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02/06/2011

Parcours immobile

Edmond Amran El Maleh

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 Comme le pêcheur à la ligne va à la rencontre des insondables abysses bleus , l'être est en quête naturel d'absolu. Je me souviens que lors du débat sur le chant sacré, au colloque de musicologie d’Essaouira, en 1980, c’était surtout les notions de Dhikr et de hal qui faisaient réagir  Edmond Amran El Maleh. Le Dhikr, c’est la mention incessante de Dieu, l'oubli de tout ce qui n'est pas Dieu : « Remémores (udhkur) ton Seigneur quand tu auras oublié. ». Et selon Ibn Âta' Allah « le Dhikr est un feu. S'il entre dans une demeure, il dit : c'est moi, non un autre ! S'il y trouve du bois, il le brûle, s'il y trouve des ténèbres, il les change en lumière ; s'il y trouve de la lumière, il y met lumière sur lumière ». Le thème de la lumière est une des constantes de l'enseignement soufi. C'est elle qui pénètre dans les cœurs qui s'ouvrent à Dieu. Elle se présente chaque fois comme une force spirituelle, un appel à la vie intérieur. Hallaj écrit :« L'aurore que j'aime se lève la nuit, resplendissante, et n'aura pas de couchant ».La « Laylat el Hajr » de Hallaj paraissant viser la nuit de l'esprit, sous d'autres symboles : l'oiseau aux ailes coupées, le papillon qui se brûle, le cœur enivré de douleur, qui reçoit.

    L’autre concept mystique qui intéressait particulièrement El Maleh est celui du « hal » (état spirituel). Cette quête de purification du cœur  qui relie les étapes à chacun des horizons. Ces diverses étapes de la voie soufie, qu’on appelle  Ahouwal sont sensées conduire au dévoilement progressif et à la purification des coeurs. Le but ultime de ce voyage à la fois réel et symbolique est de préparer l'âme à l'union divine… Les soufis ont insisté sur cet aspect de purification des cœurs et des âmes, pour consolider les valeurs de tolérance, d'amour et de miséricorde.

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Mon père

   Un jour je rencontre Edmond Amran El Maleh en plein centre ville et je l’invite à une lecture d’un passage de mon journal de route, qui porte sur la nuit des Oulad Bouchta Regragui. Une nuit de transe et de flamme. Une fois la lecture terminée, je me souviens que l’auteur de « parcours immobile »  n’avait pas émis de commentaires sur la valeur littéraire de mon texte comme je l’espérais... Mon père qui était venu nous rejoindre pour le thé raconta à notre invité d’honneur  cette anecdote:

« Pour se rendre d’Essaouira à Marrakech un négociant juif a demandé au pacha de la ville de lui désigner un mokhazni (agent du Makhzen), pour l’accompagner. Il fallait alors trois jours à dos de mulet pour parcourir la distance qui sépare Marrakech d’Essaouira, son avant-port. Le mokhazni se présente alors au magasin du négociant juif et l’interpelle sur un ton brutal :

 -   Je viens de la part du pacha : quant est-ce que nous irons à Marrakech ? !

 Le négociant lui rétorque alors :

 -  Vas  dire au pacha que le voyage est reporté.

 Le pacha ayant compris que le « report » est plutôt dû à l’indélicatesse dudit mokhazni, en désigna un autre réputé pour son tact et son savoir – vivre. Ce dernier se rendit d’abord chez lui, mit son plus beau burnous et se parfuma de musc. Une fois arrivé chez le négociant, il le désigna par ses triples qualités :

 -  Salut Monsieur le Consul, le Négociant, et le Rabbin…

 Ce dernier se retourna alors vers l’assistance en lui disant :

  - Avez-vous vu l’incarnation même de la politesse ? Prépares-toi au voyage, on prendra la route très tôt demain matin… ».

  L’anecdote concernait le propre grand-père de l’écrivain ! Originaire des Aït Baâmran, dans le sud marocain, Joseph Amran el Maleh était en effet à la fois grand Rabbin de la Kasbah, négociant en plumes d’autruches et consul représentant la nation d’Autriche à Mogador !

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Le maqâm(mansion) de Sidi Sliman El Jazouli à Tazrout en pays Neknafa

        Je me souviens aussi que lors de cette entrevue, mon père avait entretenu Amran El Maleh,  de la dimension spirituelle de  l’existence humaine et des deux types de savoirs qui la caractérise : îlm dahir (la science des apparences), et îlm al bâtine (celle des mystères). La première s’appuie sur des indices qui lui permettent d’affirmer qu’un homme va mourir, qu’une femme va accoucher ou que la pluie va tomber. Mais elle ne peut nous prédire la date de l’évènement. Dieu seul peut la connait, et c’est là ce qu’on appelle la science des mystères. La science dont il s'agit  ici est la science du cœur auquel l'envoyé de Dieu avait fait allusion par ce dit :« Il y a deux sortes de sciences : une science dans le cœur, et c'est la science utile. Et une science dans la langue et c'est la preuve que donne Allah aux fils d'Adam. »

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       Ils s’entretenaient ainsi de la transcendance de la voie soufie, cette Tariqa qui s'inscrit dans une chaîne ininterrompue de maîtres spirituels, héritier chacun de ce secret, jusqu'au Prophète de l'Islam et, à travers lui, toute la chaîne des Saints et des Prophètes antérieurs. Ils se sont aussi entretenus de Sidi Sliman el Jazouli auquel Edmond Amran El Maleh a consacré un beau live : « Périple autour de Jazouli ». Périple que j’ai effectué récemment chez les Neknafa en pays Haha, pour y enquêter sur le maqâm (mansion) d’El Jazouli, en appliquant l’enquête ethnographique à un sujet historique. En fait pour y retrouver mes propres racines spirituelles. El Jazouli s’était retiré dans ces campagnes des tribus Haha et Chiadma, non loin du mysticisme Regraga qui depuis 771 (1370) existe à l’embouchure de l’oued Tensift. A l’issue de ma dérive à son piton rocheux, comme jadis à l’issue de mon pèlerinage chez les Regraga, j’ai traversé le mont Tama pour rejoindre à notre vallée de Tlit celle qu’on surnommait affectueusement « Lalla », notre marraine à tous. Elle m’accueillit comme d’habitude avec profusion de nourritures et de pastèques rafraîchissantes. Je ne savais pas encore que c’était la dernière fois que j’allais la voire. Le lendemain, très affaiblie, on l’a transféré du pays Haha à Marrakech, exactement comme ce fut le cas jadis pour Jazouli. Je note dans mon journal du jeudi 28 août 2008 : Lalla n’est plus. Elle est morte très tôt ce matin et sera inhumé à Marrakech vers la mi-journée. Elle rejoint ainsi mon père et ma mère que Dieu lui fasse miséricorde. Avec sa disparition, c’est la fin de toute une génération : celle qui nous rattachait encore à nos terres d’origine.

     L’auteur de Dalaïl el Khaïrat qui suivit au début à Fès les cours de la Madrasa çaffârîn, occupait une chambre dans laquelle, dit-on, il ne laissait entrer personne. Apprenant la chose, son père se dit en lui-même :

- Il ferme la chambre parce qu’elle renferme quelque trésor.
Et il quitte son pays de Semlala dans le Sous, se rendit à Fès auprès de son fils et lui demanda de le laisser entrer dans la chambre. El Jazouli accéda à son désir ; sur les murs, de tous les côtés, étaient écrits ces mots : « La mort ! La mort ! La mort ! »

Le père comprit alors les pensées qui hantaient son fils ; il se fit des reproches à lui-même :

- Considère, se dit-il, les pensées de ton fils et les tiennes !
Il prit congé de lui et revint à son pays d’origine. »

livre.JPG       La mort hantait également Lalla dans la vallée de ses ancêtres où elle s’était retirée à la fin de ses jours. Comme Sidi Sliman El Jazouli, elle était également originaire, par sa mère, de la tribu des Semlala dans le Sous. Quelques mois avant sa mort, elle avait acheté son propre linceul, le déposant au milieu, des tolbas qui firent festin et oraison funèbre au hameau de Tlit. Elle n’avait qu’un seul vœux : mourir dans la dignité, en finir par une mort aussi subite qu’une cruche qui se briserait d’un coup à la margelle d’un puit.Depuis cette rencontre mystérieuse entre mon père et Edmond Amran El Maleh , chaque fois que je le croisais l’écrivain se contentait de me poser une seule question : « Comment va votre père ? ».Abdelkader Mana

La dernière visite d'Edmond Amran El Maleh à Essaouira de face.JPG

18:00 Écrit par elhajthami dans Mogador | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mogador | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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