09/06/2011
Le Mogador du dedans
Le Mogador du dedans
Je me souviens d’un soir où je me promenais aux côtés de mon père à Essaouira, la ville de nos ancêtres.
Je me sentais au cœur de mon histoire. Je caressais confortablement mes racines, ma terre sous mes pieds et mon père à mes cotés. Rien ne pouvait avoir de secret pour moi, ni déranger mes souvenirs. Mais j’avais quinze ans et ce n’était qu’une naïve impression.
Dans une romantique nostalgie, je levai mes yeux au ciel pour compter les étoiles, comme je le faisais autrefois avec mes cousins. Mais la lumière violente des lampadaires me fit aussitôt fermer les yeux. Il n’y avait plus d’étoiles, seulement une lumière froide assez agressive pour les cacher. Ma ville avait changé, elle avait perdu toute sa magie ingénue que je lui connaissais. Jadis, les étoile. Jadis, les mouettes. Jadis, les araucarias avec les feuilles desquelles nous fabriquions des épées et qui sont désormais balayées.
Beaucoup d’entre vous me diront qu’aujourd’hui Essaouira est plus propre, plus accueillante. Ils me parleront des beaux Riad, des luxueuses plages privées et du nombre croissant de touristes.
Je réponds alors que la ville spirituelle est devenue balnéaire, et tout le monde applaudit. Essaouira est une artiste prodige qu’on a maquillé et dénudé, et qu’on a envoyé danser dans un bar.
D’aucuns iront jusqu'à me faire remarquer que la ville a besoin de la monnaie étrangère, qu’elle serait morte sans l’activité touristique. Je ne partage pas entièrement cet avis. Je demande à ces bienheureux s’ils ont déjà arpenté les petites ruelles de Mogador, s’ils ont déjà été accueillis dans la maison d’une humble mais généreuse famille Souirie , et surtout s’ils y ont vu une trace d’enrichissement , une évolution palpable .Moi, je n’en vois pas. Le Mogador du dedans tombe en ruine, en même temps que la façade est assidûment peinte…et repeinte.
Le Mogador du dedans, c’est cette vieille dame que j’ai connu, enfant ; elle a vécu seule et dans le dénuement… elle est morte ainsi. Le Mogador du dedans, c’est ces enfants et adolescents qui quittent les bancs de l’école parce que l’activité touristique est plus intéressante que leur programme scolaire. Le Mogador du dedans, c’est ce noble personnage qui attend, devant la gare avec sa charrette, que nous veuillons bien qu’il transporte nos bagages ; ses « balak balak » raisonnent dans ma tête comme le son irritant de la misère.
Ce serait malhonnêteté de nier cette misère dans le faste. Moi, elle me dégoûte. Ceci n’est pas l’histoire d’Essaouira seulement, c’est l’histoire du pays en développement qu’est le Maroc. Un développement superficiel et partial. Ce vernis dont nous sommes tellement fiers finira un jour par se craqueler… mais, entre temps, nous aurons perdu nos étoiles, nos mouettes et nos araucarias.
Sarah MANA
21:50 Écrit par elhajthami dans Mogador | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mogador | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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