cela les sources historiques évoquent la présence du madih et du samaâ dans la Cour saâdienne : les chanteurs du madih et du samaâ faisaient partie de la fête aussi bien lors des cérémonies privées que le sultan Ahmed El Mansour Dahbi organisait dans ses palais qu’à l’occasion de la fête de la nativité du Prophète. Il y avait d’une part la chorale du madih et de l’autre celle du samaâ.L’histoire confirme la tradition. En effet, al-Ifrâni, consacreà la préparation de la nativité du Prophète sous le règne d’Ahmed El Mansour Dahbi, une description assez détaillée et assez précise : « Dés qu’on apercevait les premiers rayons de la lune de Rebia I, le souverain adressait des invitations à ceux des faqirs de l’ordre des soufis qui exerçaient les fonctions de muezzins et se dévouaient à faire les appels à la prière pendant les heures de la nuit. Ils en venaient de toutes les villes importantes du Maroc…Dés que l’aurore apparaissait, le sultan sortait du palais, faisait la prière avec la foule du peuple, puis, vêtu d’une tunique blanche emblème de la royauté, il allait prendre place sur le trône devant lequel on avait déposé tous les cierges aux couleurs variées, les uns blancs comme des statues,d’autres rouges, tous garnis d’étoffes de soie pourpre et vertes, à côté étaient rangés des flambeaux et des cassolettes d’un si beau travail qu’ils causaient l’admiration des spectateurs et émerveillaient les assistants. Cela fait, la foule était admise à pénétrer ; chacun se plaçait selon son rang, et quand tout le monde avait pris place, un prédicateur s’avançait et faisait une longue énumération des vertus du Prophète et de ses miracles. La conférence terminée, tous les assistants accomplissent les cérémonies de l’office de la Nativité, puis on voyait alors s’avancer les membres des confréries murmurant les paroles d’achchuchtûrî (maître du samaâ et célèbre soufi andalou ayant vécu au Maroc et mort en 896) et celles d’autres soufis, tandis qu’une troupe de coryphées déclamait des vers en l’honneur des deux familles (celle du Prophète et celle d’Al Mansour). » (d’après « Nozhat El Hâdî » d’Al Ifrânî).

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Un des frères souiri, déclamant un mawal à Fès

On le voit ach-chuchtûrî, natif de Murcie, inventeur des mouachah et de samaâ (oratorios) chanté sur des modes musicaux andalous était déjà à l’honneur dans la Cour d’Al Mansour ! La naissance du samaâ est liée essentiellement aux confréries religieuses. C’est une composante de l’identité culturelle des médina traditionnelles où on produisait de nouvelles élégies de sorte que le corpus du samaâ n’a pas cessé de s’accroître et de se diversifier du point de vue du chant de la composition et de la poésie. Il va de soit que la musique importée d’Andalousie du temps des Almohades et particulièrement de celui des mérinides a été considéré comme le moule musical adéquat où devait se chanter toutes sortes de choses. La preuve en est qu’on a eu recourt à la musique andalouse et à ses modes musicaux pour chanter aussi bien l’art du samaâ que celui du madih ou encore du malhûn : toutes les qasida du malhûn sont chantées à travers les modes musicaux andalous.

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 Orchestre du malhûn de Meknès avec feu Hucein Toulali. Il avait choisi de nous chanter la qasida du coeur de Sidi Qaddour Alami comme pour conjurer le sort de la maladie et du temps qui passe : «Le silence d’une année est meilleurs qu’une parole inutile...»

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       On y recourt également pour déclamer le Coran à la manière marocaine. De ce fait un lien profond existe entre toutes ces formes et ces manifestations du patrimoine et la musique andalouse. La particularité qui caractérise le samaâ est qu’il recourt avec force aux modes musicaux andalous. Or quand nous menons des recherches musicologiques, dans le corpus du samaâ, nous nous rendons compte que celui-ci est plus riche. Car ce qui a été perdu dans la musique andalouse a été sauvegardé par les zaouia considérées comme le cerveau musical et son lieu de conservation jusqu’à nos jours. Les zaouia ont enrichies la musique andalouse du point de vue mélodique et rythmique tout en y ajoutant une mélodie spécifique connue sous le nom de darj. En effet, les échelles modales exécutées par la musique andalouse sont au nombre de quatre : lqaïm – nsif, labtaïhi, lqouddam et le bassît auxquelles les zaouia ont ajouté l’échelle modale de darj. Ils ont ajouté également beaucoup de chants, de textes poétiques que ce soit les qasida, les mouachahâtes, ou encore les baraouiles qui sont une spécificité de la poésie populaire marocaine.

Festival des Andalousies Atlantiques

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Sous le signe de la diplomatie

Le festival a pour thème musical le Matrouz,(le brodé) genre musical judéo andalous que défini ainsi le regretté Haim Zafrani, lui-même fils de Mogador: « Dans la trame des poésies hébraïques de style traditionnel, le poète juif insère de temps à autre des strophes ou des vers de langue arabe. Cette juxtaposition, ce passage d’une langue à l’autre, c’est la réalité culturelle et linguistique du Maghreb juif. Mais ce tissu langagier, cet habit dégradé, a aussi une valeur esthétique ; il n’est pas sans évoquer l’art de la broderie, comme l’indique le nom même de ce genre poétique désigné par le terme Matrouz ou poésie brodée. Le trésor artistique des sociétés méditerranéennes modernes connaît des exemples de cette mosaïque, de ce collage non dépourvu de nostalgie, et chargé d’émotion esthétique. »

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André Azoulay, conseiller Royal André Azoulay aux Carnets nomades de France Culture : «Je ne vois pas d’autres cénacles, d’autres festivals, d’autres espaces dans le monde d’aujourd’hui, où cette relation du Judaïsme avec l’Islam , en terre arabe, au Maghreb, puisse trouver cette forme et cette réalité. Essaouira, c’est ce navire amiral qui envoie en code et en lumière et en signaux tout ce qui nous manque tellement, tout ce que nous avons perdu. Cette modernité qu’Essaouira exprime est celle de cet humanisme qui était tout à fait banale ici depuis des siècles. Mais nous sommes en octobre 2010et cette humanisme a déserté nos rivages. Mais ici, il fait escale Vous avez entendu le rabbin Haïm Louk invoquer Allah, invoquer le Prophète Mohammed, c’est quasiment surréaliste pour certains. Les invoquer de la façon la plus sereine, joyeuse et tellement érudite. Alors que partout dans le monde, chez les musulmans comme chez les juifs ; on est ici sur la planète Mars. Mais quelle planète ! Quelle beauté ! Quelle chance aussi ! »

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Leila Chahid, représentante de Palestine auprès de l’Union Européenne Leila Chahid aux « Carnets nomades » de France Culture : « Ce qu’on voit ici, c’est vraiment une culture commune judéo – arabe parce que nous sommes dans un lieu très spécial au Maroc ! Malheureusement ce n’est pas le cas partout, parce que toutes les villes marocaines n’ont pas connu des communautés très ancrées, très riches, très anciennes, très productrices sur le plan artistique. Mais Essaouira a toujours eu une communauté juive très ancrée dans la tradition judéo – arabe, d’une culture millénaire et très attachée à sa marocanité et très inspirée par cet esprit qui hante les enceintes et les murailles de cette ville qui vient presque avec le vent de l’atlantique ! On voit toutes ces femmes qui sont complètement couvertes par un magnifique haïk , un tissu blanc de laine, qu’elles ne mettent pas comme un tchador mais comme un voile qui les entoure, qui les protège du vent parce qu’Essaouira a cette particularité d’être un climat atlantique où le vent balaie la ville la plupart du temps de l’année sans qu’il fasse froid et ce vent l’a protégé un peu du tourisme excessif. Essaouira est une ville qui abrite beaucoup de zaouia, c’est-à-dire, de marabouts, de saints de l’Islam et du Judaïsme et a une tradition de poètes et de musiciens qui a permis à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, l’existence de beaucoup d’orchestres de musique andalouse mixtes. : Judéo – arabes ayant une tradition spécifique de chants communs qu’on appelle le matrouz qui est tissé, brodé, entre l’arabe et l’hébreu dans cette tradition marocaine. Ce qui est triste, c’est qu’avec la création de l’Etat d’Israël et le départ de la majeure partie de la communauté juive marocaine, les artistes eux – mêmes ne sont plus là pour continuer à jouer avec leurs compatriotes marocains musulmans. Il fallait une initiative comme celle d’André Azoulay des Andalousies Atlantiques pour ramener ceux qui ont perpétués cette tradition.

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Hier soir nous avons assisté à quelque chose qui relève de l’ordre du miraculeux : j’ai vu des jeunes Français, dont les parents étaient juifs marocains et c’est xtraordinaire de voire ces jeunes âgés de 25 – 35 ans qui chantent en hébreux, en arabe, en espagnole d’une tradition qu’ils ont préservé. Et c’est des amateurs et qui le font par attachement à cette tradition. Je pense que c’est quelque chose qui relève d’une identité qui est réel, une réalité culturelle et artistique qui est restée un peu comme sous la peau des gens, dans leurs tripes et qui ressort lorsque l’occasion en est donnée. Il ne faut pas que cette culture disparaisse ! Je pense que la musique est la meilleure thérapie pour la douleur. Or, il y a beaucoup de douleurs aujourd’hui : il y a la douleur des palestiniens qui continuent à mourir sous l’occupation militaire assiégés à Gaza, dépossédés de leur terre, expulsés : c’est une grande douleur ! Il y a la douleur des exilés, :que ce soit les juifs exilés de leur patrie d’origine au Maroc, en Algérie, en Tunisie ou ailleurs et celle des réfugiés palestiniens : moi aussi, je suis née en exile. Je pense que la musique a une fonction thérapeutique : elle met un baume sur les blessures. Elle élève les gens par la voix, par le chant, par la musique, par l’incantation…On se retrouve au niveau de l’universel parce que nous sommes avant tout des êtres humains qui devons faire face à la seule chose qui nous unit qui est la mort . Pour moi l’émotion est une forme de vérité et je pense que la musique réveille cette émotion– là. Depuis vingt ans nous vivons sous le régime de la peur de l’autre et donc je pense que de telles rencontres enrichissent le débat sur quels sont dans nos traditions, nos mémoires, les éléments qui peuvent enrichir notre avenir ? Nous sommes toujours le produit d’une stratification de plusieurs identités et je pense que l’idée qu’on est entré dans une phase où une identité s’oppose à l’autre ; c’est la peur. Il est très important de trouver le moyen d’en parler dans la sereinité. La musique comme toutes les formes d’art, la littérature aussi, est celle qui apaise le plus les passions.. Cela permet aux hommes de trouver un langage commun qu’on n’a malheureusement plus dans le monde politique. »

Abdelkader MANA

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09:46 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

04/06/2011

Taza la haute

T A Z A,sentinelle du Maroc Oriental

histoire,le couloir de taza

       On oublie trop souvent que le minaret de Taza est l’ancêtre des tours Almohades :  les formes architecturales de la Koutoubya et de Tinmel ont été élaboré dans ce sanctuaires almohades. Son minaret sobre et puissant reste le meilleur symbole de Taza. Depuis huit siècles, il monte la garde à la crête du plateau, au dessus des chemins qui mènent des plaines atlantiques aux steppes méditerranéennes et où se décida tant de fois le sort du Maroc.

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épigraphie Almohad de la nef axiale la plus décorée de la grande mosquée de Taza

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      Taza est une des positions maîtresse, une des clefs du Maroc. C’est la sentinelle du seul couloir passant entre le Rif et le Moyen Atlas reliant le Maroc Atlantique au Maroc Oriental. La grande route commerciale, connue traditionnellement sous le nom de « Triq Sultan »(voie Royale) - passage obligé vers Fès, d’un côté et vers Tlemcen de l’autre - qu’empruntaient les pèlerins à l’allée comme au retour de la Mecque : c’est  « la trouée de Taza ».. Le seul passage étroit entre les montagnes  était le lit de la rivière Innaouen, qui était facile à bloquer. D’où l’intérêt stratégique de Taza sur le plan militaire. Elle pouvait obstruer le passage à l’ennemi héréditaire venant de l’Est.

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Linteau de la medersa mérinide de Taza

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Le linteau de la porte atteste de la splendeur de ce petit collège, qui recevait ses subsides des biens en main morte de la Qaraouiyne   de Fès. Si la piété des princes mérinides se manifeste par ces collèges beaux comme des palais, c’est qu’ils en attendent une pépinière de gens efficaces pour leur gouvernement.La médersa est à la fois maison de science et asile de prière. Ce double rôle suffirait à la caractériser comme spécifiquement musulmane et médiévale. Au Maroc cette institution remonte au 13ème et 14ème siècle. On y enseigne les sciences religieuses et plus spécialement le droit qui fait partie de ces sciences. Les médersa qu’élevèrent les mérinides à Fès, Taza et Tlemcen, devaient restituer à la doctrine Malékite sa primauté compromise par l’hétérodoxie Almohade.

      Taza est l’un des rares sites, où l’on peut témoigner de la continuité de la présence humaine depuis la préhistoire. Les grottes de Taza  étaient habité dés l’époque néolithique, comme l’attestent  les fouilles de la caverne de Kifan El Ghomari : Ces fouilles ont mis à jour, les vestiges d’une faune aujourd’hui disparue : lion,  panthère, ours, rhinocéros, buffle antique, mouflon,  gazelle, chameau…. Des ossements d’animaux et d’homo sapiens fossile ainsi que des silex taillés, et des pointes de flèches.

         Citadelle islamique aux ruelles plus larges et moins labyrinthique que celles de Fès, et moins grouillante que celles de Marrakech, telle paraît Taza au visiteur. C’est la plus jolie ville du Maroc, à en croire Ali Bey qui la traversa en 1805 : 

« Les ruelles sont  belles, les maisons en bon état » et peintes à la chaux comme Chefchaouen. Lieu de fixité millénaire, retraite pour ermites et nécropole, elle est évoquée en ces termes par un vieux rabbin de Taza : « Nous regrettons surtout d’avoir été forcés d’abandonner les tombeaux de nos saints ancêtres. N’est – ce pas dans les grottes de Taza que nous avions l’habitude d’implorer la grâce divine en cas de malheurs publics. »

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Marqueterie du minbar de la grande mosquée de Taza

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Détails du minbar

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Le minbar de la grande mosquée de Taza est fait d’une marqueterie ornée de fines baguettes d’ivoire et de bois précieux,. Aujourd’hui bien mutilé, seules ses façades latérales permettent de juger de l’œuvre ancienne qui se déploie en entrelacs. On est tenté de croire que ce type de chaire est le résultat d’une évolution commencée au 12ème siècle. On se trouve là  face au minbar Almohade réparé au 13ème siècle par le Sultan mérinide Abou Yaqoub qui en dota la mosquée agrandie par ses soins.

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    Lorsque l’Islam s’implanta donc au Maroc, Taza avait déjà un long passé : elle était à tout le moins l’Agadir et la nécropole d’une tribu ou d’un groupe de tribus berbères. La seule chose sûre est que Taza est antérieure à l’islamisation du pays, soit à l’an 800. Elle existait déjà lors qu’Idris 1er s’installa dans le Maroc du Nord : il passa à Taza peu avant sa mort, en 790. Tous les historiens musulmans s’accordent à dire qu’à l’emplacement de Taza, il y eut d’abord un Ribat. D’après Ibn Khaldoun, ce Ribat, sorte de forteresse frontière occupée par les volontaires de la foi, a été fondé par les Meknassa du Nord, sous le règne d’Idriss 1er (788-803) qui islamisa les Ghiata et autres tribus berbères de la région de Taza.

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C'est de Tinmel dans le haut Atlas que les Almohad se sont lancés à la conquête de l'Andalousie et du Maghreb, en bâtissant sur leur passage la sentinelle de taza, là même où s'élevait un vieux ribât dévolu au jihad et à la guerre sainte

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        C’est de Tinmel que les Almohades se sont lancés à la conquête de l’Andalousie et du Maghreb, à travers Taza leur seconde étape. Parti de Tinmel, l’armée  d’ Abdelmou’mîn déboucha à travers le Haut et le Moyen Atlas sur Taza, qui devint son point d’appui pour sa campagne au Maghreb Central – toujours tenu par les Almoravides. Après la défaite de ces derniers près de Tlemcen, Tachfin l’Almoravide, au cours d’une marche nocturne, tomba du haut d’une falaise avec son cheval. C’est la première fois depuis longtemps, peut – être depuis toujours, que le Maghreb connaît l’unité politique sous des chefs issus de son sol. Et cette unification est l’œuvre de montagnards sédentaires. Le pouvoir du premier souverain Almohade s’étendait ainsi, depuis l’Îfriqiya jusqu’à l’Andalousie. Il régnait sur tous les grands centres de civilisation, et laissa à son fils un vaste empire qui comprenait tout le Maghreb et la majeure partie de l’Espagne musulmane.

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      Les travaux de Taza auraient été ordonnés par Abdelmoumen en  1135. Les murailles furent complétées en 1172 au voisinage de la tour sarrasine. Un siècle plus tard, vers 1249, le Mérinide Abou Yahya, s’empara de Taza après quatre mois de siège et fit remettre les fortifications en état.

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      La première moitié du 12ème siècle fut, dans l’histoire de la fortification marocaine, un moment décisif. Le pisé se substitua à la pierre, il paraît sous les Almoravides, il triomphe peu à peu sous les Almohades. Il semble que c’est une technique ancienne chez les montagnards de l’Atlas, qui savaient encore construire des ksours en cette matière.

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Partant de la nouvelle ville, on remonte par des escalier, la pente raide jusqu'à Baba Jamaâ qui donne accès au vieux Taza du haut

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Bab Jamaâ(la porte du souk du vendredi) est la principale porte d'accès à Taza la haute.Mais il existe d'autres portes aussi célèbres tel Bab Rih(la porte du vent) ou Bab zitoun(la porte de l'olivier) Taza est célèbre pour la qualité de son huile d'olive sans acide introduit dans ces parages depuis les almohades

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Ces murs de pierres s’accompagnent de tours rondes : tel se présente le mur de pierre de Taza. Il impose la tour massive des remparts Almohades et Mérinides. L’aspect de la fortification maghrébine s’en trouva fixé pour des siècles. Si les remparts Almoravides de Marrakech sont déjà en pisé, on les retrouve sous les Almohades avec les murailles qui couronnent le sommet rocheux de Taza. L’enceinte enveloppante, était selon les chroniqueurs, tel le halo encerclant la lune. Construits partie en pierres, partie en pisé, les remparts ne sont pas homogènes et appartiennent à des époques différentes.

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Le bastion élevé par les Saâdiens pour contrer le péril Turc qui menacait aux confins Est du maroc

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        Dans l’ensemble imposant que forment les fortifications de Taza du côté de l’Orient, une forteresse quadrangulaire attire immédiatement le regard, tant par sa masse que par sa disposition architecturale, Cette forteresse, encore aujourd’hui, appelée du vieux nom d’El Bastioun, est en effet la partie la plus intéressante de l’ancien système défensif. C’est le point fort de la place, le centre de résistance où converge tout le système des murs. C’est sur le Bastioun que repose toute la défense de Taza. Le reste de la citadelle, ville et kasbah, prisent, il pouvait encore continuer de résister. La lourde forteresse devenait en quelque sorte le pivot de la défense marocaine contre l’ennemi héréditaire de l’est.

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        A l’avènement d’Ahmed El Mansour, son premier acte fut de se poser , dès le début, en adversaire des Turcs. Or la place forte dont la situation nécessitait le plus impérieusement un armement défensif puissant était Taza. C’est à elle qu’el Mansour devait songer  tout d’abord, puisqu’il voulait fermer la porte aux Turcs. C’est donc à ce moment qu’eut lieu  semble – t – il la restauration des remparts de Taza, et leur adaptation aux nouvelles conditions de la guerre de siège, auxquelles répondait le Bastioun. On fixe vers le milieu du 16ème siècle, la date où fut construit le Bastioun

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   Le mausolée de Si El Haj Ali Ben Bari est le plus considérable de la plaine des tombeaux de Taza. L’édifice d’époque Mérinide, se situe au dessus de « Triq Sultan » qui, sortait de la ville. Sur le mur de l’édifice religieux, un panneau  porte cette  inscription  relative à la vie du saint : « Ceci est le Mausolée du Docteur Abou El Hassan Ali Ibn Bari Et- Tsouli Et- Tazi, » Si on se rapporte à l’Encyclopédie de l’Islam :

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      Ibn Barri, naquit vers 1262 à Taza, et qu’il est surtout connu par ses Dourar. C’est au méchouar que se situe la medersa mérinide, dont Abou El Hassan Ali dota la ville.

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     Au pied du minaret, la chambre du mouwaqqit qui sert de bibliothèque de la grande mosquée depuis les mérinides. On  y trouve un manuscrit du Coran qui remonte au règne Saâdien d’Ahmed El Mansour Dahbi à qui on doit la fortification connue sous le nom du Bastioun à Taza. Manuscrit magnifique sur du papier remarquablement calligraphié et enluminé avec des double pages dorées(à la fin et au commencement).

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Enliminures Royales léguées en main morte à la bibliothèque de la grande mosquée de Taza

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"kitab chifa", le livre de la guérison du Qadi Ayad, légué par Ahmed Al Mansour Dahbi à la bibliothèque fondée par Abou Inan, le grand sultan Mérinide

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Les chambres de mouwaqqit n’apparaissent au Maroc qu’au 13ème siècle. Malgré les remaniements qu’elle a subi, celle-ci semble bien être de fondation mérinide. On y trouve ainsi «Kitab Chifaâ »(  le livre de la guérison) du Qadi Ayad, en sa page de garde le seau d’Abou Înan le mérinide léguant ce manuscrit en main morte à la grande mosquée de Taza .

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Ce qui reste le long des frises, du style décoratif almohade se caractérise par des formes géométriques sobres aux lignes épurées et fermes comme ce fut le cas à la mosquée de Tinmel.

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Le style décoratif sobre de la grande mosquée de Taza, inspiré du modèle de la mosquée Almohad de TinmelComme à Tinmel, la mosquée Almohade était à neuf nefs réparties d’une manière symétrique. Harmonieuse combinaison d’anciennes traditions hispano – mauresques, et d’éléments nouveaux venus d’Orient.

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Abdelmou’mîne qui construisit Taza, jeta les premiers fondements des mosquées Almohades. Celle de Taza est antérieure à la Koutoubiya  puisqu’elle fut commencée dés 1135, et constitue ainsi  «  le prototype même de toutes les mosquées Almohades. »  Nous dit Henri Terrasse.

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 La nef axiale reste suivant la tradition almohade, plus décorée que les nefs communes. C’est bien entendu au mihrab que se trouvent les plus riches décors de toute la mosquée. Ainsi,à la grande mosquée de Taza, la hiérarchie du décor reste dans la tradition almohade. Nulle part qu’à la grande mosquée de Taza on ne peut juger des caractères généraux et des tendances du décor du 13ème siècle. Malgré les progrès de la géométrie et de l’épigraphie le décor de la grande mosquée de Taza reste avant tout floral. Il donne une importance nouvelle à la géométrie et à l’épigraphie. Tel se présente  la mosquée de Taza, chef d’œuvre de logique et de grâce solide, derrière lequel on sent vibrer l’âme d’un architecte de génie. L’agrandissement mérinide n’a fait qu’accroître la profondeur de la salle de prière. Et ce vaste oratoire, aux longues perspectives, tout noyé de pénombre malgré sa blancheur, est d’une beauté ferme et grave.

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Le grand lustre souligne la dignité éminente de la nef axiale. Dés sa construction, il fut célèbre. L’historiographie mérinide fait l’éloge de cette œuvre exceptionnelle de la bronzerie musulmane. Aucun lustre orné de cette taille n’a été signalé en Orient.

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  Les grandes cours des mosquées anciennes d’Espagne et du Maghreb furent très souvent plantées d’arbres. Le Sahn el Kébirde Taza perpétuait magnifiquement cette tradition. Les historiens nous apprennent qu’Abou Rebia y fut inhumé et la pierre tombale de ce sultan s’y voyait encore en 1923.

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 Le style des arcs, les motifs et les teintes des zellijs, la silhouette de la grande fontaine ne permettent pas de faire remonter ces aménagements au-delà de Moulay Rachid : on croirait volantier que ce fut ce premier souverain Alaouite qui donna au Sahn el Kébir son ordonnance actuelle. Cette immense cour baignée de soleil avec ses magnifiques figuiers est d’une poésie prenante. histoire,le couloir de taza

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 La vue des toits est aussi belle que celle des grandes mosquées du 12ème siècle. .Le Jamaâ El Kébir, la grande mosquée de TAZA, à laquelle ont déjà travaillé les Almohades, est agrandie par les Mérinides, les travaux étant terminés en 1294.Une inscription, en zellij noir, contigu à la Qibla, date les réparations et agrandissement  que fit faire le Sultan Mérinide . On y lit :

       «   Abû Ya’qûb, ordonna d’agrandir la mosquée par quatre nefs du côté de la Qibla et deux nefs, une orientale et une occidentale, ainsi que le Sahn qui est à l’Est de cette mosquée, car toutes ces parties étaient sur le point de s’écrouler. Commencés le  4 mars 1291, les travaux finirent le 29 octobre 1292. »

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   Les Almohades ont crée une véritable civilisation, et ne se sont pas contenté, de se faire les agents de diffusion de la civilisation Andalouse. Civilisation austère et énergique où les forteresses et les mosquées l’emportent sur les palais et les jardins, mais dont l’originalité et la grandeur ne sont pas contestables.   histoire,le couloir de taza

              À l’occasion du retour du pèlerinage de la Mecque, des séances de « Samaâ » sont animées, chez des particuliers à Taza. Et c’est à la tête de quatre cent pèlerins que de retour de la Mecque est mort, le 6 octobre 1269, Ali Shushtouri le grand mystique andalou qui marqua de son passage le Ribât de Taza. Cette sentinelle du Maroc oriental, était en liaison directe avec l’Andalousie via Sebta.: les poètes et mystiques andalous du 14ème siècle passaient par Taza pour se rendre à Tlemcen, à Bougie ou à Oran.  C’est lors d’un séjour à Taza que le célèbre vizir Grenadin Lissân Eddin Ibn El Khatib  avait appris le décès de sa mère en Andalousie.

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        La position de la médina de Taza, comme couloir de passage entre l’Est et l’Ouest du Maghreb, en faisait une étape où s’arrêtaient des personnages de renommée en provenance d’Andalousie comme Lissan Eddin Ibn El Khatib, le célèbre vizir et poète Grenadin. Il y est venu d’Andalousie avec ses coutumes, ses traditions et sa culture. On se souvient également du célèbre séjour d’Ibn Battouta, lors de son retour de Chine. Il existe encore une ruelle à Taza qui porte métaphoriquement son nom : c’est « Derb Cinî »(la ruelle du Chinois) . Comme Ibn Batouta était arrivé à Taza de Chine,  la ruelle où il séjourna fut baptisée « ruelle du Chinois » . 

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         Ce sont les confréries religieuses qui ont contribué à la sauvegarde ce patrimoine musical et littéraire andalou au Maghreb. Ces confréries allaient maintenir en vie une tradition musicale et poétique dans le cadre de leurs cérémonies, comme on le voit à Sidi Azzouz, où on chante la borda de  Bossiri. Personne ne connaît la période où avait vécu Sidi Azzouz, le saint patron de la ville, dont on dit qu’il aurait un parent enterré en Tunisie comme d’ailleurs le mystique marocain des Ghomara Abou El Hassan Chadili. L’artisan qui a peint la barchla de sa coupole a daté son œuvre du 3 ramadan  809 de l’hégire, soit le 2 novembre 1407.

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Taza, vendredi 26 nov. 2010:L’année dernière vers le coup de 13h, le sanctuaire de Sidi Azzouz, le saint patron de la ville, où nous avions enregistré une séance de samaâ en 2006 pour la série documentaire « la musique dans la vie », était dévoré par les flammes. Le ministère des habous et des affaires islamiques, qui a affecté un budget pour sa restauration n’avait plus aucune trace ni d’images du toit peint du sanctuaire. Le seul document dont les maâlem barchliya (peintres sur bois) disposaient pour restaurer à l’identique le toit peint disparu est le documentaire « Taza sentinelle du Maroc Oriental » dont j’ai supervisé pour le compte de la deuxième chaîne en 2006 ! Le chantre du samaâ local, M.Hamid Slimani qui me rapporte cette anecdote ajoute : « S’il n’y avait pas ton documentaire ; ils n’auraient pas été en mesure de restaurer la coupole en lui restituant sa décoration initiale !histoire,le couloir de taza

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       À Taza, les associations dévolues au samaâ œuvrent également pour l’épanouissement de la musique andalouse. Et cela d’autant plus que cette vieille médina maghrébine se prévaut d’une grande tradition dans ce domaine. Parmi les grands noms Tazis de la musique andalouse on peut citer entre autres, maître Haj Ahmed Labzour Tazi, mûnshid  et joueur de Rebab qualifié. Il se distingua par sa contribution à l’enregistrement de l’intégralité du répertoire de la Ala, avec le concours de l’UNESCO, et par une tentative sérieuse de transcription, souligne Ahmed Guettat dans son monumental ouvrage intitulé « empreinte du Maghreb sur la musique arabo – andalouse ». Parmi les autres grands noms figure celui de feu Abdessalam Lbrihi, ce natif de Taza qui se trouve parmi les auteurs ayant contribué au recueil du Haïk qui fut publié sous les règnes de Hassan Ier et de Moulay Abdelaziz. C’est d’ailleurs son fils Mohamed Lbrihi qui fonda, au tout début du XXe siècle, la première association de musique andalouse qui allait contribuer, d’une manière décisive, à la préservation de ce legs andalou au Maroc. Cet originaire de Taza, comme le mentionne un dahir de Moulay Abdelaziz, était devenu chanteur de Cour (moutrib al qasr). Il est mort en 1945. Il avait formé à la ala andalouse toute une génération de musiciens de Fès, à commencer par le plus fameux d’entre eux, El Hajj Abdelkrim Raïs. Les plus grands ténors de la musique andalouse ont donc été formés par un homme originaire de Taza. L’association qu’il avait fondée est actuellement présidée par son gendre Anas El Attar.

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Mrs. Mohamed Belhissi, homme de théâtre et Hamid Slimani, chef d'orchestre du samaâ, actuellement les principaux animateurs de la vie culturelle Tazie..

      L’un des grands noms du malhûn à Taza est le poète Mohamed Belghiti surnommé Btigua. Ce dernier animait régulièrement des soirées de ce genre poétique et musical à Fès et, dit-on, il connaissait par cœur quelque quatre cents qasidas, dont celle qui évoque la mort du Prophète ou encore « haoul lqiyama », le jour de la résurrection. Il avait composé des qasidas sur Taza dont l’une énumère les saints de la ville. C’est au cours de ces soirées qu’il organisait dans les Riad de Fès qu’il présentait ses nouvelles créations en matière de qasidas chantées du genre malhûn. Autre chantre du malhûn tazi, Belaïd Soussi, l’auteur de la qasida du ferran (le four public) et de cette chanson qui connaît encore un grand succès populaire (et que chante Mohamed El Asri) et qui a pour refrain :

Allah y l’ghadi l’Sahra jib li ghzal !

Ô toi qui t’en vas au Sahara, ramène-moi une gazelle !

 Autre succès de cet auteur tazi « lgaâda f’jnan sbil » (villégiature au jardin de Jnan Sbil de Fès) et « Ya man bgha zine » (ô toi qui désires la beauté !). C’est encore lui qui avait composé cette chanson nationaliste à l’occasion du retour de Mohamed V de son exil de Madagascar :

 Saâdi ziyant ayâmi, mahboub khatri jani !

Heureux sont mes jours, mon bien-aimé est arrivé !

 Il avait également composé des chansons pour des vedettes de la chanson marocaine tel Fath Allah Lamghari. Taza faisait partie des vieilles cités marocaines, telles Salé, Safi et Meknès qui produisaient du malhûn. Mais elle ne dispose pas actuellement d’un orchestre de malhûn déplore M. Hamid Slimani. Pourtant les habitants de Taza restent encore attachés au malhûn. Certains musiciens font, de temps en temps,  quelques tentatives pour faire revivre le malhûn. On entend donc du malhûn exécuté par les orchestres qui animent les fêtes de mariage, mais il n’existe pas d’orchestre spécialisé dans le malhûn proprement dit.

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       De par sa position entre Tlemcen et Fès, Taza est l’un des terreaux les plus fertiles au Maroc en matière de samaâ , un art du chant déclamé suivant les modes musicaux andalous, fondé sur la déclamation, les prières et les qasida mystiques. Parmi les grands noms Tazis de la musique andalouse on  cite, entre autres, maître Haj Ahmed Labzour Tazi, mûnshid  et joueur de Ribab qualifié. Il se distingua par sa contribution à l’enregistrement de l’intégralité du répertoire de la Ala, avec le concours de l’UNESCO, et par une tentative sérieuse de transcription, comme le souligne Ahmed Guettat dans son monumental ouvrage intitulé « empreinte du Maghreb sur la musique arabo – andalouse » . 

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     . Henri Terrasse a insisté à juste titre sur la part prépondérante de l’influence andalouse à Taza. D’où les monuments, d’où une certaine floraison littéraire où domine le poète et historien andalou Ibn El Khatib. Taza, était en liaison directe avec l’Andalousie via Sebta.: les poètes et mystiques andalous du 14èmesiècle passaient par Taza pour se rendre à Tlemcen, à Bougie ou à Oran.  C’est lors d’un séjour à Taza que le célèbre vizir Grenadin Lissân Eddin Ibn El Khatib  avait appris le décès de sa mère en Andalousie. Le grenadin   Lissân Eddin Ibn El Khatib y composa una qasida où il est dit :

 Taza le célèbre pays

 Pays où les jardins  reverdissent

 Pays où l’air est bon, où  l’eau est abondante

 Pays où la beauté est  resplendissante…

     Poète mystique andalou, né à Cadix vers 1203, ayant d'abord vécu au Maroc, avant de voyager en Orient, c’est à la tête de quatre cent pèlerins que de retour de la Mecque est mort ,le 6 octobre 1269, Ibn El Hassan Shoushtouri , le grand mystique andalou qui marqua de son passage le Ribât de Taza. Ce fut un des grands Washâh mystiques, qui parcourait les marchés et les foires en s’accompagnant d’un instrument en chantant ses Mouwashahâtes andalouses :

 « Un cheikh du pays de Meknès

 A travers les souks va chantant

 En quoi les hommes ont-ils à faire avec moi

 En quoi ai-je à faire avec eux ?... »

 Lors de l’un de ses voyages d’Andalousie au pays d’Algérie, au milieu du sixième siècle de l’hégire, ce grand poète soufi – maître du Samaâ’ et grand pôle mystique -, est passé par Taza , en tant que lieu de transit reliant l’Orient à l’Occident musulman. Il se rendait alors à Bougie où résidait le grand mystique Ibn Sabaâïn. Il est passé par la ville qui l’a séduite, et où il composa ce poème :

  J’ai  porté la coupe

 A l’ombre apaisantes de jardins

 Ce fut dans une citadelle à l’Est de Fès

 Douce était ma joie, vifs mes souvenirs

 Au point que j’en oublie les miens

 J’ai quitté la patrie pour la demeure des biens aimés

 Où on m’a  servi la coupe divine.

 Ce qui reste de Shoshtari, comme des maîtres spirituels qui lui ont succéder depuis, c'est cette actualisation poignante de l'instant, où ils veulent nous faire rejoindre l'éternel. « L'instant est une coquille de nacre close ; quand les vagues l'auront jetée sur la grève de l'éternité, ses valves s'ouvriront ». Il n'en disait pas davantage pour laisser comprendre qu'alors on verra dans quelles coquilles les instants passés avec Dieu ont engendré la Perle de l'Union. Ce à quoi fait échos Niyazi Misri, poète mystique turc du 17ème siècle :« Après avoir voguer sur la mer de l'esprit dans la barque matérielle de mon corps, J'ai habité le palais de ce corps, qu'il soit renversé et détruit ; »

 Oui, l'instant est une coquille de nacre  close ; quand les vagues l'auront jeté sur la grève  de l'éternité, ses valves s'ouvriront. Cette dimension mystique imprègne encore aujourd’hui la vieille médina de Taza, où les pèlerins de retour de la Mecque sont encore accueillis par le samaâ qu’y légua, il y a des siècles de cela le grand maître andalous du chant soufi.

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 En dehors de la médina, il n’y avait que des vergers, et des cimetières .La citadelle continuait à dominer de ses remparts la campagne alentour.On trouve dans Kitab El Istibcar une description curieuse de la ville dans la deuxième moitié du 13ème siècle. Elle est établie au milieu de grandes montagnes d’accès difficile ; les figuiers, la vigne, les arbres fruitiers de toutes espèces et le noyer y abondent. Les habitants sont des berbères Ghiata : « c’est une grande ville, située sur le flanc d’une montagne, et qui domine des plaines traversées par des ruisseaux d’eau douce ; elle est protégée par un rempart considérable de pierres jointes au mortier, et la durée en est assurée. » Ribat-Taza qui se trouve sur la route menant d’occident en orient, est aussi appelée  Taza.- Ez-Zaïtoun, en raison de l’abondance de l’olivier..Taza atteste la grande extension de la culture méditerranéenne de l’olivier qui remonte ici au temps du lime romain. Des silos creusés dans la médina recelaient des provisions de grain qui devenaient précieuses en cas de blocus. On y cultivait des vergers, des réservoirs y accueillaient des eaux de la hauteur en provenance Ras El Ma. La ville recevait en temps normal l’eau d’une seguia descendant des montagnes, alimenté par une dérivation de l’Oued Taza. En cas d’hostilités avec les tribus montagnardes, le premier soin de celles – ci été de  couper la seguia , afin de priver d’eau la ville[1] : les Ghiata n’y ont point manqué jusqu’au début du 20ème siècle. C’était une chose à laquelle Taza devait s’attendre fatalement à chaque siège. C’est d’ailleurs pour  la délivrer du blocus des Ghiata, que Hassan 1er s’était rendu à Taza en 1874.En dépit de la barrière du Rif, le Taza du haut  est une citadelle méditerranéenne par excellence du fait même de son histoire et de sa culture. Au pied de son éperon, le Taza du bas, la ville nouvelle, ne cesse de s’étendre sur ce qui fut jadis des jardins et des vergers.Abdelkader Mana    


 

           

 

03/06/2011

Naissance d’un festival

   musiquemusique

Gnaoua et musiques du Monde

musique

musiqueEssaouira, juin 1998, un festival musical vient de naître ; celui d’un genre nouveau : le pop -gnaoua. Une fusion entre les pulsations et les rythmes gnaouis avec ceux de la world music. Les gens se rencontrent, les musiques fusionnent. C’est la mémoire collective au travers la musique ! La ville retrouve ainsi la vocation internationale qu’elle avait jadis en tant qu’aboutissement des caravanes de Tombouctou et des caravelles de la lointaine Europe. Mouillage de Mogador où les eaux douces de l’oued ksob ont toujours attiré les navigateurs. Lieu d’ouverture, de tolérance aussi où les trois religions monothéistes ont toujours cohabité comme le soulignait déjà le peintre Adrien Matham qui visita ces rivages en compagnie d’un navire hollandais en 1641 : «  Les Maures de la kasbah, écrivait-il, ont accueilli amicalement nos gens et nous ont envoyé leur interprète, en échange duquel, suivant leur coutume, un des nôtres devait rester à terre comme otage. Le juif susdit nous fournit aussi du pain frais, des olives, des amandes, des raisins et des gâteaux au goût succulent… Il est aussi à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir, celui des Maures : le vendredi, celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche. »

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       Le fait qu’Essaouira avait été jadis un port de transit, où avec les marchandises les musiques sont venues d’ailleurs fait d’elle une ville – carrefour avec comme principal apport la musique des gnaoua  comme le souligne l’historien Jean Louis Miège, spécialistes des relations entre le Maroc et l’Europe au 18ème et 19ème siècle :

musique « Le fait qu’Essaouira, depuis quasiment deux siècles est restée en étroit contact avec Tombouctou, telle est la genèse de la confrérie des gnaoua et de son rituel.Et pour employer un terme savant ; s’il y a polygenèse, c'est-à-dire, naissance à plusieurs endroits de formes voisines et un peu différentes – voisines pour des raisons compréhensibles – ou s’il y a monogenèse, c'est-à-dire de formation in situ, sur place, d’une originalité et moi, je crois profondément à l’originalité des gnaoua d’Essaouira. »  

      Parmi les personnalité de marque au colloque de musicologie de ce festival figure Mme Viviana Pacques qui a longuement vécu et étudié les Gnaoua à Tamsloht et qui est l’auteur de deux ouvrages de référence sur la question- « l’arbre cosmique » et « la religion des esclave »- nous déclare à ce propos :

 « Il y a deux fêtes indispensables pour les gnaoua : ce sont les fêtes de Chaâban et celles du Mouloud. Au mois de Chaâban cela se passe dans la maison de la moqadma qui refait ses autels, sa mida et sa nourriture. Et au Mouloud, le moussem se passe à Tamsloht. Rien ne s’exprime par le langage ou presque rien. Les chants ont peu d’importance. Tout est expliqué par une sorte de métalangage qui est fait des objets rituels qui apparaissent ou reviennent à un certain moment précis. Tout est un code : les pas de danse, la cadence de la musique, l’ordre du déroulement de la lila. Tout est codé. Tout est significatif, dans les moindres détails ».  

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    Au trois religions monothéistes s’est ajouté l’animisme africain venu d’Afrique subsaharienne  dont sont issus les deux principales familles de la confrérie des gnaoua d’Essaouira :   Les Gbani de Bamako et les Guinéa de Tombouctou et de Dakar au Sénégal comme nous l’explique maâlem Mahmoud Guinéa :

 musique« Mon grand père du côté maternel est originaire de Dakar et celui du côté paternel de Tombouctou. Ce sont ces guinéa  avec la famille gbani  qui ont amené le rituel des Gnaoua à Essaouira. En tant que maâlem gnaoui, nous sommes leurs  hériters . Parmi les anciens d’Essaouira, il y a  maâlem Blal et maâlem Ahmed :  maâlem Boubker, mon père  est venu par la suite. C’est lui mon initiateur. Je l’ai accompagné aux lila durant une quinzaine d’années  en jouant des crotales. A l’époque les servantes noires affiliées aux gnaoua   vivaient à la campagne. Elles  étaient aussi originaires du soudan. La rythmique noire, nous l’avons dans le sang.  J’ai commencé à m’exercer sur un petit guenbri dés l’âge de dix huit ans. On utilisait des boites de conserve en guise de crotales et le soufflet en guise de guenbri ! Au bout de vingt ans de compagnonnage avec mon père, j’ai été reconnu comme maâlem par mes paires  autour d’une gasaâ ou plat communiel. Les maître  gnaoui dont j’avais obtenu à l’époque la reconnaissance  sont tous morts . Cela se passait à la zaouia vers la fin des années soixante. »

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     musiqueC'est-à-dire en pleine période du mouvement hippie à Essaouira : une période charnière où la vieille génération des gnaoua disparaissait, laissant place à une nouvelle plus ouverte sur les  cultures et les musiques du monde. Mahmoud Guiné et  Abderrahmane Paka, étaient représentatifs de cette nouvelle génération d’ouverture sur l’autre et d’intégration à la modernité musicale représentée par le Jazz d’Amérique et surtout par un immense guitariste tel Jimmy Hendrix dont un mythe significatif et persistant dit qu’il aurait séjourné en plein mouvement hippie dans le village de Diabet au sud d’Essaouira. A l’époque maâlem Qirouj ,  qui sera connu plus tard sous le nom de Paka,vedette du groupe folk de nass el ghiwan ,  sera le premier à sortir  l’autel des mlouk en dehors de l’enceinte sacrée de la zaouia des gnaoua pour une villa du front de mer que louait alors le living theater durant son séjour soixante-huitard à Essaouira . De cet évènement inaugural de la modernité gnaoui, aujourd’hui, Paka se souvient encore : « Les anciens nous interdisaient de faire venir les européens à la  zaouia des gnaoua ni à les faire participer aux thérapies domiciliaires. En 1968-1969, en arrivant avec le mouvement hippie, le living theater avec à sa tête Julien Beck et Judith Milena,  m’a proposé d’organiser une lila avec sacrifice dans la villa du bord de mer. Pourquoi pas ? Leur dis-je, surtout avec  des musiciens et des artistes comme eux. C’était la première fois qu’on organisait une lila dans un espace profane. »

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Georges Lapassade est le premier à découvrir en 1967, les Gnaoua d'Essaouira dés la période hippie en campagnie du living theater. Il valorisa leur rituel et leur musique en reconnaissant sa parenté avec le Jazz. On le voit ici en campagnie de maâlem hayat : photo prise en 1978, il est pour ainsi dire le père spirituel de ce festival et du colloque demusicologie qui l'accompagne

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     Lorsque le living theater quitte Essaouira en septembre 1969, Abderrahman Qirrouj, marqueteur d’Essaouira et maâlem gnaoui est devenu Paka , joueur de gunbri dans le célèbre mouvement folk marocain. Sa carrière folk commence par son entrée au groupe de Jil Jilala, avant d’être consacrée par son entrée dans le groupe de nass el ghiwan . Il avait déjà participé à des veillées musicales avec Jimmy Hendrix autres Jazz – man de passage par la plage de borj el baroud. Paka qui les a écouté adoptera désormais une tignasse et une tenue hippie à chaque fois qu’il montera sur scène en compagnie de nass el ghiwan. Il a pu ainsi découvrir, la possibilité et en même temps, la nécessité caractéristique du Jazz d’improviser et de moduler sur la base d’une trame traditionnelle. Le Jazz, c’est essentiellement, cette libération qui se réalise à partir d’une tradition. En se libérant, le musicien traditionnel devient créateur. Il suffit d’écouter Paka interpréter un thème gnaoui pour comprendre cette alchimie musicale où le guenbri accompagne tantôt des quatrains du Majdoub , tantôt le chant sacré.

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       Le succès fulgurant de ce festival auprès de la jeunesse, tient à la fusion qu’il opère entre les groupes des gnaoua du Maroc, et les musiques afro-américaines : c’est la musique des gnaoua a les mêmes racines que le Jazz ou le Reggae avec lesquels elle fusionne à merveille ! Et c’est ce que nous explique Mahmoud Guinéa qui participe à ce festival : « La musique gnaoua et celle du Jazz ont la même origine africaine. C’est pourquoi, ces deux musiques fusionnent sans problème. Nous avons joué avec plusieurs groupes étrangers : celui de Carlos Santana à Casablanca, celui de Peter Grossman et de hamid Dreik en Allemagne. J’ai joué avec beaucoup de musiciens à l’étranger. J’ai joué avec un batteur du tabla indien. Un espagnol qui a vécu quinze ans en Indonésie. C’est là qu’il avait appris le tabla auprès d’un maître. Il est venu à Essaouira et nous avons produit une cassette ensemBle. J’ai joué aussi avec la cithare indienne au sein du groupe folk des « mchaheb » (rayons de soleil) ».

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   Sur une même scène , le guenbri et les crotales traditionnelles d’une part, la guitare, le synthé, la flûte et la voix humaine expérimentée comme instrument de musique d’autre part. Si ce mariage entre musique rituelle et pop – music semble réussir , c’est bien parce que les deux genres musicaux puisent à la même source rythmique. Celle de la diaspora noire. Comme les gnaoua, la pop – music a aussi des origines noires : le Jazz , cette musique de déportation noire en Amérique. Les gnaoua et la pop – music fonctionnent sur le même registre, les mêmes pulsations musicales, le même art de l’improvisation ; celui de l’homme noir. C’est là, me semble – t- il, la raison profonde de cette parfaite harmonie entre le négro – spirituel gnaoua et la pop – music.

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   Cette fusion musicale entre les gnaoua et les musiques du monde fut magistralement illustrée quand la chanteuse irano – américaine, Susan Dayhim est montée sur scène, en utilisant sa voix comme instrument de musique :  « Je fais beaucoup de choses avec ma voix, nous déclare-t-elle. C’est moi qui travaille avec les gnaoua, pas eux qui jouent avec moi : eux  ils font la musique et moi je cherche comment je peux ajouter quelque chose avec ma voix. Tout le monde est engagé quand la musique prend. Il n’y a ni maître ni esclaves. Il y a cette harmonie cosmique : cette connexion est le vrai sens de la musique. Là haut où tout s’arrête, le temps, l’espace et on entre dans l’abandon de la transe. J’ai écouté ce qui se passait sur scène. J’ai essayé de penser mélodiquement à des choses différentes. A comment ma voix peut se mélanger mélodiquement, rythmiquement avec les gnaoua. »

    musiqueRichard Horowitz, l’un des principaux animateurs de cette première édition a pu pour sa part, expérimenter la fusion de la flûte oblique avec le guenbri des gnaoua :  « J’avais fais le stop classique en 1969 jusqu’à Marrakech et à ce moment là que je me suis rendu compte que toutes mes idées sur la musique étaient encore limitées jusqu’à ce que j’écoute la musique d’ici qui m’adonné encore un éclat monumental pour comprendre pourquoi c’était la musique ? En ce qui concerne le Ney et la musique des gnaoua cela remonte à quand j’ai commencé à jouer du Ney : j’ai joué un peu avec les gnaoua mais pas tellement en fusionnant le Ney avec leur musique par respect. Et ce n’est que longtemps après que je me suis rendu compte qu’en allant plus loin vers le sud, on rencontre dans d’autres traditions griots des flûtes obliques, des Ney,qui sont jouées avec le guenbri. Et c’est ce qui m’a permis d’aller plus loin là dedans ».

    musiquePour le compositeur et percussionniste Steve Sehan, la musique des gnaoua ne peut admettre de fusion avec d’autres musiques que dans une approche qui prenne en considération son caractère de musique rituelle à finalité thérapeutique : « Je me suis rendu compte que coexistent ici tellement de musicalités, de savoirs et finalement d’inspirations différentes qu’à un moment, j’ai décidé de m’immerger un peu dans ces coutumes et ses sonorités. Et donc de provoquer et en même temps de subir d’une façon positive des rencontres avec des artistes connus ou moins connus, simples ou plus fastueux. De ce fait, j’ai la chance de rencontrer par exemple un maâlem gnaoui de Marrakech qui s’appelle Brahim EL berkani , qui fabrique en plus des instruments et de le suivre depuis une douzaine d’années. Je travail régulièrement avec lui. Je l’enregistre. J’aime beaucoup la musique gnaoua au travers la poésie et la mémoire collective qu’elle implique. Je n’aborde pas les gens comme des musées vivants. J’essaie de capter leur désir ludique et musical, d’évoluer vers leur envie légitime d’être au contact de la modernité incontournable de nos jours. Ils ont des envies et des désirs de mélanger leurs musicalités avec d’autres musiques. Mon approche comporte deux sentiments : pour le percussionniste que je suis, la musique des gnaoua est évidemment une musique entraînante,rythmique, chaloupée et puissante qu’on retrouve d’ailleurs au nord du Brésil. Une sorte de pulsation latérale. Et puis il y a ma vision de compositeur où j’ai plus de recule. Je ne pense pas qu’on puisse à tout prix mélanger , superposer les choses.  Surtout qu’on est là face à une musique rituelle qui se suffit à elle – même et qui a sa force et ses raisons. Ce n’est pas une musique pour la musique, ce n’est pas une musique pour le plaisir, ce n’est pas une musique pour le jardin. C’est une musique qui a une incidence thérapeutique. On est àleur écoute. On n’essaie pas d’imposer ce qu’on connaît. C’est plus dans cette manière – là qu’on peut approcher la musique gnaoua, c'est-à-dire avec respect. »

musique

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    La confrérie des gnaoua dont la principale zaouïa se trouve à Essaouira n’est pas sectaire. Et c’est cette ouverture sur l’autre qui lui a permis de s’ouvrir sur la modernité voir d’y trouver même une nouvelle raison d’être. La clientèle des gnaoua n’est plus seulement locale : à peine le festival terminé que maâlem Guiroug est déjà sollicité avec sa troupe pour se rendre à Londres pour y animer des soirées musicales.

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    Pour Steve Shehan qui a élu domicile au village de Ghazoua, non loin d’Essaouira ; au Maroc, on ressent les influences qui sont venues enrichir un patrimoine en permanente évolution :

« C’est pas quelque chose de figé. C’est cela que j’aime au Maroc. On en a la preuve avec ce festival. Essaouira, c’est une histoire de cœur. Cela fait vingt ans que je viens ici :j’ai la chance d’y habiter souvent et j’habite encore à Ghazoua à sept kilomètres d’Essaouira. Il y a un charme. Une fois de plus on sent l’apport des autres cultures : les portugais, la mer, le vent. Il y a une douceur de vie dans les haïks des femmes, une poésie. Vraiment, je fonds quand je vois ce qui m’attire et ce qui m’inspire. On va tous rentrer chez nous, voyager, mais avec une inspiration renouvelée, avec une envie nouvelle, une envie de revenir ici. Je vois d’autres amis qui ont été totalement envoûtés. Ça ne vous donne qu’une envie, celle d’aller plus loin , donc de revoir les gnaoua. Certains vont se mettre au hajhouj , au guenbri, c’est cela qui est intéressant : provoquer d’une part la curiosité et d’autre part aller plus loin dans la création ».

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     Ce métissage entre musiques de noires marocains avec la world music obéit ici au même au même processus de fascination pour la rythmique africaine, sous-jacente à d’autres mouvements musicaux que la jeunesse a connu ces trente dernières années au niveau mondial tel le Reggae, le Rock ou le Rap : toute cette culture musicale de la jeunesse a pour dénominateur commun, la présence d’une forte composante négro – africaine.  Avec ce festival, le carnaval de jadis, qu’on croyait mort à jamais , ressuscite avec ses feux de joie et ses éclats de couleurs, d’une manière à la fois théâtrale et grandiose. A la confluence des racines africaines et des influences andalouses, Essaouira, s’adresse désormais au monde. Abdelkader Mana      

 

13:39 Écrit par elhajthami dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

02/06/2011

Parcours immobile

Edmond Amran El Maleh

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 Comme le pêcheur à la ligne va à la rencontre des insondables abysses bleus , l'être est en quête naturel d'absolu. Je me souviens que lors du débat sur le chant sacré, au colloque de musicologie d’Essaouira, en 1980, c’était surtout les notions de Dhikr et de hal qui faisaient réagir  Edmond Amran El Maleh. Le Dhikr, c’est la mention incessante de Dieu, l'oubli de tout ce qui n'est pas Dieu : « Remémores (udhkur) ton Seigneur quand tu auras oublié. ». Et selon Ibn Âta' Allah « le Dhikr est un feu. S'il entre dans une demeure, il dit : c'est moi, non un autre ! S'il y trouve du bois, il le brûle, s'il y trouve des ténèbres, il les change en lumière ; s'il y trouve de la lumière, il y met lumière sur lumière ». Le thème de la lumière est une des constantes de l'enseignement soufi. C'est elle qui pénètre dans les cœurs qui s'ouvrent à Dieu. Elle se présente chaque fois comme une force spirituelle, un appel à la vie intérieur. Hallaj écrit :« L'aurore que j'aime se lève la nuit, resplendissante, et n'aura pas de couchant ».La « Laylat el Hajr » de Hallaj paraissant viser la nuit de l'esprit, sous d'autres symboles : l'oiseau aux ailes coupées, le papillon qui se brûle, le cœur enivré de douleur, qui reçoit.

    L’autre concept mystique qui intéressait particulièrement El Maleh est celui du « hal » (état spirituel). Cette quête de purification du cœur  qui relie les étapes à chacun des horizons. Ces diverses étapes de la voie soufie, qu’on appelle  Ahouwal sont sensées conduire au dévoilement progressif et à la purification des coeurs. Le but ultime de ce voyage à la fois réel et symbolique est de préparer l'âme à l'union divine… Les soufis ont insisté sur cet aspect de purification des cœurs et des âmes, pour consolider les valeurs de tolérance, d'amour et de miséricorde.

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Mon père

   Un jour je rencontre Edmond Amran El Maleh en plein centre ville et je l’invite à une lecture d’un passage de mon journal de route, qui porte sur la nuit des Oulad Bouchta Regragui. Une nuit de transe et de flamme. Une fois la lecture terminée, je me souviens que l’auteur de « parcours immobile »  n’avait pas émis de commentaires sur la valeur littéraire de mon texte comme je l’espérais... Mon père qui était venu nous rejoindre pour le thé raconta à notre invité d’honneur  cette anecdote:

« Pour se rendre d’Essaouira à Marrakech un négociant juif a demandé au pacha de la ville de lui désigner un mokhazni (agent du Makhzen), pour l’accompagner. Il fallait alors trois jours à dos de mulet pour parcourir la distance qui sépare Marrakech d’Essaouira, son avant-port. Le mokhazni se présente alors au magasin du négociant juif et l’interpelle sur un ton brutal :

 -   Je viens de la part du pacha : quant est-ce que nous irons à Marrakech ? !

 Le négociant lui rétorque alors :

 -  Vas  dire au pacha que le voyage est reporté.

 Le pacha ayant compris que le « report » est plutôt dû à l’indélicatesse dudit mokhazni, en désigna un autre réputé pour son tact et son savoir – vivre. Ce dernier se rendit d’abord chez lui, mit son plus beau burnous et se parfuma de musc. Une fois arrivé chez le négociant, il le désigna par ses triples qualités :

 -  Salut Monsieur le Consul, le Négociant, et le Rabbin…

 Ce dernier se retourna alors vers l’assistance en lui disant :

  - Avez-vous vu l’incarnation même de la politesse ? Prépares-toi au voyage, on prendra la route très tôt demain matin… ».

  L’anecdote concernait le propre grand-père de l’écrivain ! Originaire des Aït Baâmran, dans le sud marocain, Joseph Amran el Maleh était en effet à la fois grand Rabbin de la Kasbah, négociant en plumes d’autruches et consul représentant la nation d’Autriche à Mogador !

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Le maqâm(mansion) de Sidi Sliman El Jazouli à Tazrout en pays Neknafa

        Je me souviens aussi que lors de cette entrevue, mon père avait entretenu Amran El Maleh,  de la dimension spirituelle de  l’existence humaine et des deux types de savoirs qui la caractérise : îlm dahir (la science des apparences), et îlm al bâtine (celle des mystères). La première s’appuie sur des indices qui lui permettent d’affirmer qu’un homme va mourir, qu’une femme va accoucher ou que la pluie va tomber. Mais elle ne peut nous prédire la date de l’évènement. Dieu seul peut la connait, et c’est là ce qu’on appelle la science des mystères. La science dont il s'agit  ici est la science du cœur auquel l'envoyé de Dieu avait fait allusion par ce dit :« Il y a deux sortes de sciences : une science dans le cœur, et c'est la science utile. Et une science dans la langue et c'est la preuve que donne Allah aux fils d'Adam. »

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       Ils s’entretenaient ainsi de la transcendance de la voie soufie, cette Tariqa qui s'inscrit dans une chaîne ininterrompue de maîtres spirituels, héritier chacun de ce secret, jusqu'au Prophète de l'Islam et, à travers lui, toute la chaîne des Saints et des Prophètes antérieurs. Ils se sont aussi entretenus de Sidi Sliman el Jazouli auquel Edmond Amran El Maleh a consacré un beau live : « Périple autour de Jazouli ». Périple que j’ai effectué récemment chez les Neknafa en pays Haha, pour y enquêter sur le maqâm (mansion) d’El Jazouli, en appliquant l’enquête ethnographique à un sujet historique. En fait pour y retrouver mes propres racines spirituelles. El Jazouli s’était retiré dans ces campagnes des tribus Haha et Chiadma, non loin du mysticisme Regraga qui depuis 771 (1370) existe à l’embouchure de l’oued Tensift. A l’issue de ma dérive à son piton rocheux, comme jadis à l’issue de mon pèlerinage chez les Regraga, j’ai traversé le mont Tama pour rejoindre à notre vallée de Tlit celle qu’on surnommait affectueusement « Lalla », notre marraine à tous. Elle m’accueillit comme d’habitude avec profusion de nourritures et de pastèques rafraîchissantes. Je ne savais pas encore que c’était la dernière fois que j’allais la voire. Le lendemain, très affaiblie, on l’a transféré du pays Haha à Marrakech, exactement comme ce fut le cas jadis pour Jazouli. Je note dans mon journal du jeudi 28 août 2008 : Lalla n’est plus. Elle est morte très tôt ce matin et sera inhumé à Marrakech vers la mi-journée. Elle rejoint ainsi mon père et ma mère que Dieu lui fasse miséricorde. Avec sa disparition, c’est la fin de toute une génération : celle qui nous rattachait encore à nos terres d’origine.

     L’auteur de Dalaïl el Khaïrat qui suivit au début à Fès les cours de la Madrasa çaffârîn, occupait une chambre dans laquelle, dit-on, il ne laissait entrer personne. Apprenant la chose, son père se dit en lui-même :

- Il ferme la chambre parce qu’elle renferme quelque trésor.
Et il quitte son pays de Semlala dans le Sous, se rendit à Fès auprès de son fils et lui demanda de le laisser entrer dans la chambre. El Jazouli accéda à son désir ; sur les murs, de tous les côtés, étaient écrits ces mots : « La mort ! La mort ! La mort ! »

Le père comprit alors les pensées qui hantaient son fils ; il se fit des reproches à lui-même :

- Considère, se dit-il, les pensées de ton fils et les tiennes !
Il prit congé de lui et revint à son pays d’origine. »

livre.JPG       La mort hantait également Lalla dans la vallée de ses ancêtres où elle s’était retirée à la fin de ses jours. Comme Sidi Sliman El Jazouli, elle était également originaire, par sa mère, de la tribu des Semlala dans le Sous. Quelques mois avant sa mort, elle avait acheté son propre linceul, le déposant au milieu, des tolbas qui firent festin et oraison funèbre au hameau de Tlit. Elle n’avait qu’un seul vœux : mourir dans la dignité, en finir par une mort aussi subite qu’une cruche qui se briserait d’un coup à la margelle d’un puit.Depuis cette rencontre mystérieuse entre mon père et Edmond Amran El Maleh , chaque fois que je le croisais l’écrivain se contentait de me poser une seule question : « Comment va votre père ? ».Abdelkader Mana

La dernière visite d'Edmond Amran El Maleh à Essaouira de face.JPG

18:00 Écrit par elhajthami dans Mogador | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mogador | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook